DIVERSES MESURES URGENTES
RELATIVES À L'AGRICULTURE
Adoption des conclusions du rapport
d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 155, 1997-1998) de M. Gérard César, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan sur la proposition de loi (n° 8 rectifié, 1997-1998) de MM. Gérard César, Alain Pluchet, Michel Alloncle, Louis Althapé, Henri Belcour, Jean Bernard, Roger Besse, Jean Bizet, Yvon Bourges, Jacques Braconnier, Gérard Braun, Dominique Braye, Jean-Pierre Camoin, Auguste Cazalet, Désiré Debavelaere, Michel Doublet, Gérard Fayolle, Hilaire Flandre, Philippe François, Yann Gaillard, Alain Gérard, François Gerbaud, Charles Ginésy, Adrien Gouteyron, Georges Gruillot, Bernard Hugo, Jean-Paul Hugot, Jean-François Le Grand, Maurice Lombard, Jacques de Menou, Roger Rigaudière, Louis Souvet, Martial Taugourdeau, Jacques Valade, Alain Vasselle, Serge Vinçon et les membres du groupe du Rassemblement pour la République, apparentés et rattaché administrativement, MM. Jean Huchon, Louis Moinard, Alphonse Arzel, Bernard Barraux, Michel Bécot, Marcel Deneux, Francis Grignon, Pierre Hérisson, Rémi Herment, Kléber Malécot, Louis Mercier, Jean Pourchet, Jacques Rocca Serra, Michel Souplet et les membres du groupe de l'Union centriste et rattachés administrativement, MM. Henri Revol, Jean-Paul Emin, Mme Janine Bardou, MM. Jean Boyer, Marcel-Pierre Cleach, Jean-Paul Emorine, Mme Anne Heinis, MM. Jean Pépin, Jean Puech, Jean-Pierre Raffarin, Charles Revet et les membres du groupe des Républicains et Indépendants, apparenté et rattaché administrativement, MM. Jean-François-Poncet, Georges Berchet, Fernand Demilly, Bernard Joly, Jean-Marie Rausch, Raymond Soucaret, Jacques Bimbenet, Paul Girod, Pierre Jeambrun, Pierre Laffitte, André Vallet, Jean Grandon, Jacques Habert, Philippe Adnot, Philippe Darniche, Hubert Durand-Chastel, Alfred Foy, Jean-Pierre Lafond, André Maman et Alex Türk, portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur. M. Gérard César, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'objectif du texte de la commission des affaires économiques et du Plan est de permettre l'adoption de mesures urgentes en faveur de notre agriculture.
La commission considère comme primordiales ces dispositions. Cette appréciation procède, monsieur le ministre, d'une analyse minutieuse de l'environnement national, communautaire et international dans lequel évolue notre agriculture.
A l'échelon national, l'année 1996 a été marquée par une quasi-stagnation du revenu agricole. Par ailleurs, les crédits affectés au ministère de l'agriculture et de la pêche ayant trait à l'installation et à la modernisation sont en baisse, alors que l'on constate une hausse des dépenses d'administration de plus de 2 %. En outre, en reportant au premier semestre de 1998 l'examen du nouveau projet de loi d'orientation agricole, monsieur le ministre, le Gouvernement a pris le risque de présenter un texte soit trop tardivement pour influer sur les propositions de la Commission européenne au sujet de la réforme de la politique agricole commune, soit trop tôt pour en tenir compte.
La commission regrette, par ailleurs, l'orientation qui se dégage du document préparatoire au projet de loi d'orientation agricole présenté au mois de septembre dernier par le Gouvernement. Il m'a semblé que ce document était construit sur l'hypothèse que la France disposait de deux agricultures. L'une serait compétitive, adonnée à la production de masse, capable d'affronter le marché mondial, dépourvue de vocation territoriale et relevant de la juridiction européenne. L'autre, très axée sur la qualité, mais moins productive, souffrant de handicaps naturels, fragile, bénéficierait prioritairement des aides nationales.
Cette distinction nous laisse perplexes, monsieur le ministre, car d'abord elle est sommaire et, ensuite, elle pourrait, se révéler dangereuse. En effet, si l'on concentrait la majeure partie du bénéfice d'un traitement communautaire sur les exploitations qui relèvent de la logique de marché, c'est vers elles qu'iraient l'essentiel des crédits européens.
A l'échelon communautaire et international, la commission constate que, quelques années à peine après la dernière réforme de la politique agricole commune, un nouvel exercice reprend, qui risque de remettre en cause les fondements sur lesquels la politique agricole commune était construite.
Le schéma soumis par Bruxelles dans le cadre de l'Agenda 2000 n'est certes pas définitif. Mais il traduit malheureusement un alignement anticipé sur les positions de Washington.
Les conséquences d'une telle attitude sont très sérieuses, monsieur le ministre.
D'une part, la Commission renonce à aborder la future négociation à partir d'un modèle commun, conforme aux réalités agricoles européennes telles qu'elles existent.
D'autre part, pour réaliser cette adaptation, elle n'envisage qu'un seul instrument, la baisse systématique de tous les prix. Stratégie sommaire, qui, même si elle correspond à certains de nos objectifs, tourne le dos, pour l'essentiel, à notre conception d'une agriculture enracinée dans la diversité historique de ses terroirs.
Face à la situation créée par les propositions de Bruxelles, il serait regrettable que la France se contente de réactions ponctuelles, concernant tel ou tel aspect particulier du dossier. C'est une reconstruction d'ensemble des propositions de la Commission européenne que la France doit proposer.
Le texte que la commission des affaires économiques vous propose, monsieur le ministre, reprend la quasi-intégralité des mesures figurant dans la proposition de loi signée par l'ensemble de la majorité sénatoriale. Il la complète par des mesures urgentes relatives à l'organisation économique et au contrôle des structures.
Ces conclusions, que nous allons examiner à la veille du Conseil européen du Luxembourg, revêtent, dès lors, une valeur de symbole. C'est un signal fort que le Gouvernement français doit s'efforcer de prendre en compte.
Ces conclusions ne s'opposent en aucune façon au futur projet de loi d'orientation agricole ; elles le préparent en permettant la mise en place de mesures dont notre agriculture a besoin rapidement et ouvrent un véritable débat sur des questions aussi fondamentales que le fonds agricole, le contrôle des structures, l'organisation économique, le statut du conjoint, l'installation, la coopération en agriculture et la politique de qualité alimentaire.
C'est pourquoi la commission des affaires économiques souhaite que ces dispositions fassent l'objet du consensus qu'appellent la sauvegarde et la promotion d'un modèle agricole français spécifique au sein de l'Union européenne et dans le monde en général.
Les conclusions de la commission comptent vingt-sept articles, dont dix-huit proviennent de la proposition de loi n° 8 rectifiée. Je tiens à vous préciser, monsieur le ministre, que ce texte a été soumis, au cours de nos auditions, à l'ensemble des organisations professionnelles, qui y sont en grande partie très favorables.
Le titre Ier porte sur l'entreprise agricole et comprend deux articles :
L'article 1er introduit une nouvelle rédaction de l'article relatif au financement des exploitations agricoles. Le texte proposé apporte deux innovations.
En premier lieu, il est mentionné expressément que l'attribution de l'aide financière prend en compte l'intérêt du projet d'un point de vue économique, environnemental et social. On trouve ici le souci d'affirmer la trifonctionnalité de l'agriculture, c'est-à-dire ses fonctions économique, sociale et territoriale.
En second lieu, l'aide accordée peut être interrompue, ou même faire l'objet d'un remboursement.
L'article 2 institue un fonds agricole et en définit les modalités de transmission.
L'entreprise agricole aujourd'hui n'est pas reconnue en tant que telle, car elle n'existe qu'à travers l'addition de différents actifs mobiliers ou immobiliers.
Cet article, monsieur le ministre, consacre l'autonomie juridique de l'entreprise agricole organisée autour d'un fonds agricole, comme cela a été fait pour l'artisanat.
La commission considère comme urgent que, après la reconnaissance de l'exploitation sur un plan économique, la question de son organisation juridique soit abordée.
Le problème de la cessibilité du bail rural est au coeur du débat sur la reconnaissance de l'entreprise agricole en tant qu'universalité juridique. La commission considère que si, à terme, il semble opportun en la matière de franchir une étape supplémentaire en ouvrant de nouveaux cas de cessibilité du bail, cette démarche doit être progressive et s'effectuer en concertation avec l'ensemble des organisations concernées.
Outre la question du bail rural et de sa cessibilité éventuelle, la création de ce fonds agricole soulève inévitablement le problème de l'hypothétique valeur patrimoniale des références de production.
La commission propose un dispositif permettant la transmission, à titre gratuit, en même temps que celle du fonds, des références de production ou droits à aides.
Selon les informations obtenues, la création d'un fonds agricole est à même d'éviter le démembrement d'exploitations viables. Ainsi, l'estimation du nombre d'exploitations concernées pourrait être de 2 000 à 5 000 par an.
Le titre II porte sur le contrôle des structures des exploitations agricoles.
La commission a souhaité insérer un titre supplémentaire relatif au contrôle des structures, une réforme du contrôle étant de plus en plus urgente. L'inadaptation actuelle de ce système empêche, en effet, environ un millier d'installations chaque année.
Ce titre II relatif aux structures agricoles comprend six articles.
L'article 3 comporte, monsieur le ministre, plusieurs innovations.
Tout d'abord, il est précisé que l'exploitation des biens peut être effectuée à titre individuel ou sociétaire ; il est ainsi pris acte de l'importance actuelle du développement des sociétés en agriculture.
Par ailleurs, la lutte contre le démembrement d'entreprises viables, qui n'apparaissait dans aucun texte, devient l'un des objectifs prioritaires du contrôle.
L'article 4, quant à lui, regroupe l'ensemble des opérations soumises à autorisation préalable dans un même dispositif.
Outre une fusion de l'ensemble des opérations soumises à autorisation préalable, les innovations les plus importantes sont les suivantes.
Les exploitations individuelles et les sociétés sont assimilées en matière de contrôle des structures lors de l'installation, de l'agrandissement ou d'une réunion d'entreprises agricoles. Ce traitement diffère donc du droit en vigueur.
L'article 4 prévoit, en outre, qu'intervient un contrôle des démembrements en cas de suppression d'une exploitation dont la surface est au moins égale à l'unité de référence, en cas d'opération ramenant la surface d'une exploitation en dessous du seuil de référence et en cas de suppression d'un bâtiment essentiel pour l'entreprise.
