Séance du 9 juin 1998








(La séance, suspendue à vingt heures, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Jacques Valade.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, après cinquante ans, l'article 25 de la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 s'avère toujours aussi difficile à appliquer : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille. »
Même si elle a toujours existé, y compris dans les périodes d'expansion économique, la grande pauvreté n'a cessé de progresser dans notre pays, au point qu'on l'a redécouverte au cours des années quatre-vingt avec la montée du chômage, en l'affublant du qualificatif de « nouvelle ».
La « nouvelle pauvreté » venait donc d'apparaître, mais il ne s'agissait pas pour autant d'un slogan : c'était la juste traduction de l'évolution des causes des phénomènes d'exclusion qui, après avoir été longtemps culturels, sont aussi devenus économiques.
Malgré une prise de conscience précoce, la situation s'est considérablement aggravée, l'exclusion uniforme cédant la place aux exclusions multiples.
Nous ne pouvons pas tolérer que près de 6 millions de personnes, soit 10 % de la population, vivent en France au-dessous du seuil de pauvreté.
Nous ne pouvons pas davantage accepter que deux millions et demi de nos compatriotes éprouvent des difficultés à parler, lire ou écrire la langue de la vie courante.
Nous pouvons encore moins supporter que 50 000 jeunes sortent chaque année du système éducatif sans aucune qualification.
Ce constat-là, je crois que nous le faisons tous.
C'est d'ailleurs ce qui avait conduit, dès 1995, le Président de la République à s'engager résolument à réduire la fracture sociale.
Cet engagement s'est concrétisé par la présentation au Parlement, l'an dernier, d'un projet de loi sur la cohésion sociale, dont le présent texte est, à bien des égards, une copie, copie un peu pâle que - vous me permettrez de le dire - je trouve moins bonne que l'original (Protestations sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.) et même nettement moins bonne que l'original ! (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Il n'en demeure pas moins que, malgré l'urgence déclarée, qui pourrait accréditer l'idée d'un texte de circonstance, nous bénéficions de la large concertation conduite par le gouvernement précédent, dont nombre de propositions se retrouveront dans les amendements que nous présentera M. le rapporteur de la commission des affaires sociales, notre excellent collègue Bernard Seillier.
Si nous ne pouvons qu'être tous d'accord sur le but à atteindre, qui est de faire reculer les exclusions sociales, ce sont plus que des nuances qui nous séparent sur les moyens d'y parvenir.
En effet, on ne peut pas laisser au bord de la route autant d'accidentés de l'emploi avec le cortège de maux qui s'ensuit, tels que l'absence d'un logement décent notamment.
A ce propos, je tiens à dire dès maintenant combien je trouve pernicieuse l'idée de créer une taxe sur les logement vacants alors que j'approuve sans réserve la proposition visant à inciter les propriétaires à remettre leur logement vacant sur le marché.
En tout cas, je fais partie de ceux qui sont très attachés à l'existence d'un « filet de sécurité » pour les personnes en difficulté, ce que constitue en particulier le RMI.
Ce que je conteste aujourd'hui, c'est que, par défaut de moyens d'insertion, on laisse des familles entières perdre espoir, baisser les bras et s'installer dans l'assistance et la dépendance.
Oui, ce projet de loi est prisonnier d'une telle logique.
Prenons le cas classique de deux familles qui vivent sur le même palier d'HLM. Dans l'une, le père part travailler tôt le matin, rentre tard le soir, pour toucher le SMIC. Dans l'autre famille, entre le RMI et diverses allocations, on perçoit pratiquement le même revenu sans travailler.
Cette situation est la source d'un double découragement : le découragement de ceux qui travaillent et le découragement de ceux qui s'installent dans l'assistance, car rien n'est pire que d'avoir le sentiment de son inutilité, le sentiment de ne vivre que de la bienfaisance. Et, comme je crois aux vertus de l'exemple, je sais que les enfants qui n'ont jamais vu leurs parents travailler sont des enfants en perdition.
On transmet ainsi une sorte de culture de l'assistance et de la pauvreté. Nous ne pouvons accepter plus longtemps que le RMI devienne, en quelque sorte, héréditaire.
C'est pourquoi, aujourd'hui, il faut se donner pour objectif, chaque fois qu'on le peut, de remplacer les revenus d'assistance par des tâches d'utilité sociale et tenter d'ouvrir par tous les moyens les portes de l'entreprise à ceux qui en sont le plus éloignés.
Dans cet esprit, je souscris pleinement à la procédure d'activation des dépenses passives du RMI que propose M. le rapporteur de la commission des affaires sociales.
C'est une question de dignité : la dignité du travail, qui apporte la considération, l'estime que chacun se doit à soi-même, que l'on rencontre - ou que l'on ne rencontre pas - dans le regard des autres, dans le regard de ses enfants.
Il n'y a pas de progrès social sans progrès économique. Et la meilleure forme de lutte contre l'exclusion, c'est l'emploi : l'emploi véritable, dans une véritable entreprise.
La meilleure voie pour retrouver la cohésion sociale, c'est de multiplier les emplois.
Il est clair que retrouver l'emploi, c'est retrouver la confiance dans l'esprit d'entreprise et les libertés économiques.
Les emplois de demain résulteront non pas du partage des emplois d'aujourd'hui, mais de la création et de l'invention de nouveaux emplois par les entrepreneurs.
Enfin, l'une des composantes majeures de l'exclusion se trouve dans l'éducation et la formation, comme l'a analysé excellemment notre collègue Philippe Richert.
Oui, il y a encore beaucoup trop de laissés-pour-compte de l'éducation, trop de jeunes qui ne maîtrisent pas les bases du savoir, trop de dons mal révélés ou mal cultivés, une trop piètre préparation à la vie professionnelle et une trop médiocre transmission de notre culture.
Pour quelques-uns, l'accumulation de handicaps les conduit dans des classes dites « spécialisées », bien souvent antichambres de l'exclusion sociale.
Ainsi, notre pacte républicain d'égalité des chances est sérieusement menacé.
Quand l'ascenseur social ne fonctionne plus, c'est à l'école de jouer son rôle, garante d'une mobilité sociale permanente.
Ce qui est à l'ordre du jour actuellement, c'est la restauration de l'école républicaine, celle qui sait intégrer, celle qui fait du mérite le vrai facteur de la promotion sociale.
Jules Ferry s'était fait le serment de parvenir à l'éducation du peuple. Cette ambition a inspiré l'école républicaine de jadis, elle a fait de l'école le lieu du brassage social, de la promotion individuelle, noble idéal qui reste d'actualité, même si les moyens de l'atteindre ont changé.
L'éducation doit avoir plus que jamais cette ambition de « donner à chacun sa chance ».
Aujourd'hui, tout le monde parle de l'inadaptation scolaire. Il n'est rien de plus désespérant que d'entendre dire par des parents : « mon enfant n'est pas fait pour l'école », alors que c'est l'école qui n'est pas faite pour lui !
Dès lors, tout est une question d'orientations et de moyens correspondants et pas seulement d'intentions, aussi louables soient-elles.
Bien sûr, il faut faciliter l'accès de tous à l'éducation, à la culture, aux loisirs, mais on ne peut se contenter d'affirmations symboliques, de déclarations d'intentions, comme c'est souvent le cas dans ce projet de loi, dont les moyens affichés ne correspondent pas à la réalité, comme cela nous a été magistralement démontré tout à l'heure.
En conclusion, je regrette que ce texte relève par trop d'une logique administrative, d'une logique qui, finalement, bafoue le principe de subsidiarité et, en réalité, ne fait pas confiance à l'homme.
Vous vous souvenez certainement de cette belle phrase d'Antoine de Saint-Exupéry, dans Terres des Hommes : « Il est arrivé parfois qu'un désastre ayant détraqué la belle machine administrative, celle-ci s'étant avérée irréparable, on lui a substitué, faute de mieux, de simples hommes. Et les hommes ont tout sauvé. »
Les sénateurs vont-ils donc tout sauver ? Pourquoi pas, si j'en juge par les amendements proposés par la commission des affaires sociales, dont je salue le remarquable travail effectué sous la houlette de son président Jean-Pierre Fourcade.
C'est ainsi que, peut-être, ce projet de loi répondra à l'exigence que Kennedy avait posée dans son discours d'investiture : « Si une société libre n'est pas capable d'aider ses pauvres, alors elle ne mérite pas ses riches. » (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. « Liberté, égalité, fraternité », cette devise, notre devise, figure au fronton de la plupart de nos bâtiments publics. Elle illustre parfaitement l'idéal républicain, auquel nos concitoyens adhèrent pleinement.
Mais ces mots généreux ont-ils encore un sens pour les six millions de personnes qui, dans notre pays, sont victimes de la pauvreté, de la précarité ou qui sont exclues de notre société ?
Un pays prospère comme le nôtre, quatrième puissance économique du monde, peut-il tolérer sans risque pour son développement de voir grossir, d'année en année, le flot des laissés-pour-compte ?
N'y a-t-il pas danger pour notre démocratie, pour notre République, à laisser une part de plus en plus grande de sa population vivre, ou plutôt survivre, en marge de la communauté et plonger dans la désespérance ?
Faut-il se résigner à voir les inégalités se creuser avec, d'un côté, des profits boursiers qui s'envolent et, de l'autre, des personnes sans travail, sans logement, sans avenir ?
Non, l'exclusion n'est pas tolérable.
Certes, il y a toujours eu des exclus, mais cette réalité atteint aujourd'hui une ampleur considérable.
Les contours de l'exclusion ont profondément changé, de même que le regard que nous portons sur les situations d'exclusion.
Vous avez raison de dire, madame la ministre, que l'exclusion est notre échec collectif, notre défaite.
Vous avez raison de rappeler que notre regard est d'abord un regard d'ignorance, d'indifférence aussi, et de crainte enfin.
Vous avez raison de vouloir, comme le demandait le père Joseph Vresinski, tourner la page de l'assistanat pour ouvrir celle des droits et des responsabilités. Car telle est bien la philosophie du projet que vous proposez, au-delà de la représentation nationale, à la nation tout entière.
Plutôt que d'établir des droits spécifiques pour les exclus et de créer ainsi un ghetto législatif - un ghetto de plus ! - vous nous appelez, à travers un arsenal de mesures concrètes, à rendre à chacun les moyens de retrouver sa place dans la société, de renouer avec l'espoir.
C'est ainsi que le projet de loi que vous nous présentez s'inscrit dans une projet politique global qui vise à remettre la personne au centre de toute préoccupation.
Depuis un an, le gouvernement auquel vous appartenez, et que nous soutenons, s'est attaché à relancer la croissance, notamment par une répartition plus équitable et par l'augmentation de nombreuses prestations sociales gelées, parfois depuis plusieurs années, par le gouvernement précédent.
Je rappellerai simplement l'augmentation des allocations familiales et des allocations pour la rentrée scolaire ou pour le logement, la création d'un fonds pour les cantines, l'effort important consenti dans le budget du logement social pour 1998, le rattrapage des minima sociaux, ainsi que le déblocage d'un fonds doté de un milliard de francs pour répondre aux situations d'urgence.
Mais, au-delà de ces nécessaires mesures sociales, le Gouvernement n'a pas ménagé ses efforts pour combattre le fléau du chômage, qui constitue bien souvent le premier pas vers l'exclusion.
La mise en place du programme « nouveaux emplois-nouveaux services », plus souvent dénommés emplois-jeunes, ainsi que la loi sur la réduction du temps de travail et la moralisation du temps partiel répondent à cette volonté de substituer une véritable politique de création d'emplois à une politique de traitement social du chômage.
Le projet de loi que nous examinons se situe donc dans un ensemble législatif et gouvernemental cohérent puisque cette loi de solidarité sera complétée par d'autres textes législatifs, portant création de la couverture maladie universelle et améliorant l'accès aux droits.
D'autres mesures, législatives ou réglementaires, relatives à l'habitat, à la réforme de la fiscalité ou de la politique familiale participeront également à la lutte contre les exclusions et à leur prévention.
Enfin, à l'instar des nombreuses associations caritatives qui, avec courage, oeuvrent depuis de nombreuses années contre les exclusions, nous portons sur ce texte une appréciation très positive parce que, au regard des objectifs ambitieux ainsi fixés, vous avez dégagé les moyens financiers importants qui sont nécessaires. Plus de 51 milliards de francs sur trois ans, dont 38 milliards de francs à la charge de l'Etat, sont en effet prévus.
D'aucuns évoquent des redéploiements - certains pour s'en féliciter, d'autres pour le regretter - ou la reprise de mesures déjà annoncées - Mme la ministre ne s'en était pas cachée - mais les chiffres parlent d'eux-mêmes, ainsi que l'importance des sommes prévues : on voit bien que ce texte n'est pas simplement un ensemble de déclarations d'intentions.
Une autre critique porte sur la participation des collectivités territoriales, On peut s'en étonner lorsqu'elle émane de ceux-là mêmes qui demandent une accentuation de la décentralisation. Il y a là une contradiction. Ou bien faut-il comprendre que l'Etat aurait dû transférer aux collectivités territoriales et les fonds nécessaires et la charge de mettre en oeuvre les programmes ?
C'est oublier que la solidarité nationale doit être la même pour tous, quel que soit l'endroit où la personne vit, et que la mise en place de certaines mesures telles que la prestation spécifique dépendance ou l'utilisation des fonds réservés à l'insertion des titulaires du RMI varie considérablement d'un département à l'autre.
Je ne m'attarderai pas davantage sur cet aspect, dont Roland Huguet traitera tout à l'heure au nom du groupe socialiste.
J'ai souligné la cohérence du texte avec le programme du Gouvernement et sa nécessité au regard de la situation économique et sociale culturelle. Je voudrais maintenant évoquer la logique autour de laquelle il s'articule et qui le rendra pleinement efficace.
L'approche retenue se veut globale, prenant en compte l'ensemble du processus de l'exclusion et traitant la totalité des domaines touchés.
Appréhender globalement le processus de l'exclusion impose d'abord de mener une action préventive le plus en amont possible, une action qui s'attache à repérer les failles et les fragilités, et qui combat d'abord la précarité.
Le traitement de l'exclusion passe ensuite, bien sûr, par la réinsertion, par les réponses aux situations d'urgence. Mais il ne faut pas en rester là ; il faut organiser, en aval cette fois, un suivi des personnes touchées par l'exclusion.
L'accompagnement par les acteurs sociaux est - et je m'en réjouis - très présent dans le texte du projet de loi, qui organise notamment la formation des personnels concernés. Cet aspect est fondamental et doit être présent à chaque étape du cheminement.
L'autre dimension essentielle de ce texte est qu'il intègre la totalité des domaines intéressant l'exclusion. En réaffirmant à l'article 1er les droits fondamentaux des citoyens, le projet de loi rappelle qu'il n'est pas un lieu, pas un aspect de la vie en société dont tout un chacun ne puisse bénéficier.
L'obtention de la carte d'identité nationale et l'inscription sur les listes électorales sont à cet égard significatives.
En organisant l'accès à ces droits dans une même logique, il montre que les uns ne vont pas sans les autres. L'emploi, le logement, les soins, la culture sont intimement liés. Souvent, l'impossibilité d'accéder à l'un d'entre eux fait que les autres portes se trouvent du coup irrémédiablement fermées.
C'est pourquoi il est nécessaire de coordonner les divers segments de l'action publique, d'amener les acteurs, les structures qui participent de cette lutte contre les exclusions, toutes les exclusions, à travailler ensemble. Trop souvent, l'exclu doit, pour accéder à ces droits fondamentaux, accomplir un véritable parcours du combattant. Derrière les dispositifs mis en place, c'est le décloisonnement des domaines et des services qu'il faut s'attacher à réaliser.
Le logement occupe une place essentielle dans le projet de loi. Notre collègue André Vezinhet interviendra sur cette question. Je soulignerai seulement ici qu'un toit est bien peu lorsqu'il ne fait qu'abriter, sans procurer le confort lié à la fourniture d'énergie et de moyens de communication. L'action menée par le Gouvernement a permis de préserver de la coupure d'électricité et d'eau les personnes démunies. Le groupe socialiste a souhaité rappeler que le téléphone fait désormais partie de la vie quotidienne.
L'accès aux soins, qu'abordera François Autain, pose le problème de la nécessaire prévention et de la prise en charge des patients. Cette prise en charge est financière, mais elle doit être aussi psychologique, au plus près de ceux qui, parfois, en viennent à exclure jusqu'à leur propre corps.
Les aspects culturels, éducatifs et sportifs, que Franck Sérusclat abordera, avaient été écartés dans le précédent projet de loi de cohésion sociale. Or ils peuvent constituer une passerelle entre les personnes et offrent la possibilité d'exprimer ce qui fait la particularité de chacun.
J'évoquerai quant à moi l'emploi, le surendettement et les institutions sociales.
L'emploi, tout comme le logement, est au coeur de ce projet ambitieux : l'emploi des jeunes en grandes difficultés, avec le programme TRACE, mais aussi l'emploi de tous ceux et de toutes celles que la vie et notre système économique ont fragilisés, et qui ne peuvent trouver ou retrouver une place dans le monde du travail qu'en passant par des dispositifs adaptés.
Le groupe socialiste accueille très favorablement les mesures contenues dans le projet de loi et enrichies par les travaux menés à l'Assemblée nationale.
Tout comme leurs collègues députés, les membres du groupe socialiste du Sénat entendent formuler des propositions avec un esprit constructif.
Le programme TRACE nous semble répondre aux besoins de jeunes qui, sortis du système scolaire sans qualification, n'ont pu trouver un premier emploi et se sont parfois désocialisés.
Nous pensons que le délai de dix-huit mois de parcours individualisé sera généralement suffisant mais qu'il faudrait prévoir la possibilité, par dérogation, de l'allonger pour une durée qui ne pourrait excéder six mois.
Afin de faciliter le travail, souvent exemplaire, des acteurs locaux, un volant de contrats emploi-solidarité devrait être mis à la disposition des missions locales.
Le recours non automatique et personnalisé au fonds d'aide aux jeunes pendant les ruptures inévitables de ce parcours nous paraît très pertinent. Il ne ressemble en rien à un « RMI-jeunes ».
Nous ne comprendrions pas que la majorité sénatoriale s'oppose à une mesure dont la finalité évidente est de responsabiliser le jeune tout en l'encourageant à poursuivre ses efforts pour atteindre une insertion professionnelle durable.
Nous sommes également satisfaits de la réorientation des stages et contrats aidés - CES, CEC, SIFE - vers des publics prioritaires mieux ciblés ainsi que de l'expérimentation des contrats de qualification pour des adultes.
A ces mêmes adultes, il est donné la possibilité de bénéficier désormais des mêmes avantages que les jeunes créateurs d'entreprise. Nous nous en félicitons.
En ce qui concerne l'insertion par l'économique, à laquelle, nous le savons, madame la ministre, vous êtes attachée,...
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Très attachée !
Mme Dinah Derycke. ... comme le prouve l'augmentation des crédits prévus à cet effet dans le budget de 1998, de substantiels progrès ont été réalisés en première lecture à l'Assemblée nationale.
Nous aurions préféré que la mise à disposition d'un salarié pût atteindre une durée de trois mois. Nous avons été sensibles à vos arguments relatifs aux abus possibles. Les conditions d'agrément et de convention que vous avez posées pour les associations intermédiaires nous paraissent, par ailleurs, suffisamment dissuasives.
