M. le président. Par amendement n° II-42, MM. Amoudry, Barnier, Carle, Hérisson et Rinchet proposent d'insérer après l'article 61 decies un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Les entreprises, ayant pour objet l'exploitation d'un service de télévision locale mentionnées aux deuxième, troisième et quatrième alinéas du présent paragraphe, peuvent bénéficier d'une aide, dès lors que les ressources commerciales provenant des messages diffusés à l'antenne et présentant le caractère de publicité de marque ou de parrainage sont inférieures à 20 % de leur chiffre d'affaires total.
« Pour bénéficier de l'aide, les entreprises doivent :
« - soit être titulaires d'une autorisation délivrée par le Conseil supérieur de l'audiovisuel, en application de l'article 30 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication ;
« - soit avoir conclu une convention avec le Conseil supérieur de l'audiovisuel en application de l'article 34-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 précitée ou être déclarées auprès dudit organisme, en application de l'article 43 de la même loi.
« II. - Il est créé une taxe additionnelle perçue comme la redevance pour droit d'usage mentionnée par l'article 53 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986. Le montant de cette taxe est fixé à 5 francs pour 1998.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application du présent article. »
La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Cet amendement a pour objet de mettre fin à la précarité des télévisions locales et de leur conférer des moyens leur permettant d'acquérir l'autonomie financière.
A l'appui de cette initiative, je rappelle au Sénat que toutes les démocraties occidentales ont favorisé le développement des télévisions locales. Jusqu'à présent, la France fait exception.
Comme je l'ai indiqué dans l'exposé des motifs, la plupart des chaînes locales, qu'elles soient hertziennes ou câblées, connaissent des difficultés. Sur les quelque treize chaînes hertziennes créées, il en reste aujourd'hui moins de la moitié. Quant aux quarante canaux locaux du câble, si l'on enregistre quelques belles réussites, la plupart d'entre eux ont du mal à se développer.
Le Conseil supérieur de l'audiovisuel estime d'ailleurs à plus de 200 millions de francs les pertes accumulées depuis quelques années dans ce secteur. Il est vrai que l'inadaptation du statut de ces chaînes est pour beaucoup dans les difficultés financières qu'elles connaissent.
A court terme, il y a urgence. Quantité d'emplois sont en jeu. Il faut donc intervenir pour que les expériences et les initiatives locales puissent résister en attendant le changement de statut espéré.
Cet amendement tend à apporter une aide aux chaînes de télévision locales. Dans le même registre, les radios locales sont aidées grâce à l'intervention du Fonds d'aide à l'expression locale.
En ce qui concerne le mode de financement, il est proposé de percevoir une taxe additionnelle à la redevance de cinq francs pour droit d'usage mentionnée à l'article 53 de la loi du 30 septembre 1986.
Je précise qu'il ne s'agit pas là d'une taxe parafiscale, même si elle est perçue dans les mêmes conditions que la redevance.
Je souhaite aussi rendre notre assemblée attentive au fait que, si l'on additionne les chaînes hertziennes et les chaînes câblées, la télévision locale concerne la plupart des Français.
En tout état de cause, lorsque de telles chaînes n'existent pas, le fonds devrait permettre d'en susciter l'apparition, ce qui ne peut être que favorable à l'expression locale et donc à la démocratie locale.
Au moment où, dans nos villes mais aussi en milieu rural, la distanciation des liens sociaux est à déplorer, les médias de proximité remplissent une incontestable fonction de rapprochement entre les hommes. Il importe de donner à ces chaînes locales le ballon d'oxygène financier dont elles ont besoin.
Le Sénat ne peut rester insensible à cette dimension locale de la politique audiovisuelle. C'est pourquoi je souhaite vivement que notre Haute Assemblée veuille bien adopter le présent amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Alain Lambert, rapporter général. La commission a examiné cet amendement avec grand soin. Elle est en effet consciente du fait que certaines chaînes de télévision par câble éprouvent de grandes difficultés.
Elle a par ailleurs constaté que les télévisions locales soulèvent un intérêt sur de nombreuses travées. L'expression « sur de nombreuses travées » vise notamment M. Loridant, qui a été l'auteur de plusieurs amendements sur ce sujet.
Sur le fond, la commission des finances a été dans l'embarras ; il serait malhonnête de ma part de vous le cacher, mes chers collègues. En effet, cette question pose des problèmes de principe.
Tout d'abord, pouvons-nous envisager de financer par un prélèvement à caractère national des émissions à caractère local, encore que, dans d'autres domaines, des prélèvements nationaux servent des intérêts locaux ?
Ensuite, du fait des difficultés économiques des télévisions locales - leurs pertes s'élèveraient au total, si nos informations sont exactes, à environ 200 millions de francs - l'Etat pourrait-il apporter une aide à ces sociétés pour leur permettre de passer un cap difficile ?
Quoi qu'il en soit la modification de régime économique, notamment grâce à l'accès à la publicité locale par certaines catégories d'opérateurs, ouvrirait la voie de l'équilibre.
Toutefois, cette évolution demeure très controversée, notamment par la presse locale qui craint de perdre des recettes de publicité.
