M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi concernant la sécurité.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Guy Cabanel, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons donc les quatre agrégats du budget du ministère de l'intérieur qui correspondent à la sécurité, c'est-à-dire l'agrégat de l'administration générale, l'agrégat de l'administration territoriale, l'agrégat de la sécurité civile et l'agrégat de la police nationale.
Cet ensemble, qui correspond à quatre des cinq agrégats budgétaires du ministère représente les deux tiers des 77 milliards de francs environ qui lui sont affectés. Ce sont donc 52,4 milliards de francs qui sont consacrés à la sécurité.
Ce budget progresse, en apparence, de 3,58 %, mais il faut se méfier des apparences. En effet, le poids des élections à organiser en 1998 pèse lourdement, atteignant, environ, 1,3 milliard de francs. Par conséquent, hors dépenses électorales, monsieur le ministre, votre budget augmente de 1,06 %, c'est-à-dire qu'il connaît une quasi-stabilité en francs constants.
S'agit-il pour autant du même budget qu'en 1997 ? Je n'irai pas jusqu'à dire, cela bien que, pour avoir été rapporteur l'an dernier, j'aie déjà eu l'occasion d'émettre un avis favorable, ce qui est très bon signe pour la suite, monsieur le ministre ! En fait, ce budget, à enveloppe stable, connaît des ajustements et quelques orientations nouvelles.
Les ajustements sont nombreux. Ils vont des plus simples, telle la suppression d'emplois budgétaires non pourvus, qui permet de créer des emplois plus utiles et de revaloriser les régimes indemnitaires, jusqu'à la diminution de certaines dotations, en particulier les moyens de fonctionnement de la police nationale et ceux des préfectures. Cette diminution s'explique par la réorganisation de certains crédits, et son incidence est faible. Elle ne pénalise donc pas le fonctionnement des services.
Toujours dans les ajustements, signalons que les crédits consacrés au logement social des fonctionnaires diminuent, mais nous savons que cette évolution budgétaire correspond à la poursuite d'une politique réaliste de partenariat avec l'Union des propriétaires immobiliers, qui permet de mettre à la disposition des fonctionnaires de police un nombre suffisamment important de logements.
S'agissant des crédits d'investissement, on note, certes, des crédits reportés, mais, surtout, l'achèvement de certains grands programmes, notamment le renouvellement des bombarbiers d'eau de type Canadair. Le tout permet de diminuer substantiellement la dotation.
Le démarrage du programme de renouvellement des hélicoptères est toujours en attente du choix de l'appareil à commander ; les crédits d'investissement y afférents sont donc normalement réduits.
Ces ajustements sont complétés par la définition d'orientations nouvelles.
Je soulignerai la mise en oeuvre, dès cette année, du schéma d'apurement de la dette à l'égard de France Télécom. Cette dette du ministère de l'intérieur était particulièrement irritante ; elle a été négociée et nous avons à connaître, cette année, de la première tranche de ce schéma.
Vous avez eu également le souci d'accentuer l'effort en faveur du soutien médical et psychologique aux policiers. Sur ce point, je me propose de demander à la commission des finances s'il serait possible d'effectuer une enquête afin d'étudier la manière dont peut se développer ce dispositif, mieux doté, cette année, dans votre budget.
Reste que la principale innovation de votre budget tient au recrutement des adjoints de sécurité. Cette mesure nouvelle est dotée de 200 millions de francs ; nous y reviendrons, car il s'agit là de la pièce maîtresse de notre discussion.
Monsieur le ministre, compte tenu des contraintes budgétaires actuelles, la démarche qui consiste à ajuster les crédits au plus près des besoins s'impose à vous. Cependant, elle comporte le risque de provoquer des tendances lourdes, difficiles à renverser lorsque l'enveloppe des reports sera épuisée, notamment en matière de crédits d'investissement. Ceux-ci diminuent de 18 % en crédits de paiement pour 1998 ; nous en avons vu les raisons, qui justifient pleinement cette diminution, mais, pour préparer l'avenir, il faut veiller, par le biais des autorisations de programme, au maintien du niveau des investissements du ministère de l'intérieur. Je dois dire que ce souci semble avoir été partagé, puisque vos autorisations de programme sont en progrès pour 1998.
De plus, la réorganisation des crédits au sein d'une enveloppe stable est un exercice qui comporte des limites. Je suis obligé de signaler l'une d'elles : la sécurité civile repousse, et depuis plusieurs années, le renouvellement de certains matériels, malgré, parfois, l'existence de risques importants. Il en serait notamment ainsi pour les véhicules destinés au transport des munitions.
En fait, le nouvel organisme créé, la Direction de la sécurité et de la défense civiles, doit maintenant financer par redéploiement de crédits son programme de modernisation du service du déminage. Dans l'attente de la rénovation des sites et de l'ouverture de nouveaux dépôts, les munitions, à l'exception des armes chimiques, qui dépendent de la défense nationale, ne sont plus ramassées dans le Nord et en Picardie. Ces contraintes sont lourdes pour la Direction de la sécurité et de la défense civiles, je tenais à vous le signaler. Il faudra, pour l'année prochaine, tenter de trouver quelques possibilités financières pour donner un peu d'oxygène à cette direction. Outre ces contraintes, il faut signaler la perte récente d'un avion Canadair de la nouvelle série. Au coût budgétaire de cet accident s'ajoute le drame que représente le décès du pilote.
L'objectif de maîtrise des dépenses s'applique à tous les ministères, en particulier au ministère de l'intérieur. Malgré son caractère régalien, ce dernier n'est que relativement épargné. Le dévouement des policiers et l'interdiction qu'ils ont de faire grève ne doivent cependant pas pour autant exposer ce ministère à faire les frais d'arbitrages interministériels successifs. Surtout, je redoute pour ce budget, qui est acceptable mais serré, les gels de crédits.
J'en arrive à l'innovation majeure de ce budget.
Le gouvernement auquel vous appartenez, monsieur le ministre, a choisi de placer le droit à la sécurité pour chaque citoyen et l'amélioration de la sécurité de proximité au premier rang de ses priorités. C'est bien ! En cela, il se situe dans la continuité de la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité de 1995, la LOPS, et du Pacte de relance pour la ville. La politique de sécurité a été confirmée par le décret du 18 novembre 1997, créant le Conseil de sécurité intérieure, qui s'est d'ailleurs réuni le lendemain même de la parution du décret. Cet élément important de votre politique nous amène à considérer un certain nombre d'opérations sous un éclairage nouveau.
Que faisions-nous les années précédentes ? Nous regardions si les obligations contenues dans la LOPS avaient été respectées. La LOPS avait prévu des redéploiements d'effectifs sur la voie publique et le recrutement de personnels administratifs et techniques destinés à décharger les policiers des tâches administratives. Ces dispositions n'ont pas entièrement obtenu le succès escompté, réserve faite des attachés de police, qui se sont révélés utiles. A cet égard, j'apprécie que votre budget y prévoie la création de soixante-dix emplois en 1998.
En revanche, trois réformes prévues par la loi ont permis non seulement d'améliorer le fonctionnement de la police et la gestion du personnel, mais également d'accroître la présence policière sur le terrain.
La réforme des corps et des carrières semble avoir maintenant atteint sa vitesse de croisière. Elle apporte plus de souplesse et de capacité d'adaptation à la police tout en favorisant, à terme, les actions de terrain, du fait du « repyramidage » des effectifs qu'elle prévoit. Par « repyramidage », nom barbare, on entend des modifications d'emploi qui permettent de rajeunir les cadres de la police et de dégager plus de personnel actif sur le terrain.
La réforme des horaires devrait conduire à la fois à l'amélioration des conditions de travail des policiers et à l'augmentation des effectifs, grâce à la réduction du nombre de brigades. Les résultats réels de cette tentative de réforme des horaires restent à apprécier.