La commission juge qu'il est urgent, monsieur le ministre, que soit harmonisé un tel contrôle, tant sur le plan des personnes physiques ou morales que sur celui de la nature des opérations réalisées.
L'article 5 fixe les différentes modalités d'examen de la demande d'autorisation par l'autorité administrative en matière de contrôle des structures.
L'article 6 est un article de coordination.
L'article 7 modifie l'article L. 331-8 du code rural. En effet, le dispositif actuel n'offre comme seule possibilité à l'autorité administrative que de transmettre le dossier au procureur de la République en cas de non-respect de la réglementation du contrôle des structures. En outre, le code rural prévoit comme unique sanction économique l'impossibilité de bénéficier des aides publiques à caractère économique ; cette réglementation se révèle donc peu opérante. Or, les dispositions proposées permettent, tout en respectant les droits de la défense, une gradation des mises en demeure avant d'aboutir à la sanction pécuniaire.
La commission considère, monsieur le ministre, comme urgente la mise en place d'une véritable mesure administrative permettant de sanctionner véritablement ceux qui ne respectent pas la loi.
L'article 8 fixe les modalités permettant la contestation de la sanction pécuniaire proposée à l'article 7.
Le titre III porte sur l'organisation économique de la production et sur l'organisation interprofessionnelle agricole.
La commission souhaite insérer un nouveau titre afin de proposer un règlement rapide des difficultés rencontrées actuellement par les organisations de producteurs ainsi que par les organisations interprofessionnelles agricoles. Ce titre comporte deux articles.
L'article 9 tend à proposer une refonte des organisations de producteurs afin de développer et de clarifier l'organisation économique de ceux-ci.
Le texte proposé par cet article se différencie sur un certain nombre de points du droit existant.
L'article 9 précise que toute personne morale, pourvu qu'elle soit constituée volontairement et majoritairement de producteurs, peut être reconnue comme organisation de production, au lieu d'énumérer une liste limitative comme le fait actuellement le code rural.
La double règle concernant la formation d'une organisation de producteurs est simplifiée puisqu'il est précisé que toute organisation de producteurs doit couvrir un secteur de production pour accroître la valorisation des productions agricoles dans le respect des règles communautaires.
Le contrôle, effectué par les producteurs, est absent de la législation existante à l'instar de la fixation de seuils minimaux.
Il en est de même pour la distinction entre les deux types d'organisations de producteurs, l'un relatif à la mise au marché, l'autre à la commercialisation. Cette disposition, prévue à l'article 3, est ignorée actuellement par le code rural.
Les conclusions de la commission énumèrent l'ensemble des mesures que peuvent édicter les organisations de producteurs. Par ailleurs, contrairement à la législation existante, il est clairement indiqué que ces règles « s'imposent » aux membres des organisations de producteurs. Enfin, la prise en compte du facteur statistique afin de mieux gérer l'offre est un élément important.
Si le principe de la priorité des aides publiques à la production organisée est maintenu, sa modulation en fonction du degré d'organisation de l'organisation de producteurs et de services apportés aux membres est une innovation.
La commission considère comme nécessaire, monsieur le ministre, une telle démarche, qui consiste à encourager le regroupement des producteurs.
On peut estimer que deux tiers des organisations de producteurs se trouveront dans le niveau supérieur de l'organisation économique et un tiers au niveau inférieur.
L'article 10 actualise les dispositions relatives à l'organisation interprofessionnelle en tenant compte des nouvelles conditions économiques :
Sur la constitution des organisations interprofessionnelles, le texte proposé prévoit que l'organisation interprofessionnelle regroupe aussi des organisations professionnelles de la distribution.
Alors que le dispositif législatif actuel est silencieux sur le retrait de la reconnaissance sur ce point, le texte proposé pour l'article 1er prévoit les modalités de ce retrait.
En outre, sont précisées les différentes missions exercées par ces différentes organisations. A cette occasion, les organisations interprofessionnelles veulent et peuvent associer en tant que de besoin les organisations représentatives des consommateurs.
Ce dispositif ne se traduit pas par des dispositions juridiques supplémentaires, monsieur le ministre ; au contraire, il tient compte des simplifications ou améliorations suggérées par les organisations elles-mêmes. Il vise, en particulier, à favoriser la prise en compte de la distribution dans les politiques de filière et à associer, lorsque c'est souhaitable, les consommateurs.
Le titre IV porte sur des dispositions fiscales. Il comprend trois articles.
L'article 11 vise à accorder aux associés de coopératives le bénéfice de l'abattement sur les dividendes que les coopératives reçoivent de leurs filiales et qu'elles reversent à leurs sociétaires.
L'article 12 modifie la rédaction de l'article 730 bis du code général des impôts, permettant ainsi de substituer au droit proportionnel un droit fixe pour la cession de parts de sociétés civiles agricoles en matière de droits d'enregistrement.
L'article 13 a pour objet d'étendre aux parts sociales de coopératives la déduction des sommes consacrées à l'acquisition et à la création d'immobilisations nécessaires à l'acquisition de stock ou de produits animaux.
Le titre V porte sur le statut du conjoint. Il comprend huit articles.
L'article 14 est relatif au conjoint « collaborateur ».
L'objectif de la réforme est non pas seulement de créer au profit des conjoints un nouveau statut leur garantissant des droits à retraite améliorés, monsieur le ministre, mais aussi de passer d'un « statut résiduel » à un statut délibérément choisi lorsque ces conjoints n'ont pas souhaité devenir co-exploitant ou associé de société.
L'article 15 modifie le code rural relatif au droit à la retraite forfaitaire des conjoints présumés participant aux travaux de l'exploitation. Selon les prévisions effectuées par la commission, la rachat de points permettra à ceux qui l'effectueront d'acquérir un supplément de retraite d'environ 6 000 francs par an moyennant des cotisations de 44 000 francs, soit un délai de récupération d'un peu plus de sept ans.
On peut évaluer le nombre de ces conjoints âgés de cinquante-cinq à soixante ans participant aux travaux qui auront racheté des points avant de prendre leur retraite à environ 5 100 personnes par an, soit 25 500 personnes de 1998 à 2003.
L'article 16 tend à insérer dans le code rural un nouvel article relatif à la retraite des conjoints « collaborateurs d'entreprise ».
Les conjoints qui opteront pour ce nouveau statut acquerront dorénavant des droits non plus seulement à la retraite forfaitaire mais également à la retraite proportionnelle, à concurrence de seize points par an.
Toutefois, les effets de cette réforme ne se feront sentir que progressivement. Aussi, la commission souhaite qu'une possibilité de rachat de points de retraite proportionnelle soit proposée aux conjoints qui, ayant eu le statut de conjoint participant aux travaux, opteront pour le statut de conjoint collaborateur ou accéderont à celui de chef d'exploitation.
La commission estime, monsieur le ministre, que cette mesure ne devrait entraîner aucun coût budgétaire durant la phase 1998-2003. Elle pourrait même se traduire temporairement par des recettes supplémentaires résultant des rachats de points à taux avantageux.
Au-delà de 2003, compte tenu de la démographie et des conditions réglementaires prévues pour le rachat, les effectifs des conjoints susceptibles d'être concernés par la mesure se réduisent par rapport à la période antérieure. La mesure n'entraîne aucun coût pour le BAPSA jusqu'en 2001. Ensuite, le coût augmente progressivement et sera de toute façon limité.
L'article 17 complète le code rural en précisant qu'il appartient au chef d'entreprise de payer la cotisation de retraite du collaborateur d'entreprise. C'est une disposition de coordination.
L'article 18 permet la prise en charge totale des frais de remplacement en cas de maternité.
L'article 19 vise à insérer dans le code rural un article permettant au conjoint survivant ou divorcé de bénéficier d'une créance de salaire différé. Le mécanisme proposé tend à étendre la créance du salaire différé au conjoint survivant du chef d'entreprise agricole qui a participé directement et gratuitement à l'activité de l'entreprise pendant au moins dix ans.
L'article 20 tend à compléter le code civil compte tenu de la création d'une créance de salaire différé au profit du conjoint survivant ou divorcé.
L'article 21 modifie les dispositions du code rural relatives à la détermination de l'assiette des cotisations dues au régime de protection sociale des personnes non salariées des professions agricoles. Cette réforme présente un grand nombre d'avantages, monsieur le ministre.
Concernant les exploitants, la mise en place d'une assiette forfaitaire provisoire de cotisations sociales permet d'assurer que les cotisations sociales appelées aux exploitants dès le début d'activité seront représentatives des revenus réellement dégagés par l'activité.
D'un point de vue financier, la disposition concernant le transfert entre époux devrait permettre d'écarter le risque d'« évasion d'assiette » à laquelle on pouvait assister dans certains cas.
Cette réforme aura donc une incidence financière faible, contribuant plutôt à mettre fin à des situations mal comprises par les intéressés et à avoir un effet de moralisation sur le prélèvement.
Le titre VI porte sur le titre d'emploi saisonnier agricole et les groupements d'employeurs. Il comprend deux articles.
La création, au début de l'année 1997, du titre « emploi saisonnier agricole » par voie réglementaire concernerait 600 000 saisonniers. Cet article vise donc à consacrer, par la voie législative, ce dispositif que la commission considère comme une réelle avancée.
L'article 23 permet aux CUMA, les coopératives d'utilisation de matériel agricole en commun, de participer aux groupements d'employeurs sans inconvénient fiscal au titre de la taxe d'apprentissage et de la taxe professionnelle.
Ce système devrait être, monsieur le ministre, sans incidence financière puisque l'exonération de la taxe d'apprentissage et de la taxe professionnelle est d'ores et déjà accordée aux exploitants agricoles, aux groupements d'employeurs composés d'exploitants agricoles et aux CUMA.
Le titre VII porte sur la qualité et la valorisation des produits agricoles et alimentaires. Il comprend quatre articles.
L'article 24 vise à la création d'un institut national de la qualité des produits agricoles et alimentaires.
Cet article a notamment pour objectifs d'améliorer la lisibilité des signes officiels de qualité et leur promotion auprès des consommateurs et des opérateurs économiques ; d'assurer la coordination, en particulier entre l'institut national des appelations d'origine, l'INAO, et la Commission nationale des labels et certifications, la CNLC, pour permettre une meilleure cohérence entre les appellations d'origine contrôlées, les AOC, les labels, les certifications de conformité et la certification du mode de production biologique, sans empiéter sur leurs fonctions respectives ; enfin, d'établir un lien permanent avec les instituts de recherche, mais aussi avec les organismes pouvant assurer le développement des démarches de qualité.
