PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, d'orientation et d'incitation relatif à la réduction du temps de travail.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je crois qu'on peut distinguer une double inspiration dans les tentatives d'augmenter les emplois offerts en diminuant la durée légale du travail. Cette double inspiration marque tant la loi Robien que la vôtre, madame le ministre.
La première est d'ordre mécanique. Un peu comme la fission nucléaire produit de l'énergie en multipliant le nombre d'atomes par division, la division du travail pourrait de la même manière produire du travail.
Les diverses expériences montrent les limites de cette mécanique, en partie vraie toutefois, comme l'expérience de la loi Robien, dans certaines conditions d'application en a déjà apporté la preuve. Elle n'est pas toutefois une loi universelle, susceptible de validation pour tous les types d'entreprises.
L'autre inspiration est d'ordre éthique. Devant le drame de la fracture sociale créée par le niveau de chômage, chacun aurait le devoir de faire une place au travail à d'autres qui en sont privés. Cette inspiration est stimulante, mais pourrait être inquiétante.
Elle est stimulante en ce qu'elle réintroduit un mobile moral dans la vie économique. Il y a là une petite flamme qui se rappelle à nous au sein de la compétition universelle imposée par les lois d'un utilitarisme économique obnubilé par la richesse matérielle.
Aurait-on à ce point oublié la finalité humaine de l'économie que l'on doive s'émerveiller d'une odeur de générosité subitement distillée sur les lois d'airain de la concurrence systématique ?
On se prend à rêver d'une organisation de la production et des échanges qui favoriserait l'accès de chacun à la vie économique et sociale et nous ferait oublier la notion même d'exclusion et de chômage. Une société idéale, autrement dit.
Mais, hélas ! l'état des lieux nous arrache à la vision utopique. Les difficultés s'accumulent sur le trajet qui conduirait du fond de la crevasse jusqu'aux cimes convoitées. Personne, même parmi les plus fervents défenseurs des vertus de l'abaissement de la durée légale du travail, n'en attend des miracles.
Le débat se réduit finalement aux moyens de mise en oeuvre de l'instrument : plus ou moins de contrainte, plus ou moins d'incitation, plus ou moins grande taille des entreprises concernées ; on le constatera au cours des débats.
Cependant, la connotation morale d'un aspect au moins de l'inspiration mérite que l'on s'y attache car, comme toute valeur, elle est à prendre au sérieux. D'abord, parce qu'il y a quelque chose de juste en elle. Ensuite, parce qu'une valeur morale peut aussi devenir folle, et c'est ce qui peut être inquiétant. Enfin, parce qu'elle exige d'être bien située et régulée dans la hiérarchie des valeurs dont vit une société.
Il y a incontestablement quelque chose de profondément juste dans le désir de partager le travail. C'est même le ressort élémentaire d'une vie sociale harmonieuse, telle qu'on doit la souhaiter, conforme à la justice. Mais d'où vient un tel désir qui n'est pas naturel ? Il vient des fondements philosophiques, culturels et religieux les plus anciens, je veux dire l'inspiration judéo-chrétienne de nos sociétés, et l'ambition de son universalisation au siècle des Lumières avec les déclarations universelles.
On retrouve donc là la trace de cette aspiration, cultivée depuis la loi mosaïque, de l'amour de l'autre comme soi-même, mais constamment affrontée à une organisation sociale qui la rend trop souvent inopérante, méprisée ou pervertie au niveau de sa mise en oeuvre collective.
Nos régimes de protection sociale résultent directement de cette inspiration, mais ils ne sont pas à l'abri d'une perversion quand, parfois, heureusement très rarement, ils protègent et donc encouragent des comportements injustes, qui portent atteinte notamment aux droits de l'être humain à vivre et à vivre prioritairement dans une famille. Nous aurons l'occasion d'en reparler dans un futur projet de loi déjà annoncé.
Alors, quand, aujourd'hui, j'aperçois la même inspiration altruiste dans la volonté de partager le travail, je m'interroge sur les garanties que nous prenons pour ne pas pervertir sa traduction dans notre législation.
S'il y a un élément positif dans cette aspiration à traduire dans notre organisation collective une incitation à partager le travail, la question doit être toutefois posée de savoir si les moyens utilisés sont satisfaisants.
Je crois qu'il est difficile de porter un jugement complet et définitif. De nombreuses critiques ont été formulées quant au réalisme technique et pratique de la mesure.
Je m'interrogerai ici sur l'autre aspect que j'ai soulevé. Le mobile moral du partage du travail peut-il être aussi facilement que cela mis en oeuvre ?
Il apparaît d'abord comme pratiquement inaccessible à une décision individuelle. Aucune personne n'est pratiquement en mesure de pouvoir décider et de pouvoir aujourd'hui librement et isolément partager son travail. La voie la plus féconde, et pratiquement la seule qui ait été mise en oeuvre jusqu'à maintenant, est celle du partage des revenus par les mécanismes de redistribution. Ainsi s'explique notre protection sociale.
Je ne crois pas qu'on puisse progresser en matière de solidarité sociale autour de la notion de partage du travail, si l'on écarte la notion de partage des revenus. Or le sujet est extrêmement sensible comme chacun a pu ou pourra s'en rendre compte à l'avenir. Outre les difficultés qui résultent des interférences entre minima sociaux et revenu minimum - SMIC et RMI, notamment - que dire de la tyrannie du travail qui pèse sur les emplois des cadres ? Le divorce croissant entre les conditions de travail des cadres et dirigeants, et celles qui s'appliquent à des tâches quantifiables, donc sécables et physiquement limitables en durée, ne constitue-t-il pas la source d'une autre facture qui n'a pas encore révélé ni son ampleur ni toute sa problématique, au sein même du milieu du travail ?
Quelle issue possible à l'isolement des cadres dans une position de plus en plus extralégale de facto au plan de la durée du travail ?
On commence à constater la désaffection pour des emplois trop contraignants intellectuellement, pyschologiquement et physiquement. La menace qui apparaît là est alors l'impossibilité à satisfaire les offres de travail. Certaines formations et qualifications difficiles commencent à être délaissées. On observe ce phénomène aux Etats-Unis depuis plusieurs années et déjà en France.
Plusieurs branches professionnelles éprouvent des difficultés à recruter le personnel qualifié dont elles ont besoin, et doivent faire appel à des diplômés de pays comme l'Inde. Le phénomène était récemment signalé dans la presse à propos de l'industrie des semi-conducteurs. Où se trouvera, pour les fonctions d'encadrement, le point d'équilibre entre le consentement à l'effort et la rémunération de celui-ci ? Une diminution de la durée légale du travail durcira encore le phénomène car elle est bien souvent tout simplement inapplicable pour l'encadrement. C'est un vrai problème.
Par ailleurs, quand on ausculte la réalité actuelle de l'entreprise, on est frappé par des évolutions rapides susceptibles de modifier considérablement l'organisation générale du travail. Délocalisations, sous-traitance accrue, ateliers flexibles avec télétravail, tout concourt à faire passer la structure du tissu économique d'une cartographie statique à une image dynamique en déconstruction et recomposition constantes.
Or ce dynamisme paraît très largement étranger à tout souci éthique et comme incapable de l'intégrer quelle que soit la bonne volonté des responsables ; il y a un véritable divorce.
Nous nous heurterions ainsi, non seulement aux rigidités physiques déjà largement signalées, qui rendraient peu efficaces le levier de la durée légale du travail pour créer des emplois, mais, en outre, à un déphasage complet entre le mobile moral du partage et le mécanisme interne de la vitalité économique, qui serait de plus en plus engendrée par les combinaisons infinies de la technologie, notamment de l'électronique à travers les ressources de l'informatique et des télécommunications sans laisser de place à un souci éthique et parfois même pour lui échapper.
Le mouvement économique serait devenu comme « an-anthrope », si vous me permettez ce néologisme, signifiant « sans homme » comme on dit « athée : sans dieu ». Comble du paradoxe, l'économie achèverait son évolution vers l'absence de finalité morale sous couvert d'un anthropomorphisme croissant de sa structure apparente et, pourrait-on dire, de sa génétique. Le réseau Internet n'est-il pas un symbole très fort par son maillage de neurones de ce phénomène qui menace d'instrumentaliser notre propre humanité, en faisant de chacun de nous un membre du cybermonde ?
Chaque ordinateur personnel n'est-il pas un neurone du grand cerveau mondial ! Et j'utilise moi aussi un de ces appareils. Nos méthodes et nos techniques législatives risquent d'être largement inopérantes devant l'évolution amorcée et qui se développe en échappant à notre contrôle.
C'est pourquoi, dans un tel contexte, il ne faudrait pas culpabiliser les salariés qui ont un emploi ou les chefs d'entreprise comme s'ils étaient partiellement responsables du chômage. On risquerait fort d'accroître encore un peu plus la démoralisation de notre société. C'est en ce sens que je disais que la démarche pouvait être inquiétante si elle était mal conduite.
On doit, au contraire, stimuler leur courage et leur engagement éthique. S'il y a une légitime interrogation morale à cultiver, elle doit d'abord porter traditionnellement sur l'usage que nous faisons de notre richesse, et, ensuite, de manière plus moderne, sur l'effort d'imagination auquel nous devons nous astreindre pour refinaliser le dynamisme économique au service de l'homme, alors qu'il menace de nous échapper.
Où se situe le lieu de ce discernement ?
Tout d'abord dans la conscience individuelle, car c'est là que se noue et se conclut tout débat moral, mais encore aujourd'hui au niveau d'un effort collectif conséquent pour mettre à jour l'anthropologie qui sous-tend nos conduites.
C'est d'abord à l'éducation nationale de nourrir ce débat essentiel au seuil du xxie siècle.
Gardons-nous de vivre dans une sorte de « fidéisme anthropologique », comme si le concept d'humanité sur lequel nous avons construit nos institutions modernes était indestructible, et même autorégénéré indépendamment de tout effort de notre part.
Hélas ! ou plutôt tant mieux, il n'en est rien, et, aujourd'hui, la spécificité de l'humanité qui est la nôtre risque de nous devenir plus étrangère que nos oeuvres et nos machines, et ne peut pas être réinvestie culturellement sans notre volonté. Elle risque fort d'être évanescente derrière notre dépense d'énergie consacrée uniquement à nos techniques.
C'est bien en partie par le débat qu'elle a ouvert en 1996 et l'interrogation qu'elle suscite aujourd'hui que la notion de partage de travail est intéressante. Elle nous donne l'occasion d'un débat fondamental. Elle risquerait d'être dangereuse si elle recouvrait seulement un moralisme, exogène à la personne humaine, imposé de l'extérieur, artificiellement comme tout moralisme.
En revanche, elle demeure potentiellement féconde si elle nous conduit à nous interroger sur nos vraies responsabilités en cette fin de siècle par rapport à l'organisation économique et politique de notre vie sociale, bien au-delà du seul problème de la durée légale du travail, et surtout si elle permet de déclencher une véritable mobilisation des volontés.
Je crois que c'est par la conscience de la gravité de l'enjeu que notre commission des affaires sociales a adopté la position qui est la sienne devant votre projet de loi, madame le ministre.
La vertu primordiale de ce texte amendé est de faire une place fondamentale au dialogue dans l'entreprise.
En effet, si l'éducation nationale doit s'attacher à ce que l'anthropologie sous-jacente à l'humanisme dont nous nous réclamons ne devienne pas un simple fantôme sans consistance, un lieu privilégié de l'application de nos convictions est bien l'entreprise et la vie sociale, tout comme la vie politique doit être l'occasion d'une réflexion fondamentale et globale.
C'est bien pourquoi je salue le travail de notre collègue M. Louis Souvet, rapporteur de ce projet de loi, et l'orientation donnée à nos travaux pour le président de la commission des affaires sociales, M. Jean-Pierre Fourcade.
Je crois qu'ils ont su, l'un et l'autre, dégager les éléments prometteurs d'une dynamique de négociation, en écartant les rigidités excessives qui risquaient de conduire à l'effet inverse de celui qui était recherché.
Si un point doit être mis en lumière, c'est bien l'enjeu considérable du débat autour du travail dans le monde actuel, et pas seulement, loin de là, sur la durée du travail. C'est toute notre éthique sociale et sa problématique globale qui apparaissent en filigrane.
Il est vraisemblable que le chômage n'est qu'un symptôme d'un mal plus grave : un développement qui non seulement nous échappe, mais qui fait de nous les éléments résiduels d'une physique autonome de plus en plus « ananthrope », selon le mot que j'ai proposé.
Dans un tel contexte, toute interrogation morale peut être une trace d'humanité. Faisons en sorte de ne pas la pervertir dans un moralisme qui susciterait une nouvelle réaction idéologique, et donc une aggravation de l'exclusion de l'humanité de son propre univers. Mais gardons-nous aussi, en sens inverse, de croire que l'évolution que nous subissons n'offre aucune prise à une réorganisation plus éthique et mieux partagée de notre vie économique et sociale.
Faisons en sorte pour cela qu'une chance soit donnée au dialogue social non seulement pour se partager l'existant, mais encore et surtout pour recréer une économie inventive matériellement et simultanément féconde en satisfactions éthiques. Car de celle-ci aussi l'être humain a besoin pour donner un sens plus complet à son travail.
Efforçons-nous de susciter des vocations d'entrepreneurs qui soient non seulement des producteurs mais aussi des créateurs d'harmonie sociale. Cela suppose de savoir encourager les initiatives locales, par l'incitation mais aussi par la liberté.
En tout état de cause, ces vocations naîtront et se développeront sur la planète un jour ou l'autre, car il n'y a pas d'autre voie pour l'humanité.
Rêvons que notre pays soit l'un de ceux qui auront l'audace et la possibilité d'offrir des exemples en ce domaine.
Je crois que le texte proposé par la commission des affaires sociales est marqué par cette orientation. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dieulangard.
Mme Marie-Madeleine Dieulangard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans notre pays, le chômage est le quotidien pour 3 400 000 millions de nos concitoyens, et le pourcentage des chômeurs de longue durée atteint désormais 37 %.
La précarité, l'incertitude et la vulnérabilité touchent 3 millions de salariés ; la peur de perdre son emploi est profondément ancrée dans l'ensemble de la population.
Un observateur soulignait, la semaine dernière, dans une enquête sur le moral des Français, que, chez un bon nombre d'actifs, la « mémoire de crise » a désormais remplacé ce qui fut pour leurs aînés « une mémoire de prospérité ».
Comment s'étonner de la frilosité des comportements en matière de consommation ? Comment s'étonner des graves symptômes qui révèlent des failles dans notre cohésion sociale ?
Il convient d'explorer toutes les politiques susceptibles de créer de l'emploi.
C'est à ce titre que nous débattons aujourd'hui de la réduction de la durée du travail. Il s'agit d'un projet essentiel porté par la majorité élue voilà neuf mois.
Monsieur le rapporteur, vous avez parfaitement raison, c'est un engagement clair et résolu pris par les forces de gauche devant les Français. Mieux qu'un sondage d'opinion, leur vote a manifesté leur volonté d'engager le pays dans cette voie, jusqu'ici expérimentale, afin de combattre ce qui figure au premier rang de leurs angoisses : le chômage.
Si les analyses chiffrées dont nous venons d'avoir connaissance témoignent d'un redémarrage de la production industrielle, de capacités records d'autofinancement des entreprises, d'un « léger frémissement » de la consommation intérieure, si tous ces indices attestent que la croissance est au rendez-vous et qu'elle peut s'enrichir en emplois, nous savons bien qu'à 3 % elle ne permet de diminuer que de 70 000 le nombre de demandeurs d'emploi.
Pourtant, la réduction de la durée du travail, qui n'est pas à proprement parler un thème nouveau, ne peut être appréhendée comme le seul instrument de la lutte contre le chômage.
C'est pourquoi le Gouvernement s'est attaché, dès le mois de juillet, à augmenter le pouvoir d'achat des Français en revalorisant le SMIC, l'allocation de rentrée scolaire et les aides au logement. Plus structurellement, il a organisé le transfert des cotisations maladie sur la CSG.
Par ailleurs, à travers les emplois-jeunes, il encourage l'émergence d'activités nouvelles liées à des besoins résultant des évolutions de notre société sur lesquelles, on peut le dire, peu de réflexions avaient été engagées, sinon pour apporter des réponses ponctuelles.
La réduction du temps de travail s'inscrit donc dans une politique globale et volontariste.
Le Gouvernement que vous représentez, madame la ministre, et la majorité à laquelle nous appartenons proposent d'organiser le passage progressif de la durée légale hebdomadaire à 35 heures.
Ce choix est éminemment politique, car les objectifs qui l'inspirent touchent aux fondements essentiels de notre relation au travail.
Certes, ce débat est longtemps resté confiné à d'obscures discussions entre économistes et responsables politiques. Les partenaires sociaux n'en ont pas fait un sujet majeur de leurs négociations. Mais, aujourd'hui, les Français s'en emparent et leurs attentes sont grandes. Ils manifestent majoritairement leur volonté de participer à ce mouvement, à condition qu'il s'accompagne de créations d'emplois. Les chômeurs, tout récemment encore, en ont fait un axe central de leurs revendications.
Par cette loi, vont donc s'amorcer de profondes mutations pour notre société. Je voudrais les évoquer.
Le passage aux 35 heures doit permettre, tout d'abord, de mieux partager le travail. Permettez-moi, monsieur Seillier, d'y revenir.
Je sais que cette conception suscite encore des controverses, mais les faits sont là : en 20 ans, de 1974 à 1994, on a enregistré une diminution du volume total des heures travaillées de 38 milliards à 34 milliards, alors que, parallèlement, la population active passait de 22 millions à plus de 24 millions de personnes.
Dans cette configuration, une certaine forme d'un partage sauvage du travail s'est développée entre ceux qui ont un emploi et ceux qui n'en ont pas, entre ceux qui font des heures supplémentaires - soit l'équivalent de 230 000 emplois à temps plein - et ceux - surtout celles devrais-je dire - qui se voient imposer des formules contraignantes de temps partiel, que vous entendez moraliser dans ce texte, madame la ministre.
Les dispositions qui sont soumises à notre discussion fixent la durée légale hebdomadaire à 35 heures, à l'horizon 2000 ou 2002, selon la taille de l'entreprise.