L'encouragement à la reprise du travail pour les personnes titulaires de minima sociaux - dispositif dit de l'« intéressement » - était demandé par tous les acteurs locaux. Il sera désormais inscrit dans la loi, tout comme la possibilité de cumuler un emploi à temps partiel avec un contrat aidé, lui-même à temps partiel. L'Assemblée nationale a également voulu que tout demandeur d'emploi puisse exercer une activité bénévole. Cette mesure - mesure juste - peut, à sa façon, concourir à la réinsertion sociale.
L'emploi est bien le moyen d'action prioritaire pour sortir nos concitoyens de l'exclusion ou les empêcher d'y tomber. Bien entendu, plutôt que de créer des dispositifs spécifiques ou de jeter des passerelles vers l'emploi, mieux vaudrait que les entreprises participent activement à l'insertion des exclus. La majorité sénatoriale propose d'encourager cette démarche par l'adoption de mesures incitatives, autrement dit par des allégements de charges et une formule d'« intéressement », en quelque sorte, pour les entreprises.
Nous ne partageons pas ce point de vue, non pour des raisons idéologiques, mais simplement parce que cela ne marche pas. L'entreprise utilise trop souvent ces dispositifs sans créer d'emplois nouveaux. Elle ne fait que substituer un travailleur à un autre, lequel risque à son tour de se trouver pris dans la spirale de l'exclusion.
C'est ainsi que, dans les années récentes, des allégements ont été consentis au secteur marchand, avec l'espoir que des emplois seraient créés. Or force est de constater que l'emploi n'a pas été au rendez-vous et que des licenciements, décidés parfois pour de simples raisons de rentabilité, ont plongé dans l'exclusion une partie de nos concitoyens.
Privés de ressources suffisantes, nombre d'entre eux ne peuvent faire face à leurs dettes. Des situations insupportables en découlent, comme la perte du logement ou le placement des enfants. Dans ces conditions, l'engrenage de l'exclusion ne peut plus être arrêté.
Le phénomène du surendettement a pris, ces dernières années, une ampleur inquiétante, tant par le nombre de dossiers soumis aux commissions de surendettement que par la nature des publics surendettés. En dix ans, nous sommes passés d'un surendettement actif, causé par les crédits à la consommation et les crédits immobiliers, à un surendettement passif, dû à ces accidents de la vie que sont le chômage, la maladie ou la séparation. Aujourd'hui, le surendettement provient principalement de l'absence totale de ressources.
L'extension de la possibilité de faillite personnelle ne répondrait que de manière imparfaite à ces situations. La révision de la loi de 1989, dite loi Neiertz, déjà modifiée en 1995, s'imposait donc. Le texte de loi apporte des changements importants aux dispositifs de traitement du surendettement.
Si l'extension du délai d'étalement des dettes de cinq ans à huit ans, la possibilité d'un moratoire, puis d'un effacement des dettes, nous semblent pertinents pour des personnes sans ressources, la remise des dettes fiscales nous fait nous interroger.
Certes, les dettes fiscales et sociales ne doivent pas être banalisées et la citoyenneté comporte non seulement des droits, mais également des devoirs. Toutefois, comment l'Etat pourrait-il rester sourd à une demande de la commission relative à ces dettes ? Il y a là un problème de fond et de forme. Nous espérons que les débats nous éclaireront sur un sujet qui dépasse les clivages habituels de notre assemblée, comme nous l'avons vu tout à l'heure.
Le groupe socialiste du Sénat a souhaité amender le texte dans le sens d'une plus grande efficacité s'agissant du travail de la commission et d'une meilleure prise en compte des débiteurs : réduction des délais de contestation pour les créanciers, rééquilibrage dans la composition de la commission et organisation d'un suivi social des débiteurs.
Le plafonnement, introduit par l'Assemblée nationale, des taux d'intérêt au taux légal dans le plan de redressement risquerait, selon nous, d'aller à l'encontre de la souplesse dont doit pouvoir faire preuve la commission de surendettement dans son appréciation des cas particuliers. Le groupe socialiste du Sénat a souhaité que cette disposition soit revue.
Je regrette, personnellement, que les différentes formes de crédits à la consommation, dont nous constatons tous les jours, dans la vie courante, les effets dévastateurs sur les ménages déjà démunis, ne soient pas davantage encadrées. Il importe que des campagnes nationales d'information des consommateurs soient menées périodiquement sur ce thème.
Enfin, je souhaite attirer l'attention sur le fait que la solidarité nationale doit être un droit pour tous nos concitoyens, quel que soit l'endroit où ils résident, que ce soit en France métropolitaine, dans les DOM-TOM, ou à l'étranger. Nous avons donc présenté plusieurs amendements tendant à rendre cette solidarité plus effective.
C'est ainsi que nous proposons la transformation des agences départementales d'insertion en établissements publics locaux. Nous demandons aussi un aménagement de certains dispositifs en faveur de nos compatriotes vivant hors du territoire national.
Avant de conclure, je souhaite m'adresser à Mme la ministre chargée des droits des femmes.
Nous avons bien noté, madame la ministre, votre volonté de ne pas enfermer les publics dans des catégories qui risqueraient d'être autant de ghettos. Nous partageons cette approche, mais nous souhaitons que les situations spécifiques que vivent les femmes soient prises en considération.
Toutes les enquêtes et statistiques officielles montrent qu'elles sont plus que les hommes touchées par le chômage, notamment par le chômage de longue durée, et cela est particulièrement vrai pour les jeunes femmes.
Lorsqu'elles travaillent, elles sont davantage concernées par la précarité, le temps partiel leur est souvent imposé et leurs salaires sont moins élevés.
De plus, elles constituent l'immense majorité des familles monoparentales et assument, à ce titre, la charge affective, éducative et aussi financière d'environ deux millions d'enfants, dont plus d'un million et demi sont mineurs.
Il faudrait aussi parler des violences qu'elles subissent parfois dans leur propre foyer, violences qui les condamnent souvent au silence, à l'enfermement sur soi ou les obligent à quitter le logement familial.
Dans bien des cas, elles se retrouvent alors sans emploi, sans logement et sans ressources suffisantes.
Leur attitude face à l'exclusion est également différente : elles intériorisent leur échec, ce qui les rend, de fait, plus invisibles.
Les situations qu'elles vivent sont très diverses. Elles nécessitent une attention particulière et appellent des mesures spécifiques.
Certes, le projet de loi prend en compte les femmes qui perçoivent le RMI, l'ASS ou l'API, mais il faut aller plus loin, en incluant, notamment, les femmes bénéficiaires de l'allocation veuvage dans les publics prioritaires.
Au cours du débat, notre groupe proposera plusieurs amendements, avec l'objectif d'une plus grande sensibilisation aux problèmes et au vécu des femmes.
En conclusion, je veux réaffirmer que l'architecture, la philosophie du projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions correspond à notre attente.
Ce texte peut encore être amélioré, tant il est vrai qu'aucun texte, qu'aucun dispositif ne saurait en ce domaine répondre parfaitement à la multitude des parcours et des situations, tant il est vrai aussi que les origines de l'exclusion sont diverses et multiples, tant il est vrai que l'exclusion ne saurait se résumer aux seules questions matérielles.
Ce projet de loi fixe un cap. Il annonce des mesures concrètes. Il organise les coordinations nécessaires à la prise en compte globale des personnes et à la mobilisation de l'ensemble des acteurs qui oeuvrent dans ce secteur. Il s'attache aussi bien à lutter contre l'exclusion qu'à la prévenir et à répondre aux situations d'urgence. Il est assorti de moyens financiers importants, afin de rendre son application effective. Enfin, il substitue à une logique d'assistanat une logique de responsabilité et de pleine citoyenneté.
La réussite est possible pour peu que ce texte soit ressenti par tous comme constitutif d'un grand chantier national, digne de mobiliser les énergies de tous. Que chacun - Etat, collectivités territoriales, entreprises, associations, mais aussi simples citoyens - se sente directement concerné par sa mise en oeuvre.
C'est pourquoi nous espérons qu'au-delà des clivages ce projet de loi fera l'objet d'un large accord. Il ne servirait à rien de rendre hommage à ces milliers de bénévoles qui se battent depuis de nombreuses années contre ce fléau moderne si nous n'étions pas capables, ensemble, de les entendre et d'accepter leurs demandes concrètes.
A cet égard, certains amendements présentés par la majorité sénatoriale me semblent contrarier les revendications de ces associations. Une telle attitude m'inquiète, car le consensus proclamé deviendrait un consensus de façade s'il ne visait que les grands principes et non leur application.
Madame la ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, pour le groupe socialiste, cette loi constitue un véritable pacte social qui participe pleinement à l'idéal républicain de notre nation. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les secrétaires d'Etat, mes chers collègues, l'exclusion nourrit, chaque jour davantage, les discussions sur l'avenir social de notre pays et fait désormais l'objet d'une véritable prise de conscience à l'échelle de la société tout entière : il s'agit d'un paradigme de société.
Pour Serge Paugam, « l'exclusion est désormais devenue le paradigme à partir duquel notre société prend conscience d'elle-même et de ses dysfonctionnements, et recherche, parfois dans l'urgence et la confusion, des solutions aux maux qui la tenaillent ».
L'exclusion avive les angoisses de franges de plus en plus nombreuses de la population, inquiètes de se voir un jour prises au piège de la spirale de la précarité, et accompagne le sentiment, presque généralisé, d'une dégradation de la cohésion sociale.
En effet, la fragilisation des identités professionnelles, familiales et sociales touche toutes les catégories sociales. Ainsi, plus d'un Français sur deux a peur de devenir lui-même exclu.
Comme l'a souligné Bertrand Fragonard lors de la préparation du XIe Plan, il existe non pas une cause d'exclusion mais plutôt un ensemble de facteurs de risques.
Face à un phénomène aussi grave, qui condamne à l'inutilité sociale une part de plus en plus importante de la population, l'idée d'une loi d'orientation contre l'exclusion s'est imposée pendant la campagne présidentielle de 1995.
Au cours de celle-ci, trente associations de solidarité, réunies dans le collectif Alerte, ont mené une campagne exigeant un pacte contre l'exclusion. Ce pacte tendait à faire en sorte que la lutte contre la grande pauvreté devienne une priorité engageant la nation tout entière.
Prenant pour socle le projet bâti par MM. Jacques Barrot et Xavier Emmanuelli en 1997, le Gouvernement entend répondre à cette attente et, plus largement, à l'espérance de millions de femmes et d'hommes.
Ce projet de loi développe trois grandes orientations : garantir l'accès aux droits fondamentaux, prévenir les exclusions et répondre efficacement aux situations d'urgence.
Toutefois, l'approche qui procède d'une vision Etat-providence conduit à un traitement centralisé, réglementé, complexe, et me fait m'interroger sur l'efficacité des dispositions. Par ailleurs, quelle distance entre les bassins de vie, le terrain et le boulevard Saint-Germain !
Je développerai essentiellement le volet logement de ce projet de loi et la situation des veuves civiles, qu'il omet.
L'exclusion du logement est l'une des plus destructrices pour l'individu. Privé d'un espace protecteur, il est menacé dans son intégrité physique et morale, dans sa santé comme dans ses capacités relationnelles. Cependant, force est de constater que le nombre de personnes qui se retrouvent sans logement, mal logées ou logées de façon précaire, ne cesse de s'accroître.
Le logement social est confronté à de graves difficultés pour accueillir ceux qui demandent à se loger dans des conditions convenables, compatibles avec la dignité à laquelle chacun doit pouvoir prétendre, quels que soient ses moyens.
Le chapitre du projet de loi qui est relatif à l'accès au logement comporte des avancées non négligeables. Néanmoins, je souhaite exprimer, sur certains points précis, quelques réserves.
Tout d'abord, pour ce qui est des attributions, le projet de loi établit une conférence intercommunale réunie au niveau du bassin d'habitat, qui élabore une charte.
Cette charte a pour unique objet de répartir l'engagement chiffré des organismes concernant les plus démunis et de déterminer ses conditions d'adoption. Pourtant, elle ne permet pas de faire progresser la mixité sociale et exclut, de facto , les communes n'ayant pas de logements sociaux, ce qui est difficilement acceptable pour les élus.
Par conséquent, il me paraît souhaitable de supprimer cette charte ou d'en modifier l'objet pour en faire un outil d'orientation plus général d'attribution et d'investissement au-delà des seules communes ayant déjà des logements sociaux. J'ai déposé un amendement en ce sens.
Cela doit s'inscrire dans le cadre de politiques locales de l'habitat réunissant les partenaires, tels que l'Etat, les collectivités territoriales et les organismes d'HLM.
Par ailleurs, le texte modifie les conditions de délimitation des bassins d'habitat puisqu'il n'est plus fait référence qu'à l'existence d'une commune dotée d'une zone urbaine sensible ou de plus de 35 % de logements sociaux. Les notions de besoins non satisfaits et de déséquilibre de peuplement ont disparu.
Désormais, il est donc possible de contraindre à la solidarité les seules communes déjà lourdement pénalisées par des quartiers sensibles, ce qui est dommageable.
J'en viens maintenant aux expulsions.
Dans ses articles 58 et 59, le projet de loi introduit des délais supplémentaires avant l'assignation - quatre mois - et avant le jugement - deux mois - en vue de permettre une intervention préventive des acteurs en début de procédure.
De plus, le préfet doit s'assurer d'un hébergement avant tout concours de la force publique. Ces délais supplémentaires, que le Gouvernement justifie par des impératifs de solidarité nationale, ne doivent pas pour autant pénaliser les seuls bailleurs. Ainsi, afin d'éviter cet inconvénient, il conviendrait de maintenir l'aide personnalisée au logement, jusqu'au départ effectif de l'occupant et que la recherche d'hébergement ne dispense pas l'Etat de verser une indemnité aux bailleurs.
Enfin, avant de terminer, je souhaite attirer votre attention, madame la ministre, sur la situation de détresse dans laquelle se trouvent nombre de veuves civiles.
M. Gérard Braun, rapporteur pour avis. Absolument !
M. Bernard Joly. Il existe en France plus de trois millions de veuves, dont plus de 250 000 ont moins de cinquante-cinq ans. Au décès de leur mari, certaines se trouvent dans l'obligation de travailler pour subvenir aux besoins financiers de leurs familles et, bien souvent, il s'agit de leur premier emploi.
Elles ne perçoivent donc aucune indemnité de chômage et sont exclues du bénéfice des différentes mesures réservées aux chômeurs de longue durée et des emplois-jeunes, à moins qu'elles soient âgées de moins de trente ans.
Je regrette donc vivement qu'aucun dispositif d'aide à l'insertion pour les veuves âgées de trente à cinquante-cinq ans ne soit prévu dans le projet de loi. En effet, chacun connaît l'importance de la famille comme dernier rempart contre l'exclusion.
La commission des affaires sociales et notre collègue Bernard Seillier, auteur d'un excellent rapport, ont comblé cette carence en proposant un amendement visant à étendre les CES aux veuves civiles. Pour ne pas alourdir les débats, je me rallierai à cette initiative.
Sous réserve de l'adoption des apports importants de la commission saisie au fond, j'apporterai mon soutien au dispositif visant à s'attaquer à l'exclusion. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les grandes associations caritatives, les différentes organisations qui, jour après jour depuis des années, se dépensent sans compter pour faire reculer toutes les formes d'exclusion sont en droit d'attendre de la représentation nationale qu'elle conforte leurs engagements.
Nous devons les remercier de leur pugnacité. Pour ma part, je le ferai en souhaitant que, avec le présent projet de loi, soit clairement indiquée la volonté de sortir d'une logique économique et sociale qui exclut de leurs droits fondamentaux des millions de gens. Le principal message du mouvement des sans-emploi, c'est que ces derniers voulaient du travail.
L'emploi et la relance économique sont évidemment la priorité, mais le mouvement des sans-emploi a aussi montré au grand jour le fait que 5,5 millions de personnes vivaient au-dessous du seuil de pauvreté et que là se posait une question de dignité.
Vous connaissez notre point de vue : nous pensons que le début de croissance que nous connaissons actuellement devrait bénéficier à ceux qui en ont le plus besoin et servir à une revalorisation significative du SMIC et des minima sociaux. Cela conforterait la reprise par la relance de la consommation et marquerait une rupture nette avec les politiques précédentes.
Pour ma part, je m'arrêterai sur quelques points forts du projet de loi.
La décision du Gouvernement d'indexer les minima sociaux sur les prix est une avancée par rapport à la situation actuelle. Toutefois, en vue de ne pas décrocher les minima sociaux des salaires, nous pensons qu'il serait nécessaire d'indexer ceux-ci sur le SMIC. Nous approuvons naturellement la coordination entre reprise d'emploi et minima sociaux.
J'ajoute que la suppression, en 1992, pour la plus grande partie de ses bénéficiaires potentiels, de l'allocation d'insertion, le durcissement des conditions d'indemnisation, très sensible pour certaines catégories de demandeurs d'emploi, et la diminution du montant moyen de l'allocation chômage depuis 1992 posent problème.
C'est pourquoi notre groupe souhaite que le Gouvernement s'engage rapidement dans une réforme d'ensemble des minima sociaux et de l'assurance chômage, afin que le chômage induit par la précarité extrême des emplois soit indemnisé par l'assurance et qu'aucun bénéficiaire ne vive avec des ressources inférieures au seuil de pauvreté, qui est en France, je le rappelle, de quelque 3 800 francs par personne, alors que le seuil européen s'élève à 5 500 francs.
En ce qui concerne les familles, nous apprécions que l'Assemblée nationale ait adopté un amendement prévoyant des actions d'accompagnement psychologique et social pour les femmes enceintes et les jeunes mères de famille, particulièrement pour les plus démunies.
Nous interviendrons sur d'autres points précis dans le débat, mais s'agissant de l'articulation des charges de famille et du montant des minima sociaux, il ne serait que justice que les prestations familiales ne soient pas prises en compte dans le calcul des revenus ouvrant droit au RMI. Nous déposerons un amendement à cet effet.
Le volet « santé » du projet de loi est, de fait, renvoyé à l'automne, avec la mise en place de l'assurance maladie universelle.
Nous sommes évidemment favorables à cette dernière, dans la mesure où elle ne met pas en cause les régimes professionnels particuliers.
Au-delà du droit à la couverture sociale, indispensable, l'accès aux soins pose de nombreux problèmes, au niveau tant des structures que des financements.
La baisse régulière du taux de remboursement des médicaments et des soins ambulatoires, le faible niveau d'intervention pour l'optique ou les soins dentaires font obstacle à l'égalité. En 1996, l'assurance maladie laissait globalement plus de 28 % des dépenses de santé à la charge des ménages. Or, près de 17 % des ménages, soit plus de 9 millions de personnes, ne bénéficiaient d'aucune protection complémentaire. Ces personnes recourent de moins en moins aux soins, pour des raisons financières.
La question de la prise en charge réelle des soins et des appareillages indispensables est posée. Il faut donc y réfléchir dès maintenant, ainsi qu'à la généralisation des procédures de dispense d'avance de frais, qui, toutes les études le montrent, n'ont pas de réel caractère inflationniste, et à un dépassement de l'aide médicale gratuite, aux mécanismes stigmatisants, en instituant pour ceux qui sont en dessous du seuil de pauvreté une prise en charge à 100 % par la sécurité sociale ainsi qu'une aide légale à la mutualisation au profit des personnes qui disposent de ressources modestes.
En effet, il y aurait quelque ironie à parler de maîtrise durable des dépenses de santé si, dans le même temps, on ne mettait pas fin à une situation dans laquelle une personne sur quatre, un chômeur ou un allocataire du RMI sur deux renoncent aux soins.
Le renforcement de la prévention pour ceux qui sont le plus exposés au risque de maladie est indispensable et les actes de prévention doivent pouvoir être suivis d'effets.