L'article 25 modifie le code de la consommation, en offrant la possibilité de mentionner un nom géographique sur les labels et certifications de conformité en dehors de l'indication géographique protégée.
Le code de la consommation dispose qu'un label ou une certification de conformité ne peut mentionner un nom géographique si celui-ci n'est pas enregistré comme indication géographique protégée.
Une telle disposition interdit donc à un produit générique de mentionner sa provenance dans le cadre d'un label ou d'une certification, alors qu'il peut le faire dans le cadre du droit général. Elle freine le développement des labels et certifications de conformité, oriente vers l'indication géographique protégée des produits qui n'en relèvent pas et ne répond pas aux attentes des consommateurs, qui souhaitent être informés sur la véritable origine du produit.
C'est pourquoi il est proposé de modifier le code de la consommation pour autoriser un produit bénéficiant d'un label ou d'une certification de conformité à mentionner un nom géographique, en l'absence d'indication géographique protégée.
Cependant, si ce n'est pas une indication géographique protégée, cette mention ne pourra pas figurer dans la dénomination de vente du produit.
L'article 26 modifie le code de la consommation en rendant nécessaire, pour les organismes certificateurs, l'accréditation par une instance reconnue par les pouvoirs publics.
La modification du code de la consommation a pour objet de se conformer à la réglementation européenne en rendant l'accréditation par le comité français d'accréditation, le COFRAC, obligatoire, et en transférant cette compétence d'accréditation de la commission nationale des labels et certifications au COFRAC.
L'article 27, enfin, modifie le code de la consommation afin de corriger les distorsions de concurrence entre les produits certifiés et les produits standards.
Sous réserve des ces observations, je demande au Sénat d'adopter la proposition de loi dans le texte résultant des conclusions de la commission. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Si vous le permettez, monsieur le président, j'interviendrai en fin de débat.
M. le président. Très bien, monsieur le ministre.
J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 58 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 41 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 25 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 9 minutes.
Je rappelle au Sénat que, à la reprise de la séance, il a été décidé que nous siégerions ce soir après le dîner, si nécessaire. Nous « pousserons » jusqu'à vingt heures, mais pas au-delà.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je serai le seul orateur à prendre la parole au nom du groupe de l'Union centriste, car mon ami Jean Huchon, qui aurait souhaité intervenir ce soir, a dû regagner son Maine-et-Loire natal.
Monsieur le ministre, pourquoi se soucier de l'agriculture quand on est membre du Gouvernement d'un grand pays développé, où la population active agricole diminue sans cesse et représente désormais environ 5 % de la population active totale, où la surproduction agricole ne cesse de croître en volume ?
Je vois deux séries de raisons pouvant motiver un tel souci : les unes sont politiques, les autres économiques.
J'aimerais tout d'abord développer les premières.
Vous avez tenu, monsieur le ministre, lors d'un récent débat dans cette assemblée, les propos suivants : « La fonction principale que j'assigne à l'agriculture, c'est de produire pour l'alimentation. » Nous en avons pris note.
Cela signifie donc que l'agriculture doit produire pour nourrir les hommes, c'est-à-dire assurer une fonction vitale, au sens étymologique du terme - il faut manger pour vivre. Mais en France, aujourd'hui, de même qu'en Europe, continent qui est déjà notre marché, et dans tous les pays où ne se pose plus la question de la subsistance des populations, les comportements alimentaires ont profondement changé au cours des années récentes.
En effet, sur la fonction de nutrition se greffe aujourd'hui une exigence essentielle pour tous les opérateurs économiques qui contribuent à la fourniture de denrées alimentaires pour les hommes, à savoir les attentes des consommateurs en matière de qualité et de sécurité sanitaire.
Il est une autre raison politique que je tiens à évoquer, qui, bien que peu souvent exprimée, est cependant présente dans nos réflexions. En effet, sans apparaître « ringard », on peut affirmer, monsieur le ministre, que la population agricole joue aujourd'hui dans notre pays un rôle particulier, que l'on a de la peine à identifier du fait de sa localisation en milieu rural et du fait de la nature du travail en agriculture, individuel et à responsabilité personnelle ; pourtant, confrontée à la réalité des conditions de vie en milieux difficiles, cette population contribue d'une manière particulière à apporter au pays des valeurs nécessaires à son équilibre social, que le monde urbain, trop jeune encore sans doute, n'a pas jusqu'à présent réussi à développer au même degré.
S'agissant des raisons économiques qui justifient que l'on s'intéresse à l'agriculture, il faut noter que les politiques économiques suivies par la majorité des pays industriels visent à amener les prix des matières premières agricoles au niveau le plus bas possible, souvent en dessous des prix de revient.
C'est là une première difficulté, car on crée, par diverses mesures de correction ou de compensation, par des dispositions catégorielles de nature économique ou sociale mais rarement fiscale, par des décisions administratives de toute nature liées à l'imagination souvent fertile des organisations agricoles et des fonctionnaires des différents ministères qui interviennent dans ce dossier, les conditions d'une économie agricole toujours artificielle.
C'est le schéma simple, qui se complique avec l'intervention de l'Union européenne, laquelle élabore elle aussi une politique agricole commune et des mesures d'application spécifiques. S'ajoutent encore à ce dispositif, depuis quelques années, les règles de l'organisation mondiale du commerce, l'OMC, et des mesures régionales très peu coordonnées entre elles.
Les raisons que je viens d'exposer, monsieur le ministre, sont sans doute celles qui motivent l'action de tout gouvernement d'un pays développé ayant une capacité de production agricole permettant au moins l'autosuffisance.
Mais notre pays, la France, jouit d'une situation géographique particulière, détient une surface agricole par habitant au-dessus de la moyenne, bénéficie d'un climat tempéré, présente une répartition des conditions naturelles et des conditions de production permettant toutes les productions végétales et animales.
Bref, monsieur le ministre, la France est un pays qui, en moins de quarante ans, est devenu le premier exportateur de produits agricoles transformés dans le monde, devant les Pays-Bas, et le deuxième exportateur de produits agricoles non transformés, devant les Etats-Unis. Ces deux postes ont contribué au solde positif du commerce extérieur de la France dans une proportion allant de 35 % à 40 % au cours des cinq dernières années.
Lorsque l'on possède une telle richesse, on se doit de la regarder avec les yeux de Chimène et de lui prodiguer en permanence une sollicitude particulière.
Tout d'abord, il est essentiel que les agriculteurs tirent la meilleure part de leur revenu de la vente de leurs produits, et les prix de marché doivent être aussi élevés que possible. Ce point doit constituer une préoccupation permanente, car les mesures complémentaires en faveur de l'agriculture coûteraient d'autant moins cher.
A ce propos, est-il légitime que le consommateur français, dont le pouvoir d'achat est convenable, ne consacre pas une partie suffisante de ses revenus à son alimentation ? J'ai donné la réponse à cette question à travers le constat que j'ai dressé au début de mon intervention s'agissant du comportement inéluctable des gouvernements des pays industrialisés riches en matière de prix des denrées alimentaires et, par voie de conséquence, d'agriculture et de revenu agricole. Nous avons d'ailleurs tacitement accepté cette situation.
Le décor est ainsi à peu près campé.
Vous avez, monsieur le ministre, la responsabilité de l'administration du premier secteur économique français, dont les performances peuvent être constantes en termes d'apport à la croissance et à l'équilibre socio-économique du pays, mais aussi en matière d'aménagement du territoire et de qualité de l'environnement.
En effet, les performances de ce secteur peuvent être maintenues, à condition que l'on ne se trompe pas dans les orientations qu'il faut donner à l'agriculture. Or c'est sur ce dossier que vous avez un rôle essentiel à jouer, c'est sur ce dossier que se bâtit le souvenir qui restera, monsieur le ministre, de votre passage rue de Varenne.
Nous avons appris, pour la plupart d'entre nous par la presse, que vous aviez mis en place des groupes de travail en vue de la préparation d'un texte d'orientation. On nous dit que leur composition est hétérogène, mais ils travaillent activement. Cependant, la représentation nationale n'a pas encore été consultée, ce qui donne toute son importance au débat de cet après-midi.
Que faut-il faire pour l'agriculture ? Le monde change, et l'environnement de notre pays et de notre agriculture se modifie chaque jour. Par conséquent, l'agriculture et l'industrie agroalimentaire doivent aujourd'hui, dans le contexte général d'évolution de nos sociétés, faire face à de nouvelles exigences. Les questions de santé, le respect de l'environnement, la gestion des espaces ruraux constituent ainsi autant de défis à relever.
A cet égard, nul ne peut nier les mutations ni refuser la réalité. Gardons-nous de l'erreur qui consisterait à laisser croire qu'il suffirait de s'adapter en fonction du passé pour être maître de l'avenir. Monsieur le ministre, la France n'échappera pas aux défis qui s'annoncent et qui imposeront parfois de véritables ruptures avec le passé.
Ainsi, l'agriculture, mais aussi, à un degré moindre, la forêt française, devront être prêtes à affronter le défi que constituent le futur élargissement progressif de la politique agricole commune aux pays d'Europe centrale et orientale et l'internationalisation croissante des échanges dans le cadre de l'organisation mondiale du commerce.
Il est donc nécessaire de créer les meilleures conditions pour relever ce défi, en anticipant et en agissant de manière volontariste, voire offensive. Vous ne ferez pas l'économie, monsieur le ministre, d'une réflexion sur le secteur agricole et alimentaire, composé, pour la plus grande partie, d'entreprises nombreuses et familiales. Vous constaterez alors que, pour créer de la valeur ajoutée et des emplois, c'est-à-dire pour conserver un nombre important d'agriculteurs, il faut poursuivre la politique déjà engagée, qui consiste à relancer l'installation des jeunes, à accentuer l'effort de formation et de qualification des actifs et à favoriser le développement de la capacité d'innovation des entreprises.
Il vous faudra également revoir, parfois avec courage, le statut des exploitations et des personnes non salariées qui y travaillent, rouvrir le dossier de la fiscalité des entreprises et des successions, étudier à nouveau la question de la transmission des droits à produire, redéfinir les missions de l'enseignement agricole, donner plus de cohérence aux relations entre la recherche agronomique et les objectifs de la politique agricole et alimentaire.
