M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : II. - Enseignement supérieur.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est la troisième fois que j'ai l'honneur de présenter devant la Haute Assemblée les crédits de l'enseignement supérieur. Pour vous, monsieur le ministre, c'est votre premier budget. J'aimerais qu'ensemble nous fassions le tour de la situation de l'université française et, comme le rapport écrit comporte tous les éléments chiffrés permettant de porter un jugement sur l'ensemble des données budgétaires, je vais plutôt vous poser quelques questions fondamentales auxquelles je souhaiterais que vous puissiez répondre, monsieur le ministre.
Ces questions me sont dictées par l'actualité. Il faut que l'actualité et la vie universitaire entrent un peu au Sénat.
Nous avons vu, récemment, l'Union nationale des étudiants de France - indépendante et démocratique, l'UNEF-ID, manifester pour réclamer le statut de l'étudiant. A Caen, nous avons vu des étudiants manifester auprès des perceptions pour ne pas payer la taxe d'habitation. Nous avons lu dans les journaux que le groupe de travail de Jacques Attali avait déposé son rapport sur l'avenir des grandes écoles. Mais peut-être allez-vous nous apporter des informations complémentaires à ce sujet.
Devant cette actualité que je m'efforce de faire entrer au Sénat, pour bien montrer que notre assemblée, dans le respect de ses compétences constitutionnelles, tient à examiner, non seulement avec courage et détermination mais aussi de la manière la plus éclairée possible, les différents budgets de votre ministère,...
M. Jean-Louis Carrère. Pas trop de violon, tout de même ! (Sourires.)
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. ... nous sommes conduits à vous poser un certain nombre de questions fondamentales.
A la fin de l'année 1995, nous avions voté le budget en pleine crise étudiante : les étudiants étaient dans la rue ; le budget a été modifié en cours de discussion.
En 1996, nous avons adopté le budget au milieu de l'élan des états généraux lancés par votre prédécesseur.
En cette fin d'année 1997, nous avons l'impression d'une pause. Sans doute s'agit-il d'une pause de réflexion.
Mais, comme nous préférons, vous et moi, monsieur le ministre - du moins, je me plais à l'imaginer - voir l'enseignement universitaire comparé à un tigre plutôt qu'à un autre animal moins dynamique, je suis amené à vous poser ma première question de fond : avez-vous, oui ou non, une politique universitaire ?
Cette question se décline en quelques autres : quels sont vos objectifs ? Quels sont vos principes ? Quelles sont les orientations que vous entendez donner à la politique universitaire au cours des années prochaines ?
Cette pause réflexive vous conduira-t-elle à lancer une « réforme Allègre » - franchement, je ne pense pas que ce serait une excellente idée - ou, au contraire, à suivre une méthode pragmatique de modifications par étapes concernant l'organisation universitaire, l'équipement universitaire, le statut de l'étudiant ?
Nous aimerions, en tout cas, vous entendre nous exposer clairement vos principes, vos objectifs et vos méthodes concernant l'université puisque, en fin de compte, le projet de budget pour 1998 ne nous apporte pas de réponse à cet égard et que la rentrée universitaire s'est faite simplement sur les bases des exercices budgétaires précédents.
Ma deuxième question fondamentale concerne l'équipement universitaire.
Vous avez engagé une réflexion et indiqué que vous alliez lancer le plan « Université troisième millénaire ». Après le plan « Université 2000 », après les contrats de plan conclus avec les régions, après un programme de plus de 60 milliards de francs, la question est de savoir quelles sont les orientations du plan d'équipement universitaire.
Au moment de s'interroger sur l'équipement universitaire, un constat s'impose : les effectifs sont stabilisés. Nous commencions à percevoir une tendance à la stabilisation mais celle-ci s'est trouvée confirmée lors de la dernière rentrée : toutes catégories d'enseignements supérieurs confondues, ce sont 2 155 000 étudiants qui sont accueillis cette année dans les établissements, soit une baisse globale de 0,6 % et de 1,6 % pour les seuls universités publiques.
Cette stabilisation résulte, certes, de l'évolution démographique, mais aussi du taux d'inscription des nouveaux bacheliers dans l'enseignement supérieur.
