M. le président. « Art. 61 nonies. - Les personnes dont les demandes, déposées avant le 18 novembre 1997 au titre des mesures d'apurement définitif de la dette prises par le Gouvernement, ont été déclarées éligibles par les commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés, bénéficient d'une suspension provisoire des poursuites engagées à leur encontre jusqu'à la décision de l'autorité administrative compétente.
« Ces dispositions s'appliquent également aux procédures collectives et aux mesures conservatoires, à l'exclusion des dettes fiscales. Elles s'imposent à toutes les juridictions, même sur recours en cassation. »
Je suis saisi de quatre amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Par amendement n° II-153 rectifié, MM. Arnaud, Balarello et Borotra, Mme Heinis et M. Marquès proposent de rédiger ainsi cet article :
« Les termes de l'article 22 de la loi n° 93-144 du 31 décembre 1993 portant diverses dispositions relatives à la Banque de France, à l'assurance, au crédit et aux marchés financiers retrouvent effet pour l'ensemble des personnes installées dans une profession non salariée qui ont déposé auprès des commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés, une demande au titre des mesures d'apurement définitif de la dette prises par le Gouvernement, jusqu'à la mobilisation des fonds de l'Etat.
« Ces dispositions s'appliquent dès la publication de la présente loi aux instances en cours, y compris aux affaires instruites par la Cour de cassation, ainsi qu'aux procédures collectives et aux mesures conservatoires. Les personnes concernées conservent la libre disposition de leurs biens. Il en est de même pour les dettes concernant les personnes tenues, avec ou pour le débiteur principal. »
Par amendement n° II-50, MM. Cabanel, François-Poncet, Lesein, Soucaret et Vallet proposent de rédiger comme suit l'article 61 nonies :
« Les personnes qui ont déposé, avant promulgation de la présente loi, les demandes au titre des mesures d'apurement définitif de la dette prises par le Gouvernement, devant les commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés, bénéficient d'une suspension provisoire des poursuites engagées à leur encontre jusqu'à la décision définitive de l'autorité administrative compétente.
« Ces dispositions s'appliquent également aux procédures en cours, aux procédures collectives et aux mesures conservatoires, ainsi qu'aux personnes tenues, avec ou pour le débiteur principal. Elles s'imposent à toutes les juridictions, y compris les tribunaux administratifs et recours en cassation. »
Par amendement n° II-141, MM. Camoin, Alloncle, Cazalet, Laurin et Ostermann proposent de rédiger comme suit l'article 61 nonies :
« Les personnes dont les demandes ont été déposées avant le 9 décembre 1997, ainsi que celles ayant été déclarées éligibles par les commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés, au titre des mesures d'apurement définitif de la dette prises par le Gouvernement, bénéficient d'une suspension provisoire des poursuites engagées à leur encontre jusqu'à la décision de l'autorité administrative compétente et après recours, jusqu'à la décision définitive des juridictions administratives compétentes.
« Ces dispositions s'appliquent aux procédures en cours, aux procédures collectives et aux mesures conservatoires.
« Ces dispositions s'appliquent également aux personnes tenues, avec ou pour le débiteur principal.
« Elles s'imposent à toutes les juridictions de l'ordre administratif ou judiciaire de quelque degré que ce soit, y compris la Cour de cassation. »
Par amendement n° II-126, MM. Delfau, Courteau, Vezinhet, Courrière, Vidal, les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de rédiger comme suit l'article 61 nonies :
« Les personnes visées par l'article 44-1 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 1986 qui ont déposé un dossier auprès des commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés dans une profession non salariée bénéficient d'une suspension provisoire des poursuites engagées à leur encontre jusqu'à la décision de l'autorité administrative compétente.
« Ces dispositions s'appliquent également aux procédures collectives et aux mesures conservatoires, à l'exclusion des dettes fiscales. Elles s'imposent à toutes les juridictions, même sur recours en cassation. »
La parole est à M. Arnaud, pour défendre l'amendement n° II-153 rectifié.