Il vous faudra encore, monsieur le ministre, envisager comment pourrait être amplifié le rôle de la filière agricole et agroalimentaire, aujourd'hui forte de la qualité de ses produits, de sa diversité et de ses savoir-faire régionaux, afin qu'elle devienne le véritable créateur d'emplois en milieu rural, enrayant dans certaines régions l'inéluctable déclin de la population active agricole, lié à l'âge des agriculteurs en place et à la trop faible taille des exploitations qui se libèrent. Il sera nécessaire, à ce stade, de réfléchir au rôle de la coopération agricole et à son ancrage particulier au territoire.
Pour prendre en compte l'aménagement du territoire dans votre démarche, il serait bon, monsieur le ministre, que vous vous penchiez sur la politique des structures des exploitations agricoles, sur les conditions de leur transmission et de leur agrandissement, sur le fonctionnement des commissions départementales d'orientation et sur le rôle joué par les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER. Il conviendra également, à cet égard, d'inclure dans le champ de votre réflexion le secteur forestier, lequel recèle un potentiel important, qui, sous certaines conditions restant à préciser, pourrait permettre de constituer une filière bois performante.
Vous devrez aussi, monsieur le ministre, nous indiquer comment vous comptez soutenir les initiatives en cours, dont certaines sont déjà porteuses de réussites, visant à faire jouer un rôle à l'agriculture française en matière de fourniture d'énergie : la biomasse, les biocarburants relèvent en effet de la production agricole !
Je vous ai livré une longue série de réflexions, trop longue, certes, monsieur le ministre, et incomplète, j'en suis sûr, mais je ne doute pas que vous saurez l'incorporer dans vos futurs projets et la transformer en mesures techniques.
En conclusion, je souhaite que vous preniez la dimension réelle du problème : nous avons une agriculture forte, mais inégalement forte, dont la vocation est nationale, européenne et internationale, mais qui s'inquiète de son avenir. Bref, notre agriculture attend un texte ouvrant des perspectives et précisant mieux les contours de son devenir.
Il reste cependant à tenir compte d'une contrainte importante, qui justifie notre débat de cet après-midi : le calendrier.
En effet, il faut que soit définie, en raison des négociations en cours à l'échelon de l'Europe et de l'OMC, une position française solide, s'appuyant sur une loi d'orientation déjà votée.
Nous espérons, monsieur le ministre, que vous ferez tout ce qui est en votre pouvoir pour respecter les délais qui nous sont imposés et répondre à nos attentes. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Grandon.
M. Jean Grandon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a une dizaine de jours, lors de la discussion du budget du ministère de l'agriculture, nous nous étions élevés contre certaines carences dudit budget. J'avais moi-même relaté un manque de visibilité sur le volet social.
Cette proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture répond, dans une large mesure, aux préoccupations exprimées alors. Elle a une ambition sociale et les mesures qu'elle prévoit sont bonnes pour notre agriculture. Tout cela garantit l'avenir de la profession et la prépare à affronter, dans les meilleures conditions, les négociations européennes et internationales de demain.
Le processus d'installation des jeunes agriculteurs est accentué, et ce afin de faire perdurer une agriculture dynamique par le renouvellement de ses forces vives.
Plusieurs décisions spécifiques vont dans la bonne direction, notamment celle qui permet le contrôle des structures des exploitations agricoles.
Ambitieuse, cette proposition l'est, car elle confère un statut de collaborateur d'entreprise au conjoint non exploitant du chef d'exploitation.
Ce statut permettra de faire bénéficier le conjoint de droits à la retraite des non-salariés des professions agricoles, ainsi que d'une retraite forfaitaire sous certaines conditions. Il met fin aux situations critiques de personnes qui, ayant travaillé toute leur vie sur l'exploitation, se voient privées de toute reconnaissance sociale pour leurs vieux jours.
La revalorisation des droits les plus faibles est prise en considération, ce qui est important au regard de la modicité des sommes perçues par les retraités du secteur agricole.
Cette proposition de loi répond aux préoccupations de notre monde économique contemporain. Elle vise notamment à lutter contre le chômage par la simplification des formulaires d'embauche des saisonniers agricoles.
De plus, elle protège le consommateur par la création d'un institut national de la qualité des produits agricoles et alimentaires chargé du contrôle des utilisations des AOC et des labels.
Toutes ces dispositions, ces objectifs multiples mais complémentaires, vont dans le sens d'une garantie de l'avenir du monde agricole et surtout d'un nouveau pacte entre la nation et les agriculteurs.
Autant de raisons, de motifs, de considérants pour voter la proposition de loi qui nous est soumise. ( Applaudissements sur les travées du RPR. )
M. Jacques Habert. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Bony.
M. Marcel Bony. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la déclaration que je vais vous lire a été rédigée par mon collègue et ami Fernand Tardy, qui est membre du groupe socialiste et vice-président de la commission des affaires économiques. Il aurait souhaité vous la présenter lui-même, mais il a dû partir précipitamment en province pour une raison impérative.
Le groupe du RPR de la commission des affaires économiques du Sénat soumet au suffrage des sénateurs une proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture.
Dans son exposé des motifs, comme dans le communiqué de presse diffusé le jour de la discussion du rapport en commission des affaires économiques, le promoteur du projet souligne le caractère urgent de cette proposition de loi, qui doit, paraît-il, influencer et conforter les positions françaises lors des discussions sur la réforme de la politique agricole commune à Bruxelles, et regrette le peu d'empressement du gouvernement Jospin pour présenter un nouveau projet.
Cet argument est mensonger et fallacieux. (M. Philippe François s'exclame.)
En effet, lors de la présentation du projet de loi d'orientation Vasseur, le ministre de l'agriculture d'alors avait regretté le retard du projet de loi présenté par l'ancien gouvernement par rapport « aux discussions sur la réforme de la politique agricole commune, déjà bien engagées à Bruxelles ».
Par la suite, la discussion de ce projet de loi a été retardée plusieurs fois par le gouvernement Juppé.
Puis, il y a eu la dissolution, et, à notre connaissance, ce ne sont pas les socialistes qui ont dissous l'Assemblée nationale, mais bien le Président de la République, issu des rangs du RPR.
S'il y a du retard pour l'adoption d'un projet de loi d'orientation agricole, les responsables sont le gouvernement d'Alain Juppé, le Président de la République et l'ancienne majorité, c'est-à-dire ceux qui, aujourd'hui, déplorent ce retard.
Après la dissolution, et dès son discours d'investiture devant le Parlement, M. Lionel Jospin a indiqué qu'il reprendrait « le plus rapidement possible » la loi d'orientation.
Bien entendu, cette loi devait être modifiée, puisque nous n'avons ni la même philosophie ni les mêmes opinions sur le développement futur de notre agriculture.
Ces modifications concernant une loi importante de plus de 160 articles ne peuvent pas se faire rapidement, et la discussion du texte gouvernemental aura lieu au cours du premier semestre de l'année 1998, comme l'a précisé à plusieurs reprises M. le ministre de l'agriculture.
Je tenais donc, dans un premier temps, à rétablir les responsabilités de chacun dans le retard concernant ce texte de loi.
Fallait-il déposer une proposition de loi pour pallier ce retard ? Nous répondons par la négative.
Cette proposition de loi est, en effet, une duperie.
Elle reprend les principaux chapitres de la loi d'orientation Vasseur. Le groupe du RPR ne semble pas avoir encore compris que les Français ont voulu un changement de politique (M. Philippe François s'exclame.) , y compris dans le secteur agricole, et ce n'est pas en remplaçant le texte Vasseur mort-né par une proposition de loi émanant de ses amis que l'on va dans le sens indiqué par le suffrage universel.
Cette proposition de loi est une duperie car ses promoteurs savent bien qu'elle n'a aucune chance de venir en discussion devant l'Assemblée nationale, le Gouvernement étant maître de l'ordre du jour. Et, y viendrait-elle, qu'elle n'aurait aucune chance d'être votée par la majorité de l'Assemblée nationale.
M. Philippe François. On le dira aux organisations syndicales !
M. Marcel Bony. Cette proposition de loi est une duperie, car elle accumule les mesures sans en chiffrer l'impact budgétaire, qui est considérable.
A ce sujet, je veux souligner que si cette proposition de loi comportait dix-sept articles lors de son dépôt, elle en comptait déjà vingt-sept lors de la discussion en commission des affaires économiques, et ce avant qu'aucun amendement ne soit déposé.
Je ne doute pas que les démagogues qui ont rédigé ce texte ajoutent de nouveaux articles par voie d'amendements. Pourquoi se gêner quand on a comme unique but de faire une opération politicienne à quelques mois de la discussion de la loi d'orientation agricole proposée par le gouvernement Jospin sur le même sujet ?
M. Philippe François. Faux ! Mensonge !
M. Marcel Bony. Cette proposition de loi est, en effet, une duperie : à qui fera-t-on croire que les négociateurs de Bruxelles attacheront de l'importance à un texte non voté, déposé par les opposants au Gouvernement, qui, lui, négocie à Bruxelles et qui, grâce à la pugnacité et à la compétence de son ministre de l'agriculture, M. Louis Le Pensec, a déjà obtenu des modifications significatives de la nouvelle politique agricole commune, dans le sens voulu par les organisations professionnelles de notre pays ?
Mais, aux yeux du groupe socialiste du Sénat, le dépôt de cette proposition de loi a une signification beaucoup plus grave pour le fonctionnement de la Haute Assemblée !
M. Jean François-Poncet, président de la commission des affaires économiques et du Plan, pourrait en témoigner : le groupe socialiste a toujours participé avec sérieux aux travaux de cette commission. Certes, très souvent, nous n'avons pas été d'accord avec les positions des commissaires de la majorité. Cependant, nous avons participé assidûment à des commissions d'études importantes dont les travaux ont fait l'objet de publications que nous avons souvent approuvées.
A aucun moment nous n'avons essayé, par des manoeuvres quelconques, de nous servir du travail du législateur à des fins purement électorales.
Ce sérieux des commissaires de la commission des affaires économiques et du Plan va être mis en cause par des pratiques consistant, pour l'opposition, à présenter des textes doublant des textes gouvernementaux.
M. Philippe François. Faux !
M. Marcel Bony. Ces textes n'ont aucune chance d'être votés par le Parlement, mais ils offrent une panoplie de mesures utilisable comme support d'une campagne électorale !
