Séance du 29 juin 1998







M. le président. « Art. 10. - Lorsque la désignation des sites d'importance communautaire comporte des prescriptions de nature à modifier l'état ou l'utilisation antérieure des lieux et déterminant un préjudice direct, matériel et certain, elle donne droit à une indemnité au profit des propriétaires, des titulaires de droits réels ou de leurs ayants droit.
« Dans ce cas, la demande d'indemnisation doit être produite dans un délai de six mois à compter de la date de désignation du site. A défaut d'accord amiable, l'indemnité est fixée par le juge de l'expropriation.
« Les mesures de gestion définies en application des documents d'objectifs prévus à l'article 6 pour les sites d'importance communautaire donnent lieu, pour leur mise en oeuvre, à la conclusion de contrats entre l'Etat, les collectivités territoriales et les différents propriétaires et gestionnaires concernés.
« Les charges résultant de l'application du présent article sont compensées, à due concurrence, par un financement communautaire et par le relèvement des droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts. »
Sur l'article, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Cet article est particulièrement important. Il transpose des dispositions financières qui ont été prises ou annoncées concernant la mise en réseau des sites communautaires.
Sachant que le troisième alinéa de l'article 8 de la directive précise que des cofinancements de l'Etat membre et de l'Europe seront mis à disposition pour mettre en oeuvre la directive Habitats naturels, mutatis mutandis, nous avons estimé que nous nous devions à l'article 10, de reprendre ce type de disposition.
Le problème général posé est celui de l'indemnisation des « servitudes environnementales », qui constituent des sujétions d'ordre législatif ou réglementaire imposées par la puissance publique à la propriété privée pour des motifs d'intérêt général. J'ai déjà largement évoqué cette disposition dans mon propos introductif.
Il ne serait pas convenable, dans une telle situation, que l'on puisse de quelconque manière dire qu'il n'y aura pas lieu à indemnisation. Je reviendrai dans un instant sur le terme d'indemnisation, car l'article 10 prévoit des dispositions qui sont d'un autre ordre que la seule indemnisation financière directe, versée au propriétaire qui aurait été non pas spolié mais lésé dans la jouissance de son bien.
Ces considérations trouvent pleinement à s'appliquer dans le cas des sites d'intérêt communautaire incorporés dans le réseau écologique européen. L'article 8 de la directive, que je viens de citer, l'a expressément prévu.
La prise en compte des servitudes éventuellement imposées du fait de l'intégration d'un site dans le réseau écologique européen semble également être une préoccupation du Gouvernement puisque, madame la ministre, dans une circulaire du 2 avril 1998 adressée aux préfets de département, vous avez indiqué - j'ai de bonnes lectures - que « la mise en oeuvre réussie au niveau national du réseau Natura 2000 nécessite l'obtention de moyens financiers d'accompagnement suffisamment incitatifs » et puisque vous vous êtes engagée à mettre « tout en oeuvre pour l'adoption de mesures propres à rémunérer les prestations envisagées dans les documents d'objectifs ainsi qu'une exonération de la taxe sur le foncier non bâti ».
En conséquence, je propose d'inscrire dans la loi le principe de l'indemnisation des servitudes environnementales nées de la mise en oeuvre du réseau écologique européen.
Premièrement, dans les cas - sans doute les plus rares - où les prescriptions imposées entraîneront un préjudice direct, matériel et certain, il y aura lieu d'indemniser les propriétaires concernés en prenant en compte la perte de valeur du fond. Cela me paraît relever de la simple logique et de la simple justice.
Deuxièmement, le troisième alinéa de l'article 10 prévoit la rémunération des prestations ou des mesures de gestion que la puissance publique imposera en application des documents d'objectifs définis pour le site concerné.
La rémunération de ces services nouveaux devra donc être définie par voie contractuelle, ce qui présente de nombreux avantages : le propriétaire, le gestionnaire ou l'usager d'un site inscrit dans le réseau Natura 2000 est reconnu en tant que gestionnaire d'un espace naturel, et le concept de protection de la nature acquiert ainsi une véritable dimension économique.
Enfin, le dernier alinéa de l'article 10 reprend les dispositions du gage fiscal qui faisaient l'objet du dernier article de la proposition de loi. Il ajoute, conformément à l'article 8 de la directive Habitats naturels, que ces mesures pourront faire l'objet d'un cofinancement européen.