Elles proposent des incitations financières sous forme d'allégement de charges sociales, qui lient réduction du temps de travail et embauches compensatrices et qui sont calculées de façon forfaitaire afin de favoriser les entreprises où les salaires sont proches du SMIC. C'est ici un des points de désaccord avec la majorité de cette assemblée.
Les travaux à l'Assemblée nationale ont permis des aménagements modulant les aides selon l'effort consenti par les entreprises, la main-d'oeuvre concernée, les handicapés par exemple, l'amplitude de la réduction du temps de travail et les embauches correspondantes.
Le contrôle de l'administration du travail sur le recours au volet défensif est par ailleurs renforcé.
Je ferai quelques remarques sur ce que nous avons entendu de la part d'acteurs économiques dans le cadre de nos travaux préparatoires.
Certains ont souligné qu'il était périlleux pour l'entreprise de diminuer la capacité de travail de salariés expérimentés et de la reporter sur de nouveaux venus, des jeunes par exemple.
Ces difficultés sont bien réelles, mais ces craintes font toutefois singulièrement l'impasse sur l'importance et la nécessité de la formation et du transfert des savoir-faire entre générations, ainsi que sur la nécessité de veiller à l'équilibre de la pyramide des âges au sein de l'entreprise.
Je lisais dernièrement un commentaire sur cette question où il était rappelé que l'arrivée importante de main-d'oeuvre d'origine étrangère dans nos entreprises durant les « trente glorieuses » ne semblait pas avoir provoqué de telles appréhensions quant aux capacités d'apprentissage des nouveaux venus.
Dans les faits, la véritable question qui se pose ici est de savoir comment planifier une réduction du temps de travail qui laisse une marge suffisante pour optimiser le recours à des embauches compensatrices.
C'est sur ce point que se réalisera ce que M. Favereau, que la commission d'enquête a entendu, appelle un nouveau « contrat social ».
Cela dépendra du contenu des négociations, et c'est parce que celles-ci seront particulièrement complexes que nous souhaitons encourager et soutenir la formation des négociateurs. C'est pourquoi nous déposerons un amendement en ce sens lors de la discussion des articles.
Au-delà du contenu des négociations, l'efficacité de la réduction du temps de travail nécessitera un suivi rigoureux des accords ainsi que le renforcement et le maintien de la demande afin de garantir le coût unitaire de la production.
Différentes évaluations ont tenté de chiffrer, en termes d'emplois, l'impact du passage aux 35 heures.
La majorité d'entre elles prévoient bien la création d'emplois dans une fourchette, il est vrai particulièrement large, de 200 000 à 600 000. Toutefois elles soulignent toutes que l'ampleur de la création d'emplois dépendra essentiellement de la faculté des entreprises à se réorganiser.
C'est le deuxième aspect que je voulais aborder.
En effet, il ressort du bilan d'un an d'application de la loi Robien que plus des trois quarts des entreprises ayant signé un accord ont déclaré avoir procédé à une remise à plat de leur organisation.
Ces changements sont naturellement fonction des secteurs économiques concernés et interviennent, par exemple, sur l'allongement des durées d'ouverture ou de l'utilisation d'équipements ou de variations saisonnières.
Dans cette perspective, on peut comprendre certaines appréhensions, notamment de petites entreprises, pour qui de telles opérations peuvent paraître difficiles.
C'est la raison pour laquelle l'Assemblée nationale a prévu qu'elles pourront bénéficier d'un dispositif d'appui permettant la prise en charge par l'Etat d'une partie des frais liés aux études préalables. Il est indiqué que les régions pourront s'associer à cet accompagnement. On ne peut que regretter que M. Séguin utilise cette dernière disposition à des fins polémiques dans le cadre de la campagne électorale.
Cette réorganisation, facilitée par la diminution du temps de travail, peut être une occasion unique d'améliorer leur productivité, avec le soutien important de l'Etat, il faut le rappeler.
Si vous le permettez, je ferai référence à un exemple très local : l'accord que vient de signer la coopérative des paludiers qui exploite et commercialise le célèbre sel de Guérande. Cette profession traditionnelle que l'on croyait moribonde, enregistre désormais un chiffre d'affaires de 53 millions de francs. Ils viennent de faire passer 33 de leurs 42 salariés à 35 heures payées 39, et trois emplois ont été créés à la production et dans le secteur administratif.
Cet exemple démontre qu'aucun secteur économique n'est par nature exclu de ce mouvement et que même les petites entreprises y participent activement.
A cet égard, vous avez souhaité, madame la ministre, que de toutes petites unités puissent embaucher un salarié à temps partiel tout en bénéficiant de l'intégralité de l'allégement des charges sociales équivalant au recrutement d'une personne à temps plein.
Sur un troisième aspect du projet de loi, je rappellerai que, lors de la conférence nationale du 10 octobre dernier, le Premier ministre indiquait que c'était « à la négociation sociale de déterminer, au niveau pertinent, le plus souvent au niveau le plus décentralisé, les modalités adaptées et de fixer l'équilibre des intérêts ».
Pour des raisons que nous connaissons, la démarche conventionnelle n'est pas ce qui caractérise nos relations sociales.
Pourtant, le Gouvernement entend bien associer pleinement les partenaires sociaux à la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail dans l'entreprise.
C'est à l'évidence un gage d'efficacité. C'est également un pari audacieux sur le renouveau de la démocratie sociale dans notre pays, qu'avaient initiée les lois Auroux, car le projet de loi, par son envergure, incite à une mobilisation générale.
Cela peut permettre de combattre la sous-représentation syndicale dans l'entreprise que nous sommes nombreux à déplorer. Nous avons appris, au cours d'auditions récentes, que 80 % des accords Robien avaient donné lieu à la désignation d'un délégué syndical dans les conditions de droit commun.
Mais après tout, n'est-ce pas de telles conséquences que redoute une partie du patronat français ?
Si l'objet légitime de notre débat aujourd'hui est bien la réduction du temps de travail comme politique de lutte contre le chômage, nous ne devons pas et nous ne pouvons pas ignorer les enjeux de civilisation qu'elle sous-tend.
Nous travaillons à mi-temps par rapport aux salariés d'il y a cent cinquante ans, et ce mouvement se prolonge et continuera de se prolonger.
Nous devons trouver du sens ailleurs que dans le travail. Nous ne devons pas l'oublier dans notre manière de concevoir nos cités, l'habitat, l'offre culturelle, la dynamique associative.
Cet aspect, je le sais, est parfois abordé avec ironie. Il est néanmoins urgent que notre société se prépare à accueillir ce temps libéré afin qu'il puisse signifier épanouissement, citoyenneté et lien social.
J'en viens maintenant à ce qui fait l'originalité de la démarche du Gouvernement.
Le dispositif que vous nous proposez, madame la ministre, allie à la fois la loi et le contrat.
L'article 1er du projet de loi consacre la démarche législative qui cristallise les commentaires les plus excessifs et caricaturaux de l'opposition sur le prétendu autoritarisme de cette réforme.
Rappelons certaines données : dans notre pays, c'est le législateur, démocratiquement élu, qui détermine la durée légale du travail.
Il s'agit en effet d'une norme, d'un repère essentiel dans notre droit du travail, même si, depuis quelques années, différentes modulations sont venues en aménager l'application.
Je trouve donc particulièrement choquantes certaines déclarations, dont celle de l'emblématique UIMM, l'Union des industries métallurgiques et minières, qui estime que cette loi est une « immixtion de l'Etat qui s'apparente à une nationalisation des rapports sociaux... puisqu'elle enferme les négociations dans un carcan ».
Que des représentants du patronat aient une si piètre opinion du rôle de l'Etat et du législateur dans les rapports sociaux ne me surprend pas vraiment ; elle ne varie malheureusement guère selon les époques.
En revanche, je m'interroge sur la conception qu'ont certains parlementaires de leurs responsabilités et de leur place dans le fonctionnement démocratique du pays.
C'est en effet à la loi républicaine de fixer en amont une finalité ainsi qu'un cadre parce que la réduction du temps de travail met en jeu une solidarité nationale et l'intervention de l'ensemble des acteurs sociaux.
Ce sera à la seconde loi de tirer, en aval, les enseignements des deux années d'application des dispositifs mis en place.
Nous doutons fortement que les lois du marché encouragent spontanément cette dynamique indispensable ; des expériences récentes nous en ont convaincus.
Mes chers collègues, nous avons pu mesurer concrètement ces obstacles. Souvenez-vous que c'est notamment en prenant acte des retards enregistrés dans l'application de l'accord interprofessionnel de 1995 que les initiateurs de la loi Robien ont engagé un débat au Parlement.
Vous avez voulu, madame la ministre, appuyer ces négociations au plus près des entreprises pour une meilleure perception de chaque situation, ainsi que pour une approche plus fine des aspirations des salariés.
Ainsi, afin de pallier l'absence de représentation du personnel dans bon nombre d'entreprises, vous avez amélioré la formule du mandatement, notamment en prévoyant que le salarié mandaté sera accompagné d'un collègue et qu'une commission de suivi vérifiera la mise en oeuvre de l'accord.
Le mandatement constitue un dispositif clé, délicat et fragile, mais qui peut s'avérer riche de potentialités.
Il place en tout cas les organisations syndicales face à une énorme responsabilité à l'égard des salariés qu'elles vont mandater. Elles devront les accompagner, les soutenir, les former.
Confrontées à des situations complexes et diverses, elles devront, en tout état de cause, avoir le souci du maintien de la cohésion et veiller à ce que ne se développent pas de micro-corporatismes. Elles devront s'engager pour favoriser au contraire l'émergence de solidarités nouvelles.
Notre débat va nous permettre de revenir sur l'ensemble des dispositions du texte et sur les positions défendues par la majorité de cette assemblée.
Madame la ministre, ce projet de loi est audacieux, parce que vous avez le courage d'organiser les conditions d'une grande négociation sociale qui doit déboucher sur des créations d'emplois, ainsi que sur un vaste mouvement social.
Nous sommes à vos côtés, nous vous soutenons dans cette assemblée et nous serons sur le terrain pour faciliter la mise en oeuvre de votre texte. Nous voterons bien sûr contre les propositions de la majorité du Sénat. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le débat qui a eu lieu à l'Assemblée nationale, les travaux de notre commission des affaires sociales, ainsi que la discussion générale que nous venons de commencer ont largement porté sur l'efficacité des 35 heures, en fait, sur la corrélation entre la réduction de la durée du travail et le taux de chômage, sur la capacité de la réduction du temps de travail à faire baisser durablement et de manière significative le taux de chômage.
La question, quelles que soient les formes que le débat ait prises, est capitale. L'ensemble du monde est frappé depuis vingt-cinq ans maintenant par une crise de mutation sans précédent par sa durée et son ampleur. Cette crise a accru les écarts entre les pays, entre les hommes. Elle a enrichi les pays riches, jeté dans une misère accrue un certain nombre de pays ; c'est le cas de l'Afrique noire. Même les pays émergents en Asie du Sud-Est, dont on vantait naguère le miracle économique, ont montré leur fragilité.
Entre les hommes, au sens générique du terme - on me permettra cette expression à quelques jours du 8 mars, la fête des femmes (Sourires) -, la crise a creusé les écarts, créant une société non à deux mais à trois vitesses, jetant dans le dénuement, et de plus en plus souvent à la rue, non seulement des couches sociales fragilisées et démunies, mais aussi des salariés qui, par leur formation et leur carrière, se pensaient à l'abri des aléas de l'existence. Rares sont ceux qui, aujourd'hui, sont à l'abri de ces aléas.
Le chômage gangrène les sociétés - et la nôtre - et nous savons à quelles misères physiques et psychologiques il mène, à quelle destruction des individus il aboutit et, si je ne prenais qu'un exemple, au-delà de ce que nous connaissons les uns et les autres à travers nos collectivités locales et nos contacts quotidiens, je prendrais celui de cette trentaine de chômeurs qui, voilà un mois, à Quimper, se sont vendus à la criée, s'imposant une terrible foire aux gueux avec trois chômeuses improvisées commissaires-priseurs et crieuses déclinant les curriculum vitae et les qualités de chacun d'entre eux !
Tout à l'heure, M. Seillier a utilisé un mot rare en parlant d'une société ou d'un monde « ananthrope ».
Mes chers collègues, dans un certain nombre de secteurs, nous avons déjà mis en place une société non pas sans hommes, mais où les hommes n'ont pas le rang d'humain.
M. René-Pierre Signé. Bravo !
Mme Joëlle Dusseau. Nous savons donc - le savons-nous vraiment ? - que s'attaquer au chômage est une nécessité absolue. Mais - et je reviens là au débat que nous avons eu à de nombreuses reprises - y a-t-il corrélation entre durée du travail et taux de chômage ?
Non, répond résolument le rapport de la commission d'enquête sénatoriale sur la réduction du temps de travail, qui présente des tableaux rapprochant notamment la durée annuelle moyenne effective du travail par salarié et le taux de chômage par pays, oubliant au passage toute une série de paramètres.
Un certain nombre de députés ont adopté cette position. En revanche, d'autres parlementaires, qui représentent ici la majorité sénatoriale, reconnaissent que la réduction du temps de travail est créatrice d'emplois. Je partage bien sûr leur avis et je ne comprends pas l'aspect systématique de certaines conclusions du rapport Arthuis.
Dans tous les pays développés, le temps de travail moyen sur l'année et sur la vie a fortement diminué. Dans cette évolution historique générale, selon les pays, la référence au chômage, la nature même du chômage, est différente. Les caractéristiques de la population salariée le sont aussi. De toute façon, on sait bien que l'évolution technologique, qui ne fait et ne fera que s'accroître, a entraîné, entraîne et entraînera une diminution évidente du besoin de main-d'oeuvre. Et ce phénomène ne fera que s'amplifier.
Pour ma part, à la question : « la réduction du temps de travail est-elle créatrice d'emplois ? », non seulement je réponds oui, mais je crois que c'est la solution majeure, celle qui peut globalement apporter le plus d'emplois, au point que j'aurais été partisan d'une réduction plus massive - 32 heures le plus vite possible, semaine de 4 jours - susceptible de créer plus massivement des emplois - car, à mon avis, il y a là une des limites du projet de loi.
Il est prévu de créer 700 000 emplois selon l'hypothèse haute, dont 450 000 dans des entreprises de plus de 20 salariés, et 100 000 à 250 000 dans les hypothèses basses. En tout état de cause, même avec l'hypothèse haute, nous sommes loin du compte, loin des 3 millions de chômeurs.
Il existe, bien sûr, d'autres pistes de création d'emplois. Mais, si l'on ne veut pas se résigner à admettre la situation intolérable de millions de nos concitoyens, la situation inhumaine de centaines de milliers d'entre eux, une réduction du temps de travail plus massive aurait été souhaitable. Et tant pis si M. Seillière a dit que, en se focalisant sur les chômeurs, on se concentrait sur « l'infirmerie » ! Ce terme en dit long sur le regard citoyen que le CNPF porte sur la société.
M. René-Pierre Signé. C'est honteux !
Mme Joëlle Dusseau. Deuxième thème de débat : la négociation. Grosso modo, les adversaires du projet de loi - là, bien sûr, on retrouve la majorité de la commission des affaires sociales - disent : « Si c'était négocié, ce serait bien ; ça ne l'est pas, ce sera sans effet. » Le rapport Arthuis, également, n'hésite pas à titrer : « La réduction du temps de travail imposée n'est pas la réduction du temps de travail négociée. » Qui l'eût cru ? Alors, quid de la négociation ?
Je dirai un mot de la loi Robien, c'est une référence dans notre assemblée puisque M. le rapporteur et le président Fourcade se sont résolument prononcés dans ce sens, présentant ici même une loi Robien améliorée, « reprofilée », pour reprendre leur mot.
Ce qui m'étonne, ce sont les bilans pour le moins approximatifs de cette loi tant vantée et si coûteuse.
Si l'on suit le rapport de la DARES, la direction de l'animation, de la recherche, des études et des statistiques, avec 1 442 conventions signées en novembre dernier, environ 400 défensives et 1 000 offensives, 150 000 salariés auraient été touchés par la réduction du temps de travail, soit entre 17 000 et 20 000 emplois créés ou maintenus. Il semble difficile d'envisager qu'aujourd'hui avec 2 000 conventions signées, c'est-à-dire 600 de plus, on en soit aux alentours de 70 000 emplois maintenus ou créés.
Il serait bon d'examiner plus attentivement les chiffres. Je rappellerai qu'il s'agit, en tout état de cause, d'intentions de création d'emplois dans l'année et non pas d'emplois créés effectivement.
Outre le coût, ces incertitudes sur les emplois effectivement créés ou à créer devraient amener à réfléchir, non seulement le Gouvernement mais aussi la majorité sénatoriale, qui s'appuient si fortement sur la loi Robien.
Je tiens pourtant à dire, madame la ministre, que je suis, comme mes amis radicaux, fortement attachée à la solution négociée. Des incitations très fortes à la réduction du temps de travail et aux négociations auraient eu, de loin, ma préférence.
Comme beaucoup, je regarde avec intérêt et souvent envie ce qui se passe dans d'autres pays comme d'Allemagne, les Pays-Bas ou les pays nordiques. Oui, j'aurais préféré la négociation, avec valeur d'entraînement et d'exemple, accompagnée d'une réduction plus massive du temps de travail.
Mais force est de constater que notre pays a une culture différente, une faiblesse numérique historique des syndicats ouvriers, une dureté non moins historique du patronat et des logiques d'affrontement liées à une tradition de type révolutionnaire.
Chaque grand moment révolutionnaire et chaque grand mouvement social a posé, depuis la Révolution française, avec la suppression des corporations, la question des rapports entre le patronat et le salariat.
Prenons notre pays comme il est ! On ne peut pas ni refaire l'histoire ni faire l'impasse sur ce qui est notre tradition intrinsèque.
Il est d'ailleurs surprenant de voir la constance d'un certain type d'argumentation du patronat et de la droite. A la charnière du siècle, au moment du grand combat pour la journée de 8 heures, selon la droite et le Comité des forges, le fait de libérer du temps et d'augmenter les salaires allait développer un seul poste de dépenses : la consommation d'alcool, ou plutôt d'absinthe, comme on disait à l'époque. L'assommoir, conséquence de l'augmentation des salaires ou de la baisse du temps de travail ! Et aujourd'hui, on entend la droite et le CNPF soutenir que si l'on baisse la durée du travail, le temps libéré va se transformer en travail au noir. Moralité : ne réduisons pas la durée du travail !
