CRÉATION D'UNE COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LA RÉDUCTION DE LA DURÉE
DU TRAVAIL À TRENTE-CINQ HEURES

Discussion des conclusions
du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 159, 1997-1998) de M. Philippe Marini, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, sur la proposition de résolution (n° 75, 1997-1998) de MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Louis Souvet et Jean Arthuis tendant à créer une commission d'enquête sur les conséquences pour l'économie française de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires. [Avis (n° 163, 1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, mes chers collègues, le sujet dont nous allons débattre est évidemment un sujet crucial, crucial pour l'opinion publique et crucial pour le devenir de nos entreprises : chacun sait qu'il s'agit d'un débat essentiel, engagé, dans des conditions peut-être un peu surprenantes à certains égards, par la conférence nationale sur l'emploi, les salaires et le temps de travail, qui s'est tenue le 10 octobre dernier.
Je rappellerai en quelques mots le contexte dans lequel s'inscrit la proposition de résolution que nous allons examiner et dont les auteurs sont MM. Maurice Blin, Henri de Raincourt, Josselin de Rohan, Louis Souvet et Jean Arthuis.
Ce contexte, nous en sommes tous imprégnés, puisqu'il fait l'objet de l'actualité la plus évidente. Le conseil des ministres n'a-t-il pas adopté hier, 10 décembre, un projet de loi qui, nous a-t-on dit, devrait être soumis au Parlement au cours du premier trimestre 1998 ?
M. Claude Estier. Vous auriez pu attendre !
M. Philippe Marini, rapporteur. Il semble assez naturel, mon cher collègue, que l'on se préoccupe des sujets qui vont être traités prochainement par les assemblées pour que l'on puisse disposer d'un maximum d'éléments d'information de la façon la plus démocratique, la plus transparente et la plus pluraliste possible.
Nous en viendrons tout à l'heure, si vous le voulez bien, aux questions de procédure.
M. Claude Estier. Comptez sur nous !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je m'efforcerai d'apporter, au nom de la commission des finances, tous les éléments d'appréciation nécessaires au vote de nos collègues.
M. Guy Allouche. Arguments fallacieux !
M. Philippe Marini, rapporteur. Non, arguments de procédure.
La commission des finances, commission saisie au fond, a fait son travail ; le rapport que vous avez entre les mains le prouve, et nous allons discuter, comme il faut le faire en semblable circonstance, à la fois de la procédure et du fond,...
M. Raymond Courrière. Procédure politicienne !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... de la recevabilité et de l'opportunité de cette demande de création de commission d'enquête.
M. Guy Allouche. Prenez patience !
M. Philippe Marini, rapporteur. M. le Premier ministre a annoncé, dans son exposé initial, mais aussi à plusieurs reprises à l'occasion de différentes prestations, qu'il n'était pas concevable que la diminution du temps de travail s'accompagne d'une baisse de rémunération des salariés. Il a ajouté qu'il n'était pas non plus concevable que la compétitivité des entreprises s'en trouve réduite.
Il a ainsi marqué les limites de la démarche dans laquelle nous nous apprêtons à nous engager. Cette démarche ne doit être ni antisociale ni antiéconomique. Chacun conviendra qu'elle mérite un examen particulièrement attentif.
Nous savons bien que, au-delà de la discussion sur le temps de travail à proprement parler, doit s'engager un dialogue sur le salaire minimum. Comment celui-ci s'ajustera-t-il à ce mouvement ? Peut-on imaginer de réévaluer le taux horaire du SMIC de plus de 11 % ?
Une discussion sur le statut et sur la rémunération des heures supplémentaires ainsi que sur l'impact qu'auront les mesures qui nous sont annoncées pour la fonction publique devra également être engagée. Ce sont autant de sujets de fond tout à fait essentiels qui sont au coeur de nos préoccupations de législateurs, puisque l'on nous annonce un projet de loi pour le début de l'année 1998.
Nous avons aussi entendu s'exprimer les partenaires sociaux, notamment à la suite de l'épisode de la conférence nationale du 10 octobre dernier. Je serai très allusif en ce qui concerne les représentants des entreprises, car leurs propos publics ont été clamés haut et fort.
M. Raymond Courrière. Ce sont des appels à la guerre civile !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je serai plus précis en ce qui concerne d'autres groupements et d'autres institutions.
La Caisse nationale d'assurance maladie, la Caisse nationale des allocations familiales, la Caisse nationale d'assurance vieillesse des travailleurs non salariés et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale ont réagi, et elles ont exprimé des avis dubitatifs sinon défavorables.
Les responsables des syndicats de salariés, la CFTC, la CGT, Force ouvrière, à partir d'analyses différentes, ont aussi eu une approche critique de la volonté gouvernementale sur ce point.
J'ai lu, notamment, qu'il pouvait en résulter des risques graves pour le financement de la sécurité sociale. C'est M. Marc Blondel qui a souligné que l'avant-projet ne prévoyait qu'une compensation partielle, pour la sécurité sociale, des pertes de recettes dues aux exonérations, contrairement à l'obligation faite à l'Etat par la loi Veil du 25 juillet 1994 de compenser intégralement, auprès de la sécurité sociale, toutes les nouvelles mesures d'exonérations de cotisations sociales.
On conviendra que ce contexte, très présent dans le débat public aujourd'hui, et les réserves ou les critiques émanant de représentants très divers des partenaires sociaux rendent tout à fait opportune la proposition de nos collègues ; nous devons au moins considérer, en introduction, qu'il s'agit d'une bonne question et qu'il faut savoir y répondre.