Enfin, la mise en oeuvre progressive des transferts de compétence du ministère de l'intérieur vers les administrations dont relèvent logiquement certaines activités a pour objectif de clarifier les attributions de la police nationale pour libérer les effectifs de l'accomplissement de tâches indues. La mesure n'est pas facile à appliquer. Il était facile à prévoir que les administrations en cause, notamment l'administration pénitentiaire, pour ce qui est des transferts de détenus ou des gardes de personnes incarcérées ayant besoin de recevoir des soins à l'hôpital, n'accepteraient pas aisément de reprendre à leur charge les fonctions qui étaient jusqu'ici indûment assumées par la police nationale. Elles le font donc avec difficulté, ou parfois ne le font pas du tout !
Pour en terminer avec l'examen de votre budget, je voudrais insister sur deux points : d'une part, l'apparition des adjoints de sécurité et, accessoirement, des agents locaux de médiation ; d'autre part, les moyens de transmission de la police nationale. Tels sont, à mon sens, les deux faits importants qu'il faut signaler dans l'examen de ce budget.
Monsieur le ministre, vous bénéficiez d'un fait nouveau résultant de la loi relative au développement d'activités pour l'emploi des jeunes. Il s'agit de la création, sur cinq ans, de 20 000 postes d'adjoints de sécurité. La police nationale a commencé leur recrutement avec un objectif de 8 250 adjoints en fonction d'ici à la fin de l'année 1998. Les textes d'application ont été publiés le 30 octobre ; le processus est donc en marche. Cette donnée modifie considérablement les termes du débat sur le redéploiement des effectifs.
Si les textes réglementaires relatifs au recrutement des adjoints de sécurité sont fidèlement appliqués sur le terrain et leur esprit respecté, ces nouvelles recrues seront une chance pour la police nationale. Elles remplaceront avantageusement les policiers auxiliaires, appelés à disparaître du fait de la réforme du service national. A terme, ces jeunes fourniront des candidats de qualité aux concours de recrutement de la police nationale et pourront apporter aux polices municipales et aux sociétés de surveillance privées leur compétence, leur expérience et, en particulier, le savoir-faire et la déontologie hérités de leur passage dans la police nationale.
Le recrutement des adjoints de sécurité ne doit pas pour autant mettre un terme à la politique de redéploiement des effectifs initiée par vos prédécesseurs. En effet, ces jeunes ne seront efficaces que s'ils sont bien encadrés. S'ils ne l'étaient pas, ils risqueraient de devenir une gêne pour les policiers dans l'exercice de leurs missions de terrain.
Quant aux 15 000 agents locaux de médiation appelés à être recrutés par les collectivités territoriales et les entreprises de service public, ils sont destinés à pacifier la vie dans les quartiers difficiles. Quelques expériences de lutte contre les incivilités existent déjà. Mais nous savons bien que, de l'incivilité, on passe très vite à la violence. Les récents incidents auxquels ont été confrontées ou sont encore confrontées certaines régies municipales de transports en commun montrent qu'il y a encore fort à faire dans ce domaine.
A cet égard, ces 15 000 jeunes peuvent constituer un apport indirect dans la recherche de solutions aux problèmes si difficiles de l'incivilité et de la violence.
S'agissant des moyens de transmission de la police nationale, je voudrais attirer votre attention, monsieur le ministre, mes chers collègues, sur un programme que vous connaissez bien et pour l'étude duquel j'ai accompli une mission en Picardie, le réseau de transmission numérique ACROPOL. C'est une nécessité au regard de l'efficacité de la police nationale comme de la sécurité des fonctionnaires.
Aujourd'hui, la police nationale est équipée d'un système de transmission analogique sur l'ensemble du territoire, à l'exception des six départements couverts par ACROPOL. Or il faut reconnaître que ce système analogique est obsolète. Il date des années soixante-dix et ne correspond plus aux normes de maintenance. Souvent, les pièces de rechange ne sont même plus commercialisées et le coût de l'entretien de ces matériels est appelé à s'accroître. En outre, les transmissions sont de mauvaise qualité. Elles ne sont pas cryptées, ce qui permet à des particuliers de les intercepter. La sécurité des policiers est alors en cause.
Le système ACROPOL est implanté pour l'heure dans la région Rhône-Alpes - Loire, Rhône, Isère - et en Picardie - Aisne, Somme et Oise. Il couvrira bientôt la Seine-Saint-Denis, pour la Coupe du monde de football. Il répond aux problèmes de confidentialité des transmissions et améliore la gestion des effectifs grâce aux multiples fonctions dont il est équipé. Je l'ai vu fonctionner : des terminaux embarqués sur ACROPOL, les TESA, servent à interroger les différents fichiers depuis le véhicule de police. A terme, ils permettront aux fonctionnaires de rédiger les comptes rendus de leurs opérations sans avoir à retourner au commissariat, accroissant ainsi la présence policière sur le terrain.
Si l'intensité de l'effort budgétaire en faveur d'ACROPOL n'augmente pas substantiellement dans les années à venir, la couverture intégrale du territoire ne sera pas assurée avant 2015. C'est le schéma lent, le plus mauvais, le plus fâcheux, à mon avis, pour la gestion et de nos finances et de la police nationale. A cette date, en effet, la première génération de terminaux ACROPOL sera déjà obsolète.
Le Gouvernement consacre 214 millions de francs en crédits de paiement à ce programme dans la loi de finances pour 1998, qui seront complétés par 46 millions de francs dans la loi de finances rectificative pour 1997. Grâce à divers transferts internes, vous espérez, monsieur le ministre, atteindre en 1998 un montant de 315 millions de francs en crédits de paiement, puis de 450 millions de francs en 1999. L'effort consenti par l'Etat en faveur des transmissions de la police nationale rejoindrait alors le montant annuel accordé à la gendarmerie nationale pour le développement du système Rubis, qui est comparable à ACROPOL.
Monsieur le ministre, pour ne pas dépasser mon temps de parole, je résumerai mon propos en disant que, la gendarmerie devant disposer de Rubis sur l'ensemble du territoire en l'an 2000, en soutenant un effort de 450 millions de francs par an, le programme ACROPOL s'achèverait en 2008. C'est un défi qu'il faut relever, dans l'intérêt de la sécurité.
En conclusion, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après ces quelques observations sur les adjoints de sécurité et l'intérêt du système ACROPOL, je propose au Sénat, au nom de la commission des finances, d'adopter les crédits qui nous sont aujourd'hui proposés. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Masson, rapporteur pour avis.
M. Paul Masson, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la police et la sécurité. Monsieur le ministre, la question peut se poser de savoir si votre bubget vous donne les moyens de répondre au grand sentiment d'insécurité qui s'accroît en France année après année.
Quelles que puissent être les statistiques - les résultats de 1996 sont, à cet égard, moins mauvais - la délinquance de proximité, celle que chacun perçoit à l'entrée des lycées, dans les rues, dans les autobus, dans les zones incertaines des quartiers difficiles, provoque aujourd'hui dans l'opinion moyenne crainte et colère.
Je n'ai pas le sentiment que ce soit l'ordre républicain qui soit en cause. C'est plus grave : c'est le concept même de l'ordre républicain qui dépérit lentement. En vérité, nos concitoyens doutent. Ils doutent de la capacité, de la volonté même des gouvernements.
Comme vos prédécesseurs, monsieur le ministre, vous sentez ce péril. Vos déclarations sont nombreuses, sans ambiguïté, roboratives même parfois.
Je ne crois pas pour autant que les moyens dont vous disposez, au travers de votre budget, soient à la hauteur de vos ambitions. Le caractère prioritaire donné - en paroles - par le Gouvernement à une politique de sécurité ne trouve pas sa pleine traduction dans le projet de budget qui nous est soumis : en francs constants, vous le savez, ce budget est en légère diminution par rapport à celui de 1997.
Notre excellent collègue M. Guy Cabanel, rapporteur spécial de la commission des finances, en souligne bien les ombres et les lumières.
Du côté des ombres, il faut mettre cette diminution de 2,6 % des moyens de fonctionnement de la police. Il faut également souligner le non-respect des objectifs budgétaires - vous l'avez dit, cher rapporteur - de la loi d'orientation pour la sécurité : 5 000 créations d'emplois administratifs et techniques étaient prévues, 1 200 ont été réalisées.
