Séance du 14 octobre 1998







M. le président. La séance est reprise.
Mes chers collègues, je donne la parole à M. le ministre, qui va répondre à des questions qu'il n'a pas toutes directement entendues, mais dont la teneur lui aura, j'en suis sûr, été rapportée avec fidélité.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de nouveau de bien vouloir excuser mon aller et retour.
Je vais vous répondre en reprenant le plan de M. Adrien Gouteyron, en insérant les réponses aux interrogations ou aux remarques formulées par les différents intervenants.
Je répète ce que j'ai dit tout à l'heure : la déconcentration se fera. Quoi que l'on ait pu dire, c'est une clef indispensable à la gestion de l'éducation nationale.
Tout d'abord, je souhaiterais revenir sur certains éléments fondamentaux de notre système éducatif qui ont été complètement oubliés.
Lorsque Jules Ferry et son directeur de cabinet, Ferdinand Buisson, futur prix Nobel de la paix, ont réformé l'école républicaine, il y avait en France le même nombre d'instituteurs qu'il y a aujourd'hui de professeurs agrégés.
Leur problème était de savoir si le recrutement des instituteurs serait national ou non. Ils ont opté sagement, et même génialement, pour la création d'écoles normales par département, ce qui a permis d'ancrer l'école républicaine dans le tissu local. La France s'est ainsi approprié complètement cette école républicaine et ceux qu'on a appelés « les hussards de la République ».
A cette époque, l'enseignement secondaire était extrêmement peu développé - il y avait un lycée à Lyon, un à Bordeaux... - il n'a donc pas fait l'objet d'une déconcentration. Et quand le nombre des établissements a augmenté on a continué à penser que la centralisation était synonyme d'égalité. Or - et je le dis d'expérience - la centralisation, c'est l'inégalité. C'est à cause de la centralisation qu'aujourd'hui, en certains endroits, on trouve des enseignants sans classe alors qu'en d'autres endroits ce sont les classes qui manquent d'enseignants. En effet, la gestion de ce système centralisé est complètement embouteillée.
La deuxième erreur commise a été de croire qu'il suffisait d'empiler des programmes de plus en plus lourds pour suivre la croissance des connaissances.
Par conséquent, les horaires et les programmes n'ont cessé de croître. Comme je l'ai dit l'autre jour devant les inspecteurs, je suis prêt à faire passer un examen à toutes les personnes qui ont rédigé les manuels de sciences naturelles : je les « collerai » tous, y compris ceux qui ont publié mes propres travaux... avec des erreurs ! C'est d'ailleurs ridicule de mettre ces travaux dans des manuels destinés à des lycéens.
On a ainsi transformé un enseignement scientifique fondé sur l'idée de faire comprendre la démarche suivie en un enseignement reposant uniquement sur la mémoire, dénaturant ainsi la formation. Ce mouvement a produit des élèves qui ne connaissent plus les fondamentaux, mais savent des détails par coeur.
Aujourd'hui, le point noir - tout le monde le sait puisque nous en vient l'écho dans la rue - ce sont les lycées.
En effet, la génération actuelle n'est plus celle des années cinquante, les méthodes d'enseignement doivent donc évoluer.
Les lycéens veulent être considérés comme des citoyens. Or la mise en place de cette citoyenneté au lycée se heurte encore aujourd'hui à des réticences, même si le ministre de l'éducation nationale entend la mettre en oeuvre prochainement dans tous les lycées de France, dans les académies et à l'échelon national.
La période transitoire entre la fin de l'enseignement obligatoire et le début de la vie universitaire ou de la vie civile constituait un point faible. Nous nous sommes donc attaqués d'abord à ce problème.
Nombre de nos concitoyens invoquent le manque de moyens. C'est très facile de s'en prendre aux moyens ! N'importe qui peut en réclamer davantage.
M. Adrien Gouteyron. Tout à fait !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Cela ne demande aucune imagination. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Mme Hélène Luc. Plus de moyens, cela change quand même quelque chose !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. L'Etat a accompli un effort considérable. En 1988, le budget de l'éducation nationale atteignait 198 milliards de francs. La semaine prochaine, je défendrai devant l'Assemblée nationale un budget de 345 milliards de francs. Cela représente un effort de l'ordre de 140 milliards de francs en dix ans !
