NATIONALITÉ

Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 145, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence, relatif à la nationalité. [Rapport n° 162 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le garde des sceaux. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, avec la nationalité, nous abordons un sujet grave, à la racine même de notre identité, et nous avons le devoir d'éclairer le pays sur les véritables enjeux.
Je suis certaine que le Sénat, conformément à sa tradition et comme en témoigne le rapport de M. Christian Bonnet, pourra se concentrer sur les questions de fond, même s'il est évident que nous avons des désaccords.
Vous savez que la question principale, et pour tout dire unique, à laquelle répond le projet de loi qui a été adopté par l'Assemblée nationale, et que je vous propose d'adopter à votre tour, répond à cette question simple : comment devient-on français quand on est né de parents étrangers sur le sol de notre pays ?
Le texte que je vous présente aborde le statut des jeunes étrangers nés en France de parents étrangers, et seulement de ceux qui sont nés chez nous, qui représentent une population d'environ 25 000 personnes par an.
Pour l'immense majorité d'entre eux, ils resteront sur notre sol et ne connaîtront pas d'autre patrie que la nôtre.
La question est donc, avant tout, celle de leur intégration à la société française. C'est dire que c'est un débat qui a trait à la solidarité, à la place de chacun dans la société et à la paix publique. Il s'agit de traiter un problème concret d'intégration des jeunes et non pas, je le souligne d'emblée, un problème d'immigration.
Pour répondre à la question posée, le Gouvernement a choisi, d'une part, de revenir à ce qui a été la tradition républicaine entre 1889 et 1993, d'autre part, d'apporter une réponse aux difficultés nées de l'application de la loi de 1993 et de prendre en considération les effets pratiques de cette dernière.
Voyons tout d'abord la tradition républicaine.
La tradition française est simple : depuis plus de cent ans et jusqu'en 1993, le droit du sol permettait à l'enfant d'acquérir de plein droit la nationalité française à la majorité par la naissance et par la résidence en France.
Elle est, comme l'a souligné le professeur Lagarde devant votre commission des lois, le résultat d'une tradition concrète de la nationalité reposant sur les liens objectifs de l'étranger avec la France, tels la filiation, la naissance, la résidence ou le mariage, en particulier.
Comme le professeur Lagarde l'a également rappelé devant votre commission, le droit du sol a été la règle sous l'Ancien Régime, jusqu'à ce que le code Napoléon, contre l'avis de Bonaparte lui-même, donne une priorité au droit du sang. C'est, ensuite, au cours du xixe siècle, que le droit du sol a progressivement regagné du terrain.
C'est notamment la loi de 1889 qui a réalisé un équilibre entre le droit du sang et le droit du sol. Cette loi, contrairement à ce que l'on a trop dit, n'avait pas pour raison essentielle les besoins de la conscription ; elle répondait au souci, comme les débats l'ont montré, de réaliser l'égalité devant les charges publiques en ne faisant pas échapper les enfants d'étrangers à la conscription, alors que les enfants français y étaient astreints. Il faut donc y voir le souci d'égalité du législateur, et non l'ombre du bureau de recrutement, comme certains ont voulu le faire croire.
La loi de 1973 a consacré cette histoire, en prévoyant deux procédures pour devenir français quand on était né en France de parents étrangers.
D'une part, première procédure, à leur majorité, les enfants devenaient français de plein droit s'ils pouvaient prouver qu'ils avaient résidé pendant cinq ans sur notre territoire et s'ils n'avaient pas refusé volontairement de le devenir dans l'année précédant leur majorité.
Donc, selon la première procédure, l'acquisition était de plein droit, à la majorité, mais sous certaines conditions, le droit du sol intégral n'ayant jamais existé en France.
D'autre part, la seconde procédure prévoyait que, dès la naissance, des enfants pouvaient devenir français si leurs parents le réclamaient en leur nom. Cependant - la précision est importante - selon la seconde procédure et contrairement à la première, les enfants ne pouvaient plus, alors, récuser la nationalité française.
C'est cette dernière procédure d'acquisition de la nationalité, à la naissance, par la volonté des parents et sans possibilité de récusation ultérieure, qui a été critiquée parce que, en effet, il arrivait que certains deviennent français sans le savoir et sans le vouloir.
La loi de 1993 a supprimé la possibilité pour les parents de demander la nationalité au nom de leurs enfants. Elle n'a prévu qu'une seule procédure d'acquisition de la nationalité, mais en modifiant substantiellement la loi de 1973.
En effet, aux termes de la loi de 1993, l'enfant né en France de parents étrangers ne devenait français que si, entre seize ans et vingt et un ans, il faisait une déclaration formelle devant une autorité administrative ou devant un juge.
M. Michel Caldaguès. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En cela, je dis non pas que le droit du sol a été aboli, mais que les conditions de l'acquisition de la nationalité ont été substantiellement modifiées. A cet égard, le Gouvernement souhaite revenir à cette tradition qui, je le rappelais, fait que l'on devient français non pas parce que l'on accomplit une démarche un jour, mais parce que l'on fait la preuve tous les jours, par sa langue, par sa culture, par ses amitiés et par ses affinités, bref par son choix de vie,...
M. Jean Chérioux. Par son comportement !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... de sa volonté d'être français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Philippe Marini. A condition de le vouloir !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. La deuxième raison pour laquelle le Gouvernement propose de modifier la loi de 1993 réside dans les difficultés d'application de ce texte.
En exigeant une démarche à accomplir avant l'âge adulte, on crée un risque d'exclure, de fait, du bénéfice de la loi un certain nombre de jeunes, soit par défaut d'information, soit par erreur d'appréciation, soit par inertie, soit, plus grave encore, à la suite de toutes sortes de pressions, notamment familiales.
Il n'est pas possible d'oublier, en effet, que l'on a affaire à des personnes à peine sorties de l'adolescence, qui ont tout à apprendre de la vie.
