Séance du 19 mai 1998






ANIMAUX DANGEREUX
ET PROTECTION DES ANIMAUX

Adoption d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi n° 409 (1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, relatif aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux. [Rapport n° 429 (1997-1998) et avis n° 431 (1997-1998]).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les premières relations entre l'homme et le chien remontent aux âges les plus reculés de la préhistoire. Plus tard, dans l'antiquité, se développent les liens avec le chat. L'un et l'autre sont donc devenus les compagnons privilégiés de la vie quotidienne de l'homme, auxquels se sont ajoutées d'autres espèces actuellement de plus en plus diversifiées, tant et si bien qu'en France un foyer sur deux possède un animal familier. Les motivations de l'acquisition d'un animal de compagnie sont très diverses : d'ordre psychologique, social, affectif, esthétique.
C'est pourquoi le projet de loi couvre l'ensemble des domaines liés aux animaux de compagnie, de leur élevage à leur cession, en passant par leur mode de garde et s'intéresse tout particulièrement aux conditions de cohabitation avec l'homme dans la société actuelle.
Avec l'essor de la place des chiens et des chats dans la vie quotidienne des citadins, mais aussi en milieu rural, ces dernières années, on a vu apparaître dans les pays occidentaux, notamment, des problèmes nouveaux, pour lesquels le dispositif législatif français s'est trouvé insuffisant ou inadapté. Il s'agit de ce que les médias ont appelé le « phénomène pitbull », qui traduit en fait une déviance profonde du rapport homme-chien. Du chien compagnon, source de distraction ou d'échanges affectifs, ou même à partir du chien dit utilitaire, on peut arriver désormais au chien investi d'une mission de faire-valoir de son maître dans le but d'intimider ou de menacer l'entourage qu'on veut plus ou moins consciemment agresser.
Le lien avec le chien, qui a pu appraître au fil des années comme un facteur d'équilibre pour l'individu, peut, dans cette utilisation déviante, receler un potentiel de dangerosité propre à inquiéter le public et les responsables des collectivités locales. C'est précisément ce qui a motivé l'adoption de mesures spécifiques par les maires les plus concernés, qui ont été amenés à interdire la circulation, voire la détention sur leurs communes de chiens de type pitbull ou de certaines races molossoïdes. Mais les décisions prises par les maires en ce domaine avaient souvent des fondements législatifs très insuffisants.
D'abord anecdotique, le phénomène a pris de l'ampleur, les pitbulls sont passés de quelques centaines en 1993 à plusieurs dizaines de milliers actuellement. Il m'est donc apparu indispensable de proposer un texte de loi qui permette de mettre fin à la mauvaise utilisation de certains chiens, de sanctionner avec des peines adaptées les maîtres malveillants et de rétablir des rapports normaux entre l'homme et le chien. Au demeurant, un certain nombre de parlementaires avaient déposé des propositions de loi ayant le même objet.
Le premier volet de ce projet de loi envisage les mesures à la fois préventives et répressives à l'égard de ceux qui détiennent des animaux potentiellement dangereux.
Tout d'abord, pour répondre aux préoccupations des collectivités locales, il m'est apparu indispensable de renforcer les pouvoirs de police des maires en leur permettant de prendre toutes les dispositions utiles lorsqu'un animal - chien ou autre - leur aura été signalé comme potentiellement dangereux. Ils pourront ainsi prescrire des mesures portant sur le mode de garde de cet animal et, si le propriétaire ne se conforme pas à ces mesures, l'animal pourra lui être confisqué, y compris définitivement, par le maire. Cette disposition sera de nature à faciliter considérablement l'intervention des maires non seulement dans leur mission de maintien de la sécurité publique, mais aussi dans les cas souvent quotidiens de problèmes de voisinage dus à des chiens maîtrisés.
Cette mesure, très générale, ne vise pas un type d'animal plutôt qu'un autre. Elle est d'une grande souplesse et pourra s'appliquer à ces nouveaux animaux de compagnie d'espèces non domestiques, qui peuvent parfois présenter des dangers pour la sécurité des personnes.
La deuxième mesure permettant de renforcer la sécurité des citoyens prévue par ce projet de loi concerne le contrôle de ces chiens et la responsabilisation accrue de leurs maîtres.
Le dispositif repose sur la classification des chiens potentiellement dangereux en deux catégories qui seront soumises à des exigences différentes suivant le degré de risques qu'ils comportent.
Actuellement, ce sont les chiens d'attaque de type pitbull qui, par leurs caractères, leur morphologie et leur nombre, nécessitent des mesures spécifiques. Pour ceux-là, qui seront classés dans la première catégorie dite des chiens d'attaque, le texte prévoit une extinction progressive du type - le type, rappelons-le, n'est pas une race - par l'obligation de stérilisation et une interdiction d'importation, de commerce, de don et d'achat.
Quand on connaît l'importance du trafic dont ces chiens font l'objet, le prix de vente de certains, les élevages clandestins, l'organisation délictueuse de combats et l'inquiétude que ces animaux suscitent aussi bien pour les passants citadins que pour les promeneurs du dimanche en forêt, il est évident que leur élimination progressive est indispensable.
Si d'autres chiens issus de croisements aussi préoccupants devaient apparaître, la loi permettra de prendre, très rapidement, par voie réglementaire, en complétant la liste des chiens de première catégorie, des mesures contraignantes qui éviteront une nouvelle prolifération semblable à celle du pitbull.
La deuxième catégorie, celle des chiens dits de garde et de défense, sera composée par des types à fort tempérament et à morphologie suffisamment conséquente pour requérir des précautions.
Pour l'ensemble des propriétaires de chiens potentiellement dangereux - des deux catégories - le texte met en place un système de responsabilisation accrue, avec une déclaration obligatoire à la mairie, accompagnée d'obligations de vaccination, d'identification et de souscription d'une police d'assurance. En outre, l'étude du comportement de ces chiens confirme qu'ils ne sont pas à mettre entre toutes les mains. C'est pourquoi le texte prévoit une interdiction de détention aux mineurs et aux personnes condamnées pour violence.
Enfin, ce dispositif, qui permet aux maires de connaître la population des chiens des deux catégories présente sur leur commune, et qui alerte les propriétaires sur la dangerosité potentielle de leur chien, est complété par des mesures visant à prévenir tout risque de morsure. Il est aussi apparu essentiel de prescrire pour l'animal le port de la laisse et de la muselière sur la voie publique, dans tous les lieux ouverts au public, dans les transports en commun et dans les parties communes des immeubles. Les chiens d'attaque, quant à eux, ne pourront pas séjourner dans les parties communes des immeubles et ne pourront circuler que sur la voie publique.
Il m'est également apparu nécessaire d'encadrer le dressage à l'attaque de l'homme, dit dressage au mordant. Seules les activités de surveillance, de gardiennage ou celles qui sont pratiquées dans le cadre de la sélection canine sous l'égide de la Société centrale canine peuvent justifier que l'on maintienne ce type de dressage. La possibilité de pratiquer ce dressage sera réservée à des personnes qualifiées qui, de ce fait, tiendront compte du comportement et des réactions du chien, qui pourra lui-même en tirer pleinement bénéfice pour son équilibre.
Afin de rendre l'ensemble de ces contraintes applicables, une série de sanctions administratives et pénales, qui peuvent aller jusqu'à la confiscation de l'animal, sont prévues. Le chien devrait ainsi retrouver son rôle de compagnon, y compris dans sa dimension utilitaire, mais aux côtés de maîtres pleinement responsables.
Cependant, le projet de loi que je vous présente ne s'intéresse pas aux seuls animaux potentiellement dangereux. Il faut également essayer de trouver des solutions pour les abandons, qui ont lieu par dizaines de milliers chaque année, de chiens et de chats. Ces abandons ont des conséquences, parfois graves, sur la surcharge des fourrières et des refuges. Cette situation m'a conduit à définir les fourrières et les refuges de façon plus précise que ne le prévoyait la loi de 1989. Il s'agit de mieux assurer le maillage de fourrières recueillant les animaux errants entre les communes.
En parallèle, le texte facilite l'adoption en refuge de chiens et de chats trouvés errants et non récupérés par leur propriétaire. Désormais, et cela en relation avec le recul considérable de la rage en France, il ne sera plus nécessaire d'attendre un délai de cinquante jours après leur capture. Après les délais de garde légaux en fourrière de huit jours, l'adoptant s'engagera à respecter la surveillance vétérinaire de l'animal. On devrait ainsi arriver à diminuer la surcharge des établissements qui accueillent les animaux abandonnés.
Dans la même logique de gestion des populations d'animaux sans maîtres, des actions de maintien de colonies de chats libres dans les parcs, jardins ou cimetières ont été menées par les associations de protection animale, avec le soutien des maires concernés. Ces chats vivant en groupes sont donc stérilisés, identifiés et vaccinés, puis remis dans leur lieu de vie habituel. De telles initiatives méritent d'être légalisées et accompagnées systématiquement d'une bonne maîtrise sanitaire de ces animaux.
Après avoir évoqué des aspects plutôt négatifs ayant trait à l'animal dangereux et l'animal abandonné, qui nécessitent un nouveau dispositif législatif, j'en arrive au deuxième volet fondamental de ce texte, qui se situe en fait en amont de ces problèmes. Dans quelles conditions achète-t-on un animal de compagnie ? N'a-t-on pas été poussé à un achat non raisonné par un vendeur peu scrupuleux et même peu respectueux de l'animal ? La principale caractéristique du commerce des animaux est que la vente est, en majorité, exercée par des amateurs qui n'accompagnent pas toujours la vente d'un conseil adapté au futur propriétaire. C'est ainsi que les non-professionnels réalisent 80 % du commerce des chiens et 90 % du commerce des chats.
C'est pourquoi une moralisation de l'élevage, du commerce des animaux de compagnie mais aussi de toutes les activités qui s'y rattachent, comme le dressage, est proposée dans le projet de loi.
Ces activités seront déclarées au préfet du département, seront exercées dans des conditions sanitaires et de protection animale rigoureuses et seront réservées aux seules personnes dont la qualification est reconnue. Ces personnes en contact avec des animaux devront donc être titulaires d'un certificat de capacité attestant leur formation, leur diplôme ou une expérience professionnelle suffisante. Je vous propose également que la vente des chiens et des chats dans les foires, salons ou marchés « tout-venant » soit interdite, que la parution des petites annonces de ventes d'animaux, dont regorgent beaucoup de journaux, surtout à diffusion gratuite, soit réglementée. Les petites annonces de ventes d'animaux devront donc comporter les renseignements nécessaires sur le vendeur et sur les animaux proposés à la vente.
Face également aux problèmes de trafics de chiens et après la loi de 1989, qui avait rendu l'identification des chiens et des chats obligatoire préalablement à tout transfert de propriété, il me semble essentiel de saisir l'occasion de ce texte pour généraliser l'obligation d'identification à tous les chiens de plus de quatre mois ne faisant pas l'objet de cession et qui seront nés après la publication de la loi.
Enfin, les conditions des cessions seront clairement définies : attestations de vente, documents d'information sur l'animal, âge minimal de vente pour les chiots et les chatons, certificat de bonne santé pour les ventes réalisées par des particuliers, autant de contraintes qui devraient contribuer à ce que l'on ne puisse plus vendre un animal comme un simple objet.
La modification de deux articles du code civil proposée ici conforte, du reste, cette nouvelle considération qu'il y aura lieu d'avoir vis-à-vis de l'animal en général.
De plus, le texte instaure, en application d'une directive communautaire de 1995 sur la protection de tous les animaux en cours de transport, un agrément spécifique des transporteurs d'animaux vivants. Il accroît, en outre, les pouvoirs de contrôle en matière de protection animale ainsi que les possibilités d'intervention sur le terrain en cas de mauvais traitements envers les animaux, en prévoyant la possibilité du retrait des animaux.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaiterais souligner que la France est le premier pays possesseur d'animaux de compagnie en Europe et qu'elle doit donc se doter d'un outil législatif efficace. Ce dispositif est très attendu, non seulement par nos concitoyens, mais aussi par les autres Etats membres de l'Union européenne qui, eux aussi, ont à résoudre des problèmes similaires liés aux chiens dangereux et au commerce des animaux.
Ce texte de loi correspond au rôle de plus en plus important dans notre société que joue l'animal de compagnie et à la nouvelle considération dont il devrait faire l'objet. Au travers des exigences nouvelles de la loi, nous espérons redéfinir ces fonctions de l'animal familier dans un contexte d'harmonie et d'équilibre entre les citoyens.
J'ai bon espoir que le dialogue à instaurer avec la Haute Assemblée sur ce projet de loi, qui a été adopté à l'unanimité par l'Assemblée nationale, nous permettra encore d'enrichir un texte que je considère comme équilibré. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Braye, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi soumis aujourd'hui en première lecture à l'examen de la Haute Assemblée est relatif aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux. Comme le rappelait M. le ministre à l'instant, il a été adopté en première lecture par l'Assemblée nationale le 22 avril dernier et a fait l'objet de toute l'attention de la commission des affaires économiques et du Plan du Sénat, notamment de son rapporteur, qui a procédé à quarante auditions de professionnels, spécialistes et représentants des pouvoirs publics, des services de police et de gendarmerie, des organismes cynophiles agréés, de la profession vétérinaire, du secteur de l'élevage et du dressage canins, des associations et fondations de protection des animaux, mais aussi des éthologues et des ethnologues spécialisés dans ce domaine.