Quant au taux d'encadrement, il est d'un enseignant pour vingt-six élèves dans l'école primaire, d'un enseignant pour vingt-quatre élèves dans l'enseignement supérieur et d'un enseignant pour onze élèves dans l'enseignement secondaire, ce qui constitue un record mondial.
On peut constater que, dans l'enseignement primaire et dans l'enseignement supérieur, qui sont déconcentrés, les tensions sont bien moindres que dans l'enseignement secondaire, qui connaît encore une gestion concentrée. Les chiffres le prouvent.
Mme Hélène Luc. Il y a tout de même des classes de trente-sept ou trente-huit élèves !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Madame, il y a actuellement à Paris des professeurs sans affectation qui demandent à enseigner en Seine-Saint-Denis. On leur répond qu'ils n'en n'ont pas le droit car ils n'ont pas été nommés dans ce département à l'issue du mouvement national des mutations. Je suis donc obligé de prendre une mesure exceptionnelle pour leur permettre d'enseigner en Seine-Saint-Denis ! Les services m'objectent qu'ils ne disposent pas des instruments de gestion adaptés. C'est un problème que M. Darcos connaît très bien ! (M. Darcos opine.)
Ainsi, je répète que la déconcentration est vraiment nécessaire. Elle ne rédoudra cependant pas tout : l'amélioration du système des affectations passe également par une meilleure gestion des concours de recrutement ; il faudra ainsi éviter les calculs automatiques qui font que l'on a trop de stagiaires à Paris et pas assez à Toulouse, par exemple. Car, c'est là le paradoxe, la centralisation a produit l'inégalité.
Je me sens comptable devant la représentation nationale et devant le pays du respect de l'égalité républicaine. Je tiens à ce qu'un enfant ait les mêmes chances partout, à Toulouse, à Bordeaux ou à Paris, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui.
M. Jacques Machet. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. M. Gouteyron m'a interrogé sur le calendrier des réformes. Je vais vous le communiquer, monsieur le sénateur.
Vous comprendrez que je ne veuille pas démanteler l'école de la République. On ne peut changer les programmes du jour au lendemain : un changement de programme implique une refonte des manuels, un renouvellement de leurs cours par les professeurs. Tout cela demande du temps.
Quelle est l'aspiration des lycéens ?
Lorsque nous avons débattu ici même, à l'occasion d'un colloque sur les lycées, certains - pas vous, monsieur le sénateur - m'ont demandé s'il était raisonnable de consulter les lycéens. Aujourd'hui, ils s'expriment dans la rue !
Dans les deux millions de questionnaires qui ont été dépouillés, les lycéens déclarent aspirer à plus de citoyenneté, ainsi qu'à des programmes allégés, et donc à des horaires moins lourds.
La semaine dernière, alors que je recevais un groupe de lycéens de l'enseignement technique, une jeune fille a réclamé non pas les trente-cinq heures, mais les trente-neuf heures ! Son emploi du temps s'étalant sur quarante-cinq heures hebdomadaires, il ne lui reste plus de temps à consacrer à sa vie personnelle. Est-ce raisonnable ? Mettons fin à cette frénésie des horaires.
Très vite seront mises en place des mesures touchant à l'organisation de la vie lycéenne : une heure hebdomadaire sera consacrée à l'exercice de la citoyenneté, un endroit sera affecté aux lycéens pour leur permettre de se rencontrer et de discuter.
Ensuite, les programmes seront allégés.
Actuellement, les programmes sont établis par le conseil national des programmes et par les commissions de spécialistes, qui regroupent des professeurs. Ces instances devront s'accorder sur un allégement des programmes.
Le plus difficile sera d'alléger les horaires de l'enseignement professionnel, c'est pourtant indispensable.
A cette fin, nous avons engagé des discussions avec les syndicats concernés. A l'heure où je vous parle, je puis vous dire franchement que j'ai obtenu un accord de principe, mais que je n'ai pas encore de solution pour cet enseignement.
