prévention et répression
des infractions sexuelles

Adoption d'un projet de loi en deuxième lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en deuxième lecture, du projet de loi (n° 234, 1997-1998), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale, en deuxième lecture, relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs. [Rapport n° 265 (1997-1998).]
Dans la dicusion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous nous retrouvons aujourd'hui pour une discussion qui m'apparaît avoir évolué considérablement depuis le dépôt par le Gouvernement, au mois de septembre 1997, du projet de loi relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs.
C'est une nouvelle occasion pour moi de constater avec plaisir, comme l'a fait votre rapporteur, l'entente générale entre les deux assemblées sur le principe même de ce texte et sur la majorité de ses dispositions.
Permettez-moi de dire ici que le mérite en revient pour une grande part au rapporteur de votre commission des lois, dont le travail et le véritable souci d'ouverture ont permis de pousser la réflexion et l'élaboration du texte à un niveau remarquable. Je l'en remercie tout particulièrement.
Les débats ne concernent plus désormais qu'un nombre limité de dispositions et, parmi celles qui restent en lecture - et qui sont certes d'importance - je note qu'il ne s'agit le plus souvent que de trouver de simples ajustements.
Je ne voudrais pas prolonger inutilement la discussion générale, puisque tout me semble avoir déjà été dit. Je souhaite seulement donner la vision qui est la mienne à ce stade de la procédure.
En réalité, trois séries de dispositions restent maintenant à adopter selon que l'on examine la portée des divergences de vue soit entre les deux assemblées, soit avec le Gouvernement.
D'abord, une première série de dispositions, très significatives par leur implication sociale, ont déjà catalysé le débat en opposant l'Assemblée nationale à votre Haute Assemblée : il s'agit de l'article 7, concernant l'harmonisation des textes du code pénal et du code du travail en matière de harcèlement sexuel ; il s'agit, ensuite, de l'institution, dans l'article 10, du délit dit de « bizutage » ; il s'agit, enfin, du problème très important posé par la création, dans l'article 32 bis, de la nouvelle commission de levée des hospitalisations d'office intervenues après une décision judiciaire reconnaissant l'irresponsabilité pénale de l'auteur d'une infraction.
Sur cette dernière question, les positions du Gouvernement et du Sénat sont, vous le savez, identiques. Entièrement convaincue par l'avis donné par votre commission des affaires sociales, j'ai eu l'occasion de me prononcer longuement devant vous en première lecture, puis d'y revenir en détail devant les députés pour exprimer le souhait que cette disposition soit retirée et fasse l'objet d'un examen dans le cadre plus adapté du projet de réforme qui devra suivre l'évaluation de la loi du 27 juin 1990. Je ne pense donc pas que cette question mérite de plus longs développements.
En ce qui concerne le harcèlement sexuel et le bizutage, je reviendrai plus précisément sur l'enjeu de ces dispositions dans le courant des débats, mais je suis certaine qu'un terrain d'entente peut être trouvé, à l'aune de ce qui avait été envisagé au cours des échanges particulièrement denses qui ont eu lieu ici même en première lecture. J'ai d'ailleurs noté, en ce qui concerne le bizutage, que les députés n'avaient pas été insensibles à la présentation des pistes explorées par votre assemblée. A ce titre - je crois que cela doit être noté - la nouvelle rédaction de l'article 225-16-1 doit largement aux observations faites par votre collègue M. Dreyfus-Schmidt dans cet hémicycle.
Ensuite, une deuxième série de désaccords subsistent entre vos deux assemblées. S'ils révèlent, certes, pour certains, un enjeu d'une importance évidente, ils me semblent cependant de nature à trouver une issue satisfaisante pour tous.
Je pense notamment à la question de la durée de la mesure de suivi socio-judiciaire et à la sanction prévue pour sa violation, ou encore au régime particulier des décisions de classement sans suite.
Sur ces questions, les débats en première lecture ayant permis à chacun de faire valoir ses arguments, je ne pense pas qu'il soit très utile que les débats se prolongent, et je m'en remettrai à la sagesse de votre assemblée.
Enfin, je serai plus précise au cours de l'examen des articles sur la troisième série de désaccords qui subsistent entre le Sénat et le Gouvernement.
