M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Larché, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mes chers collègues, avant d'aborder mon propos, je procéderai à un bref constat.
Nous sommes privés du visage agréable de Mme le garde des sceaux, du visage irrité de M. le ministre des relations avec le Parlement.
M. Bernard Plasait. Très irrité !
M. Philippe Marini. Menaçant !
M. Jacques Larché, rapporteur. Nous pouvons nous y faire !
S'agissant de nos collègues socialistes et communistes, qui ont décidé de s'en aller, j'observerai simplement qu'ils sont dans le droit-fil de leurs attitudes : lorsque leurs projets que nous estimons, à tort ou à raison, contraires à l'intérêt national se voient contrariés et lorsqu'ils constatent que nous avons trouvé un moyen conforme à l'intérêt et au souhait populaires de manifester la volonté du Sénat, au-delà de certaines divergences d'opinion, ils s'en vont ! Laissons-les s'en aller et, très brièvement, expliquons-nous, entre nous, des raisons que nous avons de nous engager dans la voie que nous avons choisie.
Si Mme le garde des sceaux avait été là, je n'aurais pas manqué de lui dire que j'ai apprécié l'un de ses propos - cela m'arrive quelquefois ! - à savoir que ce dont nous débattions était « à la racine même de notre identité ».
Sur ce sujet, nos concitoyens souhaitent se faire entendre, nous le savons. Certains nous approuveront, certains nous feront part de leur désaccord. J'aurais même pu dire à Mme Luc et à quelques autres que, si j'en croyais les conditions dans lesquelles s'est déroulé le débat à l'Assemblée nationale, il y aurait eu, dans cette consultation populaire, quelques risques d'abstention ! Mais j'ai constaté la vigueur avec laquelle Mme Luc apportait son soutien au Gouvernement. C'était peut-être pour faire oublier quelques anicroches qui se sont produites hier à l'Assemblée nationale ! (Très bien ! et applaudissements.sur les travées du RPR.)
Mes chers collègues, il faut qu'entre nous nous éclairions ce débat par deux considérations.
Tout d'abord, avant de décider si ce texte est susceptible d'être soumis à référendum, il y a lieu de rappeler très brièvement les principes qui régissent la constitutionnalité de nos décisions.
Je l'ai souvent dit à cette tribune - et ailleurs - notre Constitution attache - il s'agit là, me semble-t-il, d'un point extrêmement important - une présomption de constitutionnalité aux décisions du Parlement sauf à ce que cette présomption soit vérifiée par une procédure de contrôle.
Autrement dit, est constitutionnel ce que le Parlement décide, à moins que le contrôle ne s'exerce et que l'autorité investie de ce pouvoir de contrôle ne sanctionne la décision parlementaire.
Pour ce qui est des lois, le système me paraît bien rôdé et bien connu ; je n'y insisterai pas.
Je souhaite simplement vous signaler - j'aurais aimé le signaler à nos collègues qui siègent à gauche...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Quand ils sont là !
M. Jacques Larché, rapporteur. ... mais ils ont fui le débat, je n'y peux rien ! - que si le contrôle n'a pas été provoqué, il est tout à fait possible - je vais vous en donner un exemple - qu'une loi soit introduite dans le droit positif alors qu'elle paraissait, au départ, poser des problèmes très sérieux d'ordre constitutionnel.
Je pense à cette loi du 13 juillet 1990, communément appelée « loi Gayssot , qui réprime pénalement, vous le savez, la négation de l'existence des crimes contre l'humanité commis par le régime hitlérien.
Cette loi a été adoptée par le Parlement. Elle a été promulguée par le Président de la République et elle n'a pas été soumise au Conseil constitutionnel. Par conséquent, sa constitutionnalité n'a pas été mise en doute, alors que l'on pouvait légitimement considérer, comme l'ont fait de très éminents auteurs et même, à titre personnel, un président du Conseil constitutionnel, qu'elle contrevenait à la liberté d'opinion et à la liberté d'expression garanties par la Constitution.
