M. le président. La parole est à M. Minetti, auteur de la question n° 234, adressée à M. le ministre de l'agriculture et de la pêche.
M. Louis Minetti. Je résumerai en neuf propositions un sujet qui mériterait, évidemment, des heures de débat.
Premièrement, il faut prendre en compte le fait que l'Europe ne produit que 40 % des fruits et légumes qu'elle consomme, alors que ce secteur représente 25 % de la production européenne et ne participe qu'à hauteur de 4 % du budget européen. Il faut indemniser ce secteur, sans oublier les autres acteurs de la filière, saisonniers ou non.
Deuxièmement, il faut mettre en place une action commune en matière de fruits et légumes - cela pourrait être la constitution d'un front méditerranéen au sein de l'Europe - et modifier la politique agricole commune en ce sens. Il est possible d'organiser un partenariat France-Espagne pour les produits méditerranéens, dont les fruits et légumes sont un symbole, et de rechercher un accord avec le Portugal, l'Italie et la Grèce en vue d'un rééquilibrage de l'Europe vers le sud méditerranéen.
Troisièmement, sur ces bases, nous devons impérativement remettre à plat et renégocier tous les accords bilatéraux ou multilatéraux conclus, avec les pays tiers. Avec les pays en voie d'émergence, il est possible de construire ensemble une politique de codéveloppement qui permettra - c'est la seule voie - de barrer la route au dumping social préjudiciable à tous les peuples.
Quatrièmement, la commission franco-espagnole, qui s'est réunie trois fois, doit voir sa mission élargie : il est nécessaire de lui confier le pouvoir de prévision et de gestion des crises. Elle doit pouvoir, en osmose avec tous les professionnels de la production et de la distribution mieux structurer les rythmes de production de mise en marché. La modulation, la prévision, le stockage, la transformation, les fonds de gestion sont les seules bonnes et véritables réponses.
Cinquièmement, il faut responsabiliser les grands groupes bancaires, commerciaux et de transports.
Je demande solennellement à tout le Gouvernement - en effet, le ministre de l'agriculture n'est pas le seul concerné - de mettre en chantier la réforme de ce secteur en vue de mettre un terme à la liberté absolue, à la dictature qu'imposent ces prédateurs, ces grands groupes financiers qui pilotent l'import, l'export et la grande distribution. Des règles claires et simples doivent permettre une juste rétribution du travail paysan, notamment en rétablissant les coefficients multiplicateurs, au moins à titre expérimental.
Sixièmement, il faut faire avancer très vite, et faire aboutir, la négociation avec le gouvernement espagnol pour l'égalisation des conditions salariales et de vie. Un tel accord à Luxembourg, tel que prévu, s'inscrirait dans la démarche d'une Europe sociale.
Septièmement, il faut se pencher sur le problème des fruits de printemps et d'été, qui sont concurrencés par les importations en provenance de l'hémisphère sud.
Les certificats d'importation censés réguler leur introduction en Europe ne sont qu'un leurre ; les droits de douane sont symboliques. Il est inacceptable de voir à la vente non limitative, non contrôlée, des pommes, des poires, des brugnons et autres fruits de l'hémisphère sud, alors que, depuis quelques semaines, pommes et poires françaises et européennes sont jetées « au retrait », au prix de soixante centimes à un franc le kilo. Pourquoi ne pas retirer également les produits d'importation du marché ?
Huitièmement, il faut mettre un terme aux pratiques des importateurs-exportateurs de l'hémisphère Sud qui expédient des produits sans facture, sans indication de prix de vente ni au départ, ni à l'arrivée. Les prix de référence pour l'établissement des tarifs douaniers sont trop bas. Les accords déjà conclus sur ces bases doivent donc être revus à la hausse.
M. le ministre de l'agriculture, s'il se fait entendre par les autorités de Bruxelles, est assuré de mon soutien et - j'en suis persuadé - de celui de mes collègues sénateurs, comme de toute la profession. Il faut combattre efficacement le dumping social.
Enfin, neuvièmement, un mémorandum franco-espagnol, reprenant et développant ces neuf propositions, doit être déposé auprès des services de la Commission européenne. Je pense qu'il est possible d'être entendu.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Louis Besson, secrétaire d'Etat au logement. Monsieur le sénateur, en vous priant d'excuser mon collègue ministre de l'agriculture, en déplacement à l'étranger, je vous remercie en son nom pour la contribution du groupe que vous animez à la réflexion sur l'avenir de la filière des fruits et légumes.
Celle-ci constitue actuellement l'une des préoccupations fortes de M. Le Pensec et de l'ensemble du Gouvernement, à la fois pour des raisons de conjoncture et de climatologie, mais aussi parce que, après plusieurs mois de concertation et de dialogue avec la profession, quelques axes structurels semblent pouvoir se dessiner.
Concernant la conjoncture, les aléas météorologiques ont entraîné des perturbations fortes pour certaines productions comme les pommes, les salades, les choux-fleurs et quelques autres. Ils ont amplifié les difficultés que la situation économique de ces filières avait de toute façon fait apparaître.
Louis Le Pensec a donc décidé la tenue d'une table ronde, fixée au 15 mai prochain, et proposera à cette occasion différentes mesures spécifiques de soutien à cette filière.