La commission des lois apprécie sans réserves - sans réserves, monsieur le ministre ! - l'objectif de proximité que vous avez assigné à la police nationale. A cet égard, vous vous proposez de poursuivre et d'amplifier ce principe de proximité, à juste titre cher à tous vos précédesseurs. Il y a quinze ans déjà, Gaston Defferre décrivait avec éloquence les vertus de l'îlotage.
Mais la majorité de la commission s'interroge sur la validité d'une politique de proximité reposant, pour l'essentiel, sur la création d'emplois-jeunes, dont 8 250 à recruter d'ici à la fin 1998.
Selon le décret du 4 novembre 1997, ces garçons et ces filles seront recrutés pour cinq ans, sur la base d'un contrat de droit public, et rémunérés au SMIC. Agés de dix-huit ans à vingt-cinq ans, ils seront placés sous l'autorité hiérarchique des fonctionnaires des services actifs de la police. Leurs missions seront, bien évidemment, toutes de proximité. Ils tourneront dans un quartier ou sur un itinéraire. Ils seront armés, après une formation initiale de deux mois.
Cette expérience nouvelle, fondée sur un recrutement départemental bien spécifique - je pense à la Seine-Saint-Denis, par exemple - mérite d'être suivie attentivement, car se pose la question de la relève des policiers auxiliaires, dont le nombre va décroître rapidement en raison de la réforme du service national. Ceux-ci assureront-ils en plénitude les missions de ceux-là ? Quelle sera l'articulation entre les missions de service public des adjoints de sécurité et les missions de service privé des « agents locaux de médiation » recrutés, eux, par les collectivités territoriales ou, par exemple, les sociétés d'HLM ? L'avenir nous dira quelle est la qualité de cette nouvelle mission d'une police de proximité.
Pour assurer une élémentaire coordination des moyens et objectifs, vous voulez rafraîchir une formule partenariale depuis longtemps en place. Les nouveaux « contrats locaux de sécurité » cosignés par le préfet, le procureur de la République et le maire, entre autres, ne vont-ils pas se superposer aux plans départementaux de sécurité organisés en 1993 et 1997, ces expériences étant elles-mêmes issues des conseils départementaux et communaux de prévention de la délinquance, institués en 1984 ? Mais vous connaissez vous-même, monsieur le ministre, la limite de ces conseils, où la bonne volonté s'épuise devant la lourdeur du système, la multiplication des hiérarchies, l'imbrication des procédures. Tout cela s'essouffle très vite, quel que soit l'enthousiasme avec lequel les gens s'engagent.
Nous constatons que le redéploiement de la police vers les zones les plus sensibles, thème depuis longtemps évoqué, est difficile à passer dans les faits.
La correction des déséquilibres géographiques est à l'ordre du jour. Dans le cadre des pactes de relance pour la ville, 1 500 agents devaient être redéployés dans les zones sensibles en 1996 et 1997. Nous en sommes loin.
La chasse aux tâches indues est depuis longtemps ouverte. Moi qui présente ce rapport depuis des années, je vois toujours les chasseurs de tâches indues s'organiser pour les abattre, mais elles sont toujours là, et les résultats sont minces : selon les informations qui nous ont été transmises, seuls soixante-cinq policiers auraient été réaffectés en 1996 sur la voie publique.
De même, la répartition des responsabilités entre la police et la gendarmerie tarde à entrer dans les faits.
Une mission vient d'être nommée, à laquelle sont associés M. Roland Carraz et notre excellent collègue M. Jean-Jacques Hyest. Je leur souhaite beaucoup de courage pour amener police et gendarmerie à s'entendre sur les redéploiements.
Bref, vous le savez, monsieur le ministre, il y a loin, en ces matières, entre le concept et l'exécution. Depuis des années, je suis bien obligé de constater que les faits démentent souvent les intentions.
Aujourd'hui, la délinquance change de nature et le problème devient très grave. La recrudescence de la délinquance des mineurs devient un sujet de grande préoccupation. Elle touche des enfants de plus en plus jeunes, souvent âgés de dix à douze ans. Elle présente un caractère de plus en plus violent.
Je n'inonderai pas l'Assemblée de chiffres, mais il faut connaître quelques données.
Globalement, en 1996, moins de 18 % des personnes mises en cause pour des crimes et délits étaient des mineurs. L'année dernière, alors que le nombre des mineurs mis en cause était de 126 000 et représentait 16 % de la population mise en cause, sur les neuf premiers mois de l'année 1997, la part des mineurs incriminés a approché 20 %.
Il faut avoir le courage de le dire, la faillite des modes de régulation habituels est patente : l'approche éducative classique n'a plus de prise sur les jeunes délinquants, et l'emprisonnement ne conduit plus qu'à fabriquer des récidivistes en puissance.
Vous êtes parfaitement lucide sur le constat, monsieur le ministre. Vos déclarations au colloque de Villepinte, reprises lors de votre audition devant la commission des lois le 5 novembre dernier, le prouvent.
Vous nous avez annoncé une réflexion sur la modification de l'ordonnance de 1945 relative à l'enfance délinquante. Ce texte est en effet aujourd'hui totalement inadapté - c'est ma conviction profonde - en raison de l'évolution des comportements des familles et des conditions socio-économiques, qui ont considérablement varié en cinquante ans.
Lors de son audition devant la commission des lois, le 25 novembre 1997, Mme Guigou a, pour sa part, précisé que le cadre de l'ordonnance de 1945 ne devait pas être contesté, notamment en ce qui concerne la spécialisation des juges et la primauté de l'éducatif, mais elle a reconnu - fait nouveau - qu'il convenait d'adapter cette ordonnance pour trouver des solutions alternatives s'agissant principalement des multirécidivistes.
Vous avez donc avec la Chancellerie un commencement de piste sur laquelle je crois, vous pourriez avancer rapidement, si telle était votre volonté : vous pourriez la défricher en commun, et nous pourrions vous aider à cet égard.
Mais je redoute, monsieur le ministre, l'opposition de principe systématique d'un certain nombre de doctrinaires qui, s'ils sont de bonne foi - vous les connaissez bien - risquent de bloquer encore, je le crains, le système dans la réflexion évolutive pendant longtemps.
Il faut espérer que les travaux de la mission interministérielle sur la délinquance des mineurs vous aideront à dégager des solutions médianes entre les simples mesures éducatives et l'emprisonnement. Nous attendons avec grand intérêt ses conclusions, parce qu'il y a extrême urgence eu égard à la dégradation de la situation. Celle-ci est nettement perçue dans l'opinion, et il suffit d'allumer la radio chaque matin pour découvrir que le bulletin d'information commence par le récit d'un délit ou d'une affaire de mineurs qui perturbe considérablement les familles. Il y a donc urgence à répondre à cette attente insistante, forte, immédiate de l'opinion.
Il reste, monsieur le ministre, le problème de l'immigration clandestine, dont je ne parlerai pas aujourd'hui. Il sera bientôt à l'ordre du jour du Sénat, et nous aurons largement l'occasion d'en débattre. Constatons simplement que la loi Debré avait été conçue pour donner au ministre des moyens supplémentaires pour lutter contre ce difficile fait de société. Ces moyens sont aujourd'hui sans emploi, dans l'attente d'une vingt-sixième réforme de l'ordonnance de 1945.
Il y a donc dans votre projet de budget, monsieur le ministre, des ambitions que nous partageons et des ambiguïtés qui nous inquiètent. Sans doute l'ambiguïté n'est-elle pas votre fort, mais cette ambiguïté est dans la nature des choses et du temps, dont chacun sait qu'ils sont aussi pluriels.
Ces considérations m'amènent à vous présenter l'opinion de la majorité de la commission des lois : oui aux intentions déclarées, réserve sur les modalités exposées, et confiance dans l'appréciation de la commission des finances sur votre projet de budget. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis.
M. René-Georges Laurin, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour la sécurité civile. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de vous présenter, au nom de la commission des lois, quelques observations sur le projet de budget de la sécurité civile, permettez-moi, devant la Haute Assemblée, de rendre un hommage particulier aux dix-neuf sapeurs-pompiers décédés en service au cours de l'année 1997, ainsi qu'aux deux pilotes, au mécanicien, sauveteur et secouriste et au copilote également tués dans l'accomplissement de leur tâche.
