Séance du 7 octobre 1998






allocution de m. le président du sénat

M. le président. Mes premiers mots seront, mes chers collègues, pour vous remercier, une fois encore mais avec autant sinon plus de chaleur et de coeur, de la confiance que vous m'avez témoignée la semaine dernière ; cette confiance m'est allée droit au coeur.
Mon élection à la présidence du Sénat constitue, à mes yeux, le couronnement républicain de ma vie publique et de mon engagement politique.
Ma première pensée ira à mon prédécesseur, le président René Monory, dont la forte personnalité et l'action rénovatrice méritaient, à l'évidence, beaucoup mieux que quelques mots hâtifs dans le brouhaha d'une fin de séance agitée.
Avec son solide bon sens, sa ténacité à toute épreuve et ses intuitions de visionnaire, René Monory a modernisé notre assemblée en l'ouvrant sur l'extérieur, c'est-à-dire sur un monde qui se transforme inéluctablement en un village planétaire.
Il a également permis au Sénat, à notre institution, d'être à la pointe des nouvelles technologies de l'information. Qu'il lui soit donc rendu un vibrant hommage pour la modernité de son action. (Applaudissements prolongés sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
A cet hommage, je voudrais associer les deux premiers présidents du Sénat de la Ve République : Gaston Monnerville, qui fut un défenseur acharné des libertés et de la dignité humaine,...
MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Robert Badinter. Très bien !
M. le président. ... et Alain Poher, qui fut un sage de la République et un européen convaincu ; sa personnalité et son style inspireront mon action et mon comportement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
Si Dieu, et la médecine, me prêtent vie, je serai le président du Sénat qui fera entrer notre institution dans le troisième millénaire.
Etre le président du Sénat de l'an 2000 me confère, à l'évidence, une responsabilité particulière.
Comme vous le savez, mes chers collègues, je me fais, pour reprendre l'expression consacrée, une certaine idée du Sénat et de sa place, une place importante, dans la République.
Or, force nous est de constater que notre institution est injustement mais fréquemment brocardée, alors même que le Sénat est une institution indispensable. Les propos de M. le Premier ministre, qui ne visaient pourtant que notre mode d'élection,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Bien sûr !
M. le président. ... sans renier les bienfaits du bicamérisme, ont reçu, comme nous avons tous pu nous en rendre compte, un large écho dans une opinion publique toujours prompte à la critique et encline à la dérision.
Cette contestation externe a alimenté et exacerbé un malaise interne.
Nombre de nos collègues, notamment parmi les plus jeunes, ont parfois le sentiment de faire de la figuration dans un Sénat où les décisions se prennent en dehors d'eux.
Ils éprouvent donc très légitimement le besoin d'une nouvelle donne, plus dynamique, plus collégiale et plus transparente.
Cette réalité, nous devons la regarder en face. Ne cédons pas à la tentation de nous réfugier derrière une hypothétique ligne Maginot.
Adoptons, au contraire, mes chers collègues, une attitude offensive, pour donner un nouveau souffle à la rénovation du Sénat, afin de restituer à notre assemblée toute sa crédibilité aux yeux de l'opinion publique.
Pour promouvoir cette nouvelle dynamisation de l'action du Sénat, notre assemblée dispose d'indéniables atouts qui constituent autant d'outils du changement. Je pense à la stabilité de notre assemblée, à son enracinement dans les réalités locales, à la qualité de ses membres, au sérieux de ses travaux, à la compétence de son personnel et à la maîtrise des nouvelles technologies.
Notre premier métier consiste à examiner et à voter les lois. Le Sénat est une assemblée parlementaire à part entière, même lorsque sa majorité ne coïncide pas avec celle de l'Assemblée nationale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Nos commissions travaillent bien et les apports du Sénat sont toujours constructifs, même s'ils ne sont pas, dans tous les cas, hélas ! connus et reconnus.
Mais le Sénat législateur n'est pas toujours, c'est vrai, le détenteur de la décision finale. Pour cette raison, notre assemblée ne peut être influente que si elle sait se montrer convaincante. Or, la force de conviction repose sur la justesse des arguments développés et non sur les a priori partisans. (Très bien ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
C'est pourquoi le Sénat doit préserver sa spécificité constitutionnelle, faire preuve de son sens des responsabilités et résister à la tentation, selon les périodes, du « toujours non » ou du « toujours oui » au Gouvernement. (Applaudissements sur les mêmes travées, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
Le Sénat ne doit pas hésiter - au contraire ! - à améliorer les textes qui ont des incidences sur la vie quotidienne des Françaises et des Français.