Mais à partir du moment où, de propos délibéré, aucun recours n'a été déposé, elle est entrée dans notre droit positif.
Pour le référendum, la logique est la même, mais le contrôle incombe, cette fois, au Président de la République, qui, en vertu de l'article 5 de la Constitution, veille au respect des principes constitutionnels.
Selon l'article 11, le Président de la République, lorsqu'il est saisi d'une proposition tendant à soumettre un projet de loi au référendum, est totalement libre de déférer ou pas à cette proposition. Le pouvoir dont il dispose étant dispensé de contreseing, il s'agit d'un pouvoir propre.
L'exercice de ce pouvoir peut être, suivant le cas, teinté d'opportunité ou de légalité. Et si le Président de la République estime que le projet de loi ou la motion n'entre pas dans ce que l'on peut appeler le « domaine référendable », il peut décider d'y mettre un terme.
Comme je l'avais souligné dans le rapport que j'avais eu l'occasion de vous présenter, mes chers collègues, sur l'extension du champ du référendum, les assemblées agissent sous le contrôle du Président de la République et, bien sûr, sous le contrôle du peuple lorsque la question lui est soumise.
L'Assemblée nationale et le Sénat ont donc le pouvoir d'apprécier en toute liberté et en toute conscience si le texte entre bien dans le champ du référendum.
Je souhaite vous dire, mes chers collègues - ce sera là ma seconde considération, à laquelle, si vous me le permettez, j'accorderai peut-être plus d'importance qu'à la première - que, dans un domaine aussi essentiel, le recours au peuple est légitime. Il doit nous permettre de tempérer ce que peuvent avoir d'excessif les effets de l'alternance...
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Jacques Larché, rapporteur. ... et ainsi de donner la stabilité nécessaire à un certain nombre de principes qui régissent notre vie collective.
M. Josselin de Rohan. Très bien !
M. Henri de Raincourt. Absolument !
M. Jacques Larché, rapporteur. Nous découvrirons sans doute que, s'il décide légitimement de changer les équipes qui le gouvernent - c'est son droit ! - notre peuple est, en revanche, anxieux - je dis bien « anxieux » - car il est désireux d'une stabilité dans tous ces domaines qui ont trait aux aspects essentiels de notre vie collective.
Ces principes, il nous faudra peut-être leur donner un jour valeur constitutionnelle ; nous devrons y réfléchir.
Mais, dans l'instant, je crois profondément que nous ne devons pas jouer avec l'idée que nous avons de la nation au jeu aléatoire des alternances politiques. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Madame le garde des sceaux, monsieur le ministre des relations avec le Parlement, je vous aurais dit - mais vous le savez - de vous souvenir de ce que disait Kipling, que victoire et défaite sont « deux menteurs qu'il faut savoir accueillir d'un même front. »
Demain, la majorité changera. Faudra-t-il que nous abolissions ce que vous nous proposez ?
J'en viens maintenant à l'objet même de la motion.
La démarche accomplie par certains d'entre nous n'est pas neuve, certains s'en souviennent.
J'associerai en cet instant mon ami Charles Pasqua, mais aussi Etienne Dailly à la prise de position vigoureuse qui avait été la nôtre en 1984. Nous avions alors décidé de soumettre à référendum le projet de loi sur l'enseignement libre. Je crois que, ce faisant - rappelons-nous les événements qui ont suivi - nous avons contribué à sauver la liberté de l'enseignement. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La lettre de l'article 11 vous est connue, mes chers collègues, je n'y reviendrai donc pas.
Peut-on considérer que la motion que nous examinons en cet instant entre dans le cadre juridiquement défini ? Qu'est-ce que la politique sociale ? Le terme « social » renvoie directement au terme « société », et la définition juridique des éléments qui composent la société française n'est-elle pas, en définitive, à la base de toute véritable politique sociale ?
Fondamentalement, la politique sociale de la nation n'a de sens que si la nation est elle-même pleinement délimitée. Or la nationalité est précisément le critère juridique qui dessine les contours de cette nation définie comme l'ensemble des personnes animées par un « vouloir-vivre » appuyée sur des collectif valeurs communes.