Je passerai très rapidement sur des déclarations un peu contradictoires que l'on a aussi enregistrées au sein même du Gouvernement. Beaucoup avant moi ont abondamment cité le secrétaire d'Etat au commerce extérieur, M. Jacques Dondoux, qui, en voyage à Albi le 24 novembre dernier, déclarait « ne pas être certain que le passage aux trente-cinq heures créera beaucoup d'emplois ».
M. Guy Allouche. Il aurait mieux fait de se taire !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je ne saurais, mon cher collègue, porter une appréciation de fond ou de méthode sur son propos.
M. Guy Allouche. Moi, je la porte !
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous nous avez dit que votre majorité était plurielle ! Elle manifeste ainsi son pluralisme, et le propos de M. Dondoux est aussi respectable que bien d'autres.
M. Guy Allouche. Il ne manquait pas d'être singulier !
M. Philippe Marini, rapporteur. Bref, nous avons là, je le répète, toutes sortes d'éléments qui nous conduisent à examiner avec intérêt la question posée par nos collègues.
Par souci d'objectivité, le rapport que j'ai l'honneur de vous présenter comporte, pages 6, 7 et 8, le dispositif, tel que nous en avons connaissance, de l'avant-projet de loi du Gouvernement.
Nous indiquons ce dont il est question et nous précisions en particulier, pour ce qui est de l'aide à la réduction négociée du temps de travail, que son coût budgétaire, tel qu'il est prévu dans le projet de loi de finances initial pour 1998, s'établit à 3 milliards de francs.
Nous rappelons donc les conditions de cette aide et sa dégressivité sur une période de cinq ans.
Parvenant au coeur de mon propos, je souhaite à présent évoquer, comme je me dois de le faire devant vous, mes chers collègues, la recevabilité de la proposition, avant d'en venir à son opportunité.
La recevabilité s'apprécie par rapport à deux textes, qui font partie de notre droit public.
Tout d'abord, l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose : « Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information soit sur des faits déterminés, soit sur la gestion des services publics ou des entreprises nationales, en vue de soumettre leurs conclusions à l'assemblée qui les a créées. »
Ensuite, l'article 11 du règlement du Sénat prévoit que la proposition de création d'une commission d'enquête « doit déterminer avec précision soit les faits qui donnent lieu à enquête, soit les services publics ou les entreprises nationales dont la commission d'enquête doit examiner la gestion ».
Bien sûr, il est fait référence à l'existence éventuelle de poursuites judiciaires : s'il y a poursuites judiciaires, il ne saurait être question de créer une commission d'enquête.
M. Claude Estier. Mais quel sont les faits, ici ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Je vous en prie, laissez-moi poursuivre mon propos, mon cher collègue. J'en viens à ce point.
La commission d'enquête que M. Maurice Blin et plusieurs de ses collègues proposent de créer aurait pour objet de « recueillir des informations sur les conséquences de la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires ».
M. Raymond Courrière. Mais c'est une décision qui relève du Parlement !
M. Philippe Marini, rapporteur. Il est manifeste que cette proposition ne concerne pas la gestion d'une entreprise nationale ou d'un service public précisément désignés. Cet objet possible de la commission d'enquête n'existe pas, en l'occurrence. Nous ne pouvons, pour conclure à la recevabilité de la proposition, que nous placer sur le terrain des faits, ainsi que l'avez opportunément rappelé, monsieur Estier.
M. Claude Estier. Eh bien, quels faits ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Des conséquences sont-elles des faits ? Certainement pas ! Mais il est des faits que nous connaissons, les uns et les autres,...
Mme Nicole Borvo. Lesquels ?
M. Philippe Marini, rapporteur. ... et je vais vous en citer deux.
Le premier est l'adoption par le conseil des ministres, hier, d'un projet de loi. (Rires et exclamations sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
C'est bien un fait ! Si l'adoption d'un projet de loi par le conseil des ministres n'est pas un fait, j'aimerais que l'on m'explique ce que l'on doit entendre par le mot « fait » !
M. Claude Estier. Vous pourriez créer une commission d'enquête toutes les semaines, alors !
M. le président. Pardonnez-moi de vous interrompre, monsieur Marini, mais je dois rappeler à nos collègues que le rapporteur dispose d'un temps de parole de vingt minutes. Plusieurs d'entre vous sont inscrits dans la discussion générale, et ceux qui le souhaitent peuvent encore s'inscrire. Chacun pourra donc répondre tout à l'heure à M. le rapporteur. En attendant, laissez-le s'exprimer.
M. Raymond Courrière. Alors, qu'il dise des choses sérieuses ! Ce qu'il dit n'est pas crédible !
M. Philippe Marini, rapporteur. Le premier fait, donc, c'est l'adoption d'un projet de loi par le conseil des ministres.
Le second fait, c'est la tenue de la conférence nationale du 10 octobre.
Il faut que nous sachions - c'est bien la démarche de nos collègues - sur quelles bases, sur la foi de quelles analyses, de quels éléments d'appréciation, ces faits ont pu survenir.
M. Raymond Courrière. Le ministre vous le dira ! Il suffit de l'interroger !
M. Philippe Marini, rapporteur. On peut donc, selon l'analyse de la commission des finances, considérer la proposition comme tout à fait recevable, d'autant que nous avons été saisis d'un projet de loi de finances pour 1998 qui comportait bien 3 milliards de francs de crédits destinés à alimenter les dispositifs d'incitation à la baisse du temps de travail. Si cela n'est pas un fait, qu'est-ce qu'un fait ?
Certes, le Sénat a rejeté cette disposition, mais la rumeur publique vous a sans doute déjà rapporté - et vous n'en avez sûrement pas été étonnés - que la commission mixte paritaire, réunie hier après-midi, avait échoué. Dès lors, il est vraisemblable que les 3 milliards de francs en question seront rétablis. (Heureusement ! sur les travées socialistes.)
