M. le président. Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° 7 rectifié, M. Lambert, au nom de la commission, propose d'insérer, après l'article 17, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 202 du code général des impôts est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« 4. Toutefois, par dérogation aux dispositions qui précèdent et dans l'hypothèse où le contribuable poursuit l'exercice de sa profession non commerciale dans le cadre d'une société mentionnée aux articles 8 et 8 ter, exerçant une activité libérale, les bénéfices en sursis d'imposition - y compris ceux qui proviennent de créances acquises et non encore recouvrées - et les plus-values latentes incluses dans l'actif social ne font pas l'objet d'une imposition immédiate, à la double condition qu'aucune modification ne soit apportée aux écritures comptables et que l'imposition desdits bénéfices, créances acquises et plus-values demeure possible sous le régime fiscal applicable à la société concernée. »
« II. - Les pertes de recettes résultant des dispositions du I ci-dessus sont compensées à due concurrence par un relèvement des droits visés aux articles 575 et 575 A du CGI. »
Par amendement n° 27 rectifié, M. Ostermann et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après l'article 17, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - L'article 202 du code général des impôts est complété par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« En cas d'apport à une société soumise à un régime réel d'imposition, comme en cas de changement de régime fiscal d'une société placée sous le régime des sociétés de personnes défini aux articles 8 et suivants, le montant des créances acquises et des travaux en cours à la date de l'apport ou du changement de régime fiscal peut être déduit du bénéfice imposable à la condition d'être porté à un compte de réserve spéciale.
« Les sommes prélevées sur cette réserve spéciale sont rapportées aux résultats sociaux de l'exercice en cours lors de ce prélèvement ».
« II. - Les pertes de recettes résultant pour l'Etat de l'application du I ci-dessus sont compensées à due concurrence par un relèvement des droits figurant aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus à l'article 403 du code général des impôts. »
La parole est à M. le rapporteur général, pour défendre l'amendement n° 7 rectifié.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Cet amendement a pour objet d'encourager le regroupement des professionnels libéraux dans les sociétés assujetties à l'impôt sur le revenu dans le cadre des bénéfices non commerciaux en supprimant l'imposition immédiate des créances acquises. Ces dernières ne seraient imposées qu'au fur et à mesure des encaissements dans le cadre de la nouvelle structure.
En effet, l'apport par un professionnel libéral de sa clientèle ou des éléments d'actifs affectés à l'exercice de sa profession à une société civile est fiscalement considéré comme une cessation d'activité qui entraîne la taxation immédiate des travaux en cours et des créances acquises.
Or, les créances acquises mais non encore recouvrées peuvent représenter jusqu'à six mois de chiffre d'affaires. L'imposition immédiate de telles créances est donc de nature à contrecarrer les nécessaires regroupements professionnels que nous connaissons dans certaines activités.
La sévérité d'un tel régime est d'autant moins justifiée que les associés qui se regroupent au sein d'une structure commune continuent leur activité au sein de la nouvelle structure et restent assujettis à l'impôt sur le revenu au titre de la part des bénéfices non commerciaux qui leur revient.
Or, contrairement aux professionnels libéraux qui choisissent d'exercer sous la forme d'une société d'exercice libéral ou sous la forme d'une société civile professionnelle soumise à l'impôt sur les sociétés, aucun assouplissement de la règle de la taxation immédiate des travaux en cours n'est prévu en faveur des contribuables qui continuent leur activité au sein d'une société exerçant une activité libérale sous le régime des bénéfices non commerciaux.
On ne voit donc pas pourquoi les associés resteraient personnellement tenus d'acquitter cette charge fiscale alors que les créances acquises qui vont être encaissées vont constituer le fonds de roulement de la société.
Aussi le présent amendement a-t-il pour objet de transférer à la nouvelle société la charge de l'imposition sur les créances acquises.
M. le président. L'amendement n° 27 rectifié est-il soutenu ?...
Quel est l'avis du Gouvernement sur l'amendement n° 7 rectifié ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement n'est pas favorable à cet amendement.
L'imposition des charges acquises trouve son fondement dans la cessation d'activité que constitue le changement de mode d'exploitation.
Les créances acquises, qui correspondent à la rémunération de l'activité déployée par le professionnel avant son entrée dans la société, sont attachées à l'exploitant individuel.
Prévoir la faculté de les rattacher aux résultats de la société, qui a une personnalité juridique distincte de celle de l'associé, et donc de les imposer au nom de l'ensemble des associés, ne serait justifié, selon le Gouvernement, ni sur le plan juridique ni sur le plan économique.
J'ajoute, monsieur le rapporteur général, que la question des plus-values latentes, qui est également évoquée dans votre amendement, est déjà réglée par le report d'imposition institué par l'article 151 octies du code général des impôts.