Compte tenu de cette stabilisation, plutôt que d'intervenir sur le nombre de mètres carrés, ne convient-il pas de mettre l'accent sur des orientations qualitatives nouvelles : la sécurité, la prise en compte d'objectifs d'aménagement du territoire, etc. ?
Là encore, nous ne trouvons pas la réponse à notre interrogation dans le budget, où il est simplement indiqué que 5,85 milliards de francs de crédits sont consacrés aux crédits d'équipement.
Ces crédits enregistrent d'ailleurs une progression différenciée dont nous aimerions comprendre les raisons. En effet, les crédits de paiement baissent et les augmentations de programmes augmentent. Cela signifie-t-il qu'il y a une sous-consommation des crédits d'équipement ou que l'exécution des contrats de plan est retardée ? Ou bien doit-on en conclure qu'il faut donner une nouvelle impulsion, préparer le plan « Université du troisième millénaire » et que, de ce fait, les autorisations de programmes sont majorées ? Nous nous en réjouirions.
L'accent est mis sur la sécurité. On ne peut que s'en féliciter ! Mais, comme vous vous y attendez sans doute, monsieur le ministre, sur ce sujet, le problème de Jussieu vient immédiatement à l'esprit.
Cette affaire a suscité des manifestations, elle aussi. Nous avons été sensibles aux arguments que vous avez avancés. Bien entendu, la mise aux normes de sécurité s'impose à toutes les collectivités locales et à l'Etat, a fortiori pour les équipements scolaires et universitaires.
Vous avez bien resitué le problème de Jussieu en le posant dans des termes réalistes : il s'agit de maintenir ce pôle d'excellence et d'engager une restructuration d'ensemble. Mais les crédits d'étude, la mise en place de l'établissement public, la première tranche de travaux sont autant d'indications d'une grande ambiguïté, voire de contradictions.
Quand le plan concernant Jussieu sera-t-il véritablement mis en oeuvre ? Quel est son calendrier ? Quel est son coût ?
Ma troisième grande question a trait aux personnels.
En matière de renforcement des effectifs, une troisième étape est engagée qui permet d'améliorer le taux d'encadrement des étudiants. C'est une bonne chose ! Ainsi, 4 200 personnes supplémentaires seront recrutées pour renforcer le taux d'encadrement dans les universités, égaliser les conditions de formation en favorisant à cet égard les universités qui étaient le plus pénalisées, suivant des normes que vous avez modernisées et que vous appliquez.
Sur ces 4 200 nouveaux emplois, 350 concernent les bibliothèques. Nous notons avec intérêt que les crédits des bibliothèques augmentent de 9,80 %, soit une progression très sensible. Nous nous félicitons de cette accentuation de l'effort en faveur des bibliothèques.
Les effectifs des IATOS progressent et plus de 3 000 postes d'enseignants seront créés. Il s'agit donc là d'un effort extrêmement important.
Toutefois, nous souhaitons vous interroger sur deux points.
Malgré une réduction de 74 millions de francs - c'est plutôt symbolique - des crédits destinés au financement des heures supplémentaires, vous n'avez pas encore tiré toutes les conséquences des rapports de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale consacrés à ce sujet.
M. Jean-Louis Carrère. Que ne vous êtes-vous appliqué cette critique à vous-même ?
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Eh oui, monsieur Carrère, 810 millions de francs de crédits sont dévolus aux heures supplémentaires !
La conclusion du rapport de l'inspection générale de l'administration de l'éducation nationale selon laquelle ces crédits peuvent servir à tout ne saurait être satisfaisante pour les contribuables, pour les élus et pour le ministre. Nous notons qu'il y a une réduction de ces crédits, mais nous demandons maintenant qu'une réforme soit entreprise et que l'on indique aux unités et autorités décentralisées responsables de la gestion universitaire ce qui est permis et ce qui est interdit en la matière, sans sacrifier la souplesse de gestion des établissements universitaires, mais avec un souci de plus grande efficacité.
L'autre question relative aux personels, nous la posons en fait depuis trois ans. Vous voyez, monsieur Carrère : nous pouvons poser une même question aux gouvernements successifs, contrairement à ce que vous croyez ! Elle a trait à l'intégration des professeurs agrégés du secondaire.