Il serait vain - et je vous soumets cette idée - de prétendre que l'on peut interroger la nation sur tel ou tel aspect même mineur de sa politique économique et sociale sans pouvoir l'interroger sur ce qu'elle est ou sur ce qu'elle veut être.
Pour ce qui me concerne, je suis passé, sur cette question, du doute à la conviction et de la conviction à la résolution.
La commission des lois, à la majorité, a considéré que ce projet de loi pouvait être soumis au référendum. Elle a conclu que, dans le cadre du contrôle éventuel qui normalement entoure sa décision, il était à la fois légal et légitime de poser cette question au peuple.
Les matières ajoutées en 1995 au domaine du référendum - j'ai quelque raison de m'en souvenir - ont été définies d'une manière assez générale, précisément pour laisser au Parlement, dans les premières applications, notamment, ou au Gouvernement, une marge d'appréciation sur ce qu'ils souhaiteraient soumettre au choix du peuple français, le Président de la République demeurant en fin de compte seul juge de la constitutionnalité de leur demande.
L'article 11 est essentiellement un « article de procédure », qui n'efface pas le principe fondamental posé par l'article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple, qui l'exerce par ses représentants et par la voie du référendum. »
Au-delà des procédures, mes chers collègues, de quoi débattons-nous ? Nous débattons de ce que nous avons de plus essentiel, à savoir nous-mêmes, notre peuple, notre histoire. Nous débattons aussi de ce lent cheminement marqué de fureur et de bruit, d'heures sombres, d'heures de honte et d'heures glorieuses qui nous a lentement constitués en nation.
Nous le savons, cette nation s'est faite peu à peu ; des apports multiples l'ont aidée à se constituer. Par cette manifestation de volonté qui doit, selon moi, s'entourer de toute la solennité nécessaire - et je regrette que cela n'ait pas été fait jusqu'à ce jour - en demandant à certains jeunes vivant sur notre sol d'exprimer leur volonté, nous n'avons, en aucune manière, le sentiment de les humilier. Nous pensons, au contraire, leur donner l'occasion de manifester clairement leur volonté d'être parmi nous.
N'oublions pas, mes chers collègues, l'immortelle leçon de Péguy que je me permettrai de paraphraser. Dans cette marche vers l'unité nationale, nous n'aurons jamais avancé que d'un pas à la fois. Il nous aura fallu vingt siècles de peuple et vingt siècles de rois pour apprendre ce que c'est que d'être familier. Oui, il nous a fallu du temps et il nous en faudra encore pour apprendre à vivre ensemble, pour devenir familier au sein d'une même nation.
Nous allons donc débattre de cette grande famille qu'est la nation française et que, tous ensemble, nous voulons qu'elle soit.
La commission des lois a estimé que ces valeurs qui nous concernent tous sont dignes d'une décision populaire. C'est pourquoi, dans sa majorité, elle vous propose, mes chers collègues, d'adopter la motion qui vous est soumise. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président, mes chers collègues, il est des gouvernements qui, une fois installés, préféreraient que le Parlement soit mis en vacances, parce que le Parlement est gênant, qu'il discute les projets et les propositions de loi qui lui sont soumis.
Permettez-moi de rappeler certains faits.
D'abord, la proposition d'un référendum sur la nationalité est, selon Mme le garde des sceaux, « un artifice de procédure », pour M. Estier, « une petite astuce », selon Mme Luc, « une manoeuvre dilatoire », et pour M. Dreyfus-Schmidt, « une attitude malsaine ». Eh bien, permettez-moi de rappeler qu'une grande démocratie comme les Etats-Unis d'Amérique a établi comme principe constitutionnel fondamental le due process of law , le respect des règles de procédure. Il n'y a pas de démocratie sans respect des règles de procédure !