M. Philippe François. Nous sommes le Parlement !
M. Marcel Bony. De telles pratiques sont indignes du Sénat et elles marquent d'une ombre inutile la qualité de nos anciennes relations.
Cette proposition de loi est un texte d'opportunité, c'est un texte politicien, c'est un texte pernicieux, car c'est le commencement d'un processus fait de travaux inutiles, mal étudiés, qui ne peut que ternir l'image de marque de la commission des affaires économiques et du Sénat.
Parce qu'ils ne veulent en aucune façon être les complices de tels agissements, les commissaires socialistes de la commission des affaires économiques, qui ont quitté la commission au cours du débat, et les membres du groupe socialiste ne prendront pas part à la discussion des articles. Ils entendent ainsi protester contre des pratiques qui n'ont rien à voir avec le travail parlementaire normal.
Nous le disons tout net à M. le président de la commission des affaires économiques : jamais ce texte n'aurait dû franchir la barrière de la commission, jamais il n'aurait dû venir en discussion devant la Haute Assemblée.
Beaucoup de membres centristes de la commission nous ont d'ailleurs fait part de leur indignation. Certains ont quitté, sans bruit, la séance. Il a fallu toute l'autorité du président de cette commission pour rassembler les différentes fractions de la majorité sur ce texte inutile. En échange de quoi ? Contre la promesse que son groupe en serait aussi signataire ! Ainsi, pour quelques bénéfices électoraux, le président de la commission des affaires économiques s'est associé à cette manoeuvre indigne du Parlement !
Les commissaires du groupe socialiste, outrés, sauront se souvenir, dans leurs positions futures, de son attitude.
Le combat politique peut être rude, difficile, mais, jusqu'à ce jour, il régnait au Sénat une certaine sérénité grâce aux relations que nous entretenons les uns avec les autres.
La proposition de loi déposée par le groupe du RPR...
M. Philippe François. Par la majorité du Sénat, et pas seulement par le groupe du RPR !
M. Marcel Bony. ... et soutenue maintenant par les autres groupes de la majorité sénatoriale, est un texte qui va à l'encontre de cette harmonie maintenue à travers nos diversités.
Se servir de textes législatifs comme d'instruments exclusifs de propagande est très dangereux pour notre crédibilité.
Gardons nos forces, notre sagesse, nos connaissances plurielles pour amender, corriger, bonifier le futur texte de loi d'orientation en préparation aujourd'hui, en étroite collaboration avec le monde professionnel agricole, plutôt que de vouloir refaire le monde seuls, à des fins politiciennes !
Le groupe socialiste réprouve cette pratique et laissera à la majorité de la Haute Assemblée la responsabilité de ce mauvais coup que nous dénonçons.
J'ajouterai, monsieur le président, paraphrasant le mot de Boissy d'Anglas, que si l'Assemblée nationale est l'imagination de la République, le Sénat risque aujourd'hui, par une telle démarche, de ne plus en être la raison. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Vigouroux.
M. Robert-Paul Vigouroux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qui pourrait insinuer que le Sénat néglige l'agriculture ? Le 5 novembre, nous avons tenu un débat de six heures ; le 2 décembre, pendant sept heures trente, nous avons librement discuté du budget de l'agriculture, discussion au cours de laquelle chacun a pu s'exprimer comme je l'ai fait.
Nous devons, dans les prochains mois, examiner la loi d'orientation que vous présenterez, monsieur le ministre.
L'essentiel n'est pas de défendre le passé. Il est de défendre l'avenir. La terre n'est pas nostalgique d'un pouvoir. Les agriculteurs, les viticulteurs, les éleveurs et les autres sont cependant inquiets et délivrent ce message aux élus que nous sommes dans ce monde si paradoxal, où la famine côtoie la surproduction.
Voici un débat de fin d'année ou, plutôt, une proposition de loi. Ses raisons ? Qu'importe si une avancée en résulte, car les objectifs communs sont en cause : communs pour nous, communs dans l'Europe commune.
Vous pourrez donc, monsieur le ministre, nous livrer vos perspectives, au-delà de la loi de finances, nous indiquer les grands lignes de la politique agricole française que vous défendrez, dès demain, au Conseil européen. Ce débat va permettre d'orienter la politique agricole européenne, à laquelle nous sommes, sur ces diverses travées, je pense très attachés, car la majorité des sénateurs emporte plus de terre à ses souliers que de goudron.
Si la diversité de l'Europe, dans le domaine agricole ou tant d'autres, pose à chaque pays ses propres problèmes lors des nécessaires accords, nous ne devons pas oublier que solidarité et entente en son sein sont indispensables sur le marché mondial.
La défense de notre agriculture, de son effort économique, passe nécessairement par un bon positionnement dans les marchés mondiaux, dans une Europe unie et décidée à se faire respecter. Nous savons aussi que l'agrandissement de l'Europe ajoutera quelques difficultés à surmonter ; le chemin est encore long.
La proposition de loi qui nous est présentée par la majorité sénatoriale envisage en six titres notre destin agricole, du producteur au consommateur, comme un rappel des lois qui, au long de ces dernières années, ont réglementé l'agriculture dans le sens de la modernisation et du développement, en 1960, 1962, 1980 et 1995.
Des successions de lois, dont aucune n'efface les autres, et, de réglementation en réglementation, le législateur n'enserre-t-il pas trop le citoyen dans un corset qui devient carcan ? Une réglementation trop rigoureuse, c'est comme les « passages cloutés » de nos rues : on ne la respecte pas.
D'autant qu'en plus des droits et des devoirs du milieu agricole, et ce dans des contrées différentes, et de la diversité de la production, nous connaissons depuis peu la pression des consommateurs, devenus, en raison des scandales et des problèmes de pollution, très exigeants sur les produits d'origine agricole. Nous avons vu s'installer des commerces spécialisés, et des labels s'afficher parfois. En ce domaine aussi apparaît une alimentation à deux niveaux, car les prix diffèrent.
La qualité du vendu ne doit pas, de plus, être facteur elle-même de pollution.
La pollution est liée, pour les céréales, à une production trop intensive, à l'emploi d'engrais chimiques et de pesticides, et, pour la production de viande bovine, à l'emploi des farines contaminées. Sinistre euphémisme que d'utiliser le terme « farine » quand on songe à partir de quoi ces produits alimentaires sont fabriqués. A ma connaissance, encore aucun fabricant n'a été inquiété ni poursuivi.
Pis, ne vient-on pas d'apprendre que le Gouvernement britanique avait annoncé, ce 3 décembre, une série de mesures visant à interdire la commercialisation de nouveaux produits d'origine bovine, telle la côte de boeuf, un risque, fût-il minime, d'une transmission à l'homme de la fameuse « maladie de la vache folle » étant réapparu ? Une frontière biologique qui fait sourire, sourire tristement. La maladie est, ou n'est pas, transmissible à l'homme : voilà l'absolue vérité.
La pollution est liée également, pour les producteurs de porcs, à un rejet trop important des nitrates dans les nappes phréatiques.
Je souhaite, monsieur le ministre, que, lors des futures négociations avec nos partenaires européens, vous obteniez que soient intégrés tous ces faits.
Cette réforme pour le XXIe siècle doit nous permettre, tous ensemble, de nous défendre dans la nouvelle OMC face aux Etats-Unis ; la loi d'orientation aura pour but de fixer nos objectifs dans les prochaines décennies.
La politique agricole commune européenne ne peut être dissociée de l'aménagement du territoire, de la protection de la nature, de la désertification des campagnes, de la concurrence mondiale.
Il faut préserver nos atouts liés à la labélisation des produits. Qui n'est pas amateur d'un bon poulet de Bresse, d'un canard de Challans, d'une viande d'agneau de pré-salé... sans oublier les pieds et paquets de Marseille...
M. Philippe François. Ah, ça c'est bon !
M. Robert-Paul Vigouroux. ... la viande du Limousin et le boeuf de Bazas... ma liste est loin d'être exhaustive ! Les Japonais ont su faire connaître le fameux boeuf de Kobé. Mais encore faut-il continuer à trouver ces produits entièrement naturels et pouvoir aussi les acheter !
Vous indiquez, mes chers collègues, que l'agriculture représente 85 % de notre territoire et 3,5 millions d'emplois induits. Pour conserver ce tissu, il est important de développer l'installation des jeunes, même non issus de ce milieu.
On a souvent évoqué, ces dernières années, la nécessité d'en faire les « jardiniers » de la nature. Je l'ai lu, monsieur le ministre, dans vos projets : vous souhaitez qu'une aide financière de l'Etat, sous forme de contrats, soit proposée à ces jeunes afin qu'ils entretiennent l'espace rural. Cela leur permettrait de ne pas trop s'endetter dès leur intallation.
Un autre point important est de les inciter à se regrouper beaucoup plus en CUMA pour que le coût de la mécanisation soit moins lourd pour chacun.
Monsieur le ministre, la proposition de loi présentée par la majorité sénatoriale sera, selon toute vraisemblance, votée dans cet hémicycle.
M. Philippe François. Nous l'espérons !
M. Robert-Paul Vigouroux. Vous présenterez au début de l'année 1998 votre propre projet, dont nous débattrons alors.
A chaque année sa récolte. Pour moi, j'attendrai le printemps !
M. le président. La parole est à M. François.
M. Philippe François. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, pour ce qui me concerne, il est évident que je ne peux pas cacher la satisfaction que j'éprouve, contrairement à d'autres, une proposition de loi déposée par la totalité de la majorité sénatoriale examinée aujourd'hui par la Haute Assemblée.
En effet, ce texte nous permettra d'adopter des mesures urgentes en faveur de notre agriculture, mesures qui répondent aux demandes légitimes des organisations professionnelles et du monde agricole en général.
Cette proposition de loi tend, d'une part, à créer de la valeur ajoutée et des emplois, à maintenir un nombre important d'agriculteurs, à poursuivre la relance des installations de jeunes agriculteurs et, d'autre part, à faire de la politique de la qualité alimentaire un atout décisif dans la compétition internationale.
Je ne reviendrai pas, bien sûr, sur l'excellent rapport de notre collègue Gérard César, qui a brillamment présenté le dispositif. Je m'associe pleinement, bien entendu, aux nouvelles dispositions introduites par la commission des affaires économiques, même si les socialistes ne nous ont pas fait l'honneur de participer à nos travaux !
Je souhaite néanmoins attirer votre attention, monsieur le ministre, sur trois dispositifs phares qui sont, à mes yeux, essentiels pour l'avenir de notre agriculture.