C'est pourquoi nous déposerons un amendement visant à poser le principe d'un bilan annuel de santé pris en charge par la médecine du travail pour les chômeurs et les stagiaires de la formation professionnelle.
Les pathologies liées à la précarité et à l'exclusion, notamment, hélas ! les insuffisances nutritionnelles et la tuberculose, pourraient ainsi être mieux détectées et un suivi devrait être concrètement favorisé.
Notre amendement concernant le dépistage du risque saturnin chez les enfants, dans le cadre de la médecine scolaire, entre dans cette même logique de meilleure prévention pour tous. Nous nous réjouissons bien entendu que, sur proposition des députés communistes, soit prévue la présentation au Parlement d'un bilan sur le rôle de la médecine scolaire dans la politique de prévention et les conditons de son renforcement, je dirais presque sa reconstruction.
Cette politique de santé publique, dont la prévention fait pleinement partie, suppose, outre la réaffirmation du rôle social de l'hôpital et la mise en place, dans celui-ci, de structures d'accueil adaptées aux personnes en grande difficulté, comme le prévoit le projet de loi, le maintien et le développement des structures de proximité, comme les centres de santé, afin de préserver un choix possible et d'éviter toute ghettoïsation dans l'accès aux soins.
Dans cette optique, nous présenterons un amendement qui a pour objet d'étendre les permanences d'accès aux soins aux centres de santé.
Les restrictions financières considérablement aggravées depuis le plan Juppé et la fermeture continuelle de nombreux services et établissements de proximité vont à l'encontre d'une bonne mise en oeuvre de la mission publique de ces centres, comme des hôpitaux. Ces derniers sont financés, rappelons-le, à 90 % par la sécurité sociale.
Il s'agirait d'aller à l'encontre de cette logique en dégageant les moyens nécessaires.
Pour les hôpitaux, cela veut dire notamment donner un coup de pouce significatif au taux directeur et utiliser le fonds de modernisation, agissant ainsi en faveur d'une amélioration de la qualité des services et des personnels et praticiens. On tendrait, de cette manière, à remplir les conditions pour une véritable qualité des soins.
Le financement nécessaire à ces mesures, comme à celles qui ont été évoquées précédemment, devrait mettre à contribution l'entreprise, ce qui ne serait qu'un juste retour des choses quand on constate les bonds de la Bourse, et répartirait mieux l'effort de solidarité pour résoudre le problème de l'exclusion. Pour cela, on doit mettre à contribution aussi les profits financiers, et non les seuls salaires.
Cette question nous renvoie au débat sur la loi de financement de la sécurité sociale, que nous ne manquerons pas de nourrir de propositions dans ce sens en temps voulu, avec le souci, encore une fois, de concrétiser les objectifs sociaux que se fixe le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes. - Mme Dusseau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Gournac. (Mme Olin applaudit.)
M. Alain Gournac. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, « la lutte contre les exclusions est une priorité de mon septennat et c'est une priorité nationale qui s'impose au-delà de tous les clivages politiques. L'ambition était et reste l'accès de tous aux droits de tous ... Je souhaite que le projet de loi qui sera prochainement présenté au conseil des ministres s'inscrive dans la continuité de ces principes. » Ainsi s'exprimait le Président de la République le 4 mars 1998, rappelant son engagement pris devant les Français de réduire la fracture sociale. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. François Autain. Il a été interrompu par la dissolution !
M. Alain Gournac. Ces propos vous gênent, je le sais, mais il les a tout de même tenus ! (Mme Olin fait un signe d'assentiment ; nouvelles exclamations sur plusieurs travées socialistes.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous en prie, n'interrompez pas l'orateur.
Mme Joëlle Dusseau. On lui fait plaisir ! (Sourires.)
M. Alain Gournac. Cette réduction qui s'impose avec un caractère d'urgence à la conscience de chacun conditionne le renforcement nécessaire de la cohésion de la communauté nationale.
M. François Autain. Eh oui !
Mme Nelly Olin. Eh oui, en effet !
M. Alain Gournac. Notre débat est ainsi sous-tendu par une volonté présidentielle forte, par une ambition politique nationale au service des hommes et des femmes les plus démunis de notre pays.
Les chiffres sont là : cinq millions et demi de personnes pauvres, dont plus d'un million d'enfants. Comme l'a exposé notre excellent rapporteur M. Bernard Seillier, l'exclusion se lit à travers l'augmentation du chômage de longue durée - deux millions en 1997 - à travers les chiffres relatifs au logement - deux millions de mal logés, deux cents mille personnes sans domicile connu - à travers le nombre de ménages surendettés - plus de six cents mille - et à travers l'augmentation du nombre de titulaires de minima sociaux.
Il est un chiffre qui n'a pas été évoqué et qui pourrait être ajouté à cette liste des symptômes révélateurs de l'exclusion : je veux parler de la multiplication des interdits bancaires. Leur nombre est en effet passé d'un million à deux millions sept cent mille entre 1991 et 1997 ; j'y reviendrai dans quelques instants.
L'exclusion est un sujet grave, devant lequel il serait peu sérieux de ne pas être constructif. C'est pourquoi il me semble important d'insister sur le fait suivant : il s'agit non pas d'apporter je ne sais quelle caution au Gouvernement, mais de nous montrer à la hauteur d'une priorité nationale fixée par le Président de la République...
Mmes Nelly Olin et Joëlle Dusseau. Très bien ! M. Alain Gournac. ... et à laquelle le gouvernement précédent et son successeur ont donné forme de façons parfois semblables, parfois différentes, jamais diamétralement opposées.
Mme Nelly Olin. Très bien !
M. Alain Gournac. Inspiré par le plus haut niveau de l'Etat, ce projet de loi, hier comme aujourd'hui, exige des Français, devant l'importance de l'enjeu, qu'ils se rassemblent dans cet effort de solidarité.
Si votre projet de loi, madame la ministre, s'inspire des grandes lignes de celui qui avait été élaboré par le précédent gouvernement, il appelle cependant de ma part quelques remarques.
Je crains que, en l'état actuel des choses, l'aspect quantitatif du projet de loi ne masque une certaine insuffisance sur le fond, que le travail des uns et des autres s'est efforcé de pallier.
Vous avez déclaré, lors de votre audition par la commission des affaires sociales, le 26 mai dernier, que vous souhaitiez que le débat au Sénat permette d'enrichir le texte. Il me semble que, comme à notre habitude, c'est dans cet état d'esprit que nous avons travaillé en commission et que nous poursuivrons ce travail dans cet hémicycle.
Vous avez intitulé votre texte « Projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions » ; le gouvernement précédent avait appelé le sien « Projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale ». Je crois pouvoir dire que la démarche de la majorité présidentielle du Sénat consiste à veiller à ce que cette lutte contre les exclusions soit, dans un même mouvement, une lutte pour le renforcement de la cohésion sociale, ce qui suppose que le partenariat entre l'Etat et les départements soit respecté scrupuleusement, et même intensifié.
Mme Nelly Olin. Très bien !
M. Alain Gournac. Or, le texte alourdit quelque peu les contraintes qui pèsent sur les collectivités territoriales.
Les FAJ, les fonds d'aide aux jeunes, créés en 1988 et destinés à aider financièrement les jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans en difficulté, sont transformés, par un amendement de l'Assemblée nationale, en une sorte de « RMI-jeunes » puisque ce qui était laissé à l'appréciation des gestionnaires du programme TRACE - trajet d'accès à l'emploi - devient un véritable droit pour les jeunes concernés.
Le fait que le Gouvernement ait prévu un abondement de 330 millions de francs en cumul de 1998 à l'an 2000, qui devra être suivi à parité par les départements, ne doit pas pour autant transformer une démarche de solidarité en une démarche d'assistanat.
L'Assemblée nationale a également durci le dispositif d'intervention des fonds de solidarité pour le logement. Or, si les conditions d'intervention de ces fonds devaient être prévues dans un décret, les départements n'auraient plus alors de marge de manoeuvre dans la gestion du dispositif.
Il n'est pas convenable que l'Etat, relativement à ces deux dispositifs, s'arroge un droit au détriment de la liberté d'appréciation des situations par les responsables des départements.
Est-il normal, par ailleurs, que les maires ne soient pas associés à la politique d'attribution des logements sociaux sur leur territoire ?
Or ce n'est pas les associer sérieusement que de laisser les préfets définir sans recours possible les contours d'un bassin d'habitat autour des communes dotées d'une zone urbaine sensible ou d'une zone de plus de 20 % de logements sociaux. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Il faut que les communes concernées ratifient la charte intercommunale, car il faut que la lutte contre les exclusions, je le répète, soit d'un même mouvement une lutte pour le renforcement de la cohésion sociale, une lutte pour le renforcement de la cohésion nationale.
Pour cela, il faut que l'Etat reconnaisse les acteurs de terrain que sont les élus locaux comme de véritables partenaires dans la mise en oeuvre des solutions.
Il n'est pas besoin de prendre d'autres exemples pour évaluer non pas nos générosités respectives - car je suis persuadé, madame la ministre, que, sur ce plan, vous m'accorderez la même sincérité que celle que je vous reconnais bien volontiers - mais nos philosophies propres dans la façon d'aborder les problèmes et d'envisager les solutions.
Et, pour vous dire les choses très directement, comme à mon habitude, taxer les logements vacants, c'est peut-être apporter sa contribution à la lutte contre les exclusions, mais sûrement pas à la lutte pour la cohésion sociale.
M. Philippe Darniche. Très juste !
M. Alain Gournac. Il est préférable, notre rapporteur M. Bernard Seillier l'a développé, de substituer à cette taxe, dont je refuse le principe, un mécanisme d'incitation à la remise sur le marché des logements vacants.
S'en prendre aux propriétaires, et notamment aux nombreux petits propriétaires qui, quoi qu'on dise, ne roulent pas carrosse, n'est pas la méthode adéquate pour que cette lutte contre les exclusions soit aussi facteur de cohésion nationale.
La propriété individuelle est un droit, la liberté d'en disposer également. « L'accès de tous aux droits de tous » prôné par le Président de la République ne peut être mis en oeuvre au détriment de certains droits qui font partie des « droits de tous » dont il parlait : ils en font partie intégrante.
Je vous l'avais annoncé au début de mon propos, il y a, parmi l'ensemble des symptômes au travers desquels se lit la pauvreté, celui des interdits bancaires.
Depuis 1991, leur nombre serait passé de 1 million à près de 2,7 millions, d'après les statistiques de la Banque de France.
Le texte qui nous est soumis propose un certain nombre de mesures qui reconnaissent le droit à un compte de dépôt. Il constitue une véritable avancée qui ne manquera pas de faciliter la vie quotidienne des hommes et des femmes en difficulté.
Il me semble qu'il conviendrait également de mettre en place un dispositif visant à limiter les pénalisations encourues par toute personne émettant un chèque non provisionné. Pourquoi représenter un tel chèque jusqu'à cinq ou six fois ? Il nous manque, certes, une étude de population relative à ces interdits bancaires - je crois cependant savoir que cette étude est en préparation pour les prochains jours - mais on peut, toutefois, facilement imaginer comment une personne ayant peu de ressources, et dont la situation financière est donc fragile, peut basculer rapidement dans les difficultés et se trouver prise dans l'engrenage d'une situation irréversible.
Il est devenu courant qu'un chèque sans provision soit systématiquement représenté en chambre de compensation en vue de son éventuel paiement, et ce de manière répétitive, dans les trente jours suivant son premier rejet. Les exemples abondent de chèques présentés trois, quatre, cinq fois, parfois plus. Il paraît même que cela rapporterait 3 milliards de francs aux banques !
Discipliner le comportement des débiteurs défaillants et donner au bénéficiaire du chèque un moyen de faire valoir ses droits, voilà qui est légitime et nécessaire.
Mais, lorsque le désordre provoqué par un chèque impayé se traduit, comme c'est de plus en plus fréquent, par un désordre plus grand qui, ici, est un « désordre social », il convient de réglementer.
C'est la raison pour laquelle je présenterai, avec d'autres collègues, un amendement en ce sens, qui me tient particulièrement à coeur.
C'est un sujet important qui a été débattu à l'Assemblée nationale mais dont l'examen a finalement été différé. Compte tenu de la déclaration d'urgence, il conviendrait, selon moi, que cet examen soit approfondi par la Haute Assemblée.
Ce texte, madame la ministre, a besoin d'être amélioré, son inspiration retrouvée autant que faire se peut. Vous souhaitiez que nous l'enrichissions ? C'est ainsi que je l'entendais, c'est à ce prix que je le voterai. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Nelly Olin. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Machet.
M. Jacques Machet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le sentiment d'exclusion, pour bon nombre de nos concitoyens, est d'abord un sentiment de honte. Ce sentiment, contre lequel nous devons lutter, des femmes et des hommes le ressentent continuellement.
Empreint de beaucoup d'humilité, car on ne peut jamais se mettre à la place de l'autre, surtout de la personne qui se trouve exclue, permettez-moi, madame la ministre, de m'exprimer au nom de deux groupes de personnes particulièrement exposées.
Tout d'abord, celles et ceux qui ont des difficultés à lire et à écrire, ainsi que l'a souligné le président Fourcade tout à l'heure, c'est-à-dire qui sont en situation d'illettrisme et qui n'osent pas le révéler.
Je souhaiterais également évoquer le cas des veuves, que le drame plonge brutalement dans la pauvreté et qui, bien souvent, ont la lourde responsabilité d'une famille à élever seules, mais que notre société considère souvent avec commisération plutôt que considération.
Madame la ministre, en ce qui concerne l'illettrisme, il ne peut y avoir insertion sociale, accès à l'éducation, aux technologies, à la citoyenneté sans que la possibilité pour chacune et chacun de lire soit totale, c'est-à-dire vécue et comprise.
A l'entrée en sixième, on constate que 15 % à 20 % de nos enfants ne maîtrisent ni la lecture ni l'écriture ni le calcul, et l'on retrouve ce même blocage cinq ans plus tard : les mêmes - ce n'est pas péjoratif - sont incapables de lire une annonce d'emploi, de rédiger un CV ou une note administrative.
Selon l'INSEE, 20 % de la population française seraient en situation d'illettrisme.
Ces chiffres sont évocateurs. De plus, l'illettrisme n'est pas marginal. Il ne frappe pas seulement certaines minorités de la population, mais, au contraire, essentiellement des jeunes ou des adultes français de souche, ayant la même culture et la même langue maternelle.
Dans notre société, fondée de plus en plus sur une culture de l'information, notamment avec l'ouverture sur l'Europe, c'est-à-dire l'usage de plusieurs langues, l'illettrisme devient un facteur d'exclusion et un obstacle au progrès de l'homme et de la société.
Des actions doivent donc être entreprises afin que l'illettrisme puisse être endigué et éradiqué, et qu'il ne soit plus vécu comme une situation de honte et de repli.
La lutte contre l'illettrisme commence par l'octroi de moyens supplémentaires à l'école ciblés sur ce phénomène et surtout, fondamentalement, par la sensibilisation des familles et la remise à niveau des adultes.
Enfin, je souhaiterais, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, évoquer la situation des veuves, comme l'a fait notre collègue M. Joly - mais la répétition, en l'occurrence, n'est pas néfaste - situation à laquelle le Sénat a toujours été très attentif.
Un groupe d'études des problèmes du veuvage, que j'ai aujourd'hui l'honneur de présider, a été constitué au sein de la commission des affaires sociales et il a pour mission de représenter les intéressées et de les soutenir face aux difficultés qu'elles rencontrent.
Ou oublie trop souvent que les jeunes veuves figurent fréquemment parmi les premières victimes de l'exclusion. Celles qui ne travaillent pas se heurtent ainsi à de grandes difficultés pour trouver un emploi après le décès de leur mari.
Or, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale, ce projet de loi ne comportait aucune disposition concernant cette population. Comme M. Joly l'a indiqué, la France compte 3 250 000 veuves, dont 250 000 sont âgées de moins de cinquante-cinq ans.
Cette lacune regrettable de l'Assemblée nationale a été heureusement corrigée par notre collègue Bernard Seillier, rapporteur de la commission des affaires sociales, qui proposera trois amendements très importants en faveur des veuves. Je tiens à l'en remercier. Ces amendements permettront de faire bénéficier les veuves titulaires de l'allocation de veuvage des contrats emploi-solidarité et des contrats emplois consolidés. Ils autoriseront également le cumul de l'allocation de veuvage et de revenus tirés d'une activité professionnelle.
Il s'agit là d'avancées qui répondent aux attentes depuis longtemps exprimées par les veuves et je suis certain que notre assemblée aura à coeur de voter ces amendements, qui contribueront à améliorer de manière significative le sort des intéressées.
Si l'illettrisme et la situation des veuves sont deux problèmes très différents, ils font, pour moi, partie de ce projet de loi de lutte contre les exclusions.
Je compte sur vous, madame la ministre, pour leur apporter toute l'attention qu'ils méritent, et je vous en remercie. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Vezinhet.
M. André Vezinhet. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a pratiquement un an jour pour jour, le 19 juin 1997, M. Lionel Jospin faisait du logement, dans sa déclaration de politique générale, une priorité de l'action de son gouvernement.
A peine énoncée, cette priorité devait trouver une première traduction concrète par la revalorisation, dans le décret d'avance du 10 juillet dernier, des aides personnelles au logement, dont les barèmes étaient gelés depuis 1994. Cette décision, qui s'est traduite par une augmentation moyenne de 3,4 %, a permis une bien meilleure solvabilisation des ménages pour faire face à la charge financière que représente le logement et, partant, elle a contribué à la cohésion sociale.
Dans la loi de finances pour 1998, c'est un véritable redressement budgétaire que vous avez opéré, monsieur le secrétaire d'Etat, en nous permettant d'adopter un budget du logement en totale rupture avec les précédents : pour les aides à la personne, les dotations ont augmenté de près de 10 % ; l'aide à la pierre a permis un programme de constructions neuves de 80 000 logements, avec une orientation marquée en direction des plus défavorisés ; ainsi, 20 000 PLA à loyer minoré et 10 000 PLA d'intégration furent réservés pour les ménages cumulant difficultés économiques et handicaps sociaux.
Enfin, le Gouvernement a souhaité réintégrer la dotation du FSL ainsi que celle qui est destinée au financement de l'ALT, l'aide au logement temporaire, dans le budget général afin d'en assurer la pérennité, le FSL passant de 275 millions de francs en 1997 à 340 millions de francs.
« Le Gouvernement s'engage par étapes, mais avec résolution, dans la voie d'une réponse d'ensemble adaptée aux attentes de nos concitoyens et à leurs préoccupations économiques et sociales. Cette politique prend donc en compte à la fois les situations de précarité et d'exclusion... et les objectifs de maîtrise des loyers et des charges de logement pour que leur poids reste compatible avec le budget des ménages aux revenus les plus modestes. Cette politique soutiendra l'activité de la construction et de la réhabilitation, indispensable à l'emploi. Elle sera développée dans un esprit de concertation et d'écoute avec les collectivités locales, les associations, les bailleurs sociaux et les investisseurs locataires. »
Ces propos - vous les avez peut-être reconnus, monsieur le secrétaire d'Etat - vous les avez tenus devant nos collègues députés lors du dernier débat budgétaire. Ils sont demeurés d'une cuisante actualité.
En effet, le volet logement du projet de loi de lutte contre les exclusions, dont nous entamons l'examen, constitue une nouvelle étape dans cette réponse d'ensemble qui caractérise l'action que le Gouvernement de Lionel Jospin entend mener en faveur du logement.
