DIMINUTION DES RISQUES SANITAIRES
LIÉS À L'EXPOSITION À LA MUSIQUE AMPLIFIÉE

Adoption des conclusions modifiées
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 187, 1997-1998) de M. Jean-Louis Lorrain, fait au nom de la commission des affaires sociales, sur la proposition de loi (n° 194, 1996-1997) de MM. Louis Souvet, Louis Althapé, Roger Besse, Paul Blanc, Jean Bizet, Jacques Braconnier, Mme Paulette Brisepierre, MM. Robert Calmejane, Jean-Pierre Camoin, Gérard César, Charles de Cuttoli, Désiré Debavelaere, Michel Doublet, Daniel Eckenspieller, Yann Gaillard, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Daniel Goulet, Alain Gournac, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Emmanuel Hamel, Bernard Hugo, Roger Husson, André Jourdain, Lucien Lanier, Edmond Lauret, Jacques Legendre, Maurice Lombard, Pierre Martin, Victor Reux, Roger Rigaudière, Jean-Jacques Robert, Jean-Pierre Schosteck, Martial Taugourdeau, René Trégouët, Alain Vasselle et Jean-Pierre Vial tendant à diminuer les risques de lésions auditives lors de l'écoute de baladeurs et de la fréquentation des discothèques.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Louis Lorrain, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, après l'adoption d'une réglementation protégeant les salariés contre l'exposition à des niveaux sonores quotidiens dépassant 85 décibels et le vote de l'article 2 de la loi portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire du 28 mai 1996 limitant à 100 décibels la puissance sonore des baladeurs, la proposition de loi de notre collègue M. Louis Souvet constitue une troisième étape dans l'émergence d'une législation ayant pour objet exclusif la protection de la santé contre les risques liés à l'exposition à des niveaux sonores élevés. Ces risques, en effet, ne se limitent pas, notamment pour la jeunesse, à ceux qui résultent de l'écoute des baladeurs musicaux.
Certes, il existe déjà un arsenal législatif et réglementaire très complet pour limiter les nuisances sonores. Mais, en schématisant un peu, on est en train de passer d'une législation ayant pour objet la protection de la tranquillité publique à une législation protégeant la santé publique, et notamment celle de la jeunesse. Je pense, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, qu'il convient de s'en féliciter.
Les jeunes sont en effet de plus en plus exposés à des niveaux sonores élevés : ils subissent le caractère bruyant, non seulement du mode de vie urbain, mais aussi des pratiques musicales et de loisirs - discothèques, concerts, rave-parties - qui, toutes, présentent des dangers pour la santé si elles sont fréquentes et prolongées.
Les musiques qui y sont écoutées se caractérisent, le plus souvent, par leur niveau sonore constamment élevé.
Ainsi, alors que la musique classique se caractérise par une dynamique de grande amplitude, soit une différence de 40 à 50 décibels entre les passages pianissimo et fortissimo, où l'oreille a le temps de se reposer, les musiques du type hard rock ou techno ont une dynamique très faible et leur niveau sonore est constamment élevé.
Les risques encourus sont non seulement des atteintes ou des lésions auditives, mais aussi des troubles des systèmes nerveux, cardio-vasculaire ou visuel.
Dès lors, il ne s'agit plus de protéger seulement le voisinage ; il faut aussi protéger les clients des discothèques, les spectateurs assistant à des concerts, à des répétitions ou a des projections cinématographiques, les consommateurs dans les grands magasins et les centres commerciaux ou les clients de bars musicaux.
Si les risques encourus sont certains, il est cependant très difficile de les relier avec précision à des niveaux sonores et à des durées d'exposition. En effet, non seulement ces risques varient fortement selon les individus, mais, en dehors des accidents auditifs, il est difficile d'établir une corrélation scientifiquement rigoureuse, c'est-à-dire quasiment mathématique, entre des pratiques bien caractérisées - niveau et durée d'exposition au bruit - et un chiffre précis de la dégradation des performances auditives.
En fait, on sait globalement trois choses.