Avec mes collègues, nous n'avons rien fait d'autre, madame la ministre, que de transcrire les directives dans le droit national.
L'aspect quelque peu novateur de l'article 10, c'est la reprise de la possibilité de contractualisation et non pas de l'indemnité pure et simple.
Je l'ai dit, j'ai créé et présidé un parc naturel régional au sein duquel on a proposé 15 000 hectares en contractualisation, avec des compensations pour les agriculteurs en échange de modifications dans leurs comportements culturaux - au sens agricole du terme - parce que cette approche culturale différente a un impact positif pour la société en général.
Cela permet notamment de protéger des zones de nidification en retardant les périodes de fauche, de maintenir en eau certaines prairies humides pour avoir des limes en eau qui favorisent la nidification des canards et la reproduction des brochets. Je pourrais multiplier les exemples français ou européens de telles mesures agri-environnementales.
Je me suis également permis de vous dire, madame la ministre, que j'avais proposé, en 1993, des mesures de défiscalisation permettant d'assimiler le patrimoine environnemental à un patrimoine artistique ou de faire pour le patrimoine environnemental ce qui a déjà été entrepris pour le patrimoine artistique.
Mais cette politique ne doit pas se faire forcément au détriment de la fiscalité locale, et j'attire l'attention de mes collègues sur ce point. Si l'on retire, en effet, le produit du foncier non bâti aux communes rurales, vous m'expliquerez, madame la ministre, comment celles-ci pourront équilibrer leur budget ! Le système serait trop facile qui consisterait à exonérer avec l'argent des autres, en particulier de ceux qui sont au plus près !
Vous l'avez dit, madame la ministre, vous allez invoquer l'article 40. Il est, certes, applicable en l'espèce. Sur la forme, sur la procédure, vous avez donc raison. Mais, sur le fond, je crois que je n'ai pas tort.
M. Nicolas About. C'est l'essentiel !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Si vous oubliez d'accorder une quelconque indemnisation, si vous affirmez ne pas vouloir recourir à ce dispositif, soyez assurée - je ne reviens pas sur le détail de ce que je viens d'expliquer - que les ayants droit de l'espace - certains d'entre eux, en particulier - y seront extrêmement sensibles.
Vous savez pertinemment aussi que, dans d'autres régions d'Europe, des sites larges ont été désignés - pas forcément renseignés mais désignés - de manière, effectivement, à donner lieu à des compensations. Vous avez parlé d'un certain nombre de crédits, notamment des crédits LIFE.
Ainsi, les Italiens, pour ne pas les nommer, ont désigné de larges espaces...
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Les Grecs !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Les Grecs aussi pour que les Italiens ne soient pas tout seuls, mais je laisse ces propos sous votre responsabilité. Pour ma part, je m'en tiens aux Italiens !
Par conséquent, n'oubliez pas que cette disposition est attendue de pied ferme - l'expression n'est pas trop forte - par ces ayants droit de l'espace, qui estiment que, dans la mesure où l'on vient perturber leurs activités culturales, économiques ou autres, ils ont droit à indemnisation.
Bien sûr, le recours à l'article 40 de la Constitution vous évitera de répondre sur le fond, cet article s'applique, comme ne manquera pas de le dire notre collègue de la commission des finances !
Vous êtes en train, dites-vous, d'élaborer un projet de loi ; vous l'avez mis en discussion. Il est vrai que j'ai vu passer un projet de texte - je l'ai en ma possession. Je ne sais pas où vous en êtes de la concertation. L'écho que j'en ai, c'est que l'accueil n'est pas particulièrement favorable. Donc, prudence !
En fait, je ne vois pas pourquoi vous ne retiendriez pas, sur le fond, nos propositions. Si tel était le cas, que se passerait-il ? De toute façon, cette proposition de loi ne pourra pas être discutée à l'Assemblée nationale avant l'automne.
Vous pourriez donc attendre l'automne pour demander à l'Assemblée nationale de corriger les insuffisances, les incompétences - d'aucuns ont parlé des « anomalies » - du Sénat. Ainsi, le texte, amendé, deviendrait convenable, voire, avec la navette, recevable.
User de la procédure pour la procédure, simplement pour dire non aujourd'hui, n'est pas très élégant à l'égard de la représentation nationale. C'est peut-être même faire preuve d'une certaine frilosité, voire d'une certaine appréhension, face au travail du Sénat et, plus généralement, du Parlement.