Après une brève analyse des moyens proposés pour la sécurité civile, je vous poserai, monsieur le ministre, trois questions concernant les sapeurs-pompiers.
Sur le plan général, je ne reviendrai pas sur les considérations qui ont été exposées ici même par mon ami Guy Cabanel, au nom de la commission des finances.
Je rappellerai simplement un chiffre qu'il a lui-même cité et que vous connaissez bien, mes chers collègues : la baisse des crédits du ministère de l'intérieur atteint 7,7 % pour 1998, baisse qui est due pour l'essentiel à l'achèvement, en 1997, du programme d'acquisition des nouveaux Canadairs.
La remotorisation des bombarbiers d'eau de type Tracker ne pourra pas être poursuivie en 1998, faute de crédits. Cependant, ces appareils sont particulièrement vétustes, et il est indispensable que ce programme soit repris en 1999 mais je crois que vous en avez l'intention.
Quant à l'important marché que représente le renouvellement de la flotte d'hélicoptères - renouvellement qui s'impose, vous le savez, étant donné l'ancienneté des appareils et le temps nécessaire à l'opération - il est actuellement en cours de préparation.
Vous avez déclaré à la commission des lois, monsieur le ministre, que la première tranche de ce marché serait exécutée grâce aux crédits inscrits dans le collectif pour 1996, et que l'on pouvait envisager que l'ensemble du marché soit engagé pour la fin de l'année 1998. Or aucun moyen supplémentaire n'a été prévu à cet effet.
J'avais déjà attiré l'attention de votre prédécesseur sur le problème du renouvellement de la flotte d'hélicoptères, et j'avais émis la suggestion - je crois qu'elle ne peut être retenue - que certains de ces hélicoptères soient équipés de porteurs d'eau, de façon à être utilisés en flotte de renfort lors des périodes les plus difficiles.
Comme chaque année, je vais à présent faire le point sur les incendies de forêts : 24 200 hectares ont brûlé en 1994, 18 500 en 1995, 11 200 en 1996. Cette tendance à la baisse a été contrariée en 1997 puisque 19 400 hectares de forêts ont été détruits. Cette remontée des statistiques tient aux graves incendies qui ont touché le département des Bouches-du-Rhône au mois de juillet. Néanmoins, la superficie brûlée cette année reste inférieure à la moyenne établie sur les dix-huit dernières années, qui est de 27 000 hectares.
Par ailleurs, il est question, dans le projet de budget, des plans de prévention des risques naturels, les PPR, qui ont été institués par la loi du 2 février 1995 et dont l'objet est de permettre de définir une politique de prévention dans les zones menacées, par exemple, par les inondations, les mouvements de terrain, les avalanches, les séismes ou même les éruptions volcaniques.
Ces plans constituent l'un des documents d'urbanisme portant servitude d'utilité publique. Ils fixent des normes de construction, ils définissent des mesures de prévention et ils prescrivent, si nécessaire, la réalisation d'aménagements. Le projet de budget indique que 774 PPR ont été prescrits en deux ans.
La procédure d'expropriation des biens exposés à des risques majeurs, créée par la même loi du 2 février 1995, a été mise en oeuvre pour la première fois par un décret du 31 mai 1997. Il s'agissait de prévenir un risque d'éboulement des ruines de Séchilienne, en Isère.
J'en viens maintenant à un problème qui préoccupe la commission des lois depuis plusieurs années et sur lequel aucune décision n'a été prise ; il s'agit des responsabilités financières encourues par les victimes d'accidents liés aux activités sportives à risque.
J'ai déjà exprimé cette préoccupation à plusieurs reprises, et la question ne pourra pas être éludée indéfiniment. En effet, le coût parfois très élevé des secours pèse gravement sur les budgets des communes, qui ne sont pas actuellement autorisées à en demander le remboursement aux victimes ou à leurs ayants droit, sauf si l'accident est consécutif à la pratique du ski alpin ou du ski de fond.
Le principe de la gratuité des secours doit, certes, être préservé, mais nous vous demandons, monsieur le ministre, de le moduler en cas de prise volontaire de risque par les victimes.
En outre, un consensus s'est dégagé, au sein de la commission des lois, en faveur de la création d'une assurance obligatoire à la charge des sportifs concernés.
Monsieur le ministre, vos services sont-ils en mesure - la question a été fréquemment posée - de nous proposer une solution satisfaisante s'agissant de l'ensemble des risques qui ne sont pas couverts ?
Je voudrais maintenant aborder deux questions concernant les lois du 3 mai 1996 sur la sécurité civile.
Tout d'abord, s'agissant de la loi relative au développement du volontariat dans les corps des sapeurs-pompiers, deux décrets d'application n'ont pas encore été pris. Je vous ai interrogé sur ce point lors de l'examen de ce projet de budget par la commission, monsieur le ministre, mais j'aimerais que vous puissiez répéter en séance publique ce que vous nous avez dit alors.
Le premier décret porte sur l'allocation de vétérance, qui concerne les anciens sapeurs-pompiers volontaires ayant atteint la limite d'âge de leur grade après vingt années de service. En effet, cette allocation devrait, selon les termes de la loi, être versée à partir du 1er janvier 1998.
Le second décret est relatif à l'allocation ou rente d'invalidité des sapeurs-pompiers volontaires atteints d'une infirmité définitive. Permettez-moi de vous rappeler, monsieur le ministre, qu'il s'agit d'une disposition en principe d'application immédiate, issue d'un amendement d'origine sénatoriale et qui, plus d'un an et demi après la promulgation de la loi, n'est toujours pas mise en oeuvre. Pouvez-vous nous dire quand ces décrets seront pris ?
Enfin, l'application de la loi relative aux services d'incendie et de secours, qui prévoyait la transformation des SDIS, les services départementaux d'incendie et de secours, en établissements publics regroupant l'ensemble des collectivités territoriales concernées à l'échelon départemental, soulève, vous le savez, de grandes difficultés.
Certes, la mise en place du nouveau dispositif se poursuit, bien qu'il faille signaler quelques retards dans certains départements. En revanche, l'harmonisation des régimes statutaire, indemnitaire et surtout de travail des sapeurs-pompiers professionnels, rendue nécessaire par cette réforme, suscite des discussions longues et délicates avec les différentes parties concernées.
Chacun sait que ces projets ont déclenché des mouvements de grève administrative de sapeurs-pompiers professionnels.
Pourriez-vous nous informer, monsieur le ministre, sur l'atmosphère des négociations et sur le vote émis par le Conseil supérieur de la fonction publique territoriale lors de la réunion à laquelle vous avez assisté ? Quelles conclusions tirez-vous de la teneur de ces délibérations et des votes intervenus ?
L'objectif de la réforme des services d'incendie et de secours consistait à rechercher une meilleure égalité des citoyens devant l'accès au service public grâce à une coordination renforcée de la gestion des moyens au plan départemental.
La préoccupation essentielle de la commission des lois - et je crois avoir entendu que c'était aussi celle de la commission des finances - est axée sur la vigilance que les sénateurs apportent au problème des finances des collectivités locales et aux décisions qui doivent intervenir dans ce domaine.
Les solutions à trouver en 1998 seront-elles fidèles à l'esprit des réformes qui ont été adoptées par le Parlement ?
Enfin, monsieur le ministre, je voudrais vous dire un mot sur les incidences de la réforme du service national sur l'organisation de la sécurité civile.
Le remplacement des appelés par des volontaires et des engagés entraînera en effet des dépenses supplémentaires, susceptibles de conduire à un ajustement à la baisse des effectifs. Le compromis à trouver ne devra pas remettre en cause la capacité opérationnelle des services. Dans quelles directions s'orientent vos réflexions à ce sujet et quand pensez-vous parvenir à des conclusions ? Le Sénat, n'en doutez pas, sera très attentif à vos décisions.