D'autres étapes suivront : le projet de loi de finances pour 1999, la réforme relative à l'habitat, qui portera création d'un statut de bailleur privé.
La réalité sociale de l'exclusion impose des réponses fortes, une volonté claire et des moyens financiers.
Une loi contre l'exclusion ne peut concerner uniquement la grande pauvreté ; elle doit aussi répondre aux spirales susceptibles de mener de la précarité à l'exclusion : exclusion face à l'école, à la santé, au logement.
« Entre insertion et exclusion, il y a toujours une étape décisive : la perte du logement », note le dernier rapport du haut comité pour le logement des personnes défavoritées.
Aussi le logement tient-il, avec l'emploi et la santé, une place essentielle dans le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions.
Dans notre pays, 200 000 personnes ne disposent d'aucun logement ; 470 000 sont logées en meublés ou en chambres d'hôtes ; 1 576 000 sont mal logées - habitations mobiles, logements hors normes, foyers de travailleurs ; 2 800 000 sont hébergées chez des parents ou des amis.
Derrière ces chiffres bruts, nous avons tous conscience que, sans logement, chacun de nous est menacé dans son intégrité physique et morale, dans sa capacité à échanger avec le monde extérieur.
Le droit au logement avait déjà été défini par la loi Mermaz de 1989 comme un droit fondamental. Cette affirmation a été reprise par la loi Besson de 1990, dont l'article 1er précise : « Toute personne ou famille éprouvant des difficultés particulières, en raison notamment de l'inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d'existence, a droit à une aide de la collectivité pour accéder à un logement décent et indépendant ou s'y maintenir. » Cette loi dispose aussi que « garantir le droit au logement constitue un devoir de solidarité pour l'ensemble de la nation ». L'objectif de l'actuel projet de loi est d'en garantir l'accès à tous.
Pour la période de 1998 à 2000, en termes de moyens financiers, ce sont 4 milliards de francs qui seront consacrés spécifiquement au volet logement. L'annonce faite vendredi dernier, lors des rencontres nationales du logement, à Paris, par le ministre, M. Gayssot, d'abaisser d'un demi-point le taux de rémunération du livret A représente un ballon d'oxygène d'environ 35 milliards de francs pour le logement social. Cela devrait profiter en priorité aux locataires les plus modestes.
Les moyens structurels et fonctionnels existent. Les plus importants ont précisément été mis en place par la loi Besson. Le rapport du haut comité souligne d'ailleurs la permanence du cadre et des outils mis en place par la loi de 1990, avec le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées et le FSL. Ces deux dispositifs ont constitué le cadre de l'action des quatre gouvernements qui se sont succédé depuis son adoption.
Le texte qui nous est soumis a pour objet d'adapter et de rendre plus efficaces les plans départementaux et les FSL, ainsi que de renforcer le rôle des acteurs associatifs.
Les mesures contenues dans les articles 16, 17 et 18 apportent une plus grande consistance aux plans départementaux. L'accent est mis sur la durée puisqu'ils seront valables pour au moins trois années à partir d'une évaluation quantitative et qualitative des besoins. Ils seront mis en cohérence avec les plans pour l'hébergement d'urgence.
A noter également la volonté d'un meilleur cadrage des populations visées puisqu'ils distingueront, par bassin d'habitat, les familles qui ne sont touchées que par des difficultés financières et celles qui cumulent difficultés financières et d'insertion sociale.
C'est également sur le plan départemental, en vertu de l'article 19, qu'il reviendra de définir les critères d'égibilité au FSL, ainsi que leurs conditions de mise en oeuvre.
Désormais, la condition de résidence préalable dans le département disparaît ; seuls sont retenus comme critères le niveau de ressources ainsi que l'importance et la nature des difficultés rencontrées.
En offrant la possibilité de recours au FSL pour les sous-locataires et en fixant de manière limitative, et non plus indicative, les quatre types d'aides - cautions, prêts, garanties et subventions - susceptibles d'être accordées, l'article 19 me paraît très important puisqu'il marque la volonté de réduire les disparités existant d'un département à l'autre.
En 1996, sur un montant total de 1 milliard de francs, 38 % des aides ont été affectées à l'accès au logement locatif, 34 % au maintien et 20 % à l'accompagnement social.
La mise en oeuvre de cette loi, notamment pour ce qui concerne la prévention des expulsions, nécessite un accompagnement budgétaire. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'Etat, nous donner quelques assurances en la matière ?
Par ailleurs, ne serait-il pas souhaitable d'amener les communes qui ont peu de logements sociaux, par exemple les communes comptant un certain nombre d'habitants et non éligibles à la DSU, à participer obligatoirement au financement ?
Comment impliquer davantage les communes contributrices, jusqu'à présent volontaires, au financement du FSL ? Le groupe socialiste y a réfléchi et fera, sous forme d'amendements, des propositions.
Enfin, monsieur le secrétaire d'Etat, pouvez-vous nous donner quelques indications sur le contenu du décret prévu à l'article 22 et sur la manière dont sera pris en compte le double impératif d'unifier les pratiques du FSL à travers le territoire national tout en maintenant la souplesse nécessaire à ce type de structure ?
Un soutien marqué est également apporté aux acteurs associatifs qui participent au logement des personnes défavorisées, qu'il s'agisse de l'exonération de certaines taxes ou d'une aide forfaitaire de l'Etat moyennant une convention triennale.
Ce point mérite tout notre attention, car une politique contre l'exclusion ne peut se concevoir qu'en relation avec tous les acteurs concernés et si elle s'inscrit dans la durée.
Les agences immobilières à vocation sociale, par exemple, qui se portent garantes pour les locataires et financent parfois les travaux de remise en état des logements inoccupés, doivent être encadrées et soutenues. Elles sont, en effet, un réel outil d'intervention dans le parc locatif privé.
Mais rendre effectif le droit au logement des plus défavorisés, c'est aussi accroître l'offre de logement.
En parallèle à la politique d'amélioration de l'offre sociale poursuivie avec les mesures prises dans le budget pour 1998, dans le projet de loi d'aide aux AIVS, par l'incitation des HLM à transformer des logements anciens en logements très sociaux, la possibilité d'acquérir des hôtels meublés, etc., vous avez, monsieur le secrétaire d'Etat, cherché à lutter contre la vacance dans le secteur privé en instituant, en outre, une taxation à l'article 30.
Je tiens à dire, à ce stade de mon intervention, que j'apporte, à titre personnel et au nom de mon groupe politique, mon soutien le plus total à une mesure de haute portée morale. Elle était très attendue par le milieu associatif et faisait notamment partie des propositions récurrentes du haut comité pour le logement des personnes défavorisées.
On estime à 500 000 le nombre des logements stérilisés qui pourraient revenir sur le marché de la location sur un total de 2 200 000 logements vacants. A titre d'illustration, à Paris, en 1954, sur 1 200 000 logements, on dénombrait 5 500 vacances ; en 1997, sur 1 300 000 logements, on dénombrait 117 000 vacances.
Je ne reviendrai pas sur les conditions d'application de cette taxe, qui ont été très largement médiatisées. Je tiens seulement à souligner qu'il ne s'agit en aucun cas d'une taxation aveugle. Elle ne s'appliquera pas en cas de vacance subie. Sa finalité n'est pas de sanctionner ni d'attenter aux droits de propriété, mais d'inciter à une remise sur le marché, c'est-à-dire à une démarche citoyenne.
N'en déplaise à mon éminent collègue Paul Girod, qui recommande de marcher, en ce domaine, à pas très mesurés, voire de ne pas bouger, je lui oppose la marche résolue et la volonté politique ferme.
Il parle de droits de l'homme ; je lui réponds en évoquant ceux du citoyen (Mme Derycke applaudit) face à l'égalité et à la fraternité inscrites dans les principes de notre République.
Enfin, n'oubliez pas, mes chers collègues, que le produit de cette taxe doit être affecté à l'ANAH.
Alors, évitons de susciter craintes et inquiétudes chez les propriétaires privés et chez les investisseurs. L'article 30 est bon ; sachons le conserver. Soyez assuré, monsieur le secrétaire d'Etat, de notre détermination à nous opposer aux offensives qui viseront à supprimer cette disposition. Il n'y a pas un droit de propriété opposable au droit au logement, faisant du premier un droit supraconstitutionnel et du second un droit infraconstitutionnel, en quelque sorte un mauvais droit. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
L'article 31 modernise la procédure de la réquisition. Il vise à s'attaquer à la vacance à des fins spéculatives et à répondre à la situation de ces agglomérations qui comptent des immeubles entiers vacants coexistant avec une demande de logements non satisfaite de la part de personnes modestes ou défavorisées.
Directement issue du projet de loi sur la cohésion sociale, cette réforme emportera, j'en suis sûr, une large adhésion au sein de la Haute Assemblée.
Abordant maintenant la question de la mixité sociale et territoriale dans l'habitat, je me félicite de l'adoption, par la majorité de l'Assemblée nationale, de la revalorisation, si fortement souhaitée, de 10 % des plafonds de ressources permettant l'accès au parc social et, pareillement, de la modification du seuil facultatif au-delà duquel le surloyer est applicable.
Ces revalorisations, ainsi que l'annonce de la publication prochaine d'un arrêté qui supprimera le double plafond de ressources pénalisant, à ressources égales, les inactifs par rapport aux actifs, contribuent à desserrer un étau qui menaçait de renforcer un risque de ghettoïsation, obstacle à la réinsertion.
La proportion des ménages pouvant prétendre à accéder à un logement HLM devrait passer de 55 % à 61 %. Cela ne se fera pas au détriment des ménages les plus défavorisés puisque le projet de loi prévoit, dans le cadre des plans départementaux, un dispositif obligatoire et quantifié pour les loger.
Le groupe socialiste fera un certain nombre de propositions en ce qui concerne l'autre aspect de la nécessaire mixité géographique introduite par la loi d'orientation pour la ville, avant qu'elle ne soit vidée de son contenu, et donc privée d'effet, en 1995, par la loi Carrez.
S'agissant de la mixité, permettez-moi, monsieur le secrétaire d'Etat, de regretter qu'aucune disposition spécifique ne soit prévue en ce qui concerne le problème - il me tient, vous le savez, particulièrement à coeur - des copropriétés dégradées où habitent souvant des familles défavorisées susceptibles de relever de votre projet de loi.
Mais l'espoir m'habite lorsque je lis que M. Bartolone, ministre délégué à la ville, et vous-même, monsieur le secrétaire d'Etat, avez souligné l'importance de ce problème lors de la récente réunion nationale du logement, qui s'est tenue le 5 juin dernier, au CNIT, à la Défense.
S'agissant de l'attribution des logements sociaux, l'instauration d'un numéro départemental unique d'enregistrement et l'information des demandeurs, qui pourront saisir une instance de médiation auprès du préfet, répondent à une attente très forte.
Le principe de la contractualisation, qui devient la règle dans les rapports entre l'Etat et les bailleurs sociaux, et du renforcement de l'intercommunalité est novateur et remarquable, tout comme l'est la mise en oeuvre d'une politique intercommunale du logement ; conférences et chartes intercommunales, commissions départementales de coopération intercommunale sont autant d'outils judicieux.
En matière de définition et de mise en oeuvre d'une politique de peuplement et d'habitat, je suis convaincu de la nécessité de dépasser le cercle communal et d'aller à une politique d'agglomération nécessaire à la recherche de la mixité territoriale et à la résorption des poches de pauvreté.
Enfin, rendre effectif le droit au logement, si cela suppose de faciliter l'accès, impose aussi de permettre les conditions du maintien dans toute la mesure du possible. C'est le sens de la prévention des exclusions. Elle s'organise dès le début de la procédure judiciaire de résiliation du bail. Il faut que seules les personnes de mauvaise foi ou celles qui provoquent un trouble de jouissance intolérable soient visées par les dispositions.
La réforme proposée ne crée pas d'instances nouvelles ; elle optimise celles qui existent et rend obligatoire leur saisine avant l'engagement de la phase contentieuse.
Pour le bailleur, la sécurité est également renforcée, car, lorsque l'expulsion aura été décidée, le préfet devra accorder plus facilement la concours de la force publique.
Pour conclure, comment éviter la perte du logement et le processus de marginalisation, comment bâtir ou mobiliser parc social et parc privé, comment s'assurer que des communes et des bailleurs sociaux ne s'exonèrent pas de l'obligation de loger les plus démunis ?
A ces questions, qui sont autant de problèmes, le projet de loi dont nous allons débattre apporte, sinon des réponses toutes faites, du moins des moyens pour parvenir à trouver des solutions adaptées.
Le groupe socialiste, qui apportera sa contribution à l'« édifice », assure d'ores et déjà le Gouvernement de son soutien. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, c'est peu dire que le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions dont nous discutons aujourd'hui est nécessaire : plus d'une centaine de milliers de sans-abri, des millions de pauvres, travailleurs ou non, salariés ou non, ont repris les chemins, que l'on croyait oubliés, de l'indigence. Même si les chiffres varient selon les estimations, selon que l'on s'appuie sur le revenu moyen ou sur le revenu médian, l'exclusion touche environ aujourd'hui un Français sur dix.
Contrairement au projet de loi dont l'examen fut interrompu l'an dernier par la dissolution, le présent projet de loi d'orientation balaie tous les domaines de l'exclusion et tente d'y apporter des réponses pertinentes. Il couvre tous les secteurs, y compris le culturel et l'éducatif, qu'avait oubliés le projet de loi Barrot - ce qu'avait d'ailleurs regretté à l'époque les associations luttant contre l'exclusion.
Bien sûr, on pourra toujours dire, je le dirai aussi, qu'un certain nombre de crédits - je pense notamment à ceux qui sont affectés à la lutte contre l'illettrisme - ne sont pas forcément à la hauteur des ambitions affichées. Mais l'important est d'abord d'affirmer des priorités, des ambitions, avec la volonté que les moyens soient effectivement mis en place dans les années à venir. Le Gouvernement tout entier - la présence de quatre ministres cet après-midi, puis trois, et deux encore ce soir, est là pour nous le rappeler - manifeste cette volonté.
L'exclusion est un constat d'échec, un échec pour les sociétés les plus riches du monde. La nôtre en est.
M. Alain Vasselle. Un échec de la gauche !
Mme Joëlle Dusseau. Echec, avec le retour de maladies comme le saturnisme ou la tuberculose ; cette dernière n'est pas exclusivement liée au Sida, la misère en est souvent la cause.
Echec, avec la multiplication des SDF et l'apparition, dans ce milieu jusqu'à présent composé uniquement d'hommes adultes, de femmes et de jeunes.
Echec, avec des chiffres significatifs - je n'en abuserai pas - comme 100 000 personnes - Mme Aubry a dit 90 000 - n'ayant jamais cessé de percevoir le RMI depuis sa création en janvier 1989 ; 500 000 adultes au chômage depuis plus de deux ans ; 620 000 dossiers de surendettement - vous nous avez rappelé ces chiffres en commission, madame le secrétaire d'Etat - traités depuis 1990, dont un tiers concernant des personnes dépourvues de toute ressource ; ou encore 560 000 remises gracieuses de taxe d'habitation ou d'impôt sur le revenu en 1997, qui s'ajoutent, bien sûr, au nombre de ceux qui en sont dispensés. Ces chiffres illustrent la massivité, la complexité et la durée des phénomènes d'exclusion.
C'est vous dire si j'approuve la démarche, les principes et les éléments fondamentaux de ce projet de loi, qu'il s'agisse des dispositifs jeunes, du recentrage des CES et des CEC sur les publics en difficulté, ou des mesures concernant le surendettement, le logement social - dont a parlé M. Vezinhet - ou les mécanismes dits d'intéressement, qui permettent une meilleure réinsertion dans l'emploi, pour ne citer que ceux-là.
Dans le court laps de temps qui m'est imparti, je voudrais très rapidement attirer l'attention du Gouvernement sur trois points plus particuliers.
Il s'agit d'abord de la très grande exclusion touchant notamment ceux que l'on appelle les sans domicile fixe, les SDF.
La première difficulté est l'estimation numérique de ceux-ci. Les auditions auxquelles nous avons procédé au sein de la commission des affaires sociales sont à ce sujet significatives. Tel pense que les SDF ne sont guère plus que 100 000, et donc correspondent à peu près au nombre de lits disponibles ; tel autre pense qu'une partie d'entre eux ne fréquente jamais les centres d'accueil et donc que ce chiffre est largement sous-estimé.
Mais, au-delà des chiffres, plusieurs problèmes se posent.
D'abord, le nombre de lits disponibles est-il suffisant, même si le chiffre total correspond à la réalité, ce qui n'est pas évident ? Ensuite, leur répartition géographique est-elle adaptée ? L'existence de nombreux dortoirs soulève la question de l'accueil des familles au-delà même de la promiscuité. Par ailleurs, les structures d'accueil hors centre d'hébergement et de réadaptation sociale ne sont en général ouvertes que l'hiver et le délai de maintien dans un CHRS - au maximum un an - tombe souvent comme un couperet pour des gens dont la reconstruction est un processus long.
Insuffisance du nombre de lits, mauvaise répartition géographique de ces derniers, existence de dortoirs, durée souvent limitée, ces quatre thèmes illustrent la non-réponse de notre société depuis des décennies, mais plus encore depuis vingt ans...
M. Alain Vasselle. Depuis 1981 !
Mme Joëlle Dusseau. Depuis vingt-quatre ans, depuis 1974, mon cher collègue !
M. François Autain. Ils sont sectaires !
Mme Joëlle Dusseau. ... à des dérives extrêmes de ceux qui sont les exclus des exclus.
Un autre souci est la situation des associations et des entreprises intermédiaires. Il faut donner toutes leurs chances et le plus de moyens possibles à ces outils essentiels de l'insertion. Parce qu'un certain nombre d'exclus auront de grandes difficultés à se réadapter au travail, mais aussi parce que les conditions de travail sont de plus en plus difficiles et exigeantes pour tous les salariés, il faut être conscient que ces associations vont continuer à gérer des situations durables et massives. Il faut donc les aider à se maintenir et développer ce type de structures sur tout le territoire.
Permettez-moi, enfin, d'attirer votre attention sur la situation particulière des femmes. On parle beaucoup de la parité en politique ; on focalise beaucoup sur ces battantes que je salue : directrice de centrales nucléaires - j'en compte une dans mon département, n'est-ce pas, monsieur le président -...
M. le président. Charmante !
Mme Joëlle Dusseau. Oui, et intelligente, d'ailleurs ; elle a vraiment tout pour plaire ! (Sourires.) Elles sont aussi pilotes, préfets, ministres au top niveau des cotes de popularité. Comment pourrais-je ne pas m'en réjouir ?
Mais qu'en est-il des autres ? Ces marginalisées, ces chefs de familles monoparentales qui se débattent seules, devant assumer de multiples responsabilités, avec de maigres revenus, ces femmes qui représentent 80 % des salariés à temps partiel, donc avec des salaires partiels, ces salariées moins payées que les hommes à qualification égale, ces êtres humains victimes de violences domestiques et de violences sociales, il ne faut ni les oublier, ni banaliser leur situation comme si elles n'avaient pas de problèmes spécifiques. Elles en ont, il faut les traiter de manière spécifique, et résolument !
Il est d'ailleurs significatif que, dans les enquêtes d'opinion, depuis le début de la décennie, les femmes, globalement, quelle que soit leur situation, se disent plus fragilisées que les hommes, se vivent comme plus menacées qu'eux et attendent, plus que les hommes, l'action de l'Etat.