Le premier est l'entreprise agricole.
L'article 1er fixe les objectifs prioritaires de l'aide financière de l'Etat accordée aux entreprises agricoles. Cette aide doit ainsi aller en premier lieu vers l'installation des jeunes agriculteurs, la modernisation, le regroupement, la reconversion partielle ou totale des entreprises en vue d'améliorer leur viabilité, et elle doit prendre en compte l'intérêt du projet d'installation en matière économique, environnementale et sociale.
En outre, cette aide peut être aussi interrompue, voire faire l'objet d'un remboursement, si l'entreprise ne satisfait plus aux conditions de mise en valeur de l'espace agricole ou forestier - ne l'oublions pas - soit au schéma directeur départemental des structures agricoles, soit enfin au projet départemental d'orientation de l'agriculture. Les choses sont claires, nettes et bien bordées.
De plus, l'entreprise agricole n'étant pas reconnue en tant que telle aujourd'hui, l'article 2 reconnaît un fonds agricole, comme cela a été fait, je le rappelle, pour le commerce et l'artisanat avec l'article 22 de la loi du 5 juillet 1996.
N'est-il pas urgent, monsieur le ministre, qu'après la reconnaissance de l'exploitation agricole sur un plan économique la question de son organisation juridique soit abordée ?
En effet, cette mesure permet non seulement la transmission et le nantissement du fonds agricole ainsi constitué en vue de favoriser l'installation d'un jeune agriculteur, mais aussi une clarification entre le patrimoine privé de l'exploitant et son patrimoine professionnel, notamment en cas de difficultés, comme nous en avons toujours rencontré dans le monde agricole.
La reconnaissance de ce fonds nécessite par ailleurs la mise en place d'un registre des fonds agricoles qui pourrait pleinement s'inscrire dans le registre de l'agriculture prévu dans le code rural.
Par conséquent, le dispositif proposé me semble trouver sa place dans la relance de la politique d'installation amorcée en 1995. Il est à même d'éviter le démembrement d'exploitations viables, qui disparaissent à raison de 2 000 à 5 000 par an, et il apporte une contribution générale à la politique de l'emploi, puisque de 2 à 3 emplois sont liés indirectement à une installation agricole.
Le deuxième point majeur, monsieur le ministre, est le statut du conjoint. Il vient d'être évoqué par mon collègue M. Grandon. J'y reviendrai donc brièvement.
Le texte crée un nouveau statut, celui de conjoint collaborateur d'entreprise, l'objectif étant ici d'offrir aux conjoints d'agriculteurs qui ne souhaitent pas devenir coexploitants ou associés de société un nouveau statut amélioré par rapport à l'actuel statut de conjoint participant aux travaux, dans la mesure où les droits d'assurance.
Le texte institue également une assiette forfaitaire provisoire de cotisations sociales pour les chefs d'exploitation ou d'entreprise agricole qui débutent dans leur activité.
Il prévoit également que les conjoints ayant participé aux travaux avant de s'installer en qualité de chef d'exploitation verront leurs cotisations assises sur la part correspondant à leur participation aux bénéfices dans les revenus du foyer fiscal.
Enfin, pour le conjoint reprenant l'exploitation, l'assiette des cotisations sera constituée par les revenus dégagés par le cédant.
Quand on sait que la retraite forfaitaire actuelle du conjoint participant aux travaux est modeste, le dispositif proposé me semble constituer une évolution majeure.
En effet, aujourd'hui, dans le meilleur des cas, cette retraite forfaitaire est tout au plus égale à l'allocation aux travailleurs salariés, soit 17 417 francs par an en valeur 1997 - vous voyez à quel point je peux être précis. Et ce sont près de 139 000 conjoints d'exploitants agricoles qui se trouvent actuellement dans cette situation.
Le dispositif permet donc aux conjoints qui opteront pour ce nouveau statut d'acquérir dorénavant des droits non plus seulement à la retraite forfaitaire, mais aussi à la retraite proportionnelle, à concurrence de seize points par an, moyennant le versement par le chef d'exploitation d'une cotisation de 12,5 % sur une assiette fixée forfaitairement à quatre cents fois le SMIC. C'est clair !
Au terme d'une carrière de 37,5 années accomplies dans ces conditions, les intéressés seront assurés de percevoir une pension de retraite globale, retraite forfaitaire et retraite proportionnelle cumulées, de 29 249 francs exactement par an en valeur 1997, soit une amélioration de l'ordre de 71 % par rapport au statut actuel.
J'évoquerai un troisième et dernier point : la qualité et la valorisation des produits agricoles.
Le texte qui nous est soumis crée l'institut national de la qualité, chargé d'orienter la politique des signes de qualité et d'origine en France.
Cet institut a notamment pour objectif l'amélioration de la lisibilité des signes officiels de qualité et leur promotion auprès des consommateurs et des opérateurs économiques, la coordination entre l'institut national des appellations d'origine et la commission nationale des labels et certifications pour permettre une meilleure cohérence entre tous les signes de qualité existants, et l'établissement d'un lien permanent avec les instituts de recherche et les organismes de développement des démarches de qualité.
Le texte offre, par conséquent, la possibilité de mentionner un nom géographique sur les labels et certifications de conformité, en dehors de l'indication géographique protégée. Il se conforme, en outre, à la réglementation européenne en rendant obligatoire l'accréditation par le comité français d'accréditation. Il encadre, enfin, l'utilisation de l'indication de provenance.
Par conséquent, le dispositif proposé fait de la politique de qualité un élément essentiel de notre politique agricole et alimentaire. Je tiens à rappeler que ce dispositif correspond à une recommandation de notre groupe exprimée lors de l'épisode dramatique de la crise de la vache folle. Une véritable politique de qualité tant au plan national que communautaire est, vous n'en doutez pas, monsieur le ministre, le gage de la pérennité et du développement de notre agriculture.
Toutes ces mesures sont essentielles pour affirmer le modèle agricole français et pour assurer son avenir au sein de l'Union européenne.
Comme l'a souligné notre rapporteur, cette proposition de loi ne s'oppose en aucune façon au futur projet de loi agricole que vous allez soumettre au Parlement, monsieur le ministre. Elle prépare un avenir positif, en permettant la mise en place de mesures dont notre agriculture a besoin aujourd'hui, en ouvrant un véritable débat sur les questions fondamentales qu'elle soulève.
A la veille du Conseil de Luxembourg, cette proposition de loi revêt bien, dès lors, une valeur de symbole. En l'occurence, monsieur le ministre, l'enjeu est de taille : c'est la défense de notre modèle agricole.
Dans un environnement international et communautaire incertain, il est en effet impératif de doter notre agriculture des instruments nécessaires pour lui permettre de répondre pleinement aux attentes de notre société.
N'oublions pas que la perspective qui se présente pour de nombreux produits agricoles n'est pas très prometteuse en Europe. A supposer que la politique actuelle soit maintenue, un fort écart subsistera, malheureusement, nous le savons tous, entre les prix de l'Union européenne et les prix mondiaux au cours des prochaines années dans beaucoup de secteurs.
Or, compte tenu des engagements qui ont été contractés dans le cadre du cycle de l'Uruguay, s'agissant en particulier des aides à l'exportation, des excédents non exportables apparaîtront sans aucun doute après l'an 2000 dans l'Union européenne.
Un excédent structurel était déjà prévu pour la viande bovine avant que la situation ne se dégrade et ne s'aggrave avec la crise de la vache folle.
Cette crise, qui a entraîné, dès le mois de mars 1996, un effondrement des cours de la viande bovine et un fort recul de la consommation, n'a fait qu'amplifier des excédents structurels qui existaient depuis longtemps en Europe et dont les origines sont multiples.
Des difficultés croissantes vont aussi se présenter dans les secteurs des céréales, du sucre, du vin, de l'huile d'olive, du lait écrémé en poudre et pour certains autres produits laitiers, l'Union européenne risquant de perdre de plus en plus de terrain sur des marchés mondiaux en expansion.
Ce phénomène va irrémédiablement s'aggraver avec les propositions de réforme de la Commission de Bruxelles, qui préconise la suppression de la protection aux frontières, la réduction des subventions à l'exportation et la refonte des aides intérieures.
Monsieur le ministre, sachez que le groupe du Rassemblement pour la République s'oppose fermement à ces propositions, qui ne préservent ni la préférence communautaire ni l'identité agricole européenne.
M. Christian de La Malène. Très bien !
M. Philippe François. Nous n'accepterons jamais le fait que la Commission européenne n'ait pas la volonté politique de défendre de façon différenciée les intérêts de chacun de nos secteurs agricoles et qu'elle ne tienne pas compte des spécificités régionales de l'Europe.
Par conséquent, la proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est un signal d'alarme que nous adressons au Gouvernement.
Pour conclure, je tiens à dire que je juge regrettable le comportement de nos collègues socialistes, qui ont refusé de participer au débat démocratique que menait la commission des affaires économiques.
Je regrette que notre collègue Marcel Bony ait cru devoir sortir de la salle des séances. Je ne lui en veux pas des propos qu'il a tenus, pas plus que je n'en veux à notre collègue Fernand Tardy, qui a rédigé l'intervention ; je pense qu'il s'est laissé aller à quelque excès dans sa rédaction.
J'estime toutefois nécessaire de relever le caractère insultant de certains mots.
Je ferai d'abord remarquer qu'il ne s'agit pas d'une proposition de loi du seul groupe du RPR, mais qu'elle émane de l'ensemble de la majorité du Sénat de la République.
Je dirai ensuite que le Gouvernement n'a jamais annoncé le dépôt d'un projet de loi sur l'agriculture avant le débat que nous avons eu le 5 novembre, où nous avons dit - c'est moi-même qui, de cette tribune, l'ai fait, rappelez-vous, monsieur le ministre - que nous avions l'intention de déposer une proposition de loi sur le sujet.
Il se trouve que, trois jours après, le Premier ministre a annoncé, à la radio, qu'il envisageait de déposer un projet de loi.
Les propos mensongers de nos collègues sont donc bien insultants, et je tiens à ce qu'il soit acté que je les considère comme tels.
Je regrette que ceux qui ont parlé de « duperie » et de « mensonge » ne soient pas présents : on pourrait dire que, pour leur part, ils font preuve de lâcheté. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, je dois sur-le-champ corriger une inexactitude dans les propos que vient de tenir M. François.