Je crois devoir revenir, en effet, sur trois dispositions qui me paraissent importantes pour la cohérence du texte, notamment pour compléter le corpus des règles destinées plus spécifiquement à la protection des mineurs.
Je veux parler de la circonstance de minorité pour la mise en oeuvre de la circonstance aggravante d'utilisation des réseaux de télécommunications, de la prescription exceptionnelle de dix ans prévue dans deux catégories de cas en matière correctionnelle, et de la modification de l'article 35 de la loi du 29 juillet 1881, trois dispositions sur lesquelles votre commission des lois vous propose de ne pas suivre les députés.
C'est ainsi, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, que j'aborde la discussion de ce texte, consciente du chemin déjà parcouru et confiante, je dois le dire, dans la sérénité et l'esprit constructif qui ont animé les débats jusqu'à présent.
Permettez-moi de terminer mon propos sur le fichier national automatisé des empreintes génétiques, visé désormais à l'article 19 du projet de loi.
Ce fichier se trouve, depuis la semaine dernière, sous les projecteurs de l'actualité, après les développements d'une procédure criminelle récente.
Le principe de ce fichier, qui s'inscrit dans le cadre de la recommandation du Comité des ministres de l'Union européenne du 10 février 1992 et de la résolution du 9 juin 1997, a été adopté à l'Assemblée nationale en première lecture. Le Sénat a consacré cette création tout en améliorant considérablement la rédaction du texte.
Ce fichier représente un outil d'une importance considérable pour la justice. Il est destiné à recueillir, d'une part, les empreintes génétiques des condamnés pour toutes les infractions sexuelles - à l'exception du harcèlement sexuel - et, d'autre part, les traces de produits biologiques de toute nature découvertes sur les lieux où a été commise l'une de ces infractions.
Qu'il s'agisse de traces ou d'empreintes, les fiches intégrées dans l'ordinateur seront une retranscription numérisée, sous forme de code chiffré, du code génétique obtenu après leur analyse.
Le but de ce fichier est de permettre un rapprochement rapide, grâce à l'informatique, de toutes les traces ou empreintes attribuées à un même individu.
Après la commission d'un crime ou d'un délit, et dans la mesure où un prélèvement aura pu être effectué sur les lieux, l'ordinateur central déterminera deux hypothèses possibles : soit la trace relevée est déjà connue pour avoir été relevée dans d'autres affaires non résolues, et les enquêteurs disposeront alors de la preuve que les différents faits ont été commis par une seule et même personne ; soit la trace sera identique à l'empreinte d'une personne identifiée et déjà condamnée pour une infraction sexuelle, ce qui permettra sans aucune possibilité d'erreur de lui attribuer la nouvelle infraction.
Depuis le 20 janvier dernier, sans attendre l'adoption définitive de la loi, j'ai demandé à mes services de préparer un avant-projet de décret. Cet avant-projet, rédigé conjointement avec les services du ministère de l'intérieur, a été soumis pour avis à la Commission nationale de l'informatique et des libertés, puis au Conseil d'Etat, dans les meilleurs délais.
La mise en place de ce fichier national, dans le respect des droits des personnes, aura sans nul doute un impact important dans la poursuite des procédures judiciaires futures mais également de celles qui sont en cours aujourd'hui. Je suis certaine qu'il s'agit d'une avancée considérable de notre procédure pénale.
Voilà ce que je voulais dire, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, au début de cette nouvelle discussion. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - M. Hoeffel applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Jolibois, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du réglement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, cinq mois se sont écoulés depuis que notre assemblée a adopté à l'unanimité le projet de loi qui nous revient aujourd'hui en deuxième lecture. Ce texte est très important. Il vise à apporter de nouvelles solutions à un problème d'une gravité exceptionnelle. Chacun d'entre nous est sensible à ce problème, qui dépasse les clivages politiques. L'objectif est la protection des mineurs, notamment des enfants victimes de sévices sexuels.
Ces solutions, je les ai classées en trois catégories.
Il s'agit tout d'abord de créer une peine complémentaire de suivi socio-judiciaire qui serait encourue par les auteurs d'infractions sexuelles, que la victime soit majeure ou mineure.