On sait que l'on assiste à l'augmentation des dégradations précoces des performances auditives chez les jeunes. Elle a été démontrée par plusieurs études, notamment scandinaves, réalisées à l'occasion de l'incorporation dans l'armée. Une étude française réalisée par le professeur Buffe sur un régiment d'appelés montre que 56 % seulement d'entre eux avaient une audition normale, et que la perte moyenne subie par ces jeunes gens âgés de vingt ans correspondait à celle d'une personne de vingt-cinq ans exposée quotidiennement pendant cinq ans à un niveau sonore de 80 décibels huit heures par jour.
On sait aussi que l'oreille moyenne est lésée par le bruit à des niveaux sonores très élevés, de l'ordre de 120 décibels.
On connaît, enfin, les résultats d'une étude réalisée à Nancy auprès de 1 500 jeunes volontaires par le docteur Meyer-Bisch. Elle montre que l'usage intensif de baladeurs et la fréquentation régulière de concerts de rock ou de variétés est à l'origine de pertes auditives significatives. Par ordre croissant, les comportements les plus dangereux sont : la fréquentation de discothèques, l'écoute prolongée de musique sur un baladeur et la fréquentation assidue de concerts.
Cela étant dit, que peut-on donc considérer comme une bonne législation en la matière ?
Tout d'abord, une bonne législation est une législation qui protège la santé des jeunes. Il faut donc définir des niveaux sonores en retrait significatif par rapport à ceux que l'on constate aujourd'hui dans les discothèques et les concerts. Il faut que cette législation affiche clairement sa finalité de santé publique.
Ce souci pédagogique doit aussi se traduire par la multiplication des messages sanitaires à l'intention des personnes qui fréquentent les discothèques ou les concerts.
Ensuite, une bonne législation est une législation applicable et qui respecte tous les types de musique : avec un baladeur à 85 décibels, on ne peut plus vraiment entendre convenablement de la musique classique.
Une bonne législation en la matière est, enfin, une législation qui laisse au décret le soin de définir les modalités précises de mesure du niveau sonore, ces modalités ne faisant pas l'objet d'une normalisation suffisante et étant appelées à évoluer rapidement.
J'évoquerai, maintenant, les conclusions adoptées par la commission : elles satisfont, selon moi, à ces exigences. Le premier volet de ces conclusions concerne les baladeurs pour enfants.
Pour ce type de baladeurs, qui correspondent en fait à des jouets, nous avons souhaité limiter leur puissance sonore à 85 décibels. Il s'agit donc d'un niveau en retrait de 15 décibels par rapport aux « vrais » baladeurs, si l'on peut dire. Il correspond aux recommandations formulées par le Conseil supérieur d'hygiène publique de France.
Le second volet de ces conclusions, le plus important, concerne les lieux de diffusion et de production de musique amplifiée.
J'évoquerai d'abord les dispositions de la proposition de loi initiale qui visaient à limiter le niveau sonore dans les concerts et les discothèques, puis celles des conclusions de la commission des affaires sociales qui ont une portée beaucoup plus large.
Le texte initial de la proposition de loi imposait que les essais de sonorisation avant les concerts permettent de s'assurer que le niveau sonore ne dépassait pas 100 décibels, avec une marge de 2,5 décibels. Il prévoyait aussi des amendes en cas d'infraction, sans toutefois préciser quels agents seraient chargés d'établir les procès-verbaux.
Il n'existe pas actuellement de réglementation concernant les concerts en dehors de la législation de droit commun qui, en premier lieu, définit les pouvoirs de police des maires. Ainsi, l'article L. 2212-2 du code général des collectivités territoriales leur donne pouvoir de réprimer les « atteintes à la tranquillité publique telles que (...) le tumulte excité dans les lieux d'assemblée publique, les attroupements, les bruits, y compris les bruits de voisinage, les rassemblements nocturnes qui troublent le repos des habitants... ».
Pour les discothèques, la proposition de loi initiale avait retenu un niveau sonore inférieur, soit 90 décibels en moyenne.