Au mois de janvier, après discussion avec les principaux intéressés, c'est-à-dire les commissions de spécialistes et le conseil national des programmes, les nouveaux programmes seront établis.
Mais, dès cette année, nous souhaitons donner aux professeurs de français plus de liberté dans le choix des oeuvres à étudier et surtout plus de disponibilité pour aider les élèves. Je reviendrai sur ce point tout à l'heure.
L'enseignement à la citoyenneté a été évoqué.
Cet enseignement a été mis en place d'une manière plus discrète que prévu, parce que nous allions vers une réforme des programmes. Un enseignement à la citoyenneté sera instauré au lycée, non pas parce que celui qui existe à l'école primaire et au collège est menacé mais parce qu'il disparaît à l'échelon du lycée. Il sera assuré par les professeurs de philosophie, d'histoire - ceux-ci en ont fait la demande- et de français. Un certain nombre de programmes seront mis au point. Cette discipline sera obligatoire dans les IUFM ; par conséquent, tous les enseignants auront suivi au cours de leur formation une initiation à ce que j'appelle et continue d'appeler la morale civique, le mot « morale » ne me faisant pas peur !
Vous m'avez interrogé sur le service des enseignants.
Oui, les heures de cours des enseignants seront allégées, notamment celles des capésiens, et remplacées par des heures d'aide à l'élève. Cependant, s'agissant de cette aide à l'élève, je ne vais pas vous présenter une formule unique, car le dispositif sera extrêmement variable suivant les disciplines. Ainsi, les professeus de sciences naturelles veulent scinder leurs classes en petits groupes de travaux pratiques pour mieux s'occuper des élèves ; les professeurs de français, eux, souhaitent dispenser une aide à la rédaction, selon une autre formule ; quant aux professeurs de mathématiques, ils désirent encore autre chose.
Par conséquent, au dispositif qui sera modulé en fonction des disciplines, correspondra sans doute un allégement des heures de cours pour permettre d'aider l'élève.
Il faut savoir que la quasi-totalité des élèves qui sont aujourd'hui titulaires d'un baccalauréat avec mention soit sont des enfants d'enseignants du secondaire, soit ont pris de leçons particulières. Ces données, ces faits témoignent de la disparition de l'égalité républicaine. Il est donc important de la rétablir, notamment en aidant les élèves.
Soyez rassurés quant à l'évolution de la réforme du lycée : menée depuis le début de l'année scolaire avec les organisations syndicales, la discussion se déroule dans de bonnes conditions, sans aucune tension particulière. La réforme du lycée est donc en marche. Soyez sans crainte, monsieur Gouteyron : soucieux de son aboutissement, j'adopterai la même attitude que celle que j'ai choisie en matière de déconcentration.
En ce qui concerne le primaire, la charte du XXIe siècle a été signée et le comité de pilotage se met en place.
Cependant, alors que nous avions prévu de retenir 2000 écoles pour pratiquer l'expérimentation, nous avons reçu plus de 10 000 candidatures, ce qui ne manquera pas de poser un problème d'ajustement.
Quel est l'objet de cette charte ?
Elle vise d'abord à mettre en place la fameuse adaptation des rythmes scolaires, en recentrant l'enseignement sur les matières fondamentales. Il faut en effet revenir sur les fondamentaux à l'école primaire et ne pas disperser les enseignements.
Il ne faut pas en déduire que l'apprentissage de la géographie ou de l'histoire doit disparaître, mais que les exercices de calcul, de lecture, d'écriture et d'expression orale doivent tout autant avoir leur place. J'ai effectivement demandé qu'à l'école primaire, au fameux triptyque « lire, écrire et compter », soit ajouté « parler. »
Apprendre à parler, cela veut dire avoir l'occasion de dialoguer, dans les petites classes, avec son maître, puis parler devant ses camarades, avant de s'exprimer dans un cadre plus large, devant la classe.
Quand il apparaît qu'aujourd'hui encore 62 % des élèves sortant du lycée n'ont jamais fait un exposé devant leur classe, il est clair que la maîtrise de la parole, qui est la première des vertus pour exercer la citoyenneté, ne fait pas l'objet d'un enseignement suffisant. La maîtrise de la parole, qui est naturellement plus difficile encore à acquérir que celle de l'écriture et de la lecture, doit être enseignée, sans que ces dernières soient pour autant négligées.