Il s'agit ensuite de renforcer l'efficacité du dispositif répressif en créant de nouvelles infractions, en aggravant les peines encourues pour certains faits, en créant un fichier des empreintes génétiques ou en modifiant les règles de prescription.
Enfin, le projet de loi vise à mettre en place un statut du mineur victime afin de renforcer la défense de ses intérêts dans le cadre d'une procédure pénale. A cette fin, le texte prévoit notamment l'enregistrement de l'audition de l'enfant victime d'une infraction sexuelle afin d'éviter, dans la mesure du possible, la multiplication des dépositions, qui sont, dans la plupart des cas, traumatisantes pour lui.
Dès la première lecture, les deux assemblées ont approuvé dans leur principe ces trois orientations.
D'ores et déjà, de nombreux articles ont été votés dans les mêmes termes. Je peux notamment à ceux qui concernent le champ du suivi socio-judiciaire, principale innovation du texte, la création d'une peine d'interdiction d'exercer une activité impliquant un contact avec des mineurs, et à ceux qui sont relatifs à la répression du tourisme sexuel ou à la prise en charge des soins dispensés aux mineurs maltraités.
Je tenais à insister sur tous les points pour lesquels des accords sont intervenus, car il ne faudrait surtout pas que le nombre élevé d'articles qui restent en discussion aujourd'hui conduise, par un effet d'optique trompeur, à conclure qu'il existe un conflit entre les deux assemblées sur un projet de loi qui, par son objet même, doit être véritablement consensuel.
Je rappelle à cet égard que nous nous étions tous félicités de l'accueil qu'avait reçu le nouveau code pénal au sein des deux assemblées. Or ce texte doit précisément s'insérer dans ce nouveau code pénal.
Il y a bien un accord sur les grandes lignes de ce texte. Les points demeurant en discussion portent soit sur des éléments de détail, soit sur des dispositions plus substantielles mais qui ne sauraient occulter cet accord de principe.
Bien entendu, certains de ces points ont fait couler beaucoup d'encre.
Je pense notamment à l'article 10, créant un délit spécial de bizutage, que la commission des lois proposera une nouvelle fois de supprimer.
Mais il s'agit plus d'une divergence dans la méthode que d'un désaccord sur le fond, car, je l'ai dit et je ne le répéterai jamais assez, nous sommes tout à fait hostiles aux dérives du bizutage et nous souhaitons une répression effective et efficace des abus en la matière.
Nous estimons cependant que, dans la mesure où le droit actuel permet déjà de réprimer ces abus, la création d'un délit spécifique serait un aveu de faiblesse. La solution ne passe pas par une réforme législative mais par des exemples disciplinaires bien ciblés. Que les responsables d'établissement, comme le leur impose le code de procédure pénale, saisissent le parquet, qu'ils prononcent des sanctions disciplinaires, et l'électrochoc sera bien plus salutaire ! Il y a un arsenal de textes qui permettent déjà d'agir, utilisons-les.
Nous aurons l'occasion de débattre de ce problème lors de la discussion des amendements.
Pour être bref, je dirai que, sur plusieurs points, nos collègues députés ont soit su trouver une argumentation qui a convaincu la commission des lois, soit adopté une solution de compromis satisfaisante. Dans ces cas, nous nous sommes empressés de nous ranger à leurs observations.
Sur d'autres points, l'Assemblée nationale n'a pas véritablement modifié son texte de première lecture, pour la bonne et simple raison que les problèmes en question appellent une solution tranchée ne pouvant donner lieu à un compromis.
Doit-on, oui ou non, allonger la durée du suivi socio-judiciaire en la portant de cinq à dix en cas de délit et de dix à vingt ans en cas de crime ? Nous disons oui, nos collègues députés disent non.
Doit-on, oui ou non, modifier les délais de prescription de l'action publique en cas de délit sexuel sur un mineur ? Nous ne le pensons pas, contrairement à l'Assemblée nationale.
Doit-on, oui ou non, modifier, dans le cadre du présent projet, les conditions de sortie d'un établissement psychiatrique de l'auteur d'une infraction déclarée pénalement irresponsable en raison de son état de démence ? Nous ne le pensons pas, contrairement à nos collègues députés.
Nous aurons également l'occasion de discuter de ces questions lors de l'examen des amendements.
