M. le président. Par amendement n° 36, M. Marini propose d'insérer, après l'article 27 quater, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Après le premier alinéa de l'article 8 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsque la propriété des parts est démembrée, l'usufruitier est soumis à l'impôt sur le revenu pour la quote-part correspondant aux bénéfices qui lui sont alloués. Le nu-propriétaire n'est pas soumis à l'impôt sur le revenu à raison du résultat imposé au nom de l'usufruitier. Cette disposition présente un caractère interprétatif. »
« II. - Les pertes de recettes résultant pour l'Etat de l'application du I ci-dessus sont compensées à due concurrence par un relèvement des droits figurant aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus à l'article 403 du code général des impôts. »
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Cet amendement vise la situation des sociétés de personnes, dont certaines parts sociales font l'objet d'un démembrement de propriété.
Depuis une interprétation récente de l'article 8 du code général des impôts, interprétation qui provient d'une réponse ministérielle du 27 février 1995, les bénéfices issus de ces parts sont considérés comme imposables entre les mains du nu-propriétaire alors même qu'ils sont distribués à l'usufruitier. Ce dernier étant lui-même susceptible d'être imposé sur les mêmes sommes au titre de ce qu'on appelle les revenus innommés, il en résulte une menace permanente de double imposition. Cela paraît donc devoir être corrigé.
Afin de tenir compte des droits financiers de l'usufruitier sur le résultat courant de l'exploitation et pour éviter ce risque de double imposition, il vous est proposé de confirmer l'assujettissement de l'usufruitier à l'impôt sur le revenu à raison de la quote-part de résultat qui lui revient et d'exonérer le nu-propriétaire du même montant.
Pour ne pas remettre en cause les impositions antérieurement établies, conformément à la pratique, au nom de l'usufruitier, la nouvelle disposition devrait avoir un caractère interprétatif.
J'ai le sentiment que cette disposition - je parle là sous le contrôle, avisé en cette matière, de M. le rapporteur général - est conforme au principe traditionnel du code civil qui distingue bien les revenus d'un côté, les plus-values et les gains en capital, de l'autre. La réponse ministérielle de février 1995 à laquelle je faisais allusion semble fort contestable, puiqu'elle va à l'encontre de ce vieux principe civiliste assujettissant le nu-propriétaire à l'impôt frappant le capital et l'usufruitier à l'impôt frappant le revenu.
Certes, il est arrivé que ce principe rencontre des exceptions, mais pour des raisons bien précises, en particulier pour les besoins de telle ou telle législation : je pense notamment aux dérogations accordées dans le cas de la taxe foncière et dans le cas de l'impôt de solidarité sur la fortune. Mais il s'agit de raisons qu'il est possible d'analyser, d'exposer et dont on peut discuter.
La disposition que je vous propose, mes chers collègues, devrait pouvoir régler de façon claire pour les intéressés les quelques situations dont il s'agit, en conformité avec les principes traditionnels du code civil et en évitant les risques de double imposition.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. La commission des finances s'incline devant les qualités de civiliste de notre ami Philippe Marini, dont l'argumentation, au plan civil - mais je n'ai qu'une modeste compétence en la matière - m'a paru absolument incontestable.
La commission des finances ne connaît pas de dispositions légales autres que celles qui ont été évoquées concernant certains types d'impôts, qui justifient l'imposition de l'usufruitier comme si le droit de propriété n'avait pas été démembré.
Le code civil fixe précisément les droits et les charges respectives du nu-propriétaire et de l'usufruitier. Il ne devrait donc pas y avoir de difficulté d'application.
Je pense, mon cher collègue, que votre amendement revêt un caractère interprétatif. Sans doute les informations qui seront données par le Gouvernement pourraient-elles être de nature à apaiser les difficultés qui sont survenues et à faciliter la bonne application de la loi sur l'ensemble de notre territoire.
C'est pourquoi, dans un premier temps, la commission des finances souhaite entendre le Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le problème juridique soulevé par cet amendement défendu par M. Marini mérite une attention toute particulière. En effet, comme il l'a expliqué, en cas de démembrement des parts d'une société de personnes, l'imposition est établie au nom de l'associé, c'est-à-dire du nu-propriétaire des parts sociales, en application de l'article 8 du code général des impôts. Cette situation, bien que conforme à la lettre de la loi, n'est pas satisfaisante, car le redevable de l'impôt n'est pas le bénéficiaire du revenu. Cependant, le texte proposé n'est, hélas ! pas acceptable en l'état, car il remet en cause le principe fondamental de l'imposition du résultat dans les sociétés de personnes, à savoir la taxation du résultat fiscal à la clôture de l'exercice, indépendamment de toute décision de distribution effective des bénéfices.
Par ailleurs, les spécialistes estiment que le texte présente quelques imperfections techniques relatives à l'imputation des déficits et à l'imposition des profits exceptionnels.
Enfin, je ferai observer que mes services ont d'ores et déjà engagé une réflexion approfondie sur ce problème techniquement très complexe, qui ne peut être réglé dans la précipitation. Nous aurons donc l'occasion de reparler de ce sujet dans des termes peut-être un peu différents.
C'est pourquoi je demande à M. Marini de bien vouloir retirer son amendement.
M. le président. Quel est, en définitive, l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Dès lors que le Gouvernement s'engagerait auprès de notre collègue Philippe Marini et devant le Sénat à ce que la situation fiscale des redevables, en cas de démembrement de la propriété, soit étudiée, je crois qu'il serait bon que l'amendement soit retiré. Cependant, j'insiste sur le fait que la situation doit être absolument clarifiée, afin d'éviter les doubles impositions et l'insécurité fiscale des redevables.
M. le président. Monsieur Marini, l'amendement n° 36 est-il maintenu ?
M. Philippe Marini. Je remercie M. le secrétaire d'Etat des appréciations qu'il a bien voulu porter. Je souhaiterais, pour ma part, que les études puissent être menées non pas dans la précipitation, mais à un rythme satisfaisant. (Sourires.)
Monsieur le secrétaire d'Etat, je suis personnellement à la disposition de ceux de vos conseillers qui aimeraient recueillir l'avis de tel ou tel parlementaire sur ce sujet en vue d'avancer dans la perspective de prochains textes et d'éliminer ce facteur d'insécurité juridique que, les uns et les autres, nous avons reconnu.
Dans l'espoir que cette concertation sera possible, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° 36 est retiré.

TITRE II

Autres dispositions

Article 28