Le Gouvernement peut en effet recourir à la procédure de l'urgence ou inscrire des projets ou des propositions de loi à l'ordre du jour prioritaire. Mais il appartient aux assemblées d'utiliser les armes de la procédure que leur règlement leur donne et qui ont été reconnues conformes à la Constitution par le Conseil constitutionnel.
Les règles de procédure ont pour objet de sauvegarder les droits de l'opposition face aux abus potentiels de la majorité et les droits du Sénat face à un excès de prérogatives de l'Assemblée nationale. Nous ne sommes plus le Conseil de la République de la IVe République ; nous sommes le Sénat de la Ve République et nous entendons exercer la totalité de nos attributions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Ce problème de procédure étant résolu, nous devons nous poser trois questions de nature juridique.
Premièrement, le Sénat peut-il proposer le recours au référendum ?
Sur ce point, l'article 11 est très clair. Il dispose en effet : « Le Président de la République, sur proposition du Gouvernement pendant la durée des sessions ou sur proposition conjointe des deux assemblées, publiées au Journal officiel , peut soumettre au référendum tout projet de loi... » Nous avons donc parfaitement le droit de demander qu'un projet de loi soit soumis à référendum, le Président de la République, comme l'a précisé tout à l'heure M. le rapporteur, étant libre d'y donner suite ou non.
J'en viens à ma deuxième question, qui est plus importante et sur laquelle je m'étendrai davantage : le référendum est-il, en l'espèce, possible ?
Ma réponse est affirmative et je vais m'en expliquer.
Jusqu'à présent, un certain nombre de référendums ont déjà eu lieu. Les uns ont porté sur l'organisation des pouvoirs publics. Ce fut le cas en 1961 sur l'Algérie, en 1962 à propos de l'élection du Président de la République au suffrage universel, en 1969 sur la création des régions et sur la rénovation du Sénat et en 1988 à propos du statut de la Nouvelle-Calédonie. Les autres ont porté sur la ratification d'un traité. Tel fut le cas en 1972 à propos de l'élargissement de la CEE et en 1992 sur le traité de Maastricht. Je classe un peu à part le référendum de 1962 sur l'indépendance de l'Algérie, qui relève plus du droit à l'autodétermination que du contenu de l'article 11 de la Constitution.
Le référendum de 1962 sur l'élection du Président de la République au suffrage universel et celui de 1969 sur la rénovation du Sénat ont donné lieu à des débats qu'ont rappelés tout à l'heure certains membres de l'opposition sénatoriale. Mais, en tant que juriste, il faut s'arrêter sur un point : nous n'avons pas de travaux préparatoires relatifs à l'article 11 de la Constitution. En conséquence, toute interprétation de cet article par un parlementaire ou un juriste est conforme à la Constitution.
Nous pouvons donc interpréter l'article 11. Charles de Gaulle, alors Président de la République, mais aussi d'autres l'ont fait, et même des adversaires de l'article 11 en 1962, comme le professeur Duverger ou le doyen Vedel, par exemple, se sont ralliés à l'idée que l'utilisation de cet article pour réviser la Constitution ne pouvait pas faire l'objet de censure, d'autant qu'un autre problème se pose : l'article 11 dispose que peut être soumis à référendum tout projet de loi portant sur l'organisation des pouvoirs publics et, depuis la révision constitutionnelle du 4 août 1995, sur des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation.
J'élimine la troisième catégorie de référendum concernant la ratification de traités qui, sans être contraires à la Constitution, auraient des incidences sur le fonctionnement des institutions.
En l'espèce, la loi sur la nationalité relève à la fois, ce qui peut paraître paradoxal, de l'organisation des pouvoirs publics et de la politique économique ou sociale de la nation.
M. Henri de Raincourt. Exactement !
M. Patrice Gélard. Tout d'abord, elle relève de l'organisation des pouvoirs publics, tout simplement parce que l'article 3 de la Constitution dispose : « Sont électeurs... les nationaux... ».