J'ai, dans le temps qui m'était imparti, évoqué les différentes questions qui avaient été examinées par la commission des lois. Sous réserve de ces observations, la commission a décidé d'approuver les crédits du ministère de l'intérieur relatifs à la sécurité. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 26 minutes ;
Groupe socialiste, 18 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 14 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 10 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 5 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 5 minutes.
La parole est à Mme Olin.
Mme Nelly Olin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de budget qui nous est aujourd'hui soumis m'amène à poser le problème de l'insécurité urbaine et des moyens mis en oeuvre pour lutter contre la délinquance. Elue du Val-d'Oise et maire de Garges-lès-Gonesse, le problème de la criminalité ne m'est pas inconnu.
Monsieur le ministre, vous faites de la lutte contre l'insécurité dans nos villes une de vos priorités, mais votre budget, en augmentant de 1,5 % seulement, ne traduit pas cette priorité.
En matière de sécurité, nous pouvons nous féliciter de la baisse continue de la criminalité depuis plusieurs années. La mise en place du plan Vigipirate a permis le redéploiement de nombreux policiers dans la rue, et c'est sans doute l'une des causes de cette baisse.
Toutefois, parallèlement, nous voyons de plus en plus apparaître une forte augmentation de la délinquance de proximité, surtout des mineurs. Les dégradations de locaux, les coups et blessures, les vols sont devenus une triste habitude dans nos banlieues.
Cette augmentation s'accompagne et s'explique peut-être par le nombre des infractions non élucidées, les affaires classées sans suite pour cause d'encombrement dans les tribunaux. En tout cas, monsieur le ministre, cela crée un sentiment d'impunité chez ces jeunes délinquants, qui, n'étant que trop rarement réprimés, poussent les limites au-delà de toute mesure.
L'apparition des zones de non-droit dans nos quartiers difficiles est souvent la conséquence de cette violence ; elle est également la conséquence du silence des victimes désespérées et du découragement des policiers, qui, face à une justice « en panne », ne peuvent pleinement accomplir leur mission.
Nous devons nous inquiéter de l'augmentation des actes de violence physique ou verbale impliquant des mineurs. Tous les acteurs de la vie sociale doivent aujourd'hui se mobiliser face à ce fléau. Il est nécessaire de modifier l'ordonnance de 1945 sur l'enfance délinquante. Nous avons commencé à le faire l'année dernière ; nous espérons aujourd'hui, très sincèrement, que vous saurez poursuivre ce travail. Il est sans doute nécessaire de modifier notre système, puisque nous remarquons aujourd'hui que tant l'éducation classique que l'emprisonnement aboutissent à des échecs, avec soit un rejet de l'école, soit des récidives pouvant conduire à la grande délinquance.
Permettez-moi de m'attarder un peu sur la situation du Val-d'Oise. Ce département est bien tristement connu pour être le premier d'Ile-de-France, après Paris, en matière de délinquance. Le manque de moyens est très alarmant, puisque nous comptons aujourd'hui un policier pour quatre cent quatre-vingt-trois habitants.
Ce manque d'effectifs se traduit, comme je l'ai dit, par l'apparition de zones de non-droit. Il est aujourd'hui clair que les critères des effectifs policiers ne prennent que trop rarement en compte le taux de criminalité. Quant à la prise en compte de l'augmentation de la population dans le Val-d'Oise, elle est inexistante pour le recrutement des policiers.
Face à cette pénurie de policiers, vous proposez uniquement la mise en place des emplois-jeunes, c'est-à-dire la création de postes d'adjoints de sécurité ou d'agents locaux de médiation, qui sont censés compenser la sous-dotation en matière d'effectifs policiers. Je note que 267 jeunes seront recrutés dans le Val-d'Oise.
Les agents locaux de médiation seront recrutés par le biais de contrats de droit privé. Leur tâche sera essentiellement préventive. Ces jeunes seront employés par les collectivités territoriales ou par d'autres personnes morales de droit public ou privé. Les agents locaux de médiation entrent dans le cadre de la mise en place des contrats locaux de sécurité. Ces derniers s'appliqueront surtout aux zones les plus touchées par la délinquance urbaine.
L'idée de rapprocher les différents acteurs de la sécurité, notamment la police et la justice, est une bonne idée, monsieur le ministre. Cependant, permettez-moi de m'interroger sur la réelle efficacité de ces contrats. En effet, les deux circulaires de janvier 1993 et de janvier 1997 organisant les plans départementaux de sécurité pouvaient remplir les mêmes fonctions et objectifs que les contrats locaux de sécurité. Ces plans avaient l'avantage de s'appuyer sur l'expérience des conseils communaux et départementaux de prévention de la délinquance, institués au début des années quatre-vingt. Aussi, je m'inquiète du caractère innovateur de ces contrats, et surtout de l'absence d'expérience des futurs agents locaux de médiation.
Vous ajoutez à la création des postes d'agents locaux de médiation, la création des postes d'adjoints de sécurité, dont les principales missions seront l'accueil, l'îlotage, la surveillance. Ces jeunes auront entre dix-huit et vingt-cinq ans et seront recrutés au niveau départemental. Un test psychologique, un entretien et une formation de deux mois seront les seules conditions pour le recrutement. Il me semble qu'il serait bon d'apporter un soin tout particulier à ce recrutement et, surtout, d'appliquer une sélection plus stricte.
Les adjoints de sécurité ne participeront pas à des missions de police judiciaire ou de maintien de l'ordre ; pourtant, ils seront armés. A l'heure où vous vous interrogez sur la légitimité du port d'arme pour les policiers municipaux - je partage votre avis sur ce point : la police municipale de ma ville n'est pas armée et elle ne le sera jamais - je vous rappelle que les policiers municipaux, eux, sont des professionnels. Le fait de donner une arme à de jeunes recrues à peine formées m'étonne.
Ne pouvant agir seuls en matière de répression, ces jeunes seront toujours accompagnés par un policier dans les missions à risque. J'espère, monsieur le ministre, que ces jeunes seront plus une aide qu'une gêne pour les policiers assurant leur formation. A l'heure où nous manquons d'effectifs, je m'étonne de votre décision de mobiliser des professionnels pour assumer une mission de tutorat envers ces jeunes.
Certes, nos villes ont besoin de personnes assurant la surveillance aux abords des écoles, favorisant l'accueil dans les commissariats et facilitant le contact avec les jeunes. Vous avez mille fois raison, monsieur le ministre, ce sont des activités nécessaires. Pourtant, je m'inquiète de l'absence totale de moyens mis en oeuvre pour réprimer réellement les actes de délinquance.
En effet, les adjoints de sécurité ne pourront pas intervenir sur le terrain s'ils ne sont pas accompagnés par un policier professionnel. Or, le manque de personnel se fait énormément sentir aujourd'hui. J'ose espérer, monsieur le ministre, que la création de postes d'adjoints de sécurité et d'agents locaux de médiation - dont la tâche encore floue reste à définir - ne sera pas l'occasion pour vous de geler les postes ouverts aux futurs policiers professionnels.
Nous aurions d'ailleurs souhaité que les postes d'adjoint de sécurité correspondent à de véritables créations d'emplois et non pas, comme c'est parfois le cas, au simple remplacement des policiers auxiliaires appelés à disparaître avec la réforme du service national.
Le pacte de relance pour la ville avait permis la mise en place d'une politique de redéploiement des effectifs policiers. Je souhaite très sincèrement que la création des postes d'adjoints de sécurité ne vienne pas freiner cette politique.
Il faut donner aux maires des villes les plus touchées la possibilité de lutter concrètement contre la délinquance, surtout contre celle des mineurs, qui ne cesse d'augmenter. Les maires sont responsables de la tranquillité publique. C'est pourquoi, monsieur le ministre, nous avons besoin de vrais professionnels, et je parle, vous le savez, en parfaite connaissance de cause.
Notre inquiétude est légitime : je remarque en effet que l'augmentation des crédits inscrits dans votre projet de budget, qui est de 1,5 % en comptant la participation du ministère de l'emploi et de la solidarité, n'est que le résultat de la croissance des dépenses de personnel.