Nous avons donc, en vérité, affaire à un enchaînement de faits, qui sont des faits politiques mais qui n'en sont pas moins des faits.
M. Raymond Courrière. Les commissions d'enquête n'ont pas à remettre en cause les décisions du Parlement.
M. Philippe Marini, rapporteur. En conséquence, au nom de la commission des finances, me fondant sur un précédent qui a été créé voilà quelques instants, ainsi que sur celui de la commission d'enquête chargée d'examiner les conditions d'élaboration de la politique énergétique de la France,...
M. Raymond Courrière. Mais cela n'a rien à voir !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... à la suite de la décision du Gouvernement de fermer Superphénix, et en vertu de l'analyse que je viens d'exposer, je conclus à la recevabilité de la présente proposition de résolution.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur. Quant à l'opportunité de la création de cette commission, elle est évidente.
M. Raymond Courrière. Elle est politicienne !
M. Philippe Marini, rapporteur. Il faut examiner les choses à temps pour pouvoir faire du bon travail législatif lorsque le projet de loi nous sera soumis.
M. Claude Estier. Ça, c'est évident !
M. Philippe Marini, rapporteur. Il faut que les fonctionnaires dépendant des ministres concernés puissent s'exprimer en toute liberté devant le Parlement.
M. Raymond Courrière. Ce ne sont pas les fonctionnaires qui décident !
M. Philippe Marini, rapporteur. La commission d'enquête a des pouvoirs particuliers lui permettant d'auditionner les personnalités dont le témoignage lui semble utile.
M. Guy Allouche. Mais ça, on le sait très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur. La procédure de la commission d'enquête facilitera ainsi le travail parlementaire.
Sur le fond, de quoi va-t-on parler ?
M. Raymond Courrière. De politique politicienne !
M. Philippe Marini, rapporteur. La réduction du temps de travail va supposer des efforts qui ne peuvent être le fait que de trois partenaires.
Il s'agit d'abord des salariés. Vont-ils devoir consentir à une diminution de leur rémunération ? (Mme Borvo s'exclame.)
C'est une question que je pose ! Il faudra y apporter une réponse.
Il s'agit ensuite des entreprises. Comment vont-elles s'organiser ? Comment va-t-on naviguer entre l'antisocial et l'anti-économique ?
Enfin, l'Etat, troisième partenaire, va devoir engager des dépenses importantes pour accompagner ce mouvement. Il a prévu 3 milliards de francs pour 1998, mais c'est très peu par rapport aux dizaines de milliards de francs qui risquent de grever les budgets futurs, à un moment où nous devrons appliquer - et je crois savoir que telle est bien la volonté de l'actuelle majorité - le pacte de stabilité européen, car il nous faudra non seulement avoir atteint 3 % du produit intérieur brut, mais rester à ce niveau, et faire encore décroître l'endettement de notre pays.
Il va donc, naturellement, nous falloir parler de la contribution de l'Etat et du poids de cette mesure sur les finances publiques.
Il va nous falloir aussi évoquer les gains de productivité dans les entreprises.
Les grandes entreprises manufacturières sont adaptées à ce type de raisonnement. D'ailleurs, nombre de grandes entreprises ont déjà institué les trente-cinq heures hebdomadaires. Mais, s'agissant des entreprises de services, des petites et moyennes entreprises et de toutes celles qui sont le plus soumises à la compétition internationale, comment vont-elles s'adapter à un mécanisme qui sera, nous dit-on, contraignant ?
M. Raymond Courrière. Il sera contractuel !
M. Philippe Marini, rapporteur. On parle même d'un couperet qui tombera à une certaine date, sans que l'on sache d'ailleurs exactement quel sera finalement le vrai seuil pour la première comme pour la seconde phase.
M. Claude Estier. Ce n'est pas une enquête, c'est un procès que vous faites !
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est une enquête qui sera menée objectivement par une commission pluraliste, dans laquelle siégeront naturellement des membres de votre groupe, monsieur Estier.
S'agissant d'une décision aussi importante, qui conditionne sans doute le climat social et la compétitivité de nos entreprises,...
M. Raymond Courrière. Vous voulez créer un climat de guerre civile !
M. Philippe Marini, rapporteur ... il convient de s'entourer du maximum d'éléments d'information et d'effectuer une étude très approfondie. Pour cela, le Parlement doit disposer d'amples pouvoirs.
En fait, cette proposition vise à valoriser le rôle du Parlement, du Sénat en particulier,...
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur ... dans un débat aussi essentiel dont nous ne pouvons pas être absents et qui ne doit pas être un affrontement entre des intérêts corporatistes.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est nous qui exprimons l'intérêt général (Vives protestations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.), et c'est le rôle du Parlement, dans toute sa diversité, d'étudier de manière approfondie ce qui constitue un vrai sujet de société.
M. Raymond Courrière. Le peuple a voté !
M. Philippe Marini, rapporteur. Quelles sont les conséquences qui vont devoir être élucidées par la commission d'enquête ?
Elles sont de trois ordres, et je propose qu'on le précise explicitement en amendant la proposition de résolution : elles sont financières, économiques et sociales.
M. Raymond Courrière. Et politiciennes !
M. Philippe Marini, rapporteur. Sur le plan financier, il s'agit d'évaluer l'impact de cette mesure sur les finances publiques, notamment au regard des exigences issues du pacte de stabilité budgétaire que vous avez conclu à Amsterdam, ou auquel vous avez souscrit, vous aussi, à Amsterdam.
En deuxième lieu, cette réforme aura des conséquences économiques.