Un projet de décret concernant les discothèques et les concerts est actuellement devant le Conseil d'Etat. Pris sur la base de la loi de 1992 relative à la lutte contre le bruit, il s'applique à tous les lieux clos de diffusion de musique amplifiée, à l'exception des salles de spectacle ; le ministère de la culture a souhaité cette limitation, de même que l'exclusion des concerts en plein air. Ce projet de décret fixe à 105 décibels le niveau sonore maximal.
J'en viens maintenant aux conclusions de la commission. Elles ont un champ plus large que celui qui a été retenu par les auteurs de la proposition de loi et par le projet de décret, puisqu'elles tendent à fixer un niveau sonore maximal non seulement dans les salles de concerts et les discothèques, mais aussi dans tous les lieux de production et de diffusion de musique amplifiée, y compris les salles de spectacle et les concerts en plein air. Elles visent aussi, par exemple, les centres commerciaux et les grands magasins, ainsi que les salles de cinéma.
La commission des affaires sociales a choisi de fixer le niveau sonore maximal à 90 décibels en tout endroit où peut se trouver le spectateur. Cette valeur est très inférieure aux pratiques actuelles. Le Gouvernement, par amendement, proposera tout à l'heure de fixer cette valeur à 95 décibels ; je vous annonce d'ores et déjà que la commission a donné un avis favorable à cet amendement.
Elle suggère aussi que des décrets puissent prévoir, dans une limite de 10 décibels, des valeurs supérieures en fonction des risques pour la santé.
Dans la mesure où les précisions contenues dans le texte initial de la proposition de loi concernant la fréquence des contrôles et « l'endroit le plus défavorable pour le client » pourraient être de nature à susciter des contentieux inutiles, la commission ne les a pas retenues.
Elle a préféré faire référence à « tout endroit où peuvent se trouver le public ou les clients ». Cette notion emporte les mêmes conséquences que celle qui était suggérée par la proposition de loi, mais ne se prête pas aux mêmes contestations.
En ce qui concerne le contrôle du respect de la loi et les sanctions, la commission a choisi de renvoyer aux dispositions de la loi de 1992 relative à la lutte contre le bruit, qui prévoit des dispositions très complètes en la matière, à la fois pour confier les pouvoirs de vérification aux agents de l'Etat ou des communes et pour définir les sanctions pénales et administratives applicables : il ne nous a donc pas semblé utile d'y déroger.
Enfin, la commission propose d'imposer la détention d'un sonomètre dans tous les lieux de diffusion de musique amplifiée, ainsi que l'apposition d'un message sanitaire à l'entrée de ces lieux : pour un investissement modique, les organisateurs de concerts et les exploitants de discothèques seront ainsi en mesure de vérifier par eux-mêmes qu'ils respectent bien la législation en vigueur. Ce dispositif, dont il n'était pas fait mention dans le texte initial de la proposition de loi, nous est apparu de nature à faciliter les contrôles.
Dans la mesure où il s'agit d'un texte de santé publique, j'espère que les conclusions de la commission des affaires sociales susciteront le consensus qu'appelle la protection de la santé, notamment celle des jeunes. (Applaudissements.)
M. Emmanuel Hamel. Défendons-nous contre le bruit !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, cette proposition de loi déposée par M. Louis Souvet traduit l'intérêt des membres de votre assemblée pour les problèmes de santé publique et pour l'avenir de la jeunesse.
Les risques auditifs dus à l'écoute de la musique à haut niveau sonore constituent bien une préoccupation sanitaire que partage entièrement le Gouvernement. Je tiens ici à saluer la qualité et l'esprit de synthèse de l'intervention de M. le rapporteur, Jean-Louis Lorrain.
M. Emmanuel Hamel. Très bien !
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Oui, monsieur le rapporteur, on constate que l'évolution des pratiques musicales et des techniques d'amplification conduisent parfois à une escalade des niveaux sonores, préjudiciables à la santé des auditeurs.
L'écoute prolongée et à haut niveau sonore de la musique amplifiée peut provoquer des lésions auditives irréversibles.
En effet, si, habituellement, les pertes auditives légères constatées à la sortie des discothèques ou des concerts sont temporaires et récupérées rapidement, il peut malheureusement arriver que des pertes auditives soient irréversibles. En l'état actuel des connaissances médicales et techniques, il n'existe aucun moyen d'y remédier.