On le voit, le niveau de l'argumentation n'a pas changé. J'ai d'ailleurs été très frappée par la référence du rapporteur à Guizot. Ni la formule « Enrichissez-vous ! » ni la loi de 1841 sur le travail des enfants ne me paraissent à la pointe des conceptions sociales !
Devant une telle situation, il n'y avait malheureusement pas d'autre solution que d'imposer des dates butoirs pour le passage obligatoire aux 35 heures. Au demeurant, votre projet, madame la ministre, laisse un champ important à la négociation.
En conclusion, je voudrais vous faire part à la fois des interrogations et du soutien des sénateurs radicaux de gauche.
Les interrogations portent d'abord sur le résultat effectif de la loi.
On connaît la lourdeur des mécanismes de mise en place. Aujourd'hui, sur un sujet qui vous tient particulièrement à coeur, tout comme à nous, les emplois-jeunes, on constate que seulement 40 000 emplois ont été créés, essentiellement au ministère de l'intérieur et dans l'éducation nationale.
Or la mise en place des 35 heures va être par nature extrêmement longue. En 1998, environ 20 000 emplois pourraient être raisonnablement créés, correspondant aux 3 millions de francs du budget, et il paraît difficile d'espérer beaucoup mieux. Quelles que soient les estimations des effets de la loi, les seuils de 2000 et de 2002 nous renvoient à un délai d'au moins cinq ans pour la voir s'appliquer partout.
Une deuxième question est celle de la durée non seulement légale mais effective du travail ; je ne la développerai pas en cet instant.
S'ajoutent aussi une série de questions techniques. Ainsi, j'avoue avoir eu un peu de mal à assimiler le mécanisme du double SMIC et je ne suis pas sûre d'y être totalement parvenue.
M. Jean-Jacques Robert. Nous non plus !
M. Henri de Raincourt. Vous n'êtes pas la seule !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Cela ne m'étonne pas. Vous n'êtes nullement en cause madame Dusseau !
Mme Joëlle Dusseau. Se pose aussi le problème de tout le champ des salaires proches du SMIC, qui risquent un écrasement vers le bas, celui du temps partiel, celui de la fonction publique ainsi que celui - et là, une fois n'est pas coutume, je rejoins l'interruption de M. Chérioux - des associations financées sur fonds publics.
Mais je veux vous dire aussi, madame la ministre, la confiance que m'inspire ce projet, qui ouvre la porte à la nécessaire et forte réduction du temps de travail, seule mesure susceptible de créer massivement des emplois. J'espère pour ma part que sa mise en place, dans les mois à venir, aura valeur d'expérimentation. La loi de 1999 devra impérativement tenir compte de cette expérimentation. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. René-Pierre Signé. C'est sans réplique !
M. le président. La parole est à M. Robert.
M. Jean-Jacques Robert. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, rapportant habituellement l'avis de la commission des affaires économiques et du Plan sur le budget des PME, du commerce et de l'artisanat, je voudrais vous livrer quelques réflexions sur les effets de ce projet de loi relatif à la réduction du temps de travail pour des entreprises qui ont peu de points communs avec les très grandes entreprises, lesquelles sont également pour nous une source de fierté.
Le Gouvernement veut créer des emplois. C'est une volonté que, bien entendu, nous partageons. Je crains cependant que, du fait de la méthode utilisée, de nouvelles difficultés ne viennent s'ajouter à celles que, déjà, nous n'arrivons pas à surmonter.
Ainsi, peut-on croire encore que le succès, en matière de création d'emplois, soit lié à des avantages financiers, tels qu'on en a accordés jusqu'à présent et qui pèsent si lourdement sur les finances publiques ? Après les 150 000 francs par an de la loi Robien, des sommes presque aussi importantes seraient accordées, en application de ce texte, pour un seul emploi créé.
Peut-on penser que nos entreprises pourront retrouver leurs petits dans le magma des aides qu'on ne cesse d'accumuler ?
Peut-on admettre que le débat qui va inévitablement s'instaurer dans chaque entreprise - et que vous souhaitez - favorisera le climat de sérénité qui est nécessaire pour bien fabriquer, bien vendre la production, avoir une bonne activité commerciale ?
Une fois de plus, le temps du chef d'entreprise sera dévoré par des tâches pour le moins usantes.
La notion de nombre d'heures travaillées est-elle encore au goût du jour ? La production moderne ne doit-elle pas plutôt s'analyser comme le résultat de l'accomplissement d'une mission donnant lieu à une rémunération ?
Les contrôles des inspecteurs du travail sur les horaires, notamment lorsqu'il s'agit de cadres, ne relèveraient-ils pas d'un combat d'arrière-garde ?
En tout cas, de tels contrôles présagent mal de l'ambiance dans laquelle va commencer à s'appliquer votre projet de loi, madame le ministre.
L'heure supplémentaire, qui sera désormais comptabilisée à partir de 35 heures, correspond-elle à un allégement des charges ? Sûrement pas ! Je puis pourtant vous assurer qu'elle aura la préférence de l'entreprise par rapport à toute embauche nouvelle.
Les entreprises ont déjà préparé - et je suis persuadé que vous ne l'ignorez pas - leurs réponses : développement du recours à l'intérim, contrats à durée déterminée, travail à façon extérieur à l'entreprise, sous-traitance. Tout cela débouche, contrairement à vos espérances et aux nôtres, sur l'insécurité de l'emploi et sur l'appauvrissement des intéressés, qui ne participeront plus à la vie de l'entreprise. Dans bien des cas, cela ne peut que se traduire par l'exploitation des sous-traitants : tentation inévitable pour le donneur d'ordres et conséquence inéluctable d'une nouvelle et regrettable réglementation tatillonne.
Voilà donc des charges et des contraintes nouvelles qui contrarieront vos ambitions.
A mes yeux, il n'est pas d'autre solution que celle qui consiste à alléger les charges de l'entreprise : c'est seulement là que se trouve la source de la création d'emplois.
Faut-il rappeler que, lorsqu'un salarié perçoit 6 000 francs de rémunération, l'employeur, lui, doit verser 10 000 à 10 500 francs, compte tenu des charges sociales ?
Reportons-nous quelques années en arrière : à l'origine de la législation sociale, les cotisations salarié et employeur étaient uniquement destinées aux besoins sociaux du salarié et de sa famille directe. Au fil des années, on a fait peser sur ce tandem de cotisants tout le poids nouveau de la solidarité nationale, en progression régulière et quasi incontrôlable. C'est du reste ce qui explique votre initiative récente de développer l'utilisation antérieure de la CSG assise sur le revenu, ce qui revient à créer une TVA sociale.
Connaissant nos habitudes, j'ai tout lieu de craindre un dérapage, qui conduira à un relèvement automatique de ces taxes en fonction des besoins.
Pourquoi ne pas détacher l'entreprise et son capital humain du devoir de solidarité nationale ? Si l'on s'engageait dans cette voie, les charges payées au titre de l'entreprise serviraient seulement à assurer les salariés cotisants et leur famille. En revanche, la contribution nationale prendrait en charge, à travers l'impôt, la solidarité à l'égard de tous les non-cotisants. Les charges, ramenées au seul effort des entreprises, diminueraient, ce qui ne pourrait qu'être favorable à l'embauche. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Egu.
M. André Egu. Madame le ministre, avec vos amis, vous aimez faire rêver les Français : déjà, en 1981-1983, il s'agissait de travailler moins et de travailler mieux ; cela résonne encore dans les oreilles de tous nos compatriotes !
En 1936, la grande victoire sociale pour tous les salariés français a été suivie, malheureusement, de conséquences dramatiques au regard du chômage.
Mme Joëlle Dusseau. Absolument pas ! Le chômage n'a pas augmenté !
M. André Egu. Après notre collègue M. Bernard Plasait, je vous conseille de relire Alfred Sauvy.
Aujourd'hui, beaucoup de nos compatriotes, après vous avoir entendue, pensent qu'il faut travailler encore moins pour gagner autant, sinon plus. Si vos intentions sont louables - réduire le chômage, nous le voulons tous - l'échec risque d'être une nouvelle fois au bout du chemin.
La France, gouvernée à votre manière, c'est-à-dire à gauche, sera encore trompée car, dès que l'on aborde les débats économiques et sociaux, les rêves et les idéologies dominent les projets.
Vous n'analysez pas les réalités de la mondialisation, de la concurrence européenne acharnée et de la guerre économique à partir des mêmes données que celles qui nous ont été fournies par certains experts.
Le monde des entreprises et des travailleurs indépendants courbe le dos, beaucoup se demandant à quelle sauce ils vont être dévorés ! Vous vous réjouissez des performances de nos entreprises petites, moyennes ou grandes. Nous aussi ! Malheureusement, celles qui réussissent, gagnent de l'argent et des parts de marché sont parfois montrées du doigt. Il reste que, globalement, les entreprises françaises font moins de bénéfices que leurs concurrentes étrangères. Le résultat, dans cinq ou dix ans, ne pourra donc qu'être négatif, et ce sont tous nos jeunes, tous nos demandeurs d'emploi et tous nos salariés qui paieront le prix des erreurs d'aujourd'hui.
Selon les experts, nous n'avons pas encore fini de payer les dégâts provoqués par les mesures prises entre 1981 et 1985 : un million de chômeurs supplémentaires et un recul industriel sans précédent.
Certains experts - ce ne sont sans doute pas les vôtres - considèrent que le choc sera encore plus fort quand il faudra absorber les 35 heures payées 39. Il ne fait pas de doute que les conséquences sur le chômage et la compétitivité seront au moins aussi néfastes. Et vous ne pourrez plus avoir recours aux dévaluations pour absorber le choc !
De surcroît, la concurrence est beaucoup plus dure qu'il y a quinze ans.
J'estime que, dans un pays moderne et ouvert sur le monde, votre projet de loi, par les contraintes excessives qu'il induit, est ringard et dépassé.
Votre méthode autoritaire de gestion de l'économie, en imposant des règles insupportables aux créateurs et aux chefs d'entreprises - alors que ceux-ci aspirent au contraire à plus de liberté, à un allégement des procédures - a déjà eu de redoutables effets psychologiques.
Vous le savez, dans leur immense majorité, ces chefs de petites et moyennes entreprises sont hostiles à votre texte mais, contraints et forcés, ils seront obligés de l'appliquer. Et l'on peut vous faire confiance, ceux qui ne le feront pas seront montrés du doigt et culpabilisés, comme ils le sont déjà.
Toutes ces femmes et tous ces hommes de terrain, qui ont le savoir-faire, l'expérience et le courage nécessaires pour réussir - c'est dur de créer une entreprise - ou pour se maintenir, même difficilement, ont dû travailler non pas 35 heures mais souvent plus de 60 heures par semaine en moyenne pour les artisans et les commerçants, 58 heures pour les agriculteurs, 53 heures pour les travailleurs indépendants et les professions libérales !
Quant aux chefs de PME et des PMI, c'est une présence de tous les instants qui les a contraints, malgré eux, à entraîner leurs cadres, qui savaient que la réussite de l'entreprise les obligeait à travailler plus de 39 heures, et ce dans l'illégalité totale. Aujourd'hui, on sait que les contrôles vont sévir. Mais, croyez-le bien, beaucoup d'entreprises seront incapables de payer de nouveaux cadres travaillant 35 heures payées 39 heures. Vos leçons, vos messages d'organisation, de productivité et d'adaptation, sachez qu'il y a longtemps qu'ils sont mis en pratique, et nos performances n'ont rien à envier à celles de nos voisins. Les grosses entreprises industrielles, quant à elles, accroissent tellement leur productivité qu'elles détruisent plus d'emplois qu'elles n'en créent. C'est le résultat que nous constatons aujourd'hui, mais j'affirme qu'un tel projet, élaboré sans consensus et sans dialogue véritable avec les experts, et surtout avec les entreprises, c'est-à-dire sans un grand débat national préparatoire avec tous les acteurs économiques, est voué à l'échec.
Pourtant, les conditions macro-économiques, grâce à l'action de vos prédécesseurs et grâce au contexte actuel, tant européen que mondial, n'ont jamais été aussi favorables. Ce coup de frein que vous allez donner n'arrêtera pas d'un coup la machine économique mais, dans les années qui viennent, la production commencera à stagner, puis baissera ; les richesses à redistribuer se feront plus rares et des emplois disparaîtront. Que voulez-vous, moins on travaille, moins on produit ! La France détiendra le record mondial de la faible durée du travail, avec ses 35 heures obligatoires par semaine.
Les gros investisseurs étrangers qui, pour des raisons commerciales et diplomatiques, ne disent rien pour l'instant, sauront demain, à coup sûr, préférer à la France d'autres pays européens pour s'installer.
M. Guy Allouche. Comme Toyota !
M. André Egu. En effet, il ne faut pas rêver : pour l'instant, ce n'est pas mal, mais cela ne va pas durer.
Quant aux jeunes Français parmi les plus dynamiques et les plus diplômés, ils iront vers des espaces de plus grande liberté où les charges fiscales et sociales sont moins lourdes. Le mouvement est déjà amorcé et, comme le disait un jeune qui a déjà quitté la France, « notre pays ne sera qu'une destination de voyage et de vacances ».
Quant aux délocalisations des usines de sous-traitance ou à forte main-d'oeuvre, je vous donne rendez-vous dans quelques années pour en faire le bilan, car nous savons que, dans nos régions, des contacts ont d'ores et déjà été pris pour les années qui viennent.
Dernièrement, lors d'un débat avec des artisans et des chefs de petites entreprises des autres pays de l'Union européenne, un responsable allemand nous a affirmé qu'il n'était pas question, dans la très grande majorité des entreprises, surtout des PME et des PMI, d'arriver avant très longtemps aux 35 heures, et qu'il y avait, par-ci par-là, de grandes entreprises qui, pour ne pas faire disparaître trop d'emplois, avaient été obligées d'appliquer cette méthode. Il a ajouté, ce qui nous a plu, avec beaucoup d'humour et d'ironie : « Quand vous aurez terminé votre révolution économique, technique et sociale, vous nous inviterez pour nous expliquer comment les PME et des PMI, les commerçants et les artisans ont réussi à faire de tels gains de productivité et d'organisation pour produire en 35 heures ce que nous sommes simplement capables de faire en 40 heures, voire en 45 heures. Dans votre système, il est aberrant de vouloir faire passer le salarié d'une grande entreprise et le boulanger sous la même toise. »
Alors, nous sommes en droit de nous poser la question : comment faire ?
Premièrement, ce n'est pas avec une augmentation de l'impôt sur leurs bénéfices que les sociétés pourront embaucher ; elles investiront peut-être, mais ce sera pour diminuer les effectifs et non pas pour créer des emplois. N'oublions pas que la finalité de l'entreprise est de créer non pas des emplois, mais des services et des produits pour les consommateurs. Ce sont les consommateurs qui commandent le meilleur produit au meilleur prix ; les emplois viennent après.
Deuxièmement, il faut, et le plus vite possible, baisser les charges sur les bas salaires pour faciliter les embauches et ne pas pénaliser le coût du travail. C'est la meilleure méthode pour aider les moins qualifiés à trouver du travail.
Troisièmement, il faut simplifier la vie de tous les responsables d'entreprises, petites ou grandes, qui croulent sous les contraintes, les règlements et les procédures. Il faut créer un véritable climat de confiance et de liberté, qui n'existe plus aujourd'hui.
Quatrièmement, dans votre projet de loi, madame le ministre, vous passez complètement la formation à la trappe, alors qu'elle devrait être intégrée dans votre stratégie et dans celle des entreprises. Il ne faut pas oublier que des centaines de milliers de jeunes détenteurs de diplômes, souvent de haut niveau, ne débouchant sur aucun emploi disponible, seront, pour les années à venir, une bombe à retardement. Ces jeunes ont besoin d'une autre culture tournée vers l'économie, les métiers et les qualifications techniques. Il convient de former ceux qui le veulent à être aptes à créer des entreprises, car, aujourd'hui seulement un jeune sur vingt désireux de créer une entreprise a les capacités de mener son projet à terme.
La France a un énorme déficit de créateurs d'entreprises, ce n'est pas votre projet de loi qui suscitera des vocations !
On oublie trop en France que, si la dignité de l'homme passe par l'éducation, les loisirs et la culture, elle passe aussi et surtout par le travail. Celui qui travaille plus que les autres a beaucoup plus de chances de réussir, et le reste lui sera donné par surcroît.
Une France qui travaille plus et mieux que les autres, c'est une France qui gagne !
Pour conclure, je vous livre les réflexions d'un spécialiste néerlandais relevées dans un grand journal français.
Premièrement, l'erreur de méthode pour imposer les 35 heures n'a d'égale que l'erreur de fond sur l'appréciation des vrais leviers de l'emploi.
Deuxièmement, il est de bon ton d'invoquer l'exemple des Pays-Bas, ce voisin du Nord qui s'attache depuis plus de dix ans au problème du chômage. La démarche suivie aux Pays-Bas s'oppose, en fait, radicalement à la méthode dirigiste adoptée en France par un Etat solitaire et donneur de leçons. L'approche néerlandaise est réellement tripartite. Le Gouvernement, les syndicats et les entreprises ont beaucoup travaillé et s'engagent ensemble sur la voie de la modération salariale et de la flexibilité de l'emploi. Ils font un effort considérable sur le temps partiel. L'Etat, chez nous, devrait donner l'exemple en la matière.
Troisièmement, toujours selon ce spécialiste, si nous transposions la méthode dans l'Hexagone en y ajoutant la créativité française, une éducation, des technologies de pointe et beaucoup de formations qualifiantes, le résultat serait autrement plus efficace que sous le diktat archaïque de votre projet de loi sur la réduction du temps de travail.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Le diktat ?
M. André Egu. Pour terminer, je veux remercier le président de la commission des affaires sociales, notre rapporteur, ainsi que les membres de la commission d'enquête : les propositions du Sénat, faites de sagesse et de réalisme, ont notre faveur et nous les voterons sans restriction. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Balarello.
M. José Balarello. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le problème du chômage est suffisamment grave pour devoir être abordé sans dogmatisme, sans certitudes et sans prétention.
C'est ce à quoi je vais m'essayer, ayant été, à titre professionnel ou par mes fonctions électives, au contact d'entreprises privées ou publiques, petites ou grandes, durant de nombreuses années.