Donner la priorité à la sécurité est une très bonne chose, monsieur le ministre, et nous sommes d'accord sur ce point. Mon seul regret est que vous ne vous donniez pas assez de moyens à cette fin. Néanmoins, dans un esprit constructif, je voterai les crédits rattachés à votre ministère. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous comprendrez que je n'évoque pas aujourd'hui la police : je me dois, en effet, de respecter une certaine obligation de réserve puisqu'on m'a confié une mission visant à vérifier que les forces de police sont correctement réparties sur le territoire français.
En revanche, j'interviendrai sur la sécurité civile, et tout d'abord pour féliciter nos rapporteurs de la précision des indications qu'ils ont apportées en ce qui concerne ses moyens.
Monsieur le ministre, la sécurité civile, ce n'est pas ce qui compte le plus dans votre budget. Dans ce cadre modeste, c'est essentiellement le groupement aérien de la sécurité civile qui nous préoccupe. Sa modernisation a été bien engagée. Sachez cependant que j'ai toujours considéré que le plus important, en matière d'incendies de forêts, c'est la prévention.
Il fallait faire des efforts considérables pour améliorer la prévention ; cela a été fait et l'on s'aperçoit que l'on évite ainsi d'avoir recours à des moyens importants en permanence.
Nous connaissons des forêts qui ne brûlent pas, alors qu'elles sont pourtant très fréquentées. C'est le cas de la forêt de Fontainebleau qui ne brûle pratiquement pas, bien qu'on y relève quelque 500 départs de feu par an. Nous avons en effet mis en place avec l'Office national des forêts des postes de surveillance et installé des corps de sapeurs-pompiers à proximité.
Par ailleurs, monsieur le ministre, plusieurs orateurs ont évoqué le problème de l'avenir des unités d'instruction de la sécurité civile à la suite de la réforme du service national. On pourrait y ajouter le problème de l'avenir de la brigade des sapeurs-pompiers de Paris et de celle des marins-pompiers de Marseille.
Il est évident que la professionnalisation des armées va entraîner des dépenses nouvelles, notamment pour la brigade des sapeurs-pompiers de Paris. La Ville de Paris et les départements de la petite couronne devront assumer les charges nouvelles engendrées par cette professionnalisation inévitable.
Monsieur le ministre, le coût de la sécurité civile pour l'ensemble du pays, en dehors des crédits de votre budget, qui sont de l'ordre de 25 milliards de francs, est supporté essentiellement par les collectivités locales.
Cela représente pour ces dernières une charge qui comprend quelquefois des missions incombant à l'Etat. Je prendrai notamment l'exemple de la prévention en matière d'incendie.
Les services départementaux d'incendie et de secours fournissent les moyens en officiers, en sous-officiers et en personnels administratifs pour des tâches qui sont celles de l'Etat.
De plus, tous les maires le savent bien, les normes évoluent de plus en plus, et c'est souvent nécessaire. Mais je crois qu'on va parfois un peu loin, car ces tâches finissent par avoir des coûts considérables. En tout cas, pour les collectivités locales, en particulier pour les services départementaux, cela représente une dépense non négligeable.
Dans mon département, plus de trente officiers travaillent à temps plein ou à temps partiel dans les commissions de sécurité. La dépense qui en résulte pour le service départemental ne devrait pas, théoriquement, incomber à la collectivité locale, puisque c'est le préfet qui dirige ces services.
Monsieur le ministre, lors de la séance du 2 décembre, vous avez évoqué les lois du 3 mai 1996, l'une relative au développement du volontariat dans les corps de sapeurs-pompiers, l'autre relative aux services d'incendie et de secours. Ces lois n'ont pas été improvisées !
Si un certain nombre de collectivités locales en retardent l'application, c'est, bien entendu, parce que l'application de ces lois nécessite des moyens supplémentaires.
Ces collectivités locales ont-elles fait, jusqu'à présent, l'effort nécessaire pour assurer dans de bonnes conditions la protection des personnes et des biens ? C'est la question que l'on doit se poser.
On le sait, en fonction de l'urbanisation et des risques, la sécurité en matière d'incendie a un coût par habitant qui implique un effort financier pour certaines collectivités. Mais ces efforts sont parfois mal répartis, certains départements fonctionnant avec deux systèmes, celui des grandes communautés urbaines sur une partie, un système artisanal et communal sur l'autre.
Faut-il pour autant renoncer à l'organisation départementale ? Je ne le pense pas. Voilà pourquoi, monsieur le ministre, il est important d'appliquer ces lois. Leur application est d'ailleurs attendue non seulement par les volontaires, qui sont au nombre de 200 000 dans notre pays et qui sont indispensables pour assurer le fonctionnement du service, mais également par les professionnels, qui sont un peu inquiets des atermoiements dans la mise en oeuvre des décrets.
Leur application est attendue également par les collectivités locales elles-mêmes. Vous avez d'ailleurs engagé, je crois, une concertation avec l'Association des maires de France et avec l'Association des présidents de conseils généraux pour fixer les conditions relatives à la participation des communes et des départements au service départemental.
Il ne faut pas dire pour autant que ces lois ont du mal à être mises en oeuvre, car, si mes informations sont exactes, les trois quarts des départements ont d'ores et déjà mis en place le nouveau système de conseil d'administration, qui fonctionne bien dans beaucoup d'entre eux.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Même plus des trois quarts !
M. Jean-Jacques Hyest. Même plus, en effet.
Mais il est vrai que, de temps en temps, lorsqu'une loi est votée, elle suscite des résistances, des mesures de retardement. En l'occurrence, il ne s'agit pourtant pas de lois émanant d'un gouvernement plutôt que d'un autre ; le principe de la départementalisation était déjà inscrit dans la loi de 1992 relative à l'administration territoriale de la République !
M. Guy Cabanel, rapporteur spécial. Grâce à un amendement de M. Jean-Jacques Hyest !
M. Jean-Jacques Hyest. C'est un détail !
La modernisation de la sécurité civile nécessite donc un système départemental. Il est rendu effectif grâce, notamment, aux centres opérationnels départementaux d'incendie et de secours, les CODIS.
Mais, ce qui est le plus important, monsieur le ministre, c'est la mise en place, qui va être faite des schémas départementaux d'analyse de la couverture des risques, les SDACR, qui feront apparaître les besoins. A partir de là, on pourra mettre en pl.ace une organisation homogène sur le territoire, et les collectivités locales se doteront, progressivement certes, des moyens nécessaires.
Voilà, monsieur le ministre, les observations que je souhaitais vous faire.
Pour avoir mis en oeuvre la départementalisation, je peux vous dire que les sapeurs-pompiers attendent vraiment qu'on règle le problème de leur régime indemnitaire. En effet, vous le savez, ils n'ont pas bénéficié, comme les autres personnels territoriaux, des dispositions contenues dans les accords Durafour.
Il n'y a eu aucune homogénéisation des régimes indemnitaires. Quant au régime de travail, il faudrait peut-être laisser à la négociation une certaine souplesse au niveau local, les deux points pouvant d'ailleurs être négociés ensemble, car les sapeurs-pompiers professionnels ne doivent pas continuer à travailler deux fois plus que les autres. Ce ne serait pas sain, dans notre pays. Il s'agit là d'un réel problème. Les sapeurs-pompiers sauront accepter les efforts nécessaires, compte tenu des difficultés de certaines collectivités locales pour se mettre à niveau.
Monsieur le ministre, les sapeurs-pompiers, comme l'a très bien indiqué notre rapporteur, paient chaque année un tribut pour assurer la sécurité de leurs concitoyens. Qu'ils soient professionnels ou volontaires, ce sont des gens généreux et responsables. Mais ils sont aussi victimes de l'insécurité puisque, hélas ! de plus en plus souvent, dans nos banlieues, ils sont, lors de leurs interventions, menacés comme le sont parfois les chauffeurs d'autobus ou d'autres personnels des services publics.
Ils ont donc besoin d'être protégés. Cela va dans le sens du discours général sur la sécurité. J'ai bien lu les propos que vous avez tenus à Villepinte. Cela montre que, dans notre société, on ne respecte même plus ceux qui viennent secourir les autres ! Il nous faudra donc réfléchir aussi à ce problème. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et du RPR.)