La réduction de la durée du temps de travail aura, nous le savons, des incidences sur la compétitivité de nos entreprises. Il faut évaluer l'effet des trente-cinq heures sur la croissance, sur le climat psychologique dans le monde des affaires et sur le niveau de l'emploi.
Cette mesure de partage créera-t-elle ou non de l'emploi ? Même M. Dondoux n'en est pas persuadé !
M. Alain Gournac. Personne ne l'est !
M. Guy Allouche. C'est Mme Aubry qui est ministre de l'emploi !
M. Philippe Marini, rapporteur. Permettez-nous d'exercer le doute systématique et de faire fonctionner nos esprits critiques, dans le respect le plus entier du pluralisme de notre assemblée.
M. Raymond Courrière. Vous devez respecter le suffrage universel !
M. Philippe Marini, rapporteur. Enfin, en troisième lieu, cette réforme aura des conséquences sociales, car elle est engagée dans le contexte d'une crise que l'on a créée...
M. Raymond Courrière. C'est vous qui l'avez créée !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... dans les relations entre l'Etat et les entreprises.
Si l'on impose une telle mesure à la quasi-totalité des entreprises, que reste-t-il de la négociation interprofessionnelle ? Que reste-t-il de la négociation de branche ? Que reste-t-il de la négociation d'entreprise ?
M. Raymond Courrière. Vous voulez essayer de l'empêcher !
M. Philippe Marini, rapporteur. L'influence d'une telle législation sur le climat social, sur les conditions du déroulement du dialogue social, représente aussi un enjeu tout à fait crucial. Il serait dans ces conditions pour le moins étrange que le Sénat soit absent du débat.
Mes chers collègues, pour l'ensemble de ces raisons, en vous priant de me pardonner d'avoir un peu dépassé le temps de parole qui m'était imparti, je conclus, au nom de la commission des finances, d'abord, à la recevabilité et, ensuite, à l'opportunité de cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Raymond Courrière. C'était la voix du CNPF !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. André Bohl, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, mes chers collègues, la compétence de la commission des lois se limite à l'examen juridique de conformité de la proposition de résolution.
M. Raymond Courrière. Conformité tirée par les cheveux !
M. André Bohl, rapporteur pour avis. L'opportunité de la constitution de la commission d'enquête relève de l'appréciation de la commission saisie au fond.
La commission des lois s'est réunie hier matin pour examiner ce dossier. Elle a constaté que, s'il existait des faits déterminés, la procédure de consultation du Gouvernement sur l'existence éventuelle de procédures judiciaires était sans objet.
En revanche, selon l'exposé des motifs, la commission d'enquête aurait pour objet d'examiner l'impact de la transposition de la réduction de la durée du travail à la fonction publique d'Etat, donc à tous les services publics, à la fonction publique territoriale, au secteur hospitalier et à toutes les entreprises nationales, ainsi que les incidences budgétaires et financières pour l'Etat. Il ne fait pas de doute que ces matières relèvent bien d'une commission d'enquête.
C'est la raison pour laquelle la commission des lois estime que la proposition de résolution n'est pas contraire à l'ordonnance du 17 novembre 1958. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, mes chers collègues, au travers des travaux d'investigation qu'elles accomplissent, les commissions d'enquête constituent incontestablement un moyen pour le Parlement de contrôler la politique du Gouvernement.
Elles participent, avec d'autres procédés - questions d'actualité au Gouvernement, questions écrites, questions orales, avec ou sans débat - au contrôle de l'exécutif. C'est l'une des prérogatives du Parlement, et nous y sommes favorables.
Au passage, je remercie notre collègue Gérard Larcher d'avoir rappelé le rapport que nous avons fait ensemble. Effectivement, nous demeurons toujours très favorables à ces commissions d'enquête...
M. Alain Gournac. Ah ?
M. Guy Allouche. ... car elles font partie du nécessaire contrôle de l'action gouvernementale et, chaque fois que cela se révélera utile, nous approuverons évidemment une telle démarche.
M. Gérard Larcher. Très bien !
M. Guy Allouche. Elles représentent un moyen de revaloriser le rôle du Parlement, dans le cadre de nos institutions.
Il s'agit d'un outil utile et précieux, mais qu'il faut savoir manier avec précaution et modération,...
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Guy Allouche. ... avec, à l'esprit, le souci d'approfondir les règles démocratiques qui s'appliquent au Parlement.
Il conviendrait même de renforcer le rôle des commissions d'enquête en accordant un « droit de tirage » à la minorité. En aucun cas la mise en place de commissions d'enquête ne saurait être l'apanage de la seule majorité (M. Alain Gournac s'exclame). Mon ami et collègue Michel Dreyfus-Schmidt ne cesse de dire, depuis de très nombreuses années, que la minorité sénatoriale doit pouvoir, elle aussi, exercer ce droit.
Mes chers collègues, c'est si évident que je ne résiste pas au plaisir de vous lire ce qu'un éminent homme politique a répondu au Premier ministre actuel lors du débat consécutif à sa déclaration de politique générale, le 19 juin dernier.
Cet homme politique éminent,...
M. Raymond Courrière. Pas si éminent que cela !
M. Guy Allouche. ... disait ceci : « N'oublions pas, en effet, que la qualité d'une démocratie s'évalue tant à l'aune de la vertu qu'on y pratique qu'à celle du respect qu'on porte à la minorité. » Cet homme n'est autre que M. Philippe Séguin ! Il offrirait aussi le droit que doit avoir toute minorité !
Toutefois, il ne faudrait pas que ce procédé soit employé à d'autres fins que celles auxquelles il est normalement destiné.
