M. le président. Par amendement n° 199, M. Marini, au nom de la commission des finances, propose d'insérer, après l'article 30, un article additionnel ainsi rédigé :
« Il est inséré, après l'article 1844-7 du code civil, un article 1844-7 bis ainsi rédigé :
« Art. 1844-7 bis. - I. - Le ou les associés d'une société dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé, contrôlée majoritairement par une personne ou plusieurs personnes agissant de concert, peuvent, pour justes motifs liés au comportement fautif et dommageable de la ou les personnes contrôlant majoritairement la société, demander l'achat de leurs droits sociaux par ces derniers.
« Le ou les associés contrôlant majoritairement, seul ou de concert, une société dont les titres ne sont pas admis aux négociations sur un marché réglementé peuvent demander à acheter les droits sociaux d'un ou plusieurs associés pour justes motifs liés au comportement fautif et dommageable de ces derniers.
« II. - Le ou les associés d'une société dont les titres ne sont pas négociables sur un marché réglementé et contrôlée à plus de 95 % du capital ou des droits de vote par une personne ou plusieurs agissant de concert peuvent demander l'achat de leurs droits sociaux par ces derniers.
« Le ou les associés contrôlant seul ou agissant de concert, plus de 95 % du capital ou des droits de vote d'une société dont les titres ne sont pas négociés sur un marché réglementé, peuvent demander à acheter les droits sociaux d'un ou plusieurs associés.
« III. - En cas de transformation d'une société anonyme, dont les titres ne sont pas négociés sur un marché réglementé, en société en commandite, les associés n'ayant pas voté en faveur d'une telle transformation peuvent demander le rachat de leurs droits sociaux par la société.
« IV. - Pour l'application des paragraphes précédents, la demande d'achat est signifiée à la société qui dispose d'un délai de trois mois pour acquérir ou faire acquérir les droits sociaux.
« A défaut d'offre d'achat ou de vente notifiée dans ce délai, le juge ordonne la cession des droits sociaux dans les conditions de l'article 1843-4, sauf s'il retient un juste motif évoqué par celui auquel l'offre est destinée. L'évaluation des titres est effectuée selon les méthodes objectives pratiquées en cas de cession d'actifs et tient compte, selon une pondération appropriée à chaque cas, de la valeur des actifs, des bénéfices réalisés, de l'existence de filiales et des perspectives d'activité. L'indemnisation est égale, par titre, au résultat de l'évaluation précitée. Le montant de l'indemnisation revenant aux détenteurs non identifiés est consigné. »
La parole est à M. Marini, rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Je n'ai pas voulu entrer dans le débat interne à la majorité gouvernementale dite plurielle auquel nous avons assisté dans le cadre de l'article 30. Mais il était un peu piquant, pour un observateur extérieur neutre, d'écouter les arguments échangés. (Sourires.)
Il est un point sur lequel je vais - sans aller trop loin, rassurez-vous ! - partager la préoccupation de M. Fischer. (Exclamations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Guy Fischer. C'est inquiétant !
M. Philippe Marini, rapporteur. Notre collègue a évoqué les entreprises cotées et les intérêts de leurs actionnaires par rapport à la généralité des entreprises dans un pays où une très grande majorité d'entreprises n'est pas cotée sur les marchés financiers.
Cet élément a conduit la commission des finances à vous proposer, mes chers collègues, d'équilibrer l'article 30 par l'article additionnel qui vous est ici proposé.
Dans l'article 30, nous apportons une solution, attendue par la place financière de Paris, concernant certaines opérations utiles aux grandes sociétés cotées. Dans cet article additionnel, nous vous proposons, mes chers collègues, de vous tourner vers les petites et moyennes entreprises et d'apporter une solution à des difficultés bien connues, qui existent depuis fort longtemps et qui constituent souvent - j'en parle, en particulier, pour notre ami Pierre Laffitte, qui a effectué beaucoup de travaux dans ce domaine - une entrave à l'investissement en fonds propres des personnes physiques dans des petites et moyennes entreprises en développement, notamment dans celles que l'on qualifie d'innovantes.