M. Philippe Arnaud. Cet amendement tend à compléter une disposition, adoptée par l'Assemblée nationale en première lecture, et visant à suspendre les poursuites engagées à l'encontre des rapatriés et des harkis.
L'article 61 nonies tend en effet à accorder aux rapatriés réinstallés une suspension provisoire des poursuites dont ils font l'objet en raison d'une situation d'endettement liée à leur activité professionnelle.'
Cette disposition ne s'appliquerait qu'aux personnes déclarées éligibles par les commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés les CODAIR. Or, les CODAIR ne siègent plus depuis mai 1997.
Il est donc proposé d'élargir le champ d'application de l'article à l'ensemble des personnes installées dans une profession non salariée qui ont déposé, avant le 18 novembre 1997, une demande d'apurement de la dette auprès des CODAIR, et ce afin de préserver leurs droits.
M. le président. La parole est à M. Lesein, pour défendre l'amendement n° II-50.
M. François Lesein. Cet amendement a pratiquement le même objet que le précédent.
L'Assemblée nationale a adopté, en première lecture, un article relatif à une « suspension des poursuites » concernant les rapatriés et les harkis, dans l'attente du réglement de leur dossier de réinstallation.
Cet amendement tend à suspendre les poursuites pour toutes les personnes ayant déposé un dossier à la CODAIR et toutes celles pouvant bénéficier de secours exceptionnels ou d'aide sociale ou autre, jusqu'à réglement définitif de leur dossier. En effet - on vient de le dire - les CODAIR ont cessé de siéger en mai 1997 sans avoir pu terminer leurs travaux, et l'étude des dossiers est en suspens.
Il reste encore, à l'heure actuelle, 180 personnes qui risquent de ne pas bénéficier de la suspension des poursuites adoptée par l'Assemblée nationale. D'où cet amendement, que nous souhaitons voir adopté par le Sénat.
M. le président. La parole est à M. Camoin, pour défendre l'amendement n° II-141.
M. Jean-Pierre Camoin. Je ne veux pas reprendre tout ce qui vient d'être dit par mes collègues.
J'insiste simplement sur le fait que les CODAIR ne se sont plus réunies depuis maintenant pratiquement un an et qu'il existe des dossiers qui seraient éligibles, mais qui, n'étant pas passés devant ces commissions, risqueraient de ne pas être examinés.
Notre amendement tend à réparer cette injustice. Il précise également - c'est un point important - que ces dispositions, qui concernent les procédures en cours, s'appliquent à toutes les juridictions, qu'elles soient d'ordre administratif ou judiciaire.
M. le président. La parole est à M. Delfau, pour présenter l'amendement n° II-126.
M. Gérard Delfau. Cet amendement de précision procède du même esprit que les précédents.
Il reprend, sur le fond, le texte adopté par l'Assemblée nationale sur l'initiative de notre collègue Gérard Bapt. Si son objet est donc limité, la modification que nous souhaitons apporter permettra toutefois d'apporter sans ambiguïté un traitement correct aux 150 à 200 derniers dossiers qui restent en souffrance. Et le mot « souffrance », ici, n'est pas trop fort, si longtemps après que ces hommes et ces femmes eurent vécu un si cruel déracinement.
Nous demandons donc qu'il soit précisé que les dossiers déposés font l'objet d'une prorogation de la suspension des poursuites, comme cela a été le cas jusqu'à présent pour les rapatriés réinstallés dans une profession non salariée, ce qui ne figure pas dans la rédaction qui nous est soumise, après le vote de l'Assemblée nationale.
Dans le même temps, nous demandons que soit retirée de ce texte la mention : « les dossiers qui ont été déclarés éligibles par les CODAIR », ces termes limitant singulièrement l'effet d'une prorogation de la suspension des poursuites sur un certain nombre de dossiers en cours.
C'est bien l'ensemble des dossiers qui ont été déposés devant les CODAIR qui doivent bénéficier de la suspension des poursuites, et pas seulement ceux qui ont fait l'objet d'un premier examen.