Leur temps et leurs obligations de service ont été confirmés, et c'est heureux. Vous avez réduit la part des agrégés dans le recrutement puisque celle-ci n'est plus que de 40 % alors qu'elle était dominante auparavant. Ainsi, cette année, seulement 1 200 professeurs agrégés du secondaire seront recrutés par les universités. Mais ils viendront s'ajouter au 12 400 qui y sont déjà.
Nous ne sommes pas de ceux qui redoutent de manière systématique la « secondarisation ». Nous demandons seulement que le statut de ces agrégés soit clarifié, que leurs obligations de recherche soient nettement définies et qu'ils s'intègrent véritablement dans les unités pédagogiques.
M. le président. Monsieur le rapporteur spécial, je vous rappelle que vous ne disposez que de quinze minutes. Or ce temps va bientôt se trouver épuisé.
M. Ivan Renar. Comme aurait pu dire Maurice Thorez, il faut savoir terminer un rapport ! (Rires.)
M. Jean-Louis Carrère. Mais on ne peut pas considérer ce discours comme un rapport !
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Je pense avoir encore le temps d'évoquer le statut de l'étudiant.
Vous disposez maintenant, monsieur le ministre, du rapport extrêmement important et tout à fait remarquable de M. Bernard Cieutat, qui montre que l'effort de la collectivité au moins pour ce qui est du budget de l'Etat, en faveur de la situation matérielle des étudiants - déductions fiscales, quotient familial, aides sous forme de bourse - est très faible.
Dans le budget que vous nous présentez, sur 26,4 milliards de francs prévus au titre de l'effort national pour les étudiants, seulement 8,227 milliards de francs sont inscrits dans le budget au titre du statut social de l'étudiant.
M. Jean-Louis Carrère. Et combien avant ?
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. C'est un des chiffres qui ont enregistré les plus fortes progressions dans les budgets précédents !
Monsieur le président, j'espère que les interruptions de M. Carrère sont décomptées de mon temps de parole.
M. le président. Absolument pas ! Je vous demande donc, aux uns et aux autres, de ne pas interrompre celui ou celle qui s'exprime à la tribune.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Vous avez annoncé, monsieur le ministre, que, s'agissant du statut de l'étudiant, un rapport serait déposé et que des orientations seraient définies dans le courant du premier trimestre de l'année 1998.
Cependant, pouvez-vous d'ores et déjà nous indiquer si vous vous orientez vers une allocation spéciale globalisée ? Tiendrez-vous compte des ressources des familles ou envisagez-vous, au contraire, un dispositif considérant l'étudiant comme un majeur disposant de faibles ressources ?
Notre objectif, c'est évidemment de faire de l'université française un pôle d'excellence. A cet égard, nous nous interrogeons sur l'état de la réforme du premier cycle.
Nous nous demandons si vous avez l'intention de suivre l'orientation tendant à permettre aux étudiants, pour une petite part de leurs activités, d'avoir un plus grand contact avec les entreprises, et si vous comptez maintenir les unités de professionnalisation.
Nous nous interrogeons aussi sur toutes les questions qui touchent à la dimension européenne de l'université : équivalence des diplômes, stages d'un trimestre ou d'un semestre dans d'autres universités européennes, etc,
Nous aimerions vous entendre affirmer votre volonté de donner à l'université française toutes les caractéristiques d'une université moderne, susceptible de bien placer la France dans la compétition européenne et mondiale, en matière universitaire comme en matière de recherche, car les deux domaines sont liés.
Les effectifs baissent, les crédits augmentent, le budget représente 48,451 milliards de francs. Il augmente de 3,05 % globalement, progressant, en dépenses ordinaires, de 4,5 %. C'est donc un budget extrêmement important pour l'avenir de notre pays et c'est ce qui motive, monsieur le ministre, les questions fondamentales que nous vous avons posées. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Louis Carrère. Et qui va présenter le rapport de la commission des finances ? (Sourires.)
M. Jean-Pierre Camoin, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. Monsieur le ministre, je dois avouer que vous nous avez surpris. En effet, connaissant votre intérêt pour l'université et pour l'enseignement supérieur en général, connaissant également votre action dans les gouvernements précédents, avec M. Jospin comme Premier ministre, nous attendions que vous fassiez de votre action en faveur de l'université une priorité qui aurait été la priorité des priorités.
