M. le président. Par amendement n° 105 rectifié, Mme Beaudeau, M. Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 36, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la liste annexée à l'article 2 de la loi n° 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation, la mention "Crédit Lyonnais" est supprimée. »
La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. La pression forte exercée depuis plusieurs semaines par M. Van Miert sur le gouvernement français pour qu'il règle au plus tôt - et dans les pires conditions - le dossier du Crédit Lyonnais motive cet amendement.
Lors de la discussion du projet de loi portant sur le plan de redressement du Crédit Lyonnais et du Comptoir des entrepreneurs, nous avions souligné, à l'écoute des salariés, qu'il nous importait que le redressement de l'établissement soit effectivement réalisé sans que la collectivité des salariés comme la collectivité nationale elle-même se trouvent lésées.
La mise en place de la structure de cantonnement des actifs du Crédit Lyonnais, le consortium de réalisation, a été marquée de notre point de vue de quelques défauts fondamentaux.
Si l'établissement a été soulagé de quelques actifs, force est de constater que la gestion de ces actifs par le consortium de réalisation, le CDR, a été pour le moins discutable, les pertes prévisibles constatées sur les actifs immobiliers ayant manifestement été doublées de pertes nettes tout à fait évitables sur les autres actifs, singulièrement les actifs industriels.
Il est une autre source de difficultés particulières pour le Crédit Lyonnais, la question de la rémunération du prêt qu'il a accordé à l'établissement public de financement et de restructuration dont la rémunération a sensiblement baissé, du fait même de la réduction des taux du marché monétaire sur lesquels cette rémunération est assise.
Mais tout aussi fondamentale est, de notre point de vue, la question, désormais récurrente, du devenir de l'établissement.
On sait de manière assez précise que, lors de la préparation du plan de redressement de 1995, le gouvernement français avait assorti la négociation menée avec les autorités européennes d'une concession à leurs injonctions.
C'est en effet une part importante du réseau européen de l'établissement qui devait être bradée pour que la Commission, dont on sait qu'elle n'a de comptes à rendre à personne, accepte le plan de redressement.
Force était alors de constater que la réduction de la présence commerciale du Crédit Lyonnais risquait, dans les faits, d'obérer son propre redressement.
C'est cette pression qui a pourtant été prise en compte par le gouvernement français de l'époque et que la Commission européenne réitère aujourd'hui, pour inviter l'Etat à se délester au plus tôt du Crédit Lyonnais, y compris par la voie d'une vente de gré à gré, sans passer donc par la procédure la plus courante en matière de privatisation, celle de l'offre publique de vente.
Il n'est pas acceptable, quoi que l'on puisse penser des suites éventuelles du dossier du Crédit Lyonnais, notamment des suites judiciaires qui découleront de la mise en examen de son ancien président, que les intérêts de l'établissement, et a fortiori ceux de la nation, puissent être ainsi bradés.
Des milliers de salariés du Crédit Lyonnais ont, lors d'une manifestation tout à fait inédite menée au siège de la Commission européenne, à Bruxelles, affirmé leur refus d'une telle perspective.
Nous pensons, nous, que continuer le redressement du Crédit Lyonnais dans des conditions économiques et sociales adéquates et maintenir le caractère public de l'établissement financier sont nécessaires.
C'est sous le bénéfice de ces observations que je vous invite à adopter cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Au cours des derniers jours, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie a obtenu des progrès considérables pour parvenir, avec la Commission européenne, à un accord global sur le Crédit Lyonnais. Les termes de cet accord, qui est en cours de négociation, permettront, et c'est l'essentiel, de sauvegarder la viabilité de l'établissement, sur laquelle des rumeurs imprudentes et condamnables avaient laissé planer un doute.
Il est très important, pour le Gouvernement, que le redressement du Crédit Lyonnais, qui est en cours, soit conforté. A ce propos, il faut rendre hommage à l'ensemble des salariés de cet établissement, qui ont participé à l'effort de redressement.
Si la Commission européenne accepte la solution définitive qui est en cours de préparation, plus aucune hypothèque ne pèsera alors sur l'avenir du Crédit Lyonnais. Celui-ci pourra ainsi poursuivre et accélérer son redressement, dans le souci des intérêts de l'entreprise, des salariés, de l'Etat et des contribuables, lesquels ont été mobilisés pour assurer la sauvegarde de cette grande banque.
S'agissant de la privatisation, c'est un engagement qui a été pris par l'Etat, c'est-à-dire par le gouvernement, en 1995, et sur lequel il n'est pas possible de revenir.