En conclusion, je citerai non pas Serge Paugam - qui a remporté un très gros succès d'estime à l'Assemblée nationale et même dans nos rangs - mais Robert Misrahi, dont j'ai lu les beaux livres sur le bonheur et sur la joie. Il a, bien sûr, écrit également sur la détresse : « La détresse a une dimension existentielle, et une dimension institutionnelle ; à ce dernier titre, elle est une négation de la démocratie. » Parce que la démocratie, la citoyenneté sont au coeur de leurs préoccupations essentielles, les radicaux de gauche que je représente soutiennent fortement le projet de loi de lutte contre les exclusions. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame, et monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après Guy Fischer et Nicole Borvo, j'exprimerai à mon tour l'appréciation du groupe communiste républicain et citoyen plus particulièrement sur les volets du projet de loi concernant le logement et le surendettement.
S'agissant du volet relatif au logement, il convient de saluer les dispositions positives qu'il contient. Le temps de parole qui me revient étant limité, je n'en citerai que deux.
Il s'agit tout d'abord des mesures prévues pour prévenir les expulsions. En effet, comment considérer que le logement est un élément essentiel à l'intégration d'un individu dans la société, sans mettre en place des dispositifs limitant au minimum, voire éliminant totalement, les expulsions pour les citoyens de bonne foi, rencontrant des difficultés financières, d'autant, et le volet concernant le surendettement le montre, que ces difficultés sont liées à des pertes d'emploi ou à des accidents de la vie, tels que les maladies ou les ruptures familiales ?
De nombreux intervenants l'ayant dit, je n'insisterai pas, mais le logement, au-delà des aspects de protection et de confort, est un facteur majeur de l'insertion et de l'existence même de chacun.
Lors des rencontres des droits sociaux et de solidarité, organisées par le conseil général du Val-de-Marne, 3 000 personnes ont répondu à un sondage s'inscrivant dans la préparation de ce projet de loi ; 93 % des personnes interrogées considéraient que le droit au logement constitue l'un des moyens pour enrayer l'exclusion.
Nous apprécions donc que ce projet de loi de lutte contre les exclusions prévoit un volet relatif au logement aussi important et dans lequel figure la prévention des expulsions.
Le second point positif que je souhaite relever concerne l'introduction d'une taxe sur la vacance des logements, et ce même si nous considérons qu'elle est, en l'état, d'une portée limitée et qu'il faut la rendre plus coercitive.
Quand les chiffres nous révèlent une réalité humaine aussi dramatique que 200 000 personnes sans abri et 2 millions de personnes considérées comme mal logées, c'est bien l'ensemble des partenaires du logement que l'on doit mobiliser !
Cette nécessité absolue n'a cependant pas pour objectif de dédouaner le secteur public de ses responsabilités, bien au contraire. Ce secteur contribue d'ailleurs déjà largement à cet effort de solidarité, qu'il est trop souvent le seul à assumer.
Avec l'instauration de cette taxe sur la vacance et son renforcement, nous ne souhaitons pas porter préjudice aux petites propriétaires d'un ou deux logements qui, du reste, ne seront pas touchés par cette taxation dès lors qu'ils prouveront qu'ils ne sont pas responsables de la vacance de leurs logements. Cette taxe vise les multipropriétaires qui détiennent la majorité du parc privé et qui font le choix de spéculer sur les logements vides.
Permettez-moi également de saluer l'importance du travail accompli par nos collègues de l'Assemblée nationale, qui ont apporté de nombreuses améliorations au projet de loi. Je pense notamment à l'introduction du respect de la mixité sociale pour l'attribution des logements, au dégrèvement de la taxe d'habitation pour les foyers-logements, à l'interdiction du recours à des expulsions faisant appel à une intervention policière musclée, à l'obligation de motiver tout refus d'aide du FSL et à l'inscription dans le commandement à payer du droit de saisir le FSL. Nous prenons acte positivement du relèvement du seuil de dépassement des ressources à partir duquel le surloyer peut s'appliquer, mais nous demeurons davantage favorables à l'annulation total du SLS.
Les associations de locataires, de personnes défavorisées, les bailleurs sociaux avec lesquels j'entretiens des contacts réguliers, portent une appréciation globale, positive, sur les nouvelles mesures introduites lors de la discussion à l'Assemblée nationale. Pour autant, nous pensons que certaines dispositions sont encore perfectibles et tel sera le sens des amendements du groupe communiste républicain et citoyen.
Cependant, le risque majeur de ce volet relatif au logement réside dans le fait que l'on va demander encore davantage aux villes et aux acteurs sociaux qui font déjà beaucoup en matière de solidarité envers les plus démunis. A contrario, les mesures prévues semblent trop peu efficaces pour garantir que l'ensemble des communes et des partenaires du logement public et privé, les entreprises, soient mis à contribution. Nous souhaitons que l'Etat ait de réels pouvoirs incitatifs et contraignants envers les communes qui n'ont pas ou ont peu de logements sociaux. Pour celles qui accueillent au contraire un nombre important de ménages ou de personnes en difficultés, des compensations devraient être prévues car ce public suppose - et c'est bien normal - un accompagnement social très coûteux pour la collectivité.
Autre point qu'il conviendrait d'améliorer considérablement, le déficit important que connaît notre pays en matière de constructions de logements. Je rappelle pour mémoire que l'INSEE a estimé à 360 000 constructions nouvelles par an les besoins de notre pays en logements sociaux. Chacun comprend, bien entendu, les effets directs qu'aurait une augmentation importante du volume de construction sur le logement de tous, y compris, bien entendu, sur celui des plus démunis de nos concitoyens.
Des mesures ambitieuses de constructions sociales doivent donc être prises afin de porter le rythme de construction à 150 000 logements locatifs sociaux par an. Y renoncer compromettrait dangereusement la mixité sociale à laquelle nous sommes attachés.
Une autre proposition, déjà formulée par mon groupe à plusieurs reprises et intimement liée à la précédente, est la mise en place de dispositions financières plus avantageuses au bénéfice des organismes qui poursuivent une politique active de construction et de réhabilitation.
Outre un effet évident sur le rythme et le volume de constructions des organismes, ces mesures auraient également des incidences sur le niveau des loyers. Il est en effet impératif d'agir concrètement pour que nos concitoyens voient leur quittance de loyer baisser significativement.
Le logement doit profiter d'une grande réflexion d'ensemble, tant la crise qui l'affecte est importante. De ce point de vue, le projet de loi sur l'habitat annoncé par le Gouvernement est très attendu. L'attente était également grande à l'égard de la rencontre nationale du logement, qui s'est déroulée vendredi dernier. Nous espérons que ce débat, fort intéressant, marquera le début d'une large concertation et de réformes préservant ce secteur de la logique ultralibérale dans laquelle les précédents gouvernements l'avaient placé.
Permettez-moi quelques mots sur l'annonce, lors de cette conférence, d'une baisse d'un demi-point du taux de rendement du livret A, décision sur laquelle j'ai quelques inquiétudes. Cette mesure pénalisera en effet une nouvelle fois l'épargne populaire. De plus, nous allons assister à une amputation importante de la principale source de financement du logement social, alors que ce dernier a précisément besoin de moyens financiers.
Pour y répondre, il faut chercher dans de nouvelles directions. Des décisions pourraient être prises, en particulier visant à introduire une autre utilisation et un meilleur contrôle des fonds publics et des immenses sommes d'argent issues de la spéculation. Dans cette logique, le rôle des banques et des organisme financiers publics et semi-publics doit être modifié. Voilà ce qu'attendent nos concitoyens, qui se sont prononcés en faveur d'un gouvernement de la gauche plurielle.
Le second volet que j'aborderai est relatif au surendettement.
Le projet de loi part d'un juste constat : la procédure de traitement du surendettement, instituée par la loi Neiertz de 1989, n'est plus en mesure de répondre correctement aux dossiers à traiter, d'un point de vue tant quantitatif que qualitatif.
Depuis 1995, le nombre de dossiers déposés devant les commissions de surendettement a considérablement augmenté et un nombre croissant de personnes présentant ces dossiers sont dépourvues de toutes ressources. Le Gouvernement a donc décidé de procéder à un réaménagement de la loi Neiertz de 1989, réformée par la loi de 1995.
Alors que de nombreuses discussions étaient engagées, le choix a été fait d'exclure l'extension du régime de la faillite civile en vigueur en Alsace-Moselle. Nous nous en félicitons. Ce système nous semblait présenter de nombreux inconvénients, notamment la déresponsabilisation de l'emprunteur et surtout la stigmatisation et la pérennisation de la situation d'exclusion du débiteur.
Nous approuvons un certain nombre de mesures contenues dans ce volet. Je pense avant tout à la définition d'un « reste à vivre ». En effet, de trop nombreux écarts existaient d'un département à l'autre. On assistait même, dans certains cas, à des plans de remboursement ne prévoyant aucun reste à vivre ou ne prenant pas en compte le nombre de personnes composant la famille. Ces attitudes de surenchère à l'exclusion devaient impérativement cesser. Nous saluons par conséquent la proposition du Gouvernement et le travail positif de nos collègues à l'Assemblée nationale.
D'autres points emportent notre soutien : la prise en compte globale de l'ensemble des dettes, leur étalement, la possibilité d'aller, dans certaines situations, jusqu'à la réduction, voire l'effacement de la dette et l'extension du recours au moratoire.
Pour autant, nous regrettons qu'aucun amendement communiste n'ait été retenu à l'Assemblée nationale, notamment en ce qui concerne le cas particulièrement scandaleux des magasins du type Crazy George's, qui conduisent les personnes défavorisées à payer plus cher des biens de consommation courante.
De la même façon, nous déplorons l'absence de traitement des conséquences des crédits permanents ou revolving. La multiplication du recours à ce type de crédit à la consommation est observée par les commissions de surendettement. En effet, après une perte d'emploi ou des difficultés de vie, ces consommateurs multiplient les cartes de crédit pour subvenir à des dépenses quotidiennes, telles que l'alimentation, les fournitures scolaires, les vêtements... Les sociétés offrant ce type de crédit ne se soucient jamais, dans la plupart des cas, du taux d'endettement de leurs clients et contribuent largement à aggraver la situation financière de ces derniers.
Le groupe communiste républicain et citoyen vous proposera des amendements visant à moraliser ce type de crédit.
Vous le voyez, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, les sénateurs de notre groupe souhaitent contribuer au succès de ce projet de loi tant attendu de lutte contre les exclusions. C'est cet esprit qui prévaudra dans nos amendements et dans nos interventions (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc. Très bien ! M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, nous sommes réunis ce soir pour la discussion générale de ce projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions pour lequel un travail considérable a été réalisé par l'ensemble de nos rapporteurs et par les membres des commissions. Nous ne pouvons que nous en féliciter et nous en réjouir.
Je ne doute pas que la Haute Assemblée saura tenir compte des propositions constructives qui seront faites par les rapporteurs. Certes, les appréciations de Mme le ministre sur nombre des propositions de notre collègue M. Seillier m'ont quelque peu inquiété. Je crains que certaines d'entre elles ne recueillent pas l'accord du Gouvernement, notamment celles qui portent sur le volet économique. Toutefois, je ne désespère pas que, grâce à notre pouvoir de persuasion, nous réussissions à convaincre le Gouvernement de l'utilité des propositions du Sénat.
En commission, j'ai retenu l'affirmation de Mme le ministre, selon laquelle elle espérait un plus large consensus et elle attendait du Sénat une contribution constructive. Il n'y aurait pas de la part du Gouvernement, a-t-elle ajouté, d' a priori dus à des arrière-pensées politiques ou politiciennes et elle tiendrait compte de nos propositions constructives. Nous verrons, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, si, effectivement, nous pourrons nous retrouver sur ce texte et dégager un consensus au-delà de nos différences et de nos sensibilités politiques.
Avec ce projet, apparaît une nouvelle manière d'appréhender les problèmes de pauvreté et de marginalité. De là est né un phénomène emprunt de grands désarrois : l'exclusion sociale.
Nouvelle terminologie, même détresse : l'exclusion pose directement le problème de la ségrégation et de la cohésion.
L'exclusion n'affecte pas seulement des individus en situation d'échec. Elle affecte de plus en plus des groupes de personnes, dans les territoires urbains et ruraux, victimes de l'affaiblissement du tissu social traditionnel.
Cette réalité multidimensionnelle correspond à un processus de disqualification sociale susceptible de refouler, d'étape en étape, plusieurs franges de la population dans les sphères de l'inactivité professionnelle et sociale ainsi que de l'assistanat.
Le risque majeur est donc qu'un clivage croissant ne s'instaure entre la classe moyenne et une classe d'exclus enfermés dans le cumul des inégalités.
Pour que cette société duale, qui conduit à une véritable désintégration sociale, ne devienne pas un trait persistant du paysage social français, il convient de combattre l'exclusion sur tous les fronts. De ce point de vue, je pense que nous pouvons tous être d'accord.
Le combat contre l'exclusion suppose « une transformation fondamentale des conditions qui créent l'exclusion et donc de la société tout entière ». En effet, les politiques sociales ne peuvent, à elles seules, résoudre toutes les situations de précarité. Les actions à entreprendre relèvent de l'articulation entre des politiques sociales et des politiques économiques, cela dans les limites d'une action politique globale : il s'agira d'actions spécifiques et de la multiplication de mesures et de dispositifs d'insertion professionnelle.
Ce n'est, à mon sens, que par la mise en oeuvre, à tous les échelons d'intervention, de politiques globales impliquant les populations concernées et les responsabilisant que nous pourrons réduire efficacement l'ampleur de ce phénomène d'exclusion.
Lutter contre la détresse et la misère humaine nous réunit au-delà des clivages politiques. C'est pourquoi, conformément à l'engagement pris par le Président de la République, nous examinons ce soir le projet de loi relatif à la lutte contre les exclusions, dont l'ossature est similaire à celle du texte déposé l'année dernière par le gouvernement précédent. M. Fourcade a rappelé, à juste raison, que, si ce projet de loi présentait quelques différences avec celui qui avait été déposé l'année dernière, son économie générale était la même. Dans le fond, le travail ayant été préparé par le précédent gouvernement, vous n'avez pratiquement fait que rependre pour partie la copie qui était déjà prête. (Protestations sur les travées socialistes ainsi que celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Guy Fischer. Il ne fallait pas dissoudre !
M. le président. Laissez parler M. Vasselle, mes chers collègues !
M. François Autain. On le taquine juste un peu !
M. Alain Vasselle. Il est vrai qu'un certain nombre de vérités sont dures à accepter pour nos amis socialistes, mais enfin, il faut bien qu'ils s'y habituent !
Ce projet de loi doit constituer un cadre impératif à la mise en oeuvre d'une politique globale de lutte contre les exclusions.
Assez de ces mesures conjoncturelles constamment dépassées par une réalité sociale mouvante ! Il est plus que temps de réagir en prenant de nouvelles dispositions afin de rattraper et de réinsérer les exclus dans une société solidaire, mais non « assistancielle ».
Pour éradiquer l'exclusion, c'est donc à la source des processus qu'il faut agir. C'est la raison pour laquelle nous avons été très vigilants sur ce texte et que, avec nos rapporteurs, nous avons proposé de nombreuses améliorations par le biais du travail en commission.
Pour ma part, je voudrais m'attarder sur deux des volets de ce texte : l'accès à l'emploi et le logement.
S'agissant des dispositions relatives à l'accès à l'emploi, je tiens à engager ma réflexion sur le rôle fondamental de l'insertion par l'économique. En effet, c'est elle qui me paraît essentielle et qui devrait être la pierre angulaire de ce projet. La question du rapport au travail reste au centre de la problématique de l'exclusion sociale, car l'exercice d'une activité économique permet d'assurer, par les revenus qu'elle procure, la satisfaction des besoins élementaires mais, surtout, confère un statut social, une reconnaissance, une protection et une identité au sien de la société. En bref, le travail assure indéniablement l'intégration sociale.
A ce titre, il faut impérativement encourager une insertion plus active et donc avoir une vision économique globale et prospective. En effet, la succession et la juxtaposition de mesures pour l'emploi comme ajustements conjoncturels à la situation économique ont des résultats inverses puisqu'elles développent des formes d'emploi à statuts atypiques et précaires ; nous en avons fait l'expérience depuis maintenant plus d'une décennie.
Il faut, de même, déployer une formation adaptée aux besoins et aux débouchés de notre économie afin de créer les chances d'une insertion durable dans le monde du travail.
Il faut encore développer et mettre, enfin ! en oeuvre le « I » du RMI. Or les bénéficiaires du RMI sont trop insuffisamment orientés vers l'insertion par une activité professionnelle, même partielle.
Il faut sortir de l'assistanat les titulaires des minima sociaux en leur offrant une chance d'insertion durable par le biais d'une activité professionnelle, et donc favoriser, dans des conditions limitées, le cumul des prestations sociales avec les revenus tirés d'une activité professionnelle. Des propositions timides sont faites dans le texte, sur l'initiative du Gouvernement. Le rapporteur, M. Bernard Seillier, a fait des propositions beaucoup plus ambitieuses sur le sujet, notamment en ce qui concerne les contrats initiative-emploi. Je ferai moi-même des propositions et j'espère que nous irons plus loin que ce qui est envisagé par le Gouvernement. Cela me paraît essentiel si nous voulons véritablement réussir la lutte contre les exclusions.
Il importe encore de redonner à la personne en voie d'exclusion la dignité que procure le salaire né d'un travail, même partiel et temporaire, d'où le rôle des entreprises de l'insertion par l'activité économique. Certains les ont citées : il s'agit des entreprises d'insertion, des entreprises d'intérim, des associations intermédiaires. Celles-ci mettent à la disposition des employeurs du personnel non qualifié ou en difficulté sociale sous forme de missions temporaires.
Ces associations, qui participent activement au développement des emplois de proximité, favorisent ainsi la réinsertion progressive. Mais il faut veiller, bien entendu, à ce qu'elles ne créent pas une concurrence déloyale à l'égard des petites et moyennes entreprises et, surtout, de ces artisans que nous connaissons en milieu rural et qui se sont d'ailleurs parfois plaints de ces entreprises et associations intermédiaires.
Je souhaite aborder maintenant le volet du logement, monsieur le secrétaire d'Etat. En effet, l'absence ou la vétusté des logements restent les images les plus révélatrices d'une exclusion sociale.
Pourtant, le droit au logement est reconnu par la loi comme un droit fondamental et avoir un logement est indispensable pour tous les actes de la vie quotidienne. C'est une véritable politique sociale du logement qu'il s'agit de mettre en place.
Il faut mieux reconnaître le rôle du parc existant en développant des formules qui n'ont pas été suffisamment exploitées par les organismes sociaux, comme le bail à réhabilitation et le bail à construction. En effet, à la fin de 1993, seules 420 opérations avaient été réalisées sous la forme du bail à réhabilitation. C'est très nettement insuffisant. Ces deux formules constituent pourtant de bonnes solutions, adaptées pour répondre aux besoins en matière de logements sociaux avec le concours des propriétaires privés, des organismes HLM et des collectivités locales. Elles permettent aussi de répondre à des demandes relativement importantes.
Ces dispositifs méritent donc d'être mieux connus. Il faut non seulement mieux développer l'information sur l'intérêt qu'ils présentent, mais aussi apporter plus de souplesse : bail d'une durée minimale de douze ans, acte authentique, convention avec l'Etat, sous oublier les dispositions financières destinées à les rendre plus attrayants et applicables dans de meilleures conditions.
Il faut encore prendre en compte de manière plus adéquate le rôle joué par les logements d'insertion privés, et celui des associations, des unions d'économie sociale, des organismes agréés. Leur savoir-faire est reconnu par les organismes d'HLM.