Les évaluations chiffrées, sur lesquelles nous reviendrons au cours du débat et dont il a été question lors des travaux de la commission, montrent que 10 % à 15 % d'une population éligible restent en dehors de la procédure en raison de la méconnaissance dont elle est l'objet. Au-delà, je voudrais citer des exemples concrets que les enquêtes diligentées en Alsace et en région Rhône-Alpes ont révélés.
Comme ces enquêtes le montrent, si plusieurs jeunes sont venus se présenter au tribunal d'instance pour souscrire une manifestation de volonté alors qu'ils étaient déjà français, d'autres, au contraire, se sont abstenus de le faire, parce qu'ils croyaient l'être déjà. Ils se sont ainsi définitivement fermé une porte, alors que toute leur histoire personnelle est celle d'une parfaite intégration. La procédure d'une démarche formelle instaurée en 1993 a l'inconvénient exactement inverse de la solution qui prévalait en 1973 avec l'acquisition à la naissance : si le jeune laisse passer l'âge de vingt et un ans sans faire de déclaration, soit qu'il croie être déjà français - et ils sont assez nombreux dans ce cas - soit qu'il ignore la nécessité de faire cette déclaration aux termes de la loi de 1993, il peut rester étranger sans le vouloir, et même sans le savoir !
Je vous le demande, mesdames, messieurs les sénateurs, l'acquisition de la nationalité peut-elle résulter d'une méprise ?
Dans certaines familles, des jeunes filles ont été dissuadées de souscrire la déclaration formelle, alors que leurs frères y étaient incités. En outre, comme le montre l'étude réalisée par le professeur Fulchiron dans le cadre d'une mission de recherche menée par l'université Jean-Moulin de Lyon, le juge apprécie souverainement si les documents apportés constituent une preuve suffisante de la résidence en France. Mais, dans certains cas, écrit le professeur Fulchiron - et je sais qu'il a été entendu par votre commission des lois - la situation est quasiment inextricable.
Alors, je vous pose une autre question : la nationalité peut-elle résulter d'une telle discrimination ? Le principe d'égalité doit être appliqué de façon uniforme sur le territoire de la République. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
De même, des pratiques différentes entre les services ont également été observées et, parfois, des carences graves dans l'accueil des jeunes, entraînant des écarts importants entre les régions.
M. Patrick Weil fait observer, dans son rapport sur l'application du droit du sol, que trois régions présentent un taux de refus d'enregistrement des déclarations particulièrement élevé : 7 % en Basse-Normandie, 5,3 % en Lorraine, 6 % en Bretagne, alors que la moyenne nationale est de 2,5 %. De surcroît, en 1996, sept départements connaissaient des taux de refus supérieurs à 10 % ! Ainsi, la procédure de 1993 conduisait à une disparité dans les décisions prises sur l'ensemble du territoire, ce qui, je veux le répéter, est contraire au principe d'égalité.
Comme le montre l'étude du professeur Fulchiron, déjà mentionnée, certains services chargés de recueillir la manifestation de volonté se sont arrogé le droit de contrôler et de vérifier les pièces fournies. « Ne recueillir cette déclaration formelle que lorsque le dossier est complet ou en état d'être enregistré conduit à attribuer aux autorités chargées de recueillir la manifestation de volonté en droit ou, surtout, en fait, un pouvoir qu'elles n'ont pas : celui de vérifier le caractère probant des pièces fournies. », fait remarquer l'auteur de cette recherche.
M. Claude Estier. Très bien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je pose donc une nouvelle question : la nationalité peut-elle être fonction de méthodes administratives ou de pratiques juridictionnelles locales ?
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Très bien !
M. Philippe Marini. Cela ne nécessite pas une loi !
M. Jean Chérioux. C'est incroyable de la part d'un ministre de la République !
M. Josselin de Rohan. Où est l'Etat ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Si certaines de ces difficultés peuvent être surmontées par une amélioration du dispositif d'information, comme le note très justement votre commission des lois, d'autres, en revanche, sont inhérentes au principe même de la manifestation de volonté et ne peuvent trouver de réponse que dans la restauration de l'acquisition de plein droit. C'est pourquoi je pense qu'il est important de légiférer.
Je ne crois pas que l'on puisse soutenir que la loi de 1993 est trop récente pour différer une modification des textes dont l'objectif est de n'exclure aucun de ces jeunes qui ont choisi de vivre dans notre pays.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis sûre que vous ne resterez pas insensibles à cette autre question : quel serait le sort de ces jeunes qui, n'ayant connu d'autre sol que la France, seraient écartés de ce lien fondamental de rattachement à une patrie que constitue la nationalité française ? Quel serait leur sort, à ces jeunes-là, qui ne concevraient leur avenir que dans notre pays, qui auraient d'ailleurs coupé tous les ponts derrière eux et qui ne pourraient pas acquérir la nationalité française ?
Ces jeunes n'ont souvent qu'une idée très lointaine de la terre de leurs ancêtres. Ils n'ont pas de repère, pour n'avoir pas partagé, sur le sol étranger, le mode de vie de leurs propres parents. La nationalité du pays dans lequel ils vivent constitue pour eux un élément trop essentiel pour être laissé au hasard d'une démarche administrative. Quel que soit le nombre de ceux qui pourraient rester exclus, j'estime qu'il est impossible de se satisfaire d'un mécanisme qui risquerait de laisser des adolescents au bord de la route, alors qu'ils n'ont pas d'autre patrie que la nôtre. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Ils se feraient naturaliser !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le projet de loi que je vous propose d'adopter n'a d'autre ambition que de corriger ce défaut, tout en tirant les leçons de l'application de la loi de 1973. Je ne veux pas qu'un enfant né en France de parents étrangers devienne français sans le vouloir ou sans le savoir, ce qui, parfois, se produisait sous l'empire de la législation de 1973 ; mais je ne veux pas non plus qu'il reste étranger sans le vouloir ou sans le savoir, ce qui s'est produit avec la loi de 1993.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Il peut se faire naturaliser !
M. Claude Estier. Ce n'est pas le sujet !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'en viens maintenant au dispositif adopté.