Dans cette école du xxie siècle, tous les enfants, quelle que soit leur origine sociale, pourront faire de la musique, du sport, s'initier aux nouvelles technologies, qui constituent, vous le savez, une grande priorité.
Sachez que je ne crois pas à l'après-midi sans cartable, à l'acte éducatif absent dans les activités dites d'éveil ou dans les activités artistiques. Pour moi, l'acte éducatif est présent toute la journée. Je pense en effet qu'on peut apprendre la citoyenneté aussi bien en suivant un cours d'éducation physique qu'en écoutant un cours de morale ou tout autre cours : en apprenant le respect de l'arbitre dans un sport, en se formant au travail en équipe. C'est pourquoi l'ensemble de ces activités sera coordonné par l'enseignant. Il faut que quelqu'un appréhende la totalité.
On parle toujours des fins de matinée, mais que se passera-t-il en fin de journée, moment très propice à l'exercice de la mémoire, comme le montrent toutes les études ? Eh bien, la fin de journée sera consacrée à l'étude, ce qu'on appelait autrefois les études surveillées. Il faut pratiquer l'aide systématique à l'étude pour permettre à tous les élèves de bénéficier du soutien des enseignants.
Telle sera l'école du xxie siècle.
Je saisis cette occasion pour vous faire remarquer qu'alors qu'il vous arrive de mettre en évidence des difficultés que je rencontrerais avec tel ou tel syndicat - avec un plus précisément - en l'espèce, s'agissant de la charte de l'école du XXIe siècle, tout le monde est d'accord. En effet, tout le monde a signé la charte : la totalité des syndicats et des associations de parents d'élèves. En outre, les collectivités territoriales ont d'ores et déjà fait savoir qu'elles voulaient participer à cette opération et qu'elles voulaient s'engager dans cette action.
Il s'agit là, je crois, d'une grande opération, destinée à redonner au maître de l'enseignement primaire son double rôle : de soliste - quand, dans sa classe, il enseigne les fondamentaux - et de chef d'orchestre, lorsqu'il coordonne l'ensemble des activités de l'enfant.
En ce qui concerne les problèmes liés à la lecture, nous ferons quelque chose de spécial, notamment en variant les méthodes. Alors que telle méthode serait, dit-on, supérieure à telle autre, il apparaît que, si certaines méthodes sont, certes, meilleures que d'autres, certains enfants rencontrent, des difficultés avec toutes les méthodes traditionnelles. Pour ceux-là, il faut en trouver de nouvelles.
C'est ce que nous ferons car nous ne devons pas nous enfermer dans un dogmatisme. N'arrive-t-il pas que nos intructeurs militaires réussissent fort bien dans l'apprentisage de la lecture, alors que toutes les méthodes traditionnelles ont échoué ?
Il s'agit donc là, à mes yeux, d'une priorité pour le Gouvernement, même si, monsieur Gouteyron, je ne puis, dans ce domaine, vous promettre des miracles. Tout le monde s'est déjà attaqué à ce problème, et, pour ma part, je vais essayer de faire le maximum.
Mon souhait est de privilégier l'idée que l'enseignement est obligatoire jusqu'à l'âge de seize ans, ce que personne n'a vraiment intégré. En effet, on a continué à considérer qu'il y avait l'école primaire, puis le collège. Non ! L'enseignement est obligatoire jusqu'à l'âge de seize ans ! Par conséquent, s'il n'est pas nécessaire de refaire les mêmes choses au cours des différentes étapes, il me paraît en revanche essentiel d'insister à l'école primaire sur les fondamentaux.
Nous allons faire un contrôle au cours moyen première et au cours moyen deuxième année pour éviter que, comme actuellement, certains élèves n'entrent au collège sans savoir lire. Ce contrôle permettra de prendre en considération les élèves qui ne savent pas lire, car les professeurs de collège estiment qu'ils n'ont pas vocation à combler ce type de lacune. A l'occasion de tests, on s'aperçoit que certains élèves ne font pas leurs problèmes de mathématiques faute d'avoir, en fait, compris l'énoncé.