Il faut aussi faciliter le maintien des familles confrontées au surendettement en permettant aux organismes d'HLM d'acquérir les logements des personnes surendettées.
C'est une politique qui fonctionne bien, et je vous remercie, monsieur le secrétaire d'Etat, d'avoir facilité le fonctionnement de ce type de formule qui permet à la famille d'être moins atteinte psychologiquement lorsqu'elle se trouve dans une situation de surendettement et risque d'être expulsée de son logement. Les organismes d'HLM font oeuvre utile en donnant à ces familles la possibilité de se maintenir dans le logement avec des loyers acceptables.
En revanche, en ce qui concerne la taxe applicable aux logements vacants, notre point de vue diverge. Je préférerais que nous mettions en place un système un peu plus incitatif d'aide aux propriétaires, d'assouplissement de la réglementation, d'allégement des charges.
Ce n'est qu'après avoir utilisé tout cet arsenal mis à notre disposition que nous pourrions, éventuellement, envisager de mettre en place, pour les plus récalcitrants, la taxation que vous proposez, qui est certes limitée mais qui peut poser d'autres problèmes, que nous aurons l'occasion d'évoquer à l'occasion de la discussion des articles.
J'ajouterai un mot pour souligner la préoccupation de mon collègue de Saint-Pierre-et-Miquelon, Victor Reux.
En effet, la majorité des dispositions proposées par ce texte ne seront pas juridiquement applicables en l'état, de par la loi du 11 juin 1985 à la collectivité territoriale de Saint-Pierre-et-Miquelon. Je souhaiterais savoir, monsieur le secrétaire d'Etat, ce qu'envisage le Gouvernement pour combler cette lacune.
Enfin, je terminerai en soulignant, comme l'a fait M. Fourcade, l'absence de disposition notable en faveur des familles.
Il est en effet regrettable de constater que, lors de la mise sous conditions de ressources du versement des allocations familiales - on envisage aujourd'hui une autre politique en faveur des familles - on n'ait pas été plus attentif à la situation des nombreuses familles qui se trouvent dans une véritable situation d'exclusion, n'étant pas suffisamment aidées pour faire face aux besoins essentiels de la vie.
L'institution familiale reste une valeur essentielle de lutte contre la déstructuration de la société, la fracture sociale et l'exclusion. En effet, bien que relativement autonome, ayant sa propre logique, la famille entretient un rapport étroit avec les champs socio-économique - travail ou chômage, statut social, salaires - scolaire ou sanitaire.
Permettez-moi d'évoquer tout de même la question du financement d'un certain nombre de dispositions qui risque de peser lourdement sur les collectivités locales.
Certes, il est prévu, pour ce qui concerne l'eau et l'électricité notamment, une contribution de l'Etat ou de sociétés telles que EDF - GDF ; mais le financement de certaines dispositions ne donnera lieu à aucune compensation.
Enfin, est-il vrai que Mme Aubry aurait l'intention de profiter de ce projet de loi sur l'exclusion pour réintroduire des amendements qui avaient été déposés sur le texte portant diverses dispositions d'ordre économique et financier pour régler les problèmes que pose la prestation spécifique dépendance ?
Je n'ai pas entendu Mme la ministre s'exprimer sur ce point dans son intervention ; je ne vous ai pas entendu non plus, monsieur le secrétaire d'Etat ; pourriez-vous, sur ce sujet, nous faire connaître les intentions du Gouvernement ?
Tels sont, mes chers collègues, les points essentiels sur lesquels je souhaitais intervenir. Evidemment, avec tous les membres du groupe du RPR, je soutiendrai les propositions des rapporteurs et de la majorité de nos commissions. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les différents orateurs qui se sont succédé à cette tribune depuis le début de la discussion générale ont montré, à l'envi, que la lutte contre les exclusions, le maintien de l'ensemble des citoyens dans le parc social constituent l'un des fondements de notre engagement dans la vie publique.
Ce projet de loi pourra être perçu, par celles et ceux qui dans notre pays luttent contre les exclusions, comme le signal que leur action est comprise et soutenue par l'ensemble des acteurs publics.
La modestie et l'humilité qui doivent tous nous guider se retrouvent néanmoins dans ce texte.
Continuation du projet de loi déposé par le Gouvernement précédent - d'une certaine façon, il s'en nourrit - il s'en distingue parfois, c'est normal. En tout cas, il bénéficie de la large concertation qui s'est développée depuis plusieurs années.
Selon le Gouvernement, il serait novateur sur deux points au moins : par sa globalité et par son financement.
C'est en effet un projet qui implique de nombreux ministères et les collectivités territoriales.
Si certaines des mesures qu'il contient peuvent recevoir notre approbation - nos commissions nous y convient d'ailleurs - nous sommes obligés de formuler quelques observations sur deux thèmes : l'implication nuancée des divers ministères et l'implication renforcée des collectivités locales.
S'agissant du premier thème, une critique d'ordre général peut être faite. En effet, lorsque des mesures sont difficiles à prendre, très souvent on propose la création d'un comité. Il en est ainsi dans ce projet de loi qui prévoit la création d'un assez grand nombre de ces comités.
Comme plusieurs orateurs l'ont souligné, la première des exclusions concerne l'accès aux soins.
Or, en la matière nous restons sur notre faim. Mme la ministre a déclaré que le problème de l'assurance maladie universelle serait résolu en septembre, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Nous connaissons la complexité du sujet et nous savons quel est l'intérêt de la mission confiée à M. Boulard pour essayer de faire le point sur ce très difficile sujet. Néanmoins, je regrette, pour ma part, que l'on n'ait pas profité de l'examen de ce texte pour créer un grand bloc de compétences sanitaires qui serait confié à l'Etat.
S'agissant des personnes exclues des systèmes de soins, il est bien évident que la prévention est essentielle. Que l'on se soit borné à définir la compétence de l'Etat en matière de lutte contre la tuberculose peut ouvrir la voie, mais ce n'est pas suffisant. Il faut aller plus loin. L'Etat doit assurer son rôle dans ce domaine, et ce n'est pas le comité très complexe prévu à l'article 37 du projet de loi qui peut nous donner satisfaction.
En ce qui concerne le logement, je ferai une brève observation.
Je suis, comme beaucoup d'entre nous, partisan de la mixité. En tout cas, dans ce domaine, il faut être très attentif à ce que l'on fait. Si l'on décide de faire payer moins cher les moins pauvres en diminuant le surloyer, il est bien certain qu'on fera payer plus cher les plus pauvres, puisqu'il faudra augmenter l'ensemble des loyers pour compenser la perte de recettes des offices d'HLM. Or je constate, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'un certain nombre de mesures adoptées par l'Assemblée nationale vont au contraire aggraver la charge des offices d'HLM. Je souhaite que le Gouvernement veille à ne pas surcharger ces organismes.
S'il fallait attribuer une mauvaise note à un ministère qui n'a pas fait tout ce qu'il aurait dû, c'est naturellement le ministère de l'éducation nationale qui la recevrait.
Ce projet de loi nous donne l'occasion de travailler sur la médecine scolaire. Nous savons que les enfants issus de familles en difficulté se trouvent en dehors des systèmes de soins. La reconstruction d'un véritable système de santé scolaire aurait favorisé la réinsertion de tous ces enfants dans le système de soins. J'ai parfaitement conscience que tout ne peut pas être fait en un jour. Mais des expériences pourraient être pratiquées dans tel ou tel département.
Enfin, s'agissant de la lutte contre le surendettement, les mesures proposées peuvent recevoir notre soutien.
Je regrette que vous ne vous soyez pas davantage intéressés aux organismes de crédits, notamment aux organismes de crédit revolving, dont le comportement réellement scandaleux constitue un facteur d'exclusion non négligeable. Si le Gouvernement peut intervenir en la matière, ce sera une bonne chose.
Je voudrais évoquer maintenant le mécanisme qui entraîne une implication renforcée des collectivités locales.
Elles interviendront davantage dans le financement des fonds d'aide aux jeunes, financés paritairement par l'Etat et par les départements. Elles participeront également davantage au financement des fonds de solidarité pour le logement, dont les crédits doivent augmenter.
Je ferai remarquer que, à ce jour, ces organismes ne fonctionnent pas trop mal ; ils fonctionnent même plutôt bien. A un moment où les départements font l'objet de vives critiques, peut-être est-il utile de souligner que, pour leurs financements, les départements ont engagé, aux côtés de l'Etat, des sommes importantes, sans aucune compensation financière.
A tout cela s'ajoute, naturellement, une implication institutionnelle des collectivités locales.
Si ce projet de loi ne réussissait qu'à mieux faire travailler ensemble les différents acteurs de la lutte contre l'exclusion, il serait déjà très utile.
A ce propos, je voudrais remercier Mme la ministre pour l'esprit d'ouverture et de dialogue dont elle a fait preuve dans l'élaboration du système institutionnel. Ce qu'avait prévu sur ce point le précédent gouvernement dans le projet de loi de renforcement de la cohésion sociale n'était pas satisfaisant.
Mme la ministre a mené une négociation avec les représentants des élus locaux, notamment les élus départementaux, et les deux amendements qu'elle a déposés, qui sont devenus les articles 80 bis et 80 ter, résultent de cette négociation.
L'article 80 bis permet d'envisager la fin de l'abondement par des crédits d'Etat - c'est-à-dire le fonds d'urgence sociale - de secours que, traditionnellement, les départements, parfois les communes et souvent les caisses d'allocations familiales accordent à ceux qui en ont besoin.
Cet article rend nécessaire la coordination de l'action des différents niveaux d'intervention d'urgence, à travers une convention passée entre le préfet et le président du conseil général et prévoyant la mise en place d'une commision de l'action sociale d'urgence, laquelle aura pour tâche d'organiser le guichet unique. Je crois que c'est une bonne mesure.
Quant à l'article 80 ter , il crée le comité départemental de coordination des politiques de prévention et de lutte contre les exclusions. S'agissant essentiellement de crédits d'Etat, ce comité sera, logiquement, présidé par le préfet. Ce sera une sorte de grand-messe annuelle où chacun essaiera d'apporter de la cohérence à son action.
Je souhaite que l'esprit d'ouverture et de dialogue dont Mme la ministre a fait preuve en mettant au point ces deux amendements anime également nos débats, qu'il s'agisse des dispositions qui figurent déjà dans le projet ou de celles que l'on pourrait proposer d'y ajouter ici. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Certes !
M. Michel Mercier. Ainsi ce projet pourrait devenir le projet de tous et être le signal que beaucoup attendent dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Huguet.
M. Roland Huguet. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a moins d'un an, nous débattions dans cette enceinte du projet de loi relatif aux emplois-jeunes. C'était la première étape d'un ensemble législatif que nous avait annoncé Mme Aubry et qui devait se composer en outre du projet de loi sur l'aménagement et la réduction du temps de travail et du projet de loi de lutte contre les exclusions.
Ces trois textes forment en effet un ensemble cohérent. Se complétant les uns les autres, ils visent un même objectif : créer des emplois, favoriser le retour à l'emploi, sans oublier celles et ceux qu'il convient d'accompagner spécifiquement dans leur parcours de réintégration d'une vie sociale qu'ils ont vue brisée par le chômage ou leur vécu personnel.
Je voudrais à ce propos saluer le travail considérable réalisé par le Premier ministre, Lionel Jospin, et l'ensemble des membres du Gouvernement. En effet, en moins d'un an, ont été soumis à notre examen trois projets de loi majeurs, susceptibles de transformer fondamentalement notre société, de réduire les inégalités et de redonner espoir à toutes celles et tous ceux qui désespéraient de leur avenir.
J'en viens au présent projet de loi.
Les uns et les autres l'ont affirmé, l'affirme, l'exclusion sous toutes ses formes est inacceptable. Il est donc de notre devoir de tout faire pour que chacun retrouve une place dans la société, que chacun puisse remplir les mêmes devoirs de citoyenneté et bénéficier des mêmes droits - droits au travail, à la santé, aux loisirs - quelles que soient ses origines à tous égards.
Mais il est aussi de notre devoir de tout mettre en oeuvre pour prévenir la perte de ces droits.
C'est pourquoi ce texte, mes chers collègues, m'apparaît comme un remarquable outil non seulement de lutte contre l'exclusion, mais également de prévention de l'exclusion, car les mesures qu'il comporte concernent tous les domaines de la vie, toutes les situations d'exclusion, quelle qu'en soit la raison.
Comme l'a fort bien dit notre collègue Dinah Derycke, s'il est vrai que la première des exclusions est le plus souvent celle qui résulte de la perte de l'emploi, il en est de nombreuses qui s'enchaînent ensuite : perte de l'inscription dans le « temps social », perte des repères de la vie normale - par exemple, renoncer à fréquenter des associations de loisirs ou de sport, ne plus compter peu à peu que sur les aides, ne plus se soigner - et puis, trop souvent, perte du logement, ce qui signe définitivement l'exclusion.
Il s'agit donc d'un outil propre à favoriser l'accès à l'emploi. Destiné à tous ces jeunes que leur parcours personnel a exclu très tôt de toute possibilité d'accéder directement à l'emploi, le programme TRACE, adapté à chaque cas, proposant un bilan, une remobilisation et surtout une rémunération, en fonction du type de statut, tout au long de leur itinéraire les conduisant à une embauche, me paraît être une bien meilleure réponse que la création d'un « SMIC jeune », qui risquerait, à mes yeux, d'installer ces jeunes dans une spirale de recours aux minima sociaux, alors que notre objectif est précisément de les empêcher d'y tomber.
Au terme de ce programme, durant lequel chaque jeune aura perçu un salaire correspondant à un statut, la socialisation par le travail sera rendue effective de deux manières : grâce à une embauche définitive et grâce à la capacité qu'aura eue le jeune de percevoir un revenu en contrepartie d'un travail, qu'il soit économiquement productif ou personnel, dans le cadre d'une formation qualifiante.
L'Etat s'engage à hauteur de 5,1 milliards de francs en faveur de ce programme TRACE. Les collectivités devront, elles aussi, participer à cet effort puisque la rémunération des jeunes ne pouvant justifier d'un statut entraînant le versement d'un salaire sera assurée par le biais du fonds d'aide aux jeunes.
Nombre de ces collectivités se sont déjà investies dans le plan emploi-jeunes. C'est le cas du département du Pas-de-Calais, dont je préside le conseil général. Dans ce département, la mise en place du plan emploi-jeunes s'est traduite par un objectif de création de 2 000 emplois, directement dans les services départementaux ou en accompagnement des collectivités et associations.
Le projet de loi de lutte contre les exclusions - et c'est notamment pour cela que j'ai parlé de complémentarité - prévoit l'attribution prioritaire d'au moins 20 % de ces emplois-jeunes aux jeunes résidant dans les quartiers en difficulté. Nous avions, pour notre part, fait porter notre effort en direction des jeunes RMIstes, rejoignant ainsi le Gouvernement dans sa volonté de privilégier les jeunes qui sont le plus en difficulté, puisque cette priorité est également inscrite dans le projet de loi.
La seule exigence que nous avions introduite dans le protocole et que je ne retrouve pas dans le texte, c'est celle du respect de la parité. Il faut s'attacher à embaucher, à faire accéder aux programmes de formation, aux SIFE, aux CES et CEC, autant de filles que de garçons,...
Mmes Joëlle Dusseau et Dynah Derycke. Très bien !
M. Roland Huguet. ... d'autant que la pauvreté touche d'abord et majoritairement les femmes.
De même, il est effectivement nécessaire de redonner au « I » du RMI une ampleur plus grande. Il suffit, pour s'en convaincre, de constater l'évolution constante du nombre et de la demande des RMIstes, pour lesquels il faut définir maintenant de véritables parcours de formation. L'Etat s'engage à accroître l'effort financier à cette fin.
Le département du Pas-de-Calais, comme beaucoup d'autres, consacre déjà un budget important au financement du volet insertion du RMI.
J'espère que la concertation prévue entre l'Etat et les départements permettra de répartir équitablement ce nouvel effort.
En effet, mes chers collègues, j'attire votre attention sur ce point : à l'heure actuelle, plus il y a d'allocataires RMIstes dans un département, plus celui-ci contribue à l'insertion à travers les 20 % qu'il acquitte. Les départements « riches », qui comptent peu de RMIstes, versent peu ; les départements « pauvres », qui en compte beaucoup versent beaucoup ! C'est ubuesque ! Ma crainte, c'est qu'il n'y ait une accentuation de ce phénomène. Ne pourrait-on, pour l'éviter, à l'occasion de l'examen de ce texte, imaginer une péréquation nationale ?
Mais les jeunes ne sont pas les seuls à avoir besoin d'un accompagnement pour avoir une chance de trouver ou de retrouver un travail dans une entreprise. C'est pourquoi le renforcement des dispositifs destinés à faciliter l'accès à l'entreprise des adultes les plus éloignés de l'emploi est une réelle nécessité. L'extension des contrats de qualification aux adultes demandeurs d'emploi crée les conditions favorables à la remobilisation des personnes, à la mise en place d'un véritable effort de formation, atouts majeurs pour sortir de l'exclusion.
Le développement de la participation de tous les acteurs de l'insertion par l'activité économique ainsi que la simplification des dispositifs existants devraient également permettre d'apporter un soutien accru à tous ceux qui cherchent à retrouver une vie professionnelle.
La première exclusion, la perte ou la privation d'emploi, qui est une véritable rupture dans la vie, est généralement suivie d'une série de dérives de plus en plus graves.
Je n'aborderai pas toutes les dispositions de ce texte, mais je voudrais relever les engagements du Gouvernement de nous soumettre rapidement un projet de loi portant sur l'assurance maladie universelle, sur l'institution de la dispense d'avance de frais pharmaceutiques et médicaux et sur l'affirmation du rôle social de l'hôpital. Mon collègue François Autain y reviendra certainement.
Dans le Pas-de-Calais, la population a souffert et souffre encore, plus qu'ailleurs, de la maladie et de la carence de soins. C'est un département sous-équipé en matière de structures hospitalières et j'espère que, à la faveur de cette loi, la population en difficulté - largement plus nombreuse, hélas ! que dans d'autres départements - pourra bénéficier du nécessaire rattrapage des moyens offerts en matière de santé.
Je voudrais insister, après André Vezinhet, sur le volet logement de ce projet de loi.
Le devoir de solidarité, qu'affirmait déjà l'article Ier de la loi du 31 mai 1990, dite loi Besson, et qui consiste à garantir le droit au logement, de manière volontariste, nous le mettons en oeuvre par tous les moyens dans le Pas-de-Calais. Je retrouve certains de ces moyens dans le texte. Je peux vous dire, mes chers collègues, qu'ils sont efficaces, et vous avez pu le constater vous-même sur place, monsieur le secrétaire d'Etat au logement.
L'augmentation de la dotation de l'Etat aux fonds de solidarité logement aura, certes, pour corollaire une augmentation du même ordre des dépenses des conseils généraux, mais aussi des partenaires y contribuant volontairement.
Dans la mesure où la perte du logement est toujours à l'origine de la rupture définitive d'avec la société et où elle ouvre le chemin vers la dégradation physique et morale de ceux qui en sont victimes, il est capital d'éviter l'expulsion, de loger correctement tout le monde, de développer les programmes de logements sociaux, mais aussi d'assurer la fourniture d'un minimum d'énergie, ce qui peut permettre de continuer à vivre dans des conditions presques normales.