A cet instant, je souhaite remercier mon excellent collègue, M. Lucien Lanier, rapporteur pour avis de la commission des lois, avec lequel j'ai pu travailler efficacement et dans la convivialité pour améliorer ce texte qui nous parvient de l'Assemblée nationale.
La commission des affaires économiques a, en effet, souhaité aborder l'examen du texte gouvernemental avec un souci de pragmatisme et d'efficacité, en fondant son avis sur une large consultation de tous les acteurs, intervenants et experts dans les domaines liés aux deux principaux volets de ce projet de loi : la nécessaire réponse au problème des chiens potentiellement dangereux, d'une part, le renforcement attendu de la protection animale, d'autre part.
Le texte du projet de loi présenté par M. le ministre de l'agriculture et de la pêche entend traiter ces deux sujets sur lesquels existe une attente forte de la part de nos concitoyens : celle d'une amélioration des relations entre l'homme et l'animal, notamment l'animal de compagnie. Il s'agit, dans un cas, de mieux protéger l'homme de l'animal - c'est le problème des chiens dits dangereux - et, dans l'autre cas, de mieux protéger l'animal de l'homme ; il s'agit, cette fois, du problème du renforcement de la protection des animaux. Ces deux exigences peuvent paraître au premier abord contradictoires. En fait, il n'en est rien.
La commission et son rapporteur estiment que, lorsque la relation homme-animal se trouve dégradée, c'est, pratiquement toujours - oui, pratiquement toujours - l'homme qui est responsable de cette situation.
Mme Hélène Luc. Bien sûr !
M. Dominique Braye, rapporteur. Ma conception personnelle, partagée par la quasi-totalité des experts du monde animal, est que, lorsqu'un homme est victime d'un animal domestique, c'est parfois sa faute mais le plus souvent, celle d'un autre homme, que ce soit par ignorance, par inconscience, par lâcheté, par malveillance ou par cruauté.
Cette différence d'appréhension du rapport homme-animal explique que le problème des chiens dits dangereux ait été envisagé sous un angle sensiblement différent de celui du Gouvernement par la commission des affaires économiques.
En revanche, le renforcement de la protection des animaux qui est prévu par le texte du projet de loi a rencontré un assentiment unanime de la commission et de son rapporteur, qui ont approuvé l'essentiel du dispositif relatif à la protection animale.
Quoi qu'il en soit, ce texte et sa discussion au Parlement étaient très attendus, car il s'agit de répondre au phénomène de la place croissante des animaux, notamment de compagnie, dans notre société. La présence de l'animal est génératrice de nombreux bénéfices et avantages pour l'homme, mais lui crée en même temps de nouveaux devoirs, de nouvelles charges et contraintes, et bien sûr, aux marges de ce phénomène essentiellement positif, apparaît parfois le risque de nouveaux dangers. Ces risques, la société se doit de les contrôler au maximum, d'abord, naturellement, par l'adoption d'un cadre législatif approprié, et c'est ce que nous allons tenter de faire aujourd'hui.
C'est ainsi que huit propositions de loi, concernant les chiens dits dangereux, issues à parts égales d'initiatives de sénateurs et de députés, ont été déposées récemment sur le bureau des deux assemblées. M. Philippe Vasseur, votre prédécesseur, monsieur le ministre, avait, lui aussi, déposé le 9 avril 1997, sur le bureau de l'Assemblée nationale, un projet de loi visant « à modifier les dispositions du code rural relatives à la protection des animaux et à la garde des animaux domestiques, ainsi que certains articles du code civil ». Ce projet de loi constitue d'ailleurs le socle sur lequel a été élaboré celui que nous examinons aujourd'hui, et qui a été également inspiré par le rapport fait par M. Georges Sarre au ministre de l'intérieur et concernant « les mesures à prendre pour réglementer la vente, la possession et l'usage des chiens d'attaque ».
C'est sur les mesures préconisées par ce rapport, et qui ont été reprises dans le texte que nous examinons aujourd'hui, que la commission des affaires économiques et son rapporteur ont exprimé le plus de réserves. L'analyse du phénomène des risques liés aux chiens dits dangereux leur a semblé en partie erronée, notamment quant aux responsabilités à mettre en cause. Par voie de conséquence, les solutions avancées par le rapport Sarre et par l'actuel projet de loi ne leur sont pas toujours apparues les plus pertinentes pour résoudre ce problème difficile, même si, naturellement, de nombreux points de convergences subsistent.
Avant de revenir plus spécifiquement sur le sujet des chiens potentiellement dangereux, source d'analyses différentes et de nouvelles propositions, il convient de rappeler que le volet « protection animale » de ce texte, notamment son aspect relatif à la moralisation du commerce des animaux de compagnie, a rencontré une approbation globale de la part de notre commission, de son rapporteur et des personnalités qui ont été auditionnées.
Je souhaite rappeler que l'animal de compagnie, avant d'être un souci, un problème ou un danger, représente avant tout un apport extrêmement positif pour l'homme. Pour un accident causé à l'homme par un animal, combien de milliers de personnes voient leur vie éclairée et embellie par la présence ou la possession d'animaux de compagnie ? Sans parler des vies humaines rendues meilleures ou mêmes sauvées par ces animaux.
L'animal de compagnie occupe une place sans cesse croissante dans notre société, notamment en milieu urbain, non seulement en raison de son rôle traditionnel de compagnon, mais aussi et surtout parce qu'il rétablit chez le citadin un lien vital avec le milieu naturel, dont il est hélas ! de plus en plus éloigné.
Monsieur le ministre, cela devra d'ailleurs nous amener, un jour ou l'autre, à étudier cette question de manière approfondie et à proposer des solutions au problème spécifique de la place de l'animal dans la ville et à toutes ses conséquences.
En effet, ce phénomène est particulièrement sensible en France, où nous observons l'un des plus forts taux de possession d'animaux de compagnie par habitant : en 1997, 52 % des ménages français possédaient un animal de compagnie, dont 45 % au moins un chien ou un chat. Actuellement il y aurait près de 47 millions d'animaux familiers dans notre pays, dont 7,9 millions de chiens, 8,4 millions de chats - donc plus de chats que de chiens - 5,8 millions d'oiseaux, 4,7 millions de rongeurs et 23 millions de poissons, sans compter tous les autres animaux de compagnie : tortues, reptiles et autres mygales.
Cet engouement croissant s'explique par les apports multiples de l'animal de compagnie à l'homme. Il lui permet, je l'ai rappelé voilà un instant, de renouer avec la nature ; il est source d'affection, de réconfort, de divertissement, de sécurité, d'équilibre, de responsabilisation, et même de bénéfices thérapeutiques. En effet, de nombreuses études et expériences scientifiques témoignent du rôle extrêmement positif joué par l'animal de compagnie, que ce soit en milieu hospitalier, au domicile du malade ou en milieu ouvert.
Comment vous l'avez tous récemment appris, mes chers collègues, on a pu mettre en évidence, aux Etats-Unis, que des enfants autistes ou handicapés mentaux retiraient un immense profit du contact quotidien avec des dauphins apprivoisés et réalisaient de ce fait des progrès comportementaux jamais constatés jusqu'à ce jour avec toutes les autres méthodes thérapeutiques. Personne n'ignore non plus l'aide précieuse, apportée par des chiens dressés spécifiquement, à l'autonomie de personnes aveugles ou handicapées moteur, entre autres individus.
Depuis des milliers d'années, le chien - puisqu'il est au coeur du dispositif du présent projet de loi, et qu'il convient donc d'en parler - est le compagnon le plus proche et le plus utile de l'homme ; il l'aide à la chasse, garde ses troupeaux et ses biens, le défend, le sécurise, l'accompagne.
Avec le temps, l'homme lui a dévolu des rôles de plus en plus spécifiques : chien d'avalanche, chien détecteur de stupéfiants, chien guide, chien de secours lors des catastrophes naturelles, chien sauveteur en mer.
Compagnon et auxiliaire, telle est la première fonction du chien auprès de l'homme.
Naturellement, tous les animaux de compagnie ne jouent pas un rôle aussi abouti que celui du chien, mais ils sont tous source de passion, d'équilibre et de responsabilisation.
Enfin, l'animal de compagnie représente une dimension économique considérable. Elevage, dressage, vente, gardiennage, entretien et toutes autres activités sont des enjeux économiques importants. A titre d'exemple, le seul marché de l'alimentation de l'animal de compagnie, qui est en plein essor à l'heure actuelle, atteint déjà 13,5 milliards de francs par an dans notre pays.
Les activités liées à l'animal de compagnie représentent un secteur économique porteur, créateur de richesses et d'emplois.
C'est pourquoi le législateur doit s'y intéresser, notamment en ce qui concerne le commerce des animaux de compagnie, qu'il est nécessaire d'encadrer et de moraliser, ce qui va de pair avec le devoir de protection de l'animal, reconnu depuis 1976 par notre législation comme un « être sensible ».
A cet égard, le projet de loi qui nous est soumis, sous réserve de l'adoption de quelques amendements que je soumettrai à votre approbation, mes chers collègues, emporte mon assentiment : l'instauration d'un régime de déclaration et de règles sanitaires et professionnelles pour l'exercice, à titre commercial, d'activités liées à l'animal, ainsi que pour la gestion de refuges et fourrières est une mesure bienvenue. La lutte accrue contre les abandons et les trafics, notamment par l'identification obligatoire de tous les chiens, est tout à fait souhaitable. Je vous proposerai même un amendement tendant à généraliser cette obligation d'identification aux chats, dont le nombre, je le disais tout à l'heure, a maintenant dépassé celui des chiens dans notre pays, tendance qui se confirme chaque jour un peu plus. De même, la moralisation du régime des petites annonces de cession de chats et de chiens était-elle largement attendue et souhaitable.
L'interdiction des ventes d'animaux de compagnie dans les manifestations commerciales qui ne leur sont pas exclusivement consacrées semble aussi une mesure de bon sens, permettant de moraliser davantage le commerce de ces animaux.
Je proposerai à votre sagacité, mes chers collègues, certains amendements susceptibles d'améliorer encore - je le souhaite - ce dispositif de moralisation du commerce des animaux, comme l'interdiction de vente de chiens ou de chats à des mineurs de moins de seize ans.
L'achat « coup de coeur », sans mesurer les responsabilités et les contraintes que l'acquisition d'un animal entraîne, et qui est cause de la majorité des abandons, doit être impérativement prévenu. Combien de fois, au cours des vingt-cinq années de ma carrière de vétérinaire, ai-je dit à des clients pressés qu'il n'était pas normal d'acheter un animal en trois minutes, alors que pour faire l'acquisition d'un téléviseur ou d'une machine à laver, il leur fallait trois heures d'intenses réflexions, si ce n'était trois jours ?
Sous réserve de certaines modifications ou précisions, la commission des affaires économiques approuve donc le volet « protection animale » de ce projet de loi, qui traite de la vente et de la détention des animaux de compagnie dans son chapitre II, du transport des animaux dans son chapitre III, de l'exercice des contrôles dans le chapitre IV ou de dispositions diverses dans le chapitre V. Le renforcement des sanctions prévues par l'Assemblée nationale, particulièrement en cas de mauvais traitements à animaux de compagnie, lui semble, notamment, tout à fait pertinent.
Reste le chapitre Ier intitulé « Des animaux dangereux et errants ». La principale pierre d'achoppement entre la position de la commission des affaires économiques et son rapporteur, d'une part, et le texte du projet de loi, d'autre part, réside dans le traitement du problème des chiens potentiellement dangereux, puisqu'il s'agit essentiellement d'eux.
Mais certains points du dispositif visés par ce chapitre ne posent pas de problème particulier : la commission et son rapporteur approuvent le renforcement des pouvoirs du maire pour prévenir les dangers potentiels, liés au comportement agressif d'un animal et l'interdiction faite à certaines catégories de personnes de détenir des chiens potentiellement dangereux, ou encore certaines des mesures visant à définir les modalités selon lesquelles ces chiens potentiellement dangereux peuvent être promenés sur la voie publique ou dans les espaces ouverts au public. De même, l'introduction de certaines dispositions en matière de dressage recueillent mon assentiment et celui de la commission des affaires économiques.
Les mesures contribuant à améliorer les conditions de fonctionnement des fourrières me semblent aussi, à quelques réserves près, judicieuses.
A l'inverse, est apparue une forte divergence en ce qui concerne l'analyse du problème de fond posé par les risques liés aux chiens potentiellement dangereux et les solutions à y apporter.
Monsieur le ministre, je résumerai cette divergence en disant que nous avons considéré que le texte proposé à notre examen abordait le problème par « le mauvais bout de la laisse », formule certes imagée, mais qui a le mérite de la clarté. Selon moi, c'est une certaine méconnaissance du chien qui est à l'origine des solutions avancées dans le chapitre Ier, lesquelles me semblent à tort trop incriminer certaines races ou certains types de chiens et insuffisamment certains propriétaires de ces chiens, qui, eux, les ont effectivement rendus dangereux.