C'est dans le discours de politique générale qu'il a prononcé au mois de juin que M. le Premier ministre a fait part de la volonté du Gouvernement de déposer un projet de loi d'orientation agricole.
M. le président. La parole est à M. Bizet.
M. Jean Bizet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, soucieuse de l'avenir du territoire national et des hommes qui le composent, la majorité sénatoriale a pris la décision de déposer une proposition de loi portant diverses mesures urgentes relatives à l'agriculture.
N'y voyez là, monsieur le ministre, aucune manoeuvre politique ou stratégique quelconque.
Considérez plutôt notre inquiétude, reflet de l'inquiétude de nos agriculteurs face aux échéances qui s'annoncent.
Au-delà de cette proposition de loi, qui est examinée ce jour même par notre assemblée, c'est un signal fort que nous adressons aux chefs d'Etat européens ; qui se réuniront les 12 et 13 décembre à Luxembourg, signal pour rappeler que l'agriculture française ne doit pas être oubliée ou sacrifiée au sein des grands débats géopolitiques.
Nous voulons démontrer que l'agriculture européenne peut garder son identité et sa spécificité, cette approche ne procédant pas d'une vision réductrice, passéiste ou protectionniste. Il s'agit tout simplement de la projection d'un modèle agricole qui nous est propre et que nous devons faire partager à nos partenaires en le rendant conforme aux règles de l'OMC.
Pourquoi une telle attitude, une telle approche me direz-vous ? Tout simplement parce qu'elle est la seule à bien prendre en compte le territoire et les hommes, ces deux paramètres déterminant le fondement et l'équilibre de notre société.
Ce texte s'inspire, en effet, en grande partie du projet de loi d'orientation déposé par M. Philippe Vasseur, le 6 mai dernier, sur le bureau de la Haute Assemblée, qui avait fait l'objet d'importantes concertations avec l'ensemble des organisations professionnelles et était fondé, sur le concept d'un « nouveau contrat entre l'agriculture et la société ».
Ce concept est plus que jamais d'actualité dans une « société d'inquiétude », qui a perdu un certain nombre de ses valeurs et de ses repères.
Parmi les sept titres de cette proposition de loi, qui couvrent, me semble-t-il, une grande partie des activités agricoles, je voudrais m'attacher à préciser les points qui concernent le problème des structures et de l'organisation économique.
L'inadaptation actuelle du contrôle des structures empêche environ un millier d'installations chaque année. Il convient, en effet, de pallier la dérive de la création des formules sociétaires, utilisées à seule fin de détourner la politique de contrôle des structures et qui favorise l'agrandissement des exploitations.
Cet état de fait existe dans beaucoup de départements français, et il est préjudiciable au renouvellement des générations.
Sans constituer un environnement législatif par trop coercitif, nous devons adapter notre politique des structures aux réalités d'aujourd'hui et aux objectifs de demain, conserver un nombre suffisant d'exploitations familiales à taille humaine et donner aux formules sociétaires une réglementation plus claire assortie d'éventuelles pénalités.
Je souhaite, monsieur le ministre, que les modifications des articles du code rural correspondantes retiennent toute votre attention.
Je me réjouis de la modernisation des organisations de producteurs instituées par la loi du 8 août 1962. Il était, en effet, important que ces groupements de producteurs s'insèrent désormais dans l'organisation commune des marchés et se trouvent ainsi soumis aux directives communautaires.
J'ai noté avec grand intérêt la priorité donnée, en matière d'aide publique, à la production organisée et, surtout, la modulation de cette aide publique en fonction du degré d'organisation.
J'ai noté également la rationalité de l'organisation interprofessionnelle par produit et son articulation entre le plan national et les différentes zones de production.
En ce qui concerne les rapports avec la grande distribution, si l'on peut se réjouir des avancées qui ont été réalisées par rapport à l'ordonnance de 1986, de nombreux progrès restent à faire, la présence de ses représentants au sein des organisations professionnelles étant importante. La recherche d'un meilleur partage de la valeur ajoutée est et doit rester une orientation majeure des organisations de producteurs. A cette fin, la place de la coopération est fondamentale. Il conviendrait de créer un fonds de modernisation des industries agro-alimentaires et, notamment, de la coopération.
En effet, les coopératives doivent relever le défi en adaptant les produits agricoles à des marchés de plus en plus segmentés et conquérir leurs parts grâce à des produits mieux identifiés.
Or, l'organisation économique actuelle des coopératives répond surtout à une logique de filière. Il faudrait donner aux coopératives les moyens financiers leur permettant de s'adapter à ces nouveaux enjeux.
Permettez-moi, monsieur le ministre, au-delà des objectifs de cette proposition de loi, de replacer l'agriculture française dans son contexte international et de vous parler des biotechnologies.
L'agriculture française a fait, au cours de la dernière décennie, des progrès considérables en termes de productivité, une productivité qui l'a portée aux tout premiers rangs des pays producteurs et exportateurs de produits agricoles transformés.
Cela dit, les progrès réalisés en termes tant de restructuration que de productivité s'essoufflent et il importe aujourd'hui d'aborder de nouvelles orientations pour notre agriculture.
Les biotechnologies font partie intégrante de ces évolutions. La France ne doit pas s'en désintéresser.
Voilà une quinzaine d'années, nous étions en avance sur le plan de la recherche fondamentale, de l'aveu même des Américains. Aujourd'hui, ce sont les firmes américaines qui ont une avance importante dans les domaines d'applications industrielles.
Je salue à nouveau le courage politique et la clairvoyance dont vous avez fait preuve en prenant la décision, le 27 novembre 1997, d'autoriser la culture du maïs transgénique.
Je regrette la cacophonie qui s'est fait entendre depuis au sein du Gouvernement, et je redoute les conséquences induites sur nos industries de transformation de déclarations qui tiennent plus de l'idéologie que de l'approche scientifique.
Le 19 septembre dernier, la Commission européenne a adopté un règlement, dit « règlement nouveaux aliments », prévoyant un étiquetage spécifique obligatoire des denrées alimentaires produites à partir du soja, du maïs génétiquement modifiés, dès lors qu'il n'y avait pas équivalence par rapport à un aliment conventionnel, non issu des biotechnologies.
Cette réglementation n'a que peu clarifié la situation puisqu'elle ne définissait pas la notion d'équivalence. Dès lors, des appréciations différentes peuvent apparaître entre les divers pays de l'Union européenne.
Ce flou juridique a conduit les industriels français de l'agroalimentaire à définir, le 20 novembre dernier, en concertation avec les entreprises de la distribution, une position commune en la matière, préconisant de faire figurer sur l'étiquette des aliments contenant une protéine nouvelle, issue du transgène, la mention suivante : « issu d'organisme génétiquement modifié », ou « génétiquement modifié », ou encore « modifié par les biotechnologies modernes ».
En pratique, cette mention aurait concerné les farines de soja, les protéines de soja et leurs dérivés, les farines, les semoules et gluten de maïs, qui entrent dans la composition de certains aliments.
Cette solution, adoptée d'ores et déjà par certains de nos partenaires européens, semblait fondée sur le bon sens. J'ai cru comprendre qu'elle recueillait l'assentiment des administrations françaises concernées. Elle permettait de répondre à l'impératif de transparence en matière alimentaire, tout en étant réaliste.
Ces orientations ont été remises en cause par la proposition du 3 décembre dernier de la Commission européenne : dans un nouveau projet de règlement, elle souhaite que l'étiquetage soit obligatoire dès lors qu'un aliment contient de l'ADN génétiquement modifié ou, si l'aliment n'en contient pas, s'il est possible d'y prouver la présence de protéines génétiquement modifiées.
Cette nouvelle définition du critère d'équivalence que propose de donner la Commission est trop large et conduira inévitablement à une banalisation de la mention « contient des OGM » sur les étiquettes de nombreux produits, y compris ceux dont la composition sera identique aux produits conventionnels, ce qui nuit à la bonne information du consommateur.
Si l'option de la Commission est retenue, c'est en effet la quasi-totalité des dérivés du soja et du maïs qui devraient être étiquetés. Reste à savoir si le consommateur pourra s'y retrouver.
M. Gérard César, rapporteur. Effectivement !
M. Jean Bizet. Je ne le pense pas.
En outre, la Commission recommande d'apposer, dans certains cas, sur l'étiquette des aliments, la mention « est susceptible de contenir des organismes génétiquement modifiés ».
Cette formulation très floue ne peut qu'entraîner la confusion et une inquiétude légitime dans l'esprit du consommateur. Ne revient-elle pas à dire que les industriels de l'agroalimentaire ne maîtrisent pas la composition de leurs produits ? Comment une telle information sera-t-elle ressentie par le consommateur ?
Les préjudices qui pourraient en résulter pour nos entreprises françaises, très présentes sur ce secteur, sont lourds. Leurs représentants se sont d'ailleurs inscrits en faux contre le projet de règlement et en ont averti la Commission européenne.
Le Comité permanent pour les denrées alimentaires, composé de représentants des Etats membres, doit se réunir pour discuter de la proposition de la Commission le 17 décembre prochain. S'il n'adopte pas la proposition de la Commission, celle-ci sera renvoyée au Conseil des ministres, qui devra en décider.
Je tenais, monsieur le ministre, à attirer votre attention sur ce point précis. Je formulerai maintenant trois souhaits.
Premièrement, il ne faudrait pas que le projet de règlement soit adopté en l'état, car le consommateur ne s'y retrouverait pas.
Deuxièmement, il conviendrait de mettre en place dans les quinze Etats membres une définition harmonisée de la notion d'équivalence, fondée sur la présence de protéines modifiées à partir de certains seuils.
Troisièmement, il importerait de définir des méthodes scientifiques de contrôle harmonisées, permettant la vérification des mentions portées sur les étiquettes.
Je vous remercie, monsieur le ministre, de bien vouloir prendre conscience de cette problématique et d'apporter une réponse rapide sur ces trois derniers points. (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Belcour.
M. Henri Belcour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre monde paysan connaît actuellement une crise sévère. Certes, il faut être objectif et le reconnaître : cette crise n'est pas récente et ses causes sont avant tout profondément structurelles.
On a souvent accusé notre Haute Assemblée - et je me suis laissé dire que certains continuent ces temps-ci à la montrer encore du doigt - d'être l'émanation outrancière de la sphère rurale et de lui accorder une attention tout particulière pour une importance qui, selon les mêmes, est devenue bien relative. Les principaux intéressés que sont les habitants de nos campagnes auront toute latitude pour apprécier. Ils savent au moins que le Sénat, qui leur prête toujours une oreille attentive, perçoit parfaitement les explications de la véritable crise d'identité qu'ils subissent.