Je vous dirai peu de choses sur la réforme des collèges, parce que ce n'est pas moi qui vais suivre ce dossier. Mme Royal se chargera de vous annoncer elle-même ce qu'il en est.
je vous dirai simplement que M. Bayrou a fait une réforme des collèges. Nous aurions eu une curieuse conception de la République si, en arrivant, et avant même d'avoir constaté les effets de cette réforme, nous avions décidé de l'annuler et d'en faire une nouvelle. De même qu'à l'université j'ai conservé le premier cycle tel qu'il est, j'ai considéré que la réforme de M. Bayrou devait être mise en place, évaluée, éventuellement améliorée, mais que l'ensemble ne serait pas chamboulé
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Ainsi avons-nous agi, et c'est la raison pour laquelle nous n'avons pas commencé par le collège.
Je ne crois pas que l'opposition puisse être hostile à cette démarche de continuité républicaine. Les ministres se succèdent mais il faut préserver la continuité à l'intérieur du service public. Nous souhaitons cependant une accélération de la rénovation des collèges, dont je vais tout de même vous indiquer les deux points fondamentaux.
Nous élaborons un plan qui s'intitulera : « Nouvelle chance ». Son objectif est de repérer, d'orienter et de traiter ces fameux 50 000 élèves qui, tous les ans, sortent du système éducatif sans rien. Notre pays ne saurait admettre cette situation. Il n'est pas question de vous annoncer une solution-miracle, mais sachez que nous allons nous attaquer vraiment à ce problème, pour donner une nouvelle chance à ces élèves.
Tout d'abord, il faut les repérer plus tôt, puis leur permettre de sortir de l'école avec un métier.
L'orientation est l'autre grand problème. L'orientation ne saurait être pratiquée d'une manière mécanique. Actuellement, c'est ce domaine qui concentre la plus grande injustice sociale : les enfants issus d'un milieu instruit, qui sont aidés, peuvent être orientés correctement ; ceux qui viennent d'un milieu modeste sont orientés quasiment automatiquement d'après les jugements des enseignants.
Il y a là une profonde injustice à laquelle nous voulons nous attaquer. Telle sera la mission de Mme Royal dans les semaines à venir.
Bien que vous n'ayez pas abordé le sujet, je traiterai brièvement de l'enseignement professionnel, qui est l'un des grands chantiers que nous voulons lancer cette année et auquel je demanderai à tous, particulièrement aux élus, de participer.
A partir du mois de janvier, une grande campagne de réhabilitaiton de l'enseignement professionnel sera menée.
En même temps, nous sommes tombés d'accord avec l'ensemble des acteurs du système éducatif de ce secteur pour avancer hardiment dans la voie de l'alternance tout en respectant un certain nombre de règles républicaines. Il ne faut pas oublier qu'il s'agit à la fois d'une formation et d'une prise en compte des réalités économiques.
Il existe en France une inadaptation entre la formation et l'emploi. Certaines zones géographiques accueillent des sections de BTS alors que les élèves ne peuvent effectuer de stages, faute d'entreprises correspondantes. En revanche, ailleurs, il y a des besoins, mais pas de formation correspondante ; c'est le cas pour l'hôtellerie. En visitant des lycées professionnels hôteliers, j'ai appris qu'avant même d'avoir obtenu leur baccalauréat les élèves sont embauchés. On pourrait même, me dit-on, doubler, voire tripler les promotions. Seulement, il n'y a pas de candidats !
M. Christian Bonnet. Il faut travailler le dimanche !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Ainsi, dans le Midi, par exemple, on me demande de créer des IUT de génie mécanique alors que ne se profile aucune entreprise de mécanique à l'horizon et qu'il n'existe pas un seul BTS de tourisme dans cette région.
Pour cette raison, il a été décidé de mettre en place une structure qui va travailler non pas uniquement avec le ministère de l'éducation nationale, qui ne saurait pas traiter à lui seul tous les problèmes, mais en collaboration avec la direction de la prévision du ministère de l'économie et des finances, avec la direction des affaires sociales du ministère du travail, sans oublier les confédérations syndicales et le patronat. L'objectif est de répondre à un grand besoin : adapter les formations proposées à l'emploi.