Pour moi, en tant que vétérinaire, et pour la quasi-totalité des spécialistes du monde canin que j'ai auditionnés, le problème des chiens dangereux est avant tout un problème de propriétaires dangereux. Nier cette évidence, monsieur le ministre, mes chers collègues, reviendrait à nier la notion même d'éducation et de dressage qui détermine les relations homme-chien depuis la nuit des temps.
Ce qui est en cause, c'est le problème de l'usage inconscient, déviant, malveillant, voire délinquant qu'une minorité de propriétaires font de leurs chiens.
Mme Hélène Luc. Eh oui ! C'est précisément là qu'il faut agir !
M. Dominique Braye, rapporteur. Où ce problème de prolifération de chiens dits dangereux et d'agressions se pose-t-il le plus fréquemment et avec la plus grande acuité ? Nous le savons tous : dans certains quartiers difficiles, où l'on trouve également le plus de problèmes liés à l'insécurité, et à la délinquance de façon générale.
Tout le problème est là, mes chers collègues.
C'est donc bien une question d'utilisation de ces chiens qui se pose, et avant tout un problème de comportement de certains propriétaires qui s'en servent comme « arme par destination », à des fins d'intimidation, de racket, de protection de trafics de drogue, d'attaque contre les forces de l'ordre, ou encore de combats clandestins, ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le ministre.
Ne nous y trompons pas, monsieur le ministre, le problème que nous avons à traiter est bien celui des propriétaires dangereux et des propriétaires délinquants. Si nous n'en sommes pas persuadés, je crois qu'il vaut mieux s'abstenir de légiférer, car non seulement nous ne résoudrons rien, mais, pis encore, nous aggraverons les choses.
Un double constat s'impose à tous les spécialistes de ce problème des chiens potentiellement dangereux.
D'une part, il existe non pas des types et des races de chiens dangereux par nature ou par essence, mais uniquement des types ou des races de chiens potentiellement dangereux en raison de leurs caractéristiques physiques ou psychologiques.
D'autre part, tout chien, je dis bien « tout chien », et je pèse mes mots, est susceptible, quels que soient sa race ou son type, de devenir agressif et donc dangereux s'il est suffisamment gros et fort, et s'il est confié à un maître qui l'élève mal, l'éduque mal, le maltraite ou, pis encore, le dresse spécifiquement en vue de devenir dangereux.
Premier constat, donc : il n'y a pas de chiens dangereux par nature ; il y a seulement des chiens potentiellement dangereux - j'insiste sur le mot « potentiellement » - qui le sont plus ou moins en raison de leurs caractéristiques physiques, c'est-à-dire de leur force, de leur poids et donc de la puissance de leur machoire.
Il est évident que, si un chihuahua, qui pèse moins de 800 grammes, vous mord la jambe, le bas de votre pantalon ou votre collant pourraient alors en garder les traces ; mais il faudra en revanche prendre garde à ne pas secouer trop fortement la jambe si vous ne voulez pas infliger à ce petit chien de graves lésions par projection sur un obstacle voisin. (Sourires.)
Cependant, si un rottweiler, un labrador, un boxer ou un berger allemand vous mord la jambe et que vous secouez fortement celle-ci, en supposant que vous le puissiez, c'est un morceau de votre jambe qui risque de vous quitter à tout jamais ! (Nouveaux sourires.) Cela, c'est l'évidence ! Mais le vrai problème, pour nous, est de savoir pourquoi ce chien vous a mordu afin de pouvoir prévenir tout accident. C'est assurément parce que son maître n'a pas exercé une surveillance suffisante ou, comme cela se voit, hélas ! de plus en plus fréquemment, parce qu'il aura transformé son animal en une bête dangereuse par son incompétence, sa bêtise, sa malveillance ou son agressivité : c'est le second constat qui s'imposait.
La solution consiste-t-elle donc, monsieur le ministre, à décider que le pitbull, ou tout autre type ou race de chien, molossoïde ou autre d'ailleurs, doit être désormais éradiqué, ou bien vaut-il mieux responsabiliser les propriétaires, encadrer strictement la détention et l'usage des chiens potentiellement dangereux et sanctionner lourdement les contrevenants ?
Je pense pour ma part, tout comme la majorité écrasante des experts du monde canin, que la seule solution possible est la seconde, tout simplement parce que c'est toujours le propriétaire du chien qui est à l'origine des accidents que celui-ci peut causer.
Monsieur le ministre, le dispositif que vous nous proposez méconnaît cette évidence et, si nous ne l'améliorons pas, non seulement il se révélera inopérant mais, de plus - c'est beaucoup plus grave - il accroîtra le phénomène. Créer deux catégories de chiens dangereux, dont la première serait vouée à l'éradication et le seconde à un contrôle strict, pose en outre des problèmes insolubles : sur la base de quels critères classer un type ou une race de chien en première ou en deuxième catégorie ? Le pitbull doit-il être classé en première catégorie et le berger allemand en deuxième catégorie ? Il est vrai que le berger allemand n'est pas un molossoïde et que, depuis que Rintintin et Mabrouk sont devenus des vedettes de la télévision, il a la sympathie de la majorité de nos concitoyens et aussi - je dois le confesser - la mienne. Pourtant, il est le chien qui provoque le plus d'accidents graves et mortels dans notre pays : plus de 90 %. Quant aux croisements de races indéfinis, seront-ils classés en première ou en deuxième catégorie ? Et que faire quand apparaîtront de nouvelles races ?
Si vous interdisez demain telle race ou tel type de chien, ne vous y trompez pas, monsieur le ministre, ne nous y trompons, pas mes chers collègues : les délinquants délaisseront les chiens incriminés au profit d'autres races ou d'autres types de chiens. Après le pitbull, ce sera le boer bull, puis le rottweiler et, ensuite, le berger allemand, le doberman, le boxer et tous les autres. Allons-nous éradiquer petit à petit tous les chiens potentiellements dangereux à cause des agissements délinquants d'une infime minorité de propriétaires alors que l'immense majorité des propriétaires de ces chiens sont des gens responsables, équilibrés et pacifiques ?
Au fait, je me suis demandé pourquoi le pitbull avait été désigné pour être la victime expiatoire dans votre dispositif, monsieur le ministre.
Mme Hélène Luc. C'est parce qu'il cause des accidents !
M. Dominique Braye, rapporteur. Je n'ai trouvé qu'une seule raison, madame Luc : c'est parce que cela arrange tout le monde ! Ainsi, il n'est pas reconnu par les organismes cynophiles officiels, il a été à la mode auprès des jeunes des quartiers difficiles et, enfin - cela compte beaucoup - son esthétique n'est manifestement pas prisée par la quasi-totalité des adultes de vingt-cinq à cent quinze ans.
Mais, monsieur le ministre, d'après les statistiques, c'est un chien responsable de très peu d'accidents et d'aucun mort sur notre territoire. Nous devons donc reconnaître que le phénomène pitbull est une création médiatique. Le Parlement doit-il répondre à un phénomène purement médiatique par une réponse superficielle et médiatique ? Je ne le crois pas et, en tout cas, je m'y refuse personnellement.
Non, monsieur le ministre, décidément, je ne peux pas vous suivre dans cette logique qui ne tient compte ni de la réalité de ce qu'est le chien - tous les spécialistes, à l'unanimité, défendent ce point de vue - ni des véritables coupables que sont les propriétaires dangereux. C'est l'homme qui façonne le comportement du chien et non l'inverse.
J'aurais très bien pu amener aujourd'hui de part et d'autre de cette tribune - mais ma requête a été refusée ! - dix rottweillers et dix dobermans en liberté sans que cela crée le moindre incident - hormis peut-être des manifestations de sympathie un peu exubérantes - parce que ces chiens étaient correctement dressés. (Sourires.)
Je prendrai un exemple à l'appui de cette thèse : le centre d'instruction canine de la gendarmerie nationale, imprégné comme nous tous par les médias et prenant pour argent comptant ce que la rumeur colporte, a acquis, voilà quelque temps, deux pitbulls destinés à la formation des gendarmes pour la capture des chiens dangereux. Bien entendu, ces deux pitbulls, placés entre les mains de personnes responsables et compétentes, se sont révélés être de très bons chiens. Ils n'ont donc pu ni l'un ni l'autre satisfaire à la mission initiale à laquelle ils étaient destinés, c'est-à-dire l'entraînement des personnels pour les chiens dangereux !
Comme il fallait les utiliser au mieux de leurs capacités, l'un d'eux est devenu chien d'avalanche et l'autre a été dressé à la recherche de stupéfiants. Ces deux pitbulls, monsieur le ministre, sont aujourd'hui destinés à sauver des vies humaines.
Cette anecdote est édifiante, car elle résume toute la problématique du chien dit « dangereux ».
A l'exception des chiens tarés que l'on trouve dans toutes les races - et si ce n'était que chez le chien... - un bon maître fera toujours un bon chien, alors qu'un maître dangereux fera presque toujours un chien dangereux.
La leçon à tirer de cela est, comme je le disais précédemment, qu'il est impératif de prendre le problème par « le bon bout de la laisse » : il faut encadrer strictement la détention et l'usage des chiens potentiellement dangereux. Je préconise, pour ce faire, un régime d'autorisation de détention allant plus loin que le simple dispositif de déclaration prévu par le projet de loi.
Déclarer un chien en mairie n'est pas une garantie de sécurité suffisante. Or cette exigence de sécurité, nous la devons à nos concitoyens. Sans aller jusqu'à retenir un régime de permis de détention - ce système a pourtant été institué avec bénéfice en Allemagne - qui, je le reconnais, serait compliqué à mettre en place actuellement dans notre pays, il me paraît très important d'adopter une disposition plus contraignante que la simple déclaration : il s'agit de l'autorisation de détention délivrée par le maire de la commune de résidence du chien ; ce maire, placé au plus près des « réalités du terrain », sera le plus apte à vérifier si une personne peut ou non détenir un chien potentiellement dangereux, cette définition du chien potentiellement dangereux visant alors une seule catégorie de chiens, plus large que celle qui est prévue pour définir la deuxième catégorie du texte actuel.
Ce faisant, le dispositif que je propose revient à supprimer la première catégorie, dans laquelle il était prévu de ne placer presque exclusivement que des pitbulls qui, je le répète, ne sont nullement les chiens les plus dangereux, comme toutes les statistiques le prouvent.
Si nous agissons de la sorte, les individus dont le jeu favori est de jouer « aux gendarmes et aux voleurs » avec les forces de l'ordre se trouveront confortés dans leur attitude provocatrice. Ils continueront à anticiper les décisions réglementaires, comme ils ont déjà commencé à le faire en délaissant depuis dix-huit mois les pitbulls pour se rabattre notamment sur les rottweilers.
A ce jeu-là, monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous ne prenons pas les bonnes décisions, le législateur ne sera pas gagnant et courra toujours en vain après les délinquants sans jamais les rattraper.
Une anecdote qui m'aurait fait sourire si je ne l'avais vécue sur le terrain, dans le climat de provocation et de tension que l'on peut connaître dans les quartiers difficiles, illustre bien cet aspect des choses : les huit communes du district urbain de Mantes-la-Jolie, que j'ai l'honneur de présider, ont pris, voilà un an, des arrêtés municipaux prescrivant, entre autres dispositions, le port de la muselière dans les lieux publics pour certains chiens. Que croyez-vous que les propriétaires imaginèrent pour narguer les forces de l'ordre ? Le port de la muselière, certes, mais posée au sommet du crâne du chien !
Si nous ne voulons pas que cette attitude se généralise, il nous faut trouver en la matière les solutions les plus efficaces pour viser directement les mauvais propriétaires et les propriétaires délinquants.
La définition des chiens potentiellement dangereux relèverait naturellement toujours de l'arrêté interministériel, mais il serait souhaitable que les critères pris en compte pour le classement dans cette catégorie unique des chiens potentiellement dangereux soient objectifs. Pour ce qui concerne la morphologie, il serait pertinent de fixer un poids minimal de l'animal : plus de 15 ou 20 kilogrammes, par exemple. Par ailleurs, les organismes cynophiles agréés devraient être consultés avant toute prise d'arrêté ministériel définissant cette catégorie, afin qu'ils apportent leur savoir et leur expérience en matière de critères psychologiques.
Les maires, pour prendre leur décision d'autoriser ou non la détention de ce type de chiens, pourront s'appuyer sur les avis des services vétérinaires départementaux et des services de police et de gendarmerie, sans oublier de consulter un fichier national des personnes auxquelles la garde d'un animal aura été retiré. Ils pourront en outre être aidés par le comité départemental de lutte contre les animaux dangereux, placé auprès du préfet.
Cette disposition compléterait utilement l'interdiction de détention des chiens potentiellement dangereux par les mineurs et les personnes condamnées pour crime ou pour délit inscrit au bulletin n° 2 du casier judiciaire et par les personnes auxquelles la garde d'un animal a été retirée, individus qu'il convient de pouvoir identifier avant la délivrance de toute autorisation de détention.
Naturellement, la gestion de ce fichier national des personnes auxquelles la garde d'un animal aura été retirée devra présenter toutes les garanties requises par la Commision nationale de l'informatique et des libertés en pareil cas.
Cette gestion serait confiée à une commission nationale spécialisée, composée non seulement de représentants des ministres de l'agriculture, de l'intérieur, de la justice et de la défense, mais aussi de représentants des associations et fondations de protection des animaux et des organismes cynophiles agréés.