M. Jean-Louis Carrère. Vous l'auriez réduite !
M. Jean-Pierre Camoin, rapporteur pour avis. Or l'impression que nous avons, c'est que vous avez découvert l'enseignement secondaire et l'enseignement primaire, que ces deux enseignements vous passionnent et que l'université est la seconde priorité de votre action, ce que, personnellement, je regrette.
Nous avons déjà eu un pré-débat budgétaire sur l'éducation nationale ici même et j'ai employé alors des arguments que vous n'avez pas tout à fait acceptés, notamment s'agissant de la méthodologie. Aussi ne les emploierai-je pas ce soir.
Considérons tout d'abord la réalité budgétaire et comptable.
Vous avez affirmé que l'enseignement supérieur était la priorité des priorités. Toutefois, si l'on établit une comparaison avec la politique de votre prédécesseur, je ne constate pas de véritable inflexion budgétaire.
S'agissant en premier lieu des crédits, avec près de 48,5 milliards de francs, soit une hausse de 3,5 % - elle est, certes, deux fois supérieure à celle du budget général de l'Etat ! - le budget de l'enseignement supérieur, comme ceux de l'emploi et de la justice, semble bénéficier d'un traitement privilégié.
Rappelons, cependant, que l'augmentation de crédits avait été de 5,5 % en 1997, mais aussi - je tiens à le souligner - que l'effort de la nation en faveur de nos étudiants doit être relativisé : la France ne consacre, en effet, tous financements confondus, que 1,1 % de son produit intérieur brut à l'enseignement supérieur, contre 1,6 % en moyenne pour l'ensemble des pays de l'OCDE.
D'ailleurs, les pays qui connaissent actuellement des problèmes - l'Allemagne, l'Italie, le Royaume-Uni - y consacrent, comme nous, entre 0,9 % et 1,1 % de leur PIB, alors que, aux Etats-Unis, cet effort est de 2,4 %. Il y a donc loin de la coupe aux lèvres !
Un véritable effort aurait dû être accompli. Je vous rappelle, monsieur le ministre, que votre prédécesseur avait déjà commencé à baisser les crédits de l'enseignement secondaire pour les orienter sur l'enseignement supérieur. Cette direction semble être abandonnée de façon définitive par vous-même.
En ce qui concerne les emplois, vous créez, certes, monsieur le ministre, 3 000 emplois d'enseignants en 1998, dont 1 200 postes de professeurs agrégés du secondaire, les PRAG, et 1 200 emplois non enseignants, avec un effort particulier pour les bibliothèques universitaires.
Il convient de rappeler, à cet égard, les efforts du gouvernement précédent : le plan de rattrapage des universités sous-dotées et la loi de finances pour 1997 avaient permis de créer quelque 7 000 emplois enseignants et non enseignants en deux ans - les faits sont là et ils sont têtus ! - ce qui a permis d'assurer les rentrées 1996 et 1997 dans des conditions satisfaisantes.
L'année 1997 est peut-être une année de pause, mais cette pause est due à des efforts précédents !
Si l'effort prévu en faveur des bibliothèques universitaires n'est pas négligeable, il faudrait cependant 2 500 postes nouveaux, selon le rapport Fauroux, pour que celles-ci supportent la comparaison avec leurs homologues étrangers. Nous avons, là aussi, encore beaucoup de chemin à parcourir.
Ces moyens nouveaux doivent aussi être appréciés en fonction de l'évolution de la démographie universitaire. Après une très forte progression au cours de la dernière décennie, les effectifs étudiants enregistrent une certaine décroissance : les flux d'entrée à l'université se sont réduits de 33 000 au cours des rentrées 1996 et 1997 et les effectifs en premier cycle devraient encore baisser de près de 40 000 entre 1996 et l'an 2000.
Toutefois, ces quelques rappels budgétaires, voire comptables, me paraissent secondaires. Ce qui importe, ce sont les problèmes de fond qui se posent à notre système universitaire.
Votre prédécesseur avait engagé une large concertation qui avait permis d'arrêter les grandes lignes d'une réforme globale de l'université.