Il est nécessaire, avant d'examiner le projet de loi, de rappeler quelques réalités.
La durée hebdomadaire effective du travail des salariés à temps complet a diminué de cinq heures entre 1945 et 1995, passant d'environ 44 heures à 39 heures, mais, dans le même temps, la durée annuelle effective du travail a diminué davantage, précisément de 22 %, en raison de l'allongement des congés payés et, dans une moindre mesure, de la progression du temps partiel.
L'ordonnance du 16 janvier 1982, qui diminue la durée hebdomadaire du travail par voie autoritaire, la faisant passer de 40 heures à 39 heures sans perte de salaire, n'a pas empêché, en période de récession, la progression rapide du chômage. Selon le Commissariat du Plan, cette réduction entraîna même une perte de compétitivité et de profitabilité des entreprises.
Nos voisins européens, qui se sont également essayés à la réduction du temps de travail en période de crise économique, se sont heurtés à des résultats semblables, que ce soit au Royaume-Uni ou en Allemagne, où le cas de Volkswagen, souvent monté en épingle, n'est pas plus probant. A cet égard, je rappelle qu'en 1993, dans cette entreprise, la durée hebdomadaire du travail a été réduite de 20 %, pour atteindre 28,8 heures. Les salaires annuels ont, parallèlement, diminué de 15 %, mais les effectifs sont, eux, passés de 118 000 en 1992 - avant la réduction du temps de travail - à 95 000 en 1996.
En revanche, aux Etats-Unis, où la durée du travail n'a pas diminué, le taux de chômage, après un pic de 9,5 % en 1983, a été ramené, en juin 1997, à 5 %. N'étant pas un admirateur béat du modèle américain, je relativiserai ce chiffre en rappelant que c'est la croissance très soutenue pendant six années consécutives qui a permis cette baisse du taux de chômage et la création de 12 millions d'emplois. On sait par ailleurs que les Américains stimulent la production de leurs entreprises par une très forte demande intérieure financée par le crédit, 19 % des revenus des ménages américains étant affectés au remboursement des dettes de consommation alors que, en France, les réflexes sont différents.
Cela étant, M. Florin Aftalion, professeur à l'ESSEC, remarque que, en mettant en rapport sur un graphique le taux de chômage et le nombre d'heures ouvrées par an et par personne ayant un emploi pour ce qui est pays les plus industrialisés, on observe qu'il existe une relation inverse entre temps de travail et chômage.
Les comparaisons internationales montrent en effet que ce sont les pays où la durée du travail est la plus élevée qui ont le taux de chômage le plus bas. Or la France est non seulement l'un des pays où la durée du travail est la plus courte sur l'année mais aussi l'un de ceux où l'entrée sur le marché du travail est la plus tardive, et la sortie la plus rapide, ce qui fait que la durée totale du travail dans une vie y est plus courte qu'ailleurs. Cela nous posera des problèmes pour le paiement des retraites. En moyenne, un salarié japonais travaillera 71 123 heures, un salarié anglais 56 918 heures et un salarié français 49 507 heures.
Parallèlement, la France a l'une des durées annuelles du travail les plus faibles parmi les grands pays industrialisés. Ainsi, en 1995, on y relevait 1 631 heures de travail, soit 321 heures de moins qu'aux Etats-Unis et 267 heures de moins qu'au Japon. Parmi les pays du G 7, seule l'Allemagne a une durée annuelle effective du travail inférieure à la nôtre.
C'est cette réalité que le texte que vous nous proposez, madame la ministre, va encore aggraver. Or le phénomène de la mondialisation étant un fait acquis, il est certain que la France ne pourra pas se singulariser longtemps. Nos cotisations sociales employeur-salarié sont déjà plus élevées qu'ailleurs et atteignent 19,3 % du produit intérieur brut, contre 15,4 % en Allemagne, 13 % en Italie et 6,2 % en Grande-Bretagne. De surcroît, comme chacun le sait, notre fiscalité est la plus élevée de tous les pays européens.
Les risques sont donc grands d'assister non seulement à la délocalisation de nos entreprises vers les pays où la main-d'oeuvre est bon marché, les coûts de production faibles et où l'on travaille plus, mais aussi à la fuite des cerveaux et des jeunes diplômés, largement commencée d'ailleurs, vers des pays où la fiscalité est restée raisonnable.
C'est dans ce contexte que le Gouvernement nous présente le présent projet de loi visant à la réduction de la durée légale du temps de travail à 35 heures, sans perte de salaire, applicable d'abord aux entreprises au-dessus d'un seuil de vingt salariés à date fixe au 1er janvier 2000, ensuite à toutes les entreprises dès le 1er janvier 2002, avec, en prime, une aide pour celles qui anticiperont et embaucheront avant ces dates.
Selon le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, le scénario le plus crédible de l'application des 35 heures verrait la création de 200 000 à 250 000 emplois.
Selon la même source, l'effet des 35 heures sur les finances publiques serait globalement nul, parce que, en dehors du « démarrage » nécessitant les 3 milliards de francs prévus au budget de 1998, le rendement en termes d'impôts - impôt sur le revenu et TVA - et les cotisations sociales générées par les nouveaux emplois créés compenseraient le coût des aides, surtout s'il y a gain de productivité et diminution de l'assurance chômage.
En outre, l'aide apportée aux entreprises pour l'embauche de nouveaux salariés en application de l'article 3 du présent projet de loi a un caractère forfaitaire qui favorise particulièrement les entreprises de main-d'oeuvre et les bas salaires, puisqu'un montant moyen d'aide annuelle de 7 000 francs sur cinq ans et par salarié correspond à 3,3 % du coût du travail pour un salaire de 12 000 francs brut mais à plus de 5,7 % pour un salaire mensuel de 7 000 francs.
Il s'agit, madame la ministre, d'un montage apparemment logique. Comme la réduction de la durée légale concernera à terme un champ potentiel de plus de 13 millions de salariés, dont environ 9 millions dans les entreprises de plus de vingt salariés, c'est un très gros pari que vous tentez là. Vous pensez, en effet, que la réduction du temps de travail s'accompagnera d'une réorganisation du travail et de la production. Vous affirmez, fort justement d'ailleurs, qu'une réorganisation de la production visant à maintenir ou à accroître la durée d'utilisation des équipements industriels ou la durée d'ouverture des services est un facteur important pour la réussite économique de la réduction du temps de travail avec gains de productivité de 3 % à 5 %, nonobstant une durée du travail réduite de 10 p. 100.
Telles sont les analyses faites par le Gouvernement, sans doute aidé par des économistes éminents mais dogmatiques, et très éloignés des réalités, que j'ai connues, des petites et moyennes entreprises et des petites et moyennes industries, des entrepreneurs, des artisans, des agriculteurs confrontés aux fins de mois difficiles, à la recherche des marchés, aux agios, à une politique bancaire qui, après avoir fait des folies dans l'immobilier, ne prend plus aucun risque. Les analyses du Gouvernement sont très éloignées des entrepreneurs plus ou moins capables, des salariés plus ou moins motivés, avec les impayés temporaires ou définitifs, les clients de mauvaise foi, les redressements judiciaires qui n'en finissent plus et se multiplient. Or, vous le savez, ce sont dans ces petites et moyennes entreprises que résident les gisements d'emplois. Votre réforme risque de les décourager alors qu'elles sont déjà confrontées, dans certaines régions frontalières, à la concurrence européenne.
Je citerai une anecdote. Je suis maire d'une commune frontalière, située à quelques kilomètres de la province italienne de Cuneo, dans le Piémont, où le taux de chômage est inférieur à 4 p. 100.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Grâce aux PME !
M. José Balarello. Je me suis demandé pour quelle raison le taux de chômage y est à un niveau si faible. Le président du conseil provincial m'a indiqué qu'il existait un très grand nombre de PME et de PMI, un tissu d'entreprises familiales, dans lesquelles les personnes concernées ne font pas 39 ou 40 heures, mais beaucoup plus. A l'heure actuelle, elles viennent même concurrencer les artisans du département des Alpes-Maritimes, notamment ceux de ma commune. Ces personnes sont disponibles le samedi, le dimanche et les jours de fête, notamment lorsqu'une machine est en panne.
Les chiffrages évoqués par vos services en matière de créations d'emplois relèvent de simulations macroéconomiques, assorties d'hypothèses, de conditions et de réserves multiples qui se heurtent aux observations sur le terrain. D'ailleurs, les auditions qui ont été consignées dans le rapport Gournac-Arthuis de la commission d'enquête sénatoriale sont édifiantes s'agissant de ce que pensent les partenaires sociaux, notamment les agriculteurs. Selon que les conditions seront ou non réunies - vous l'avez dit - les résultats peuvent être inversés.
Peu d'entreprises sont aujourd'hui en situation de pouvoir continuer à réaliser des gains de production tout en réduisant la durée du temps de travail de leurs salariés. Par ailleurs, celles qui ont des marges de développement n'ont guère intérêt à consommer toutes leurs réserves de productivité pour financer une réduction de la durée du temps de travail.
Comme l'a indiqué M. le président Fourcade à cette tribune, la réduction du temps de travail sans perte de salaire entraîne une augmentation du coût salarial du SMIC de 11,4 %, qui sera en partie compensée par les aides publiques mais seulement s'il y a création d'emplois.
Or, notre économie étant ouverte, une telle augmentation des coûts salariaux ne peut que nuire à la compétitivité de nos entreprises sur le marché international, de surcroît dans un contexte de baisse générale des prix de vente du secteur industriel, alors même que un français sur quatre travaille pour l'exportation.
Je terminerai en attirant votre attention, madame la ministre, sur le fait qu'aux termes de ce projet de loi de vastes zones d'ombre demeurent sur des points cruciaux. Certes, vous nous avez indiqué que ces points seraient réglés par une seconde loi en 1999.
La disposition la plus préoccupante concerne le régime des heures supplémentaires.
Abaisser la durée légale du travail à 35 heures, cela signifie que c'est à partir de ce seuil que se calcule les heures supplémentaires. Les entreprises qui, pour maintenir leur production en période de surchauffe, continueront à faire travailler leurs salariés 39 heures compléteront la rémunération de base calculée sur 35 heures par quatre heures supplémentaires majorées à 25 %. A production inchangée et sans gains de productivité, les coûts salariaux augmenteront de 2,6 % alors que les entreprises n'auront pas suffisamment de travail en année pleine pour embaucher.
Par ailleurs, le texte ne fait aucune référence à l'annualisation, qui serait pourtant la solution la plus adaptée à de nombreuses professions, en permettant d'adapter les besoins de production et de services sur l'année en fonction d'une demande souvent fluctuante ou saisonnière.
Par ailleurs, vous ne parlez pas de l'apprentissage et de la formation professionnelle, alors que votre système, madame la ministre, ne pourra fonctionner que grâce à des personnes très bien formées, les autres faisant les frais du système.
Enfin, pourquoi ne pas poursuivre dans le système consensuel de la loi Robien du 11 juin 1996 ? En effet, vous l'avez dit, elle a abouti à 2 000 accords d'entreprise. Elle permettait aux entreprises le pouvant, et à elles seules, de diminuer la durée du travail. Elle ne l'imposait pas aux autres, malheureusement les plus nombreuses parmi les PME, notamment dans le secteur du bâtiment, qui pouvaient rester en dehors du système.
De véritables perspectives pour le développement des négociations sur l'aménagement et la réduction du temps de travail étaient ouvertes, et votre Gouvernement n'avait qu'à « reprofiler » le texte de la loi de 1996, comme l'a indiqué le rapporteur de la commission des affaires sociales, M. Souvet. Or, vous avez privilégié un dispositif autoritaire contestable, fondé sur des données on ne peut plus fragiles. Enfin, qu'en est-il du travail à temps partiel ? Ce genre de travail ne concerne que 16,6 % des emplois en France, alors qu'il représente 20 % à 25 % de l'emploi de certains pays d'Europe - Pays-Bas, Danemark, Suisse, Norvège et Royaume-Uni - et touche aux Pays-Bas 67 % des femmes et en Suède 44 %.
Il est, à l'évidence, une voie nouvelle à la création d'emplois. Il répond à un besoin de flexibilité des entreprises, tout en permettant aux salariés de disposer de temps selon leurs desiderata et leurs impératifs financiers, et aux mères de famille de s'occuper de leurs enfants.
Pourtant, l'article 6 du présent projet de loi, qui modifie l'article L. 322-12 du code du travail, pénalise cette solution en disposant que l'exonération des charges sociales de 30 % ne serait plus accordée que pour des contrats conclus pour un horaire hebdomadaire compris entre 18 et 32 heures.
Que comptez-vous faire sur ces différents sujets ?
Nous aurions souhaité également que le Gouvernement examine l'hypothèse de la semaine de quatre jours préconnisée par M. Larrouturou dans son livre 35 heures : le double piège.
Une enquête CSA- La Vie des 3 et 5 mai 1997 relève, en effet, que 67 % des Français seraient prêts à travailler un jour de moins par semaine en acceptant une baisse de salaire de 5 %.
Les solutions ne manquent donc pas à l'aménagement du temps de travail et les Français sont, dans leur grande majorité, prêts à accepter des réductions de temps de travail et de salaire si la conséquence est la création d'emplois. Il faut néanmoins considérer que toutes les entreprises françaises ne sont pas en mesure d'affecter une partie de leurs gains à la création d'emplois. Aussi, un projet de loi autoritaire, élaboré sans véritable concertation avec les partenaires sociaux, comme celui qui nous est proposé, risque de compromettre l'existence de nombreuses petites et moyennes entreprises dont la santé économique est précaire et la rentabilité marginale. C'est la raison pour laquelle je suivrai les propositions de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Weber. (Applaudissements sur les travées socialistes.) M. Henri Weber. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j'ai écouté attentivement les orateurs de la majorité sénatoriale qui se sont exprimés jusqu'à présent. J'ai retrouvé sans peine dans leurs propos les trois types d'arguments que les conservateurs opposent invariablement depuis deux siècles aux grandes réformes sociales défendues par la gauche.
M. William Chervy. Eh oui !
M. Henri Weber. Le premier de ces arguments, c'est celui de l'effet pervers. Il a été défendu, entre autres orateurs, par le rapporteur, M. Louis Souvet, et par M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales, avec un talent digne d'une meilleure cause. (Sourires sur les travées socialistes.) Le projet de loi que vous nous présentez, madame la ministre, produirait, selon ces excellents collègues et quelques autres, un effet exactement contraire à celui que vous recherchez : loin de créer des emplois, il en détruirait en grand nombre et accroîtrait le chômage, car il augmente le coût du travail, de 11,4 %, et sa rigidité ; cela suffirait pour mettre les entreprises en difficulté.
Le deuxième de ces arguments classiques, c'est celui de l'inanité ou de la vanité de la réforme. Il est sensiblement différent du précédent. Il a été développé tout à l'heure, notamment par MM. Hubert Durand-Chastel et Alain Gournac.
La loi sur les 35 heures est vaine et inutile, ont-ils soutenu. Elle ne créera aucun emploi, car les chefs d'entreprise s'arrangeront pour produire autant, voire davantage, avec les mêmes effectifs. On aurait pu obtenir un résultat bien meilleur et à moindres frais en laissant faire le cours spontané des choses.
Le troisième argument, c'est celui de la mise en péril de certains acquis. L'aménagement et la réduction du temps de travail constituent sans doute une arme efficace contre le chômage, ont reconnu MM. Gérard Larcher et Daniel Hoeffel. Mais il aurait fallu procéder par la négociation, et non par la contrainte. En recourant à la loi, le Gouvernement ruine l'efficacité de la mesure et met en péril d'autres acquis précieux : la croissance retrouvée, par exemple, l'augmentation des salaires, désormais possible, et la négociation collective entre partenaires sociaux.
Ces trois types d'arguments sont, je le répète, d'un grand classicisme. Le grand Albert Hirschman a montré qu'ils ont été successivement invoqués à chaque étape de notre développement démocratique : au XVIIIe siècle contre l'affirmation des droits civils et des libertés individuelles, au XIXe siècle contre l'extension des droits politiques et le suffrage universel, au XXe siècle contre la reconnaissance des droits sociaux et économiques et l'avènement de l'Etat-providence. Ces trois types d'arguments ne sont pas plus pertinents aujourd'hui, contre la réduction du temps de travail, qu'autrefois.
Madame la ministre, le projet de loi que vous nous proposez n'est pas ce lourd boulet que certains orateurs ont décrit. Le chiffre de 11,4 % d'augmentation du coût du travail qu'ils ont avancé est fantaisiste. Il ne tient pas compte des progrès de la productivité du travail, 2 % par an en moyenne, et beaucoup plus dans l'industrie.
Monsieur le rapporteur, si mon information est exacte, vous avez exercé des fonctions chez Peugeot. Or, dans cette entreprise - j'en parlais avec M. Saint-Geours voilà peu, l'augmentation de la productivité s'élevera, cette année, à 12 %, non pas à 2 % ou à 5 %.
M. Louis Souvet, rapporteur. Monsieur Weber, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Henri Weber. Volontiers, monsieur le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, avec l'autorisation de l'orateur.
M. Louis Souvet, rapporteur. On ne parle bien que de ce que l'on connaît bien, monsieur Weber. Une telle augmentation résulte d'une remise en cause complète des fabrications, pour obtenir une diminution de 25 % du prix de fabrication. Cette remise en cause part du fait que dans une même usine on fabriquait des véhicules Citroën, des véhicules Peugeot, et peut-être d'autres encore.
Cela n'est pas tout à fait aussi simple que ce que vous dites, même si vous avez des contacts avec M. Saint-Geours.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Weber.
M. Henri Weber. J'affirme, monsieur le rapporteur, que le chiffre avancé d'une augmentation de 11,4 % du coût du travail n'est pas raisonnable. D'abord, il fait abstraction de l'augmentation de la productivité du travail, qui atteint 2 % en moyenne, et beaucoup plus dans l'industrie, notamment dans l'industrie automobile. Ensuite, il fait abstraction des aides financières accordées aux entreprises qui appliqueront les 35 heures hebdomadaires avant l'échéance, aides dont on a beaucoup parlé ici et qui s'étagent de 9 000 à 15 000 francs et davantage par salarié, selon les cas. Enfin, il fait abstraction de la modération salariale, qui est effective depuis nombre d'années dans notre pays et qui explique d'ailleurs que les entreprises aient reconstitué leurs marges bénéficiaires. Celles-ci sont supérieures à ce qu'elles étaient avant la crise, c'est-à-dire avant 1973, en raison précisément, dans une large mesure, de cette modération salariale qui est appelée à perdurer si le passage à la semaine de 35 heures s'accompagne d'une amélioration des conditions de travail et de la création de nouveaux emplois.