Je terminerai en revenant sur le problème de la déconcentration, que j'ai évoqué dès le début de mon propos.
La déconcentration, c'est l'égalité républicaine. Dans ce pays, pendant très longtemps, certains ont fait une confusion entre égalité et égalitarisme.
L'égalité, c'est privilégier la diversité, permettre la reconnaissance des talents, divers et multiples, où qu'ils se trouvent. L'égalité ne consiste pas à décider que seules les mathématiques, à l'exclusion de toute autre discipline, permettent de juger un esprit. L'égalité ne consiste pas à décider de récompenser telle forme d'intelligence ou d'initiative en éliminant les autres.
De même manière, la déconcentration signifie adapter la réponse à la variété des situations.
Cette déconcentration va très loin.
Pour l'enseignement primaire, où la gestion est déjà déconcentrée, les négociations avec les organisations syndicales ont permis de faire une avancée extrêmement importante : désormais, le « qualitatif » entrera en compte dans les affectations. Cela permettra de ne pas affecter les enseignants débutants dans les quartiers les plus difficiles. (M. Carrère applaudit.) C'est une grande avancée de la déconcentration !
M. Adrien Gouteyron. Si vous y arrivez, oui !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. En tout cas, c'est désormais accepté, ce qui n'était pas le cas jusqu'à présent.
Dans l'enseignement secondaire, il y aura aussi déconcentration du mouvement. De plus, on affectera les moyens dans le cadre d'une gestion prévisionnelle de l'emploi.
Quel est le calendrier ?
Jusqu'à présent, les demandes étaient faites en décembre et en janvier et l'affectation était connue entre juillet et septembre. Cette année, des personnels ont été affectés le 4 septembre et les chefs d'établissement ont donc eu trois jours pour réagir ! Et on s'étonne qu'il y ait des manques de professeurs !
M. Paul Blanc. Bien sûr !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Dès l'an prochain, le calendrier sera le suivant : ceux qui veulent changer d'académie - car la liberté de changer d'académie reste intacte - feront leur demande en février ; ceux qui veulent muter à l'intérieur de l'académie, par exemple pour aller de Roubaix à Tourcoing, feront leur demande en avril. Tout le mouvement sera fini le 20 juin. Cela permettra aux concours de recrutement d'avoir lieu une fois le mouvement fait, et nous disposerons de trois mois pour procéder à des ajustements.
Par ailleurs, les recteurs seront maîtres de leurs postes à l'intérieur de l'académie, bien sûr dans le respect des règles républicaines, des décisions des commissions paritaires et conformément au statut de la fonction publique ; ils devront aussi envisager une gestion prévisionnelle. Nous ne connaîtrons plus cette situation dans laquelle des enseignants n'ont pas de poste et où le recteur dit : je ne peux rien faire puisque seule la rue de Châteaudun est autorisée à gérer. On pourra aller réellement vers une adaptation des moyens.
Point encore plus important, nous mettons en place à l'éducation nationale un service des relations humaines. En effet, le plus grand employeur public n'a pas encore découvert, ce qui me paraît surprenant, que les relations humaines sont essentielles, alors que la plupart des entreprises ont une direction des relations humaines.
Cela veut dire qu'il y aura, au niveau des académies, des départements et des établissements, des correspondants pour aider les enseignants à faire leur plan de carrière et discuter de ce qu'ils doivent faire. Bref, il s'agit de ne plus traiter les enseignants comme des numéros matricules par l'intermédiaire de questionnaires sur ordinateur, car c'est ainsi qu'ils sont gérés jusqu'à présent. C'est un changement considérable dans l'organisation de l'éducation nationale.
Dans le même temps, les rectorats doivent, eux aussi, devenir plus transparents et se déconcentrer. L'autonomie sera plus grande dans les départements. On descendra également au niveau des villes. En effet, à l'heure actuelle, entre le chef d'établissement et l'inspecteur d'académie, il n'y a rien. Or un inspecteur d'académie gère de deux cents à trois cents établissements. Autant dire que, dans ces conditions, il est très difficile pour un chef d'établissement de rencontrer l'inspecteur d'académie. Des échelons intermédiaires sont donc nécessaires, de manière à instaurer une coordination. Donc, nous avons la volonté de nous orienter de façon très progressive mais très déterminée vers la déconcentration.