Avec une sévérité de propos à son égard que la commission a jugée excessive, et qui tranche quelque peu avec le principe de la continuité de l'Etat, vous avez décidé d'abandonner les principales de ces réformes - c'est le cas, en particulier, pour la définition d'une grande filière technologique supérieure - et de reprendre « à zéro » une concertation, qui avait déjà été conduite à son terme, sur le statut social étudiant, laquelle avait pourtant débouché sur des propositions concrètes.
M. Jean-Louis Carrère. Sans argent !
M. Jean-Pierre Camoin, rapporteur pour avis. Seule la réorganisation des études, notamment la réforme du DEUG, qui introduisait en particulier une semestrialisation et des possibilités de réorientation rapide des nouveaux étudiants, a trouvé grâce à vos yeux : contrairement à vos déclarations initiales, vous avez dû accepter, sous la pression de la communauté universitaire, que la réforme Bayrou s'applique à l'ensemble des universités, y compris à celles qui avaient mis en oeuvre la « réforme Jospin » de 1992, que vous avez des raisons de bien connaître. C'est donc bien la preuve que les deux réformes, celle de 1992 et celle de 1997, comportent des différences sensibles.
J'aborderai ensuite le problème de la gestion des enseignants. Celle-ci n'est pas satisfaisante ! L'emploi précaire - moniteurs, ATER, les attachés temporaires d'enseignement et de recherche, associés, lecteurs - concerne d'abord plus de 20 % de l'ensemble des personnels.
Vous créez, par ailleurs, 1 200 emplois de professeurs agrégés en 1998, sans reprendre les propositions de votre prédécesseur en ce qui concerne leur participation aux activités de recherche. Si les PRAG peuvent jouer un rôle important pour faciliter le passage entre le lycée et l'université, il ne faudrait pas que le recours massif à ces enseignants aggrave une « secondarisation » rampante des premiers cycles et que les professeurs d'université puissent se décharger sur eux, sans contrôle, de leurs activités pédagogiques.
S'agissant du mode d'évaluation des enseignants-chercheurs, la commission regrette que le ministre n'ait pas manifesté son souci de faire appliquer strictement la loi de 1984, qui prévoit de prendre en compte l'ensemble de leurs activités et pas seulement la recherche.
La mission d'information de la commission sur les premirs cycles universitaires avait souhaité un changement dans les pratiques d'évaluation et un développement de la formation pédagogique, aujourd'hui inexistante, des enseignants-chercheurs.
Vous avez décidé ensuite, monsieur le ministre, de réformer leur mode de recrutement, afin de remédier à la complexité de la procédure actuelle : vous proposez ainsi de revenir au régime antérieur mis en place en 1992 qui avait abouti, il convient de le rappeler, à la constitution d'un stock de douze mille « reçus-collés », c'est-à-dire d'enseignants ayant vocation à enseigner, mais qui n'ont aucune chance de trouver un emploi à l'université.
Je dirai également un mot d'un autre dysfonctionnement de notre université, qui a été dénoncé par un récent rapport de l'inspection générale : il s'agit de l'usage détourné qui est fait des heures complémentaires.
Comme vous le savez, le volant de ces heures est important puisqu'il représenterait l'équivalent de 20 000 postes.
Le rapport de l'inspection générale constate ainsi une dérive dans l'utilisation des heures complémentaires, y compris dans les universités sous-dotées qui ont bénéficié du plan de rattrapage lancé en 1995. Ces heures sont utilisées pour maintenir des spécialités rares au lieu de profiter aux premiers cycles. Elles permettent aussi de rémunérer des enseignants qui effectuent plusieurs services au détriment des activités de recherche.
Il y aurait donc lieu, comme le préconise le rapport, de renforcer le pouvoir des présidents d'université sur les directeurs d'UFR, pour contrôler les obligations de service des enseignants ainsi que l'utilisation des heures complémentaires en fonction des besoins réels.
La commission des affaires culturelles considère, à cet égard, qu'une véritable évaluation des établissements et des enseignants permettrait aisément de déceler ces pratiques abusives et d'y mettre fin.
S'agissant des constructions universitaires, vous vous êtes félicité, monsieur le ministre, de la réussite du plan Université 2000. Son bilan est en effet satisfaisant en raison, notamment, de la participation des collectivités locales à son financement. Mais il convient de regretter que les dotations de fonctionnement des établissements n'aient pas accompagné cet effort.