M. Henri de Raincourt. Eh oui !
M. Patrice Gélard. Ils exercent justement, par leur vote, le pouvoir qui est reconnu aux seuls nationaux, si l'on fait abstraction de l'article 88-1 relatif au vote des ressortissants de la Communauté européenne aux élections locales.
En quoi, me direz-vous, le vote concerne-t-il l'organisation des pouvoirs publics ? La réponse est simple : il n'y a pas de pouvoirs publics sans vote. C'est justement parce que l'on vote qu'il y a organisation des pouvoirs publics. Dès lors, seuls les nationaux ayant le droit de voter la loi sur la nationalité, qui définit qui sont ces derniers, relève de l'organisation des pouvoirs publics.
Je ne m'engagerai pas plus avant dans cette voie qui pourrait, certes, être contestée par d'autres juristes ; mais je me fais fort de répondre à leurs arguments.
Mais il y a plus ! Une nouvelle catégorie de lois référendaires a été introduite en 1995 : il s'agit des réformes relatives à la politique économique ou sociale de la nation. Naturellement, nous ne sommes pas, en l'espèce, dans le domaine économique ; nous sommes dans le domaine social. Résumons-nous : il s'agit d'une loi portant sur la politique sociale de la nation.
Le terme « politique » ne soulève pas de difficulté. La politique, c'est le choix de la définition des objectifs que l'on veut atteindre et des règles que l'on veut voir appliquer.
En revanche, le mot « social » pose un problème car deux définitions sont possibles.
La première, qui est défendue par certains - malheureusement, ils ne sont pas là - c'est le social vu par le petit bout de la lorgnette, au sens de sécurité sociale, d'aide sociale, d'action sociale c'est-à-dire tout un système d'aide ou d'assurance.
Mais il existe une autre définition du terme « social » qui est essentielle, et je me référerai, à cet égard, à trois dictionnaires. Selon le Littré, le social, c'est ce qui concerne la société. Selon le Robert, c'est ce qui est relatif à un groupe d'individus, d'homme conçu comme une réalité distincte, et ce dictionnaire renvoie au mot « société ». Enfin, selon Le Petit Larousse, c'est ce qui est relatif à une société, à une collectivité humaine, et ce dictionnaire cite comme exemple l'organisation sociale.
Eh bien ! s'agissant de la nationalité, nous sommes bien dans ce domaine. Nous sommes bien dans la définition du groupement. En l'occurrence, je ne peux pas résister à la tentation de citer Jean-Jacques Rousseau, dans le Contrat social : « On convient que tout ce que chacun aliène, par le pacte social, de sa puissance, de ses biens, de sa liberté, c'est seulement la partie de tout cela dont l'usage importe à la société. »
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Patrice Gélard. Nous sommes bien dans le domaine de la politique sociale de la nation, et il n'y a aucune autre explication possible à donner.
On ne peut pas nous dire que nous ne sommes pas dans le domaine du référendum. Là encore, il n'y a pas de travaux préparatoires, il y a simplement des déclarations qui n'engagent que leurs propres auteurs. C'est à nous d'interpréter la Constitution - c'est une première, ici, aujourd'hui. Il appartiendra au Président de la République de contredire éventuellement notre point de vue, ou à l'Assemblée nationale de donner, éventuellement, une autre définition du référendum - nous sommes, sur ce point, au même niveau que l'Assemblée nationale.
M. Jacques Genton. Très bien !
M. Patrice Gélard. Enfin, troisième point : depuis 1958, nous ne sommes plus, nous, Parlement, le détenteur exclusif de la souveraineté nationale. Alors, pourquoi craindre ainsi le référendum ?
M. Philippe Marini. Eh oui !
M. Patrice Gélard. Notre extrême timidité à l'égard du référendum législatif, contrairement à certains de nos voisins comme l'Italie et la Suisse, semble démontrer une méfiance, que le Gouvernement manifeste aujourd'hui pleinement, à l'égard de la capacité à légiférer du peuple français.