On peut estimer que le risque croît en fonction de la durée d'écoute et du niveau sonore, mais il est difficile de fixer des seuils précis de danger en raison de la très forte variabilité des effets sur les individus.
Par ailleurs, il faut noter l'existence, dans certains cas, de traumatismes sonores pour des niveaux très élevés lors de concerts ; ils touchent de manière aléatoire des personnes peut-être fragiles, mais dont la fragilité - permanente ou temporaire - ne semble pas décelable préalablement. Ces traumatismes sonores sont rares, mais constituent des atteintes irréversibles très importantes ; des procès sont en cours actuellement en France au sujet de ces accidents.
Mon ministère s'est donc préoccupé de ce problème avec l'aide notamment du Conseil supérieur d'hygiène publique, qui a souhaité en particulier que les limitations soient accompagnées d'une sensibilisation des jeunes aux risques auditifs.
En effet, il s'agit d'un problème sanitaire, mais aussi d'un enjeu social, car des pertes auditives définitives même légères constituent un handicap sérieux pour des jeunes, tant professionnellement que sur le plan des relations humaines. Cela deviendra un problème de société si un effort important d'information bien adapté n'est pas mené.
Sans sous-estimer ces risques et avec la volonté d'y répondre, je voudrais toutefois, mesdames, messieurs les sénateurs, rappeler le rôle essentiel de la musique dans la vie des jeunes. L'écoute individuelle et surtout collective constitue un espace de vitalité et de liberté qui prend toute son importance, notamment et peut-être même surtout lorsque le quotidien est difficile.
La multiplication des groupes amateurs, l'engouement pour les techniques, les évolutions de la musique amplifiée et les manifestations musicales montrent l'attachement de la jeunesse à cette activité.
Dans ce cadre, s'il convient de répondre aux préoccupations sanitaires, et c'est bien là mon propos, il faut aussi tenir compte des enjeux musicaux, si l'on veut que ces règles soient acceptables et appliquées.
En ce qui concerne plus précisément l'étude des risques auditifs, des travaux partiels semblent montrer chez les lycéens des pertes auditives assez significatives, qui pourraient être mises en corrélation avec les loisirs bruyants. Mon ministère vient de lancer une première phase d'enquête en région Rhône-Alpes sur l'audition des jeunes afin d'évaluer la situation de façon précise.
Mais, au-delà du constat, les pouvoirs publics sont actifs dans la lutte contre le bruit.
Les services santé-environnement des directions départementales des affaires sanitaires et sociales, les DDASS, sont équipés et formés pour effectuer des mesures acoustiques, pour lancer des actions de réduction des nuisances sonores et pour pouvoir conseiller les maires, qui sont chargés prioritairement des problèmes de bruit. Ces services spécialisés des DDASS pilotent dans de nombreux départements les pôles de compétences « bruit », qui, sous l'impulsion des préfets, regroupent tous les services chargés de la lutte contre le bruit en y associant d'autres services, tels que les services communaux d'hygiène et de santé, également très actifs sur le terrain.
Actuellement, plus de vingt pôles sont créés et une trentaine sont en cours de création. Cette organisation novatrice interservices permet de mieux répondre à la demande du public et des élus, de simplifier les circuits et de lutter plus efficacement contre les nuisances sonores. Ainsi, le pôle de compétence « bruit » de la Savoie a publié récemment un cédérom, l'Oreille interactive, pour favoriser la sensibilisation aux risques auditifs.
Le ministère chargé de la santé, qui a participé à cette opération, assure actuellement une large diffusion de ce cédérom.
Comme je l'ai indiqué précédemment, la proposition de loi rejoint donc, monsieur le rapporteur, les préoccupations du Gouvernement.
Le premier article de cette proposition de loi vise à ajouter un titre de chapitre dans le code de la santé publique permettant de regrouper les articles qui concernent « la prévention des risques sanitaires liés à une exposition sonore ». Il s'agit là d'une excellente idée.