Tout d'abord, le modèle de développement instauré par les grandes lois d'orientation mises en place par le général de Gaulle en 1960 et en 1962 demande à être redéfini, bien qu'ayant fait ses preuves durant plusieurs décennies.
Par ailleurs, alors que des efforts en matière de productivité sont consentis sans relâche, le revenu agricole diminue sans cesse.
En outre, la politique agricole commune, devenue incontournable, est aujourd'hui plutôt mal vécue et passe pour être davantage une contrainte qu'un atout. Plus globalement, le monde rural sent son décalage avec les villes s'accentuer, alors même qu'il se voit éloigné des véritables centres de décision, qu'ils soient nationaux, communautaires ou internationaux.
Il faut donc reconnaître que les difficultés sont nombreuses et que le milieu agricole s'avère très complexe. Par voie de conséquence, les remèdes sont loin d'être aisés à définir et à appliquer.
Au total, à certains moments, les agriculteurs peuvent apparaître durement éprouvés. Il pèse alors sur eux une grave menace de découragement et de démobilisation. Ils ont besoin d'un véritable projet fédérateur qui leur donne encore des perspectives d'avenir.
Leurs organisations professionnelles, dont le dynamisme n'est plus à démontrer, ne sauraient être mises en cause. Il suffit pour cela d'évoquer le grand rassemblement qui s'est tenu mardi, à Charolles, et qui, tout en prouvant la capacité de mobilisation des syndicats agricoles, a une fois de plus révélé leur aptitude à proposer des alternatives réalistes. Telle est notamment la volonté de nos éleveurs du Massif central.
En fait, la balle est dans le camp du politique. Et c'est là où nous nous devons d'intervenir.
Après un débat fructueux qui a permis à notre Assemblée de faire le point sur la situation de notre agriculture, après l'examen des crédits prévus pour l'année à venir, et au moment même où un Conseil européen doit préparer les négociations concernant la future Organisation mondiale du commerce, il faut à présent agir sans tarder.
C'est ce à quoi s'est attachée la majorité sénatoriale en élaborant cette proposition de loi.
Tout à l'heure, mon collègue Gérard César, au nom de la commission des affaires économiques et du Plan, a parfaitement défini les enjeux et détaillé les dispositions de ce texte.
Pour ma part, je soulignerai la nécessité de certaines mesures qui sont ainsi prônées.
S'agissant des entreprises agricoles, il est proposé de fixer les objectifs prioritaires des aides financières de l'Etat. A cet égard, on ne saurait ignorer l'importance de la transmission des exploitations pour la pérennité de l'agriculture, et ce plus particulièrement dans les zones défavorisées. C'est pourquoi l'effort en faveur de l'installation des jeunes agriculteurs est une nécessité impérieuse.
Rappelons, à ce sujet, que les chiffres ne cessent de diminuer : alors que l'on comptait 33 000 installations en 1987, on n'en dénombrait plus que 15 000 en 1995. En ce qui concerne un département qui me tient à coeur - la Corrèze bien sûr ! - l'association départementale pour l'aménagement des structures des exploitations agricoles a examiné, cette année, 80 dossiers d'installation, contre 109 l'an dernier.
Or, s'il perdure, ce phénomène affectera de manière funeste la vie des terroirs, par le défaut de mise en valeur des potentialités naturelles locales susceptibles d'induire à la fois des emplois et de la richesse.
Aussi ne peut-on que se féliciter de voir cet impératif traduit dans le présent texte. Prévoir une priorité des aides relatives à l'installation des jeunes dans des entreprises modernes et viables, c'est assurer les conditions nécessaires à la pérennisation d'une véritable agriculture compétitive.
En matière fiscale, il est proposé de substituer aux droits proportionnels un droit fixe pour la cession de parts de sociétés civiles agricoles. Là aussi, il est particulièrement opportun d'alléger les coûts de transmission des entreprises en matière de droits d'enregistrement.
On contribue ainsi au développement des exploitations sociétaires, dont les bienfaits en agriculture ne sont plus à démontrer.
Sur le plan social, il faut remédier rapidement à la situation de précarité avancée dans laquelle se trouvent aujourd'hui de nombreux retraités agricoles. En prévoyant un statut mieux défini du conjoint d'exploitant, il est envisagé, notamment, une amélioration en matière de droit à la retraite proportionnelle.
Rappelons à ce sujet que le projet de loi d'orientation préparé par M. Philippe Vasseur comprenait, à la demande du Président de la République, un volet concernant les retraites des agriculteurs. Ce dispositif avait pour objet la revalorisation progressive des pensions les plus faibles, de manière à assurer aux chefs d'exploitation, à leurs conjoints et aux aides familiaux un niveau minimal de revenus comparable à celui qui existe dans les autres secteurs d'activités. Le présent texte donne suite à cette volonté.
Je souhaite évoquer à présent un point qui me paraît également essentiel dans le cadre des actions à favoriser dans le domaine agricole et alimentaire.
Pour ma part, je suis tout à fait convaincu, comme bon nombre d'exploitants, qu'une agriculture moderne et performante, compétitive sur les marchés et dynamique à l'exportation, doit s'appuyer sur des productions de qualité et d'authenticité. Nos concitoyens - des faits récents le prouvent - sont et seront de plus en plus exigeants à ce sujet. Il était donc indispensable de rappeler cet impératif dans un texte d'orientation. Cela est fait par le biais de la création d'un Institut national de la qualité des produits agricoles et alimentaires.
Dans ce domaine, les deux instances existantes, à savoir l'Institut national des appellations d'origine, ainsi que la Commission nationale des labels et certifications, accomplissent parfaitement leurs missions. Une instance chargée d'orienter la politique de signes de qualité et d'origine en France était néanmoins nécessaire.
Les différentes dispositions qui figurent dans la présente proposition de loi ne sauraient s'opposer à un futur projet de loi d'orientation agricole. Notre but est essentiellement d'ouvrir un débat préparatoire, rendu nécessaire par l'impérieuse sauvegarde et la promotion d'un type français d'agriculture spécifique au sein de l'Union européenne.
Ces propositions, soumises au Sénat à la veille du Conseil de Luxembourg, ne sauraient laisser le Gouvernement indifférent. Elles sont, pour la plupart, ardemment attendues et soutenues par l'ensemble des acteurs du monde agricole. Il est donc indispensable de redéfinir une cohérence entre la loi d'orientation et la réforme de la politique agricole commune.
Les agriculteurs attendent rapidement un cadre d'action, monsieur le ministre. C'est à cette condition que nous pourrons infléchir le débat communautaire. Ne décevons pas nos agriculteurs ! (Applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai été un signataire un peu tardif, mais un signataire résolu, de cette proposition de loi, bien que j'aie par instant, sur tel ou tel point, sinon quelques états d'âme du moins quelques réticences.
Monsieur le ministre, si j'ai signé cette proposition de loi, c'est parce que je crois qu'en cette période d'incertitude les agriculteurs ont besoin qu'on leur adresse un signe.
La réforme de la politique agricole commune inquiète de nombreuses personnes. La mondialisation des marchés inquiète, elle, l'ensemble de nos compatriotes, lesquels oublient que, dans cette mondialisation, il y a un « challenge » , comme disent les Américains, terme qui est interprété chez eux comme un motif d'émulation, d'espoir et de volonté, mais qui est souvent perçu chez nous comme un motif de démobilisation, de crainte et de repli.
Nos agriculteurs doivent sentir que la représentation nationale et, si possible, le Gouvernement ont pour eux un minimum d'attention et souhaitent les aider à disposer des instruments qui leur permettent de moderniser leurs exploitations, de s'adapter à la fois aux conditions nouvelles des marchés sur lesquels ils déversent leurs produits et à l'évolution des marchés mondiaux.
Or notre pays souffre d'un certain nombre de handicaps, qui tiennent peut-être à nos traditions, mais aussi à la nécessité de créer un équilibre entre la conception civile que nous avons de l'exploitation et la manière dont le ministère de Bercy - après celui de la rue de Rivoli : M. Deneux connaît bien les combats qui sont menés depuis vingt-cinq ans ! - aborde la question de l'imposition de l'agriculture, oubliant totalement les caractéristiques très spécifiques de cette activité, l'énormité des capitaux engagés rapportés au chiffre d'affaires annuel et, bien entendu, aux bénéfices que peut dégager l'exploitation.
Tout cela mérite que l'on ouvre à nouveau une série de débats, car les agriculteurs ont besoin d'entrevoir les prémices d'une solution.
Monsieur le ministre, même si, personnellement, sur le fond, je peux avoir quelque perplexité, je crois que les pistes qui vous sont tracées au travers de cette proposition de loi ont au moins le mérite de réveiller un certain nombre d'assoupissements intellectuels, voire moraux, qui avaient tendance à s'emparer de notre pays s'agissant des rapports de notre population, de nos gouvernants et du Parlement avec notre agriculture, qui demeure l'une des forces majeures de notre pays.
N'oublions pas qu'elle est l'une de nos forces exportatrices les plus sûres et les plus constantes ni qu'elle est exposée à des concurrents très résolus qui veulent l'empêcher d'accéder aux marchés internationaux.
Notre agriculture a besoin de s'adapter.
Il faut encourager l'installation des jeunes et réorganiser les structures.
Nos agriculteurs ont besoin de sécurité dans les domaines juridique, financier et fiscal.
Cette proposition de loi ouvre des pistes de réflexion que nous devons explorer. Nous ne pouvons pas laisser le voile de l'oubli, ou de l'indifférence, recouvrir une nouvelle fois tous les problèmes du monde agricole.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je me réjouis de ce débat. J'espère que vos réponses apporteront un message d'espoir que nous pourrons transmettre aux agriculteurs, qui constituent une partie importante de la population de nombreux départements, dont celui que je représente. Nos agriculteurs ont en effet besoin de voir s'ouvrir devant eux des perspectives autres que le fameux « paquet Santer », qui, entre nous soit dit, a de quoi inquiéter s'il n'est pas assorti de contrepartie. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Mes chers collègues, après avoir consulté M. François, vice-président de la commission des affaires économiques, il ne me semble pas que nous puissions achever l'examen de cette proposition de loi d'ici à vingt heures.
Nous allons donc interrompre maintenant nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt-deux heures, sous la présidence de M. Paul Girod.)