Il est important de le rappeler, les dispositions de ce projet de loi ont trait à l'acquisition de la nationalité par les enfants nés en France, car la naturalisation s'applique traditionnellement - et nul, jusqu'ici, n'a suggéré de modifier ce principe - à une personne qui n'est justement pas née en France. La naturalisation n'est d'ailleurs pas un droit, comme il est normal.
Le dispositif que je vous présente concerne, comme les lois de 1889, de 1927, de 1945, de 1973 et de 1993, les enfants nés, chez nous, de parents étrangers.
A dix-huit ans, les enfants nés en France et qui y ont résidé deviennent français de plein droit, à moins qu'ils ne le refusent.
La période durant laquelle le jeune peut refuser est élargie par rapport à la loi de 1973 : six mois avant dix-huit ans, un an après. Dans un souci d'intégration, l'Etat prend ses responsabilités en disant aux jeunes : « vous avez été assimilés de fait, vous êtes français de droit ». Notre nation a dit cela pendant cent ans. C'est le coeur de mon projet.
Mais nous prévoyons aussi que les jeunes puissent anticiper. A seize ans, s'ils remplissent les conditions de résidence, ils pourront demander à anticiper cette acquisition de plein droit sans le consentement de qui que ce soit. C'est non pas une innovation mais la reprise pure et simple de l'article 17-3 du code civil tel que le législateur de 1993 l'a voulu.
A partir de treize ans, comme l'a souhaité l'Assemblée nationale, et à partir de cet âge seulement et non à la naissance, les parents peuvent réclamer la nationalité pour leurs enfants, mais à condition d'avoir obtenu leur consentement personnel.
Vous savez qu'à l'Assemblée nationale, ce seuil a fait l'objet de longs débats. Fallait-il l'abaisser, ou même le supprimer, en restaurant le régime issu de la loi du 9 janvier 1973, que j'ai évoqué, et qui permettait aux parents de choisir pour l'enfant dès sa naissance ?
Je n'ai pas voulu que l'on puisse décider à la place de l'enfant.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est exactement ce que vous faites !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... pour des motifs qui pourraient être étrangers à son propre intérêt, d'une chose aussi grave que l'acquisition d'une nationalité. Dans une telle conception, en effet, la volonté personnelle n'a, alors, plus aucun rôle.
J'ai accepté, en revanche, que le seuil d'âge soit abaissé à treize ans, à condition que le consentement personnel de l'enfant soit pris en compte. La volonté individuelle reste en effet préservée, dans cette hypothèse.
M. Josselin de Rohan. Ce n'est pas sérieux !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Ainsi, dès l'âge de treize ans et jusqu'à sa majorité.
M. Jean-Pierre Schosteck. C'est contradictoire !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... le jeune pourra exprimer un choix en faveur de la nationalité française et il lui restera encore la possibilité d'exprimer son refus jusqu'à dix-neuf ans.
Alors, je vous pose une autre question. Que vaut-il mieux, mesdames, messieurs les sénateurs : le mécanisme de la loi de 1993, dans lequel l'abstention est interprétée comme un refus probable,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Oui !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... ou un régime, comme celui que le Gouvernement propose, où la renonciation à la nationalité française est sans équivoque ? (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Ce dispositif est simple. Il a pour objectif d'offrir aux jeunes la garantie de la loi de 1973 tout en encourageant le libre choix du jeune. Il a pour ambition d'intégrer les jeunes nés en France en prenant en compte leur volonté : volonté de souscrire à la démarche de leurs parents à treize ans, volonté de demander à seize ans personnellement la nationalité française, volonté, le cas échéant, de refuser la nationalité française à leur majorité.
A dix-huit ans, la République constate qu'ils sont intégrés parce qu'ils n'ont pas choisi de quitter notre pays et que, au contraire, en s'intégrant à notre école, à notre culture, en faisant leur vie chez nous, ils ont voulu être français.
Il n'y a aucune contradiction entre l'acquisition de plein droit à dix-huit ans et la capacité d'anticiper l'acquisition de la nationalité. D'ailleurs, la loi de 1973 faisait déjà coexister ces deux possibilités.
Je suis certaine également que nous partageons tous l'idée que la nationalité est un puissant élément d'intégration à la société française...
Un sénateur du RPR. Quelle société française ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... et que, dans notre immense majorité, nous rejetons avec la plus grande fermeté les thèses racistes et xénophobes qui diabolisent les étrangers. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - Protestations prolongées sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Dominique Braye. Thèses que vous favorisez !
M. Marcel Charmant. Il y en a que cela gêne !
M. le président. Un peu de silence, s'il vous plaît, mes chers collègues !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je ne comprends pas du tout ces réactions, puisque j'ai associé à la réflexion l'immense majorité des membres de cette assemblée. Vraiment, je n'ai voulu faire montre d'aucun esprit partisan, car ma conception fondamentale est que l'on peut, en particulier dans cette assemblée, discuter de cette très grave question de la nationalité sans, précisément, faire appel à des peurs et à des fantasmes ! (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Chérioux. Eh bien, ne le faites pas !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Le problème auquel la France doit faire face est celui de l'intégration de ceux qui naissent et vivent sur son sol. Cela concerne, je le répète, 25 000 personnes par an.
Dès lors, je vous pose une autre question, mesdames, messieurs les sénateurs : est-il si grave et si périlleux, pour un pays comme le nôtre, qui a une si longue histoire, qui compte 60 millions d'habitants, d'intégrer 25 000 jeunes par an ?
M. Dominique Braye. Eh bien oui, madame le ministre ! Allez dans les banlieues !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Eh bien, ma réponse à moi, c'est non !
M. Henri de Raincourt. On s'en serait douté !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. La nôtre, c'est oui !
M. Jean Chérioux. Chacun son opinion !
M. le président. Laissez parler Mme le garde des sceaux !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je comprends qu'un sujet aussi grave suscite les passions. C'est d'ailleurs pourquoi je terminerai mon intervention en essayant de dissiper quelques inquiétudes qui se sont fait jour au sein de la commission des lois du Sénat.
Première inquiétude : les étrangers d'aujourd'hui ne sont plus les mêmes que ceux d'autrefois.