Les cas sont trop sérieux pour que nous utilisions des artifices de procédure sans grand effet sur le budget de l'Etat mais terribles pour les rapatriés endettés et leurs familles.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s II-153 rectifié, II-50, II-141 et II-126 ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. La commmission des finances n'a pas cherché à cacher son embarras sur cette question. En effet, la souffrance - on a utilisé le mot tout à l'heure - est au coeur des préoccupations des personnes qui sont visées par cet article, et à l'endroit desquelles la nation n'a sans doute pas toujours rempli ses devoirs.
Mais, dans le même temps, il faut que la loi que nous adoptons soit juste et équitable.
Après bien des hésitations, la commission des finances a ainsi considéré que la rédaction actuelle de l'article était sans doute la moins mauvaise. Elle a néanmoins souhaité que le Gouvernement donne son avis sur l'amendement n° II-153 rectifié, puisqu'il vise les personnes réinstallées qui auraient simplement déposé une demande devant les CODAIR sans que ces dernières se soient prononcées sur l'éventuelle éligibilité de cette demande.
Cela étant, il faut que vous sachiez, mes chers collègues, que les dossiers déclarés éligibles seront traités et feront l'objet d'une suspension des poursuires lorsqu'ils sont éligibles.
Les autres amendements - l'amendement n° II-153 rectifié aussi, dans une certaine limite - visent à faire bénéficier de la suspension des poursuites les demandes qui ont été déposées, mais qui ont, hélas ! toute chance d'être rejetées ou, en tout cas, d'être déclarées non éligibles. Dans cette hypothèse, il s'agirait de faire bénéficier de la suspension de poursuites des personnes qui ne remplissent pas les conditions.
Le délai limite de dépôt des demandes, si les informations que j'ai recueillies sont exactes, est expiré depuis le 29 février 1996, de telle sorte que toute demande récemment déposée bénéficierait de la suspension des poursuites.
Or l'une de nos préoccupations était précisément d'éviter que des personnes remplissant les conditions ne puissent voir leur cas tranché par la commission concernée et ainsi ne pas bénéficier de la suspension des poursuites. Dès lors que le délai est forclos depuis le 29 février 1996, il semble - le Gouvernement pourra sans doute nous donner toute précision complémentaire - qu'aucune demande déposée récemment n'aurait pu faire l'objet d'un examen aboutissant à la suspension des poursuites.
Tout bien examiné - je le fais avec beaucoup d'humilité en raison du caractère délicat de cette question -, l'article 61 nonies tel qu'il est rédigé actuellement semble offrir des garanties acceptables pour les personnes concernées. C'est ce qui a amené la commission des finances à émettre un avis défavorable sur tous les amendements et à souhaiter entendre le Gouvernement sur l'amendement n° II-153 rectifié.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les quatre amendements ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Le cas des rapatriés connaissant des difficultés financières du fait des dettes qu'ils ont contractées pour se lancer, à l'occasion de leur réinstallation en métropole, dans une activité professionnelle non salariée constitue un sujet sensible sur lequel l'Assemblée nationale s'est déjà penchée.
En 1994, il avait été décidé, comme cela a été rappelé, de créer des commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés. Ces commissions ont réglé une grande partie des problèmes, mais de 100 à 200 dossiers sont restés sans solution.
La disposition adoptée par l'Assemblée nationale et approuvée par le Gouvernement vise à accorder à ces 100 à 200 personnes ou familles en difficulté une suspension temporaire des poursuites, de façon que nous ayons le temps de trouver avec elles une solution à leur problème qui, pour être ancien, n'en est pas moins douloureux.
Or les quatre amendements proposés remettent en cause ce dispositif.
Par exemple, l'amendement n° II-50 prévoit qu'il suffit d'avoir déposé un dossier pour bénéficier de cette suspension temporaire des poursuites, et a donc pour objet d'étendre le champ d'application de la mesure décidée par l'Assemblée nationale à des rapatriés qui pourraient avoir contracté des dettes pour des raisons étrangères à leur réinstallation dans une activité professionnelle non salariée. Cela signifierait la réouverture totale du dossier du surendettement des familles rapatriées.