Le second article concerne les baladeurs destinés aux jeunes enfants et vise à modifier l'article du code de la santé publique inséré par l'article 2 de la loi n° 96-452 du 28 mai 1996 sur les baladeurs, qui, je vous le rappelle, est d'initiative parlementaire.
Un décret et un arrêté ont été préparés pour l'application de cette loi. Il s'agissait d'innover puisque aucun pays n'avait encore fixé de limites pour les baladeurs, qu'il n'existait pas de normes spécifiques et que nous ne disposions que de réflexions d'experts. Aussi mes services se sont-ils attachés à obtenir un consensus entre les experts, les fabricants et les autres ministères concernés. Les projets de décrets et d'arrêtés sont actuellement à Bruxelles pour avis. Nous attendons la réponse communautaire. La position française, en pointe dans le domaine de la protection sanitaire, est donc assez délicate.
Le Gouvernement est très attaché, comme vous le savez, à faire aboutir l'application d'une loi d'origine parlementaire. Un consensus a été réalisé en France entre toutes les parties et, croyez-moi, cela n'a pas été facile.
Au risque de me répéter, je dirai que nous attendons la réponse de Bruxelles pour soumettre ensuite le décret au Conseil d'Etat, c'est-à-dire que nous sommes assez proches de la mise en oeuvre. Par conséquent, il serait regrettable, tant au regard du travail parlementaire que pour l'ensemble des acteurs concernés, que ces dispositifs soient remis en cause par une nouvelle modification législative.
Pour ces raisons, le Gouvernement n'est pas favorable à l'article 2.
L'article 3 concerne les lieux produisant ou diffusant de la musique amplifiée, notamment les discothèques et les concerts. Le Gouvernement a déposé un amendement qui a été repris, ce matin, par la commission, et je m'en félicite, monsieur le rapporteur.
En acceptant cet amendement, vous en revenez au texte initial de la proposition de loi, et je crois pouvoir dire que nous atteignons ainsi un équilibre satisfaisant.
En effet, les travaux qui ont été menés avec les divers partenaires concernés, notamment dans le cadre de la préparation d'un décret sur le bruit dans les discothèques, ont permis de constater que la limite de 105 décibels A - 95 plus 10 - en niveau continu équivalent, était acceptable et qu'il n'était pas possible de descendre au-dessous, sous peine de ne pouvoir actuellement en assurer le respect.
Ce dispositif rejoint les préoccupations des pouvoirs publics, puisque mon ministère et celui de l'environnement préparent une réglementation qui prévoit, en particulier, de fixer à 105 décibels A la limite du niveau sonore acceptable dans les discothèques.
En ce qui concerne les contrôles proposés aux frais des établissements ou des organisateurs, la solution retenue est satisfaisante. Selon les réflexions qui ont présidé à l'élaboration de ces propositions, il semble qu'une partie au moins des vérifications impromptues pourraient être effectuées par des organismes agréés, sous l'autorité des services compétents, notamment des DDASS.
L'équipement en sonomètres normalisés des lieux de diffusion de la musique destinés essentiellement à cet objet ou dans les lieux où les risques auditifs sont importants est envisageable. Il s'agirait en quelque sorte de « boîtes noires » enregistrant les niveaux sonores et accessibles seulement aux services chargés du contrôle.
Enfin, l'affichage d'un message sanitaire à l'intention du public est une excellente proposition rejoignant le souci d'information qui anime le Gouvernement.
En définitive, mesdames et messieurs les sénateurs, le Gouvernement prend acte de l'amendement voté en commission, mais, comme je l'ai indiqué tout à l'heure, il ne peut accepter le dispositif relatif aux baladeurs-jouets pour les raisons que je viens d'indiquer.
M. le président. La parole est à Mme Derycke.
Mme Dinah Derycke. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le bruit, c'est la vie, mais il peut constituer une grave nuisance.
M. Emmanuel Hamel. Oh oui !
Mme Dinah Derycke. Dans le passé, cette constatation a conduit le législateur à prendre des mesures pour limiter les effets néfastes des bruits excessifs, afin de mieux garantir la tranquillité publique et, dans le monde du travail, de protéger la santé des travailleurs.