Outre la nécessité de faire jouer la solidarité pour les exploitations sinistrées lors du gel du 13 avril dernier, certaines mesures d'urgence visant à alléger les charges des exploitations les plus fragilisées sont nécessaires. Mais, au-delà, il est évident que des problèmes structurels se posent à la profession, comme aux pouvoirs publics français ou européens. Ils doivent être abordés avec la volonté de trouver les réponses les plus adaptées. Certaines doivent résulter d'une initiative publique. C'est le cas notamment de l'amélioration de l'organisation commune des marchés pour le secteur des fruits et légumes : le mémorandum franco-espagnol, récemment déposé auprès des services de la Commission, va dans ce sens.
Plus largement, la commission mixte franco-espagnole contribue désormais à assurer une meilleure transparence dans la situation des marchés ; elle est aussi le lieu de dialogue et d'analyse des différences susceptibles d'exister en matière de coûts de production.
Sa mission, qui s'inscrit dans la durée, répond à votre préoccupation de voir s'organiser peu à peu ce que vous appelez le « front méditerranéen » et qui est en fait l'harmonisation d'une politique méditerranéenne dans le secteur des fruits et légumes.
Une telle démarche, qui devra s'élargir aux autres pays du sud, est nécessaire pour faire progresser la prise en compte de cette filière au niveau européen, et notamment la politique budgétaire.
Lorsque le ministre de l'agriculture évoque sa volonté d'un rééquilibrage des aides publiques à l'agriculture, il pense en particulier à cette filière et à ces régions.
Les chiffres que vous indiquiez sur les déficits européens en matière de fruits et légumes, sur la part communautaire que représente cette filière, sont éloquents ; ceux qui sont relatifs à la capacité de la filière des fruits et légumes à maintenir et à créer des emplois agricoles, dans des zones rurales souvent difficiles, plaident également en faveur de ce rééquilibrage. Mais cela, vous le savez, ne dispens pas la profession de poursuivre une réflexion exigante sur ses propres responsabilités.
L'amélioration et l'identification de la qualité des produits est encore, malgré l'importance des progrès réalisés, bien souvent insuffisante, et l'adaptation au goût du consommateur n'est pas toujours suffisamment une préoccupation des producteurs.
L'organisation des producteurs doit se renforcer, car l'individualisme de leur démarche professionnelle est un handicap. Il faut rééquilibrer les relations avec la distribution et les groupes financiers. Mais il faut s'en donner les moyens. Cela passe par la constitution, notamment sur l'initiative des producteurs, de structures commerciales de taille européenne.
Monsieur le sénateur, l'ensemble de ces sujets sera naturellement évoqué lors de la table ronde organisée par le ministre de l'agriculture dans un peu plus de quinze jours maintenant. Je suis sûr que vous porterez attention à son déroulement et à ses conclusions. Sachez que le ministre de l'agriculture compte y jouer le rôle constructif que des observations pertinentes, comme celles que vous avez présentées à l'occasion de cette question, ne peuvent que l'inciter à mettre en avant.
M. Louis Minetti. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Minetti.
M. Louis Minetti. Monsieur le secrétaire d'Etat, votre réponse sonne agréablement à mes oreilles. Il restera évidemment à lire, plume en main, le texte dont j'aurai communication.
Je veux aussi donner acte à M. le ministre de l'agriculture qu'il a rapidement réagi à mon appel lorsque je lui ai demandé de régler d'urgence les premières crises, qui continuent, et réglé la question des premiers gels de récolte.
A propos de la solidarité nationale, qui doit jouer, je voudrais rappeler ce que disaient les anciens au jeune agriculteur que j'étais : « Au minimum, pour faire face, un viticulteur doit avoir une récolte en banque, une récolte en cave et une récolte dans la vigne. » Cet axiome peut évidemment être étendu aux producteurs de fruits et de légumes.
Aujourd'hui, plus de quarante ans après, il n'en est plus ainsi. La profession est très fragilisée et il faut trouver des solutions de fond.
J'insisterai, après vous avoir entendu, monsieur le secrétaire d'Etat, sur les problèmes du commerce. C'est l'ensemble du Gouvernement, et pas seulement le ministre de l'agriculture et de la pêche, qui doit régler la question des coefficients multiplicateurs et le problème de la responsabilisation des grands groupes, que j'ai souligné dans ma question. Je comprends que la prudence gouvernementale ne vous permet pas de reprendre le terme de « prédateurs », mais c'est celui qu'utilisent les agriculteurs.
Enfin, oui, le Gouvernement a raison, les producteurs doivent s'organiser. J'abonde dans ce sens. Mais à condition de bien considérer que, contre les géants de la distribution - ils sont cinq grands groupes - s'organiser est extrêmement compliqué, car la lutte se situe uniquement sur le terrain économique. Des mesures de caractère syndical s'imposent. Cela ne relève pas du Gouvernement mais, bien sûr, des syndicats.
Quant aux mesures politiques, elles ressortent bien évidemment au Gouvernement français et à la Commission de Bruxelles. Je répète que si vous arrivez à décrocher un certain nombre de mesures concrètes, mon soutien vous sera accordé, soyez-en assuré, sans aucune restriction.

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