M. le président. « Art. 7. _ A l'article 222-33 du code pénal, les mots : "en usant d'ordres, de menaces ou de contraintes" sont remplacés par les mots : "en donnant des ordres, proférant des menaces, imposant des contraintes ou exerçant des pressions de toute nature" ».
Par amendement n° 13, M. Jolibois, au nom de la commission, propose de supprimer cet article.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cet amendement concerne l'adjonction, pour la définition du harcèlement sexuel, des mots « pressions de toute nature ».
C'est le Sénat, je le rappelle, qui, lors de la rédaction du nouveau code pénal, texte dont j'étais le rapporteur, avait défini le délit de harcèlement sexuel. C'est notre assemblée, en effet, qui est à l'origine de la rédaction qui figure aujourd'hui dans le nouveau code pénal.
Il suffit de lire la jurisprudence, notamment un arrêt récent, pour constater que les tribunaux sont confrontés à une véritable difficulté : déterminer la limite entre ce qui est permis, ce qui relève de la camaraderie de bureau, et ce qui est effectivement exagéré.
Il ne me paraît pas judicieux, à titre personnel, à un moment où nous commençons à disposer d'un certain nombre de décisions qui frappent par leur modération, mais aussi par leur souci d'intervenir dans un domaine délicat où il est parfois véritablement nécessaire de marquer des limites, de vouloir introduire dans la loi une expression aussi vague, aussi curieuse que « pressions de toute nature » pour définir le délit de harcèlement sexuel.
Je me souviens parfaitement que, lors de la rédaction initiale du projet de nouveau code pénal, le Gouvernement avait tout simplement oublié d'y faire figurer les mots « harcèlement sexuel ». J'avais alors rappelé que cette expression, dont la définition figure dans les dictionnaires français, impliquait une exagération, une insistance coupable.
S'agissant du délit de harcèlement sexuel, dès lors que l'on parle d'ordres, de menaces ou de contraintes, on sait bien que la limite légitime a été franchie. Devant la notion de « pressions de toute nature », si j'étais magistrat, je serais quelque peu ennuyé pour déterminer ce que cela signifie.
Si nous ne sommes pas précis, nous tomberons dans un système qui n'est pas celui du code pénal français et nous nous mettrons complètement sous la coupe du magistrat, lequel décidera selon l'impression qu'il peut avoir ou la philosophie qui est la sienne.
C'est la raison pour laquelle il a paru plus sage à la commission de s'en tenir au texte que nous avions voté en première lecture, c'est-à-dire de refuser la notion de « pressions de toute nature ».
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Tout a déjà été dit sur cette question. C'est la raison pour laquelle je me contenterai d'insister sur l'harmonisation qui me semble souhaitable entre les rédactions du code pénal et du code du travail.
Je ne suis pas d'accord avec M. le rapporteur quand il semble assigner une mission différente à ces deux textes. Je crois, au contraire, qu'ils se rejoignent en ce qu'ils inscrivent tous les deux l'infraction dans un contexte, professionnel ou non, où existe une relation d'inégalité entre la victime et l'auteur. C'est bien ce lien de subordination qui soumet la victime aux pressions de son supérieur, ou l'abus que ce dernier fait de cette autorité que lui confère ses fonctions, qui est consubstantiel au harcèlement sexuel.
Etablir une différence entre les deux incriminations en fonction du lieu où se sont déroulés les faits, c'est méconnaître la spécificité du phénomène de harcèlement sexuel telle qu'elle avait été reconnue par le législateur de 1992.
Je suis donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 13.
Mme Joëlle Dusseau. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Il est au moins un point sur lequel je suis d'accord avec M. le rapporteur : il faut marquer des limites ! Toutefois, M. Jolibois veut marquer des limites dans la loi, alors que je veux marquer des limites dans la réalité des faits.
Quand je l'entends parler de ce qui est de bon aloi dans le cadre d'une camaraderie de bureau, je lui réponds - hiérarchie, excès de pouvoir, chantage - : « C'est cela ou la porte ! »
Lorsqu'un chef de service, un cadre, un supérieur hiérarchique, un patron, a ce genre d'attitude, il est très rare, mes chers collègues, qu'il donne un ordre. Il donne l'ordre d'aller taper trois feuilles sur l'ordinateur, mais il ne donne pas l'ordre : « Couche-toi ! ». Pardonnez-moi, mais cela peut se passer ainsi. Il n'a pas recours, au sens littéral du terme, à une menace. Une menace, c'est très précis : « Ou tu te couches, ou c'est la porte ! »
Mes chers collègues, un supérieur hiérarchique, un patron ou un cadre tient, en général, des propos plus enveloppés, il est plus mesuré dans ses pratiques. Il ne donne pas d'ordre, ne profère pas de menace, n'impose pas de contraintes ; mais il use de pressions, discrètes, « habillées ».
Ce ne sont plus là des relations de camaraderie, mais des rapports de pouvoir entre un homme et une femme, entre un homme qui a de l'argent, une situation, et une femme qui lui est inférieure sur le plan hiérarchique, qui dépend de lui, qui est peut-être chef de famille et qui peut se retrouver demain au chômage.
Par conséquent, nous devons dépasser les notions d'ordres, de menaces et de contraintes et retenir le terme de « pressions », en sachant bien que le juge, dans sa grande sagesse, saura voir ce qui se cache derrière ces pressions.
En outre, il est extrêmement difficile, du moins dans les cas que j'ai pu suivre, de trouver des témoins. Tout d'abord, ces derniers refusent souvent de parler, notamment parce qu'il s'agit souvent de femmes qui craignent pour leur emploi. Ensuite, en cas d'ordres ou de menaces, il n'y a pas de témoin. En revanche, dans le cas de pressions, plus habiles, moins nettes, on peut trouver des témoins.
La réalité du harcèlement sexuel, je le répète, passe non pas par des ordres ou des menaces, au sens strict du terme, mais par des pressions. Certes, le mot est vague, mais je vous assure qu'il correspond à la réalité. Ou alors, nous ne donnons pas le même sens au terme « ordres » !
Par conséquent, il faut conserver le texte qui a été adopté par l'Assemblée nationale, lequel prend en compte la notion de « pressions de toute nature ».
C'est la raison pour laquelle je voterai contre cet amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 13, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 7 est supprimé.

Article 9