Nous légiférons, nous, parlementaires, pour le peuple et en son nom. Quand nous avons un doute sur des notions aussi fondamentales que celle de la nationalité, quand nous craignons que la cohésion sociale ne soit remise en cause, il est normal, il est sain, il est conforme à l'esprit et à la lettre de la Constitution de 1958 que nous en appelions au peuple souverain ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, mes chers collègues, nous venons d'entendre l'imparable démonstration juridique de M. Gélard, et j'y souscris, bien sûr, totalement.
Je placerai mes quelques propos sur un autre plan.
Nous sommes en fin de siècle, dans une période d'incertitude et d'angoisse. Nous savons bien, mes chers collègues, que nos concitoyens ont particulièrement besoin de repères, de valeurs et d'une reconnaissance de leur identité.
Le débat qui est abordé ici est évidemment un débat fondamental, un débat essentiel. Un débat sur la nationalité est un débat sur la nation ; un débat sur la nation est un débat qui appartient à la nation, et à elle seule, et qui appartient, par conséquent, à celles et à ceux qui incarnent le pouvoir souverain, c'est-à-dire les citoyennes et les citoyens titulaires du droit de vote.
La nation, qu'est-ce que c'est ?
Je vais, une nouvelle fois, rappeler dans cet hémicycle ce qui a été exprimé de la façon la plus complète et la plus émouvante, en 1882, par Ernest Renan : « Une nation est un principe spirituel résultant des complications profondes de l'histoire. » Pour ceux qui, dans cette assemblée, se reconnaissent dans le gaullisme, comment ne pas rappeler qu'à l'origine du gaullisme il y a ce principe spirituel qui se trouvait à Londres alors que l'apparence de l'Etat était à Vichy ? (Très bien ! sur les travées du RPR.) Tout le sens de notre combat est, bien sûr, lié à l'idée de nation et à l'histoire dont elle résulte.
Si je poursuis la lecture de cette fameuse conférence de la Sorbonne de 1882, je puis me livrer à une autre citation : « Ce qui ne suffit pas à créer un tel principe spirituel, dit Renan, ce sont les éléments suivants : la race, la langue, les intérêts, l'affinité religieuse, la géographie, les nécessités militaires. » Nous pouvons, aujourd'hui encore, nous reconnaître dans cette notion et dans cette citoyenneté qui englobent toutes les spécificités, toutes les origines. La nation est une ; elle est une à l'aide de ses diversités.
Notre conception est celle d'une nation formant bien un tout. Elle est à l'opposé d'une juxtaposition de communautés. La nation résulte de l'intégration de ses éléments divers, elle repose sur l'idée d'intégration, qui conduit à l'assimilation, et seule cette intégration est fondatrice de la nation.
Nous savons bien que celle-ci se réfère au passé, à l'histoire, mais qu'elle représente également un contenu présent d'une grande intensité.
Je poursuis ma citation de Renan : « L'élément présent est le consentement actuel, le désir de vivre ensemble. »
Alors, mes chers collègues, peut-on imaginer que ce consentement soit un contentement tacite, par défaut, comme on nous le propose ?
Nous voyons bien, en relisant ce vieux texte, que cette volonté commune dans le présent transcende toutes sortes d'éléments. « Voilà qui vaut mieux que des douanes communes et des frontières conformes aux idées stratégiques. » Que signifie cela dans le contexte de 1997, ou de 1998 ? Cela veut dire, et nous le savons, que l'Europe, quelles que soient ses vertus, n'est pas une nation, et que même si elle est monétaire, elle ne le deviendra pas davantage,...
M. Philippe François. Exactement !
M. Philippe Marini. ... et que même si elle se donne ou continue de se donner une organisation efficace de sécurité commune, elle ne le sera pas davantage encore. (Applaudissents sur les travées du RPRP et de l'Union centriste.)
La nation, c'est donc le désir clairement exprimé de continuer la vie commune.
Alors, mes chers collègues, comme cela a été si justement dit, la manifestion de volonté requise en 1993 n'était-ce pas le strict minimum que l'on puisse demander à des jeunes gens qui aspirent à faire partie de la communauté nationale ?