Tout en comprenant la motivation qui anime ses auteurs, le Gouvernement ne peut pas accepter cette proposition, car il s'agit de résoudre le problème des 100 à 200 familles de rapatriés que j'ai évoquées.
Par ailleurs, aux termes de l'amendement n° II-126 déposé par M. Delfau et ses collègues du groupe socialiste, il devrait être possible de déposer des dossiers nouveaux. Autrement dit, il ne suffirait pas de trouver une solution aux dossiers déjà déposés et restés en souffrance, qui concernent, je le répète, de 100 à 200 personnes, puisque la procédure de règlement pourrait être reprise ab initia.
MM. Gérard Delfau et André Vézinhet. Ce n'est pas ce qui a été dit !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Quant à l'amendement n° II-141 de M. Camoin, il ajoute également à la complexité du dispositif en repoussant la date limite de dépôt des dossiers.
Enfin, l'amendement n° II-153 rectifié présenté par M. Arnaud prévoit une modification très sensible de la teneur de l'article 61 nonies. En effet, il renvoie à des dispositions portant sur les remises de dettes, ce qui ne correspond pas à l'objectif visé par le Gouvernement au travers de cet article.
En conclusion, je crois que l'Assemblée nationale a eu raison de prévoir une mesure temporaire de suspension des poursuites pour ceux qui ont déjà déposé un dossier et dont le cas relève des commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés. En revanche, les quatre amendements en discussion, dont l'adoption aboutirait à une réouverture du dossier du surendettement des rapatriés, vont au-delà de ce que souhaite le Gouvernement, et j'en demande donc le retrait ou, à défaut, le rejet.
M. le président. Monsieur le rapporteur général, maintenez-vous votre avis défavorable sur les quatre amendements ?
M. Alain Lambert, rapporteur général. Oui, monsieur le président.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-153 rectifié.
M. Philippe Arnaud. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Arnaud.
M. Philippe Arnaud. Vous ne m'avez pas du tout convaincu, monsieur le secrétaire d'Etat, parce que j'ai l'impression que nous ne nous sommes absolument pas compris.
Je maintiendrai donc mon amendement, en indiquant à M. le rapporteur général que je ne pense pas que nous allions trop loin, puisque suspendre les poursuites ne signifie pas du tout les abandonner. Il s'agit uniquement de préserver les droits des intéressés.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° II-153 rectifié, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-50.
M. François Lesein. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Lesein.
M. François Lesein. Tout comme mon collègue Philippe Arnaud, je n'ai pas été convaincu par la réponse de M. le secrétaire d'Etat.
Je me doute bien que notre amendement subira le même sort que le précédent, mais puisque mon département compte de très nombreux rapatriés et harkis, je tiens, pour les honorer, à le maintenir.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-50, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-141.
M. Jean-Pierre Camoin. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Camoin.
M. Jean-Pierre Camoin. Je vais retirer cet amendement, suivant en cela l'avis de la commission, mais c'est un peu la mort dans l'âme, car je reste persuadé qu'il existe des dossiers éligibles - je dis bien « éligibles » - qui n'ont pas pu être défendus devant la commission.
Je demande donc qu'ils soient étudiés, de telle façon que justice soit faite. En effet, les lenteurs de l'administration sont, n'ayons pas peur des mots, la cause d'injustices graves.
M. le président. L'amendement n° II-141 est retiré.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-126.
M. Gérard Delfau. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Delfau.
M. Gérard Delfau. Monsieur le secrétaire d'Etat, l'interprétation que vous avez faite de notre proposition ne correspond ni au texte de l'amendement que nous avons déposé ni aux explications que j'ai données. Il s'agit non pas d'ouvrir de nouveaux dossiers mais, comme je l'ai précisé au nom de notre groupe, de 150 à 200 cas qui sont aujourd'hui en « souffrance », pour reprendre le mot que j'avais précédemment utilisé.
M. Raymond Courrière. Très bien !
M. Gérard Delfau. Cette loi date de 1986, et notre collègue Raymond Courrière, qui fut en son temps chargé de ce département ministériel, pourrait en parler beaucoup mieux que moi ; or, elle donne lieu à des difficultés d'interprétation.