Aujourd'hui, une meilleure connaissance - même si elle reste imparfaite - des traumatismes causés par le bruit nous permet d'appréhender cette question dans une perspective de santé publique. Cette prise de conscience est récente mais elle n'est pas nouvelle puisque des lois ont été votées en 1992 et 1996.
Par le présent texte, nous sont proposées des mesures d'autorité tendant à réduire le niveau sonore de certains appareils et, par voie de conséquence, les risques de lésion auditive chez les enfants et, surtout, chez les adolescents.
Il s'agit, en effet, d'une question préoccupante. Toutefois, si le texte proposé est pertinent sur le fond, il me semble réducteur en ce qu'il ne traite que des troubles causés par l'écoute de la musique amplifiée, c'est-à-dire qu'il ne s'adresse qu'au comportement des jeunes que l'on veut en quelque sorte protéger malgré eux. Il ne s'attaque en rien à des nuisances extérieures qui sont tout aussi graves mais qui n'ont pas de lien avec le comportement des jeunes.
Or des études récentes, auxquelles le rapport de l'Office parlementaire des choix scientifiques et technologiques fait référence, portant sur les liens entre la santé et l'environnement, notamment chez l'enfant, montrent que les troubles auditifs ont des origines très diverses.
C'est ainsi que des enfants peuvent être atteints de lésions auditives irréversibles du fait de bruits excessifs subis par la mère durant la grossesse. De même, les cantines scolaires et salles de classe peuvent constituer des environnements préjudiciables à la santé auditive de l'enfant, avec des incidences non négligeables sur les résultats scolaires.
On estime que 15 % des enfants seraient, dès l'âge de dix ans, atteints de déficience auditive. Or, à cet âge, la fréquentation des concerts et des discothèques ne peut être incriminée.
Certes, pour des enfants, les jouets musicaux peuvent constituer un danger ; j'approuve donc la disposition les concernant.
En revanche, pour ce qui concerne les lieux de diffusion et de production de musique amplifiée, il ne me semble pas opportun de légiférer aujourd'hui, et cela pour plusieurs raisons.
D'une part, il convient d'observer que la loi de 1992 n'est pas encore totalement appliquée, ainsi que vient de le rappeler M. le secrétaire d'Etat ; les décrets d'application sont actuellement en préparation. La mise en oeuvre, notamment, d'un décret actuellement au Conseil d'Etat, devrait constituer une première avancée.
D'autre part, M. le secrétaire d'Etat nous l'a rappelé également, une réglementation européenne, qui fait suite aux initiatives de la France en la matière, est actuellement en cours d'élaboration.
A mon sens, il serait plus sage d'attendre de connaître le contenu précis de ces dispositions.
Par ailleurs, il me semble dangereux de réduire au seul problème de la musique amplifiée la portée de la proposition de loi. En effet, ces mesures risquent d'être mal perçues par ceux-là mêmes, les enfants et les adolescents, qu'elles sont censées protéger en quelque sorte contre eux-mêmes. Les jeunes risquent de les considérer comme la manifestation d'un rejet de leur culture, voire d'un rejet de la jeunesse elle-même.
Un récent débat télévisé sur la musique techno et les rave parties, auquel participait un membre éminent de notre assemblée - il a avoué, à cette occasion, sur passion pour le hard rock, et certains le reconnaîtront peut-être - a montré qu'il y avait une totale incompréhension entre les jeunes et les adultes présents, alors même que les propos de ces derniers étaient empreints de bon sens et ne témoignaient en rien d'un rejet systématique des pratiques musicales des jeunes.
En fait, il apparaît que les jeunes vivent comme une agression tout jugement sur leurs pratiques musicales.
Dans ces conditions, ce texte risque d'être rejeté comme édictant un interdit de plus, et l'on sait qu'à l'adolescence l'interdit a toujours quelque chose d'attractif.
Pour être applicable, a souligné M. le rapporteur, une législation doit être comprise, c'est-à-dire acceptée. Or tel ne serait pas le cas, je crois, pour les deuxième et troisième parties de ce texte.