Or l'usage qu'en fait la majorité sénatoriale permet de penser qu'elle a choisi de s'en servir comme d'un outil d'affichage purement politique contre l'action du Gouvernement.
M. Alain Gournac. Pas de procès d'intention !
M. Guy Allouche. Il suffit de s'appuyer sur les faits.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Guy Allouche. Depuis 1994, à ma connaissance, aucune commission d'enquête n'a vu le jour.
M. Claude Estier. Et voilà !
M. Guy Allouche. A titre de comparaison, j'indiquerai que, entre 1991 et 1993, neuf commissions d'enquête et de contrôle ont été créées au Sénat. Comment justifier ce déséquilibre manifeste ?
Il suffit également de constater les demandes en rafale de création de commission d'enquête que le Sénat a approuvées ou doit examiner aujourd'hui et qui sont relatives à l'énergie, aux grands projets d'infrastructures terrestres...
M. Alain Gournac. C'est important !
M. Guy Allouche. ... à la réduction de la durée du travail à trente-cinq heures hebdomadaires...
M. Alain Gournac. C'est important !
M. Guy Allouche. ... à la régularisation des étrangers en situation irrégulière.
M. Alain Gournac. C'est très important !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, je vais vous faire deux suggestions, et je souhaite que vous les reteniez.
La première, c'est que vous mettiez en place, chaque semaine, des commissions d'enquête sur chacun des projets de loi adoptés en conseil des ministres.
M. Claude Estier. Absolument !
M. Raymond Courrière. Eh oui !
M. Guy Allouche. Et si cela ne suffit pas, je vous engage à mettre en place une commission d'enquête tendant à examiner les conditions dans lesquelles un Premier ministre démocratiquement élu applique avec fermeté et respect le programme sur lequel il a été élu par les Français. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Je vous engage à mettre en place ces commissions.
M. Alain Gournac. Merci du conseil !
M. Guy Allouche. Il est vrai, mes chers collègues de la majorité sénatoriale, que vous êtes tellement habitués à suivre un gouvernement qui ne respecte pas les engagements qu'il a pris...
M. Raymond Courrière. Le respect des promesses vous paraît suspect !
M. Guy Allouche. Qu'attendez-vous, au juste, de ces commissions d'enquête, dont vous gelez la mise en place lorsque vos amis politiques se trouvent aux responsabilités ? Voulez-vous vous faire le relais des critiques d'une organisation patronale sur le projet du Gouvernement de porter la durée hebdomadaire du travail à trente-cinq heures ? Souhaitez-vous continuer à maintenir autour de l'immigration irrégulière les discours parfois extrémistes qui ont été tenus ?
La Haute Assemblée finira par perdre la sagesse dont elle se réclame - d'autant que, depuis 1991, les auditions organisées dans le cadre d'une commission d'enquête sont publiques - surtout s'il est manifeste que des « coups » politiques sont camouflés sous l'appellation de commissions d'enquête.
La majorité sénatoriale aurait pu échapper au reprochede partialité dans l'application des prérogatives du Parlement si elle avait utilisé une procédure plus simple, celle qui permet, depuis 1996, aux commissions permanentes de demander à l'assemblée à laquelle elles appartiennent d'exercer les prérogatives qui sont attribuées aux commissions d'enquête pour une mission déterminée.
Je souhaite, chers collègues, vous rappeler ce que je disais à cette même tribune du Sénat, le 3 octobre 1996, à l'occasion de la révision du règlement de notre assemblée tendant à étendre aux commissions permanentes les prérogatives attribuées aux commissions d'enquête. Pardonnez-moi de me citer : « A propos de cette nouvelle extension, je ne parviens pas à me débarrasser d'une certaine suspicion. Je crains que ces commissions d'enquête n'instruisent le procès du Gouvernement en place, surtout lorsque ce sera un gouvernement de gauche. J'espère que nous n'assisterons pas à une pratique sélective de ces nouveaux pouvoirs accordés aux commissions permanentes et spéciales, car une règle n'est effective que lorsqu'elle s'applique invariablement. C'est un principe fondateur de notre démocratie et nos concitoyens sont particulièrement attentifs à son respect. » Voilà ce que je vous disais il y a à peine un an.
M. Raymond Courrière. C'était bien dit !
M. Guy Allouche. Je ne pensais pas être si bon devin ni voir cette prédiction d'hier se réaliser aujourd'hui.
En mettant en place des commissions d'enquête seulement lorsque la gauche est au pouvoir, la droite sénatoriale ne justifie-t-elle pas que lesdites commissions sont d'abord un moyen pour la minorité de contrôler l'action du Gouvernement ? Pourquoi donc la droite sénatoriale s'arroge-t-elle, et à elle seule, un droit qu'elle refuse en d'autres temps à la minorité sénatoriale ?
Je souhaite également mettre en évidence l'incohérence de la majorité sénatoriale. Comment pouvez-vous vous plaindre de la surcharge législative, de l'encombrement de nos travaux parlementaires, de la session unique, même - dont on connaît aujourd'hui le succès plus que mitigé ?
M. Josselin de Rohan. Travaillons trente-cinq heures ! (Sourires.)
M. Guy Allouche. Nous constatons tous que nous faisons plus mal en neuf mois ce que l'on ne faisait déjà pas bien en six mois et deux sessions.
M. Philippe Marini, rapporteur. Pas plus mal !
M. Raymond Courrière. Pas mieux non plus !
M. Guy Allouche. Comment pouvez-vous dire cela ?
Mes chers collègues, ces commissions d'enquête vont-elles se réunir le lundi et le vendredi ? En effet, si elles doivent se tenir, comme cela ne peut manquer d'être le cas, les mardi, mercredi et jeudi,...