M. Dominique Braye. Ça, c'est sûr !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Peut-on réellement affirmer que les flux d'immigrés appelés à acquérir la nationalité française ont changé de nature (Oui ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants) et que cela rendrait la manifestation formelle de volonté indispensable ? (Oui ! sur les mêmes travées.)
Je ne suis pas sûre que l'on puisse affirmer,...
M. Dominique Braye. Vous n'êtes sûre de rien !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... comme le fait le rapport de votre commission, que la nation française a intégré rapidement les Italiens, les Espagnols, les Portugais,...
M. Henri de Raincourt. Ah si !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... les Russes blancs ou encore diverses populations d'Europe centrale...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Ce n'étaient pas des musulmans !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... venus s'installer sur notre territoire. J'ai dit ce que j'en pensais à l'Assemblée nationale. Je ne le répéterai donc pas en détail ici.
Je veux simplement rappeler que les Polonais, les Italiens, les Bretons aussi (Vives exclamations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants),...
M. Josselin de Rohan. Les Bretons sont des Français !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... lorsqu'ils venaient en région parisienne, au début du siècle,...
M. Dominique Braye. C'est inacceptable ! Les Bretons sont français !
M. Gérard Larcher. Ce n'est pas brillant, madame le ministre !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... suscitaient les mêmes réflexes qu'aujourd'hui les Maghrébins ou les Africains. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen. - Protestations prolongées sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Dominique Braye. C'est inacceptable !
M. Michel Duffour. Laissez-la parler !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je sais gré à votre rapporteur, M. Christian Bonnet,...
Plusieurs sénateurs du RPR. Il est breton ! Il est breton !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. ... d'affirmer qu'il ne faut pas mêler le débat sur la nationalité avec celui sur l'immigration. Nous en avons parlé en commission des lois.
En effet, avec ce projet de loi, c'est de l'intégration des jeunes nés en France qu'il est question et non de l'immigration, qui fait l'objet d'un autre texte dont vous aurez à débattre.
Bien entendu, il existe des passerelles entre la question de la nationalité et les questions du séjour. Ces passerelles peuvent également susciter des inquiétudes.
Il en est une, en particulier, qui a été exprimée avec une certaine vigueur : n'allons-nous pas accueillir dans la nationalité française des délinquants ?
Je veux rappeler, à cet égard, qu'un étranger majeur ne peut acquérir la nationalité française s'il a été condamné pour des crimes et délits constituant une atteinte aux intérêts fondamentaux de la nation, pour un acte de terrorisme, ou s'il a été condamné à une peine égale ou supérieure à six mois d'emprisonnement. C'est l'article 21-27 du code civil, qu'il n'est, bien entendu, pas question de modifier.
M. Christian Demuynck. Et si c'est un mineur ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je veux rappeler également qu'un étranger ne peut acquérir la nationalité française s'il a fait l'objet d'un arrêté d'expulsion ou si son séjour est irrégulier au regard des lois et conventions relatives au séjour.
Ces dispositions, qui sont celles de l'article 21-27 du code civil, ne sont pas modifiées, et elles ne me paraissent pas particulièrement laxistes.
Puisque j'aborde cette question, laissez-moi vous dire combien j'ai été scandalisée (Oh ! sur les travées du RPR) par une déclaration de M. Jean-Louis Debré, reproduite par une dépêche d'agence le 3 décembre dernier. Je cite : « Est-il acceptable qu'un étranger, même s'il est né en France, devienne automatiquement français, alors qu'il a tué, qu'il a assassiné une vieille femme, qu'il a violé ou qu'il a agressé des commerçants ? Les socialistes disent oui, nous disons non. Voilà ce qui nous sépare. » (Applaudissements sur les travées du RPR.)
Mme Hélène Luc et M. Marcel Charmant. C'est scandaleux !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. De tels propos sont tout simplement malhonnêtes, et je tiens à rétablir la vérité. (Exclamations sur les travées du RPR.)
Les étrangers majeurs ne peuvent acquérir la nationalité française s'ils ont été condamnés par nos tribunaux.
M. Dominique Braye. Et les mineurs ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. J'y viens, attendez !
A cet égard, le projet que je présente ne change rien. Tout étranger majeur qui a fait l'objet d'une condamnation à une peine égale ou supérieure à six mois de prison ne peut acquérir la nationalité française ; il en est empêché.
En revanche, aucun obstacle à l'acquisition de la nationalité française n'a été dressé, en 1993 - j'insiste sur cette date - devant les mineurs de dix-huit ans.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. C'est vrai !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Nous n'en dressons pas plus aujourd'hui qu'il n'y en avait hier et, à cet égard non plus, le projet de loi que je vous présente ne change rien. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen. - Protestations sur les travées du RPR.)
M. Claude Estier. Ils ont la mémoire courte !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je l'ai dit devant l'Assemblée nationale, et je le répète ici devant la Haute Assemblée : il y a des mineurs délinquants étrangers comme il y a des mineurs délinquants français. Cependant, la délinquance des mineurs se traite autrement que par la sanction de l'incapacité à acquérir la nationalité française. Vous l'avez pensé en 1993, je le pense en 1997. (Nouveaux applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Jamais, pas même dans la loi de 1993, le législateur n'a opposé les condamnations dont les mineurs avaient fait l'objet pour les empêcher de manifester leur volonté entre seize ans et dix-huit ans.
M. Hilaire Flandre. Il aurait dû !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Encore une fois, la logique de la nationalité doit être non pas celle de l'exclusion mais celle de l'intégration. Il en va de la cohésion sociale de notre pays comme de la paix civile.
Il convenait que cela fût rappelé, et je l'ai fait en mentionnant les dispositions de la loi de 1993, car, sur ce plan, cette loi a également répondu à ce souci vis-à-vis des mineurs.
La troisième inquiétude tient à l'accueil dans la nationalité française de polygames.
Là encore, il est nécessaire de rappeler, si j'en juge par ce que j'ai entendu ailleurs que dans cette assemblée, que la polygamie est contraire - notre droit le dit - à l'ordre public français et qu'elle est traitée et réprimée comme telle.