Comme l'affirmait à cette tribune l'un de mes illustres prédécesseurs, Jules Ferry, sénateur des Vosges et président du Sénat :.... (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Henri de Raincourt Déja !
M. le président ... « Le Sénat ne saurait jamais être un instrument de discorde, ni un organe rétrograde. Il n'est point l'ennemi des nouveautés généreuses ni des initiatives hardies. Il demande seulement qu'on les étudie mieux. » (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées socialistes.)
En réalité, le Sénat doit, pour donner tout son sens au bicamérisme, auquel nous sommes, sans exclusive, tous très attachés, développer sa spécificité et faire entendre sa différence : il se doit d'avoir un autre regard, un regard différent de celui de l'Assemblée nationale.
Cette spécificité sénatoriale doit particulièrement s'exprimer dans l'exercice de deux des attributions de notre assemblée qu'il est indispensable de développer : la fonction de force de proposition et, surtout, la mission de contrôle.
Le Sénat, qui dispose de la durée, doit éclairer et préparer l'avenir des Françaises et des Français.
Il s'agit de faire du Sénat un laboratoire d'idées en vue de l'action politique que nous avons, les uns et les autres, à mener.
Dans cette optique, la Haute Assemblée doit devenir le lieu d'une réflexion approfondie sur les problèmes de société, la construction européenne, les collectivités territoriales et la décentralisation.
L'une des causes de la crise de la démocratie représentative réside dans le fait que le Parlement s'est laissé déposséder de sa fonction de réflexion et de prospective au profit de commissions d'experts, d'aréopages de sages et autres comités ad hoc ,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. ... dont la compétence technique, qui n'est pas contestable, ne saurait se substituer à la légitimité démocratique ni remplacer la connaissance qu'ont les élus, c'est-à-dire nous, des aspirations de nos concitoyens et de leurs légitimes préoccupations. (Vifs applaudissements sur les mêmes travées.)
Cette absence de réflexion politique sur les problèmes de société alimente un sentiment de désaffection vis-à-vis de la politique et de méfiance à l'égard du politique.
La situation est préoccupante, certes, mais elle n'est pas désespérée : les Françaises et les Français semblent demandeurs d'un retour du politique, comme en témoigne l'écho favorable qu'ont reçu les incursions du Sénat sur le terrain des problèmes de société tels que la veille sanitaire, la prise en charge de la douleur, la prestation dépendance ou encore les sectes. Ces acquis sont réels mais encore trop parcellaires.
Pour que le Sénat retrouve toute sa légitimité, il est indispensable qu'il s'investisse, de manière plus résolue et systématique, dans la sphère de la prospective. Il doit s'emparer des problèmes qui préoccupent ou inquiètent les Français : la réforme de la fiscalité, l'avenir du système des retraites, le devenir de la protection sociale, l'évolution du système éducatif, l'emploi des jeunes, la ville, la sécurité, l'aménagement du territoire ..., autant de sujets qui doivent nourrir notre réflexion.
Dans cette optique, il appartiendra à votre président d'être un initiateur d'idées, un aiguillon de la réflexion et un catalyseur de débats.
A l'heure de la mondialisation, qui constitue, qu'on l'accepte ou qu'on le regrette, un phénomène inéluctable et irréversible, l'Europe et la démocratie locale représentent, à l'évidence, de précieux antidotes.
S'agissant de la construction européenne, l'objectif est de pouvoir intervenir suffisamment en amont pour être en mesure d'influer sur la décision et d'infléchir, éventuellement, le cours des choses.
A cet égard, il pourrait être envisagé de créer une antenne permanente à Bruxelles, qui serait rattachée à la délégation du Sénat pour l'Union européenne. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Enfin, le Sénat devrait prendre l'initiative de créer une association des sénats des pays de l'Union européenne et, au-delà, des Etats membres du Conseil de l'Europe, qui constitue, à maints égards, l'antichambre de l'Union européenne.
Par ailleurs, le Sénat, assemblée parlementaire à part entière, exerce, constitutionnellement, une mission particulière de « représentant des collectivités territoriales de la République ». C'est, à l'évidence, pour notre institution, un « plus », comme on dit dans le langage moderne.
Tout se passe pourtant comme si le Sénat, sûr de cette vocation constitutionnelle, ne s'était pas suffisamment investi dans ce domaine, laissant ainsi échapper une part de sa raison d'être.
Il est donc impératif, pour conférer au Sénat une raison supplémentaire d'exister, de reconquérir le terrain perdu et de faire, enfin, de la Haute Assemblée la maison des collectivités locales de métropole et d'outre-mer, véritables atouts pour notre pays, d'en faire le gardien vigilant de la décentralisation.