Ce dispositif me paraît susceptible d'encadrer efficacement à l'avenir la détention des chiens susceptibles d'être dangereux et, particulièrement, d'éviter que ceux-ci ne tombent trop facilement entre de mauvaises mains.
Bien entendu, l'autorisation de détention délivrée par le maire serait toujours soumise, comme le prévoit déjà le projet de loi, à la production, par le demandeur de l'autorisation, de documents justifiant de l'identification du chien, de la vaccination antirabique en cours de validité et de la souscription d'une assurance responsabilité civile.
Voilà pour le cadre juridique de la détention de tels animaux.
Concernant la conduite des chiens potentiellement dangereux, il convient de préciser les modalités suivant lesquelles elle doit être encadrée. Tous les chiens potentiellement dangereux devront être tenus en laisse et muselés sur la voie publique, dans les lieux ouverts au public, dans les transports en commun, ainsi que dans les parties communes des immeubles collectifs, où ils seront de plus interdits de stationnement.
Tel est, monsieur le ministre, mes chers collègues, le dispositif que je vous propose ; il répond à une triple exigence : celle de l'efficacité, celle de la sécurité et celle de la responsabilisation des maîtres.
De la sorte, les dérives dues aux propriétaires malveillants, inconscients ou délinquants pourront être petit à petit réglées de façon définitive.
La lisibilité, la cohérence, mais surtout la rigueur du dispositif que je préconise au nom de la commission des affaires économiques - il a été adopté, je le rappelle, à l'unanimité - apparaîtra clairement au grand public et à tous les propriétaires de chiens, y compris aux mauvais propriétaires et aux propriétaires délinquants, qui seront directement visés.
Ce projet de loi prévoit par ailleurs des sanctions sévères en cas de non-respect des mesures spécifiques énoncées auparavant.
Le problème du mauvais usage des chiens dangereux ne sera in fine réglé que lorsque cette loi sera appliquée dans toute sa rigueur sur l'ensemble du territoire français, particulièrement dans les quartiers réputés difficiles. Il s'agit là d'une question de volonté politique qui doit conduire à exclure toute zone de non-droit de notre territoire, et pas seulement en matière de chiens potentiellement dangereux.
Les Américains, avec leur pragmatisme coutumier, ont une formule pour cela : When there is a will, there is a way ; quand il y a une volonté, il y a un moyen.
Sous réserve, donc, des modifications préconisées par la commission des affaires économiques et son rapporteur, nous aurons, avec ce texte, un moyen législatif efficace qui permettra sans nul doute de régler le problème des chiens dangereux, à la condition expresse, monsieur le ministre, qu'il soit relayé par une forte volonté politique, c'est-à-dire par la mise en place des moyens nécessaires indispensables sur le terrain.
Je voterai donc le texte du projet de loi qui nous est soumis, sous réserve, naturellement, de l'adoption des amendements que je présenterai au nom de la commission des affaires économiques.
Je conclurai mon propos, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en insistant sur le fait que le dispositif que je préconise concernant ce problème des chiens potentiellement dangereux est issu non seulement d'une analyse consensuelle avec les experts du monde canin, mais aussi d'une expérience personnelle de vingt-cinq années d'exercice de la profession vétérinaire et d'une pratique quotidienne de mon rôle d'élu local en charge de quartiers difficiles, puisque que je suis président du district urbain de Mantes-la-Jolie.
Vétérinaire et élu local confronté à la délinquance, j'ai été conforté dans mon choix des solutions à apporter au problème des chiens dits « dangereux » par toutes les auditions que j'ai menées et par l'avis des membres de l'Académie vétérinaire de France, avis dont j'ai pris connaissance après la définition de mon projet et qui confirme point par point ce que je vous propose aujourd'hui.
Je souhaite donc, monsieur le président, mes chers collègues, que la majorité d'entre vous adoptera les améliorations préconisées à l'unanimité par la commission des affaires économiques et du Plan à un texte par ailleurs très attendu et souhaitable, qui garantira mieux la qualité du lien unissant l'homme à l'animal de compagnie, qui contribuera à mieux assurer la sécurité de nos concitoyens et qui permettra de faire comprendre à une certaine population des quartiers difficiles que l'on ne peut plus impunément intimider ou agresser autrui en utilisant un animal. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Lucien Lanier, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis vise, comme il vient d'être dit, à remédier aux graves dommages causés par l'utilisation de certains chiens aux fins d'impressionner le public ou à des fins délinquantes ou non délinquantes.
Voilà seulement quelques années, les maux qui pouvaient être causés par les chiens dits « méchants » à l'époque ne dépassaient pas la rubrique des faits divers ; ils étaient passibles, le plus souvent, de simples contraventions et, quelquefois, ils ne suscitaient que les sourires des lecteurs de la presse.
Mais le phénomène a pris une ampleur telle qu'il continue de s'accroître au point de devenir un problème de société.
Trois déraisons en sont la cause.
Il s'agit, d'abord, du comportement psychique de certains individus pour qui la possession d'un chien d'attaque ou de combat devient la marque d'une volonté de puissance qu'ils ne trouvent pas en eux-mêmes.
Il s'agit, ensuite, de l'évolution du marché, et donc du nombre de ces types de chien, dont le plus désigné, bien sûr, est le pitbull, chien sans race mais résultat de savants croisements hybrides qui en appellent d'autres encore plus redoutables. Les chiffres sont révélateurs : une centaine de pitbulls en France en 1993 ; plus de quarante mille aujourd'hui. Le nom même de l'animal est significatif : il vient de l'anglais pit, arène, et Bull, taureau.
Il s'agit, enfin, de l'augmentation inquiétante du nombre d'incidents devenus de plus en plus de graves accidents, dont sont souvent victimes les enfants et les personnes âgées.
Nombre de maires se sont inquiétés du développement de cette forme d'insécurité, en particulier dans certains grands ensembles urbains, où le chien d'attaque peut être assimilé à une arme.
Quatre propositions de loi ont déjà été renvoyées à la commission des lois à ce sujet. Le présent projet de loi en reprend les principaux arguments.
La commission des affaires économiques en est saisie au fond et nous venons d'entendre l'excellent et remarquable rapport de notre collègue et ami Dominique Braye, qui, bien entendu, est orfèvre en la matière.
Ce projet comporte pourtant un important dispositif pénal. Il intéresse, au titre législatif, la commission des lois, qui en est ainsi saisie pour avis. Toutefois, le droit existant comporte déjà de nombreuses dispositions à la fois préventives et répressives, mais celles-ci se révèlent insuffisantes.
C'est ainsi que l'article 1385 du code civil admet le principe de la responsabilité civile du propriétaire de l'animal qui a causé le dommage, à charge bien entendu pour le propriétaire de prouver que le dommage résulte du fait d'un tiers, ou même de la victime.
Par ailleurs, le code pénal prévoit deux types de sanctions, soit pour l'excitation ou la non-retenue d'un animal agressif, soit pour la divagation d'un animal dangereux. Mais ces sanctions ne dépassent pas le niveau des contraventions. C'est pourquoi, d'ailleurs, la juridiction les a aggravées par le délit de blessure volontaire ou par le délit de risque causé à autrui, dans la mesure, bien entendu, où ces délits sont constatés et prouvés.
Mais le droit actuel prévoit également des mesures de prévention, conséquences des pouvoirs du maire, qu'il s'agisse de son pouvoir de police générale, que précise le code général des collectivités locales, ou du pouvoir qu'il détient de l'article 213 du code rural concernant les animaux domestiques.
Enfin, rappelons-le, la loi antiterroriste de 1996 a complété le code pénal en précisant que « l'utilisation d'un animal pour tuer, blesser ou menacer est assimilée à l'usage d'une arme », créant ainsi la circonstance aggravante et transformant en délit des comportements qui étaient jusque-là, je le répète, passibles de simples contraventions.
On peut donc constater qu'un dispositif répressif apparaît déjà fort développé. Mais il est épars, disséminé au travers des différents codes. Il est surtout insuffisant face à la montée d'un péril réel, et il laisse les maires démunis pour une action efficace et trop souvent désavouée.
En effet, plusieurs arrêtés municipaux ont été contestés en justice et déclarés illégaux comme excédant les pouvoirs de police du maire.
De même, certaines mesures, pourtant préventives, prises par des organismes d'HLM, particulièrement assujettis aux problèmes des animaux d'attaque, ont été également jugées illégales.
Dans ces conditions, il apparaît nécessaire, voire indispensable, que le législateur intervienne de manière spécifique pour endiguer un phénomène en voie d'expansion et face auquel les acteurs concernés se trouvent désemparés.
Plusieurs pays de l'Union européenne ont déjà adopté une législation très restrictive : les Pays-Bas, le Danemark et, surtout, la Grande-Bretagne, qui est allée jusqu'à l'interdiction à terme des chiens sans race, effets de croisements hybrides, sur son territoire.
De 1995 à 1997, quatre propositions de loi, émanant de MM. Xavier Dugoin, Serge Mathieu, Nicolas About et Christian Demuynck, ont été déposées sur le bureau du Sénat, toutes orientées dans le même sens. Elles ont incité à l'élaboration en 1997 d'un rapport du député Georges Sarre, remis au ministre de l'intérieur et dont s'inspire le présent projet de loi.
Ce texte reprend aussi largement un projet de loi présenté en 1997 par le ministre de l'agriculture, Philippe Vasseur, projet qui a été déposé, mais qui n'a pu être discuté en raison des circonstances.
Parmi les cinq chapitres du présent projet de loi, six articles sont susceptibles d'intéresser la commission des lois dans le cadre de sa saisine pour avis.
L'article 1er permet au maire de prescrire au propriétaire d'un animal présentant un danger de prendre certaines mesures préventives. En cas d'inexécution, le maire peut placer l'animal dans un lieu de dépôt ; de plus, si le propriétaire n'offre pas les garanties suffisantes pour respecter les mesures préventives, le maire peut autoriser le gestionnaire du lieu de dépôt à faire euthanasier l'animal ou à en disposer.
L'article 2, coeur du dispositif, crée un certain nombre d'infractions nouvelles tendant, d'une part, à mettre fin à une nouvelle forme d'insécurité et, d'autre part, à faire disparaître à terme du territoire français certains types de chiens dangereux.
Comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, les chiens dangereux seraient classés en deux catégories : les chiens d'attaque et les chiens de garde et de défense. Le classement devrait être défini par arrêtés conjoints des ministères de l'intérieur et de l'agriculture.
Les mineurs, les majeurs en tutelle, les condamnés pour crime ou à emprisonnement pour délit ne pourraient détenir ce type de chien, et le non-respect de cette interdiction serait passible de trois mois de prison et de 25 000 francs d'amende.
Le propriétaire d'un chien dangereux devrait le déclarer en mairie, avec délivrance d'un récépissé justifiant l'identité du chien, sa vaccination contre la rage, sa stérilisation s'il s'agit d'un chien d'attaque, la souscription d'une assurance garantissant la responsabilité civile du propriétaire.
Les chiens d'attaque ne pourraient avoir accès aux lieux publics et aux locaux ouverts au public. Sur la voie publique, la muselière - placée sur le museau, bien sûr - serait obligatoire.
Par ailleurs, afin de faire disparaître à terme du territoire les chiens sans race mais issus de croisements hybrides destinés à accroître leur potentiel agressif, l'importation, l'acquisition et la cession de ces animaux seraient interdites et punies de six mois de prison et de 100 000 francs d'amende. La commission saisie au fond présentera à ce sujet un amendement qui nous a été très largement exposé par M le rapporteur et nous aurons tout à l'heure l'occasion de l'examiner.
Enfin, le dressage des chiens « au mordant » serait interdit, sauf pour certaines associations agréées à des fins de surveillance ou de transport de fonds. La peine serait de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende.
Voilà pourquoi il a paru à la commission des lois que l'article 2 conditionnait tout le dispositif institué par le présent projet de loi.
L'article 8 tend à modifier le code rural pour mieux définir les conditions de placement de l'animal dans un lieu de dépôt par suite d'une procédure judiciaire.
L'article 19 tend à modifier le code pénal concernant les sévices infligés aux animaux pour prévoir que le juge peut interdire la détention d'un animal.
Enfin, les articles 20 et 21 tendent à établir une distinction dans les articles 524 et 528 du code civil entre l'animal, « être sensible », et les choses, qui sont censées ne pas l'être, même si le poète s'interrogeait : « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? »
Ce projet de loi comporte donc la création d'un nombre important de délits nouveaux.
Quels sont les critères sur lesquels est fondé l'avis de la commission des lois ?
D'abord, il importe de reconnaître que, si le comportement agressif ou dangereux de certains chiens dépend des caractères morphologiques de l'animal et de son instinct, il dépend aussi, et peut-être davantage, du comportement, de l'action, du dressage par certains de ceux qui les détiennent et qui développent chez l'animal son potentiel agressif. Il est donc logique de sanctionner sévèrement ce comportement qui transforme l'animal en une arme véritable et dangereuse.
Même si le dommage est le fait de l'animal, celui qui le détient en est souvent responsable.
C'est pourquoi les orientations du projet de loi doivent, me semble-t-il, être approuvées, sous réserve de quatre observations générales qui ont motivé nos amendements.