Peut-être le Gouvernement fera-t-il valoir - c'est en tout cas l'impression de la commission des finances - qu'une modification de cette nature pourrait être traitée dans le cadre de futur projet de loi sur l'audiovisuel.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Absolument !
M. Alain Lambert, rapporteur général. La commission des finances a donc souhaité entendre l'avis du Gouvernement et, au final, elle a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le Gouvernement n'est pas très favorable à cet amendement.
Le système actuel est simple : une redevance audiovisuelle est affectée au financement du secteur audiovisuel à caractère général et public.
Subventionner des services télévisuels privés par une taxe additionnelle à la redevance aurait, me semble-t-il, trois inconvénients majeurs.
Le premier serait, évidemment, de créer un risque de confusion des genres entre le service public audiovisuel et la télévision d'opérateurs privés, qui ont pour vocation de s'autofinancer, c'est d'ailleurs le cas dans certains pays étrangers cités en exemple sur « certains bancs » du Parlement.
Deuxièmement, l'existence d'une offre privée subventionnée pourrait entraver l'émergence d'une offre privée « autofinancée » viable.
Troisièmement, cela créerait une concurrence entre le secteur public audiovisuel - je pense notamment aux programmes régionaux de France 3, sur lesquels chacun se penche actuellement et qui se sont développés avec un grand succès ces dernières années - et une offre locale audiovisuelle qui serait, elle aussi, subventionnée.
Entre les télévisions généralistes du service public et les télévisions privées, il y a place, de toute évidence, pour des télévisions intermédiaires, si je puis dire, dont certaines sont, en quelque sorte, des télévisions d'intérêt local, mi-service public, mi-service privé. Mais, dans sa forme actuelle, l'amendement crée une sorte de confusion.
Comme l'a dit M. le rapporteur général, peut-être la solution de ce problème résiderait-elle plutôt dans une régulation de l'ensemble du secteur de l'audiovisuel. Par conséquent, cet amendement trouverait davantage sa place dans le futur projet de loi sur la communication audiovisuelle qui est préparé par ma collègue Mme Trautmann, ministre de la culture et de la communication, et qui sera discuté au Parlement dans le courant du printemps.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vous propose de rejeter cet amendement tendant à créer une nouvelle taxe de 5 francs, qui s'ajouterait à la redevance, mais dont la justification ne me paraît pas légitime.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-42.
M. Michel Charasse. Je demande la parole contre cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Charasse.
M. Michel Charasse. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, sur le fond, je serais tout à fait prêt à me rallier aux arguments des auteurs de l'amendement, parce que se pose sans doute un vrai problème. Mais je dois dire amicalement à nos collègues qui ont signé cet amendement que je me sens un peu gêné quant à la solution qu'ils ont trouvée.
En effet, je vois au moins trois motifs de non-conformité de leur amendement aux textes constitutionnel et organique.
Tout d'abord, cet amendement crée une charge, mais je n'insisterai pas là-dessus. Passons.
Surtout, nos collègues nous proposent de surtaxer par la loi, donc par un impôt, une taxe parafiscale qui, elle, relève du décret. On nous propose donc de créer une surtaxation dont l'assiette et les modalités de recouvrement sont fixées par décret, alors que, normalement, l'impôt a une assiette et des modalités de recouvrement - c'est l'article 34 de la Constitution - obligatoirement fixées par la loi.
Que dirait-on, mes chers collègues, si, demain, le Gouvernement nous proposait de surtaxer un impôt par une taxe parafiscale dont il a seul la maîtrise, puisque les taxes sont créées par décret, par exception aux règles concernant les impôts ou les lois organiques, le Parlement n'intervenant que pour autoriser la perception de la taxe au-delà du 31 décembre de l'année de création ?
Un troisième élément doit être pris en compte : l'affectation. Nous avons bien compris la solution de nos collègues, mais ce supplément n'est pas une taxe parafiscale. Or seule la taxe parafiscale peut être affectée. C'est donc un impôt et il ne peut pas être affecté, sauf si le Gouvernement nous propose une forme d'affectation par l'intermédiaire d'un compte spécial du Trésor ou d'un budget annexe, ce qui n'est pas le cas.
Pour ces motifs, monsieur le président, et pour ces motifs seulement, je ne peux pas soutenir la proposition de nos collègues. En effet, si le Conseil constitutionnel est saisi du projet de loi de finances et si cet amendement venait à être voté, il lui réserverait un sort que, sur le fond, il ne mérite pas à mon avis.
C'est la raison pour laquelle je préférerais de beaucoup que nos collègues auteurs de l'amendement attendent, pour régler cette question, le projet de loi annoncé par M. le secrétaire d'Etat au budget et qu'ils prennent un peu de temps pour examiner les conditions dans lesquelles un fonds pourrait être créé afin d'alimenter ces télévisions locales qui sont confrontées à des difficultés.
Tels sont, monsieur le président, les motifs pour lesquels, à moins que l'amendement ne soit retiré, je ne pourrai malheureusement pas soutenir nos collègues.