M. Alain Gournac. On trouvera une solution !
M. Guy Allouche. ... qu'en sera-t-il de la séance publique ? Demandez à notre collègue M. Hamel ce qu'il en pense ! Nous connaissons tous déjà sa réponse, puisque, à chaque fois, il ne manque pas...
M. Philippe Marini, rapporteur. Ne faites pas parler les absents !
M. Alain Gournac. Cela tombe mal, il n'est pas là !
M. Guy Allouche. Vous lui transmettrez mon message ! Il vous dira ce qu'il pense de ces méthodes de travail !
Quant à l'objet des commissions d'enquête, je vous rappelle que l'article 6 de l'ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires dispose, dans son deuxième alinéa, comme l'a rappelé notre collègue André Bohl, au nom de la commission des lois : « Les commissions d'enquête sont formées pour recueillir des éléments d'information... sur des faits déterminés... »
M. Marini a essayé, mais avec beaucoup de difficulté,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Oh !
M. Guy Allouche. ... de nous démontrer ces faits déterminés. Mais je tiens à lui rappeler qu'une commission d'enquête ne l'emporte pas sur la loi.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Guy Allouche. C'est le Parlement souverain qui décide !
M. Claude Estier. Absolument !
M. Alain Gournac. Personne ne dit le contraire !
M. Guy Allouche. Par conséquent, n'essayez pas de faire passer une commission d'enquête avant que la loi ait été votée et qu'elle ait été appliquée.
M. Claude Estier. Oui, attendez que le Parlement délibère !
M. Alain Gournac. En quoi cela vous gêne-t-il ?
M. le président. Monsieur Gournac, dois-je vous inscrire dans la discussion générale ?

M. Alain Gournac. Peut-être, après tout !
M. le président. Vous avez cette possibilité ! Par conséquent, il est inutile d'interrompre sans arrêt l'orateur.
Poursuivez, monsieur Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur Marini, vous voulez déjà enquêter sur des conséquences de faits qui n'existent pas encore ! Le projet de loi a seulement été adopté hier en conseil des ministres.
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est un fait !
M. Guy Allouche. Il sera soumis au Parlement au cours du premier trimestre 1998. Par conséquent, on est dans le virtuel ! Où sont les faits déterminés ?
Quant au secteur public, j'y reviendrai pour dire que, là aussi, vous faites fausse route. Vous voulez enquêter sur ce qui n'existe pas. Vous allez créer une commission d'enquête non pas pour nous informer, pour vous informer ou encore pour tirer des conclusions - ce qui est impossible à l'heure actuelle, et pour cause - mais pour justifier un rapport dont on devine, à l'heure où je parle, qu'il est déjà prêt, qu'il est déjà pensé,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Cela m'étonnerait !
M. Guy Allouche. ... qu'il est déjà rédigé dans l'esprit de M. Marini. Sachez, mon cher collègue, que nous nous réjouissons, et j'insiste sur ce terme, d'apprendre que vous vous faites le relais du CNPF !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je n'ai même pas cité cette organisation.
M. Guy Allouche. D'un point de vue politique, je me dois de vous dire que c'est une aubaine pour nous. Les masques sont enfin tombés et la grande majorité des Français savent désormais - en fait, il ne s'agit que d'une confirmation - qui vous représentez et quels intérêts vous défendez.
Tout comme moi, vous êtes jeune, monsieur Marini...
M. Philippe Marini, rapporteur. Encore un peu !
M. Guy Allouche. ... mais à vous entendre je me disais que vous aviez déjà votre place au Parlement en 1936, lorsque le gouvernement de Léon Blum a proposé les quarante heures et les congés payés ! (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Vous tenez aujourd'hui le même langage, et, pour ce faire, vous vous posez en défenseur de l'intérêt général. Incontestablement, je reconnais que, dans ce domaine, vous ne manquez pas d'assurance.
M. Raymond Courrière. Ni de continuité !
M. Guy Allouche. Mes chers collègues, que prévoit le projet de loi sur les trente-cinq heures qui a été, je le répète, adopté seulement hier en conseil de ministres ? Il tend à engager notre pays vers une durée légale, mais non réelle, de trente-cinq heures de travail par la voie de la concertation et de la négociation au plus près de la réalité, à savoir au sein de l'entreprise, ce qui est indispensable pour redynamiser celle-ci, créer des emplois et redonner tout son sens et toute sa signification au dialogue social, dont l'absence est toujours source de difficultés, de conflits et donc de menaces pour la survie de l'entreprise.
Le projet de loi se limite à inciter à engager des négociations, en prévoyant des aides substantielles pour favoriser le passage progressif aux trente-cinq heures. Il fixe, par ailleurs, à deux ans la durée des négociations.
Mes chers collègues, où est donc la contrainte tant décriée par certains ? Il s'agit d'une loi-cadre, d'une loi d'orientation ; ce n'est qu'au terme de deux années de négociations au sein même des entreprises, et non par branches - j'insiste sur ce point - qu'une autre loi fixera la nouvelle durée légale, en se fondant sur les enseignements qui seront tirés de ces négociations.
Cette loi s'appliquera, dans une première phase, au 1er janvier 2000 et, dans une seconde phase, au 1er janvier 2002.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Guy Allouche. Ce projet de loi comporte une partie défensive tendant à attribuer des aides pour maintenir les emplois et donc éviter les licenciements. Nous savons tous ici que tel est le premier objectif de ce texte, avant même qu'il soit question de création d'emplois.
Mais ce projet de loi comprend également une partie offensive visant à permettre la création d'emplois.