Premièrement, il faut améliorer le dispositif concernant les animaux dangereux, afin de renforcer son efficacité.
En effet, si certaines dispositions du projet sont très nécessaires, elles paraissent difficilement applicables. Or, la loi est faite pour être appliquée.
Ainsi, le texte prévoit que le maire pourrait accorder une dérogation à l'interdiction faite à certains de détenir un chien dangereux, compte tenu du comportement du détenteur, au bout d'une période probatoire de dix ans.
Outre le fait que les dérogations affaiblissent la résolution d'un texte qui se veut fort, l'appréciation du comportement du demandeur, forcément subjective, peut être cause, d'abord, d'embarras pour le maire responsable et, ensuite, de contestations que la loi ne saurait favoriser. Nous proposerons de supprimer cette dérogation.
De même, il convient de supprimer une disposition, introduite par l'Assemblée nationale, permettant à un bailleur ou à un copropriétaire d'un immeuble collectif et social de saisir le maire du danger que présente un animal. Ne serait-il pas plus simple de préciser, dès l'article 1er du projet - ce sera l'objet de notre premier amendement - qu'un maire peut agir sur sa propre initiative ou à la demande de toute personne concernée ? Cela éviterait toute ambiguïté et toute contestation du pouvoir du maire.
Deuxièmement, il faut aggraver les sanctions en cas de sévices ou de cruauté envers les animaux.
Ces sévices sont fréquemment utilisés pour développer l'agressivité de l'animal. Ils constituent actuellement un délit, passible de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende.
Amende bien faible, si l'on considère qu'un chien dressé à l'attaque par des moyens cruels se vend souvent au-delà de ce prix et fait fréquemment l'objet d'un marché noir éhonté !
Amende bien faible, si l'on considère que le code pénal prévoit, pour la destruction, la dégradation ou la détérioration des biens, des peines de deux ans de prison et de 200 000 francs d'amende, pour les cas les moins graves, et des peines pouvant atteindre, dans certains cas, dix ans d'emprisonnement et 1 million de francs d'amende !
Conscient que ce projet de loi traite également de la protection des animaux, nous proposerons d'aggraver les sanctions en cas de sévices ou de cruauté envers un animal.
Troisièmement - c'est un point important, aux yeux de la commission des lois - il convient de rappeler la nécessité d'une codification du droit pénal spécial.
Il est indispensable de noter que le projet qui nous est soumis comprend nombre de dispositions pénales nouvelles. Or, celles-ci seront insérées dans le code rural ou dans d'autres codes, et non dans le code pénal, ce qui risque d'aggraver la dispersion des dispositions pénales au sein de multiples textes législatifs et donc de ne pas faciliter la lecture du droit applicable. De plus, cela risque de rendre moins cohérent le droit pénal.
Nous devons donc soulever la question, qui est considérable, sans toutefois proposer d'amendements - à mon sens, cette question doit faire l'objet d'une réflexion spécifique - mais simplement pour montrer que la codification du droit pénal spécial s'avère et s'avèrera de plus en plus utile au fur et à mesure de la création de lois spécifiques.
Enfin, quatrièmement, il semble cependant préférable, concernant l'article 8 du projet, d'inscrire dans le code de procédure pénale les dispositions qui traitent des animaux saisis ou retirés à leur propriétaire dans le cadre d'une procédure judiciaire. Il s'agit, en l'occurrence d'établir une meilleure cohérence avec les dispositions relatives aux objets saisis.
Sous réserve des quelques amendements qu'elle proposera, la commission des lois...
Mme Hélène Luc. Ce sont des amendements importants, car ils dénaturent le projet, même si vous prétendez être d'accord avec l'orientation du texte !
M. Lucien Lanier, rapporteur pour avis. ... donnera un avis favorable au présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 44 minutes ;
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 16 minutes.
La parole est à M. Dussaut.

M. Bernard Dussaut. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi relatif aux animaux dangereux et errants ainsi qu'à la protection des animaux, dont nous allons débattre aujourd'hui, va permettre d'apporter une réponse à un phénomène de société qui se développe, depuis plusieurs années, principalement en zone urbaine : l'utilisation des chiens comme « arme ou auxiliaire » de la délinquance par des propriétaires peu scrupuleux.
Le dévoiement du rapport normal entre le chien et son maître a pris des proportions dramatiques puisqu'il y a eu des blessés graves et même mort d'homme. L'incident le plus récent remonte au week-end dernier : en Seine-Saint-Denis, un pittbull a encore été utilisé comme une arme pour permettre à ses maîtres de tenter de dérober des objets à une personne lors d'un déménagement. (M. le rapporteur s'exclame.) Ces faits étaient relatés dans la presse d'aujourd'hui.
Aussi était-il urgent de légiférer, et c'est d'abord dicté par des motifs d'ordre public, afin d'assurer la sécurité de nos concitoyens, que ce projet de loi a été élaboré.
Plus largement, le projet fixe trois objectifs : la disparition du territoire français des espèces les plus dangereuses en en interdisant l'importation, l'élevage et la vente ; l'encadrement de la détention des autres espèces susceptibles de présenter un danger pour les citoyens en responsabilisant les maîtres par la mise en place d'un ensemble d'obligations ; enfin, l'amélioration des conditions de fonctionnement des fourrières et des refuges.
Ces trois objectifs sont étroitement liés.
Il faut que les Français, dont l'engouement pour les animaux de compagnie est extraordinaire - vous l'avez rappelé, monsieur le rapporteur : 8,4 millions de chats, 7,5 millions de chiens, 23 millions de poissons, 5,8 millions d'oiseaux - prennent conscience de leurs devoirs vis-à-vis d'autrui et de leurs devoirs vis-à-vis de leurs animaux.
Ce texte, dans sa présentation, témoigne d'un triple souci de fermeté, de rigueur et d'équilibre. Il est dénué de tout caractère démagogique ; il est réaliste, et son application, en l'état, peut être immédiate.
Une approche totalement sécuritaire pour traiter des chiens dangereux ne peut s'inscrire dans la durée ; elle est vouée à court terme à l'échec. Elle risque surtout d'avoir des effets inverses de ceux qui sont escomptés : si nous agissons non pas de manière préventive mais seulement dans une optique répressive, il est malheureusement très probable que, par exemple, le dressage à des fins criminelles des chiens d'attaque, et notamment des chiens de type pitbull, poursuivra son développement clandestin. Déjà, entre 1993 et 1998, le nombre de ces chiens sur le territoire français a été multiplié par cent.
Le parti-pris a donc été de privilégier la prévention par rapport à la sanction, et je m'en félicite.
Attardons-nous maintenant sur les deux grands volets qui constituent ce projet de loi.
Le premier a trait au renforcement des pouvoirs de police des autorités face à la détention de chiens dangereux.
Deux catégories de chiens sont définies : les chiens très dangereux, c'est-à-dire les chiens d'attaque, et les chiens potentiellement dangereux, à savoir les chiens de garde ou de défense.
Le dispositif retenu est simple. Il est du domaine réglementaire, ce qui lui confère souplesse et efficacité. En fonction de l'évolution des types de races ou des croisements, on peut imaginer le passage à l'une ou l'autre des catégories.
Dans la première catégorie, les chiens dont la dangerosité est avérée seront stérilisés en vue de leur disparition d'ici à une dizaine d'années. Il s'agit d'une démarche concrète visant à éliminer ceux qui représentent aujourd'hui un véritable danger pour notre société, danger concentré, bien souvent, dans les cités où vivre est difficile.
Dans tous les cas, les chiens présumés à risque feront l'objet d'une démarche administrative consistant en une déclaration auprès de l'autorité publique, à savoir, dans la plupart des cas, le maire.
Il semble aux membres du groupe socialiste que, pour concilier efficacité et réalisme, le dispositif proposé, qui repose sur l'obligation du propriétaire de déclarer son animal en présentant des justificatifs de vaccination, d'assurance et de tatouage, est sans a priori, juste, égalitaire et transparent.
Il était indispensable que les maîtres soient responsabilisés face à la dangerosité potentielle de certains animaux.
Le débat qui a eu lieu, à l'Assemblée nationale, sur la délivrance d'une autorisation, voire d'un permis - cette discussion, nous l'avons eue également en commission - me semble soulever un certain nombre de questions. Suivant quels critères cette autorisation ou ce permis seront-ils délivrés ? Organisera-t-on des épreuves auxquelles les propriétaires devront se soumettre ? N'y a-t-il pas un risque colossal de dérive de délivrance « au faciès » ?
Par ailleurs, est-il judicieux de faire peser une telle responsabilité sur les maires ? Si un accident se produit, alors même que l'autorisation a été délivrée par le maire, qui sera responsable ?
Autant de questions essentielles dont nous aurons, je crois, l'occasion de reparler au cours de ce débat !
Les contrevenants, c'est-à-dire ceux qui ne déclarent pas leur animal, ceux qui ne respectent pas les obligations de port de la laisse ou d'une muselière, ceux qui stationneront avec leur animal dangereux dans certains lieux interdits par la loi, seront sanctionnés.
A ce propos, l'idée d'établir, au minimum au niveau départemental, un fichier des propriétaires auxquels les chiens auront été retirés pour cause d'acte criminel - agression ou combat - me semble intéressante. En effet un propriétaire va déclarer son chien d'attaque dans la ville où cet animal réside. Si ce dernier lui est retiré par décision de police, qu'est-ce qui l'empêchera de se procurer un autre animal du même type, animal qui résidera chez un parent ou un ami d'une commune voisine, qui sera donc déclaré dans cette commune, mais qui pourra être récupéré par lui pour participer à des combats ou à d'autres divertissements ?
Cela étant dit, grâce à ce dispositif législatif, les pouvoirs publics devraient posséder enfin une base juridique solide pour lutter contre cette nouvelle forme de violence inadmissible.
Le second volet du projet de loi contient des dispositions concernant les fourrières, le dressage et les activités commerciales liées aux animaux de compagnie. Ces points sont, à mon avis, indissociables du premier volet : il s'agit là de la protection des animaux de compagnie.
Le projet de loi apporte des solutions pour éviter l'encombrement des fourrières et des refuges. La Société protectrice des animaux rencontre en effet des difficultés. Il est vrai que faire face à l'afflux important d'animaux abandonnés est une vraie gageure !
Le législateur a, en la matière, une tâche difficile : il lui faut concilier des exigences éthiques avec des contraintes d'ordres sanitaire et financier. Il faut, certes, que les animaux soient protégés, mais il faut garder à l'esprit les contraintes économiques que leur maintien peut présenter pour les communes et les associations de protection des animaux.
Le groupe socialiste a déposé deux amendements exigeant l'avis de la direction des services vétérinaires lorsque des décisions doivent être prises à propos d'un animal placé dans un lieu de dépôt ou dans un centre d'accueil. Il nous a paru en effet indispensable que la direction des services vétérinaires remplisse une fonction importante dans le cadre des dispositions qui vont être mises en place.
Par ailleurs, actuellement, en zone indemne de rage, trois délais différents réglementent les fourrières : quatre jours pour les animaux non tatoués et huit jours pour les animaux tatoués ; à la fin de ce délai, si l'animal n'est pas réclamé, il peut être euthanasié ou gardé cinquante jours en refuge en vue d'une future adoption.
Dans le texte adopté par l'Assemblée nationale en première lecture, il est prévu de ramener tous les délais à huit jours. Un amendement que nous avons examiné en commission tend à fixer à quinze jours la période avant l'adoption. Cela me semble être un bon compromis.
En ce qui concerne les dispensaires pour animaux, les députés, sur une proposition de nos collègues Jean-Pierre Blazy et Bernard Madrelle, ont adopté un amendement ayant pour objet de mieux encadrer l'exercice des activités des dispensaires. Il s'agit de limiter la possibilité de création de dispensaires pour les personnes démunies aux seules associations de protection des animaux reconnues d'utilité publique, en posant le principe de la gratuité des actes vétérinaires.
Certains membres de mon groupe parlementaire ont suggéré, en commission, un amendement rédactionnel visant à remplacer le terme « indigentes », qualifiant les personnes ayant accès à ces établissements et qui est incorrect, par l'expression « démunies de ressources suffisantes », qui nous semble plus appropriée.
Enfin, ce texte donne un cadre aux activités liées aux animaux de compagnie, que ce soit l'élevage, le dressage, la vente ou la garde de ces animaux.
Un cadre, cela induit plus de transparence, donc une amélioration des conditions de vie des animaux de compagnie. Les acquéreurs et les propriétaires doivent être informés, les vendeurs et les dresseurs doivent être qualifiés.
L'ensemble des mesures proposées est certes contraignant pour les propriétaires d'animaux et pour ceux qui en font commerce. Cela étant, elles permettront de responsabiliser chaque individu qui devra se soumettre à certaines règles, ainsi que l'impose la qualité de citoyen.
Comme vous avez pu le constater, nous ne souhaitons guère apporter de modifications au travail effectué par le Gouvernement et nos collègues députés.
Ce projet de loi, tel qu'il a été adopté à l'unanimité à l'Assemblée nationale, nous paraît équilibré. Il n'a pas été élaboré avec des visées médiatiques, pour répondre à la publicité qui a suivi les graves accidents provoqués par des chiens d'attaque.