M. le président. La parole est à M. Türk.
M. Alex Türk. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention quelques instants sur les problèmes relatifs à la création de l'autorité de contrôle d'EUROPOL.
Comme vous le savez, une mission a été instituée par la commission des lois de notre assemblée, mission présidée par M. Masson, et qui aura ainsi l'occasion de procéder à une étude appronfondie de ces questions. Néanmoins, j'ai pensé qu'il était important d'attirer votre attention sur un aspect urgent du problème.
Je siège actuellement au groupe de travail sur la police, qui réfléchit au règlement intérieur de cette nouvelle autorité de contrôle. J'ai quelques contacts avec les représentants de votre ministère. Il s'avère que des questions pendantes vont singulièrement conditionner l'avenir.
La première concerne le problème du siège même de l'autorité. Est-il désormais acquis, pour notre pays, que ce siège sera installé à La Haye, où se trouve déjà l'organisation d'EUROPOL elle-même ? Je vous rappelle - je le sais, pour en être le président - que l'autorité de contrôle de Schengen, par exemple, siège à Bruxelles, alors que c'est à Strasbourg que se trouve le centre qui fait l'objet du contrôle. Je le dis avec d'autant plus de certitude que nous avons quelques doutes sur la capacité d'accueil et sur les conditions dans lesquelles pourrait travailler l'autorité à La Haye.
La deuxième remarque que je veux faire concerne le problème des langues. Il est tout à fait inacceptable que nous soyons - aussi bien les représentants de votre ministère que nous-mêmes, au nom de la Commission nationale de l'informatique et des libertés - contraints aujourd'hui d'analyser en anglais, de manière pointue et vigilante, le texte d'un règlement intérieur qui va conditionner le fonctionnement de cette autorité de contrôle en matière de police !
Je dois vous avouer que, si mes connaissances en anglais me permettent d'avoir des conversations sinon galantes, tout au moins courtoises, elles ne me permettent pas, en revanche, de procéder à une analyse détaillée, sur le plan juridique, d'un règlement intérieur !
Je considère que c'est tout à fait inacceptable.
De plus, nous n'avons même aucune certitude - cela m'inquiète beaucoup - quant à l'utilisation de toutes les langues lors du fonctionnement, en régime de croisière, si j'ose dire, de la future autorité. Il me paraît, là encore, important d'attirer votre attention sur ce point.
La troisième remarque que je veux faire est cruciale ; elle a trait à la nature même du statut de l'autorité qui va être créée. S'agira-t-il d'un organisme de droit administratif ou d'un organisme juridictionnel ? La question peut se poser.
Il est d'autant plus important que vous nous disiez comment vous envisagez les choses que, lors des prochaines réunions qui auront lieu au mois de janvier, il faudra traiter de questions aussi importantes que la question de savoir s'il y a ou non respect des droits de la défense devant le comité d'appel qui sera créé par l'autorité.
La question se pose également de savoir si le président de l'autorité pourra être aussi président du comité d'appel, ce qui, dans l'hypothèse d'un cadre juridictionnel, prêterait quand même à confusion, c'est le moins que l'on puisse dire !
Certaines délégations - pas celle de - la France considèrent qu'il appartiendrait à l'autorité de vérifier les capacités des représentants des autorités nationales, ce qui me paraît être une atteinte au principe de souveraineté. C'est, en tout état de cause, ce que j'ai entendu lors de la dernière réunion à La Haye.
Est également prévue la possibilité de remettre en cause la présence, à l'intérieur du système, d'un membre représentant un Etat dans l'hypothèse où l'on aurait des doutes sur son impartialité. Là aussi, je m'interroge : est-il acceptable qu'une telle autorité puisse juger de la partialité ou non de représentants désignés par les autorités nationales de chacun des Etats membres ?
On le voit, il s'agit là de questions extrêmement importantes qui devront être résolues dans les semaines qui viennent. C'est pourquoi je pense qu'il était utile d'en faire état à l'occasion de cette discussion budgétaire.
Je terminerai par une dernière question, monsieur le ministre.
Actuellement, certaines délégations acceptent que des représentants de leur autorité nationale de contrôle, en l'occurrence la CNIL pour la France, siègent à coté des représentants du ministère, tout simplement pour harmoniser, chaque fois que cela est possible, les positions dans les discussions entre partenaires. C'est le cas, je puis le certifier, pour la Belgique et le Danemark.
Cela doit rester exceptionnel, car il ne serait pas sain que les représentants du Gouvernement et ceux de l'autorité siègent ensemble de façon systématique.
En revanche, lorsqu'il s'agit de l'installation même de l'autorité ou de la définition de son règlement intérieur, je me demande si l'enjeu n'en vaut pas la peine.
Je vous pose donc la question très clairement, monsieur le ministre : ne peut-on envisager, pour les semaines qui viennent, de mettre en place, d'une manière ou d'une autre, une coordination entre les efforts faits par les représentants de la CNIL - qui se trouvent à La Haye pour discuter de ces questions - et les délégués de votre ministère ? (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Plasait.
M. Bernard Plasait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, « Des villes sûres pour des citoyens libres », tel était le titre, particulièrement bienvenu, du colloque national sur la sécurité qui s'est tenu le 25 octobre dernier à Villepinte, colloque au cours duquel le Premier ministre s'est exprimé en ces termes : « Un citoyen dont la sécurité n'est pas assurée ne peut exercer son droit à la liberté. Le principe républicain de l'égalité entre les citoyens ne peut ignorer ce droit à la sécurité. » Et le Premier ministre d'ajouter : « Tout citoyen, toute personne vivant sur le territoire de la République a droit à la sécurité. Il ne peut y avoir des quartiers sûrs et des zones de non-droit. »
Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que je me bats depuis trop longtemps sur ce terrain pour ne pas éprouver une grande satisfaction à entendre ces mots.
Les républicains ne peuvent qu'approuver une telle conversion de la gauche « plurielle » aux réalités de la vie quotidienne dans nos cités, même s'il ne faut y voir qu'un rappel de l'article II de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qui proclame que la « sûreté » est l'un des « droits naturels et imprescriptibles de l'homme. »
D'ailleurs, vous-même, monsieur le ministre, vous avez déclaré dans une interview au journal Libération, le 27 octobre dernier : « La France connaît aujourd'hui deux problèmes majeurs : le chômage et l'insécurité. »
Je fais ce constat avec vous, en y ajoutant un troisième problème, que je crois tout aussi important, celui de l'immigration clandestine. Mais je ne doute pas que vous aviez cette idée présente à l'esprit !
Vous posez, monsieur le ministre, le problème de la sécurité à partir d'un triptyque simple : citoyenneté, proximité et efficacité. Déjà ancienne, cette approche est, je crois, la seule qui vaille.
Car, c'est vrai - et M. le rapporteur pour avis, notre éminent collègue Paul Masson, l'a clairement exposé - la situation n'est pas réjouissante, c'est même un euphémisme.
La délinquance touche aujourd'hui les Français dans leur vie quotidienne. Certes, dans les statistiques, la baisse de la criminalité se poursuit : elle a ainsi diminué de 2,88 % par rapport à l'année dernière pour une diminution de 8,47 % de la délinquance de voie publique à Paris.
Mais - nous le savons tous - le sentiment d'insécurité de nos concitoyens augmente en proportion inverse, d'autant que l'on constate une recrudescence notable des infractions qui s'accompagnent de violence contre les personnes.
Cette violence est de plus en plus urbaine puisque les vingt-sept départements les plus urbanisés regroupent à eux seuls 80 % des délits enregistrés, le quart se concentrant sur la seule région d'Ile-de-France.
Un phénomène est encore plus inquiétant ; c'est la croissance extrêmement rapide de la délinquance des mineurs, avec un abaissement corrélatif et constant de l'âge des délinquants. La part des mineurs dans la délinquance est passée de 9,7 %, en 1973, à 17,9 % en 1996. Les mineurs sont à l'origine de 40 % des cambriolages et de 18,4 % des viols.
