Séance du 20 octobre 1998







M. le président. La parole est à M. Valade, auteur de la question n° 327, adressée à M. le ministre de la défense.
M. Jacques Valade. Monsieur le président, si je n'ai pas les mêmes raisons géographiques que notre collègue pour saluer votre accession à la vice-présidence du Sénat, c'est au nom de la confraternité entre vice-présidents que je tiens à vous exprimer publiquement mes félicitations.
Après avoir connu voilà quelque temps une proximité géographique - celle de nos bureaux - nous allons maintenant en vivre une autre ; celle de la vice-présidence.
Monsieur le ministre, sachez tout d'abord que j'apprécie votre présence dans cet hémicycle.
Je veux attirer ensuite votre attention sur le développement et la pérennité du programme Rafale, sujet qui a d'ores et déjà suscité de nombreuses questions.
Un fait est bien connu : conçu à partir des avant-projets d'avions futurs étudiés chez Dassault depuis 1978, le programme Rafale a été officiellement lancé il y a dix ans, après l'envol au démonstrateur Rafale A deux ans auparavant. Techniquement, la réussite de ces avions a été totale. Elle a démontré de manière éclatante que les technologies nouvelles et les concepts novateurs de pilotage et de navigation pouvaient être maîtrisés avec une efficacité et une dynamique que nous envient nos concurrents et sans que soit sacrifiée la maîtrise des coûts de développement.
Ces efforts et ces résultats n'ont de sens que si un programme de production est lancé. Ils n'ont de sens pour notre pays qu'éventuellement rapportés à l'exportation. Or, de révision budgétaire en révision budgétaire, quels que soient les gouvernements, ce programme a été largement étalé dans le temps.
Alors que le programme initial de 1990 prévoyait la sortie de trente-six Rafale avant l'an 2000, le programme réactualisé ne prévoit plus aujourd'hui que deux appareils d'ici à l'an 2000 sur un total de onze avions à produire d'ici à la fin 2003.
Pour des raisons budgétaires, les phases de développement et d'industrialisation ont également subi d'importants retards fortement préjudiciables à notre avance technologique vis-à-vis d'une concurrence qui n'est pas restée inactive.
Pour les élus du département de la Gironde et de la région Aquitaine où se trouvent notamment les usines productrices, l'absence de définition et de financement du standard air-sol, lequel répond aux besoins de l'armée de l'air et doit servir de base technique de référence pour la version export que Dassault-Aviation veut développer, est particulièrement préoccupante.
Il est urgent de lancer ce développement si nous voulons être crédibles sur le marché de l'exportation qui, commençant à douter de la poursuite du programme Rafale, conforte en fait la position de nos concurrents. Comment vendre des appareils français à l'étranger, alors que l'armée française ne commande pas une flotte d'avions satisfaisante ?
Je comprends dans une certaine mesure que vous n'ayez pas voulu répondre aux questions suscitées par une information publiée dans Les Echos . Selon cette parution, le Gouvernement auquel vous appartenez a décidé de passer commande de vingt-huit avions de combats Rafale pour 103 millions de francs, commande assortie d'une option sur vingt autres appareils pour 5,5 millions de francs.
Toujours selon Les Echos, sur les vingt-huit avions qui seraient commandés, vingt et un le seraient dans la version air et sept dans la version marine.
Monsieur le ministre, je n'avais pas connaissance de cette information lorsque j'ai rédigé cette question. Le fait d'en disposer aujourd'hui renforce mes interrogations : d'une part, quelles sont les intentions du Gouvernement en dehors des deux avions qui seront livrés en 1999 ? D'autre part, quelles sont ses intentions par rapport, tant aux commandes françaises qu'au lancement de ces séries qui nous sont indispensables pour assurer l'exportation de nos avions dans les pays qui en sont fortement demandeurs ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, après m'être joint aux félicitations amicales qui vous ont été adressées pour votre élection au poste de vice-président, je voudrais remercier M. Valade de sa question qui nous permet effectivement de faire le point.
Elle repose sur son excellente connaissance des grands dossiers technologiques et témoigne bien évidemment de sa fonction de représentant vigilant de la Gironde. Il n'ignore cependant pas qu'il existe de grands établissements Dassault dans le Val-d'Oise, ce qui contribue à expliquer la présence de mon ancien collègue et ami M. Bernard Angels, qui m'a remplacé sur ces travées.
Comme vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur, le programme Rafale constitue un enjeu important pour notre industrie et pour notre défense. Il est au centre des futures capacités opérationnelles de l'armée de l'air, d'une part, et de l'aéronavale, d'autre part. Par ailleurs, en matière industrielle, il représente l'un des points d'appui de notre développement à venir en ce qui concerne tant les techniques d'aéronautique militaire que l'électronique de défense.