En effet, quel que soit le gouvernement, l'administration de Bercy s'attache à restreindre, pardonnez-moi de le dire aussi crûment, la portée des textes que nous votons.
Ce fait crée des difficultés, et un petit nombre de personnes ne peut bénéficier de ces dispositions.
Ainsi, l'Assemblée nationale avait voté cet article dans un élan unanime ; à peine était-il adopté que l'administration en donnait une interprétation restrictive.
C'est la raison pour laquelle nous sommes d'accord, sur toutes les travées de cette assemblée, et pas seulement sur celles du groupe socialiste, non pas pour ouvrir le dispositif à d'autres dettes que celles qui sont visées par la loi, non pas pour augmenter le nombre des personnes concernées, mais pour affirmer que le mot « éligible » ne peut pas être utilisé par l'administration pour interdire à l'une ou à l'autre de ces 150 ou 200 personnes dont le dossier est en souffrance de bénéficier provisoirement - j'y insiste - d'une suspension des poursuites.
C'est vraiment peu demander, monsieur le secrétaire d'Etat, et cela permettrait de plus de lever une ambiguïté qui, si elle subsistait, nourrirait des conflits, sur un sujet sensible - M. le rapporteur général a prononcé des paroles fort justes sur ce point - avec un certain nombre de personnes envers lesquelles la nation a contracté une dette, parce qu'elles ont vécu des périodes particulièrement difficiles.
Il serait, à mon avis, difficilement compréhensible que vous n'accédiez pas à notre demande, monsieur le secrétaire d'Etat, car il me semble qu'il vaut mieux régler ce problème dans l'enceinte du Parlement plutôt que dans le secret d'un ministère que nous connaissons bien. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. André Vezinhet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Vezinhet.
M. André Vezinhet. Il va sans dire que je fais mienne l'argumentation développée à l'instant par mon collègue Gérard Delfau.
Monsieur le secrétaire d'Etat, « cette affaire, pour être ancienne, n'en est pas moins douloureuse », avez-vous dit tout à l'heure. Eh bien non ! Disons plutôt que cette affaire, parce qu'elle est ancienne, n'en est que tous les jours un peu plus douloureuse ! Nous ne pouvons plus tolérer que perdure, depuis quarante et un ans pour les rapatriés de Tunisie et du Maroc et depuis trente-six ans pour les rapatriés d'Algérie, une situation ô combien douloureuse.
Si des actes du Parlement français n'avaient pas marqué toute une série d'étapes, nous serions peut-être aujourd'hui démunis devant ce problème...
Quoi qu'il en soit, les rapatriés outre-mer ont fait l'objet d'une loi-cadre en date du 26 décembre 1961, devant permettre leur réinsertion sur le sol métropolitain. Il s'agit de la loi dite « d'accueil et de réinstallation des Français d'outre-mer », laquelle prévoyait en particulier d'accorder aux rapatriés des prestations de retour, des prestations temporaires de subsistance, des prêts à taux réduits, des subventions d'installation et de reclassement, des facilités d'accès à la prévention et d'admission dans les établissements scolaires, des prestations sociales, ainsi que des secours exceptionnels.
Les différents décrets, arrêtés et ordonnances ont paru en mars 1962 et plus de 35 000 familles ont bénéficié des mesures de réinstallation et contracté des prêts à taux réduits dans l'espoir qu'une véritable indemnisation, promise par l'article 4 de la loi n° 61-1439 du 26 décembre 1961, leur permettrait de rembourser les emprunts de réinstallation.
Il a pourtant fallu attendre le 15 juillet 1970 pour que la première loi d'indemnisation soit votée. Encore ne s'agissait-il que d'une loi « relative à une contribution nationale », prévoyant une avance sur les créances détenues par les rapatriés, que des députés, membres de la commission spéciale, avaient présentée comme un « premier pas »... C'est dire que les pas effectués furent lents et restent encore insuffisants.
Le deuxième pas fut la loi du 2 janvier 1978, dont le règlement s'étala sur quatorze ans pour s'achever en 1992.