Votre texte, madame la ministre, n'est pas non plus ce carcan qui imposerait à tous et tout de suite une même norme édictée d'en haut. Il ouvre une période de négociations qui durera deux ans pour les entreprises de plus de vingt salariés et quatre ans pour les autres. Au cours de cette période, les modalités de la réduction et de l'aménagement du temps de travail seront définies par les partenaires sociaux. Ces modalités pourront prendre des formes variées selon les secteurs, les métiers et les niveaux de qualification : semaine de 35 heures, a-t-on dit, semaine de quatre jours, journées de repos supplémentaires, année sabatique, compte épargne temps, ... Il s'agit de surcroît - cela a été souligné à plusieurs reprises - d'une réduction de la durée légale du temps de travail, qui admet, comme aujourd'hui, le recours à un volant d'heures supplémentaires.
Si votre projet de loi dresse, heureusement, de nombreux garde-fous contre le retour du travail taillable et corvéable à merci, il n'est pas hostile à des aménagements négociés des horaires et de l'organisation du travail, comme les contrats passés dans le cadre de la loi Robien en donnent de nombreux exemples.
Ce texte ne compromet pas la compétitivité retrouvée de nos entreprises. Certains orateurs ont affirmé que le coût du travail dans notre pays est exorbitant et la législation sociale dissuasive. Ces allégations ne sont pas exactes : le coût du travail, en France, se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE. Il est nettement plus élevé en Allemagne, en Belgique et dans les pays scandinaves ; il est à peu près équivalent en Grande-Bretagne et en Espagne, mais ce ne sont pas des idéaux sociaux que nous visons.
Mais si le coût moyen du travail se situe, en France, dans la norme des pays comparables, le coût du travail non qualifié, c'est vrai, est trop élevé. C'est pourquoi je me félicite, avec le groupe socialiste, de ce que l'aide accordée par votre projet de loi, madame la ministre, privilégie à juste titre les entreprises de main-d'oeuvre employant principalement des salariés peu qualifiés et puisse aussi se lire comme un allégement des charges sur le travail non salarié mais avec, pour contrepartie, 10 % de réduction de la durée du travail et 6 % au moins de créations d'emplois.
Mes chers collègues, notre coût du travail et notre haut niveau de protection sociale ne nuisent pas à notre économie. Notre balance commerciale est excédentaire depuis des années et a atteint, en 1997, un record de 174 milliards de francs. Notre pays se situe au troisième rang dans le monde pour l'accueil des investissements étrangers, derrière les Etats-Unis et dans la roue de la Grande-Bretagne. Vous avez encore pu prendre connaissance tout récemment, mes chers collègues, des chiffres de créations d'emplois - 24 000 - et des investissements pour l'année en cours.
L'épargne internationale, les investisseurs étrangers plébiscitent notre économie au moment même où certains parlementaires et certains patrons français la dénigrent, ce qui n'empêche d'ailleurs pas ces derniers d'investir, puisque l'investissement industriel devrait, selon l'INSEE, augmenter de 10 % en 1998 contre 1 % en 1997, avant la loi sur les 35 heures.
M. Louis Souvet, rapporteur. Merci patron !
M. Henri Weber. Je le rappelle à mes collègues séduits par la thèse de l'effet pervers : le coût du travail et la législation sociale ne sont qu'un élément, parmi beaucoup d'autres, de la compétitivité des entreprises et de la décision d'investir. Entrent également en ligne de compte le niveau de la demande, la qualité de la main-d'oeuvre, celle des infrastructures, des moyens de communication, du cadre de vie, le niveau de la recherche... Or, sur tous ces éléments, nous atteignons à l'excellence. C'est pourquoi, massivement, l'épargne et l'investissement étrangers viennent se fixer dans notre pays.
Madame la ministre, certains vous ont reproché de vouloir partager le travail au lieu de le démultiplier. C'est un faux procès. Le partage du travail existe déjà dans notre pays, mais il est subi et non maîtrisé. Il se fait - vous le savez bien - au détriment des moins de 25 ans et des plus de 55 ans. C'est un partage du travail qui est de type générationnel. Au Japon, que M. Plasait a cité en exemple, le partage du travail se fait aussi, mais, cette fois, au détriment des femmes.
Vous nous proposez, madame la ministre, un partage du travail moins injuste, moins absurde, voulu et non subi, conscient et organisé, nullement contradictoire avec le développement de l'activité globale, bien au contraire.
Certains ont évoqué Alfred Sauvy et le Front populaire. Mais précisément, comment ne pas voir que vous avez lu Sauvy et médité l'expérience de 1936, au demeurant glorieuse, comme l'a rappelé Pierre Mauroy, et qui reste fortement gravée dans l'imaginaire populaire de ce pays ?
Le coût horaire du travail, en juin 1936, a été augmenté de 50 % : 20 % d'augmentation des salaires à la suite des accords de Matignon, 20 % d'augmentation au titre du passage de la semaine de 48 heures à 40 heures - il s'agissait alors non pas d'une réduction de la durée légale du travail mais de la durée effective, avec interdiction de pratiquer plus d'une heure supplémentaire par jour, sauf dérogation pour les travaux urgents et exceptionnels - 5 % d'augmentation pour les congés payés et le reste en cotisations sociales.
Comment peut-on sérieusement comparer ce traitement de choc avec le dispositif prudent, subtil et informé que nous propose aujourd'hui le Gouvernement ? Une telle comparaison renvoie soit à l'ignorance, soit à la mauvaise foi. Il n'y a en effet aucune commune mesure entre les propositions actuelles et les mesures qui ont été prises en juin 1936, dont nous avons en effet médité toutes les leçons pour tendre au même objectif sans faire un certain nombre d'erreurs économiques commises à cette époque.
M. Guy Allouche. Très bien !
M. Henri Weber. Plusieurs orateurs en ont appelé au pragmatisme, madame la ministre, et vous ont mise en garde contre tout a priori doctrinal ou idéologique. Mais comment ne pas voir que leur analyse des causes du chômage français est elle-même éminemment idéologique et fort peu pragmatique ?
A écouter la plupart des orateurs qui m'ont précédé à cette tribune, la raison principale du chômage structurel en France résiderait dans le niveau trop élevé du coût du travail et des contraintes pesant sur les entreprises. Qui ne reconnait là le vieux postulat libéral ? L'un des orateurs a eu au moins l'honnêteté de citer Jean-Baptiste Say. C'est la vieille idéologie libérale, dans ce qu'elle a de plus simpliste, qui est exposée là !
Mais, mes chers collègues, pourquoi ne pas invoquer aussi et surtout la politique macroéconomique calamiteuse appliquée au cours des sept dernières années, politique qui a étouffé notre croissance par des taux d'intérêt dissuasifs et des taux de change surévaluant le franc pour le maintenir à l'étalon mark ? Ce contresens absolu a eu pour conséquence le taux de croissance anormalement bas - 1,5 % - de notre économie pendant sept ans. Nous avons en effet accumulé un retard considérable de ce point de vue. Il s'agit là d'une cause majeure du chômage, qui n'a donc pas à être recherchée, contrairement à ce que prétendent, dans leur sempiternel refrain, les libéraux en manque d'imagination, dans les charges sociales et les contraintes.
La thèse de l'inanité, que j'évoquais tout à l'heure, ne résiste pas davantage à l'analyse. Les expériences étrangères et toutes les études disponibles indiquent que la réduction sensible de la durée du travail, dans un contexte de reprise économique, lorsque les carnets de commandes sont pleins et que l'Etat accorde des incitations financières substantielles, est créatrice d'emplois. Elle peut même l'être fortement si les négociations entre partenaires sociaux ont lieu dans un esprit gagnant-gagnant.
En Allemagne, la réduction du temps de travail dans la métallurgie, l'imprimerie et le bois entre 1985 et 1995 a permis de sauver 700 000 emplois, selon le Bureau fédéral du travail, qui est l'équivalent de notre ANPE. Les pays d'Europe du Nord - ils ont été cités abondamment et fort imprudemment - qui ont réussi à diminuer sensiblement leur chômage sans plonger dans le même temps, comme la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, un tiers de leur population dans la grande pauvreté sont parvenus, eux aussi, à réduire le temps de travail : par l'institution des congés parentaux et des congés de formation au Danemark, par l'essor du temps partiel choisi aux Pays-Bas. En France même, l'expérience des accords Robien, si âprement combattus par le CNPF et par une partie de la droite parlementaire ici même (Vives protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants)...
M. Charles Descours. Vous n'avez pas voté la loi Robien ! C'est nous qui l'avons votée !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Vous ne l'avez pas votée, monsieur Weber ! C'est le geai paré des plumes du paon ! M. Henri Weber. Demandez à M. de Robien ce qu'il en pense !
M. Charles Descours. Vous n'avez pas voté la loi Robien, monsieur Weber !
M. Henri Weber. Je vous renvoie à l'intervention de M. de Robien à l'Assemblée nationale, intervention au cours de laquelle il a rappelé à ses collègues de la droite parlementaire les résistances qu'il a dû affronter.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Ne vous flattez pas de ce que vous avez rejeté !
M. Henri Weber. A ce jour, 30 000 emplois ont été sauvés ou créés par la signature de 1 500 accords concernant 300 000 salariés.
Reste l'argument de la mise en péril. Le recours à la loi, nous a-t-il dit, détériorera le climat social et ruinera durablement l'avenir des négociations collectives dans notre pays.
Le Gouvernement aurait certainement préféré aboutir à la réduction du temps de travail par la négociation plutôt que par la loi. Mais la France n'est pas le Danemark ou l'Allemagne. Au Danemark, par exemple, 80 % des salariés et des patrons sont respectivement regroupés dans un syndicat unique. Les acteurs économiques et sociaux sont organisés au sein d'institutions puissantes, disciplinées et obéies. En conséquence, les relations sociales y régnant sont qualitativement différentes de celles qui existent dans notre pays.
Les relations sociales sont telles, en France, que les partenaires sociaux - vous le savez bien et nous le déplorons autant que vous - ne négocient vraiment que sous la contrainte d'une crise majeure : 1936, 1945, 1968... « En France », disait le général de Gaulle, « il faut une révolution pour faire des réformes ». Je l'évoquais à l'instant, le dispositif Robien, pourtant fort avantageux pour les entreprises, n'a abouti, en novembre 1997, qu'à 1 500 conventions concernant 300 000 salariés seulement.
Le bilan de l'accord national interprofessionnel de 1995 est encore plus décevant : on relève une trentaine d'accords, aux effets très limités, sur quatre cents branches concernées.
C'est en raison de cette anomie des rapports sociaux, de cette carence de la négociation contractuelle que le Gouvernement s'est résolu à recourir à la voie législative en deux temps : d'abord une loi d'incitation puis une loi dite « balai ».
Comme vous nous l'avez rappelé, madame la ministre, il s'agit de donner une impulsion à des négociations actuellement au point mort. Si l'on n'était pas passé par la loi, il y a malheureusement fort à parier qu'il ne se serait rien produit du tout.
Telle est la réalité sociale de notre pays, que nous sommes les premiers à déplorer. Mais il existe des causes historiques à cette situation, et ce n'est pas en quelques années que nous y remédierons.
Loin d'ouvrir les vannes à une flexibilité sans entraves à l'anglo-saxonne, votre projet de loi, madame la ministre, prend soin de prémunir les salariés contre la surexploitation et l'arbitraire.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. C'est Zola !
M. Henri Weber. La durée minimale de travail est relevée de 16 heures à 18 heures, afin de lutter contre les contrats à temps partiel trop courts et plus souvent subis que choisis.
Des mesures contre les journées « hachées » sont également prévues : l'article 7 limite les coupures à une par jour, d'une durée maximale de deux heures.
Le seuil de déclenchement du repos compensateur est abaissé de 42 heures à 41 heures. Le fait que ce repos doive être pris dans les deux mois, l'instauration d'un repos quotidien d'au moins onze heures consécutives ou l'obligation de requalifier un contrat à temps partiel lorque l'horaire effectif sera supérieur à l'horaire prévu pendant douze semaines sont autant de garanties apportées aux salariés contre tout risque de remise en cause en profondeur des acquis sociaux.
Notre collègue Marie-Madeleine Dieulangard a indiqué à juste titre que au-delà de la lutte pour l'emploi et contre le chômage, il y a, dans cette bataille pour la réduction du temps de travail, un enjeu de civilisation.
Notre démocratie se développe depuis deux siècles par étapes : tout d'abord, au xviiie siècle, une étape d'affirmation des droits civils et des libertés individuelles ; puis, au xixe siècle, une étape de lutte pour les droits politiques, symbolisée par la bataille pour le suffrage universel ; ensuite, au xxe siècle, le développement et l'affirmation des droits économiques et sociaux, symbolisés par l'instauration, en 1945-1950, de l'Etat providence.
Le développement de notre démocratie connaît maintenant une quatrième étape : la bataille pour la réduction du temps de travail, la bataille pour la civilisation du temps libéré et du temps choisi, car une véritable démocratie ne peut fonctionner efficacement que si les citoyens ont le temps de prendre en charge leurs affaires. C'est en effet dans la logique de notre démocratie que s'inscrit l'objectif d'une société dans laquelle le temps de labeur, le temps de travail contraint, le temps de travail routinier sera plus court, pour chacun, que le temps libre.
Madame la ministre, votre loi est à la fois volontariste et réaliste. Elle a tiré les leçons du passé - du Front populaire de 1936, du passage aux 39 heures en 1982... - ainsi que des expériences étrangères. Elle peut, avec les autres mesures édictées par le gouvernement de Lionel Jospin, créer des emplois, et même beaucoup d'emplois. Cela dépendra de la volonté et de la capacité des salariés de s'en saisir et d'en faire leur affaire. Cela dépendra aussi de l'intelligence des chefs d'entreprise - dont, moi, je ne doute pas - qui peuvent également y trouver leur compte, pour accroître la productivité et la réactivité de leur établissement tout en améliorant son climat social.
C'est un véritable nouveau Contrat social que vous proposez au pays, et dont les termes sont la réduction et l'aménagement du temps de travail, le maintien du pouvoir d'achat, la création d'emplois dans les entreprises, pour renouer durablement avec le cercle vertueux de la croissance. Ce nouveau contrat, nous l'approuvons pleinement, et c'est pourquoi nous voterons contre le texte de circonstance que veut lui substituer la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Monsieur Weber, avez-vous lu le rapport de la commission des affaires sociales ? Permettez-moi de vous le remettre : vous y trouverez des chiffres incontestables et plus récents que ceux que vous avez évoqués. (M. le président de la commission remet à l'orateur, qui regagne sa place, le rapport de M. Souvet, fait au nom de la commission des affaires sociales.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, je viens d'entendre avec intérêt l'intervention passionnée de notre collègue Henri Weber. J'aimerais partager son enthousiasme ! J'aimerais pouvoir dire que le moment est effectivement venu, compte tenu de l'état de notre économie, de l'environnement dans lequel nous travaillons et de ce qu'est la richesse nationale, d'envisager des mesures du style de celles qui nous sont proposées. Or, madame le ministre, je crains que nous ne soyons en réalité devant une illusion. Cette illusion est belle, certes, mais c'est néanmoins une illusion.
Très honnêtement, je ne crois pas que, malgré tous les appels qui sont lancés ici ou là aux entreprises pour que, dans la mesure où la loi serait moins contraignante qu'il n'y paraît, elles entreprennent, au moment même où elles ont à relever des défis de concurrence internationale majeurs, de négocier, de négocier tous azimuts, de négocier plus ou moins sous la pression et face à des syndicats mobilisés sur cette affaire, je ne crois pas, dis-je, que tel soit leur premier souci : elles n'en ont ni le temps ni les moyens.
Je crains beaucoup que le texte qui nous est soumis ne créé un certain nombre de rigidités supplémentaires dans notre droit du travail actuel. Or celui-ci comporte déjà, par rapport à celui d'autres pays, énormément de rigidités que ces derniers ignorent. N'est-ce pas, d'ailleurs, l'une des raisons pour lesquelles nos jeunes trouvent plus facilement du travail à Londres qu'à Paris et que nos cerveaux sont en train de quitter notre pays ? Je ne parle même pas du système astucieux qui consiste à mettre à la porte un chercheur international âgé de soixante-cinq ans pour constater ensuite avec effarement que les Américains lui ont offert un laboratoire énorme pour lui tout seul, tout simplement parce qu'il a, lui, encore beaucoup de choses à faire alors que des raisons doctinales nous ont conduits à le pousser dehors !
Outre les rigidités évidentes qui figurent dans la loi, je crains aussi que, certaines autres rigidités moins claires ne commencent à se mettre en place subrepticement, en particulier celles qui ont provoqué les drames de 1936 et, probablement, une partie des difficultés de 1982. Je veux parler de ce qui se profile dans la seconde loi et qui va découler de la limitation des heures supplémentaires.
Madame le ministre, je suis tous les jours sur le terrain face à des petits artisans, à des petits industriels, à des commerçants, à des gens qui cherchent, quelquefois désespérément, des travailleurs qualifiés pour occuper certains postes. Qu'on leur dise que la trente-sixième, la trente-septième, la trente-huitième et la trente-neuvième heures coûteront 25 % de plus dans quelques années, c'est un inconvénient, mais il n'est peut-être pas énorme. Mais qu'on leur dise qu'ils ne pourront plus recourir à un certain nombre d'heures supplémentaires, celles qui correspondent aux heures qui sont déjà effectivement travaillées, ne peut que les conduire à l'évidence, eux qui n'ont déjà pas suffisamment des spécialistes et qui sont donc freinés dans leur processus d'exploitation, soit à une baisse vertigineuse de leur production - puisqu'ils ne pourront trouver personne pour accomplir la tâche que l'on empêchera le spécialiste de faire - soit à des blocages définitifs et à des pertes de marché.