M. Dominique Braye. Ah bon ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. En aucun cas l'article 15 bis de l'ordonnance de 1945 n'autorise la délivrance d'un titre de séjour en France à un étranger polygame. L'article 30 bis n'autorise pas non plus le regroupement familial au profit d'un étranger polygame qui réside sur le territoire français avec un premier conjoint.
Le projet de loi du ministre de l'intérieur, qui a été délibéré en conseil des ministres le 15 octobre dernier et qui vient d'être discuté à l'Assemblée nationale, ne modifie ni l'article 15 bis de l'ordonnance de 1945 ni l'article 30 que je viens de citer.
La quatrième inquiétude concerne l'impossibilité de lutter contre les mariages blancs.
Pour être tout à fait claire, je veux redire ici que nous avons les moyens juridiques nécessaires pour lutter contre les mariages de complaisance (C'est faux ! sur les travées du RPR.), qui n'ont d'autre but que de permettre d'acquérir la nationalité française et d'assurer le séjour. (Exclamations sur les mêmes travées.)
Si vous voulez bien m'écouter, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais vous dire en quoi, car je n'ai pas pour habitude d'affirmer sans preuve.
Voici les dispositions de notre droit qui permettent la lutte contre les mariages de complaisance, lutte qui est en effet nécessaire.
L'article 175-2 du code civil permet au procureur de s'opposer à un mariage blanc.
Le Gouvernement peut s'opposer par décret en Conseil d'Etat pour défaut d'assimilation à l'acquisition de la nationalité par le conjoint étranger.
M. Henri de Raincourt. La procédure n'est jamais utilisée !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. La difficulté, bien sûr, est de détecter les mariages de complaisance. (Ah ! sur les travées du RPR.)
Mais je pose alors la question : ce problème peut-il être réglé par l'allongement de la durée au terme de laquelle un étranger qui s'est marié et qui prouve la communauté de vie d'un an avec son conjoint peut acquérir la nationalité ? Ma réponse est également négative, car on ne peut pénaliser le très grand nombre de couples de bonne foi dont l'un des conjoints veut s'intégrer à la société française. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Si je m'efforce de dissiper les inquiétudes que le projet de loi peut inspirer, c'est que je reste profondément persuadée que l'acquisition de plein droit de la nationalité, pour les seuls enfants nés en France - je le répète - va dans le sens de l'intégration des populations étrangères présentes sur notre sol et que cette intégration ne menace ni ne bouleverse notre identité en tant que nation. (Protestations sur les travées du RPR.)
D'ailleurs, 25 000 jeunes par an le pourraient-ils ? S'ils le pouvaient, c'est que nous serions bien peu sûrs, justement, de notre identité.
M. Dominique Braye. Allez en banlieue !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Pour tout dire, je fais confiance à notre capacité d'assimiler les différences d'origine géographique, culturelle et même religieuse, capacité que toute notre histoire démontre.
M. Philippe Marini. C'est de l'angélisme...
M. Dominique Braye. ... suicidaire !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Pour terminer, je voudrais qu'au-delà de nos divergences, compréhensibles et nécessaires au jeu démocratique, nous puissions au moins nous accorder sur l'essentiel : il faut intégrer ces 25 000 jeunes étrangers qui naissent tous les ans sur notre sol.
Un sénateur du RPR. Ils ne le veulent pas !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Moi, je dis que les jeunes étrangers nés en France de parents qui y sont installés ont, par la culture, l'école et le travail, par les affinités et les amitiés, manifesté leur volonté de devenir français.
Vous, vous subordonnez cette assimilation de fait à une déclaration formelle de droit. Et c'est là, je crois, que nous nous séparons. Je sais que les clivages existent, et c'est bien naturel, s'agissant d'une question aussi grave et chargée d'émotion.
Je peux comprendre que vous ne partagiez pas mon appréciation, et je respecte vos arguments.
Un sénateur du RPR. Ah ! Merci !
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Mais je dois vous dire aussi, avec la même netteté, que je ne les partage pas, car je crois que le droit de la nationalité n'est pas désincarné ; il fait en effet partie de la vie des gens et on ne peut pas le construire uniquement sur des principes abstraits.
Voilà, je crois, la préoccupation qui doit nous guider tout au long des débats qui vont s'ouvrir au sein de la Haute Assemblée.
Je pense en tout cas que la nationalité mérite une discussion constructive, car je crois qu'on ne peut rayer d'un trait de plume des questions qui mobilisent le pays.
C'est précisément parce que ce sujet est sensible entre tous, puisqu'il touche justement au sentiment national, qu'il nous faut en parler.
Je ne crois pas que ce débat soit celui d'une autre époque. Par les passions qu'il suscite, on voit d'ailleurs, au contraire, qu'il fait partie des grandes questions qui se posent aujourd'hui dans tous les pays.
Je souhaite que le débat puisse s'ouvrir, même si votre commission des lois vous invite, après l'important travail qu'elle a accompli, à supprimer tous les articles du projet de loi. (Très bien ! sur les travées du RPR.)
Ce que je souhaite, c'est que les choix idéologiques et même les grands principes ne prennent jamais le pas sur ce qui doit rester notre priorité à tous : la réalité concrète vécue sur notre sol par des familles qui l'ont choisi pour y ancrer leur histoire et l'avenir de leurs enfants. (Vifs applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Henri de Raincourt. Et pour avoir la sécurité sociale !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Un sénateur du RPR. Nous sommes tous des Bretons !
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la ministre, mes premiers mots seront pour vous dire que nombreux sont ceux qui, dans cet hémicycle, sont heureux, la grande conscience de votre devoir aidant, de vous revoir au banc du Gouvernement. (Applaudissements.)
Ce projet de loi, madame la ministre, était-il nécessaire ? N'avez-vous, madame, aucune autre tâche plus importante à mener à bien ? (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
Vous êtes à la tête d'un département ministériel majeur, l'un de ceux qui relèvent des attributions régaliens de l'Etat et, pourtant, comme le Sénat n'a cessé de le souligner, l'un des plus dépourvus de moyens, en dépit de la progression bienvenue des crédits dont vous disposerez en 1998. (Mme Cerisier-ben Guiga et M. Badinter applaudissent.)