Quant à votre nouveau plan U3M, qui procède de la même méthodologie, il aura surtout pour objet de poursuivre les actions engagées pour mettre les bâtiments universitaires en conformité avec les normes de sécurité, notamment les universités parisiennes et le campus de Jussieu, alors que Paris s'est volontairement tenu à l'écart du plan Université 2000.
La commission des affaires culturelles ne peut donc qu'exprimer son opposition à la perspective d'un nouveau transfert de charges vers les collectivités locales pour pallier le désengagement de l'Etat en matière universitaire.
Par ailleurs, constatant que de nombreux bâtiments universitaires sont aujourd'hui sous-utilisés, elle souhaite attirer votre attention sur la nécessité de prendre en compte l'évolution des effectifs étudiants pour évaluer les besoins en locaux universitaires.
M. le président. Vous avez épuisé votre temps de parole, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Camoin, rapporteur pour avis. Je conclus, monsieur le président !
J'aborderai maintenant le problème de la réforme des aides aux étudiants : le coût de ces aides est important, puisqu'il représentera près de 8,3 milliards de francs en 1998.
Le récent rapport Cieutat a dénoncé le caractère anti-redistributeur du système actuel.
On peut s'étonner que le Gouvernement ait décidé de reprendre une longue concertation avec les mêmes acteurs du système universitaire, alors que celle-ci a déjà eu lieu.
Vous avez indiqué, monsieur le ministre, que le Parlement devrait examiner les orientations du futur statut étudiant au printemps prochain. S'il convient de s'en féliciter, il faudrait aussi que la représentation nationale ne soit pas seulement invitée à avaliser une réforme sans pouvoir en modifier les orientation.
La commission des affaires culturelles ose espérer, par ailleurs, que l'attitude nouvelle des services fiscaux qui demandent désormais aux étudiants d'acquitter la taxe d'habitation n'annonce par les premières mesures sociales du prochain statut étudiant.
Enfin, si la commission des affaires culturelles convient de la nécessité de rapprocher les grandes école de l'université, de développer la formation continue à l'université et la dimension internationale de l'enseignement supérieur, son rapporteur souhaiterait, à titre personnel, que la coopération européenne en ce domaine ne privilégie pas exclusivement un axe franco-allemand, mais qu'elle se traduise, à terme, par la construction d'un site universitaire à vocation européenne.
La commission souhaiterait également connaître la position du Gouvernement sur une éventuelle réforme des études médicales.
Au total - j'en arrive à la conclusion, monsieur le président - si le projet de budget de l'enseignement supérieur doit être apprécié en fonction de l'évolution de ses crédits, il doit l'être aussi en fonction de leur utilisation. Des moyens budgétaires en progression qui ne seraient pas utilisés pour remédier aux dysfonctionnements qui affectent notre système universitaire ne témoigneraient pas d'une bonne gestion.
Peut-on se satisfaire à cet égard d'une « université en panne » comme le titrait un quotidien du soir, d'un taux d'échec en premier cycle qui affecte 40 % des étudiants, d'une sélection clandestine qui devient la règle dans le système universitaire, de l'inadaptation de trop nombreuses formations supérieures aux besoins de l'économie, d'une absence d'évaluation des enseignants et des établissements, des inégalités qui se développent entre établissements, des dérives dans l'utilisation des heures complémentaires...
M. le président. Je vous demande de conclure, monsieur Camoin !
M. Jean-Pierre Camoin, rapporteur pour avis. ... d'un système d'aides sociales qui n'assure pas sa fonction de redistribution, d'un nouveau transfert de charges annoncé vers les collectivités locales ?
Ce projet de budget ne marque donc aucune inflexion, n'apporte pas une réponse adaptée à ces problèmes de fond et consacre l'abandon de la plupart des réformes amorcées par le précédent gouvernement avec l'appui de toute la communauté universitaire.
Compte tenu de ces observations, la commission a décidé de donner un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'enseignement supérieur pour 1998. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 10 minutes ;
Groupe socialiste, 16 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 15 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 13 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 7 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 6 minutes.
Mes chers collègues, je tiens à vous indiquer que je serai amené à couper le micro à ceux qui dépasseront le temps de parole qui leur a été imparti. Nous avons, en effet, à examiner d'autres projets de budget après celui-là.