L'origine de la loi n'est pas que gouvernementale, madame la ministre. Nous avons capacité à proposer. La preuve en est que nous discutons, ce soir, d'une proposition de loi. Nous sommes donc dans notre rôle.
Mme Bardou et moi-même n'avons aucune coquetterie d'auteur. Nous sommes prêts à vous livrer pieds et poings liés cette proposition de loi. Nous la croyons pertinente, adaptée, capable de répondre à un certain nombre d'interrogations. Je vous en prie, madame la ministre, ne gâchez pas tout cela en invoquant l'article 40 !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Ecoutez-le, madame la ministre.
M. Alain Vasselle. Il a raison !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Quelle émotion, monsieur le rapporteur !
M. Jean-François Le Grand, rapporteur. Chaque fois que je vous vois, je suis ému. (Sourires.)
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. On en revient toujours, qu'on le veuille ou non, à des questions de vocabulaire, et c'est un peu dommage.
S'il est vrai que Grecs et Italiens ont proposé une partie significative de leur territoire national, la désignation proprement dite des sites retenus dans le réseau n'est pas faite ; elle commence à peine. C'est, malheureusement, une difficulté permanente que de faire comprendre la différence entre l'identification des sites, étape scientifique, la proposition des sites, étape nationale, et la désignation des sites, étape de concertation entre les points de vue nationaux et européen.
Vous l'avez noté vous-même, la concertation et son volet pédagogique sont essentiels, dans cette affaire. Il m'a semblé - vous en conviendrez sans doute avec moi - que l'un des enjeux de la mise en place du comité national de suivi et de concertation sur Natura 2000 était non pas seulement la succession des points de vue, que l'on obtient lorsqu'on auditionne les différents partenaires les uns après les autres, mais bien la possibilité de faire évoluer les points de vue des uns et des autres pour trouver des points de convergence et pour que, finalement, les contentieux ou les incompréhensions puissent tomber le plus vite possible.
Dans cette affaire, et bien que j'aie l'intention, monsieur le rapporteur, d'invoquer l'article 40 de la Constitution à l'encontre de cet article qui crée une charge pour l'Etat, je dirai que ce sont des raisons de fond qui justifient ma position.
En effet, je suis absolument convaincue que nous ne serons que très rarement confrontés à l'exercice de l'indemnisation d'un préjudice important : parfois, nous l'éviterons, par exemple, par des propositions de rachat ou de gestion par des conservatoires régionaux ; parfois, nous renoncerons à proposer le site si nous considérons que l'activité est essentielle pour la région concernée et qu'il existe une alternative sur le plan biologique.
Ce que je voudrais surtout éviter, c'est que soit diffusée l'idée d'un lien entre la désignation au titre du réseau Natura 2000 et le droit à indemnisation au motif qu'il existerait un préjudice quasiment systématique. Dans l'écrasante majorité des cas, il s'agira de rémunérer des services rendus à la collectivité ou de compenser des contraintes acceptées, par exemple la perte de revenu qui peut être liée à des pratiques extensives en zone inondable.
C'est pourquoi, pour faire valoir jusqu'au bout l'idée d'une contractualisation, d'une négociation, d'une confrontation des points de vue avec les gestionnaires des milieux, je ne crois pas vraiment indispensable de donner un avis favorable à l'article 10.
Cela étant, cet article, vous le savez, crée une charge supplémentaire pour l'Etat, outre qu'il est en contradiction avec la démarche contractuelle proposée par le Gouvernement. Je me trouve donc contrainte d'invoquer l'article 40 de la Constitution.
M. Nicolas About. Quelle déception !
Mme Dominique Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement. Je n'en fais pas une affaire de forme pour fuir le débat ; d'ailleurs, la procédure n'est pas là seulement pour être contournée, et c'est donc avec beaucoup de bonne foi et de tranquillité d'esprit que j'y ai recours.
M. le président. L'article 40 de la Constitution est-il applicable, monsieur Badré ?
M. Denis Badré, au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je ne vais pas décevoir M. le rapporteur en intervenant dans un sens différent de celui qu'il attend : je ne peux que confirmer que l'article 40 de la Constitution est applicable.
M. le président. L'article 40 de la Constitution étant applicable, l'article 10 n'est pas recevable.

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