J'espère qu'après ces éclaircissements vous voudrez bien, monsieur le rapporteur général, retirer l'amendement, faute de quoi j'en demanderai le rejet.
M. le président. L'amendement est-il maintenu, monsieur le rapporteur général ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je comprends bien les raisons que vous venez d'évoquer, monsieur le secrétaire d'Etat. Je veux néanmoins essayer de vous sensibiliser au réel problème que connaissent, en particulier, certains professionnels du droit - je pense, notamment, aux avocats - confrontés qu'ils sont, sur un marché juridique en pleine expansion, à une concurrence extrêmement vive.
Chacun sait que dans une grande ville comme Paris, en particulier, arrivent de grands cabinets internationaux organisés comme des bataillons, avec des structures juridiques du type de celles des sociétés commerciales, et qui engagent une compitition très vive avec des cabinets dont la taille et le régime fiscal les placent dans des conditions de concurrence très défavorables.
Vous faites valoir, monsieur le secrétaire d'Etat, que chaque régime a une cohérence et que la demande que je fais porte atteinte à cette cohérence et à l'orthodoxie des régimes.
Pour ma part, je trouve assez curieux qu'un professionnel qui va s'associer dans une société civile professionnelle, soit immédiatement soumis à l'imposition pour ses créances acquises, alors que, s'il cède son activité, il va, cédant son cabinet, céder les créances acquises à celui qui lui succédera et ne sera donc pas imposé. J'y vois une forme d'injustice.
Il faudrait que nous essayions d'avoir une approche économique de la question. Je sais que la fiscalité a sa propre logique, mais la fiscalité n'a d'avenir - je parle sous votre contrôle, monsieur le secrétaire d'Etat - que si elle ne s'éloigne pas durablement de l'économie. Or, en l'espèce, elle s'en éloigne dangereusement.
Voilà pourquoi, malgré mon désir d'être agréable au Gouvernement à l'occasion de cette reprise, je ne peux pas retirer l'amendement.
Votre réponse, monsieur le secrétaire d'Etat - je vous le dis avec tout le respect que je vous porte - est, au fond, totalement négative ; il n'y a pas d'espoir. Dans ces conditions, il vaut mieux que le Sénat marque sa volonté de résoudre le problème.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur le rapporteur général, peut-être ai-je adopté un ton qui n'était pas le bon ; le Gouvernement est, à l'évidence, sensible à ce problème de concurrence qui se développe dans ceraines professions du fait de l'arrivée sur le marché de grandes organisations venant parfois d'outre-Atlantique avec leur dispositif propre.
C'est d'ailleurs pourquoi, l'article 17 de ce collectif budgétaire prévoit déjà un régime d'imposition très favorable dans le cas où il y a option en faveur de l'impôt sur le bénéfice des sociétés.
Le Gouvernement, qui pourrait être rejoint par la Haute Assemblée sur ce point, fait donc déjà un pas important dans la direction que vous souhaitez. Il ne me paraît pas vraiment nécessaire d'aller au-delà.
En tout cas, soyez assuré que le Gouverneent est attaché au fait que les professionnels français soient à armes égales avec certains cabinets concurrents dans le cadre de la libre prestation de services.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Alain Lambert, rapporteur général. Dans sa réponse, M. le secrétaire d'Etat a visé le cas des professionnels qui optent pour l'impôt sur les sociétés. Or, nombre d'entre eux restent soumis à l'impôt sur le revenu. Il est donc absolument nécessaire, pour couvrir ce cas particulier, que je maintienne l'amendement n° 7 rectifié.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7 rectifié, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 63:

Nombre de votants 308
Nombre de suffrages exprimés 307
Majorité absolue des suffrages 154
Pour l'adoption 210
Contre
97

En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 17.
Par amendement n° 28 rectifié, M. Ostermann et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après l'article 17, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. Dans le paragraphe II de l'article 93 quater du code général des impôts, après les mots : "la loi n° 66-879 du 29 novembre 1966 modifiée," sont insérés les mots : "à une société ou un groupement d'exercice libéral non soumis à l'impôt sur les sociétés constitués conformément aux dispositions de la loi n° 90-1258 du 31 décembre 1990".
« II. Les pertes de recettes résultant pour l'Etat de l'application du I ci-dessus sont compensées à due concurrence par un relèvement des droits figurant aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus à l'article 403 du code général des impôts. »
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Le rapprochement de cabinets distincts au sein d'une structure unique, sous la forme d'apports à une société civile professionnelle non soumise à l'impôt sur les sociétés, est susceptible, aux termes du droit fiscal en vigueur, d'être interprété comme une cessation d'activité.
Le paragraphe II de l'article 93 quater du code général des impôts prévoit un report d'imposition de la plus-value constatée lors de l'apport par un associé de la clientèle ou des éléments d'actif affectés à l'exercice de sa profession, et cela seulement à une société civile professionnelle.