Vous savez très bien aussi que le Gouvernement de Lionel Jospin n'a pas abrogé la loi de Robien. Faut-il vous rappeler, mes chers collègues, que le CNPF s'était déjà opposé à cette loi, qui est pourtant d'essence libérale et qui a permis de conclure à ce jour plus de 1 500 accords ?
Patrons et salariés, nous le savons tous, ont intérêt à négocier et à instaurer dans les meilleurs délais cette réduction du temps de travail, tout simplement pour bénéficier des aides prévues. Il n'y aura donc pas de charges supplémentaires.
Ces négociations permettront de trouver les meilleures solutions aux problèmes qui se posent au sein de l'entreprise, tels que l'annualisation du temps de travail, la souplesse nécessaire de la durée hebdomadaire, pour tenir compte du caractère saisonnier de certaines activités, une nouvelle définition des conditions de travail, l'amélioration des gains de productivité, lesquels déboucheront sur des créations d'emplois, sans oublier la question du salaire et du paiement des heures suppplémentaires. Le simple fait de renouer le dialogue entre les partenaires sociaux aplanira bien des difficultés.
N'oublions pas, mes chers collègues, que nombre d'entreprises, et non des moindres, sont déjà passées aux trente-cinq heures. Certaines d'entre elles en sont déjà à trente-deux heures, avec la semaine de quatre jours.
Toutes ces négociations permettront, nous le constaterons très vite, de mettre un terme à la campagne mensongère du CNPF.
Je ne résiste pas au plaisir de vous citer les propos tenus par Mme Notat, voilà seulement trois jours, sur une antenne périphérique.
M. Philippe Marini, rapporteur. Moi, j'ai cité M. Blondel.
M. Guy Allouche. A chacun ses auteurs ! Personnellement, je ne contredis pas M. Blondel.
A la question qui lui était posée, Mme Notat a répondu : « Le patronat, dans cette bataille pour les trente-cinq heures, part en guerre. D'abord, c'est une mauvaise guerre et, en plus, il la mène avec de très mauvais arguments. Alors, franchement, il est temps qu'il se ressaisisse ; il est temps que ce patronat nous dise si véritablement il est attaché à l'intérêt des entreprises, s'il est attaché au développement économique, s'il est attaché au développement de l'emploi. Bref, s'il ne veut pas se mettre sur la touche par rapport au terrain de jeu des problèmes de la société et des mutations françaises, il serait temps qu'il nous dise ce qu'il faut faire pour créer de l'emploi. »
A la question : « Madame, ne craignez-vous pas que les trente-cinq heures alourdissent le coût du travail ? », Mme Notat répond : « Voilà l'argument massue, qui est un argument mensonger. C'est un argument mensonger, car il part du principe que la loi, qui n'est pas encore là mais qui devrait sortir des décisions de la conférence du 10 octobre, est une loi qui passe tout de suite aux trente-cinq heures, de manière uniforme, de manière standard, sans l'aide de l'Etat. Tout le monde serait dans le même moule ! Ce n'est pas vrai. Le patronat ment, et il le sait, parce qu'on ignore ce que sera cette loi au 1er janvier de l'an 2000. »
Oui, le CNPF mène actuellement une campagne mensongère. Bien des chefs d'entreprise - nous avons hier encore entendu certains d'entre eux s'exprimer - n'hésitent pas à dire que les propos tenus actuellement sont outranciers...
M. Raymond Courrière. C'est certain !
M. Guy Allouche. ... et que certains feraient mieux de s'occuper de leur entreprise, plutôt que de se lancer dans une guérilla politique contre un gouvernement démocratiquement élu et qui ne fait que respecter un engagement pris devant le peuple.
La frilosité congénitale d'une partie du patronat français est légendaire. Elle est même connue bien au-delà des frontières.
Ces jours-ci, deux démentis ont été apportés à l'attitude du patronat français.
Je prends l'exemple de l'implantation de Toyota dans ma région. Pensez-vous que les Japonais soient sourds, aveugles, absurdes et inintelligents au point de venir investir des milliards dans un pays où tant de menaces pèseraient sur les entreprises ?
Voilà deux mois, un autre constructeur automobile, allemand cette fois, a implanté une usine en Lorraine. Croyez-vous que cette entreprise soit, elle aussi, aveugle et sourde ?
La France est le quatrième pays au monde pour l'implantation d'entreprises étrangères. Si la situation était celle que vous décrivez, relayant ainsi les arguments du patronat français, pensez-vous que ces entreprises viendraient s'installer dans notre pays ? Vous faites un mauvais procès au Gouvernement !
Depuis plus de vingt ans, le CNPF ne cesse de demander toujours plus d'avantages - sa devise, pour reprendre le titre d'un ouvrage célèbre, pourrait être : « Toujours plus » - sans jamais rien donner en contrepartie.
Je m'adresse à la droite sénatoriale : mes chers collègues, en janvier 1996, le Président de la République, M. Jacques Chirac, déclarait publiquement qu'il en voulait au CNPF, qui demande toujours plus sans jamais rien donner en contrepartie.
Le CNPF, après avoir été hostile à la loi de Robien, est aujourd'hui opposé à la loi sur les trente-cinq heures. Bref, nous connaissons la musique ! Nous avons même entendu récemment l'ancien président du CNPF affirmer que son organisation aurait été bernée. Pourtant, les intentions du Gouvernement n'ont jamais été aussi claires : elles ont été affirmées lors de la campagne électorale et pendant les quatre mois de négociations qui ont abouti à la conférence du 10 octobre dernier.