Ce consentement, si l'on suit Mme le garde des sceaux, devrait être donné par les jeunes de treize ans enfants de parents étrangers, mais il sera réputé acquis à dix-huit ans. Curieux consentement ! Curieuse contradiction !
J'en viens à cette phrase que l'on cite assez souvent et qu'il faut restituer dans les conditions où elle a été prononcée : « L'existence d'une nation est un plébiscite de tous les jours. » Mes chers collègues, comment ne pas rapprocher cette phrase de notre débat sur le référendum ? Ne sommes-nous pas au coeur de la même idée ?
« Plébiscite » est un mot qui sent son XIXe siècle. Mais qu'entendait-on alors par ce mot ? Selon Proudhon - c'est une citation de 1843 - « la souveraineté est au peuple, le plébiscite est la loi suprême ».
Nous nous tournons tout naturellement vers le peuple pour lui demander s'il partage la conception que nous avons de la nation, ou plutôt s'il continue à la partager, car, mes chers collègues - et nous n'en avons peut-être pas suffisamment conscience - les nations sont fragiles, les nations sont mortelles, les nations peuvent se dissocier, se diluer ; elles représentent un patrimoine vivant, un patrimoine commun sur lequel il faut veiller.
Nous appliquons partout, en droit international, et plus personne ne le conteste, le principe de nationalité, selon lequel on ne dispose pas d'un territoire sans l'avis et l'accord de ses habitants. Serait-il interdit au seul peuple français d'exprimer la conception qu'il a de sa propre nation ? L'attitude de retrait qui est celle du Gouvernement et de la majorité de l'Assemblée nationale n'exprime-t-elle pas une peur que l'on aurait de se ressourcer auprès du souverain qu'est le peuple ?
Tout cela devrait aller de soi.
Cependant, le Gouvernement veut, en l'occurrence, culpabiliser le peuple français. Il a artificiellement lié deux débats qui sont bien distincts - c'est une manoeuvre politicienne, bassement électorale - d'un côté, le débat sur la nationalité et, de l'autre, le débat sur l'immigration.
Par la motion qui a été déposée, nous voulons insister sur la spécificité du débat concernant la nationalité, débat d'une autre essence, d'une autre nature que le débat sur l'immigration.
Nous le savons bien, mes chers collègues, l'intégration ne se décrète pas. Elle suppose une volonté réciproque, elle suppose que l'on sache, dans notre société, assurer l'égalité des chances. Or, l'égalité des chances suppose que ceux qui en bénéficient sachent qu'il y a en face de leurs droits un certain nombre de devoirs. En d'autres termes, la qualité de Français se mérite !
Nous voulons tous lutter contre l'exclusion et la haine, mais nous voulons le faire par une affirmation de nos valeurs nationales, des valeurs issues de nos traditions et de tout ce qui fait le patrimoine vivant de notre peuple !
Aujourd'hui, nous sommes en présence d'un débat extrêmement important. Cette motion qui est soumise au Sénat vise à bien montrer la solennité du moment et la solennité du débat.
L'acquisition de la nationalité est un acte d'adhésion, et d'adhésion volontaire à ce patrimoine vivant. Telle est notre conception, issue de convictions bien ancrées. Nous n'avons pas peur, pour ce qui nous concerne, de soumettre cette conception et ces convictions au jugement souverain de notre peuple.
Notre conception est-elle aujourd'hui encore - comme je le crois et je l'espère - partagée par notre peuple ? Pour le savoir, il faut manifestement le lui demander ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, mes chers collègues, pour des raisons tenant à d'autres textes que celui que nous évoquons, je serai très bref. En effet, je ne voudrais pas que l'on m'accuse de vouloir faire traîner les débats pour des motifs qui n'ont aucun lien avec le texte qui nous occupe.