Dans la mesure où, sur tous ces points appelant une réponse tranchée, la commission des lois propose de revenir au texte adopté en première lecture par le Sénat, dans la mesure où la première lecture avait dégagé un véritable consensus au sein de notre assemblée, j'ai bon espoir, mes chers collègues, que les propositions de la commission des lois vous apparaîtront une nouvelle fois dignes d'être retenues. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 25 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 11 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les débats qui ont eu lieu tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat montrent la volonté unanime du Parlement d'améliorer les dispositions législatives pour lutter contre la récidive des agressions sexuelles sur les enfants.
Sans revenir dans le détail sur les dispositions de ce projet de loi, je rappellerai les trois principaux objectifs de ce texte.
Celui-ci vise tout d'abord à créer une peine complémentaire de suivi socio-judiciaire, qui serait encourue par les auteurs d'infractions sexuelles. A cet égard, nous partageons la satisfaction des professionnels concernés, qui ont accueilli favorablement les modifications que vous avez apportées à ce texte, madame la ministre, par rapport à la version de votre prédécesseur. Ainsi, ce suivi socio-judiciaire, qui consiste à soumettre le condamné à des mesures destinées à prévenir la récidive et qui pourra comprendre une injonction de soins, devrait participer à la prévention et à la limitation de la récidive en matière d'agressions sexuelles.
Nous nous réjouissons du bien-fondé de ce dispositif, qui permettra aux auteurs de tels actes d'être soignés, non seulement à l'expiration de leur peine, mais aussi pendant la durée de leur incarcération.
Le deuxième objectif de ce projet de loi consiste à renforcer la répression des atteintes à la dignité humaine et des infractions mettant en péril les mineurs. Il nous paraît essentiel de considérer comme une circonstance aggravante le fait de recourir à un réseau de télécommunications, comme le Minitel ou Internet, pour commettre certaines infractions telles que le proxénétisme, la corruption de mineurs ou les atteintes sexuelles sur mineurs de quinze ans.
Quant à l'aggravation des sanctions de certaines infractions commises en milieu scolaire ou aux abords des établissements scolaires à l'égard des mineurs, elle reçoit notre totale approbation.
S'agissant du bizutage, si, en droit, au regard des textes existants, ce nouveau délit ne paraît pas absolument indispensable, nous croyons que, symboliquement, il est souhaitable, comme l'a été, en son temps, le délit de harcèlement sexuel. Il aura très certainement un effet dissuasif sur ceux qui sont tentés par une dérive perverse du bizutage que l'on pourrait qualifier de « bon enfant ».
Je souhaite, sur ce point, que la majorité sénatoriale contribue activement à la rédaction de cette nouvelle incrimination.
S'agissant de ce que l'on appelle communément le « tourisme sexuel », nous nous félicitions que le projet de loi ait élargi la compétence des juridictions françaises afin de leur donner la possibilité de poursuivre des Français ou des résidents français qui auraient commis des infractions sexuelles contre des mineurs à l'étranger.
Une telle extension devrait permettre de réprimer beaucoup plus souvent que notre droit actuel ne nous le permet ces infractions. Nous nous félicitons de la disposition adoptée à l'Assemblée nationale qui prévoit que, lorsque les faits sont commis à l'étranger et qu'il est fait application des nouvelles dispositions du code pénal étendant l'application dans l'espace de la loi française, aucun accord ni du mineur ni de ses représentants légaux n'est nécessaire pour que les associations de lutte contre les violences sexuelles puissent se constituer partie civile.
Le troisième volet du projet de loi tend à renforcer la protection et la défense des mineurs victimes d'infractions sexuelles. Il marque, sans aucun doute, une innovation dans notre droit et traduit la volonté de mieux protéger les intérêts des enfants.
Qu'il s'agisse des modifications de la prescription de crimes et délits, de l'obligation d'une expertise médico-psychologique des mineurs victimes d'abus sexuels ou de la désignation d'un administrateur ad hoc lorsque les représentants légaux ne sont pas en mesure d'assurer la protection des intérêts de leurs enfants victimes d'infractions sexuelles, ces dispositions traduisent la volonté commune de renforcer la défense des mineurs.