Le rapporteur de la commission des affaires sociales, dont je salue le travail, note souvent, dans son rapport écrit, la convergence avec le texte que nous avait soumis le gouvernement précédent mais dont l'examen fut laissé inachevé. Je n'entrerai pas dans le détail des comparaisons. Je soulignerai simplement une différence considérable : le texte précédent ne donnait guère d'indications sur le financement ; l'expression « prendre aux pauvres pour donner aux plus pauvres » avait même été employée.
Le mérite du texte dont nous débattons aujourd'hui est d'exposer le financement, et cela sur trois années. Ainsi, l'Etat s'engage notamment, pour 33,531 milliards de francs en total cumulé, dans les actions en direction de l'emploi. La participation des collectivités territoriales à cet égard s'élèvera à 6,980 milliards de francs en total cumulé.
Globalement, le financement annoncé pour ce programme de prévention et de lutte contre les exclusions représente plus de 51 milliards de francs de crédits de l'Etat et un peu plus de 8 milliards de francs pour les partenaires du cofinancement.
Quant aux dépenses liées à la couverture maladie universelle et à la protection complémentaire, elles sont évaluées à 5 milliards de francs tant pour l'Etat que pour les partenaires, au titre de l'an 2000.
Certes, mes chers collègues, les collectivités territoriales participeront à l'ensemble du dispositif, j'avoue d'ailleurs ne pas avoir pu déterminer avec précision à quelle hauteur. Mais je ne pense pas que ce soit un effort insupportable au regard du but à atteindre. L'addition ne serait-elle pas plus lourde si on laissait se dégrader encore la situation du côté de nos contingents d'assistance ?
Pour conclure, je dirai que ce texte apporte de vraies et bonnes réponses pour lutter contre l'exclusion. Il prévoit un effort supplémentaire de l'Etat, des collectivités locales, des partenaires engagés auprès des personnes en difficulté, effort destiné à accompagner celui des jeunes et des adultes qui n'ont plus d'avenir professionnel, plus d'avenir personnel.
Mais il comporte aussi des mesures de prévention de l'exclusion en direction des enfants, des adolescents, avec des dispositions favorisant l'accès au sport, aux loisirs, et surtout avec la réaffirmation de la nécessité de ne pas faire éclater les familles en proie à des difficultés matérielles.
La pire des exclusions, c'est de ne plus se sentir membre à part entière d'une société, de ne plus y avoir d'autre droit que celui d'être perpétuellement en demande, de ne plus avoir accès aux devoirs de citoyen. Pour sortir de l'exclusion, il faut être accompagné, soutenu, reconnu comme une femme ou un homme comme les autres.
Les propositions contenues dans ce projet de loi ne peuvent que concourir à restituer à toutes celles et à tous ceux qui les ont perdus ou sont en passe de les perdre le sentiment d'humanité et les droits qui y sont attachés.
C'est pourquoi je souhaiterais - et je nourris quelque espoir, connaissant l'ouverture d'esprit de Mme Aubry, de M. Besson et de Mme Lebranchu - que le Gouvernement puisse accepter un grand nombre d'amendements des uns et des autres. Cela permettrait peut-être, à l'issue de nos débats, une adoption du texte par le plus grand nombre possible de sénateurs, et cela démontrerait que le Sénat sait traiter comme il se doit les grands problèmes de notre société. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Payet.
M. Lylian Payet. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les départements d'outre-mer sont, plus que les autres, touchés par l'exclusion sous toutes ses formes : sociale, économique, culturelle, au sens large du terme.
A la Réunion, 40 % de la population active est au chômage : ce pourcentage témoigne à lui seul de l'ampleur du phénomène, d'autant que ce chômage concerne particulièrement les jeunes.
La perspective de trouver un emploi, le droit à un logement, l'accès à la pratique culturelle ou sportive, bref, à une véritable vie sociale, ne semblent qu'un leurre pour des milliers de nos compatriotes, frappés par la détresse et la désespérance.
C'est pourquoi, vous le comprendrez, les solutions que prévoit le présent projet de loi doivent s'appliquer sans tarder, pleinement, et j'allais dire prioritairement, outre-mer.
Je ne reprendrai pas le détail des quelque cent trente mesures prévues dans ce texte pour lutter contre la précarité et prévenir l'exclusion ; je limiterai mes observations à trois aspects particuliers.
S'agissant de l'accès à l'emploi, tout d'abord, je ne peux que noter avec satisfaction les deux articles spécifiques aux DOM, qui assurent une pleine égalité de traitement avec la métropole : d'une part, les titulaires de contrats d'insertion par l'activité pourront bénéficier des emplois-jeunes et, d'autre part, le régime de l'aide de l'Etat aux contrats d'accès à l'emploi est aligné sur celui qui prévaut pour les contrats initiative-emploi.
Cela dit, je m'interroge, d'une manière générale, sur la complexité et l'extraordinaire hétérogénéité de l'ensemble des instruments et mesures en faveur de l'emploi et de l'insertion professionnelle.
Non pas qu'il faille les remettre en cause, mais il serait opportun, me semble-t-il, de réfléchir à une simplification et à une meilleure articulation de ces dispositifs. Certains remplissent imparfaitement leur objectif, car ils sont mal connus ; d'autres sont peu à peu délaissés malgré leur succès - je pense aux contrats emploi-solidarité dont les crédits diminuent régulièrement, mais qui correspondent à une réelle demande, en dépit de leur caractère temporaire.
De même, s'agissant des moyens d'existence, je m'interroge sur des mesures en vigueur en métropole qui n'ont pas, ou peu, été mises en oeuvre à la Réunion.
Ainsi, les montants alloués au fonds d'urgence sociale sont très faiblement distribués, en raison de critères inadaptés, alors que la situation socio-économique du département justifierait une absorption quasi immédiat de ces crédits ; il y aurait même une rumeur persistante à la Réunion selon laquelle ce fonds ne serait pas reconduit.
Par ailleurs, les « chartes de solidarité », conclues par l'Etat en 1996 et tendant à maintenir les services publics de l'eau et de l'énergie en faveur des plus démunis, n'ont pas trouvé écho à la Réunion. Le présent texte ajoute la fourniture minimale des services téléphoniques. Il faudra veiller à ce que ces garanties entrent effectivement en vigueur dans les DOM.
L'accès au logement, érigé en droit depuis maintenant dix ans, ne doit pas rester, pour l'outre-mer, une simple déclaration de bonne intention. En effet, le problème du logement social dans les départements d'outre-mer, surtout à la Réunion, se pose encore aujourd'hui en termes de pénurie, d'insalubrité et de précarité.
A titre d'exemple, pour répondre aux besoins liés à la fois à l'accroissement démographique, au renouvellement du parc ancien, à la résorption de l'habitat insalubre, il faudrait, à la Réunion, construire chaque année douze mille logements, dont neuf mille logements aidés. Or ce ne sont que cinq mille logements par an qui sont construits avec le financement de l'Etat.
J'en viens, pour finir, à l'accès à la culture.
L'exclusion culturelle me paraît tout aussi importante que les autres formes d'exclusions contre lesquelles nous devons lutter. Je suis convaincu, en effet, que la cohésion de la communauté se forge à partir d'un droit réel à l'égalité des chances par l'éducation et la culture.
Pour les jeunes, l'exclusion culturelle est trop souvent le préalable à l'exclusion sociale : privés de loisirs par manque de moyens financiers de leurs parents, ils se retrouvent isolés.
Il est une réalité : les pratiques surtout culturelles, en dépit des progrès accomplis en faveur de leur démocratisation, restent marquées par de profondes disparités sociales. L'origine socio-économique de la famille conditionne la possibilité d'assumer ou non les frais d'inscription à un club ou une association, les droits d'utilisation des équipements sportifs et culturels et le transport vers ces lieux.
C'est la raison pour laquelle le dispositif prévu en la matière par ce texte me paraît bien modeste et pas assez volontariste.
Affirmer que « l'accès de tous à la culture, à la pratique sportive, aux vacances et aux loisirs, constitue un objectif national » n'est qu'une déclaration de principe qui, certes, est loubable dans son intention, mais qui risque fort de demeurer en deçà de son ambition, faute de mesures concrètes et de moyens appropriés, surtout à la Réunion, région ultrapériphérique.
J'aurais aimé, par exemple - c'est une suggestion que je soumets aux membres du Gouvernement - que soit institué un « chèque-culture » sur le modèle du « chèque-vacances ».
Telles étaient les quelques réflexions que je voulais vous soumettre ce soir. En dépit des lacunes et des imperfections de ce projet de loi, j'ai l'intime conviction qu'il sera amendé dans le bon sens, ce qui me permettra de le voter afin de lutter contre les exclusions qui sévissent aussi à la Réunion. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Ostermann.
M. Joseph Ostermann. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'exclusion se devait de faire l'objet d'un débat politique, au sens noble du terme. C'est un problème qui relève de la responsabilité de la nation, donc de ses représentants, à l'égard de ses membres confrontés à de multiples difficultés et atteints dans leur dignité.
Ce sujet a fait l'objet d'un double consensus.
Tout d'abord, un consensus sur le constat s'est dessiné à l'occasion de la campagne présidentielle de 1995, chacun des candidats ayant fait de l'exclusion l'un de ses principaux thèmes de campagne. Ensuite, ce consensus est présent dans le projet de loi que nous examinons aujourd'hui puisque celui-ci reprend en grande partie les dispositions du texte de MM. Barrot et Emmanuelli.
Toutefois, le présent projet de loi était censé pallier les défauts de celui de vos prédécesseurs, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, considéré souvent comme un texte de « second ordre » ou encore comme « un texte au rabais ».
Force est de constater que le texte qui est soumis aujourd'hui à notre examen comporte, certes, de nombreuses avancées, mais ne constitue nullement la « grande loi » annoncée, censée refondre et réorienter en profondeur notre politique nationale de lutte contre les exclusions.
Je prendrai trois exemples à l'appui de mon propos.
Premièrement, s'agissant du RMI, le dispositif reprend l'une des dispositions proposées par le précédent gouvernement, visant à permettre aux bénéficiaires du RMI de cumuler cette allocation avec les revenus tirés d'une activité professionnelle ; il s'agit d'une mesure positive.
Cela permettra à de nombreux allocataires de sortir de l'assistance pure et simple en acceptant un contrat de travail. Il est, en effet, important que, conformément à l'objectif initial, le RMI ne soit que temporaire et qu'il ne devienne pas un mode de vie, ce qui est malheureusement de plus en plus le cas.
Depuis sa création, voilà dix ans, le nombre d'allocataires n'a jamais cessé d'augmenter, passant ainsi de trois cent mille à plus d'un million aujourd'hui.
En outre - il s'agit d'un phénomène particulièrement inquiétant - en juin 1997, on comptait, sauf erreur de ma part, cent mille personnes qui, entrées dans le dispositif au cours de l'année 1989, en étaient toujours bénéficiaires. Pour ces personnes, le RMI constitue donc un revenu minimum d'existence.
Par ailleurs, un rapport établi au mois d'octobre dernier montre que, avec un seul revenu par foyer, un travail à mi-temps payé au SMIC est moins rémunérateur qu'un RMI. Or il s'agit de cas de moins en moins marginaux. Ainsi, en 1995, un salarié sur six, soit 15,3 % contre 11,4 % en 1983, appartenait à cette catégorie de la « pauvreté laborieuse », dont les ressources frôlent le seuil de la pauvreté.
La conclusion de ce constat donne le vertige : une activité salariée serait, dans certains cas, moins rémunératrice que des revenus sociaux. Prenons garde à la rupture !
Nous sommes arrivés à la croisée des chemins. Il faut faire un choix : soit recentrer le RMI sur son rôle initial, à savoir une aide temporaire en attendant une réinsertion, soit le transformer en revenu minimum d'existence sur le modèle de l'impôt négatif auquel tout salarié ayant un revenu inférieur au seuil de pauvreté aurait droit, qu'il exerce ou non une activité.
Le projet de loi ne tranche pas cette difficile question ; il ne fait que présenter des solutions qui ne peuvent être que temporaires.
Par ailleurs, il est important d'éviter que le RMI ne se transforme en mode de vie. Il faut inciter ceux qui ne peuvent se réinsérer à se mettre à la disposition des communes ou des associations, pour réaliser des tâches utiles à la collectivité.
Prenons garde, enfin, à ce que certaines personnes ne recherchent davantage les prestations sociales qu'un emploi, situation à laquelle je suis confronté fréquemment en tant qu'élu local.
Le deuxième point que je souhaite évoquer a trait à l'insertion des jeunes.
A son arrivée au Gouvernement, Mme la ministre a annoncé une réforme en profondeur des aides à l'emploi, ainsi qu'un programme de sept cent mille créations d'emplois pour les jeunes, pour moitié dans le secteur public et pour moitié dans le secteur privé.
Jusqu'à présent, seule une partie de ce programme a été réalisée, grâce aux emplois-jeunes, et les objectifs de créations d'emplois ne seront sans doute pas atteints.
Nous attendons toujours le programme en faveur de la création d'emplois dans le privé. Il en est de même pour les aides à l'emploi.
En la matière, les mesures proposées dans le texte, telles que le recentrage des CES sur les personnes les plus en difficulté, constituent certes une avancée non négligeable, mais sont malheureusement loin de constituer à elles seules la réforme tant attendue.
Les dispositifs d'insertion, tels que les CES, s'ils permettent aux jeunes d'acquérir une première expérience professionnelle, ont toutefois bien souvent des effets pervers.
Une enquête réalisée en 1996 fait ainsi apparaître que le passage par un CES prédisposerait les jeunes à enchaîner ce type de contrats. Se constituent ainsi de véritables parcours précaires dont ces derniers ont beaucoup de mal à sortir.
N'est-il pas envisageable de proposer à nos jeunes de véritables emplois en incitant les entreprises, par une exonération des charges sociales patronales, à les embaucher en échange d'une obligation de formation ? Une telle exonération coûterait infiniment moins cher qu'un emploi-jeune !
Pour ma part, je suis convaincu que si l'on accordait aux entreprises, plus particulièrement aux PME, une partie des avantages qui sont octroyés au secteur public par le biais des emplois-jeunes, ces dernières seraient tout à fait prêtes à embaucher. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'ai déposé une proposition de loi en ce sens, après avoir défendu sans succès un amendement lors de l'examen du texte sur les emplois-jeunes.
Le dernier point sur lequel je souhaite attirer brièvement votre attention a trait au volet logement du projet de loi.
Là encore, le bilan des mesures que vous nous proposez en faveur de l'accès au logement est en demi-teinte. Certaines mesures, telles que la redéfinition du FSL ou la réécriture du régime des attributions de logements sociaux, constituent incontestablement des avancées.
En revanche, des dispositions comme la création d'une taxe sur la vacance, l'instauration d'un régime de réquisition avec attributaire ou l'allongement des délais en matière d'expulsion pour non-paiement de loyer ou de charges me semblent être attentatoires au droit de propriété.
En effet, s'il est tout à fait normal de conforter un droit au logement pour les plus démunis, il est tout à fait anormal et inacceptable que l'Etat se défausse des conséquences du développement de ce droit sur les propriétaires en érodant le droit de propriété.
C'est la raison pour laquelle je vous proposerai d'adopter un amendmenet tendant à indemniser les propriétaires à qui sont imposés des délais de plus en plus longs en matière d'expulsion.
Dans ce domaine, l'Etat doit prendre ses responsabilités, notamment en faveur des petits propriétaires.
Droit au logement et droit de propriété ne sont nullement inconciliables, bien au contraire.
L'augmentation du nombre de propriétaires bailleurs permet d'accroître l'offre locative, donc de résorber, pour partie, la crise du logement. Par conséquent, il convient d'inciter à l'investissement immobilier et non de le décourager, car l'excès de protection risque de se retourner contre ceux qu'il est censé protéger.
En conclusion, sous réserve de l'adoption des améliorations qui vous seront proposées, mes chers collègues, je voterai le projet de loi. En effet, comme je l'ai souligné au début de mon intervention, l'exclusion est un sujet grave qui impose de dépasser les clivages partisans. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi d'orientation relatif à la lutte contre les exclusions définit des axes d'intervention par rapport à un certain nombre de droits, accessibles à la grande majorité d'entre nous mais dont certains citoyens se trouvent, à plus ou moins long terme, privés.
Ce texte traite des exclusions dites sociales, car elles se réfèrent aux besoins créés par la vie en société comme l'emploi, les ressources, le logement, l'accès aux soins, ou les aides familiales. Il y a une échelle de gravité dans l'exclusion ; celle-ci se produit généralement à la suite d'un concours de circonstances à la fois économiques et personnelles. Il s'agit pour nous de trouver les mesures adéquates pour restreindre l'expansion d'un phénomène qui s'amplifie et s'aggrave et faire en sorte d'éviter, pour les personnes concernées, toute répétition possible.
Je me limiterai, si vous le permettez, à l'exclusion la plus rude, celle qui apparaît quand les besoins les plus élémentaires de survie, comme la nourriture, l'hygiène, la santé et l'accès aux soins, et de sécurité que représente un toit ne peuvent être satisfaits ; on peut alors parler d'extrême pauvreté, d'errance, d'abandon et de vie dans la rue : c'est l'exclusion totale.
Sans disserter sur les polytoxicomanies, la malnutrition, la tuberculose, les ulcères des jambes, les oedèmes des pieds, les parasitoses cutanées dont ils sont le plus souvent la proie, les sans-abri souffrent également des agressions climatiques - gelures, hypothermie en hiver, déshydratation et brûlures l'été - et physiques qui sont presque quotidiennes.
Parmi les réactions pathologiques à ces agressions, on peut constater parmi eux un volontaire repli sur soi, dû à l'extrême méfiance qu'ils développent envers la société qui rejette ceux qui n'entrent plus dans le système. Les causes et les effets de la précarité se confondent souvent. L'alcoolique boit pour oublier qu'il fait partie des exclus et le jour où les circonstances ou l'aide extérieure l'amèneraient à sortir de sa situation sordide, sa dépendance à l'alcool l'en empêche.
Le Centre d'hébergement et d'accueil des populations sans abri de Nanterre avance le nombre de 8 000 à 10 0000 personnes désocialisées majeures qui constitueraient un premier cercle d'exclus. Le deuxième se compose de marginaux, délinquants et asociaux, environ 15 000 personnes. Quant à ceux qui disposent d'un abri de fortune temporaire, qui squattent des appartements vacants ou qui sont hébergés en centres sociaux, ils pourraient composer un troisième cercle d'exclus allant de 7 000 à 8 000 individus.
Ceux que l'on appelait hier les clochards ne sont plus les seuls sur le pavé. La population des exclus, principalement constituée avant d'hommes entre 40 et 44 ans, compte maintenant parmi ceux qui sont en situation très vulnérable depuis moins d'un an une majorité de femmes et de jeunes.
On n'est pas exclu du jour au lendemain, on le devient. La perte d'un emploi, un coup dur familial - divorce, perte d'un être cher - se conjuguent souvent pour provoquer une exclusion qui, comme l'écrit Xavier Emmanuelli, « à l'instar d'un divorce, se produit par consentement mutuel » entre l'homme et la société.
La désocialisation des gens en situation précaire peut s'effectuer insidieusement ou rapidement : ils ne profitent pas longtemps, ou profitent très peu, des dispositifs de secours, car ils rejettent en bloc l'ensemble du système ; ils refusent aussi l'aide des institutions pour se protéger du monde extérieur et de ses agressions.