Ce n'est pas un texte démagogique, c'est un texte réfléchi, applicable facilement et à bref délai. Nous ne le voterons au Sénat que s'il n'est pas dénaturé dans son esprit par la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Minetti.
M. Louis Minetti. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les maires de nos communes sont inquiets, les mères de familles et nos concitoyens aussi. Il est impératif d'apaiser ces inquiétudes.
Les solutions retenues pour faire face aux problèmes posés par les chiens dangereux, tels les pitbulls, sont radicales, et c'est une bonne chose. Elles visent, à terme, la disparition des 20 000 à 40 000 molosses présents sur notre sol.
Ainsi, l'importation et l'introduction sur le territoire métropolitain de ces chiens d'attaque seront désormais interdites et passibles de peines de six mois de prison et de 100 000 francs d'amende.
En outre, les chiens d'attaque, mâles ou femelles, seront obligatoirement stérilisés.
La présence en France de chiens du types des pitbulls, dont le nombre a été multiplié par 100 depuis 1993, s'est dévelopée essentiellement en milieu urbain.
Cette prolifération des chiens dangereux dans certains quartiers est un révélateur de l'augmentation des comportements violents. Elle s'inscrit dans un climat de tension et de malaise social.
Au-delà du phénomène de mode, ces chiens sont trop souvent utilisés comme des armes par des individus désireux d'intimider ou de terroriser leur voisinage, notamment afin de bénéficier d'une plus grande tranquillité dans des activités suspectes, le trafic de drogue en particulier.
Ces comportements contribuent à renforcer le sentiment d'insécurité en zone urbaine.
En tant qu'élu du midi de la France, plus précisément de la côte méditerranéenne, je dois nuancer mon appréciation. Je connais bien les conditions de gardiennage de bon nombre de propriétés dans cette région, de résidences fastueuses, de châteaux de prestige. Il me faut donc faire preuve de mesure quand j'évoque les lieux, en France, où les risques d'attaque sont les plus importants.
S'il est aujourd'hui possible de sanctionner de tels comportements en s'appuyant sur le nouveau code pénal, renforcé le 22 juillet 1996, et qui assimile le chien à une « arme par destination » lorsqu'il est utilisé pour tuer, menacer ou blesser, rien ne permet en revanche de prévenir.
Un volet prévention devrait permettre de prendre toutes les précautions pour empêcher les accidents.
De plus, ce texte adopté à l'unanimité - je me plais à le souligner - à l'Assemblée nationale, permet de rassembler en une loi unique tous les moyens épars dans notre législation.
Je le souligne, la gendarmerie, la police, les tribunaux et les préfets disposeront ainsi d'un texte contenant des définitions claires et les impliquant directement. C'est ce qui nous manquait.
Il faut en finir avec tous « les chiens de Baskerville » !
Le projet de loi opère à juste titre une distinction entre, d'une part, les « chiens d'attaque », le pitbull et le tosa du Japon en particulier, et, d'autre part, « les chiens de garde et de défense », tels le rottweiler ou le dogue argentin, pour ne citer que ceux-là.
Ces définitions présentent l'avantage d'être souples et évolutives. Rien n'est figé à l'avance, et l'avenir me semble ainsi préservé.
A titre préventif, les propriétaires de chiens appartenant soit à la première catégorie - chiens d'attaque - soit à la seconde catégorie - chiens de garde ou de défense - seront surveillés de très près.
En effet, dans une interview récente à un quotidien, le docteur vétérinaire Florence Desachy écrivait : « Le problème actuel des pitbulls est moins un problème de chien qu'un problème de maîtres. »
M. Dominique Braye, rapporteur. Tout à fait !
M. Louis Minetti. « Il faut quelqu'un de très équilibré pour élever ce type de chien, dont il ne faut pas développer l'agressivité... C'est donc plutôt les éleveurs et les maîtres qu'il faudrait mieux contrôler... On ne peut pas laisser ces animaux entre toutes les mains. »
Ces remarques semblent aller dans le sens de celles de M. le rapporteur de la commission des affaires économiques, mais je nuancerai ma position tout à l'heure !
En effet, si certains propriétaires et éleveurs de pitbulls sont responsables, bien souvent ces animaux sont eux-mêmes des victimes, tant on les maltraite pour les rendre agressifs.
Sans jeter l'opprobre sur tel ou tel type d'animal, ce n'est pas mon intention, je voudrais vous faire partager mon sentiment. Nous sommes bien loin de la souriante chanson de Georges Brassens qui décrit les relations privilégiées qu'entretient Margot avec son chat. (Sourires.)
Je tiens à souligner qu'il s'agit non pas de mesures prises à l'encontre des animaux, mais au contraire d'un texte définissant une attitude humaine à l'égard des bêtes, offrant en même temps à tout un chacun de nouvelles garanties quant aux libertés individuelles, à la sécurité et à la tranquillité publiques.
Le sujet est certes difficile, mais souvenons-nous qu'avant nous le roi Salomon a dû choisir entre deux mères. Il a décidé de protéger celle qui méritait la protection de la loi. Comme ce sujet est difficile, il faut trancher en faveur de la sécurité publique.
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Louis Minetti. La sécurité publique ne peut pas se décliner en moyens d'attaque, qualifiés de défense par certains, entre les mains de quelques rares individus.
La sécurité publique, c'est l'affaire des pouvoirs publics. Pour la faire respecter, ils doivent disposer de tous les moyens nécessaires : le dialogue, certes, mais aussi la répression, le respect de la justice sociale.
Voilà pourquoi ce projet de loi comporte deux volets, l'un visant à renforcer le dispositif législatif contre l'utilisation des animaux dangereux, l'autre tendant à mieux protéger les animaux de compagnie contre les abandons, les trafics et la maltraitance.
C'est ainsi que le texte interdit, à juste titre, à certains de posséder de tels chiens. Il s'agit, par exemple, des mineurs, des personnes condamnées pour crime ou délit inscrit au bulletin n° 2 du casier judiciaire, des auteurs de mauvais traitements à animaux, sous peine de se voir punis de trois mois d'emprisonnement et de 25 000 francs d'amende.
Quant aux détenteurs de chiens d'attaque, le texte leur fait obligation de les déclarer à la mairie de leur lieu de résidence.
Sur la voie publique, ces chiens devront être muselés et tenus en laisse par une personne majeure.
Quant aux propriétaires des chiens de garde et de défense, qui sont également susceptibles d'être dangereux, la déclaration en mairie leur sera également imposée, de même que la tenue en laisse et le port de la muselière dans les lieux publics et les transports en commun.
Seuls les dresseurs titulaires d'un certificat de capacité pourront acquérir des matériels de dressage dits « au mordant ».
Le non-respect de ces obligations sera passible de peines de six mois d'emprisonnement et de 50 000 francs d'amende, avec ou sans confiscation de l'animal.
En cas de refus, le maire pourra, par arrêté, placer l'animal dans « un lieu de dépôt adapté ». Il pourra même aller jusqu'à autoriser le gestionnaire de ce lieu à procéder à l'euthanasie de l'animal si, au bout de huit jours, le propriétaire n'apporte pas de garanties quant à la tenue en laisse et au port de la muselière.
En outre, les maires devront prendre toutes les dispositions propres à empêcher la divagation des chiens, de même que des chats et des autres animaux, d'ailleurs.
Chaque commune devra disposer soit d'une fourrière communale, soit d'un service de fourrière même si celle-ci est établie sur le territoire d'une autre commune.
Certaines des dispositions qui figurent dans ce projet de loi me posent des problèmes, monsieur le ministre.
A l'Assemblée nationale, mon ami M. Jacques Brunhes - je crois que c'est le seul intervenant à qui vous avez personnellement répondu - l'avait déjà remarqué. Je tiens cependant à vous demander si, depuis l'examen du projet de loi par les députés, comme vous aviez indiqué que vous alliez étudier la question, vous disposez d'éléments nouveaux à nous apporter en la matière ?
D'une part, on ne voit pas bien quels vont être les moyens dégagés pour permettre la mise en oeuvre de cette loi.
Sachant le peu de moyens qui sont mis à la disposition des forces de l'ordre, on peut se demander comment elles pourront assurer ce nouveau travail de surveillance prévu par le projet de loi.
Concernant la capture des chiens errants et dangereux, qui assurera cette mission ? Qui en aura la charge financière ? Les équipes cynophiles sont encore bien rares dans les villes, à l'exception de Paris, sans doute, mais cela va nécessiter des moyens. Quelle réponse le prochain budget apportera-t-il ?
D'autre part, les maires se voient une fois de plus dotés de nouvelles responsabilités, ce qui pose la question du désengagement de l'Etat et du transfert de charges supplémentaires vers les collectivités locales.
Si les pouvoirs de police des maires sont renforcés, ces derniers auront-ils réellement les moyens d'intervenir ?
Le projet de loi prévoit que la déclaration de la détention d'un chien doit se faire en mairie. Une telle disposition alourdira une fois encore les missions déjà lourdes qui incombent aux maires.
Mon ami M. Jacques Brunhes proposait, dans un premier temps, que cette déclaration soit faite clairement à la gendarmerie ou au poste de police. C'était ce que préconisait également M. Georges Sarre dans son rapport remis à M. le ministre de l'intérieur. Je m'étonne que cette proposition n'ait pas été retenue.
Il est question, par ailleurs, qu'en cas d'inexécution des mesures prises par les maires pour prévenir d'éventuels accidents - tenue en laisse et port de la muselière par exemple - que le chien sera placé dans un lieu de dépôt adapté.
Quel sera le dépôt et à la charge financière de qui sera-t-il mis ?
S'il s'agit des fourrières communales, il n'est pas raisonnable de penser que chaque commune aura les moyens de financer une telle structure.
Pourquoi ne pas envisager la création de ces fourrières sur l'initiative du préfet, représentant de l'Etat, et sur fonds d'Etat ?
On peut d'ores et déjà penser que l'afflux prévisible de chiens dangereux ou errants dans des refuges déjà surpeuplés nécessitera la construction aussi coûteuse que complexe de nouvelles structures.
Enfin, pour ce qui est du second volet relatif à la protection des animaux, nous partageons bien évidemment l'esprit de la loi en ce qui concerne tant la lutte contre les abandons et les trafics, la procédure plus rapide d'adoption, le changement de statut des animaux que la moralisation et la professionnalisation de la commercialisation des chiens et des chats, notamment.
Le projet de loi transmis par l'Assemblée nationale est bon mais perfectible. Sans doute apporterez-vous des arguments supplémentaires au Sénat ? En tout cas, il y aura une navette.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen réserveront cependant leur vote sur l'ensemble du texte jusqu'à la fin de la discussion. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen et sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Demuynck.
M. Christian Demuynck. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la multiplication des accidents liés aux chiens dangereux a amené un certain nombre de parlementaires, au-delà des clivages politiques, à s'interroger sur les moyens de régler un problème de société qui met directement en cause la sécurité des personnes.
Pour ma part, j'ai déposé fin 1996 une proposition de loi pour interdire l'importation, l'élevage, le trafic et la détention d'animaux susceptibles de présenter un danger aux personnes. J'avais d'ailleurs préconisé l'euthanasie systématique. Mais il faut dire que le nombre de chiens de type pitbull n'était pas aussi important. Aujourd'hui, la suppression de plusieurs dizaines de milliers de chiens poserait de grandes difficultés. C'est la raison pour laquelle je ne peux qu'approuver les dispositions du projet, tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale et qui prévoit une éradication, à terme, sur notre territoire, de certaines espèces.
Il n'y a pas une semaine sans que l'on découvre dans les journaux un nouveau fait divers avec de nouvelles victimes. J'ai relevé quelques titres parus dans la presse ces derniers mois.
A Noisy-le-Grand, une femme défigurée chez elle par deux molosses doit son secours à l'intervention rapide de la police, obligée d'abattre un american staffordshire qui ne voulait pas lâcher prise. A Drancy, un jeune délinquant qui a agressé une jeune femme avec un american staffordshire est présenté au parquet. A Pantin, un pitbull a grièvement mordu un enfant de dix ans qui jouait dans un espace vert. A Aulnay-sous-Bois, une jeune fille est séquestrée par des voyous qui voulaient lui voler son pitbull. Dans cette même ville, un rottweiler mord sauvagement deux fillettes. A Villepinte, un pitbull s'attaque à deux passants. A La Courneuve, une adolescente de douze ans est gravement mordue par un rottweiler. A Villepinte, deux pitbulls s'acharnent sur un octogénaire...
Il est vrai que ces chiens ne sont peut-être pas ceux qui mordent le plus, mais ce sont eux qui infligent les blessures les plus terribles. J'ai eu l'occasion de voir une fillette de dix ans qui avait été mordue au bras par un pitbull, et je peux vous dire qu'elle ne pourra plus jamais se servir de son bras. Vous pouvez venir en Seine-Saint-Denis, monsieur le rapporteur.
Voilà ce que l'on peut lire dans la presse, et il ne s'agit là que de faits divers relevés en Seine-Saint-Denis, département dont je suis l'élu. Les victimes gravement atteintes doivent généralement avoir recours à la chirurgie, sans parler des séquelles psychologiques graves.
Le symbole du pitbull est très fort dans les banlieues. Il est marqué de puissance et d'invincibilité. Il est utilisé pour établir un rapport de force ou de violence envers autrui. Dans certains quartiers, un véritable état de psychose s'est instauré autour de ce chien.