Cet article additionnel vise à permettre la sortie des actionnaires minoritaires, soit sur leur initiative, soit sur celle d'un actionnaire majoritaire disposant de plus de 95 % des voix, afin qu'ils ne puissent plus se trouver dilués, exclus des décisions, piégés, en quelque sorte, dans des sociétés fermées, SARL ou sociétés anonymes, dans lesquelles ils sont parfois entrés auparavant dans d'autres conditions juridiques.
Mes chers collègues, il s'agit vraiment là d'un problème grave de la vie des affaires, ainsi que de nombreux spécialistes s'accordent à le reconnaître.
L'article additionnel que nous vous proposons d'adopter comporte quatre divisions.
En premier lieu, pour de justes motifs appréciés par le juge et liés au comportement fautif et dommageable de la ou des personnes contrôlant majoritairement la société, il devrait être possible aux associés minoritaires de demander le rachat de leurs droits sociaux. Par souci de symétrie, nous traitons d'ailleurs aussi le problème de l'abus de minorité après avoir traité celui de l'abus de majorité.
En deuxième lieu, nous proposons d'élargir à l'ensemble des entreprises, donc à celles qui ne sont pas cotées, une disposition qui existe depuis la fin de 1993 pour les seules entreprises cotées et qui permet à un actionnaire à plus de 95 % d'acquérir le reste du capital, dans le cadre d'une évaluation objective neutre offrant toutes les garanties nécessaires.
En troisième lieu, nous proposons, en cas de transformation d'une société anonyme en société en commandite, la possibilité pour les minoritaires de demander le rachat. Cela existe pour les sociétés cotées. Pourquoi cela n'existerait-t-il pas pour les sociétés non cotées ?
Enfin, en quatrième lieu, nous précisons les garanties qu'il convient d'apporter en ce qui concerne l'indemnisation des actionnaires qui sortiraient ainsi du capital des entreprises dont il s'agit.
Tels sont, monsieur le secrétaire d'Etat, les motivations et le dispositif qui sont proposés à l'appréciation de notre Haute Assemblée.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. J'admire le sens de la transition dont a fait preuve M. le rapporteur après l'intervention de M. Fischer ! (Sourires.)
Cela étant, le Gouvernement est très réservé sur un amendement qui prévoit d'étendre assez brusquement les actuelles procédures de retrait obligatoire des sociétés cotées au sociétés non cotées.
Sur le principe, il s'agit d'une procédure utile, qui est actuellement à l'étude dans le cadre de la réforme du droit des sociétés que ma collègue Mme le garde des sceaux est en train d'examiner. On pourra ainsi, comme l'a indiqué M. le rapporteur, dénouer des situations complexes et donner une liquidité, comme disent les spécialistes, à des actionnaires minoritaires.
Toutefois, je souhaite insister sur le fait que les sociétés cotées comportent un triple dispositif de surveillance qui protège les actionnaires minoritaires ou majoritaires : un expert indépendant, le conseil des marchés financiers et, du fait même de l'existence des marchés, la possibilité pour chacun d'observer ce qui se passe.
En ce qui concerne les sociétés non cotées, ces dispositifs de surveillance sont à imaginer. Or, malgré la qualité de votre réflexion, monsieur le rapporteur, vous ne l'avez pas menée jusqu'à son terme sur ce point, me semble-t-il. Il faut donc attendre la fin des études qui sont conduites par Mme le garde des sceaux dans le cadre de la réforme du droit des sociétés pour envisager de modifier la loi en ce domaine.
C'est la raison pour laquelle, tout en ayant bien pris note de votre intérêt pour le sujet et du sens de votre démarche, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement.