Le troisième pas fut franchi grâce à la loi du 16 juillet 1987, les paiements correspondants étant arrivés à leur terme en septembre 1997.
Ce délai de trente-cinq ans après la spoliation pour les rapatriés d'Algérie, quarante et un ans pour ceux du Maroc et de la Tunisie a faussé les données de la réinstallation.
Les rapatriés réinstallés espéraient obtenir au travers de ces lois une aisance de trésorerie. Malheureusement, deux articles de ces textes ont eu pour effet de retenir le montant des prêts de réinstallation ainsi que les intérêts desdits prêts, et cela par anticipation sur l'indemnisation.
Les affaires acquises par les rapatriés en vue de leur réinstallation, dans la précipitation du douloureux retour, étaient, en quasi-totalité, les moins rentables. Dès la première année, les emprunts n'ont pas pu être remboursés. De ce fait, les rapatriés ont été privés de concours bancaires extérieurs et, par la même, de trésorerie.
Beaucoup ont vendu leurs biens, d'autres sont restés dans une telle précarité qu'il a fallu, dès la fin de l'année 1963, voter une loi instituant des mesures de protection juridique en leur faveur. Celles-ci ont été suivies depuis par une cascade de textes législatifs dont le dernier a vu ses effets s'arrêter au 31 décembre 1996, alors que le problème récurrent de la réinstallation n'était pas réglé dans sa totalité.
Pour que le solde des dossiers puisse être instruit dans la sérénité, un texte assurant la protection juridique des intéressés doit être adopté d'urgence.
Seules les personnes visées par l'article 44-1 de la loi de finances rectificative du 30 décembre 1986 qui ont déposé un dossier auprès des commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés pourront bénéficier de la suspension des poursuites.
Tel est le dispositif de l'amendement présenté par M. Gérard Delfau. Il prévoit donc une date butoir, contrairement à ce que vous avez prétendu, monsieur le secrétaire d'Etat. Nous sommes donc en complet désaccord sur ce point !
Cette affaire a été parfaitement maîtrisée, elle ne laisse pas de place au doute. J'en appelle au sens moral du Parlement et du Gouvernement. (Applaudissements sur les travées socialistes, sur celles du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je le répète, il s'agit d'un sujet ultra-sensible. La question des rapatriés est extraordinairement délicate. M. Raymond Courrière, qui siège parmi vous, le sait bien. Sous l'autorité d'un président aujourd'hui défunt, il a fait beaucoup pour combler les retards qui avaient été accumulés. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. Raymond Courrière. Merci.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur Camoin, je partage tout à fait votre émotion.
Je m'adresse maintenant plus particulièrement à M. Delfau. Comme il l'a dit, il y a un malentendu entre nous. Je cherche avec bonne volonté où il se situe.
Nous sommes d'accord sur un point : selon vous, monsieur Delfau, il s'agit de 180 personnes ; quant à moi, j'ai évoqué les chiffres de 100 à 200 personnes.
Vous êtes partisan d'une suspension des poursuites jusqu'à la décision de l'administration. Or, pour moi, c'est exactement ce que prévoit le texte adopté par l'Assemblée nationale.
Je souhaiterais donc que vous m'expliquiez ce que vous ajoutez au texte de l'Assemblée nationale, alors que, selon moi, il s'agit des mêmes personnes, des mêmes dossiers, et de la même procédure de suspension des poursuites, dans l'attente de la décision de l'administration.
Vous avez tenu, sur la noble administration de Bercy, des propos pas toujours élogieux et je n'ai pas bien compris où vous aviez supputé un piège dans l'amendement voté par l'Assemblée nationale et approuvé par le Gouvernement.
M. Gérard Delfau. Puis-je vous interrompre, monsieur le secrétaire d'Etat ?
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Je le souhaite, même !
M. le président. La parole est à M. Delfau, avec l'autorisation de M. le secrétaire d'Etat.
M. Gérard Delfau. Merci, monsieur le secrétaire d'Etat, de me permettre de préciser ma pensée car je subodore l'existence d'un malentendu qu'il faut lever dans l'intérêt de tous, y compris de la noble administration pour laquelle je nourris, par ailleurs - comme chacun d'entre nous - une grande révérence.