Cet amendement vise donc à introduire un peu plus de souplesse ; il devrait être complémentaire du dispositif qui nous est proposé par le Gouvernement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ? M. Alain Lambert, rapporteur général. La commission des finances considère que cet amendement vise assez peu de contribuables, puisqu'il s'agit du cas des regroupements de professionnels libéraux au sein d'une société d'exercice libéral ou de groupement d'exercice libéral non soumis à l'impôt sur les sociétés, qui ne relèvent d'aucun des dispositifs existants.
Il s'agit donc d'une harmonisation opportune bien que, selon la commission des finances, le nombre de professionnels libéraux qui optent pour l'exercice de leur profession sous la forme d'une société d'exercice libéral non soumise à l'impôt sur les sociétés n'est sans doute pas considérable ; de plus, une telle disposition ne devrait pas être très coûteuse.
La commission a émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Cet amendement est sans objet. En effet, le problème qui est soulevé est déjà réglé par le report d'imposition institué par l'article 151 octies du code général des impôts.
Dans la mesure où cet amendement est redondant, je vous prie, monsieur Marini, de bien vouloir le retirer, sinon, j'en demanderai le rejet.
M. le président. Monsieur Marini, l'amendement n° 28 rectifié est-il maintenu ?
M. Philippe Marini. Compte tenu de la réponse de M. le secrétaire d'Etat, je crois comprendre que le droit existant permet de résoudre de manière satisfaisante le problème posé. Dans ces conditions, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° 28 rectifié est retiré.
Par amendement n° 29 rectifié, M. Ostermann et les membres du groupe du Rassemblement pour la République proposent d'insérer, après l'article 17, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Le 1 de l'article 93 du code général des impôts est complété par un paragraphe additionnel ainsi rédigé :
« Les charges sociales obligatoires assises sur le bénéfice déterminé comme il est prévu ci-dessus, dues par les personnes exerçant une profession libérale réglementée et adhérant à une association agréée et qui seront à payer au cours d'une année suivante, peuvent être déduites du bénéfice déterminé comme ci-dessus.
« Cette option est définitive ; elle est faite par décision écrite annexée à la première déclaration du résultat. »
« II. - Les pertes de recettes résultant pour l'Etat de l'application du I ci-dessus sont compensées à due concurrence par un relèvement des droits figurant aux articles 575 et 575 A du code général des impôts et par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus à l'article 403 du code général des impôts. »
La parole est à M. Marini.
M. Philippe Marini. Cet amendement a pour objet de supprimer une distorsion fiscale liée au décalage, en revenus au titre des bénéfices non commerciaux - BNC - entre l'exercice de calcul des cotisations sociales et l'exercice d'imputation de ces cotisations, en en rattachant le paiement et la déduction du revenu imposable à l'année qui a engendré la charge correspondante.
Il nous paraît justifié par les effets pervers spécifiques de l'imputation de ces charges sociales obligatoires sur des revenus BNC qui sont par nature fortement variables. Il répond à la fois à un souci de justice fiscale par rapport aux salariés et aux artisans et commerçants, dont les cotisations sont précomptées et non post-comptées, et, surtout, à une nécessité économique : ces cotisations sociales peuvent en effet être calculées sur une assiette élevée puis non seulement être payées à partir d'un revenu réduit, si l'activité a baissé, mais, en outre, être déduites de ce revenu imposable à un taux beaucoup plus faible. De ce fait, cette déduction ne sera que partielle, alors qu'elle devrait être effectuée au taux correspondant au revenu ayant engendré cette charge déductible.
L'incidence devrait, selon nous, être neutre pour les finances publiques, compte tenu du caractère irrévocable de l'option.
Cet amendement vise donc à préciser le dispositif gouvernemental concernant les sociétés d'exercice libéral.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. La commission des finances a considéré que cet amendement posait un vrai problème. Du fait de la tenue de la comptabilité des professionnels libéraux en encaissements-décaissements, leurs charges sociales et la CSG sont calculées sur le revenu de l'année « n », mais payées et déduites lors de l'encaissement réel des revenus, c'est-à-dire lors de l'année « n+1 ». Un tel décalage entre l'exercice de calcul des cotisations et l'exercice d'imputation engendre des effets de ciseaux importants lorsque les revenus varient d'une année sur l'autre. Ce constat a amené la commission des finances à souhaiter ardemment que le Gouvernement puisse apporter une réponse positive à l'auteur de l'amendement, auquel, pour sa part, elle est plutôt favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement est défavorable à l'amendement pour les arguments développés par M. le rapporteur général. D'abord, cette mesure complique la comptabilité ; ensuite, la première année, les cotisations sociales pourraient être déduites deux fois, ce qui serait coûteux pour l'Etat.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 29 rectifié, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 17.

Article 18