Ce sentiment de peur est partagé aussi bien par les mères de familles dans les centres commerciaux que par les locataires dans les immeubles collectifs, le contrôleur dans les transports en commun, le simple passant dans la rue, les jeunes enfants dans les jardins publics ou encore le fonctionnaire chargé du maintien de l'ordre.
Le problème est tel que la police nationale a créé des brigades spécialisées au sein des brigades anti-criminalité, les BAC, pour approcher et interpeller les délinquants qui possèdent ces chiens et qui s'en servent comme garde du corps ou comme arme. Les chiens dangereux sont désormais également utilisés par les trafiquants de drogue, et il est bien évident que nous ne pouvons pas continuer à tolérer cela.
Dois-je rappeler aussi que, dans les banlieues difficiles, on ne compte plus les trafics d'élevage et de revente ? Des chiens d'un an ou d'un an et demi, dressés au mordant, sont vendus entre 10 000 et 15 000 francs sous le manteau.
Combien de fois ai-je été saisi par mes administrés, terrorisés par le spectacle de pitbulls que leurs maîtres incitaient à se battre ? Ce phénomène pose un véritable problème pour les maires soucieux de la sécurité de leurs administrés, d'autant plus que certains arrêtés municipaux ont pu être annulés par le juge administratif en raison d'un manque de base légale.
Il est vai, comme l'a souligné le rapporteur de la commission des affaires économiques, qu'il faut responsabiliser les maîtres. Mais cela ne suffit pas. J'ai rencontré un certain nombre de vétérinaires. Certes, ce ne sont pas des spécialistes internationaux, mais ils m'ont confirmé qu'il n'était plus contestable que ces chiens ont des prédispositions à l'attaque, que leurs comportements sont bien souvent imprévisibles et que leur puissance musculaire, leur robustesse, leur résistance à la douleur est bien supérieure aux autres chiens.
D'ailleurs, si ces nouvelles espèces ont autant de succès dans les banlieues, c'est que les chiens existants n'ont pas les capacités d'attaque, ni l'agressivité recherchée.
C'est donc pour toutes ces raisons que des mesures radicalement différentes doivent être prises pour mettre fin au développement de ces chiens.
A défaut d'avoir pris des dispositions adaptées quand il le fallait, notre pays doit gérer une situation difficile. En effet, chaque jour, nos concitoyens se trouvent de plus en plus menacés.
Au cours de ses travaux, la commission des affaires économiques a manifesté le souhait de supprimer la distinction entre chiens d'attaque et chiens de défense, pour constituer une seule catégorie de « chiens susceptibles d'être dangereux », ce qui me semble être une mesure de simplification nécessaire évitant les choix arbitraires, mais aussi des difficultés d'identification.
Mais cette commission a souhaité revenir sur l'interdiction de l'importation, l'acquisition, la cession et la stérilisation des chiens qui devaient être classés en première catégorie. Dans ces conditions, comment pourrait-on parler de loi anti-pitbulls, ou de loi anti-chiens dangereux, puisque seules quelques restrictions en matière de détention et de circulation subsisteraient ?
Mes chers collègues, je vous le dis, nous avons à discuter d'un grave problème de société à propos duquel il est question de protection de l'individu. Chacun sera juge et responsable de la manière dont il faudra régler le problème. Mais si le texte final ne prévoit pas de mesures de stérilisation, d'interdiction d'acquisitions, de cession à titre gratuit ou onéreux, nous porterons une lourde responsabilité, à la fois dans le développement de la délinquance et des futurs accidents, car nous ne pourrons maîtriser ni la naissance de ces animaux, ni leur vente, ni le trafic. Nous mettrons alors à disposition des délinquants une arme redoutable, mais autorisée.
Dois-je rappeler aussi que certains de nos voisins européens ont su prendre des mesures adaptées ? La Grande-Bretagne a interdit la détention des chiens de combat comme « les pitbulls terriers » et les « terriers japonais ». Les Pays-Bays n'autorisent la détention de pitbulls que si l'animal est stérilisé et porte une muselière. Enfin, le Danemark a interdit les pitbulls et les tosa ainsi que leurs croisements avec d'autres espèces canines. Les propriétaires de ces animaux existants doivent en outre les faire tatouer et stériliser.
A l'instar de ces pays, nous devons avoir le courage d'interdire ces chiens en déterminant de manière réglementaire les espèces les plus dangereuses et en réactualisant régulièrement cette liste pour l'adapter au danger de nouvelles races.
Je dois d'ailleurs préciser que la vogue des pitbulls est plutôt en cours de tassement et que deux autres espèces, le rottweiler et l' american staffordshire , sont en passe de devenir plus prisées.
Je voudrais à présent évoquer quelques aspects du projet de loi qui mériteraient d'être précisés : tout d'abord l'obligation, à l'article 2, de museler et de faire tenir en laisse dans certains lieux les chiens dangereux par une personne majeure. Je crois qu'il faudrait plutôt préciser « par une personne répondant aux critères requis pour détenir ce type de chiens ». Car il serait facile, par exemple, pour un délinquant condamné pour crime ou délit, de faire acheter un animal par un frère, par son épouse ou par un copain, et d'en avoir la garde effective.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit, à l'article 1er, la possibilité d'euthanasier un animal susceptible de présenter un danger pour les personnes dans les huit jours. Or ce délai, de l'avis des vétérinaires, est trop court.
En effet, si un chien est placé en fourrière à la suite d'une décision du maire, c'est qu'il a vraisemblablement mordu. Il convient donc de s'assurer qu'il n'est pas porteur du virus de la rage avant de l'euthanasier. Or il semble qu'un délai de quinze jours soit indispensable pour le vérifier.
Enfin, il est important que cette loi soit efficace à court terme dans ses effets. C'est pourquoi je vous propose, mes chers collègues, que tous les chiens âgés de plus de douze mois soient stérilisés dans les six mois après la publication de la loi.
Mes chers collègues, il est vrai que la mise en place d'une loi visant à l'extinction des chiens de type pitbull nécessitera beaucoup d'efforts de la part des propriétaires, des services vétérinaires, des maires et des services de police. De plus, quelques difficultés pourraient également apparaître pour classer des chiens d'origine étrangère qui n'ont pas encore d'existence légale en France ou pour interdire certains croisements.
Mais d'autres pays ont bien réussi à édicter des mesures d'interdiction. Pourquoi pas nous ? D'autant, je le répète, qu'il s'agit de prévenir de graves accidents et de sauver des vies humaines. Le législateur se doit de protéger les individus avant les animaux. J'espère donc que le Sénat, comme l'Assemblée nationale, qui a adopté à l'unanimité ce projet de loi, soutiendra l'interdiction des chiens dangereux. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Souvet.
M. Louis Souvet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, trop souvent, selon moi, nos débats sont pollués par des prises de position politiciennes ; l'efficacité, voire la crédibilité, de nos travaux en sont amoindries. Voilà un texte qui, je l'espère, ne devrait pas souffrir de ce handicap.
C'est un témoignage d'expérience qu'aujourd'hui j'ai décidé de vous livrer, monsieur le ministre, car le maire que je suis d'une ville de taille modeste a osé, le 24 mars 1997, prendre un arrêté réglementant la circulation des chiens dits dangereux sur la voie publique ou dans les lieux publics. Oh, rien de bien méchant : interdiction de divagation et conduite à la fourrière, obligation sur l'ensemble du territoire de la ville de tenir en laisse certaines espèces dites molossoïdes et de les museler, interdiction de conduire ces animaux dans les entrées de groupes scolaires, les crèches collectives, les garderies et les structures accueillant des personnes âgées, les centres de soins, centres de loisirs, etc.
Quel tohu-bohu a déclenché cet arrêté ! J'ai reçu un courrier volumineux - ô combien ! - vindicatif, parfois menaçant, des pétitions, le tout émanant de l'ensemble de l'Hexagone, mais évidemment pas de ma ville ! Aussi, monsieur le ministre, je vous souhaite bien du plaisir ! J'ai même eu droit à un défilé de protestation des chiens et de leur maître, bien sûr ! Actuellement, je suis traduit devant le tribunal administratif. Turgot disait qu'avoir toujours raison, c'est un grand tort. Je pourrais, le pastichant, dire qu'avoir raison trop tôt, c'est aussi un grand tort.
Bien évidemment, tous les arguments m'ont été opposés : je n'avais pas désigné les bonnes races, j'interdisais de posséder un chien, ceux que je citais - y compris les bergers allemands, que la sagesse populaire avait, non sans raison, qualifiés de « chiens-loups » - étaient tous des agneaux...
Hélas ! J'ai encore pris connaissance, voilà quelques jours, dans mon entourage, du cas d'un jeune homme familier des propriétaires d'un chien - et donc de l'animal - qui a été sévèrement mordu à la cuisse par cet « agneau ».
Je rappelle, monsieur le rapporteur, qu'on a vu des chiens bien dressés égorger un troupeau de dizaines de moutons. Je m'interroge donc, après avoir bien écouté : ne sont-ils que « potentiellement » dangereux ? Je n'en suis pas certain, mais je ne suis pas vétérinaire.
Je sais aussi, par expérience, qu'il existe un lien affectif très fort entre l'animal de compagnie et son maître. Il ne doit cependant pas occulter la réalité. Quelle était-elle donc pour me conduire à prendre de telles mesures ?
Tout d'abord, des chiens souvent sauvagement mutilés étaient amenés chez les vétérinaires pour être « racommodés », en général le lundi matin. Des combats étaient donc organisés dans la ville dont je suis le maire ou dans son voisinage.
D'autres possédaient dans leur collier, en particulier, de petites réserves de drogue.
Enfin, certains voyous se servaient de leurs animaux comme des armes pour rançonner ou pour voler. Les pitbulls n'avait pas l'exclusivité.
Il est donc, me semble-t-il, nécessaire de mettre en place rapidement un cadre législatif qui protégera d'une remise en cause systématique les arrêtés pris par les maires afin de sécuriser et de protéger les populations des débordements comportementaux de quelques-uns.
Si je souhaite rendre hommage au travail que vous avez effectué, monsieur le ministre, je tiens aussi, comme l'a rappelé notre excellent rapporteur M. Dominique Braye, à saluer celui qui a été accompli par votre prédécesseur, M. Philippe Vasseur, qui avait fait adopter, le 9 avril 1997, en conseil des ministres un projet de loi de même nature.
Sur un dossier aussi sensible, on peut se féliciter de l'unanimité ayant présidé à l'adoption du nouveau texte en première lecture à l'Assemblée nationale.
L'utilisation des chiens dressés pour combattre, racketter et agresser ainsi que pour transporter des produits stupéfiants doit nous conduire à prendre des mesures draconiennes, faute de quoi leur nombre, qui se situe actuellement autour de vingt mille, progressera encore et fera augmenter la délinquance liée à l'exploitation de ces chiens.
Il s'agit bien en effet d'une exploitation délictueuse de chiens qui sont dressés pour la revente et le profit qu'ils représentent pour toute une catégorie d'individus dont la seule préoccupation est l'argent facile par la peur qu'ils peuvent ou veulent développer. L'animal devient alors une arme dont il faut à tout prix éviter qu'elle ne se banalise et ne soit utilisée massivement.
Mais ne nous trompons pas de coupable ! L'animal n'est pas délinquant ; seul son « maître », si on peut le nommer ainsi, est l'unique responsable de son comportement. Le maître terrorise et l'animal obéit sous la contrainte.
Pour parvenir à leurs fins, les délinquants font subir à leurs chiens un dressage spécifique contraire aux règles en la matière qui les conduit à leur infliger des traitements condamnables. La violence et la cruauté n'ont pas de limites.
Il n'est pas tolérable que ces agissements ne soient pas réprimés. La montée de la peur, les combats clandestins, les agressions, les trafics en tout genre et la violence génèrent un climat d'insécurité que l'impunité relative contribue à entretenir.
Les maires et la police n'ont que peu de moyens pour imposer une répression que revendiquent légitimement nos concitoyens confrontés quotidiennement aux exactions des délinquants.
Le renforcement du dispositif répressif s'impose par l'urgence et la gravité des situations. Il ne s'agit pas d'accuser toute une lignée de la gent canine et de la désigner comme la source unique des désordres. Il s'agit d'empêcher que des êtres vivants deviennent de nouvelles armes qui échappent au contrôle des pouvoirs publics, au nom de la sécurité quotidienne, et soient utilisées par des individus dont l'affection pour nos amis à quatre pattes se limite à l'excitation de leur instinct de survie.
L'animal doit être un compagnon et non un complice.
C'est pourquoi j'insiste sur la nécessité de prévoir des amendes d'un montant réellement dissuasif et des peines exemplaires pour tous les débordements du comportement qui visent à exploiter l'animal comme une source de profit et à l'utiliser par la violence à des fins délictueuses. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite d'ores et déjà répondre à certaines observations qui ont été formulées par les orateurs. Bien évidemment, lors de l'examen des amendements, j'aurai l'occasion de revenir sur un certain nombre de considérations.
J'ai bien noté les différences d'appréciation qui sont apparues au cours de cette discussion générale, qui a suscité un intérêt que j'ai apprécié sur toutes les travées et chez les intervenants.