Cela dit, en ce qui concerne le Crédit Lyonnais, comme pour d'autres opérations qui ont eu lieu antérieurement, le Gouvernement sera attentif à l'intérêt de l'entreprise et des salariés. Vous pouvez en être persuadée, madame Borvo. J'espère que ces précisions vous inciteront à retirer cet amendement, sinon je demanderai au Sénat de bien vouloir le rejeter.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 105 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 104, Mme Beaudeau, M. Paul Loridant et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, avant l'article 36, un article additionnel ainsi rédigé :
« Dans la liste annexée à l'article 2 de la loi n° 93-923 du 19 juillet 1993 de privatisation, la mention : "Compagnie nationale Air France" est supprimée. »
La parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, on ne peut procéder à un examen attentif de la situation nouvelle qui résulterait de l'article 36 du présent projet de loi sans faire un retour sur une donnée essentielle : le devenir de la situation juridique d'Air France.
Posons une première question essentielle : qu'est-ce qui a pu motiver, voilà déjà de nombreuses années - soixante ans environ - que l'Etat décide d'intervenir publiquement en matière de transport aérien en constituant une compagnie nationale ?
Le premier enjeu était, bien entendu, le développement du transport aérien, développement dont notre pays devait être partie prenante, eu égard, en particulier, à la place qu'il occupait dans le monde, à l'existence d'une industrie aéronautique française qui, il n'est jamais inutile de le rappeler, a connu de grands succès technologiques, ou encore à la maîtrise de la logistique du transport aérien illustrée notamment par la réalisation des platesformes d'Orly, à la fin des années cinquante, et de Roissy, à partir de 1973.
Le second enjeu - et pas le moins important - était de faire prévaloir que, au-delà de la lutte commerciale entre compagnies, le transport aérien pouvait aussi être un véritable service public, ouvert à l'ensemble de la population et répondant à des besoins collectifs.
Pour autant, la situation que nous connaissons depuis plusieurs années est pour le moins contrastée.
Notre expérience de l'évolution du transport aérien est instructive.
D'une part, la compagnie s'est épuisée dans une quête sans fin de ce que le président de l'époque appelait « la masse critique » et qui consistait, dans les faits, à endetter lourdement l'entreprise pour lui permettre de jouer un rôle dans le concert d'un transport aérien chaque jour sans cesse plus ouvert à la déréglementation et à la guerre économique.
Les maux de cette période sont connus : achat coûteux d'avions à travers des opérations de crédit-bail, affrètement, abandon de dessertes, sous-traitance renforcée d'un certain nombre d'opérations, pertes sensibles de valeur ajoutée.
Cette situation a ouvert un boulevard aux partisans de la privatisation de l'entreprise, qui ont, comme d'habitude dans ces cas-là, pu disserter à l'infini sur les ambiguïtés de l'Etat actionnaire, sur la « privatisation-modernisation » et autres lubies idéologiques que l'on nous ressasse depuis quelques années.
Cette logique de raisonnement, poussée à l'extrême, a évidemment été traduite politiquement par la loi de privatisation de juillet 1993, qui était alors justifiée accessoirement par la nécessité de réduire les déficits publics.
Je ne manquerai pas ici de souligner que la loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier de mars 1996 a ajouté quelques éléments à cette logique en dissolvant, par exemple, la société à participation ouvrière d'UTA, société à propos de laquelle on peut dire que le projet actuel soumis à la négociation est une forme de renaissance.
Nous comprenons donc tout à fait que la commission des finances ne puisse souscrire à l'action entreprise par le Gouvernement.
Pour autant, il nous paraît logique de confirmer clairement que notre société de transport aérien public demeure un élément du patrimoine de la nation.
Il nous semble d'ailleurs, compte tenu des positions affirmées récemment tant par M. le ministre des transports que par M. le Premier ministre lui-même, que la logique commande de retenir le présent amendement. Je vous invite donc, mes chers collègues, à l'adopter par la voie la plus adéquate, celle du scrutin public.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur. Défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je ferai deux observations.
D'abord, il existe, au sein de la Haute Assemblée, un clivage très net entre ceux qui, avec le Gouvernement, veulent que l'Etat reste majoritaire dans le capital d'Air France, et les autres. Chacun doit prendre les positions nécessaires.
Ensuite, s'agissant de l'amendement qui est proposé, le présent projet de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier n'est pas le texte adéquat pour ouvrir un débat sur l'avenir du secteur public en modifiant la loi de 1993. Vous ayant rassuré sur les intentions du Gouvernement, je vous demande, monsieur Lefebvre, de bien vouloir retirer cet amendement.
M. le président. La demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen n'est pas parvenue à la présidence.
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 104, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 36