Je salue au passage la décision prise par vous, jeudi dernier, de mettre à la disposition des juges d'instruction en charge des scandales financiers les plus retentissants les éléments humains et matériels qui leur sont nécessaires. (Applaudissements.)
Outre cette priorité du développement de vos moyens, dans l'optique de la nécessaire redistribution du budget de la nation entre les fonctions régaliennes et les tâches d'assistanat généralisé, vous entendez mener à bien une vaste réforme de l'institution judiciaire, modifier le code civil sur des points aussi importants que le divorce ou l'adoption, peut-être aussi favoriser un assouplissement des conditions de détention...
Et vous voilà partie à l'assaut d'une loi dont il n'est pas inutile de souligner qu'elle avait pour origine une proposition du Sénat, une loi dont les dispositions s'inspiraient largement des conclusions d'une commission pluraliste - peut-être préféreriez-vous « d'une commission plurielle » - ...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Singulière !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... présidée par un éminent juriste, M. Marceau Long, une loi qui avait tout juste quatre ans, qui a été reconnue conforme à la Constitution et qui connaît, aux dires des personnes les plus qualifiées, un degré d'application satisfaisant, ce qui, soit dit en passant, est loin d'être le cas pour un grand nombre de ces textes dont les gouvernements successifs accablent le Parlement, l'administration et les citoyens.
Un grand journal du soir, daté du 6 février 1996, le constatait d'ailleurs, puisque, sous le titre : « Le nombre de naturalisations atteint son plus haut niveau depuis 1945 », il n'hésitait pas à écrire : « La manifestation de volonté, instaurée en 1993 pour les jeunes nés en France de parents étrangers, paraît bien acceptée ».
Et M. Patrick Weil lui-même ne consigne-t-il pas dans son rapport : « Les craintes souvent exprimées au moment de l'adoption de la loi de 1993 que les jeunes pourraient boycotter la nouvelle procédure paraissent aujourd'hui non fondées. »
Devant ce faisceau de constatations concordantes, qu'ont donc pu arguer les zélateurs du projet de loi dont nous sommes saisis ?
On a parlé - pas vous-même, madame, à l'instant, mais pas n'importe qui, puisqu'il s'agit de M. le Premier ministre en personne dans un moment d'égarement sans doute - de « rétablir le droit du sol ». Mais la loi de 1993 ne l'avait aucunement remis en cause.
On a évoqué certains dysfonctionnements, d'ailleurs issus pour la plupart moins de la loi elle-même que du génie de l'administration à compliquer ce qui est simple, pour reprendre l'expression même dont s'est servi devant la commission un grand commis de l'Etat, M. Marceau Long.
Mais vous avez vous-même reconnu devant la commission des lois qu'il fallait être très prudent sur les chiffres.
Mais comment prétendre dresser un bilan quand le délai de cinq ans ouvert par la loi pour la manifestation de volonté n'est, pour la plupart des intéressés, pas même encore expiré ?
M. Jean Chérioux. C'est incroyable !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Mais chacun constate que cette manifestation intervient de plus en plus avant l'âge de la majorité légale, autour de dix-sept ans.
Mais l'on s'accorde à situer entre 1,8 % et 2,6 % les taux de refus de l'enregistrement de cette manifestation.
Mais, s'il fallait que les moindres dysfonctionnements d'une loi en appellent une autre pour les corriger, ...
M. Paul Masson. Il y aurait du travail !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... alors que, le plus souvent - en tout cas en l'espèce - un effort de pédagogie et d'information suffit pour y remédier, alors madame la ministre, le Parlement siégeant jour et nuit, sans interruption depuis le 1er janvier jusqu'à la Saint-Sylvestre ne suffirait pas à la tâche ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
Tout cela paraît si évident que certains ont usé d'arguments moins élaborés.
Mme le ministre de l'environnement - mais à sa décharge, disons sans plus attendre qu'elle n'était pas encore en responsabilité - a cru pouvoir confesser en 1995 au magazine Les Inrockuptibles « qu'elle n'avait jamais eu conscience d'appartenir à une communauté quelconque ».
M. Josselin de Rohan. Ah ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. Le président de la Ligue des droits de l'homme a, de son côté, qualifié la démarche engagée en 1993 de « vexatoire », d'autres d'« humiliante ». On croit rêver !
M. Marcel Charmant. Il a raison !
M. Jean Chérioux. C'est humiliant pour les Français !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Sur un registre plus modéré, plus en rapport avec votre nature, madame, et avec la charge éminente qui est la vôtre, vous y avez vu « une démarche paperassière ».
Que n'avez-vous, avant d'élaborer votre projet de loi, suivi le conseil donné dans les Lettres persanes de ne jamais toucher à la loi que d'une main tremblante ! (Exclamations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Cela vous va bien !
M. Marcel Charmant. On ne peut pas trembler sans la loi !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. « Comment peut-on être persan ? »
M. Christian Bonnet, rapporteur. Avez-vous pu demeurer sourde à l'émouvant témoignage de notre collègue M. Arthur Paecht, il y a peu, à l'Assemblée nationale ? « J'ai des enfants, des petits-enfants, tous Français, alors que je n'ai pas une goutte de sang français dans les veines... Je leur montre des albums de photos... Mais il y a une photo que je n'ai pas : celle du jour où je suis devenu français. »
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Pour lui, obtenir la nationalité française sur simple déclaration était frustrant : « C'était pourtant, après la perte de mes parents, le jour le plus important de ma vie. » (Applaudissements sur certaines travées du RPR.) De cette expérience douloureuse, ce député, dont les avis font autorité en matière de défense, a tiré la conviction de la nécessité d'une démarche de volonté, celle-là même que vous nous proposez de supprimer, dans le droit-fil d'une philosophie privilégiant la facilité déjà appliquée, il y a peu, à l'inscription sur les listes électorales.