La solitude dans laquelle ils s'enferment les amène à refuser de reconnaître la réalité de leur corps, puisque celui-ci représente à la fois un objet de répulsion pour les autres et de souffrance pour eux-mêmes. « Quand on n'existe plus dans le regard des autres, on n'existe plus dans son propre regard. Quand on est devenu invisible, on tombe dans une définition générique. On n'est plus une personne, on est un SDF, un clochard, un exclu, mais certainement pas quelqu'un, certainement plus un citoyen. »
L'accès aux soins des exclus passe, dans le secteur public, par les urgences hospitalières, qui ne réservent pas toujours le meilleur accueil à ces personnes, malgré des actions récentes et ponctuelles pour améliorer l'acceuil des SDF.
Les consultations de précarité mises en place dans les hôpitaux de l'Assistance publique de Paris commencent à être pratiquées en province dans de nombreux hôpitaux généraux. Ce sont des dispositifs médico-sociaux intégrés à l'hôpital en vue de favoriser l'accès aux soins, sans filtre administratif et sans avance d'argent. Les permanences d'accès aux soins de santé sont donc déjà présentes sur le terrain. Des cellules « accueil des étrangers » permettent de soigner les personnes dépourvues de protection sociale. Le CASH de Nanterre est une des plus anciennes structures de ce type.
S'agissant des SAMU sociaux, une consultation médicale et des soins infirmiers sont assurés dans les centres d'hébergement d'urgence.
Le secteur caritatif, de son côté, se montre, lui aussi, très actif et s'efforce de compenser les carences du secteur public en fournissant des consultations dans toutes les spécialités, y compris la psychiatrie.
C'est dans ce contexte que le projet de loi vient s'insérer, et nous sommes heureux de constater que, pour l'essentiel, les dispositions contenues dans le projet de loi de renforcement de la cohésion sociale de M. Jacques Barrot ont été reprises.
Nous regrettons cependant qu'il témoigne, dans le domaine de l'accès aux soins aux individus en situation de grande précarité, d'une portée toute symbolique et théorique, sans réelle incidence sur le concret. Affirmer que les objectifs de la lutte contre les exclusions doivent s'inscrire dans les programmes de santé publique de l'Etat, des collectivités locales ou de la sécurité sociale tout en ayant réduit, cette année, de plus d'un tiers les crédits du budget de la santé destinés aux exclus nous donne l'impression d'un coup d'épée dans l'eau.
Nous pouvons nous interroger également sur des raisons pour lesquelles le texte que nous examinons aujourd'hui, en première lecture, n'envisage principalement que des conseils et moyens de guérison, et n'examine pas davantage de méthodes de prévention, hormis, il est vrai, le volet relatif au surendettement.
Les individus en voie de marginalisation, dérivant vers l'exclusion, sont-ils conseillés, orientés ? Quelles structures ont cette responsabilité ? Les ANPE s'impliquent-elles dans ce rôle de prévention ?
La médecine scolaire, nous avons eu l'occasion d'en parler, est sous-représentée dans les collèges et les lycées des zones sensibles : il faut développer le dépistage précoce des enfants en difficulté et un meilleur partenariat avec la Protection maternelle et infantile est nécessaire. Le diagnostic est fait ; il faut la volonté politique.
Le Gouvernement prévoit, il est vrai, la présentation, dans un délai d'une année, d'un rapport sur le rôle de la médecine scolaire, notamment dans la lutte contre l'exclusion. Le délai n'est-il pas trop long ?
D'autres rapports ont déjà fourni des renseignements probants, comme celui du haut comité de la santé publique, présenté le 30 juin 1997, qui avait, lors de la conférence nationale de la santé, souligné la nécessité d'augmenter les moyens de la santé scolaire et l'éducation à la santé.
L'institution d'une couverture maladie universelle, avec une carte permanente d'assuré social pour chacun dès seize ans, une couverture complémentaire et une dispense d'avances de frais pour les plus démunis, aurait un impact significatif, mais elle ne figure pas dans ce projet de loi. Il semble toutefois que l'engagement du Gouvernement soit assez ferme sur la date de dépôt d'un texte à cet égard. Sera-t-il joint au projet de loi de financement de la sécurité sociale ?
Quant à l'alcoolisme, qui touche bon nombre d'exclus, il suscite des propositions qui sont autant d'avancées : la création de structures départementales combinant une prise en charge sociale et médicale de l'alcoolisme des sans-abri, la formation en alcoologie rendue incontournable pour tous les acteurs médicaux et sociaux en contact avec les personnes en grande vulnérabilité.
Ces mesures sont d'une urgente nécessité.
Il y a en effet une incidence étroite entre alcoolisme et précarité : la consommation moyenne de 69 % des exclus interrogés en Ile-de-France est de 4,3 litres par jour, tous alcools confondus. Pour le Dr Jacques Hassin, chef de service du centre médico-social du centre d'hébergement et d'accueil pour les sans-abri à Nanterre, « la normalité, ce sont les patients alcooliques ».
L'article 37 bis du présent projet de loi d'orientation fournit un statut juridique stable aux centres d'hygiène alimentaire et d'alcoologie qui en sont actuellement dépourvus. C'est une première démarche encourageante. Encore faut-il aller plus loin.
Notre groupe se réjouit de la création des programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins. Ils généralisent les schémas départementaux d'accès aux soins prévus par la circulaire de mars 1995. Mais ces programmes prendront toute leur signifcation s'ils sont associés à l'institution d'une couverture maladie universelle et au transfert des compétences sanitaires des départements vers l'Etat.
Il faut savoir que, au-delà de l'altruisme qui nous motive tous ici, hors clivages politiques, c'est faire oeuvre de bon sens que de favoriser l'accès aux soins pour ces malheureux : le mal-être physique qu'ils véhiculent avec eux peut nous atteindre demain. Quand tout manque, la pauvreté attaque la santé. Bruit, pollution, mauvais logement, humidité, inquiétude usent le corps, mais aussi l'esprit.
Telles sont les réflexions du groupe de l'Union centriste sur cet aspect spécifique de l'exclusion majeure que nous souhaitions souligner. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Autain.
M. François Autain. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, comme l'ont précisé Mme Dinah Derycke et M. Roland Huguet, il me revient de présenter la position du groupe socialiste sur les dispositions du chapitre III de ce projet de loi, relatives à l'accès aux soins.
La résurgence de maladies que l'on croyait oubliées, les difficultés croissantes que rencontrent les exclus pour bénéficier, comme tous les autres, de notre système de soins appelaient en effet un dispositif fort.
C'est ainsi que l'article 36 pose symboliquement le principe de la priorité de la politique d'accès à la prévention et aux soins des personnes les plus démunies.
Symboliquement en effet, car il est des circonstances où les symboles sont importants et où les mesures symboliques ont un sens.
Toutefois, ces dispositions relatives à l'accès aux soins ne sont pas seulement symboliques. Je fais observer très amicalement à M. le rapporteur, qui semblait vouloir accréditer le contraire, que ce texte n'a pas uniquement une valeur symbolique. En effet, l'article 37 oblige au développement de programmes régionaux d'accès à la prévention et aux soins. C'est bien au niveau régional que s'organise aujourd'hui notre système de soins ; c'est donc bien à ce niveau que ces programmes doivent être développés. Vous en convenez d'ailleurs vous-même, monsieur le rapporteur, non sans rappeler, à juste titre, l'intérêt d'une réflexion renouvelée sur la compétence départementale en matière de santé, notamment en ce qui concerne la tuberculose, et vous nous proposez de procéder immédiatement au transfert de cette compétence de l'Etat.
Or, ce faisant, ne brûlez-vous pas un peu les étapes ? Je crains, pour ma part, que vous ne tombiez dans les travers que vous dénoncez avec raison lorsqu'ils sont le fait de l'Etat, comme vous l'avez fait récemment encore avec la prestation spécifique dépendance quand vous avez reproché au Gouvernement de ne pas avoir fait précéder sa décision d'une réflexion et d'une discussion avec les collectivités locales concernées.
Sur cet article 37, notre groupe propose seulement un amendement visant à mieux préparer, par une action de formation, les professionnels de santé à la prise en charge de l'exclusion.
Les articles 38 et 39 définissent la place de l'hôpital dans ce dispositif.
L'article 38 consacre la participation du service public hospitalier à la lutte contre l'exclusion et illustre ainsi, très concrètement, la portée de la mission de service public des établissements.
L'article 39 oblige, quant à lui, à la mise en place de permanence d'accès aux soins consacrées aux personnes en situation de précarité. Trois objectifs concomitants sont ainsi poursuivis : garantir dans tous les cas l'accueil des personnes démunies et leur accès aux soins hospitaliers ; s'assurer des modalités particulières, notamment sur le plan de la prise en charge sociale, d'un tel accueil ; exiger que toute précaution soit prise en vue de permettre la continuité des soins.
Voilà, monsieur le rapporteur, autant de dispositions dont la portée, je le répète, n'est pas seulement symbolique, même si vous avez raison de vous interroger sur les moyens dont disposeront les établissements pour s'acquitter de ces obligations nouvelles. Notre groupe a déposé, sur ce point, un amendement visant à répondre à ces interrogations.
Aux dispositions initiales du projet de loi, l'Assemblée nationale en a ajouté d'autres, qui me paraissent devoir retenir toute notre attention. Ainsi en va-t-il, d'abord, des articles 36 bis et 36 ter, qui confirment juridiquement l'obligation faite de fixer des objectifs de lutte contre l'exclusion dans les conventions d'objectif et de gestion des caisses. Tout au plus peut-on s'interroger sur le caractère redondant de l'un de ces deux articles.
Ainsi en va-t-il de l'article 36 quater, qui demande au Gouvernement d'établir un rapport sur l'adéquation des missions de la médecine scolaire aux objectifs de lutte contre l'exclusion.
Là encore, je regrette, monsieur le rapporteur, que vous ayez cru devoir placer la décision avant la réflexion.
Reste notre objectif commun, mieux assurer, à l'école, la prévention sanitaire des plus démunis.
L'article 37 bis dote d'un statut juridique les centres d'hygiène alimentaire et d'alcoologie et l'article 38 bis précise les missions des services de protection maternelle et infantile en prévoyant que ces services doivent développer des actions d'accompagnement psychologique et social des femmes enceintes et des jeunes mères de famille les plus démunies. Notre groupe présentera un amendement à l'article 39, touchant aux mêmes aspects.
Enfin, l'article 38 ter vise à réorienter vers les personnes exposées au risque de précarité l'action de prévention, d'éducation et d'information sanitaire ainsi que l'action sanitaire et sociale des caisses primaires de la branche maladie du régime général.
A ce dispositif fort tant en symboles qu'en mesures concrètes, notre rapporteur propose d'en ajouter une dernière qui tend, avant l'article 36, à prévoir qu'à compter du 1er janvier 1999 toutes les personnes résidant en France bénéficieront d'une couverture maladie. Comment ne pas souscrire à un tel objectif ?
Au demeurant, cet objectif est consensuel, puisque M. Alain Juppé en avait annoncé le principe ici même le 15 novembre 1995, sans être parvenu à le réaliser avant son départ, qui fut - comme vous le savez - un peu précipité et imprévu, en juin 1997. Mais ce qu'il n'a pas pu faire en si peu de temps, nous allons essayer de le réaliser au moins aussi rapidement, sinon plus rapidement.
C'est dire que, si cet objectif est consensuel, les difficultés techniques de sa mise en oeuvre sont grandes - c'est sans doute la raison pour laquelle il n'a pas été réalisé plus tôt - parce que la diversité de nos régimes, les compétences des départements, les modalités actuelles, très complexes, de prise en charge des personnes privées de couverture sont autant d'obstacles à cette mise en oeuvre.
Nous souhaitons pourtant tous qu'elle intervienne aussi vite que possible et à la date que vous nous proposez, monsieur le rapporteur. Il reste toutefois que les conséquences d'une telle réforme sur l'organisation financière de la sécurité sociale exigent qu'elle soit engagée parallèlement avec la préparation de la loi de financement de la sécurité sociale pour 1999.
Le président de la commission des affaires sociales, M. Jean-Pierre Fourcade, a joué un rôle trop important dans la réforme constitutionnelle qui a introduit la loi de financement pour ne pas respecter les contraintes juridiques nouvelles que cette dernière nous impose !
Symbole pour symbole, monsieur le rapporteur, je sais que vous n'ignorez pas que votre article additionnel, privé de son armature juridique, technique et financière, serait sans grande portée.
Pour conclure, je ne retiendrai sur cette partie du projet de loi que l'adhésion globale de la commission aux objectifs poursuivis par le Gouvernement, adhésion que partage bien évidemment le groupe socialiste, qui vous apportera, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, son soutien le plus total. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Monsieur le président, madame, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, dernier orateur inscrit, je me limiterai à une petite partie du texte important qui est soumis à la discussion du Sénat après avoir été examiné à l'Assemblée nationale. Cette partie concerne les secteurs de l'éducation, de la culture et du sport.
Je partage sur ce point l'objectif qu'a défini tout à l'heure Mme la ministre : nous devons faire en sorte que tous les hommes et toutes les femmes de ce pays soient des citoyens en capacité d'exercer leurs droits et leurs devoirs et des consommateurs capables de savoir choisir. Or les exclus, qui n'ont pas acquis ces capacités, sont, à cet égard, en situation particulièrement délicate.
Personnellement, j'ai eu récemment l'occasion de rédiger un rapport pour l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques sur la période comprise entre le moment où l'élève entre en classe et le moment où il s'apprête à devenir citoyen, notamment en étudiant les nouvelles techniques d'information et de communication, et, plus généralement, les outils numériques, qui ont un rôle à jouer dans ce passage de l'élève au citoyen.
Les articles de ce projet de loi qui consacrent le rôle de l'éducation, de la culture et du sport sont en tout cas les bienvenus dans cet ensemble. Même si les ministères concernés - éducation nationale, culture, jeunesse et sports - ont déjà fait beaucoup d'efforts en ces domaines, il n'en demeure pas moins opportun d'inscrire ces principes dans le présent projet de loi.
Il est temps de trouver des solutions pour mettre un terme à une situation qui voit, chaque année, 50 000 jeunes quitter le système éducatif sans qualification. Nous devons donc nous efforcer d'éviter les inégalités en matière d'accès à l'éducation, à la culture et au sport et il faut, pour cela, rappeler, dans l'article 1er du présent projet de loi, la nécessité de l'accès aux droits fondamentaux que je viens d'évoquer très rapidement.
Je crois aussi qu'il convient de combattre la cause principale des inégalités, à savoir l'illettrisme. Au-delà du fait de ne pas savoir utiliser la lecture et l'écriture, cet illettrisme se caractérise surtout - et je rejoins sur ce point un travail récent de M. Philippe Meirieu concernant les lycées et toutes les autres étapes du cursus scolaire - par le fait de ne pas savoir s'exprimer correctement.
Le système scolaire doit donc développer chez l'enfant la capacité d'exprimer ses idées et de les défendre, ce qui suppose sans doute de les découvrir par la lecture et d'apprendre à les écrire, mais peut-être plus encore d'apprendre à les exprimer par la parole. C'est là un effort qu'il faut demander à l'éducation nationale pour éviter cette exclusion de l'homme - ou de la femme - qui est incapable de dire ce qu'il veut, de dire ce qu'il ressent, ce qu'il souhaite.
Ce qui est proposé pour les lycées doit commencer dès le début de la scolarité, c'est-à-dire, me semble-t-il dès la maternelle, dès l'âge de deux ans si possible. En effet, il est nécessaire que, très tôt, l'enfant apprenne la vie en collectivité, qu'il sorte du milieu familial où il est soit protégé... soit abandonné, mais où il est trop souvent coupé des autres. C'est donc sur l'entrée précoce à l'école maternelle qu'il convient d'insister.
Surtout - Condorcet l'avait déjà largement signalé - il importe, tout en respectant la personnalité de l'enfant, de l'aider à découvrir et à exprimer des capacités qui sont encore en germination. Et cette chance doit, elle aussi, lui être donnée très tôt.
Vient ensuite le passage plus difficile de l'adolescence, pour lequel les ZEP, imaginées en partie par Alain Savary, ont été des lieux exemplaires de développement pendant toute une période avant de connaître un certain fléchissement. Il faut donc redonner vigueur à ces ZEP, et ce de diverses façons : sans doute par des moyens financiers, mais aussi grâce à une reconnaissance différente du rôle de l'enseignant.
De même convient-il de faire attention, lors des nominations, à ne pas mettre en situation difficile ceux qui sont mal préparés parce que peut-être trop jeunes ou dépourvus d'expérience. Les affectations doivent s'effectuer dans des conditions salariales spécifiques. Il est nécessaire, enfin, de relancer les projets pédagogiques permettant les apprentissages fondamentaux.
Par ailleurs, il faut essayer de rendre le parcours de l'enfant le plus homogène possible. Nous savons que des enfants en difficulté culturelle, intellectuelle ou simplement sociale, redoublent et traînent avant de finir par passer à l'ancienneté dans les classes supérieures. Pourquoi ne pas développer l'expérience des classes relais, qui sont des classes spécifiques de dix ou quinze enfants seulement ? Ces classes relais, c'est certain, demandent des moyens financiers accrus, mais je crois qu'elles ont un rôle important à jouer dans le parcours des enfants afin de le rendre aussi homogène et réussi que possible.
Dans le domaine scolaire, il y aurait certainement encore beaucoup à dire, mais cela nous prendrait trop de temps. C'est ainsi, par exemple, que nous assistons aujourd'hui à l'émergence des technologies numériques dans les moyens d'apprentissage des données fondamentales. On ne peut les éviter, mais ils ne remplaceront pas tout ! Il n'en demeure pas moins qu'ils créent une inégalité entre ceux qui en ont la maîtrise et ceux qui ne savent même pas qu'ils existent. Il se creuse, dès lors, une inégalité plus profonde encore que celle que nous avons constatée au moment de l'apparition du livre et de la lecture, lorsque les Prospero avaient la maîtrise des données scientifiques - et donc des décisions philosophiques - tandis les Caliban essayaient d'apprendre laborieusement à lire.
Sur la culture et sur le sport, tout a déjà été dit, et chacun sait le rôle particulièrement important qu'ils jouent dans la formation de l'individu. Permettez-moi cependant d'insister sur un point : il ne faut pas vouloir imposer une culture académique dans ces secteurs particulièrement riches en exclus que sont nos banlieues.
Il faut savoir prendre en compte les moyens d'expression inventés dans ces lieux - en son temps le rock, aujourd'hui le rap. Plusieurs fois, j'ai été étonné par le rôle formateur du rap, par la capacité qu'ont certains de faire défiler pendant des heures des mots qui se répondent les uns aux autres et forment un ensemble ayant une qualité à la fois artistique et intellectuelle.
Cela ne veut pas dire qu'il faut se fonder uniquement sur ces formes musicales spécifiques. Mais il ne faut surtout pas faire comme si elles n'existaient pas, les considérer comme étant sans intérêt ou trop différentes, sur le plan musical, de Mozart ou de Beethoven, vers lesquels on reviendra très certainement tôt ou tard.
Un autre domaine extrêmement important est le domaine sportif. Nous avons discuté tout récemment du projet relatif à la protection de la santé des sportifs et à la lutte contre le dopage. Le sport garde aujourd'hui encore une image qui donne envie aux jeunes de faire un effort parce que c'est une image pure de sportifs de qualité. Mais cette image est aujourd'hui de plus en plus ternie en raison, certes, du dopage, mais surtout, à sa source, de la place envahissante de l'argent.
Il faut donc faire des efforts pour permettre aux jeunes d'apprendre la pratique d'une activité sportive, par exemple par le basket de rue.
Voilà, mesdames, messieurs les ministres, les réflexions que je voulais vous livrer ce soir. J'espère vous avoir convaincus, si besoin était, du rôle de l'éducation, de la culture et du sport dans la lutte contre l'exclusion. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.

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