M. Paul Loridant Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. J'apporterai mon soutien à l'amendement qui est présenté par nos collègues des deux départements savoyards et qui touchent à la vie des télévisions que j'appelle de proximité, sujet sur lequel, vous le savez, mes chers collègues, je suis intervenu à plusieurs reprises.
Les télévisions de proximité sont diffusées soit par voie hertzienne, soit par câble. Il est incontestable que ces télévisions de proximité ont une mission de service public local. Au demeurant, monsieur le secrétaire d'Etat, cette mission est reconnue par les services fiscaux, et c'est à ce titre qu'elles font l'objet d'un traitement particulier, tant pour les subventions qui sont versées par les collectivités locales que pour les prestations rémunérées par ces collectivités dès lors que ces télévisions diffusent des informations à caractère local, avec toutes les garanties de neutralité et de pluralisme qu'exige le CSA.
Je vous rappelle également, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'à la différence des télévisions nationales et de la presse écrite les télévisions de proximité ne peuvent recourir à la publicité issue de la grande distribution, et qu'elles ne bénéficient pas d'un régime fiscal particulier.
En effet, la presse écrite est exonérée de taxe professionnelle ; les télévisions de proximité ne le sont pas. Il existe un taux réduit de TVA pour la presse écrite ; ce n'est pas le cas pour les télévisions de proximité. Il y a une aide de l'Etat pour la distribution de la presse écrite ; il n'y en a pas pour les télévisions de proximité. J'ajoute qu'il n'y a aucune aide spécifique de l'Etat.
Je suis prêt à reconnaître que les modalités de l'amendement ne sont peut-être pas les plus adaptées. Néanmoins, je n'ai pas senti, de la part du Gouvernement, une volonté de prendre à bras-le-corps ce dossier, que j'avais déjà soumis au précédent gouvernement, en vain.
Je souhaite donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que le Gouvernement prenne en compte une réalité locale, c'est-à-dire ces télévisions de proximité, qui contribue à la démocratie locale, à l'expression des citoyens et à la diffusion auprès de nos concitoyens de ce qui se passe dans leur quartier.
Passant outre les obstacles constitutionnels évoqués par mon collègue M. Michel Charasse, pour ma part, je voterai cet amendement en espérant que le Gouvernement voudra bien, un jour, prendre à bras-le-corps ce dossier qui me tient particulièrement à coeur !
M. Michel Barnier. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Barnier.
M. Michel Barnier. Naturellement, je vais également voter cet amendement, puisque je fais partie des cosignatures aux côtés de M. Amoudry et de mes collègues qui, vous l'avez compris, sont originaires de cette région des Alpes qu'est la Savoie.
Nous avons l'expérience d'une télévision locale. Par conséquent, monsieur le secrétaire d'Etat, au-delà de ce qui peut être dit par le ministère des finances et qui ne nous surprend pas, nous savons de quoi nous parlons.
Nous souhaitons notamment nous inscrire en faux contre la crainte que vous avez exprimée tout à l'heure de voir ces télévisions locales troubler le jeu, voire concurrencer le service public.
Dans notre région, la télévision locale existait depuis plusieurs années. Elle était, comme l'a dit M. Loridant, un facteur de proximité, j'ajouterai même de convivialité, créant un état d'esprit auquel étaient attachées des milliers de personnes, souvent extrêmement modestes, en tout cas isolées, comme beaucoup le sont dans nos régions de montagne.
Tout au long de ces années, je n'ai pas constaté, monsieur le secrétaire d'Etat, que cette télévision locale engendrait la moindre gêne pour le service public ni la moindre concurrence avec France 3 Grenoble. Cette chaîne d'Etat, si je puis dire, a parfaitement cohabité et s'est développée malgré l'existence de cette télévision locale, qui a été « étouffée » progressivement par le manque de moyens.
Je conclus donc cette explication de vote vous invitant, mes chers collègues, à soutenir et à approuver cet amendement. Certes, notre collègue Michel Charasse s'est livré tout à l'heure à une démonstration juridique, précise, technique. Je suis très ému de son souci de préserver le texte de tout risque d'inconstitutionnalité. Nous verrons bien, mon cher collègue, si le Conseil constitutionnel est saisi de ce projet de loi de finances, s'il se prononce et s'il annule cette disposition.
En attendant, en adoptant cet amendement, le Sénat donnera un signal, notamment dans le sens de la décentralisation.
En écoutant M. le secrétaire d'Etat et M. Charasse, je ne sentais plus souffler l'esprit de la décentralisation, qui a pourtant animé, en 1981, le côté gauche de l'hémicycle, et parfois même le côté droit.
Cet amendement porte sur une initiative que nous voulons soutenir, pas seulement chez nous d'ailleurs, mais partout en France et qui s'inscrit dans l'esprit de la décentralisation. Voilà pourquoi je souhaite beaucoup que cette Haute Assemblée, précisément attachée à l'esprit de décentralisation, adopte cet amendement.
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-42, repoussé par le Gouvernement et pour lequel la commission s'en remet à la sagesse du Sénat.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi de finances, après l'article 61 decies.

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