La maison des collectivités locales, tout d'abord.
Il s'agirait d'être encore plus à l'écoute des élus locaux en organisant, sur le terrain et dans chaque région, un déplacement du président du Sénat et d'une délégation des sénateurs des départements concernés pour tenir, sur place, pendant une journée, des « états généraux des élus locaux ». Toujours à l'écoute, toujours près d'eux !
Il s'agirait également de développer une information spécifique et concrète destinée aux élus locaux.
Le « gardien vigilant » de la décentralisation ensuite.
Il me semble souhaitable, pour permettre au Sénat de remplir pleinement sa mission constitutionnelle, de créer une structure permanente de suivi de la décentralisation, qui travaillerait en partenariat avec les associations d'élus locaux.
Seconde mission à développer, à mes yeux ô combien importante, le contrôle, qui constitue, à l'évidence, l'avenir du Parlement.
Il s'agirait de développer le suivi de l'action quotidienne du Gouvernement, le contrôle des dépenses de l'Etat et l'évaluation de l'efficacité des politiques publiques.
Le but à atteindre est de faire du contrôle une « seconde nature » et une activité permanente du Sénat.
La réalisation de cet objectif suppose que le Sénat puisse se doter d'une capacité d'expertise autonome.
Notre civilisation de l'image implique que le Sénat définisse une politique de communication encore plus offensive.
Cette communication au service de notre institution doit avoir pour vocation de restaurer et de rénover notre image tout en assurant la publicité la plus large possible de nos travaux.
La définition d'une stratégie d'image du Sénat doit procéder d'un organe collégial : le bureau du Sénat qui se prononcerait alors sur le rapport d'un vice-président. En effet, mes chers collègues, l'image du Sénat est l'affaire de tous. Chacun de nous, je tiens à le souligner, doit en être le dépositaire et le promoteur.
Dans cette perspective, les nouvelles technologies de l'information, l'informatique notamment, constituent un vecteur essentiel, dont le Sénat possède désormais une authentique maîtrise, comme en témoigne la qualité de son site Internet.
Nous avons cependant le devoir de faire fructifier cet héritage, car les nouvelles technologies ne sont pas une fin en elles-mêmes : elles sont des instruments, j'allais dire des « tuyaux », qu'il convient d'alimenter et de nourrir afin de faire passer des messages en direction de l'opinion publique.
Un tel impératif suppose, de façon générale, une plus grande transparence des lieux où s'élabore le travail du Sénat, tout en veillant à préserver le climat de convivialité et l'ambiance de sérénité qui règnent dans nos instances.
Cette transparence doit permettre une mise en lumière des travaux des commissions et, en particulier, de ceux des commissions d'enquête.
Je tiens, pour ma part, à ce que le pays sache et puisse voir que les sénateurs travaillent, et travaillent bien !
Notre hémicycle, dont je rappelle qu'il constitue le coeur de notre institution, doit aussi devenir le lieu de grands débats centrés sur les thèmes qui préoccupent aujourd'hui nos compatriotes : la drogue, l'insécurité, la violence, l'école, la ville...
L'ensemble de nos travaux et débats trouverait, me semble-t-il, un espace de mise en valeur sur une chaîne de télévision, offerte au sein des « bouquets » du câble ou du satellite, à laquelle les collectivités locales, véritables relais, pourraient s'associer.
M. Alain Joyandet. Très bien !
M. le président. Enfin, nous devons veiller à préserver l'ouverture du Sénat sur le monde et à renforcer son rayonnement international par une intensification de notre réseau de groupes d'amitié et un développement de la coopération interparlementaire.
Ce programme d'action, brièvement résumé, porte à l'évidence la marque d'une grande ambition, mais d'une grande ambition pour le Sénat. La clef de la réussite de cette politique réside, à l'évidence, dans une mobilisation de toutes les énergies et de toutes les compétences, dont le Sénat est si riche. La modernisation de la « maison Sénat » est une oeuvre collective, qui doit associer et rassembler, sans exception, tous les sénateurs.
Pour ma part, et je conclurai par là, j'entends promouvoir une présidence modeste, une présidence proche, une présidence conviviale. Affranchi de toute ambition personnelle, je n'aurai qu'un seul objectif : rénover notre institution pour transmettre, le moment venu, aux jeunes générations un Sénat crédible, respecté et apprécié, qui constitue pour la France et pour la démocratie une véritable chance. (Mmes et MM. les sénateurs du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RDSE se lèvent et applaudissent longuement. - Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Emmanuel Hamel. Il faudra vous réélire en 2001 : trois ans n'y suffiront pas ! (Rires.)

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