Croyez-vous franchement que les années qui nous séparent de l'an 2000 soient utilement consacrées à ajouter des difficultés à la gestion de nos entreprises ? Pour ma part, je n'en suis pas du tout persuadé. Je crois que nous ferions beaucoup mieux de les libérer, sur le plan des charges peut-être et assurément en tout cas sur le plan des contraintes, pour leur permettre de s'adapter.
On nous dit que la loi à venir permettra, en réalité, d'assouplir la gestion des périodes de travail : on annualisera sans le dire. Fort bien ! Je constate cependant que cela ne peut passer, ici ou là, que par une modération salariale et par quelques compensations.
On a cité l'exemple d'une société implantée à Amiens, qui a reçu la visite de notre commission d'enquête. La réduction du temps de travail y a été mise en place, avec des modulations horaires tout au long de l'année. Mais cette réduction du temps de travail ne peut fonctionner pour les personnels, que dans la mesure où le service des ressources humaines se transforme en office de placement pendant les périodes où l'entreprise est moins active et où l'on répartit les employés dans d'autres entreprises pour qu'ils puissent trouver des revenus complémentaires !
Dois-je comprendre que, pour réussir les 35 heures, l'entreprise qui va les mettre en place va « manger » le travail des autres dans les autres entreprises ? Où seront les créations d'emplois nets avec ce système ? Je crains que ce ne soit pas la voie de l'avenir !
C'est une des raisons pour lesquelles je pense qu'autant on peut élaborer des lois incitatives, autant on peut mettre en place quelques dispositifs financiers pour amorcer un certain nombre de phénomènes nouveau dans notre économie - et probablement doivent-ils aller vers une réduction du temps de travail choisie, supportée et à laquelle les entreprises peuvent s'adapter - autant je ne crois pas, pour ma part, aux règles normatives dans un domaine aussi délicat.
L'économie, c'est d'abord la vie ; la vie, c'est d'abord l'activité, et non la rigidité. Aussi, je crois que la commission des affaires sociales a été bien inspirée en supprimant les dispositions trop rigides qui nous étaient proposées.
Quoi qu'il en soit, j'espère que, si des négociations doivent s'engager ici ou là, elles seront aussi fructueuses que possible et qu'elles ne seront pas généralisées d'autorité à des entreprises qui ne pourront pas ou qui n'auraient pas pu se mettre en conformité avec des objectifs auxquels vous rêvez et que je crois plus nocifs que constructifs. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Descours.
M. Charles Descours. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, j'évoquerai ce projet de loi en qualité de rapporteur de la loi de financement de la sécurité sociale, approuvant par ailleurs de ce que beaucoup de mes collègues ont dit sur l'ensemble du présent texte.
Madame le ministre, le « trou de la sécu » est quasiment devenu, vous le savez, un thème pour les chansonniers. Depuis vingt ans, nos concitoyens se sont habitués à son existence, comme s'il s'agissait d'une sorte de fatalité. Or s'élever contre cette dégradation permanente, c'est préserver notre système de protection sociale, auquel nos concitoyens sont légitimement attachés.
Les gouvernements précédents s'étaient courageusement attelés à ce problème.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. En effet !...
M. Charles Descours. Le gouvernement de M. Juppé, entre autres, a, par ordonnances, redonné une structure au fonctionnement de la sécurité sociale, et vous n'y avez d'ailleurs que peu touché ou pas du tout touché.
Le gouvernement de M. Balladur, quant à lui, a modifié le régime des retraites pour les travailleurs du secteur privé et a fait voter, le 29 juillet 1994, une loi courageuse obligeant l'Etat à prendre ses responsabilités, en prévoyant que toute mesure d'allégement des charges serait compensée par l'Etat. M. le rapporteur et M. le président de la commission y ont fait allusion.
La portée financière de cette loi est majeure, l'Etat remboursant ainsi désormais à la sécurité sociale près de 50 milliards de francs chaque année.
Jusqu'à présent, cette loi a été respectée.
Mais, dans le présent projet de loi, madame le ministre, on ne trouve nulle référence à cet engagement de l'Etat. Pis, dans l'exposé de motifs de ce texte, nous apprenons même que les aides accordées par l'Etat aux entreprises pour les encourager à anticiper d'un an ou deux la réduction du temps de travail seront, en réalité, financées par la sécurité sociale. En effet, ces aides prendront la forme d'allégements de charges sociales qui ne seront que « partiellement compensés par l'Etat ». A quelle hauteur ? Bien entendu, ni les partenaires sociaux ni les parlementaires ne le savent, alors que nous allons être appelés à nous prononcer définitivement dans quelques jours sur ce projet de loi relatif aux 35 heures.
Le Gouvernement nous affirme que les modalités de compensation seront étudiées dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1999, soit dans un an. Or le coût pour la sécurité sociale peut être très élevé, dans la mesure où l'aide accordée aux entreprises sera attribuée pendant cinq ans pour chaque salarié bénéficiant des 35 heures. L'allégement de cotisations pourrait ainsi atteindre 14 000 francs par personne et par an, soit au total 70 000 francs par salarié.
C'est sans doute pourquoi le parlementaire d'opposition que je suis, madame le ministre, a été rejoint dans son analyse par tous les conseils d'administration des caisses maladie, famille et vieillesse - où il n'y a pas que des représentants de l'opposition, loin de là - qui se sont prononcés contre ce projet de loi sur les 35 heures à une écrasante majorité, que ce soit les syndicats de salariés ou les employeurs.
Il y a là une inquiétude que, je n'en doute pas, vous allez dissiper, madame le ministre, car votre projet n'a été compris ni par les parlementaires de l'opposition ni par les partenaires sociaux.
Enfin, au cours des négociations qui viennent d'avoir lieu entre les syndicats de fonctionnaires et le Gouvernement, nous avons eu la surprise d'entendre M. Zuccarelli dire que la réduction du temps de travail pouvait, à terme, s'appliquer à cette catégorie de personnels.
Sans m'étendre sur le cas des fonctionnaires de l'Etat, ni même sur celui des membres de la fonction publique territoriale, dont M. Fourcade a parlé, je voudrais vous demander, madame le ministre, comment vous pensez appliquer cette mesure dans les hôpitaux sans grever le budget de la sécurité sociale. En effet, je rappelle - mais chacun le sait dans cet hémicycle - que la charge salariale représente de 65 % à 70 % du budget total des hôpitaux. Cette masse financière pèse sur le budget de la sécurité sociale et, si l'on réduit le temps de travail, comment faire pour que cette charge ne soit pas alourdie, et donc que le déficit de l'assurance maladie ne soit pas creusé d'autant ?
Direz-vous aux infirmières ou aux aides-soignantes qu'elles doivent améliorer leur productivité alors qu'elles sont souvent surchargées de travail, comme nous le constatons tous dans nos hôpitaux ? Sinon, dans la mesure où il n'y a pas de gain de productivité possible, c'est bien à la sécurité sociale que vous transférerez cette charge, madame le ministre, au risque de voir s'approfondir d'une façon considérable le trou de la sécurité sociale !
Je voudrais, pour conclure et pour calmer un peu l'enthousiasme que j'ai entendu s'exprimer ici et là cet après-midi, vous lire, mes chers collègues, quelques extraits d'un article paru ce soir dans un journal qui n'est généralement pas considéré comme étant l'organe du RPR, Le Monde. Il en résulte que les salariés sont moins enthousiastes - c'est le moins que l'on puisse dire ! - que les membres de l'opposition sénatoriale : « Les réticences ou le doute semblent augmenter à mesure que se rapproche la perspective d'une mise en place de la réduction du temps de travail... Toujours est-il que les salariés du privé redoutent de plus en plus les conséquences de l'instauration des 35 heures. Ce qui ressemble à de la méfiance, exprimée globalement par une moitié d'entre eux, se focalise sur le niveau de salaire... » - parce qu'ils ne sont quand même pas des « gogos » : ils se rendent bien compte que les 35 heures payées 39, cela ne peut pas passer, et ils savent bien que leurs salaires vont baisser, ce qu'ils refusent - « ... et la charge de travail, l'idée d'un double impact négatif étant bien ancrée dans l'opinion. A coup sûr, ensuite, les querelles chiffrées n'ont fait qu'aggraver la part du doute. Quand il sont interrogés sur l'effet pour les entreprises, les sondés du privé croient de moins en moins à l'éventualité de la création d'emplois. »
Alors, mes chers collègues de l'opposition sénatoriale, que le doute qui saisit notre pays et les salariés - dont, je crois, le bon sens est partagé, je l'espère, par nous qui sommes les élus du peuple - vous invite à faire preuve de plus de décence dans vos propos que je ne l'ai entendu cet après-midi et ce soir.
Madame le ministre, je vois que vous lisez cet article du Monde ; c'est bien, nous avons donc les mêmes références.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Mais moi, je lis les deux paragraphes !
M. Charles Descours. Madame le ministre, moi, j'ai lu les deux bons ! Vous vous référerez aux autres en me répondant.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Vous n'avez lu que le premier !
M. Charles Descours. Chacun son truc ! (Rires.) Cela montre qu'il y a un doute.
Je le répète, il faut faire preuve d'un peu plus de décence, dans les propos que l'on tient.
Voilà ce que je voulais dire, madame le ministre, comme rapporteur de la loi de financement de la sécurité sociale. Je serais heureux qu'en nous répondant dans quelques instants vous rassuriez non seulement les sénateurs de la majorité de la Haute Assemblée mais également les conseils d'administration des caisses, qui, vous le savez, sont très inquiets des conséquences de cette loi pour assurer l'équilibre des régimes qu'ils sont chargés d'administrer. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, « rien ne coûtera jamais aussi cher à l'économie et à la société française qu'un chômage de 13 %, et peut-être sommes-nous dans une situation où le plus grand risque serait de n'en prendre absolument aucun ». Cette phrase a été prononcée, devant la commission d'enquête sénatoriale, par un professeur de sciences économiques à Paris-X Nanterre et directeur au CNRS. Elle résume bien le sentiment de la plupart de nos compatriotes pour qui le chômage et donc l'emploi constituent la première préoccupation, tant il est vrai que le chômage de masse, tel qu'il existe aujourd'hui, gangrène notre économie, nuit à son développement, désagrège le tissu social. Il pourrait, à terme, saper notre démocratie.
Ce constat, nous le partageons tous. Mais, au-delà des mots, il faut aujourd'hui des actes.
La lutte contre le chômage par le développement de l'emploi doit constituer la priorité absolue, non pour des raisons idéologiques, ni même de seule justice sociale, mais pour l'avenir même de notre pays et de notre jeunesse.
Force est de constater que, depuis quinze ans, de nombreuses politiques ont été menées par les gouvernements successifs ; elles ont toutes échoué.
Ces mesures pragmatiques n'étaient certes pas inutiles, comme le traitement social du chômage ou les contrats aidés. Mais elles n'ont pas eu sur l'emploi les effets escomptés.
D'autres mesures sont plus idéologiques ; je pense à la suppression administrative de licenciement dont le CNPF demandait qu'on le libère en contrepartie de la création de 300 000 emplois. Ces mesures n'ont eu, malgré les promesses patronales, aucune traduction en termes d'emplois.
Le formidable effort de formation qu'a consenti la nation a permis d'augmenter l'« employabilité » des travailleurs mais n'a pas eu, non plus, d'incidence quantitative sur la création d'emplois.
Toutefois, ces efforts n'ont pas été vains. L'élévation du niveau de formation de notre population nous permet, aujourd'hui, d'envisager avec optimisme la reprise qui s'amorce. A cet égard, le choix opéré par de plus en plus d'investisseurs étrangers de s'établir en France tient beaucoup à la qualité de notre main d'oeuvre, à la qualité des femmes et des hommes de notre pays que nous avons su former.
Aujourd'hui, le retour de la croissance, même modéré nous permet de mener une politique de l'emploi offensive. Depuis le mois de juin, le Gouvernement s'y est employé activement, notamment par la relance de la consommation et de la demande intérieure, et la mise en place du dispositif emplois-jeunes.
La réduction du temps de travail constitue un outil supplémentaire. Cette voie n'est pas nouvelle, mais sa perception a beaucoup évolué.
L'amélioration de la qualité de la vie qui nourrissait, à juste titre, chez de nombreux salariés l'aspiration à la diminution du temps de travail, a cédé le pas à l'idée d'un partage du travail afin que nul n'en soit exclu.
L'accord interprofessionnel du 31 octobre 1995 s'inscrivait déjà dans cette logique. Malheureusement, si les trop rares accords conclus dans son prolongement ont mis en oeuvre l'aménagement du temps de travail, l'effet en termes d'emplois a été quasiment nul, cette préoccupation n'étant pas ressentie par les partenaires sociaux comme une composante majeure des accords.
La loi du 11 juin 1996, dite loi Robien, a eu en ce domaine des effets plus positifs quoique limités. Le coût en est élevé, l'aide de l'Etat se révélant supérieure au point d'équilibre nécessaire.
De plus, l'absence d'aide structurelle à la sortie du dispositif ainsi que l'absence de contrainte dans le temps ont eu pour conséquence que les accords dit « offensifs » ont principalement été le fait d'entreprises qui, de toute manière, auraient augmenté leurs effectifs, ce que nous appelons l'effet d'aubaine.
Cette expérimentation est néanmoins intéressante et nous pouvons en tirer quelques enseignements propres à consolider un autre dispositif plus sensiblement créateur d'emplois. C'est ce que vous avez su faire, madame la ministre.
C'est ainsi qu'il faut afficher la volonté de réduire la durée légale du travail, faute de quoi les accords resteront relativement peu nombreux.
De même, l'aide apportée par l'Etat doit être évaluée au plus juste afin que les coûts unitaires n'augmentent pas - c'est une condition indispensable - et que les finances publiques ne supportent pas de charges indues. Entre gains de productivité et augmentation de la masse salariale due aux nouvelles embauches, il faut trouver le juste équilibre dans l'appréciation du montant des aides publiques nécessaires pour préserver la compétitivité des entreprises.
Une attention toute particulière doit être apportée aux secteurs d'activité dans lesquels les bas salaires dominent. Le choix d'abattements de charges uniformes plutôt que proportionnels et accrus pour les bas salaires va dans ce sens.
De même, l'annonce d'une aide structurelle au terme du dispositif supprime un aléa non négligeable existant dans la loi Robien.
La majorité du Sénat récuse ces orientations et nous propose de réaménager cette loi en supprimant toute contrainte dans le temps et en diminuant le coût.
Qui peut croire que les entreprises qui n'ont pas négocié d'accords depuis juin 1996, alors qu'elles en avaient toute latitude et que les avantages attachés à la loi Robien étaient très intéressants, au point même que la majorité sénatoriale les trouve elle-même aujourd'hui excessifs, se précipiteront pour conclure des accords dans la mesure où l'on réduirait ces avantages ? Cette proposition n'est pas crédible.
De fait, la loi Robien ne s'est pas développée car il n'y avait pas d'orientation claire sur l'avenir de la durée du travail.
Si l'article 1er du projet de loi était supprimé, cette absence d'orientation et ses effets réducteurs subsisteraient, d'autant que le champ d'application de la loi, par l'élèvement du seuil d'application à cinquante salariés, se trouverait fortement réduit.
La proposition de la majorité de la commission des affaires sociales, si elle est intéressante en ce qu'elle reconnaît que la réduction du temps de travail est créatrice d'emplois, n'est toutefois pas à la hauteur de l'enjeu actuel. Elle ne tient pas compte du nouvel environnement économique que constitue le retour de la croissance, retour qui crée les conditions favorables à la diffusion d'une réduction du temps de travail.
L'idée que cette réduction doit être librement négociée sans contrainte de l'Etat est séduisante, mais elle a déjà été appliquée et elle a échoué.
Par ailleurs, nous regrettons également que la majorité de la commission des affaires sociales ait cru bon de supprimer les articles relatifs à ce qu'il est convenu d'appeler la moralisation du temps partiel.
Aujourd'hui, le temps partiel n'a rien du temps choisi. En réalité, la croissance des emplois à temps partiel a été le corollaire du chômage. Contrairement aux autres pays européens, où le taux de l'activité féminine était totalement différent, le travail à temps partiel est un phénomène récent en France. En effet, en 1980, on comptait 1,5 million d'actifs à temps partiel contre 3,5 millions aujourd'hui. Le temps partiel n'est pas en France, comme il l'a été aux Pays-Bas où le taux de l'activité féminine était très bas, une composante de la croissance de l'activité féminine.
Le temps partiel est un temps de crise.
Il est devenu de fait une forme de sous-emploi réservée aux femmes, lequel crée un processus de paupérisation invisible mais bien réel.
Le sous-emploi débouche nécessairement sur des sous-salaires très proches des revenus de l'assistanat.
Mme Joëlle Dusseau. Très bien !
Mme Dinah Derycke. Contrairement à ce que l'on veut faire croire, les conditions dans lesquelles s'exerce ce temps partiel subi ne permettent pas de concilier vie professionnelle et vie familiale du fait des horaires éclatés et de la disponibilité sans limite exigée de ces salariées.
En ce domaine, réduire les abus et limiter les mesures trop incitatives correspondent à une attente forte des femmes, qui, rappelons-le, constituent 85 % des temps partiels subis et non choisis.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. C'est vrai !
Mme Joëlle Dusseau. Excellent !
Mme Dinah Derycke. Le projet de loi présenté par le Gouvernement est ambitieux mais également audacieux. Le succès est à portée de main, pour autant que les partenaires sociaux s'en saisissent avec la volonté de réduire le chômage dont les coûts humain, social, financier et économique deviennent exorbitants pour notre économie et notre pays.
Même si nous éprouvons aujourd'hui quelques difficultés à l'apprécier, il est plus que probable que cette loi contribuera à terme à une évolution positive des relations au sein même des entreprises. Elle modifiera aussi en profondeur les modes et les conditions de vie de nos concitoyens.
Comme vous, madame la ministre, nous sommes convaincus que les conditions existent aujourd'hui pour faire reculer massivement le chômage. Il y faut de la volonté, vous l'avez. Dans ce combat, nous serons, nous sommes à vos côtés. ( Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur certainees travées du RDSE. )
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, je souhaite répondre aux intervenants dans la discussion générale, ainsi, bien sûr, qu'à M. le rapporteur et M. le président de la commission des affaires sociales. J'essaierai de ne pas être trop longue, tout en apportant suffisamment de précisions pour, peut-être, nous permettre d'être plus concis lors de l'examen des articles.