Je ne saurais terminer mon intervention sans me féliciter de la création du fichier national automatisé destiné à centraliser les traces génétiques ainsi que les empreintes génétiques des personnes condamnées pour des infractions sexuelles. L'actualité récente a montré l'importance des empreintes d'ADN pour confondre les malfaiteurs ainsi que pour disculper des innocents.
Je voudrais enfin rappeler que les humiliations endurées par des mineurs victimes d'infractions sexuelles peuvent être à l'origine de comportements asociaux et déviants et que, en tout état de cause, ces humiliations constituent de telles blessures qu'elles entravent gravement le passage de l'enfance à l'âge adulte.
C'est la raison pour laquelle le groupe socialiste accueille favorablement l'ensemble des mesures proposées et souhaite que le débat qui s'ouvre aujourd'hui puisse les enrichir encore. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre débat en deuxième lecture va nous permettre d'affiner le texte sur la question du suivi socio-judiciaire et de nous expliquer à nouveau sur les questions du harcèlement sexuel et du bizutage, puisque l'Assemblée nationale a adopté sur ces deux points une position différente de celle du Sénat.
Je voudrais, pour ma part, insister sur quelques éléments que nous devons avoir présents à l'esprit pour mener notre réflexion.
Tout d'abord, s'agissant des crimes et délits sexuels, j'ai été frappée par l'évolution quantitative des plaintes pour viol ou agression sexuelle, évolution qui me paraît particulièrement significative.
En effet, le nombre des plaintes pour viol est passé de 2 823 pour l'année 1985 à 8 200 en 1997, selon un rapport du ministère de l'intérieur, qui note par ailleurs une progression de 15 % des plaintes entre 1996 et 1997. L'évolution est du même ordre en ce qui concerne les agressions sexuelles.
C'est dire à quel point la parole des victimes, libérée par les modifications législatives et par l'évolution de l'opinion publique, révèle ce qui était jusque-là honteux et caché, car c'est bien ainsi qu'il faut lire ces chiffres.
Nous vivons un moment significatif, où s'accroît numériquement non pas le nombre des délits ou des crimes, mais celui des plaintes, un moment où ce qui était tu est enfin dénoncé.
Cette évolution illustre surtout un fait sur lequel je voudrais attirer votre attention, madame le garde des sceaux, à savoir que la plupart des délits et des crimes de cet ordre restent encore aujourd'hui dans l'ombre. Cela est vrai encore pour les adultes, mais c'est surtout vrai pour les enfants.
La prise de conscience de ce phénomène qui, au départ, était extrêmement périphérique semble donc s'orienter vers le coeur du problème. Mais nous en sommes encore loin, y compris avec ce projet de loi.
Nous sommes passés - c'était encore le cas entre 1970 et 1980 - de l'individu monstrueux, et donc rare, qui enlève l'enfant, lui fait subir des sévices, le viole, le tue, et porte toute l'horreur d'un acte barbare et singulier, à des situations plus quotidiennes et dont on constate aujourd'hui la fréquence.
La dénonciation de ces comportements a été rendue possible du fait de la libération de la parole des enfants devenus adultes et grâce à l'allongement du délai de prescription. Ce phénomène touche essentiellement aujourd'hui des personnes exerçant une activité professionnelle en rapport avec des enfants : les éducateurs, les moniteurs, les prêtres,... et concerne surtout, on l'aura remarqué, une pédophilie homosexuelle.
Toute notre discussion sur le suivi socio-judiciaire, notamment les mesures concernant les interdictions professionnelles, vise essentiellement ces cas périphériques-là. Il s'agit certes d'un phénomène important, numériquement parlant et quant aux séquelles pour les victimes - comment en douter ? - mais qui n'est que marginal par rapport à la réalité.
En effet, la réalité, tant par son ampleur numérique que par l'importance des traumatismes, concerne essentiellement les filles, notamment les petites filles, et elle se situe au coeur de la famille.
En 1992, parmi les femmes de dix-huit à trente-quatre ans qui avaient porté plainte pour rapport sexuel imposé - puisque vous savez que dans les rapports adultes-enfants, dans le cadre familial, il n'y a jamais de viol pratiquement - 25 % déclaraient que ce rapport leur avait été imposé alors qu'elles avaient moins de douze ans et 42 % alors qu'elles avaient entre douze ans et moins de quinze ans. Les trois quarts des rapports sexuels imposés à des femmes, qui sont de loin les plus nombreux, le sont en fait à des petites filles.