Pour autant, je ne nie pas qu'il y a là un vrai problème, qui nécessite un travail en profondeur d'éducation et de prévention en direction du public, de tous les publics. M. le secrétaire d'Etat nous a indiqué qu'un tel travail était actuellement entrepris sur ces questions, et je m'en félicite.
Il conviendrait également d'établir un dialogue avec tous les professionnels concernés, en particulier avec les musiciens, qui sont les premières victimes de ces pratiques.
Ainsi, nous avons affaire à un véritable problème de santé publique, mais la proposition de loi en discussion ne me semble pas le traiter de la manière la plus adaptée. Au contraire, elle pourrait susciter des effets pervers de rejet, tant il est délicat de vouloir modifier par la loi des comportements privés, surtout lorsqu'il s'agit d'adolescents. En outre, ce texte me paraît prématuré, même si nous devons collectivement nous préoccuper des dégâts causés par les bruits excessifs, par tous les bruits excessifs, qu'ils tiennent à des pratiques personnelles ou qu'ils viennent de l'extérieur.
Pour ces différentes raisons, les sénateurs socialistes ne voteront pas contre la proposition de loi, mais ils s'abstiendront. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Bécart.
M. Jean-Luc Bécart. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tout le monde s'accorde sur le fait que le bruit excessif représente un véritable fléau.
L'oreille ne peut supporter sans douleur ni séquelle un son dont l'intensité serait supérieure à une centaine de décibels.
Evidemment, le bruit agresse, énerve ; grande source de nuisance, il affecte tant la qualité de vie que la santé.
Diverses études, notamment celles qui ont été réalisées auprès des appelés lors de leur incorporation, révèlent que les effets du bruit, en particulier sur les facultés auditives, sont indiscutables ; selon leur intensité, leur fréquence, leur amplitude, les sons perçus vont entraîner indéniablement un vieillissement plus ou moins important de l'oreille interne et, par conséquent, une baisse de l'audition.
Il y a une certaine perversité du phénomène dans la mesure où, sur le moment, la personne ne ressent généralement pas de dommage. La détérioration est progressive, perceptible seulement aux infléchissements de l'audiogramme. Lorsque la personne perçoit effectivement les symptômes, les lésions sont déjà importantes et, pour certaines d'entre elles, irréversibles.
Face à de telles incidences sur la santé, les pouvoirs publics ont pris leurs responsabilités et, en 1992, la loi sur le bruit a été votée, une loi résolument préventive.
Mon amie Mme Hélène Luc était intervenue pour témoigner de notre souci de voir appréhender le bruit sous un angle non seulement environnemental mais aussi sanitaire.
Je rappellerai également toute l'importance que nous accordons aux règles édictées dans le cadre de la réglementation du travail en vue de protéger spécifiquement la santé du salarié contre les nuisances sonores.
Certes, nous n'ignorons pas la place prise sur le marché par les baladeurs ni les effets de cet engouement sur la santé des jeunes. Mais, là aussi, un texte existe : la loi du 28 mai 1996 portant diverses dispositions d'ordre sanitaire et social limite déjà la puissance sonore maximale de sortie des baladeurs musicaux commercialisés en France.
Dans la proposition de loi qui nous est soumise, il est proposé d'établir un seuil distinct pour les baladeurs « adultes » et les « jouets pour enfants » et d'abaisser pour ceux-ci le seuil à 85 décibels. L'intention d'établir un seuil spécifique pour les appareils destinés aux enfants est certes louable. Toutefois, dans la pratique, comment empêcher un jeune de moins de quatorze ans de se servir d'un objet qui ne lui est pas destiné ?
Sur l'article 2, nous sommes réservés, estimant que l'arsenal juridique existant et les décrets en préparation devraient normalement permettre de traiter le problème.
S'agissant de l'article 3, la mesure qu'il prévoit nous apparaît comme une sorte de surenchère par rapport à la loi de 1996, une surenchère quelque peu réductrice, comme vient de le souligner notre collègue Mme Dinah Derycke.
Parce que nous souhaitons que cette loi de mai 1996 puisse s'appliquer pleinement, tout en reconnaissant la valeur de certaines des dispositions contenues dans la présente proposition de loi, nous nous abstiendrons. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

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