S'agissant de l'enseignement supérieur, je souhaiterais dire quelques mots également sur la déconcentration.
L'année dernière, lorsque je suis venu présenter au Sénat le projet de budget, j'ai annoncé que je modifiais les règlements régissant les commissions de recrutement. Il y avait en effet des va-et-vient, et le système était bloqué. Les recrutements étaient inférieurs au nombre de postes inscrits au budget.
Cette année, le nouveau système a permis de recruter 5 000 enseignants du supérieur. Il a été ainsi mis fin à une situation qui était bloquée depuis trois ans. Autrement dit, ce système est efficace d'un point de vue fonctionnel, même si, ici ou là, il peut y avoir quelques particularités locales. En tout cas, le système a fonctionné au regard des postes à pourvoir.
L'an prochain, 4 000 ou 5 000 postes supplémentaires seront mis au concours. Ainsi, en deux ans, 9 000 enseignants auront été recrutés.
Cette déconcentration permettra également que, désormais, soient traités les dossiers des professeurs, non pas par la rue Dutot, mais par les établissements. Ainsi, lorsqu'une promotion interviendra, sa traduction financière appparaîtra sur le bulletin de paie dans les deux mois, et non pas un an et demi plus tard ! C'est un petit détail, me direz-vous, mais il ne réjouit pas mon collègue des finances.
M. Emmanuel Hamel. Réjouissez-vous de ne pas le réjouir ! (Sourires.)
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je m'en réjouis !
Ce sera bien pour les personnes concernées.
Je crois profondément dans l'école de la République.
M. Emmanuel Hamel. Nous aussi !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je crois que dans le monde moderne, où les empires s'effondrent en quelques semaines, où une multinationale tombe en quelques jours, où des pays voient leur économie mise à mal en quelques heures, il n'est pas possible qu'un système ait des temps de réponse de l'ordre de deux à trois ans.
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Vous le constatez aujourd'hui avec les lycéens. Ils ont participé à une consultation et on leur a dit que l'on allait réformer le lycée. Maintenant, on est obligé de leur demander de patienter parce qu'on ne peut pas faire les choses tout de suite. Or, ils considèrent que c'est possible aujourd'hui et ne veulent pas attendre. Ils ne veulent pas que cette réforme intervienne lorsqu'ils ne seront plus au lycée. C'est pourquoi ils nous disent : « Réagissez ! Réformez ! »
Si nous ne déconcentrons pas, si nous ne ramenons pas les décisions près des gens, l'école de la République se dissoudra, au profit de l'école privée - on le voit déjà ici ou là - qui se fera sur un autre mode, qui réagira en temps réel, puisqu'elle n'aura pas de règles ; elle se substituera petit à petit à l'école de la République.
Je ne veux pas de cela. Je suis attaché à l'école laïque, à l'école de l'égalité des chances. C'est pourquoi ce que nous avons entrepris me paraît essentiel pour l'adapter aux temps modernes.
Je vous rassure, mesdames, messieurs les sénateurs, particulièrement M. Gouteyron : les réformes se feront. Le décret de déconcentration est rédigé et - c'est un détail technique - les logiciels sont réalisés. Les personnels sont prêts dans les rectorats.
Vous le verrez, l'éducation nationale répondra à ce défi plus rapidement que n'importe qui, comme cela a été le cas pour les emplois-jeunes.
Nous avons procédé à la consultation lycéenne. Tous les instituts de sondages nous affirmaient que nous ne pourrions dépouiller deux millions de questionnaires. Or, des professeurs, 50 000 personnes volontaires, l'on fait.
S'agissant de la déconcentration, l'éducation nationale montrera, dans sa dimension, avec son dynamisme et ses méthodes, qu'elle est capable de répondre à ce grand défi du siècle qui est le défi de l'école de la République. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE.)
M. Emmanuel Hamel. Vive l'école de la République !
M. le président. Conformément à l'article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.

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