M. Philippe Marini, rapporteur. Campagne électorale oui, concertation, non !
M. Guy Allouche. Mais, mes chers collègues, n'est-ce pas d'abord la droite qui a été bernée en 1986 lorsque M. Gattaz, au nom du CNPF, avait demandé au Gouvernement de M. Chirac de supprimer l'autorisation administrative de licenciement avec, pour contrepartie, la création de 400 000 emplois ? Vous avez supprimé l'autorisation administrative de licenciement, mais que sont devenus les 400 000 emplois ? Dans quelles branches ont-ils été créés ?
Qui donc a été berné ?
Tirant la leçon de cette expérience, le gouvernement actuel veut engager un dialogue franc avec le CNPF...
M. Alain Gournac. Ils sont gonflés !
M. Guy Allouche. ... et l'inviter à la table des négociations, car il y a sa place.
Le CNPF, nous le savons, ne se soucie pas de la défense de l'emploi ni de la lutte contre le chômage. Si tel était le cas, nous nous en serions aperçus depuis longtemps !
Son principal souci, c'est la défense de ses intérêts, lesquels, nous le savons, ne coïncident pas toujours avec ceux de l'économie française.
M. Philippe Marini, rapporteur. L'emploi, contre les entreprises !
M. Guy Allouche. Il est temps que le CNPF prenne sa part dans la lutte contre l'exclusion sociale et le chômage.
Mes chers collègues, ayons l'humilité de reconnaître que toutes les voies qui ont été empruntées depuis vingt ans pour lutter contre le chômage étaient des impasses. Nous avons tous échoué. Une nouvelle voie s'ouvre à nous, celle de la réduction du temps de travail,...
M. Alain Gournac. Il faut l'étudier avant !
M. Guy Allouche. ... qui a commencé à faire ses preuves dans quelques pays voisins et dans nombre d'entreprises françaises avant même l'entrée en vigueur de la loi de Robien.
Alors, engageons-nous dans cette voie ! Les trente-cinq heures constituent un moyen de lutter contre le chômage. C'est non seulement le sens de l'histoire mais aussi le début d'un processus !
M. Philippe Marini, rapporteur. Sens de l'histoire ? Voilà qui nous rappelle de mauvais souvenirs...
M. Guy Allouche. Oui, c'est le sens de l'histoire, monsieur Marini.
M. Philippe Marini, rapporteur. ... Le Capital de Karl Marx !
M. Guy Allouche. Comme l'année 1936, où le sens de l'histoire avait abouti aux changements que l'on sait, les années 1997 et 1998 marqueront une date dans l'histoire sociale de notre pays. Il faudra peut-être du temps pour parvenir aux trente-cinq heures réelles, mais, pour l'instant, nous nous dirigeons vers les trente-cinq heures légales.
Venons-en à la fonction publique, monsieur Marini - puisque vous y avez fait allusion dans votre intervention. J'ai dit que les trente-cinq heures étaient un moyen de lutter contre le chômage mais aussi contre la précarité. Or, dans le secteur public, où est le chômage ? Où est la précarité ? Dans ce secteur, vous le savez, les horaires sont variés et variables : ils peuvent passer de six heures pour un professeur agrégé à dix-huit heures, voire à vingt et une heures ou vingt-sept heures ; dans les hôpitaux et dans la police, les horaires ne sont pas les mêmes. Vous savez très bien que la situation est différente dans le secteur public.
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous l'expliquerez aux syndicats ! C'est votre problème !
M. Guy Allouche. Mais le Premier ministre n'a rien écarté. Il entend engager, le moment venu, des négociations avec les partenaires sociaux de la fonction publique, qu'il s'agisse de la fonction publique d'Etat, de la fonction publique territoriale ou de la fonction publique hospitalière, afin de voir comment il sera possible, dans ces secteurs, de s'engager vers les trente-cinq heures.
Mais l'urgence, monsieur Marini, commande de s'occuper d'abord du secteur privé. Et tel est l'objet des discussions.
Mes chers collègues de la majorité sénatoriale, vous voulez mettre en place cette commission d'enquête. Vous obtiendrez satisfaction. Mais ne comptez pas sur nous pour approuver une telle démarche. Nous sommes hostiles non pas au principe même des commissions d'enquête mais à cette commission-là et à celle qu'il nous sera proposé de créer pour procéder à un examen approfondi des procédures en vigueur en matière de régularisation des étrangers en situation irrégulière sur le territoire français et pour en évaluer les conséquences économiques et financières. Nous ne voulons pas, par notre vote, cautionner ce qui pourrait être un coup politique.
Encore une fois, je le répète, libre à vous d'enquêter sur du virtuel, mais ne comptez pas sur nous ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Monsieur le président, mes chers collègues, je n'ai nul besoin de rappeler le souci constant du Sénat d'éviter des décisions hâtives sur les textes qui nous sont soumis.
Notre appréciation doit être particulièrement méticuleuse sur un sujet dont l'incidence économique et sociale sera majeure.
Compte tenu des délais qui manquent souvent aux commissions permanentes, comme le souligne l'excellent rapport de M. Marini, pour examiner dans leurs moindres détails les incidences de textes aussi importants que ceux qui vont nous être soumis en matière de législation sur la durée du travail, il semble opportun d'élargir le temps d'étude dont disposera la commission saisie au fond par un temps d'enquête mis à profit par une commission spécifique.
Le caractère exceptionnel d'une modification aussi significative de la durée légale du travail justifie cette démarche exceptionnelle. Je crois, personnellement, que la commission des affaires sociales, dont plusieurs membres appartenant à tous les groupes, feront partie de cette commission d'enquête, ne pourra que recevoir avec satisfaction les éclairages apportés par celle-ci.
C'est pourquoi il n'y a lieu que de se féliciter de la proposition de résolution de nos collègues MM. Blin, de Raincourt, de Rohan, Souvet et Arthuis. (Très bien ! et applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

Question préalable