M. Philippe Marini, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Marini, rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Monsieur le secrétaire d'Etat, s'agissant des modalités d'expertise, nous les précisons dans l'article.
En ce qui concerne la comparaison entre le secteur coté et le secteur non coté, il est vrai que, pour le premier, les règles du droit boursier et les garanties qui lui sont propres s'appliquent. Mais, ici, il y a le juge ! Le dispositif proposé fonctionnerait sous l'appréciation des tribunaux éventuellement saisis.
A l'heure actuelle, lorsque des actionnaires sont lésés et considèrent que le contrat de société n'a pas été respecté, la seule possibilité prévue par le code civil tel qu'il a été modifié au fil du temps est la dissolution par le juge de la société. Ainsi, l'article 1844-7 dudit code prévoit la dissolution anticipée prononcée par le tribunal à la demande d'un associé pour juste motif, notamment en cas d'inexécution de ses obligations ou de mésentente paralysant le fonctionnement de la société.
Tout le monde sait, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il existe de très nombreuses situations de blocage dans la vie quotidienne des entreprises, et que la dissolution anticipée de la société est un marteau-pilon qui, bien souvent, n'est pas utilisé pour ne pas casser l'outil.
Grâce au dispositif proposé dans notre amendement, nous bénéficierons, en quelque sorte, d'un peu plus d'empirisme, d'un peu plus de souplesse. Je crois que cela constitue, effectivement, un progrès du droit des sociétés.
Au demeurant, n'avons-nous pas adopté hier un amendement de M. Loridant qui a modifié de manière très substantielle les conditions de fonctionnement des sociétés fermées afin que le non-respect de certaines clauses statutaires se traduise par la nullité des cessions ? Si l'on admet des modifications aussi importantes pour une catégorie de sociétés, pourquoi n'accepterait-on pas de traiter de ce sujet qui permettrait, me semble-t-il, à beaucoup de chefs d'entreprise et d'actionnaires de résoudre des problèmes concrets ?
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 199.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. L'amendement de M. Marini répond à une vraie préoccupation. Il faut absolument progresser dans ce domaine, afin d'éviter les blocages.
A titre personnel, je ne suis pas opposé à cet amendement, mais je constate que les projets de loi portant diverses dispositions d'ordre économique et financier deviennent, au fil du temps, des projets extraordinaires. Ainsi, hier, on a voté un amendement sur le droit des sociétés. Aujourd'hui, un amendement de même nature est déposé. Ne vaudrait-il pas mieux élaborer un texte sur la réforme du droit des sociétés ?
M. Philippe Marini. rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est très urgent, monsieur le secrétaire d'Etat !
M. Philippe Marini. rapporteur. Très urgent, en effet.
M. Jean-Jacques Hyest. Mais, en agissant par étapes, je ne suis pas persuadé que l'on assure la cohérence du système.
En tant que membre de la commission des lois, je souhaite que non seulement le ministère de l'économie et des finances, mais aussi la Chancellerie se préoccupent de l'avenir des sociétés.
Je ne suis pas opposé à cet amendement, qui correspond à un besoin, mais je pense qu'il faut cesser d'engager sans cohérence et par petites touches, à l'occasion de l'examen de textes divers, la réforme pourtant indispensable du droit des sociétés.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. On ne peut qu'être d'accord avec M. Hyest : comme je l'ai indiqué, ma collègue Mme le garde des sceaux étudie actuellement une réforme d'ensemble du droit des sociétés, à propos de laquelle sont consultés les meilleurs spécialistes. C'est bien ainsi qu'il convient, à mon avis, de travailler.
Cela dit, le Sénat, dans sa sagesse, peut en décider autrement ! Mais le Gouvernement demeure hostile à cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 199, repoussé par le Gouvernement.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l'amendement.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 30.

Section 8

Dispositions relatives à Mayotte
et Saint-Pierre-et-Miquelon

Articles 31 et 31 bis