M. Jean-Pierre Raffarin. Il n'y a pas de risque !
M. Paul Girod. Je voudrais simplement dire deux choses.
D'abord, si je suis le seul de mon groupe à avoir signé la motion, c'est pour des raisons techniques. Certes, certains membres de mon groupe n'auraient en aucun cas signé cette motion ; mais d'autres qui auraient voulu la signer n'ont pu le faire pour des raisons indépendantes de leur volonté. Je tenais à le préciser afin que l'on ne fasse pas de procès d'intention à tel ou tel.
Ensuite, je voudrais exprimer ma tristesse devant la situation dans laquelle nous nous trouvons.
Je ne suis pas juriste, et je m'en remets donc à ceux qui le sont. Je sais cependant que la lecture des textes est souvent diverse, ce qui fait d'ailleurs le fond de la vie de tous ceux qui servent le droit dans notre pays. En effet, s'il n'y avait qu'une seule lecture possible de tout le droit existant,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. ... il n'y aurait plus d'avocats !
M. Paul Girod. ... il semble évident que beaucoup de procès ne pourraient même pas voir le jour. Et c'est bien la confrontation des juristes qui fait que, tous les jours, le droit avance, grâce à la jurisprudence.
Aujourd'hui, ne sommes-nous pas confrontés à un certain type de procès fait à certain d'entre nous ? Quelle que soit l'opinion ou la lecture que chacun peut avoir de la Constitution, force est de constater que le débat était engagé, que cette motion n'a pas été déposée avant le débat, mais au cours du débat. Voilà qui, je crois, relativise certains arguments qui nous sont opposés !
Dans un débat aussi grave que celui qui nous réunit en ce moment, je ne comprends pas bien que l'on cherche des moyens juridico-dilatoires pour éviter de donner la parole à la nation : je ne vois pas très bien comment on pourrait dire aux Français qu'ils n'ont pas le droit de s'exprimer sur ce qui fait leur propre identité, sur l'ouverture qu'ils entendent ou non donner à la communauté qu'ils constituent, sur les conditions qu'ils mettent à cette ouverture puisqu'ils se trouveront un jour face à face ou côte à côte avec des citoyens nouveaux, qui auront les mêmes devoirs, les mêmes obligations que ceux qui découlent de la naissance pour ceux qui, comme eux, sont nés Français.
Je ne comprends pas très bien que l'on distille le droit de diverses manières en imposant une seule lecture, en refusant tout procès, en refusant la discussion sur un tel sujet.
Des référendums, nous en avons connu beaucoup. Certains étaient clairs ; il en était dont la constitutionnalité n'était pas aussi assurée qu'on le dit ;...
M. Jacques Genton. C'est certain !
M. Paul Girod. ... il en était qui portaient sur des questions si complexes que l'on se demandait comment un citoyen peu juriste et peu au fait des négociations internationales pouvait ratifier, par un vote en un seul mot de trois lettres, s'il acceptait ou s'il refusait un document aussi compliqué que le traité de Maastricht, par exemple, qui était autrement compliqué qu'un texte de loi sur la nationalité.
Cependant, dans tous les cas que je vise, on en était revenu à ce pilier de base de notre Constitution, qui prévoit, comme toute constitution normale, l'existence d'un pouvoir judiciaire, d'un pouvoir exécutif et d'un pouvoir législatif, qui organise les rapports entre ces trois pouvoirs, mais qui prévoit aussi le recours au souverain, le peuple, chaque fois que c'est nécessaire.
C'est la raison pour laquelle je suis, aujourd'hui, triste de constater que l'évocation de ce recours vers celui qui est notre maître à tous, le peuple, puisse donner lieu à de telles contestations et de telles manipulations, au niveau aussi bien du principe que de la fixation de l'ordre du jour.
Je voterai, bien entendu, la motion que j'ai signée - avec vous, mes chers collègues - mais ce sera avec beaucoup de tristesse au coeur, celle de voir le débat déraper ainsi, et tout en nourrissant l'espoir de voir notre peuple avoir l'occasion de trancher. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique de la motion.
« Article unique . - En application de l'article 11 de la Constitution et des articles 67 et suivants de son règlement, le Sénat propose au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la nationalité. »