M. Dominique Braye. Comme toujours, la facilité !
M. Christian Bonnet, rapporteur. De son côté, notre excellent collègue M. Crépeau n'a-t-il pas,au Palais-Bourbon, assorti son vote favorable de l'une de ces remarques de solide bon sens dont il est coutumier : « On a tendance à légiférer beaucoup trop, beaucoup trop vite, et peut-être sans tenir compte d'un certain nombre de réalités actuelles qui tiennent à la démographie du monde, qui tiennent à la liberté physique des gens de circuler » ?
« Beaucoup trop vite », a dit cet ancien ministre, et sans doute visait-il par là la stupéfiante déclaration d'urgence dont a été assorti le dépôt d'un texte portant sur un sujet fondamental et sensible entre tous, dès lors qu'il touche au sentiment national, déclaration d'urgence contre laquelle M. le président du Sénat a cru devoir élever une protestation solennelle auprès de M. le Premier ministre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est la première fois !
M. Christian Bonnet, rapporteur. La commissionMarceau Long avait, quant à elle, consacré six mois à cette affaire et procédé à quelque cent auditions.
La loi avait été débattue suivant la procédure ordinaire.
Et voilà qu'aujourd'hui vous invitez le Parlement à voter à la hâte, toutes affaires cessantes, en quelque sorte à la sauvette,...
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Marcel Charmant. Pas du tout ! On a le temps !
M. Robert Pagès. C'est une longue sauvette !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... une disposition qui fait fi du principe posé par Julien Benda dans son livre intitulé Esquisse d'une histoire des Français dans leur volonté d'être une nation : « La formation des Français en nation est le résultat d'une volonté. »
Non, madame la ministre, ce projet de loi ne correspondait à aucune nécessité...
Quant à la décision de déclarer l'urgence, mieux vaut sans doute, de peur d'être irrévérencieux, s'abstenir de la qualifier, d'autant que nous est proposé à l'article 20 - contradiction ubuesque - de fixer la date d'entrée en vigueur au premier jour du sixième mois suivant sa publication au Journal officiel .
Pourquoi ouvrir précipitamment un tel dossier, alors que - pour n'en citer qu'un, hélas ! d'actualité - demeure en suspens le texte sur la répression des atteintes sexuelles aux mineurs ?
M. Jean-Pierre Schosteck. Et là, il n'y a pas urgence !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Ne répondant à aucune nécessité, le projet de loi du Gouvernement était moins encore opportun.
Issu d'un concept irénique, il fait fi « d'un certain nombre de réalités actuelles », pour reprendre les mots mêmes dont s'est servi M. Crépeau.
Si notre législation sur la nationalité est, de longue date, fondée sur le droit du sol, elle s'est au fil des ans adaptée aux réalités du moment.
Vous avez cité les dates des principales lois intervenues en la matière, madame la ministre.
Nous ne sommes plus en 1889, époque où la France ne songeait qu'à prendre sa revanche sur la défaite de 1870 et où nos compatriotes, soumis à des obligations militaires strictes et de longue durée, vivaient très mal l'avantage dont bénéficiaient les jeunes nés de parents étrangers vivant en France et qui, eux, en étaient exonérés.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On en a fait de la chair à canon !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Nous ne sommes plus en 1927, époque marquée par le souci de compenser si peu que ce soit l'hémorragie de la guerre de 1914-1918.
Nous ne sommes plus en 1945, époque dominée par l'ampleur des tâches de reconstruction à mener à bien.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Parlons de la Libération !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Nous ne sommes plus en 1973, terme d'une époque faste marquée par une forte croissance et par le plein emploi.
Nous sommes en 1997, et nous sommes confrontés à la situation d'aujourd'hui.
M. Marcel Charmant. Nous ne sommes donc plus en 1993 !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Les facilités de circulation aidant, et tout autant la connaissance immédiate à travers les moyens modernes de communication de toutes les informations susceptibles d'éveiller dans le monde l'espoir d'être accueilli puis régularisé dans un pays développé,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Et naturalisé !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... nous sommes passés d'une immigration de proximité à une immigration de distance,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Il recommence !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... au propre comme au figuré, sur le plan culturel ; comme sur le plan géographique.
M. Dominique Braye. Absolument !
Mme Joëlle Dusseau. C'est faux !
M. Christian Bonnet, rapporteur. M. Philippe Bataille, dans un récent ouvrage qui date du mois d'octobre, constate que la part des étrangers européens présents en France est passée de 88 % en 1946 à 60 % en 1975 et à 47 % en 1982.
Et sans doute la part des étrangers européens a-t-elle encore diminué depuis cette date où, déjà, l'émigrant venu d'Afrique représentait 42,8 %.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ils étaient Français avant la guerre !
Mme Joëlle Dusseau. Les Européens ne sont pas plus assimilables que les autres !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Le temps n'est plus - je regrette de le dire, madame Dusseau - où la France intégrait rapidement Italiens - je me fais un devoir autant qu'un plaisir de les citer en tout premier lieu devant vous, madame le garde des sceaux - ...
Mme Joëlle Dusseau. On les tuait !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... Espagnols - je pense, ce disant, aux républicains franchissant nos frontières, en 1939 - ...
M. Robert Pagès. On les mettait dans des camps !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... Portugais, Polonais,...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. On disait « les Polaks » !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... Russes blancs, Arméniens ou encore populations de diverses nationalités chassées d'Europe centrale par des régimes racistes.
Force est aujourd'hui de constater - sans pour autant créer de confusion entre deux débats que le Gouvernement a sans doute eu le tort de faire venir en discussion concomitamment - que la population étrangère appelée à acquérir la nationalité française par le droit du sol est fort différente de celle d'hier et d'avant-hier.
Mme Joëlle Dusseau. Et beaucoup plus intégrable !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Ainsi est-ce à raison qu'au Palais-Bourbon M. Kossowski, dont le grand-père est venu de Biélorussie en 1914, a pu avancer - cette phrase figure au Journal officiel -, « les immigrés d'aujourd'hui sont très différents de ceux d'autrefois, issus de pays où dominait la civilisation judéo-chrétienne ou gréco-latine. » (Vives protestations sur les travées socialistes.)