Je voudrais remercier la grande majorité des intervenants du sérieux et de l'intérêt dont ils ont fait preuve, et d'abord ceux qui soutiennent le texte du Gouvernement et qui se sont exprimés au nom de leur groupe, Pierre Mauroy, Guy Fischer, Joëlle Dusseau.
J'ai également particulièrement apprécié, au-delà des interventions du président et du rapporteur de la commission, certaines interventions qui visaient à replacer ce thème de la réduction du temps de travail dans un choix de société, face à un vrai problème, le chômage, et par rapport à un mouvement historique ; je veux parler plus particulièrement des interventions de MM. Daniel Hoeffel, Bernard Seillier ou Bernard Joly, qui se sont intéressés justement à ce débat, peut-être de manière plus approfondie.
Je relèverai d'abord nos points d'accord. Pratiquement, tout le monde s'est accordé à dire que la réduction de la durée du travail pouvait être - certains ont même dit « devait être » - un des moyens de réduire le chômage dans notre pays. Je crois que personne ici ne pense que c'est une solution miracle, ou qu'en tout cas c'est la seule solution qui permettra de résoudre le chômage. Mais il y a, je crois, une très forte majorité pour penser que c'est une solution parmi d'autres, même si, bien évidemment, il faut d'abord faire en sorte que la croissance soit la plus forte possible et s'engager aussi vers la recherche des nouveaux métiers et le soutien aux petites et moyennes entreprises.
C'est ce qu'a fait le Gouvernement, notamment en prenant un certain nombre de dispositions dans la loi de finances de 1998 sur le capital risque, sur l'aide à la recapitalisation des PME, et ce n'est qu'un début par rapport au vaste programme que nous avons mis en place pour réduire les lourdeurs qui pèsent aujourd'hui sur toutes les entreprises, notamment les petites et moyennes entreprises.
Je pense que nous sommes également d'accord pour dire que, sous certaines conditions - c'est d'ailleurs ce qui est écrit dans les rapports des experts économiques - la réduction de la durée du travail peut créer des emplois, beaucoup d'emplois même.
Mme Dusseau aurait préféré que l'on aille plus loin, jusqu'aux 32 heures. Je lui dirai que l'aide mise en place par l'Etat pour les entreprises qui vont jusqu'aux 32 heures est beaucoup plus incitative que pour celles qui s'arrêtent aux 35 heures. Mais je crois qu'il fallait effectivement avancer par étapes.
Que pensent les principaux intéressés de la réduction de la durée du travail ?
Je n'ai jamais caché que certains pouvaient éprouver des difficultés, des inquiétudes, notamment les chefs d'entreprises. Je l'ai dit moi-même tout à l'heure : il est bien évident qu'on ne réduit pas la durée du travail sans bouleverser profondément l'organisation du travail dans l'entreprise, sans changer des éléments fondamentaux de cette organisation.
Peut-être est-ce une opportunité. Mais il est normal que les changements suscitent des inquiétudes. A nous, au lieu de les entretenir, d'essayer d'apporter des éclaircissements. Ainsi, au lieu de pérenniser ces inquiétudes, celles-ci deviendront peut-être des opportunités.
Je dirais très amicalement à M. Descours que, si des salariés doutent - comme beaucoup - des effets de la réduction de la durée du travail, j'aurais aimé qu'il lise également le paragraphe précédent de l'article qu'il a cité et qui indique que les salariés du secteur public comme du secteur privé se sentent de plus en plus concernés par la réduction de la durée du travail, et ce quelle que soit leur classe d'âge.
Nous sommes avec ces études dans la réalité des choses : aujourd'hui, chacun considère qu'on ne peut laisser aucune piste de côté, que les 35 heures sont sans doute une voie possible, mais qu'il convient de remplir un certain nombre de conditions pour y arriver.
Que chacun se pose des questions, c'est normal. Ce débat doit les éclairer.
Je reviendrai maintenant sur un grand débat : avec ce projet de loi, avec les 35 heures, y aura-t-il plus de souplesse dans les entreprises et qu'entendons-nous par ce terme ?
Mme Dieulangard a bien montré comment la réduction de la durée du travail pouvait être une opportunité pour les entreprises de faire évoluer l'organisation du travail.
Dans notre esprit, la réduction de la durée du travail, ce n'est pas seulement l'annualisation des horaires, comme certains le laissent à penser.
Pour certaines entreprises du secteur saisonnier, l'annualisation est effectivement l'une des conditions d'un meilleur fonctionnement. Pour beaucoup d'autres, la souplesse, c'est une meilleure utilisation des équipements, c'est une meilleure ouverture au public ; c'est aussi, pour les salariés, plus de qualification, d'autonomie, de polyvalence ; c'est enfin une pyramide des âges mieux équilibrée.
L'ensemble de ces éléments doit être pris en compte. On ne doit pas se borner à une vision dérégularisatrice de la souplesse, que l'on a parfois appelée « flexibilité ».
C'est bien la souplesse au sens total du terme qui permet aux facteurs de production dans l'entreprise de mieux travailler ensemble pour mieux répondre aux besoins des clients.
Ces souplesses - je voudrais ainsi répondre notamment à M. Fischer, qui s'en inquiétait - ne doivent pas être dérégulatrices, elles doivent comporter un certain nombre de garanties.
Aujourd'hui - M. Hoeffel l'a très bien montré - nous sommes confrontés à la nécessité de rechercher des souplesses qui ne portent pas atteinte aux conditions de vie des salariés et qui soient accompagnées de nouvelles sécurités.
Je ne crois pas aux rigidités, je ne crois pas non plus à la flexibilité dérégulatrice.
Nous mettons dans la réduction de la durée du travail une ambition que nous trouvons déjà ailleurs dans le code du travail : il s'agit de trouver des modes de fonctionnement en commun qui permettent la souplesse nécessaire à l'entreprise, mais qui apportent des nouvelles sécurités aux salariés.
Nous savons tous très bien que des salariés angoissés pour l'avenir ne peuvent pas développer toutes leurs capacités dans l'entreprise. Nous savons également qu'on accepte la mobilité d'autant plus qu'on y est préparé. Nous savons enfin que cette souplesse est au coeur du débat sur la durée du travail.
J'ai entendu MM. Balarello et Gournac dire : vous êtes contre l'annualisation du temps de travail. Je voudrais leur répondre que quand on rédige un projet de loi, on ne recopie pas le code du travail, et que l'article L. 212-2-1 de ce code précise :
« Dans la perspective du maintien du développement de l'emploi, les employeurs et les organisations de salariés fixent les conditions d'une nouvelle organisation du travail résultant d'une répartition de la durée du travail sur tout ou partie de l'année, assortie notamment d'une réduction collective de la durée du travail...
« Ces conventions ou accords tiennent compte de la nature saisonnière de certaines activités et prévoient le calendrier et les modalités de mise en oeuvre ; ils fixent les garanties collectives et individuelles applicables aux salariés concernés. « Ils peuvent prévoir une répartition de la durée du travail sur tout ou partie de l'année. »
Ils prévoient une majoration des salaires et, par ailleurs, ils appellent au respect des durées maximales quotidiennes et hebdomadaires.
Enfin, ils doivent fixer le programme indicatif de cette répartition.
Cet article s'inscrit parfaitement dans la logique du Gouvernement : une modulation sur l'année, oui, mais à condition qu'elle comporte un certain nombre de garanties.
Or ces garanties sont d'autant plus fortes lorsqu'on est à 35 heures en moyenne que l'on prévoit autant que faire se peut les périodes de forte et de basse durée du travail, les modalités de paiement et des délais pour prévenir les salariés en cas de modifications des horaires, sauf circonstances exceptionnelles évidemment.
Cette modulation sur l'année comportant des garanties sociales, c'est l'esprit qui nous anime. Ainsi, l'article 4 du projet de loi prévoit des modalités complémentaires de modulation sur l'année permettant de stocker les heures entre 35 et 39 heures sur un capital-temps. Et, comme Henri Weber l'a bien montré, cela permet d'atteindre une autre souplesse que peuvent souhaiter les salariés - je pense notamment aux cadres - et qui peut aussi être utile aux entreprises.
Arrêtons donc de nous battre sur des slogans. Toutes les entreprises n'ont pas besoin de l'annualisation. Une annualisation dérégulée n'a pas de sens. Une modulation sur l'année, négociée, avec des contreparties et des conditions de vie améliorées, constitue une bonne solution pour beaucoup d'entreprises.
Je remarque d'ailleurs que 40 % des accords Robien prévoient des modulations. Je remarque aussi que les syndicats qui ont signé le plus grand nombre de ces accords sont la CGT et la CFDT, organisations dont on ne peut pas dire qu'elles ne prennent pas en compte les intérêts des salariés.
Voilà ce que je souhaitais dire sur la souplesse. J'en arrive aux coûts et aux salaires.
J'indiquerai, si la majorité sénatoriale me le permet, qu'il faut choisir dans l'argumentaire : on ne peut pas nous reprocher à la fois d'accroître le coût du travail de manière considérable et de provoquer des baisses de salaire inacceptables et très importantes.
C'est l'un ou l'autre ! Dans les faits, c'est ni l'un ni l'autre ! La vérité, c'est que la mise en place d'un système d'aides incitatives, comme l'a fait le Gouvernement, permet aux entreprises à bas salaires d'annuler le coût de la réduction du temps du travail - c'est notamment le cas de celles qui ont des salariés payés au Smic - ou de le réduire considérablement.
Par ailleurs, nous le savons, grâce à cette organisation du travail, les entreprises réaliseront des gains de productivité.
A ce propos, je vous renvoie au dossier que nous avons transmis à votre commission, qui contient des exemples précis : les entreprises versant des bas salaires et employant des salariés payés au SMIC verront le coût de l'embauche largement « consolidé » par les aides que l'Etat peut apporter.
M. Gournac a affirmé que ces aides étaient fantaisistes et qu'elles étaient mal connues. Je le renvoie très volontiers au projet de loi. Je le renvoie aussi à la proposition de loi qui a été présentée par les groupes du RPR et de l'UDF voilà trois semaines à l'Assemblée nationale ! Notre projet de loi qui, je l'espère, deviendra une loi lui semblera d'une simplicité biblique par rapport au texte présenté par l'opposition à l'Assemblée nationale.
J'ai également entendu certains dire que les salariés devraient faire des sacrifices inacceptables et enregistreraient des pertes de leur pouvoir d'achat. Nous n'en sommes pas là !
J'aurais d'ailleurs aimé que ceux qui, aujourd'hui, s'élèvent pour soutenir les salariés aient fait la même chose en 1996. A cette époque, en effet, du fait des prélèvements fiscaux, de l'augmentation des cotisations sociales ou de la CSG, la perte de pouvoir d'achat des salariés a été de 1,2 %. Et, en 1997, malgré le retour de la croissance, l'augmentation du pouvoir d'achat n'a pas atteint 1 %.
Qu'arrivera-t-il en 1998 ? Nous entrons dans une période où la croissance est en train de revenir, où l'augmentation naturelle des salaires devrait être plus importante, nous entrons dans une période où le Gouvernement a non seulement cessé d'augmenter les prélèvements pesant sur les salariés, mais a transféré du pouvoir d'achat vers eux, notamment par le basculement des cotisations maladie vers la CSG.
Nous sommes donc aujourd'hui dans une situation extrêmement différente, où les négociations salariales dans les entreprises s'articulent autour d'augmentations générales situées entre 2,5 % et 3 %, voire 3,5 %. Par conséquent, si nous demandons aux salariés qui disposent de revenus moyens ou supérieurs, en fonction de l'intérêt que présente l'accord au regard de leurs conditions de vie mais surtout de l'emploi, d'accepter une modération des augmentations de salaires futures comprises entre 0,5 % et 1 % par an dans les deux ou trois années qui viennent - ce sont les hypothèses de la Banque de France et de l'OFCE - je ne crois pas que l'on puisse prétendre qu'il s'agit d'un sacrifice inacceptable, encore moins d'une baisse de salaire ou d'une perte de pouvoir d'achat.
Telle est la réalité. On a le droit d'être en désaccord avec nos propositions, mais il convient également, sur un sujet aussi difficile, de regarder les faits tels qu'ils sont. Ensuite, chacun fait son choix.
Pour ma part, je fais partie de ceux qui pensent que ce qui est inacceptable aujourd'hui, c'est le chômage, c'est l'exclusion. Par conséquent, j'estime qu'il faut demander aux entreprises de consentir des efforts pour réorganiser le travail, pour faire une place aux jeunes, pour les former par l'apprentissage ou par la formation en alternance, pour leur ouvrir les portes des entreprises.
Il faut aussi que les salariés, qui, encore une fois, sont mieux traités aujourd'hui, et c'est heureux, qu'ils ne l'ont été ces dernières années, acceptent, lorsque leurs revenus sont moyens ou supérieurs, une modération des augmentations salariales futures.
Voilà quel est le projet du Gouvernement et voilà ce qui est repris dans les hypothèses des groupes économiques et sociaux.
Je voudrais également dire, à la suite de Mme Dinah Derycke, que le coût du dispositif que nous mettons en place est bien inférieur à celui de la loi Robien.
Tout d'abord, nous mettons en place des aides forfaitaires et non pas proportionnelles, ce qui favorise donc les bas salaires et représente par là même un coût moins élevé. Ensuite, l'ensemble des simulations macroéconomiques aboutissent aujourd'hui au même constat : le montant de l'aide qui équilibre les comptes publics est de l'ordre de 1 point de cotisation sociale par baisse d'une heure, soit 4 points de baisse de cotisation sociale pour 4 heures de moins, ce qui équivaut à peu près à 5 000 francs par an et par salarié.
C'est le montant que nous retenons pour l'aide structurelle à la fin du dispositif d'aide que nous mettons en place pour la réduction de la durée du travail.
En conséquence, le coût net par emploi créé dans le dispositif présenté aujourd'hui, puisque nous sommes au-delà de ces 5 000 francs pendant les premières années, sera de l'ordre de 20 000 francs par an en moyenne sur les cinq premières années alors que, en application de la loi Robien, il s'agissait de 40 000 à 50 000 francs. Nous aboutissons donc à un coût de moitié inférieur environ au coût de la loi Robien.
Par ailleurs, au terme de ces cinq ans, l'aide structurelle mise en place correspondra, en fait, à la réaffectation aux entreprises, par une baisse du coût du travail, notamment pour les bas salaires, des sommes qui entreront dans les caisses publiques - sécurité sociale, budget, UNEDIC - du fait de créations d'emplois engendrées grâce à la réduction de la durée du travail.
Ce raisonnement, aucun organisme économique, public ou privé, ne le conteste.
J'en arrive à la question du mandatement.
M. Fischer a rappelé, à juste raison, les avancées réalisées par les amendements votés à l'Assemblée nationale qui permettent de prévoir que le salarié mandaté pourra être accompagné dans la négociation ; que les heures de négociation seront payées, qu'il y aura un suivi des accords par une commission paritaire et que des sanctions pourront être mises en oeuvre si les entreprises - volontairement - n'appliquaient pas les engagements qu'elles ont pris.
C'est avec juste raison, je crois, que M. Mauroy et Mme Dieulangard ont insisté sur le fait que l'implantation syndicale étant faible dans notre pays, le mandatement permettrait le premier établissement d'une organisation syndicale. Je sais que la CFDT l'a souligné devant la commission des affaires sociales du Sénat. C'est effectivement une bonne chose, me semble-t-il, que l'organisation syndicale entre dans l'entreprise sur un sujet positif, sur un sujet de négociation ; c'est là une bonne façon de s'implanter dans les entreprises.
En ce qui concerne le travail à temps partiel, je dirai également clairement les choses.
Je suis personnellement favorable au développement du travail à temps partiel, à condition qu'il ressemble à ce qui existe dans d'autres pays ; je pense aux Pays-Bas et aux pays nordiques.
Or, ni aux Pays-Bas ni dans les pays nordiques, on n'accepterait que le contrat de travail d'une salariée à temps partiel - en France, comme l'a rappelé Mme Derycke, ce sont surtout les femmes qui sont concernées - soit effectivement de dix heures et que l'on puisse de semaine en semaine - en fonction même pas de la conjoncture mais de l'afflux de clientèle, dans un commerce par exemple - appeler cette personne à domicile et lui demander de venir travailler trois ou quatre heures supplémentaires. Nulle part aux Pays-Bas ou dans les pays du Nord, on n'accepterait qu'une personne non payée soit à disposition, sans pouvoir, comme c'est le cas aujourd'hui en France, dans certains cas, refuser d'effectuer des heures supplémentaires, au risque de voir son contrat rompu. Voilà la réalité !
Si, aujourd'hui, le travail à temps partiel est mal vu dans notre pays, c'est parce qu'il a souvent été subi, entraînant des réactions de rejet de la part des salariés.
Je me réjouis de ce que certaines organisations patronales et syndicales aient négocié des accords - je pense au secteur de la propreté - qui rendent impossibles de telles pratiques et professionnalisent ce travail, qui devient mieux perçu par les salariés que ce n'était le cas auparavant.
Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, en le moralisant, nous ne luttons pas contre le travail à temps partiel, nous faisons en sorte qu'il soit accepté en le soumettant au respect de certaines règles en faveur des salariés.
C'est en ce sens que nous prévoyons un certain nombre de dispositions qui visent à proratiser les aides qui y sont consacrées, mais aussi à limiter les heures complémentaires, à limiter les interruptions entre deux périodes de travail, interruptions qui sont aujourd'hui les éléments les plus nocifs pour les conditions de vie des salariés.
J'en viens aux petites et moyennes entreprises.
M. Gournac a dit que les oublier c'est faire preuve d'une inconstance qui touche à la désinvolture. Il n'a sans doute pas lu le projet de loi.
Pour les PME, nous proposons d'allonger la durée de négociation de deux ans, ce qui fait une durée totale de quatre ans. Nous prévoyons qu'elles pourraient bénéficier, en plus des 9 000 francs de base, de 1 000 francs supplémentaires dès lors qu'elles consentiraient un effort accru en matière d'emploi. Nous avons prévu une aide au financement de l'ingénierie qui les aidera à réfléchir à l'organisation du travail et la plupart d'entre elles seront éligibles à l'aide structurelle complémentaire que nous mettons en place dans les industries de main-d'oeuvre et dont le montant sera de 4 000 francs la première année. Telle est la réalité des choses.
