M. le président. « Art. 18 ter. _ Le dernier alinéa de l'article 8 du code de procédure pénale est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :
« Le délai de prescription de l'action publique des délits commis contre des mineurs prévus et réprimés par les articles 222-9, 222-11 à 222-15, 222-27 à 222-30, 225-7, 227-22 et 227-25 à 227-27 du code pénal ne commence à courir qu'à partir de la majorité de ces derniers.
« Par dérogation aux dispositions du premier alinéa, le délai de prescription est de dix ans lorsque la victime est mineure et qu'il s'agit de l'un des délits prévus aux articles 222-30 et 227-26 du code pénal. »
Par amendement n° 17, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de supprimer le second alinéa du texte présenté par cet article pour remplacer le dernier alinéa de l'article 8 du code de procédure pénale.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Avec cet amendement, nous abordons un point de désaccord qui concerne l'allongement du délai de prescription.
Je comprends l'intention qui a animé nos collègues de l'Assemblée nationale lorsqu'ils ont porté le délai de prescription de l'action publique de trois ans à dix ans pour certains délits à caractère sexuel. Mais n'oublions pas que la prescription des délits sexuels commis contre les enfants ne court qu'à partir de leur majorité ! De la sorte, une personne qui aurait été victime d'une agression à l'âge de cinq ans, par exemple, dans un environnement déterminé, pourrait décider de déclencher la poursuite jusqu'à l'âge de vingt-huit ans, c'est-à-dire vingt-trois ans après les faits.
Pourquoi existe-t-il - outre un cas très particulier où le crime est imprescriptible - des prescriptions en droit pénal ? Parce qu'il peut paraître nécessaire, au bout d'un certain temps, d'oublier, de pardonner, et en même temps parce qu'il peut parfois devenir difficile, voire impossible, d'établir la preuve longtemps après les faits.
Dans la mesure où le délai de prescription ne court qu'à partir de la majorité de la victime - ce qui semble indispensable - fallait-il porter ce délai, en matière délictuelle, de trois à dix ans ? La commission des lois n'a pas cru devoir le faire. Elle s'est prononcée dans ce sens lorsque le Sénat a été saisi de ce projet de loi en première lecture. Elle s'est prononcée une seconde fois dans ce sens lorsqu'elle a examiné le texte qui lui a été transmis par l'Assemblée nationale en deuxième lecture.
Nous venons d'adopter un nouveau code pénal et nous avons entièrement revu le chapitre consacré aux prescriptions. J'étais le rapporteur de ce texte et je pense qu'il serait regrettable de revenir sur une question aussi fondamentale à l'occasion de l'examen du présent projet de loi.
En conséquence, je soutiens avec beaucoup de conviction la position de la commission des lois sur ce point.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je suis opposée à cet amendement qui tend à supprimer une disposition essentielle du projet, celle qui porte de trois à dix ans le délai de la prescription de certaines agressions ou atteintes sexuelles commises sur des mineurs.
Cette aggravation est en effet nécessaire, et les critiques qui lui sont faites ne sont pas, à mon sens, fondées.
Cette aggravation est d'abord justifiée par la nature et la gravité des actes visés. Ne sont en effet concernées que les agressions ou atteintes commises sur un mineur de quinze ans par un ascendant ou une personne ayant autorité, qui sont punies de dix ans d'emprisonnement, c'est-à-dire du maximum de la peine encourue pour les délits.
Il s'agit des faits d'inceste les plus graves. Pour les agresions sexuelles, cela concerne les faits commis avec violence ou menace.
De tels faits constituaient, dans l'ancien code pénal, des crimes. Ils ont été correctionnalisés dans un souci d'efficacité et de respect de la nouvelle échelle des peines, mais pas pour en atténuer la répression. Or, à vingt et un ans, une victime de ces faits pendant sa minorité n'ose évidemment toujours pas les dénoncer. Il faut du temps pour arriver à parler de ces choses !
On sait par ailleurs que la pratique judiciaire peut correctionnaliser certains viols en les qualifiant d'agression sexuelle et que cette pratique, en soi contestable, se comprend en revanche plus facilement lorsqu'il s'agit de faits anciens. Si, une fois majeure, la victime se heurte presque toujours à la difficulté de prouver le viol alors que l'instruction peut, en revanche, convaincre les juges qu'ont été commises, à tout le moins des agressions sexuelles, encore faut-il que ces agressions sexuelles ne soient pas prescrites !
Pour les atteintes sexuelles, qui peuvent comporter des actes de pénétration, la situation est encore plus choquante. La frontière entre le délit d'atteinte sexuelle et le crime de viol passe en effet par l'absence ou l'existence de consentement du mineur, frontière étroite quand il s'agit d'un enfant de onze ans qui subit la pression d'un adulte ! Pourtant, du choix qui sera opéré par la juridiction dépend la durée de la prescription.
Prévoir, par conséquent, pour ces deux délits - et ces deux-là seulement - une prescription de dix ans me paraît légitime.
Est-ce une atteinte aux principes de notre procédure pénale ? Je ne le pense pas, car toute règle connaît ses exceptions. C'est déjà le cas de certains délits en matière de trafic de stupéfiants ou de terrorisme. Cette nouvelle exception est, en réalité, aussi justifiée, sinon davantage, que celles qui existent actuellement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 17.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Dans la discussion générale, j'ai insisté notamment sur tout ce qui peut se produire à l'intérieur des familles, et j'ai rappelé ces chiffres selon lesquels un quart des femmes qui ont subi des agressions sexuelles et ont porté plainte avaient moins de douze ans au moment des faits, 42 % ayant entre douze et quatorze ans. Il s'agit là d'un drame qui frappent notamment les petites filles ou les jeunes adolescentes et dans lequel est impliqué, dans la moitié des cas, le père, un autre tiers des cas concernant un grand-père ou un oncle. Dans de tels cas, il est extrêmement difficile de parler de viol ou de consentement !
Repousser le départ de la prescription à la majorité a constitué un pas tout à fait capital, car cela a permis de libérer la parole. L'évolution du nombre des dépôts de plainte montre bien que c'est à partir de 1989 que la parole des jeunes, des anciens petits garçons et des anciennes petites filles, a pu se libérer.
Dans le cas qui est sûrement le plus souvent tu, le plus caché, le plus dur à vivre, à savoir celui des violences, des agressions commises entre parents, c'est-à-dire par le père, le grand-père ou un oncle sur une petite fille, on ne pourrait porter plainte que pendant trois ans ? Je ne crois pas, pour ma part, qu'il faille en rester là, même si je comprends les remarques de M. le rapporteur, que j'ai écouté avec intérêt.
Je comprends tout à fait le souci qui anime la commission, mais je voudrais vraiment que M. le rapporteur comprenne à son tour à quel point les situations que nous évoquons sont complexes. A vingt-deux ans ou à vingt-tois ans, les enfants dépendent souvent encore de leurs parents, y compris financièrement, y compris pour le logement.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je le sais bien !
Mme Joëlle Dusseau. C'est à l'égard de ceux qui n'étaient encore que des enfants au moment des faits et qui vivent encore chez leurs parents, dépendant d'eux financièrement - et pour cause, car nous connaissons tous ici les problèmes qu'induit la crise - que nous ne pouvons pas en rester à ce délai de prescription-là. Il faut vraiment l'allonger. Sinon, c'est en fait refuser que la parole puisse se libérer et que des actes abominables, qui marquent pour la vie entière, puissent être dénoncés et poursuivis.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?
Je mets aux voix l'amendement n° 17, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?
Je mets aux voix l'article 18 ter .

(L'article 18 ter est adopté.)

Article 18 quater