Par amendement n° II-12, M. Lambert, au nom de la commission des finances, propose de réduire les crédits figurant au titre III de 327 000 000 F.
La parole est à M. Lachenaud, au nom de la commission des finances.
M. Jean-Philippe Lachenaud, en remplacement de M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me revient la tâche éminemment difficile de présenter - je resterai dans le domaine strictement financier - un amendement visant à réduire de 327 millions de francs les crédits du titre III. Je le fais au nom de la commission des finances,...
Mme Danielle Bidard-Reydet. Ce n'est pas bien !
M. Jean-Philippe Lachenaud, au nom de la commission des finances. ... à la place de M. Lambert, rapporteur général, et à la demande du président Poncelet.
Je ne voudrais pas que le dépôt de cet amendement, sur lequel je demande qu'il soit procédé à un scrutin public, soit mal interprété.
En effet, aucun jugement sur le fond n'intervient, et nous avons apprécié, monsieur le ministre, la présentation des crédits. Je le dis tout particulièrement à nos collègues MM. Laffitte et Trégouët, qui sont d'éminents spécialistes des questions de recherche. Tout en proposant cet amendement, la commission des finances reconnaît toute la valeur des travaux présentés, de l'ambition scientifique et de la politique menée en matière de recherche.
Notre proposition ne doit donc pas être interprétée - ce serait une caricature - comme une atteinte au service public, une méconnaissance du rôle éminent de l'Etat dans la recherche. Elle n'est pas non plus la traduction d'une volonté de réduction des moyens d'action qui permettent le rayonnement de la France dans le domaine de la recherche. Tout à l'heure - et je m'en suis entretenu avec eux - MM. Laffitte et Trégouët exprimeront leur sentiment personnel.
Il s'agit simplement de l'application automatique, forfaitaire, dans le cadre d'un nouvel équilibre budgétaire, du principe général de réduction des dépenses du titre III et du titre IV, auquel la majorité sénatoriale se tiendra tout au long du débat. En l'occurrence, il s'agit d'un domaine où son application est particulièrement difficile.
Nombreux sont ceux qui considèrent qu'il s'agit d'un domaine régalien. Certains estiment qu'aujourd'hui la notion de droits régaliens n'est plus celle qui prévalait au XVIIe ou au XIXe siècle, à savoir la police, la gendarmerie et la défense. En effet, le rôle de l'Etat est aujourd'hui tout à fait fondamental pour l'avenir de la recherche.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Le Gouvernement ne peut, bien sûr, accepter cette proposition. Je le répète : s'agissant de ce domaine, cet amendement se situe vraiment à l'opposé de l'esprit de recherche.
Je suis très surpris que vous vouliez appliquer un abattement mathématique systématique. Je passe mon temps à lutter contre la règle de trois, qui fait des ravages au sein de mon administration - fermeture de classes, suppression d'emplois - et au nom de laquelle on fait n'importe quoi n'importe où.
J'ajouterai une remarque politique. Vous le savez, cette action sera totalement inefficace puisque l'Assemblée nationale rétablira le budget. Pourquoi n'avez-vous pas alors l'élégance de soutenir l'effort de recherche de notre pays ? Cela serait sans doute mieux perçu par les électeurs que cette sorte d'automaticité qui ne peut être guidée, bien sûr, que par une attitude partisane. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen - M. Trégouët applaudit également.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° II-12.
M. Ivan Renar. Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Ce dispositif forfaitaire pourrait être considéré comme un gag s'il n'emportait des conséquences aussi désastreuses pour la recherche de notre pays. Je ne ferai pas mauvaise interprétation : il s'agit d'un mauvais coup porté à la recherche scientifique. Ce couperet méthodique et monotone - moins 1,44 % - devient un refrain.
Pour ma part, je ne comprends pas cette conception de la maîtrise des dépenses de l'Etat. C'est le sacrifice du service public de la recherche scientifique de notre pays. C'est la suppression de postes de chercheur, alors qu'il faudrait en créer encore. Cela ne peut qu'avoir des conséquences lourdes sur l'emploi scientifique, et donc sur l'avenir de la France.