Il n'est donc pas très étonnant qu'aujourd'hui un certain nombre de branches de l'artisanat ou même la FNSEA - le président Luc Guiot l'a dit cet après-midi - souhaitent s'engager dès maintenant dans la réduction du temps de travail afin de trouver les bonnes formules de telle sorte que la loi qui sera votée dans deux ans pour fixer les dispositions définitives détermine un certain nombre de mécanismes favorables aux petites et moyennes entreprises ; personnellement, je m'en réjouis.
J'ajouterai, pour répondre à une ou deux questions précises de M. Gérard Larcher, que les entreprises de la propreté ont signé, le 17 octobre 1997, un accord - j'en ai parlé tout à l'heure - qui ne sera absolument pas remis en cause parce que les dispositions particulières qu'il prévoit touchent à la régulation de la journée de travail et des pauses et s'inscrivent totalement dans l'esprit du projet de loi.
En ce qui concerne les cadres, je rejoins ce qu'a dit M. Seillier : aujourd'hui, dans notre pays ils souhaitent voir réduire leur temps de travail. Toutefois, nous savons bien qu'il est tout à fait vain de souhaiter appliquer la réduction de la durée du travail à certains d'entre eux - je pense aux cadres dirigeants - et que pour d'autres, notamment dans le secteur commercial, dans le secteur financier ou des placements financiers, il faut trouver des modalités particulières, lesquelles pourront s'appuyer sur le système épargne-temps que nous mettons en place. Enfin, il n'y a pas de raison que les cadres des services techniques et administratifs ne se voient pas appliquer la réduction du temps de travail à l'instar des autres salariés.
Pour ma part, je souhaite que la négociation nous ouvre des voies qui nous permettront, dans la seconde loi, de fixer définitivement les horaires de travail pour les cadres.
Voilà les réponses que je tenais à apporter à vos questions. Je terminerai mon propos en parlant de nos désaccords.
Tout d'abord - M. Henri Weber l'a dit aussi - nous avons de nouveau entendu ce soir des propos qui ont toujours été tenus lorsque les gouvernements ont voulu réduire la durée du temps de travail dans notre pays. Nous avons entendu aussi des arguments qui avaient déjà été avancés lors de la mise en place des lois Auroux en 1981, et selon lesquels la nouvelle législation devait entraîner les entreprises dans le gouffre. Dieu merci, il n'en a rien été !
La négociation au sein de l'entreprise, qui devait allumer une sorte d'incendie effrayant, est aujourd'hui considérée comme l'un des éléments ayant permis aux salariés de mieux comprendre le fonctionnement économique de leur entreprise et de mieux défendre les intérêts de celle-ci.
Je voudrais, à titre anecdotique, parce qu'elle me rappelle un propos que j'ai entendu tout à l'heure, citer la déclaration faite en 1848 à la chambre des députés par le citoyen Bernard à propos de la limitation de la durée du travail à douze heures. Je reprends le Journal officiel de l'époque : « S'est-on bien rendu compte de la situation de l'ouvrier ? Je ne le pense pas. Les bons ouvriers ne sont pas ceux qui réclament le vote de la loi que nous discutons. Les bons ouvriers ont toujours en vue d'avoir du travail et d'en avoir longtemps, d'en avoir beaucoup ; ils ne se plaignent jamais de l'excès. » Déjà, en 1848, on entendait de tels propos, comme on pouvait entendre évoquer la fameuse exception française, très présente tout au long des débats parlementaires, mais qui semble beaucoup moins évidente pour ceux qui nous regardent de l'étranger.
En 1936, Pierre Valette-Viallard déclarait : « Ce projet est certainement le plus grave que nous ayons discuté depuis longtemps. Même s'il ne doit pas être mortel pour nos industries qui travaillent pour le marché intérieur, il causera la ruine de l'ensemble de celles qui exportent. » Les arguments sont un peu toujours les mêmes !
Permettez-moi de m'arrêter quelques instants sur cette prétendue exception française dont on entend beaucoup parler.
N'oublions pas la réalité des chiffres. Je ne prendrai pas ceux qui m'arrangent le plus car, à ce moment-là, je prendrais la durée moyenne du travail dans les pays voisins, et l'on se rendrait compte que la France se place juste derrière l'Irlande, la Grande-Bretagne, le Portugal et la Grèce, et que tous les autres sont derrière elle. Je me référerai plutôt à une notion qui m'est moins favorable, mais qui me paraît plus intéressante dans notre débat, à savoir la durée annuelle habituellement travaillée par les salariés à temps plein, si bien que je laisse de côté le travail à temps partiel. En faisant référence aux statistiques d'Eurostat, nous voyons que la France a toujours devant elle le Royaume-Uni, l'Irlande, le Portugal, qu'elle est quasiment à égalité avec l'Espagne, que tous les autres pays sont derrière elle : le Luxembourg, la Belgique, l'Italie, l'Allemagne, les Pays-Bas, le Danemark.
Arrêtons donc de parler de l'exception française ; elle n'existe pas.
Je le répète, ces dernières années - les statistiques le montrent - notre pays n'a pas enregistré de réduction de la durée du travail alors que ce débat est ouvert dans de nombreux pays, même si c'est sous des formes différentes de chez nous. Ainsi, en Italie, les syndicats, pour nombre d'entre eux, ne souhaitent pas recourir à une loi. En Autriche, une discussion tripartite a été proposée. Aux Pays-Bas, c'est déjà fait.
En ce qui concerne l'Allemagne, je répéterai que nous devrions trier les conséquences des expériences qu'elle a menées. Il y en a eu de bonnes et de mauvaises. L'étude que vient de publier l'office du travail montre que, lorsque la durée du travail est passée de 40 à 38,5 heures, 800 000 emplois ont été créés. Cette diminution n'est d'ailleurs contestée ni par le patronat, ni par les syndicats. C'est en fait la réduction du temps de travail dans l'industrie métallurgique qui est remise en cause parce qu'elle a donné lieu, parallèlement, à une forte augmentation des salaires, ce qui a pesé sur la compétivité des entreprises.
Comme nous l'avons dit tout à l'heure, ainsi que M. Weber, ce n'est pas à cela que nous tendons aujourd'hui. Nous faisons en sorte qu'il ne soit aucunement porté atteinte à la compétitivité des entreprises.
A ce propos, je voudrais dire également que le rapport entre les prélèvements obligatoires et le chômage nécessiterait une étude un peu plus approfondie.
Aux Pays-Bas, où les prélèvements obligatoires, malgré une baisse ces dernières années, restent parmi les plus élevés d'Europe, le chômage est le plus bas d'Europe. En Espagne, en revanche, où les prélèvements obligatoires sont très bas, le chômage est l'un des plus élevés d'Europe.
Efforçons-nous d'avoir des débats fondés sur des études plus approfondies, tout le monde y gagnera, notamment la démocratie. Nous avons tous échoué sur le problème du chômage ; nous n'avons donc pas le droit de laisser de côté une piste qui se présente.
Parmi les sujets qui nous opposent, j'ai relevé aussi le travail au noir, auquel on fait allusion chaque fois que l'on parle de réduction de la durée du travail ; il en a d'ailleurs été question également quand on a supprimé l'allocation de garde d'enfant à domicile, l'AGED.
On a évoqué l'Italie tout à l'heure. Il est vrai qu'en Italie le réseau des PME et le soutien local ont développé une formidable activité, notamment dans le nord du pays. Mais il faut aussi savoir que ces entreprises démarrent très souvent par du travail au noir ; c'est seulement lorsqu'elles se sont fait une clientèle qu'elles rentrent dans le « monde légal ».
Je ne dis pas que je souhaite une telle situation, mais on ne peut pas vouloir à la fois faire entrer tout le monde dans une norme absolue, tout de suite, et faire émerger le mouvement. J'ai fait voter à plusieurs reprises des lois sur le travail illégal, j'entends le combattre, mais je pense qu'on ne doit pas nier une certaine souplesse qui, dans d'autres pays, est considérée comme une bonne chose.
J'en terminerai en disant que je ne crois pas, monsieur Girod, monsieur Egu, aux délocalisations comme conséquence des 35 heures.
Lorsque j'ai négocié le dossier de l'arrivée de Toyota en France, les 35 heures étaient annoncées. Les entreprises sont réalistes : elles ne parlent pas par slogans ; elles lisent la loi, elles considèrent les aides de l'Etat et elles calculent ; si elles voient qu'elles y gagnent, eh bien ! elles viennent.
Nous continuerons à être un pays vers lequel les investisseurs étrangers se dirigent.
J'ai rencontré, voilà dix jours, les grandes entreprises américaines installées en France. Aussi, certains des propos que j'ai entendus tout à l'heure m'ont profondément étonnée parce que j'ai constaté qu'une entreprise sur quatre en était déjà aux 35 heures. Pour le reste, j'ai été l'objet de questions précises. Ce qui m'a beaucoup frappée - Pierre Mauroy le sait dans le Nord, où nous accueillons beaucoup d'entreprises étrangères - c'est que l'appréciation qui est portée aujourd'hui sur la France ne concerne pas nos prélèvements obligatoires qui seraient trop élevés, mais qu'elle vise notre réseau d'éducation et de santé qui, grâce aux services publics, fonctionne bien, mais aussi nos réseaux de chemin de fer et de transport qui sont en bon état. Ces services publics, que l'on critique tant, sont un atout considérable pour l'arrivée des entreprises étrangères dans notre pays. (M. Allouche applaudit.)
M. Pierre Mauroy. Et elles viennent !
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Quand les entreprises américaines que j'ai rencontrées me disent qu'à Detroit, grande ville industrielle des Etats-Unis, elles financent les écoles élémentaires parce que l'école publique est inexistante et qu'elles auront besoin de recruter des salariés formés, je me demande quelle véritable comparaison on peut faire avec la France ?
J'ajouterai, pour conclure sur ce sujet, qu'une étude très intéressante vient d'être réalisée sur la champ des services publics dans les différents pays. Si l'on examine l'éducation et la santé, qui sont très largement privés aux Etats-Unis, on constate que 10 % de la population active française travaillent, généralement au sein du secteur public, dans ces secteurs, contre 11,4 % aux Etats-Unis. La réalité, c'est aussi cela ! On peut toujours refuser de la voir, mais elle est là !
D'ailleurs, aujourd'hui, un certain nombre d'entreprises américaines se demandent peut-être si elles n'ont pas intérêt à venir dans un pays où les services publics sont susceptibles de créer un environnement favorable à leur développement, même si l'on peut toujours faire mieux en termes d'efficacité des services publics, pour les rendre plus performants.
Certains disent qu'il faut laisser de côté la réduction de la durée légale du travail ou, du moins, se contenter d'attendre les négociations. Malheureusement, dans ce pays, Pierre Mauroy l'a dit, quand l'Etat ne lance pas un grand mouvement de négociation, celle-ci n'est que parcellaire.
Pierre Mauroy a eu raison de dire que la loi n'est pas un carcan inutile ou la marque d'un autoritarisme dépassé, et que ceux qui le proclament se trompent. L'Etat est dans son rôle en voulant une loi sur la durée du travail, en provoquant l'élan nécessaire pour créer une dynamique de négociation. C'est exactement ce que nous faisons.
Mais qu'on ne nous reproche pas à la fois de faire une loi trop autoritaire et, en même temps, de ne pas tout y prévoir. Si nous ne voulons pas tout réglementer, c'est parce que, s'agissant notamment des cadres, du temps partiel, des heures supplémentaires, de la modulation, nous souhaitons nous inspirer des négociations pour en intégrer les conclusions dans le texte qui sera présenté à la fin de 1999.
Mais nous affichons la couleur. Nous disons d'emblée que les durées de travail longues seront taxées ; cela figure dans le texte. Le temps partiel totalement subi devra devenir un temps partiel où le choix entrera beaucoup plus en ligne de compte. De même, les heures supplémentaires effectuées à partir de 35 heures et jusqu'à 39 heures seront payées avec une majoration de 25 %. Les entreprises feront leurs calculs !
Autrement dit, nous jetons un certain éclairage sur le paysage et nous attendons de la négociation collective, à laquelle nous croyons, les solutions permettant à notre pays de réaliser une véritable avancée en la matière.
M. Egu m'a traitée à la fois de « ringarde » et d'« archaïque » mais je dois lui avouer que, très franchement, je ne perçois pas les pistes qu'ouvrirait aujourd'hui l'opposition. La réduction du coût du travail a été mise en oeuvre ces dernières années : elle coûte chaque année 40 milliards de francs à l'Etat ! Mais elle n'a donné lieu qu'à la création de 40 000 ou 45 000 emplois. Mesurez le coût de ce dispositif par rapport au nombre d'emplois créés !
Nous, nous réduisons à la fois la durée du travail et son coût, notamment pour les entreprises à bas salaires, mais nous conditionnons cette baisse du coût du travail à la création effective d'emplois. Cela signifie que le coût supporté par l'Etat sera, globalement et pour chaque emploi créé, beaucoup moins important.
Je vous demande de voir, dans tous mes propos, à la fois beaucoup de modestie et beaucoup de détermination. A partir du moment où nous sommes d'accord pour considérer que la réduction du temps de travail peut créer des emplois, c'est à nous de faire preuve de pédagogie et d'expliquer dans quelles conditions le processus peut s'enclencher. Nous n'avons pas le droit, vu le coût social et financier du chômage, d'attendre que la négociation veuille bien s'engager, alors que nous savons qu'elle peut être porteuse d'espoir dans notre pays.
Tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, l'esprit de ce projet de loi. Le Gouvernement y indique résolument un cap, mais il laisse à la négociation le soin de fixer, avec la souplesse requise, les modalités de la réduction de la durée du travail.
Il y a aussi là un enjeu de civilisation, ainsi que Marie-Madeleine Dieulangard l'a souligné. Il s'agit tout simplement, par cette loi, de remettre le pays en mouvement sur une des pistes majeures de la création d'emplois. Il s'agit aussi de faire confiance à la négocation et à ceux qui la portent. C'est à cet élan que le Gouvernement et l'ensemble de la majorité convient aujourd'hui notre pays.
On a beaucoup critiqué l'expérience de 1936. Il est vrai que, à l'époque, les conditions économiques n'ont pas été totalement prises en compte. Aujourd'hui, il en va tout autrement, et nous avons pleinement intégré l'environnement économique dans nos propositions. Cela étant, devant l'afflux des citations d'économistes libéraux, je ne résiste pas au plaisir de vous citer Léon Blum, qui reste, à mes yeux, comme à ceux de Pierre Mauroy, une des grandes figures de notre histoire commune.
Voici donc ce que, le 31 décembre 1936, Léon Blum disait à propos de la réduction de la durée du travail : « Il est revenu un espoir dans notre pays, un goût du travail, mais aussi un goût de la vie. La France a une autre mine et un autre air. Le sang court plus vite dans un corps rajeuni. »
C'est ce que nous recherchons avec ce texte sur la durée du travail. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Mme Dusseau applaudit également.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Madame le ministre, malgré votre talent et votre détermination, vous ne nous avez pas convaincus.
Il est un point sur lequel nous pouvons nous mettre d'accord assez vite, c'est l'utilité de la réduction du travail comme facteur de création d'emplois.
Nous avons entendu les critiques que vous formulez à propos de la loi Robien. Nous sommes prêts à « reprofiler » cette loi de manière à en réduire le coût pour les finances publiques et à réunir ainsi les conditions propres à nous permettre de poursuivre dans cette voie.
Il est en revanche deux points sur lesquels notre désaccord est important.
Le premier est lié à la contradiction dont le Gouvernement n'arrive pas à sortir et qui tient à la promesse, inscrite dans le programme du parti socialiste, d'une réduction de la durée du travail à salaire constant. Or il est techniquement impossible de réduire la durée du travail en majorant le SMIC de 11,4 % sans exiger en contrepartie une très grande modération salariale. Vous êtes prise dans cette contradiction, madame la ministre, et le fait d'avoir retenu la méthode de la réduction législative de la durée du travail vous oblige à de pénibles contorsions, nous l'avons bien perçu tout au long du débat.
En effet, soit c'est 35 heures payées 35, et il y a un partage réel du travail, soit c'est 35 heures payées 39, et il y a alors une majoration des charges qui, toutes les analyses économiques le montrent, rendront caduque l'opération à laquelle vous nous invitez à procéder.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Je suis entre les deux !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Cette contradiction, vous essayez habilement d'en sortir, mais vous n'y parvenez pas. Vous nous dites vous situer au milieu. Cela signifie qu'il y aura un peu de majoration du coût du travail et un peu de création d'emplois. Nous risquons ainsi de passer une fois de plus à côté de l'objectif auquel nous sommes tous attachés.
J'en viens au second point de désaccord.
Ce que vous venez de dire nous a, en vérité, un peu inquiétés. Vous parlez du rôle de l'Etat. M. Mauroy avec son talent et son élan habituels, auxquels nous sommes tous très sensibles, nous a expliqué qu'il fallait que l'Etat avance. Madame la ministre, monsieur Mauroy, c'est bien joli de regarder l'histoire, d'évoquer 1936, de citer Léon Blum, mais permettez-nous de nous occuper de géographie et de prospective !
Nous sommes dans l'Union européenne. Dans quelques semaines, nous allons franchir un nouveau pas dans la voie de l'union monétaire. Et vous nous proposez de nous engager et d'engager nos entreprises dans une direction qui est contraire à celle que suivent tous nos partenaires !
Nous avons donc quelques raisons d'être inquiets ! Selon nous, tout ce que vous avez dit sur la nécessité de contrôler, de moraliser, d'organiser va complètement à l'encontre de l'objectif européen auquel nous sommes tous ou presque, ici, attachés.
En fait, vous négligez gravement la perspective européenne, et l'intervention de M. Weber était tout à fait significative à cet égard : à l'entendre, nous étions revenus à un pays à frontières fermées. C'était presque Méline !
Ces deux points de désaccord expliquent que nous ne puissions accepter l'article 1er de votre texte, qui crée une obligation légale aux conséquences économiques majeures. C'est cette obligation légale qui risque fort de nous faire passer à côté de l'objectif sur lequel nous sommes tous d'accord : la réduction du chômage. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La suite du débat est renvoyée à la prochaine séance.

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