La difficulté réside dans le mot « éligible », que nos collègues de l'Assemblée nationale ont fait figurer dans le projet de loi et qui paraît pouvoir faire l'objet d'interprétation de l'administration et retirer le caractère d'automaticité à la suspension provisoire des poursuites.
Autrement dit, je crois que nous sommes d'accord sur le fond.
Par ailleurs, s'agissant, vous l'admettrez avec moi, d'un dispositif n'ayant pas une extension considérable mais qui est sensible, il me semble qu'il serait sage que la Haute Assemblée unanime vote cet amendement.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le secrétaire d'Etat.
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Monsieur Delfau, je vous remercie d'avoir bien précisé votre pensée. La différence entre nos points de vue tient effectivement au terme : « éligibilité ».
Il est clair que le Gouvernement a suivi l'Assemblée nationale sur un dispositif applicable à 100 voire à 200 rapatriés qui ont été déclarés éligibles par les commissions départementales d'aide aux rapatriés réinstallés et prévoyant l'apurement de dettes contractées à l'occasion de leur réinstallation pour l'exercice d'une activité professionnelle non salariée.
M. Camoin a bien expliqué que certains d'entre eux ne sont pas rentrés en France dans les conditions les plus favorables - c'est le moins que l'on puisse dire - et ont connu de grandes difficultés.
A partir du moment où ce critère est retenu, le Gouvernement et l'administration qui est sous son autorité aboutissent au chiffre de 100 à 200 personnes.
Monsieur Delfau, si vous supprimez ce critère d'éligibilité, je ne vois pas comment vous pouvez être sûr que ce sont cent quatre-vingts dossiers qui sont concernés. Il est possible que leur nombre soit alors plus élevé.
Le débat a l'air technique, mais il est important.
La différence entre nos positions tient au fait que le Gouvernement et l'Assemblée nationale évoquent des dossiers qui ont été déposés et reconnus éligibles par les CODAIR alors que vous, vous faites référence à une population plus vaste, à des personnes qui ont déposé un dossier sur lequel la commission départementale d'aide aux rapatriés réinstallés ne s'est pas prononcée.
M. André Vezinhet. Nous parlons de dossiers déjà déposés !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Certes, mais ces dossiers déjà déposés n'entrent pas forcément dans les critères retenus par la loi.
M. Gérard Delfau. On verra !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Il faut être clair si nous sommes d'accord sur le fait qu'il s'agit de 100 à 200 dossiers déjà déposés, je pense que, dans ce cas, l'article 61 nonies vous donne satisfaction.
M. Gérard Delfau. Non !
M. Christian Sautter, secrétaire d'Etat. Si vous souhaitez étendre la liste à ceux qui ont déposé un dossier, ce qui logiquement devrait concerner plus de 180 personnes, à ce moment-là, vous étendez le dispositif.
En conséquence, soit il s'agit de 180 personnes, auquel cas l'article 61 nonies vous suffit et vous avez la courtoisie de retirer votre amendement ; soit vous visez un objectif plus vaste et, dans cette hypothèse, le Gouvernement vous demande de retirer votre amendement ou il demandera au Sénat de le rejeter.
M. Jean-Pierre Camoin. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Camoin.
M. Jean-Pierre Camoin. Monsieur le secrétaire d'Etat, vous venez de le dire, il s'agit d'un dossier qui, sur le plan humain, a déjà soulevé de nombreuses difficultés. En l'occurrence, nous risquons de renouveler une erreur.
Personnellement, je préfère commettre une erreur par excès, et je vais donc voter l'amendement de mon collègue M. Delfau plutôt que de commettre une erreur par défaut.
Nous devons préciser le dispositif comme le demande M. Delfau, afin de ne pas ajouter une injustice à l'injustice. (Très bien ! sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-126, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, l'article 61 nonies est ainsi rédigé.

Article 61 decies