Et quand on sait que celui qui impose les rapports est dans 50 % des cas le père et dans 35 % des cas le beau-père ou l'oncle, on mesure à quel point les mesures de suivi socio-judiciaire ou d'interdiction professionnelle sont en décalage avec la réalité.
J'estime bien sûr que ces mesures sont nécessaires. Mais je ne voudrais pas qu'en jetant un éclairage fort sur un phénomène important mais marginal sur le plan numérique - je ne me prononcerai pas sur les conséquences externes des traumatismes - on occulte la réalité qui est peut-être la plus abominable, celle qui est notamment vécue par des milliers de petites filles que, du coup, l'on empêche de s'exprimer.
De ce fait, tout en comprenant les réticences de la commission des lois à propos de l'allongement de la durée de prescription en ce qui concerne les délits, j'avoue être personnellement assez favorable à une telle disposition.
S'agissant du harcèlement sexuel - je l'ai dit en première lecture et je le répéterai dans la discussion des amendements - je suis hostile à la position de la commission des lois et favorable au texte gouvernemental, qui ajoute aux notions d'ordre, de menace ou de contrainte celle de pression.
Même si ce dernier terme peut paraître trop vague, il me semble être nécessaire et mieux correspondre à la réalité vécue. En effet, si le texte restait en l'état, le harcèlement sexuel n'existerait que dans les cas où il y aurait ordre, menace ou contrainte.
Or, dans la réalité, il s'agit de rapports de force et de violence entre des hommes - puisqu'il s'agit d'hommes qui sont chefs de service, cadres, supérieurs hiérarchiques - et des femmes - puisqu'il s'agit de femmes en situation subalterne, de femmes fragilisées aujourd'hui encore plus qu'hier par la crainte de perdre leur emploi.
Mais ce rapport de force s'exprime rarement par l'ordre ou par la menace directe. Les hommes sont, en effet, sinon plus subtils, du moins plus prudents, plus orgueilleux. Le fait est que, dans les cas dont j'ai eu connaissance, le terme de « pression » correspondait infiniment mieux à la réalité.
De même, je ne partage pas le point de vue de la majorité sénatoriale et de la commission des lois sur la création d'un délit de bizutage. Je crois qu'il est nécessaire d'instaurer ce délit et je suis satisfaite du texte adopté en deuxième lecture par l'Assemblée nationale, sur initiative sénatoriale, qui correspond mieux aux faits.
Il y a là une étape importante et nécessaire à franchir. Je me félicite de ce que je considère comme un progrès, car même si le rapporteur estime que les faits de bizutage sont déjà réprimés par le code pénal, il faut rappeler qu'un certain nombre d'entre eux ne sont pas incriminés, notamment ce que l'on pourrait appeler les auto-punitions sous la pression du groupe, et, surtout, que les rares plaintes jusqu'ici déposées ont toutes été classées. Cela illustre bien la nécessité, pour les auteurs de ces actes, pour les victimes, mais aussi pour l'opinion publique, de créer un délit de ce type.
M. le président. La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, notre assemblée est saisie, en seconde lecture, du projet de loi relatif à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs. Il s'agit d'un texte important et très attendu.
Ce texte est important en ce qu'il montre la volonté du Gouvernement de faire des droits de l'enfant, plus spécialement de la protection des mineurs victimes d'infractions sexuelles, un véritable engagement politique.
Ce texte est également important parce qu'il prévoit une innovation notable de notre droit pénal en intégrant une dimension psychologique, médicale et sociale dans la répression pénale, et en permettant de briser enfin le silence.
Par ailleurs, ce texte est très attendu.
Il est attendu par les victimes elles-mêmes, bien évidemment, par leur famille proche, mais aussi par les professionnels de la santé qui sont chargés du suivi socio-judiciaire des délinquants sexuels et par le traitement thérapeutique des victimes, ainsi que par les professionnels de la justice.
Enfin, c'est la société tout entière qui attend des mesures concrètes en la matière.
En première lecture, notre groupe avait voté pour ce texte, le considérant comme un signal fort de la part du Gouvernement, et ce, malgré des modifications apportées par la majorité sénatoriale, modifications qui ne nous semblaient pas absolument nécessaires.