Aussi, nous ne pouvons qu'être opposés à l'adoption de cet amendement. Tout à l'heure, la commission des affaires culturelles a fait appel à la sagesse du Sénat. J'espère que nos collègues seront suffisamment sages, qu'ils répondront à l'appel de M. le ministre, lequel a fait la démonstration des difficultés mais aussi de la valeur de la politique scientifique de notre pays, et refuseront une proposition qui me paraît dénuée de bon sens.
M. Pierre Laffitte. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Je souhaiterais exprimer l'avis de la commission des affaires culturelles qui s'en remet à la sagesse du Sénat et mon sentiment personnel.
Il ne me paraît pas souhaitable de suivre la commission des finances, et ce pour deux raisons.
D'abord, il s'agit effectivement d'un budget régalien, qui est encore plus important que la plupart des autres budgets puisqu'il conditionne fortement l'avenir.
Ensuite, si l'on considère le budget tel qu'il nous est présenté, à enveloppe constante comme l'a souligné à juste titre M. René Trégouët, il augmente de 1,11 % pour la partie visible. Mais une grande partie des recherches figurait dans le budget annexe de France Télécom et représentait quelque 4 milliards de francs. Il s'agissait, pour un peu plus de la moitié, de recherche interne à France Télécom et, pour presque la moitié, de recherche effectuée en amont pour l'ensemble du pays, France Télécom étant un organisme public. La disparition de ce budget annexe représente donc une diminution du budget de la recherche.
Malgré les propos de M. le ministre, les décrets d'application existent et ils sont rédigés de telle façon qu'il n'y aura pas un franc de disponible pour la recherche publique et que le RNRT, pour l'année 1998 en tout cas, ne sera donc pas financé au-delà des sommes inscrites dans le projet de budget. On constate donc une perte de l'ordre de 1 milliard de francs. Aussi si l'on tient compte de cette diminution, le budget effectif de recherche de la nation dans les domaines qui nous intéressent sera en régression en 1998. Aussi, lui faire subir une réduction supplémentaire serait un mauvais coup, non seulement pour la nation mais aussi pour l'image du Sénat.
En effet, notre assemblée a su s'honorer jusqu'à présent d'une certaine dynamique et d'une certaine volonté d'appuyer le développement de la recherche en France. Je souhaiterais que mes collègues songent à l'impression que nous allons donner à l'opinion publique en demandant une diminution du budget de la recherche, alors même que nous savons bien que, de toute façon, la mesure proposée ne sera pas appliquée. Faisons plutôt savoir que nous serons très vigilants et que nous nous élèverons contre toutes éventuelles diminutions de crédits à un moment ou à un autre, au titre de régulations budgétaires.
M. Jean-Louis Carrère. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Je ne voudrais pas me répéter ni ajouter non pas au désarroi, mais aux difficultés qu'éprouvait, et je le comprends, M. Lachenaud, qui remplissait, au nom de la commission des finances, une mission délicate. Je dirai toutefois, avec une pointe d'humour, que pour la recherche, vous n'avez pas été très innovants, messieurs ! Beaucoup plus sérieusement, on aurait pu s'attendre à ce que vous réserviez un traitement particulier à certains budgets.
Je pense, sans doute un peu naïvement, que, s'agissant du projet de budget de la recherche et de la technologie, compte tenu du passif du budget précédent, qui, de l'avis général, portait un coup à la recherche, vous auriez pu vous abstenir de déposer cet amendement, à l'adoption duquel le groupe socialiste, bien sûr, est vivement opposé.
Je commence à assimiler la procédure parlementaire et certaines méthodes que je ne condamne pas puisqu'elles sont conformes au règlement. Toutefois, convenez avec moi qu'il est un peu misérable d'avoir recours à des scrutins publics à répétition pour faire adopter une stratégie qui ne semble pas faire l'unanimité.
M. René Trégouët. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Trégouët.
M. René Trégouët. Monsieur le président, je m'exprimerai non pas en ma qualité de rapporteur spécial, mais à titre personnel.