De plus, comment ne pas s'inquiéter de la persistance d'un niveau élevé de délits liés à la toxicomanie, ce qui, soit dit en passant, ne peut qu'accroître notre prévention à l'égard des idées permissives, voire laxistes, de certains, que l'on entend de nouveau proclamer ces jours-ci.
De même, les résultats incertains de la lutte contre l'immigration irrégulière démontrent l'absolue nécessité de renforcer les moyens et doivent alerter nos consciences sur les dangers d'une législation « aspirante ».
Dans ce contexte, les crédits consacrés à la police et à la sécurité pour 1998 s'élèvent à 28,2 milliards de francs, soit, déduction faite des transferts et des corrections monétaires, une quasi-stagnation des crédits.
Plus que sur la masse des crédits, il convient de s'interroger sur leur affectation et, plus encore, sur leur concordance avec les objectifs affichés.
En clair, monsieur le ministre, avez-vous les moyens de votre politique ?
Vous donnez la priorité à la police de proximité. Tout à fait d'accord ! Elle est plus que jamais nécessaire.
Je note d'ailleurs que c'était tout le sens de l'importante réforme des horaires de travail, symbolisée par l'abandon de la cinquième brigade, conduite avec pugnacité et succès par votre prédécesseur.
Dans le même esprit, et dans le droit-fil des conclusions du rapport Danilet, il reste encore à tenir les engagements de l'article 4 de la loi d'orientation, c'est-à-dire à décharger les policiers des trop nombreuses tâches indues qui les accaparent, en particulier des tâches purement administratives ou parajudiciaires.
Mais la police au quotidien, c'est d'abord une présence, un visage, des femmes et des hommes au service de l'autorité de la loi et de la tranquillité publique ; en un mot, des effectifs.
Force est de constater que ce budget prévoit la suppression de onze emplois dans le corps de conception et de direction et de 653 emplois dans le corps de commandement, certes compensée par la création de 664 emplois dans le corps de maîtrise et d'application.
Une telle dissymétrie dans la répartition des suppressions et des créations de postes ne manquera pas d'entraîner des difficultés concrètes, étant donné la nature des recrutements auxquels vous allez procéder.
En effet, le Gouvernement prévoit de déployer, sur trois ans, 35 000 emplois de proximité, dont 15 000 agents locaux de médiation et 20 000 adjoints de sécurité, recrutés dans le cadre de la loi sur l'emploi des jeunes.
Concernant les adjoints de sécurité, il est prévu d'en recruter 8 250 d'ici à la fin de 1998, dont 900 seront affectés à la préfecture de police de Paris.
Outre celles qui ont déjà été exprimées par le rapporteur pour avis de la commission des lois, de nombreuses interrogations se posent à leur sujet. Monsieur le ministre, quid de leur formation ? L'option de deux mois est avancée : six semaines en école et deux semaines de stage.
Peut-être serait-il possible, monsieur le ministre, d'avoir quelques informations supplémentaires sur le contenu de la formation qui leur sera dispensée, mais aussi sur son coût, car il y a tout lieu d'être inquiet si l'on considère la diminution de 12 millions de francs des crédits inscrits au budget de la formation de la police.
Enfin, dois-je vous dire mon étonnement à la lecture de la note d'information relative au recrutement des adjoints de sécurité que m'a adressée M. le préfet de police de Paris, le 12 novembre dernier ? A la page 2, section « conditions à remplir », dernier alinéa, je lis : « Aucune condition de diplôme n'est exigée ». Vous allez vraiment nous faire regretter l'époque bénie du certificat d'études !
Les Français ont un réel besoin de sécurité, mais en aucun cas d'une sécurité au rabais !
C'est d'ailleurs tout l'enjeu d'une meilleure répartition des responsabilités entre la police nationale et la gendarmerie, ainsi que d'une redéfinition législative urgente du rôle des polices municipales et des sociétés de gardiennage.
A cet égard, j'ai cru comprendre, monsieur le ministre, à travers différentes déclarations, que vous aviez l'intention de faire un peu évoluer les choses.
Je m'en félicite d'autant plus que c'est l'occasion, me semble-t-il, de mettre un terme à un archaïsme juridique insupportable pour les Parisiens, à ce régime d'exception qui fait de Paris une ville sous tutelle et des Parisiens des citoyens de seconde catégorie. (Exclamations sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
Monsieur le ministre, les Parisiens ne demandent aucun privilège, bien au contraire ! Ils veulent simplement, enfin, être traités comme tous les citoyens de toutes les villes de France.
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Chiche !
M. Bernard Plasait. Chiche, en effet !
Mme Maryse Bergé-Lavigne. Pour la taxe d'habitation aussi !
M. Bernard Plasait. Si vous pouvez avoir sur le Gouvernement l'influence nécessaire, je dis « chiche », moi aussi : que les Parisiens soient traités comme tous les citoyens de toutes les villes de France !
Ils veulent simplement que leur maire dispose, comme tous les maires de France, d'un pouvoir sur le stationnement et sur la circulation, c'est-à-dire des moyens d'assurer, au quotidien, en toute responsabilité de maire élu, la qualité de la vie dans leur ville.
Abroger les lois de messidor an VIII à la veille de l'an 2000 et faire entrer Paris dans le droit commun, c'est faire preuve de bon sens, d'équité, mais aussi de responsabilité et d'efficacité.
Monsieur le ministre, j'attire votre attention sur les précautions particulières nécessaires à la mise en oeuvre des contrats locaux de sécurité à Paris.
Ces contrats doivent être signés par les représentants de l'Etat et par le maire de Paris, et par lui seul. Pourriez-vous nous préciser les modalités d'application de ces contrats ?
Y aura-t-il un seul contrat local de sécurité pour Paris, ou plusieurs contrats locaux existeront-ils par arrondissement, voire par quartier ?
Connaissant votre attachement à l'unité nationale, je ne doute pas que vous serez sensible à la nécessaire préservation de l'unité de Paris, monsieur le ministre.
Enfin, je ne peux qu'exprimer ici mon inquiétude quant à la diminution de 3,5 % des moyens de fonctionnement et de 6 % des crédits de paiement pour les dépenses en capital, pour l'immobilier notamment.
Je regrette l'étalement dangereux, tant les risques d'obsolescence prématurée sont manifestes, du programme de transmission ACROPOL.
Les mêmes risques et le même état d'imprévision caractérisent le budget de la sécurité civile, en baisse de 7,7 %.
Ce projet de budget ne tient aucun compte des risques nouveaux engendrés par la société industrielle ni des défis auxquels nous devrons inéluctablement faire face.
Tout aussi grave est l'interruption brutale de la modernisation des moyens d'intervention lourds.
Certes, le programme d'acquisition des Canadair s'achève, mais on ne peut s'arrêter là, d'autant que ces appareils sont épaulés par douze bombardiers d'eau de type Tracker, hors d'âge, ayant plus de trente ans et plus de 10 000 heures de vol chacun. Il était, certes, prévu de remotoriser les deux derniers d'entre eux, mais cette opération est reportée sine die .
Il en va de même de la flotte d'hélicoptères, dont le rapporteur pour avis pour la sécurité civile, notre collègue René-Georges Laurin, n'a de cesse, à juste titre, de recommander le renouvellement d'urgence.
Monsieur le ministre, je m'associe à l'hommage rendu aux 250 000 sapeurs-pompiers, à leurs collègues décédés en service ou blessés ainsi qu'à tous les fonctionnaires de police.
Je regrette sincèrement que, dans ce projet de budget, on ne vous ait pas donné les moyens de vos ambitions.
Le budget de votre département ministériel, comme, hélas ! bien d'autres, montre que le Gouvernement persiste dans l'erreur en laissant l'Etat là où il ne devrait pas être - dans le Crédit lyonnais, par exemple - et en n'assurant pas sa présence là où il devrait être pour assurer la sécurité des épargnants, certes, mais surtout de tous les citoyens. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Le Sénat va maintenant interrompre ses travaux ; il les reprendra à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Jean Delaneau.)