C'est donc avec raison, selon nous, que les députés de la majorité plurielle ont rétabli certaines dispositions supprimées par la majorité sénatoriale, ou en ont supprimé d'autres ajoutées par cette dernière.
Je pense en particulier aux dispositions sur la notification par écrit des décisions de classement sans suite et sur leur motivation, aux précisions apportées à la notion de harcèlement sexuel dans notre code pénal et enfin à la création d'un délit spécifique de bizutage, sur lequel nous aurons l'occasion de revenir lors de la discussion des articles.
La commission des lois du Sénat et son rapporteur, M. Jolibois, restent sur leur position et nous proposent de nouveau, pour une large part, les mêmes amendements que lors de la première lecture.
Il reste à espérer que, sur les points de divergence entre l'Assemblée nationale et le Sénat, un juste équilibre soit rapidement trouvé afin que la loi puisse entrer en application le plus rapidement possible.
Les débats qui ont eu lieu dans les deux chambres ont montré combien tous les élus ont à coeur de prendre toutes les dispositions législatives nécessaires au renforcement de la protection des enfants et à la prévention de la récidive en matière d'infractions sexuelles, dont les enfants sont, hélas ! les premières victimes.
Sans revenir dans le détail sur les dispositions contenues dans le projet de loi, je ferai simplement quelques observations d'ordre général.
Concernant la peine complémentaire du suivi socio-judiciaire, nous apprécions que le projet de loi privilégie le contrôle socio-judiciaire par rapport au traitement médical seul et que le juge de l'application des peines puisse décider directement de la mise à exécution de cette peine. Cette disposition répond à un souci d'efficacité et de rapidité et elle permet que tout ne reste pas figé au jour de la condamnation.
Nous restons par ailleurs attachés à la souplesse qui caractérise le dispositif proposé par opposition à toutes contraintes et obligations systématiques.
Ce système permet en effet aux auteurs de tels actes d'être soignés non seulement à l'expiration d'une peine d'emprisonnement, mais aussi pendant la durée de leur incarcération.
C'est ainsi que l'injonction de soins suppose le consentement du condamné, car il s'agit d'inciter ce dernier à se soigner plutôt que de l'y obliger. On sait que l'obligation n'est pas la meilleure des thérapies.
C'est pourquoi le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit, à juste titre, que le juge de l'application des peines propose tous les six mois aux délinquants sexuels de suivre un traitement.
La commission des lois du Sénat a réduit l'offre de soins en prison, en précisant que le juge de l'application des peines n'informerait le condamné de la possibilité d'entreprendre un traitement en prison qu'une fois par an et non plus tous les six mois. Or nous considérons indispensable que le détenu soit régulièrement et souvent incité à se soigner.
Bien évidemment, chacun convient que la réussite d'une telle politique d'incitation nécessite le développement de moyens importants en termes de personnels formés ainsi que des locaux adaptés aux besoins de soins et d'encadrement.
Par ailleurs, en instituant un statut des mineurs victimes, le projet de loi permet la protection des mineurs victimes non seulement au cours de l'enquête et de la procédure, mais également ultérieurement, par leur prise en charge notamment thérapeutique.
Il en est ainsi des modalités de prescription des crimes et délits, de la prise en charge des soins dispensés aux mineurs de quinze ans, de l'obligation d'une expertise médico-psychologique des victimes, de la représentation des victimes par un administrateur ad hoc au cours de la procédure, de l'enregistrement audiovisuel des auditions des mineurs victimes.
C'est donc favorablement que les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen accueillent les mesures prescrites dans le projet de loi, telles qu'elles nous reviennent de l'Assemblée nationale et qui contribueront, nous l'espérons vivement, à faire que l'actualité ne soit plus le théâtre de faits divers aussi horribles que nous connaissons trop.
Il nous faut maintenant veiller à ce que les politiques pénitentiaires et sanitaires répondent aux différents besoins que le projet de loi instaure, en donnant notamment aux administrations concernées les moyens financiers suffisants, en budgétisant, à brève échéance, tous les postes de juges de l'application des peines, en créant de nouveaux postes dans certains tribunaux et en doublant - je crois que c'est nécessaire - les effectifs de travailleurs sociaux.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

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