J'ai une trop haute idée de la mission du politique pour m'en écarter en cet instant.
En effet, par le budget de la recherche, la France engage, bien au-delà de l'année budgétaire, son destin et l'idée que l'on peut se faire de notre capacité de recherche.
Je comprends fort bien qu'il puisse y avoir une stratégie de l'instant, mais, très sincèrement, je ne peux pas souscrire à cette démarche, car je crains que la communauté de la recherche française ne porte un jugement négatif sur le comportement du monde politique à un moment où, comme je l'ait dit tout à l'heure en qualité de rapporteur spécial, nous devons faire face à un véritable défi mondial, que ce soit dans les techniques nouvelles en train d'émerger, dans les technologies de l'information, dans les sciences du vivant ou encore et surtout dans des secteurs où nous sommes fortement placés, le nucléaire et le spatial. Si nous envoyons un message négatif, nous qui représentons l'opposition, je redoute qu'il ne soit très mal compris par le pays.
Aussi, à titre personnel, je voterai contre cet amendement. J'aurais vraiment voulu que le Sénat tout entier apporte son soutien à la recherche. (Applaudissements sur les travées socialistes et les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Danielle Bidard-Reydet. Vous avez raison !
M. Guy Penne. Très bien !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Je suis quelque peu surpris de l'attitude de certains de mes collègues.
Tout d'abord, pour rester dans le domaine régalien, je précise que le Gouvernement n'a pas hésité à supprimer 8 milliards de francs de crédits sur un budget, à mes yeux essentiel, celui de la défense, qui conditionne l'indépendance du pays, la défense éventuelle de son intégrité territoriale et de ses libertés !
M. Guy Penne. C'est vrai !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Vous avez dû souffrir, monsieur Carrère, car j'ai noté que, le 9 juillet dernier, le Gouvernement, sur le budget de la recherche, a supprimé 114 millions de francs en crédits de paiement et 260 millions de francs en autorisations de programme - c'est pourtant ce qui prépare l'avenir - et vous n'avez pas dit un mot !
M. Jean-Louis Carrère. Si !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Vous êtes resté silencieux !
Qui plus est, le 19 novembre, il y a donc quelques jours à peine, monsieur Carrère, le Gouvernement supprimait, sur le budget de la recherche et de la technologie, 5 millions de francs de crédits de paiement et 51 millions de francs d'autorisations de programme !
Alors, où est la démarche politicienne ? En la circonstance, il s'agissait bien de crédits supprimés sur un budget que, l'an dernier déjà, vous considériez comme insuffisant !
M. Jean-Louis Carrère. Sûrement !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Et vous ne réagissez pas ?
Quelle est la démarche de la commission des finances ? Nous demandons simplement que les crédits de fonctionnement de la maison France, qui sont trop élevés, diminuent. Nous n'avons pas touché au titre V : ce sont les crédits d'investissement. Nous ne touchons qu'aux crédits de fonctionnement, parce que nous constatons, lorsque nous appréhendons l'ensemble du budget de la France, que, sur 1 600 milliards de francs, à peine 10 % sont concacrés à l'investissement. Est-ce avec un tel pourcentage que l'on prépare l'avenir, qui passe par la recherche ? Non !
Il appartient au Sénat de dire aujourd'hui qu'il faut, et d'urgence, que la maison France réduise ses crédits de fonctionnement au bénéfice d'investissements qui préparent l'avenir, dans la recherche comme dans d'autres domaines. (Applaudissements sur certaines travées du Rassemblement pour la République, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° II-12, repoussé par le Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 28:

Nombre de votants 319
Nombre de suffrages exprimés 304
Majorité absolue des suffrages 153
Pour l'adoption 196
Contre 108

Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix, ainsi modifiés, les crédits du titre III.
M. Ivan Renar. Le groupe communiste républicain et citoyen vote contre !

(Ces crédits sont adoptés.)
M. le président. « Titre IV : 117 700 000 francs. »