M. Dominique Braye. Très juste !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est du racisme ! (Protestations sur les travées du RPR.)
Mme Joëlle Dusseau. Ceux d'aujourd'hui sont plus assimilables !
M. Pierre Mauroy. Ceux d'autrefois étaient sans aucune instruction !
M. Christian Bonnet, rapporteur. La vérité, c'est que nous sommes passés d'une immigration de travailleurs à une immigration d'allocataires (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste. - Vives protestations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen)...
M. Pierre Mauroy. C'est scandaleux !
Mme Hélène Luc. C'est honteux, et encore plus de la part d'un ancien ministre !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... et ce au moment même où les principaux facteurs d'intégration par la socialisation se sont singulièrement affadis. (Nouvelles protestations sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
L'école de la République est en crise, et comment les maîtres en transmettraient-ils les valeurs dans des classes où nombreux sont ceux de leurs élèves qui ne maîtrisent pas même notre langue ?
M. Christian Demuynck. Très bien !
M. Christian Bonnet, rapporteur. L'institution familiale est en crise. Les religions implantées de longue date en France sont en crise, alors même qu'une autre progresse de jour en jour...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud. Absolument !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Le service militaire est en voie de disparition...
Mme Hélène Luc. C'est vous qui l'avez supprimé !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... et sans doute tout cela explique-t-il que la seconde génération, loin de se fondre plus aisément que la première dans le creuset français, s'avère paradoxalement celle qui a le plus de difficultés, voire parfois de répulsion, à s'intégrer.
M. Philippe Marini. Très bien !
Mme Joëlle Dusseau. Ce n'est pas vrai !
M. Christian Bonnet, rapporteur. L'intégration, cette ambition généreuse, se heurte à l'obstacle d'une immigration de masse...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. « Algérie française » !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... et d'une immigration de ressortissants relevant de communautés attachées à des valeurs radicalement différentes des nôtres, quand elles ne sont pas antinomiques.
Mme Joëlle Dusseau. Ce n'est pas vrai !
M. Marcel Charmant. Et quand ils habitaient des départements français, ils étaient bien français !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Elle bute également sur l'affaiblissement de notre capacité d'intégration, dans un climat économique, social et psychologique contraire.
Il en va de l'intégration comme d'un alcaloïde : à dose modérée, elle est un stimulant, à dose massive d'éléments étrangers à notre culture, elle est susceptible d'altérer une identité qui n'est plus aussi robuste qu'elle le fut. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR. - Exclamations sur les travées socialistes.)
Mme Joëlle Dusseau. Pas plus aujourd'hui qu'en 1925 !
M. Christian Bonnet, rapporteur. La nationalité, dont le doyen Hauriou a pu écrire qu'elle est « une mentalité », n'a-t-elle d'ailleurs pas été définie par la Cour internationale de justice dans le célèbre arrêt Nottebohm comme « un lien juridique ayant à sa base un fait social de rattachement, une solidarité effective d'existence, d'intérêts, de sentiments, joints à une réciprocité de droits et de devoirs » ?
M. Ivan Renar. Et alors ?
Mme Joëlle Dusseau. Oui, et alors ?
M. Marcel Charmant. Qui dit le contraire ?
M. Christian Bonnet, rapporteur. Or, qui oserait aujourd'hui affirmer qu'une nationalité acquise passivement par des hommes et des femmes venus d'un ailleurs souvent plus éloigné du fait de la culture que de celui de la géographie...
Mme Joëlle Dusseau. Mais ce n'est pas vrai !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... serait de nature à tisser les liens d'une telle solidarité et à engendrer une claire conscience des devoirs ?
M. Michel Dreyfus-Schmidt. « Comment peut-on être persan ? »
M. Christian Bonnet, rapporteur. Banaliser la citoyenneté est une mauvaise action à un triple titre.
Cela heurte le sentiment national. (M. Robert Pagès proteste.)
M. Louis-Ferdinand de Rocca Serra. Un peu de bon sens !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Cela nourrit les menées xénophobes.
Cela risque, en favorisant sans mesure l'incorporation d'éléments inassimilables (Vives protestations sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.), ...
M. Marcel Charmant. C'est honteux !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... d'aboutir à terme à une véritable désintégration du corps social. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR. - Vives exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Pierre Mauroy. C'est scandaleux !
M. Michel Dreyfus. C'est ce que Darquier de Pellepoix disait à Léon Blum !
M. Christian Bonnet, rapporteur. Pour l'ensemble des raisons que je viens de développer, la commission des lois a estimé nécessaire de confirmer la position prise en 1993 par la Haute Assemblée, dans le cadre d'un débat à l'origine duquel elle se trouvait d'ailleurs, et de rejeter dès lors toutes les dispositions du projet de loi tendant à remettre en cause une manifestation de volonté qui mériterait d'ailleurs de revêtir un minimum de solennité. (Très bien ! sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
Pour chasser, madame la ministre, tout soupçon...
M. Marcel Charmant. C'est vous qui en créez !
M. Christian Bonnet, rapporteur. ... sur la motivation profonde, quoi qu'en pensent certains, de cette prise de position, je vous convie à méditer avec moi l'analyse que faisait Montesquieu des causes de la décadence de Rome. (Rires sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. « Comment peut-on être Persan ? »
M. Christian Bonnet, rapporteur. « Rome - écrivait-il - cette ville déchirée qui ne forme plus un tout ensemble... Cette ville déchirée où l'on était citoyen comme par une sorte de fiction, où l'on n'avait plus les mêmes dieux, les mêmes temples, les mêmes sépultures, et où l'on n'avait plus, dès lors, le même amour de la patrie ! » (Applaudissements prolongés sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme Hélène Luc. Les résistants italiens et espagnols ont montré combien ils aimaient la France, et ils se sont fait tuer pour elle !

Dépôt d'une motion tendant à soumettre
au référendumle projet de loi