Ces différences d'appréciation ont conduit la commission des affaires économiques à proposer certaines modifications au dispositif présenté par le Gouvernement.
Monsieur le rapporteur, vous estimez qu'il n'est pas nécessaire de distinguer deux catégories de chiens et vous souhaitez que la loi n'en retienne qu'une.
Vous pensez que le critère du poids des chiens est le critère le plus important puisque, pour vous, la façon de se comporter du chien dépend essentiellement du maître. Vous avez raison dans la majorité des cas. Cependant, l'objet du projet de loi est non pas de créer des contraintes à des millions de propriétaires, mais de trouver une solution vis-à-vis des maîtres, heureusement très minoritaires, qui utilisent leur animal comme faire-valoir ou pour impressionner voire menacer leur entourage.
C'est pour cela que je ne souhaite pas que tous les chiens imposants soient concernés par les mesures relatives aux chiens potentiellement dangereux. Un labrador, un setter, un montagne des Pyrénées, n'ont aucune caractéristique commune sinon le poids avec des chiens comme le pitbull, le toza japonais ou le rottweiler. Les premiers ont été sélectionnés pour chasser ou secourir, les seconds pour se battre ou garder.
La plupart des chiens utilisés de façon que je qualifie de déviante, dans les banlieues, sont des chiens de type pitbull. Ces chiens ne constituent pas une race : ils ne font donc pas l'objet de contrôle et ne s'inscrivent dans aucun objectif d'amélioration génétique comparable à ceux qui existent pour l'ensemble des races canines gérées à l'échelon national.
La majorité des détenteurs - et a fortiori des personnes les élevant - de ce type de chiens les détient aux fins d'une utilisation illicite, telle que la menace ou l'agression du public, potentialisant ainsi les risques intrinsèques liés à la typologie particulière de ces chiens et les rendant auxiliaires de la délinquance ; vous avez été nombreux à souligner ce point.
Les chiens dits d'attaque font l'objet d'élevages clandestins très lucratifs et sont souvent victimes eux-mêmes de mauvais traitements, tant du fait de leurs conditions d'élevage que de celles de leur dressage aux fins d'agresser autrui ou leurs congénères.
C'est pourquoi, pour limiter et contrôler ces phénomènes, la définition de deux catégories de chiens me semble nécessaire. Pour la première catégorie, un simple contrôle des populations ne me semble pas suffisant et le projet de loi prévoit une élimination des chiens de type pitbull de notre territoire.
En préconisant des mesures de cette nature, je suis parfaitement conscient du risque que le problème puisse se trouver déplacé. C'est une des raisons pour lesquelles il est prévu une deuxième catégorie de chiens qui seront placés sous surveillance. Si une population de chiens de la deuxième catégorie pose des problèmes analogues à ceux que posent actuellement les chiens de type pitbull, le dispositif sera adaptable très rapidement par voie réglementaire.
Pour les chiens des deux catégories, le système proposé dans le texte prévoit une formalité simple et donc facilement mise en oeuvre.
En tout état de cause, dans le cas où des chiens n'appartenant à aucune des deux catégories énoncées poseraient individuellement des problèmes dans une commune, le maire, grâce à l'article 211, peut prendre toute mesure contraignante vis-à-vis des propriétaires concernés.
Le système est donc à considérer dans sa globalité, avec les catégories et les pouvoirs renforcés du maire. C'est grâce aux différents maillons du système, gradués en fonction de la dangerosité potentielle des chiens qu'on peut couvrir l'ensemble des problèmes que posent ces chiens.
L'esprit du projet de loi est d'offrir aux maires et aux autorités de l'Etat la possibilité de mieux connaître les populations de chiens potentiellement dangereux, qui sont présents sur le territoire de la commune. Cette connaissance du terrain leur permettra d'agir plus efficacement lors des interventions nécessaires en cas de troubles à l'ordre et à la tranquillité publics.
La formalité administrative que constitue la déclaration à la mairie est une mesure contraignante pour les propriétaires. Elle sera reçue comme telle, en particulier par les mauvais maîtres. Elle constitue donc un frein à la possession de ce type d'animal. Cependant, pour le Gouvernement, il ne s'agit pas de transformer le maire en policier ou en juge. Le maire délivrera un récépissé en veillant à ce que les différentes pièces à joindre à la déclaration soient bien réunies.
C'est là son rôle, et je serais tenté de dire : « Ne lui confions pas ce qui relève de l'autorité judiciaire ». Suivant en cela l'Assemblée nationale, le Gouvernement a préféré opter pour ce système déclaratif simple, plutôt que d'instaurer des procédures lourdes d'un point de vue technique et administratif relevant de la délivrance d'une autorisation ou d'un permis par le maire. Dans un premier temps, le Gouvernement avait envisagé le système du permis, mais il s'est heurté à ce qui apparaît comme une inapplicabilité immédiate et généralisée dudit permis.
En effet, délivrer une autorisation suppose que chaque propriétaire concerné passe des épreuves théoriques et pratiques permettant d'apprécier ses connaissances, devant un jury constitué de spécialistes tant du comportement animal que des problèmes liés à l'insertion de l'animal dans la ville. Ce jury devrait estimer la capacité pour chaque propriétaire concerné de satisfaire à des critères qui devraient lui permettre de garantir la maîtrise de son animal en toutes circonstances. De surcroît, lorsque le postulant au permis ne semble pas satisfaire aux critères établis, se pose la question du devenir de son animal.
La mise en place d'une telle procédure ne peut s'entendre que par cette gestion complexe de dossiers, dont la longueur de traitement et l'hétérogénéité d'appréciation iraient à l'encontre de l'objectif initial.
Dans le système que propose M. le rapporteur n'est pas prise en compte la nécessité de vérifier les aptitudes des postulants, la « déclaration » étant simplement transformée uniquement en une « autorisation », ce qui n'est pas le terme adapté au dispositif proposé.
En revanche, la possibilité, également envisagée par M. le rapporteur, d'exiger de la part des propriétaires de chiens potentiellement dangereux la présentation d'un document et de décider de la confiscation du chien en cas de non-présentation de ce document complète de façon intéressante le dispositif prévu par le projet de loi. Aussi, le Gouvernement pourrait intégrer cette modification au dispositif de déclaration.
M. Dominique Braye, rapporteur. Vous êtes trop bon, monsieur le ministre !
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je vous ai déjà annoncé, monsieur le rapporteur, que peu de vos amendements trouveraient grâce aux yeux du Gouvernement, car nous assistons, en quelque sorte, au choc de deux logiques qui ne se rejoignent pas.
Ce que nous recherchons aujourd'hui, c'est la résolution rapide et efficace des problèmes de cohabitation, dans certaines zones, entre des citadins et des chiens pouvant présenter des risques, du fait de leurs maîtres, dont les intentions sont parfois délinquantes. Dès lors, la déclaration me semble beaucoup plus adaptée.
N'oublions pas non plus qu'une partie importante des huit millions de chiens possédés en France risquerait d'être concernée.
Cela supposerait enfin un coût de gestion considérable, sans commune mesure avec les garanties aléatoires qu'un tel système serait susceptible d'apporter.
L'application des procédures prévues par le projet de loi a conduit à évoquer à plusieurs reprises la tenue d'un fichier permettant de recenser les personnes auxquelles la propriété d'un animal a été retirée en vertu des pouvoirs de police du maire énoncés à l'article 211.
S'agissant de mesures dont l'application est strictement locale et relève exclusivement de la compétence du maire, l'existence d'un fichier national apparaît difficilement justifiée. Le principe de proportionnalité justifie que les contraintes ne soient pas excessives au regard du droit individuel des citoyens, compte tenu des objectifs du texte proposé au Parlement.
S'agissant, en outre, de décisions de police administrative, la gestion d'un tel fichier national n'est pas compatible avec la mission d'un comité tel que celui que le rapporteur propose de créer. L'article 34 de la loi du 6 janvier 1978 organise le droit d'accès aux informations nominatives enregistrées dans les traitements informatisés. Ce droit est ouvert à toute personne sur laquelle les informations nominatives ont été enregistrées, mais à elle seule. Celle-ci peut obtenir directement communication des informations nominatives qui la concernent et demander éventuellement une rectification, sauf dans les cas énumérés à l'article 39 de la loi, relatifs au traitement intéressant la sûreté de l'Etat, la défense et la sécurité publique, pour lesquels cet accès s'exerce indirectement par le truchement de la Commission nationale de l'informatique et des libertés. La création de ce fichier nécessitera a minima la consultation de cette commission.
En conclusion, les modifications proposées ne me semblent pas acceptables parce qu'elles n'auront pas, à mon avis, les effets escomptés. Elles créeraient des contraintes importantes à la fois pour les maires et pour de nombreux propriétaires de chiens et elles risqueraient, de ce fait, de rendre l'ensemble du dispostif inopérant.
J'ai tenu, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, à répondre un peu longuement sur ce point, ce qui me dispensera de développer les mêmes arguments lors de l'examen des amendements.
J'ajoute que les associations de protection animale les plus concernées, notamment la Société protectrice des animaux, soutiennent notre dispositif et en attendent avec impatience la mise en oeuvre. Or ces associations, qui sont confrontées quotidiennement aux problèmes liés à l'accroissement du nombre de chiens dangereux, doivent également être entendues. Elles nous invitent à instaurer un système à la fois efficace et équilibré, visant à réduire ces « problèmes de société », pour reprendre l'expression qu'a tout à l'heure employée M. Lanier, rapporteur pour avis de la commission des lois.
Je dois dire au passage que nombre des amendements qui ont été déposés au nom de cette commission retiennent l'attention du Gouvernement, qui en approuve tant l'esprit que la forme.
Au fond, c'est au regard des problèmes vécus dans les cités et dans les quartiers par beaucoup de nos concitoyens que peuvent s'apprécier nos différentes approches.
Certains, comme M. Braye, considèrent que la seule approche qui vaille est celle qui part du comportement de l'animal. Je veux bien admettre qu'elle a quelques justifications : l'animal n'est pas mauvais, c'est son maître qui le dévoie.
Cependant, notre approche, qui est aussi celle des associations concernées, prend avant tout appui sur la réalité vécue par nos concitoyens qui, dans leur environnement immédiat, dans leur vie quotidienne, se sentent en insécurité croissante.
Contre cette insécurité, nous souhaitons agir vite. Or, comme le soulignait fort justement M. Dussaut, ce texte est d'application immédiate.
Pour élaborer ce projet, le Gouvernement a bien entendu consulté les différents organismes intéressés, des commissions spécialisées, des représentants des professions concernées par les animaux de compagnie ainsi que des spécialistes du comportement animal. Je mentionnerai notamment les représentants des collectivités locales, qui attendent ce texte avec impatience, l'ordre des vétérinaires, le syndical national des vétérinaires d'exercice libéral, les professeurs de zootechnie et d'éthologie des écoles vétérinaires, ainsi que la Société centrale canine, intéressée tout particulièrement par la notion de « catégories », qui figure dans le texte.
Nous avons également travaillé avec les représentants des services de secours, particulièrement avec les vétérinaires sapeurs-pompiers, qui se trouvent confrontés concrètement aussi bien au problème des animaux maltraités qu'à celui des animaux dangereux.
Nous avons en outre tenu compte des avis formulés par les représentants des éleveurs et des vendeurs d'animaux de compagnie, qui suivent de plus en plus des démarches axées sur la qualité.
Je n'aurai garde d'oublier, dans cette énumération, les associations de protection animale telles que la SPA, qui sont aussi directement concernées par le problème des chiens d'attaque dans la mesure où elles gèrent des fourrières. Ainsi, la SPA de Paris est confrontée à une situation bien souvent périlleuse en raison des risques que fait naître la présence de chiens potentiellement dangereux dans ses locaux : effractions, menaces exercées sur les personnes sont le pendant de leur mission, par ailleurs tout à fait méritoire.
M. Minetti m'a interrogé sur les moyens qui pourraient garantir une bonne application des mesures prévues. Je partage son souci et je comprends sa préoccupation. C'est d'ailleurs une question d'ordre général, celle de la sécurité publique.
Comme je l'ai déjà indiqué, la police nationale prévoit de prolonger et de développer, à terme relativement bref, l'expérience des brigades cynophiles.
On a souvent souligné que les maires manquaient, à titre principal, de moyens juridiques pour agir. Or, précisément, le projet de loi répond à cette grave lacune. Les maires pourront désormais décider et agir avec toute la sécurité juridique voulue, appliquer les dispositions générales, prendre des mesures particulières en fonction de la situation spécifique de leur commune, de sa réalité sociologique et urbanistique, ainsi que de la politique qu'ils entendent conduire en matière de sécurité publique.
M. Minetti mesure, j'en suis convaincu, combien ce texte ouvre non seulement des possibilités d'intervention pour les forces de l'ordre mais aussi des voies nouvelles en termes de politique de prévention.
J'aurai, lors de la discussion des articles, l'occasion d'évoquer les thèmes abordés par les deux derniers intervenants. Je suis d'ailleurs persuadé que cette discussion donnera lieu à des échanges constructifs. J'espère, en tout cas, que ceux-ci permettront d'enrichir ce texte, dont l'un d'entre vous a dit qu'il était perfectible : c'est aussi ma conviction. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
A la demande de M. le ministre, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures vingt, est reprise à dix-huit heures quarante.)