A la différence des divers reports que vous avez rappelés pour les déplorer, la revue des programmes engagée par mon ministère à la suite, il est vrai, de coupes budgétaires que nous avions dû consentir l'été dernier pour le budget de 1998, nous a amenés à mettre en cohérence les objectifs opérationnels de la loi de programmation et nos capacités budgétaires.
Avec l'assentiment du chef de l'Etat, le Premier ministre a annoncé, au début du mois d'avril dernier, un certain nombre de décisions destinées à assurer la reprise de la continuité de la loi de programmation militaire : il s'agit d'organiser 20 milliards de francs d'économies sur les 340 milliards de francs environ de dépenses programmées dans cette loi. Cette dernière inclut, de surcroît, 20 milliards de francs supplémentaires d'économies au-delà du terme de 2002.
Dans cet objectif de clarification et de stabilisation, les décisions du Gouvernement reprécisent les perspectives du programme Rafale.
Nous avons tout d'abord choisi de poursuivre le développement du programme Rafale dans ses versions air-air et air-sol. J'ai donc décidé, le 23 juillet dernier, de relancer les travaux de développement du standard dit F 2 qui correspond à la version que nous voulons mettre en service en 2004 auprès de l'aéronavale comme auprès de l'armée de l'air ; c'est une version air-sol qui sera alors la plus moderne.
La Délégation générale pour l'armement a reçu au début du mois d'août des instructions pour mettre au point ce contrat de développement avant la fin de l'année 1998 et pour le notifier aux principaux industriels participant au programme Rafale - Dassault n'est que le chef de file - que sont Dassault, Matra Bae Dynamics et Thomson.
Prise à l'issue de la revue des programmes, l'autre décision, qui concerne la commande des appareils de série, est maintenant en cours d'application. Cela vous explique la distance que j'ai prise vis-à-vis de l'annonce faite dans Les Echos au début de septembre.
J'ai rappelé à cette occasion qu'un journaliste avait publié la mort de Victor Hugo en 1877 et ne l'avait jamais démentie, ce qui, quand Victor Hugo est effectivement mort - cela arrive à tout le monde - lui a permis de titrer : « Nous avons été les premiers à annoncer le décès du grand poète ». Les Echos ont fait un peu de même ! Il m'était impossible de démentir puisque nous allons effectivement souscrire ce contrat. Toutefois, la date qui était annoncée n'était pas la bonne.
Au cours de mon audition par la commission des affaires étrangères et de la défense de la Haute Assemblée qui a eu lieu au début du mois dernier, j'ai précisé que nous avions bien l'intention de passer une commande globale et que le chiffre de 48 appareils correspondait à notre objectif pour cette première commande globale. Cette dernière sera passée dès que les modalités techniques et financières auront été acquises et arrêtées à l'issue des discussions entre l'administration et les industriels. Nous sommes en bonne voie pour y parvenir. La réunion à laquelle je vais participer tout à l'heure avec mon collègue M. Dominique Strauss-Kahn nous aidera à progresser encore vers la mise au point de cette commande.
Ces deux décisions vont donc permettre, dès 2004 - ce n'est pas demain, mais tel est le rythme lorsque ces grands programmes ne subissent pas de retard - d'équiper l'aéronavale et l'armée de l'air avec des appareils qui seront les plus modernes en service : ils pourront effectuer des missions aussi bien de défense aérienne que d'attaque au sol. L'un des points forts du programme Rafale est sa très grande polyvalence. Nous pensons ainsi disposer d'un premier escadron complet de l'armée de l'air en 2005. L'officialisation de cette commande, que je crois maintenant proche, donnera en effet aux industriels de meilleures opportunités pour défendre ce programme à l'exportation, en s'appuyant, par ailleurs, sur ses très grandes qualités techniques et opérationnelles. Nous nous situons dans la phase de redémarrage effectif du programme Rafale qui, c'est vrai, a nécessité une véritable « reconstruction » à la suite des décisions d'étalement survenues en 1996 et qui lui ont porté tort.
M. Jacques Valade. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Je remercie M. le ministre des informations rassurantes qu'il nous a données. Nous souhaitons simplement que ses propos se confirment en ce qui concerne tant l'équipement de notre armée de l'air et de l'aéronavale française que les capacités d'exportation que ce marché représente. Il serait vain, je le répète, d'essayer de vendre des avions alors que notre pays qui conçoit et fabrique ces avions ne les commande pas. Cette reprise du programme air-sol et des commandes du Gouvernement français à Dassault nous satisfait pleinement.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quinze, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)