J'ai essayé de donner le maximum de souplesse au débat. Vous l'avez confondue avec le laxisme. Je confondrai donc la rigueur avec le caporalisme !
M. Jean-Louis Carrère. Il aurait fallu l'appliquer au rapporteur !
M. le président. Je lui ai coupé la parole à la fin ! Si vous interrompiez moins vos collègues, monsieur Carrère, cela irait un peu plus vite !
Dans la discussion générale, la parole est à M. Saunier.
M. Claude Saunier. Monsieur le président, je comprends votre souci d'organiser les débats et je vous autorise à m'indiquer, au bout de dix minutes, que je m'achemine vers la fin de mon temps de parole.
M. le président. Je ferai clignoter le petit voyant rouge !

M. Claude Saunier. Je vous en remercie, monsieur le président !
Je souhaite prolonger le propos de M. Camoin, rapporteur pour avis, qui, pour justifier l'opposition de la majorité de la commission au projet de budget, a conclu son intervention en disant qu'il ne voyait aucune inflexion significative dans la proposition budgétaire qui nous est faite pour 1998.
M. Jean-Pierre Camoin, rapporteur pour avis. Comptable !
M. Claude Saunier. J'ai du mal à comprendre : il n'y a pas d'inflexion, donc nous ne votons pas ! Pourtant, l'an dernier, parce qu'il s'agissait d'un bon budget qui ne marquait pas d'inflexion, nous votions des quatre mains !
Nous avons là, mes chers collègues, l'illustration de ce que nous vivons depuis le début de cet après-midi ! Nous menons un débat à front renversé. Nous utilisons, les uns et les autres, en particulier les collègues de la majorité sénatoriale - ils voudront bien m'excuser ! - des arguments contre le budget que vous nous présentez ce soir, monsieur le ministre, alors que ces mêmes arguments étaient invoqués, voilà un an, dans ces mêmes lieux, pour dire tout le bien que nous pensions de M. Bayrou, alors ministre de l'éducation nationale. Cela vaut pour le budget de l'enseignement scolaire que nous venons d'examiner, mais cela vaut à l'évidence aussi pour celui de l'enseignement supérieur que nous abordons.
Le groupe socialiste approuve votre budget, non pas par simple solidarité politique mais parce qu'il est bon.
Les chiffres parlent d'eux-mêmes : les effectifs étudiants sont, en effet, stables, voire en léger recul. Nous connaissons le souci du Gouvernement de maîtriser les dépenses publiques ; pourtant, le budget de l'enseignement supérieur enregistre une croissance significative. Il est vrai qu'il se juge non seulement à l'importance des crédits inscrits mais aussi à la qualité de l'enseignement.
Les avancées sont multiples. Je n'y reviendrai pas ; mon prédécesseur, M. Camoin, a lui-même reconnu que l'effort entrepris en faveur des bibliothèques, de l'action sociale et en termes de création d'emplois est significatif. Encore une fois, les chiffres parlent d'eux-mêmes et c'est la raison pour laquelle je n'insisterai pas davantage sur ce sujet.
Voilà qui m'autorisera, monsieur le ministre, à vous interroger sur la politique que vous conduisez et à vous faire part de quelques réflexions sur les orientations que nous souhaiterions voir adoptées au cours des prochains mois.
Mon propos s'articulera autour de deux réflexions : la première concerne le plan « Université 2000 », la seconde, le plan « Université du troisième millénaire ».
S'agissant du premier, il serait très utile de dresser le bilan de cette initiative forte, à laquelle votre nom est associé, monsieur le ministre. Quels sont les résultats de ce plan du point de vue pédagogique, social, économique et financier ?
Je le dis tout net, ma conviction est que ce plan fut une initiative heureuse. Il a permis à notre pays d'éviter le pire lors de la montée spectaculaire des effectifs d'étudiants. La mobilisation des énergies a en effet permis de donner un nouveau souffle à l'enseignement universitaire.
J'ajouterai que la nouvelle politique en matière de localisation a ouvert l'enseignement supérieur à des jeunes souvent issus de catégories sociales qui en étaient auparavant exclues. D'un point de vue tant pédagogique que démographique, le bilan du plan « Université 2000 » est très positif.
Je serai toutefois nuancé sur le bilan financier. En effet, les élus locaux, en particulier les responsables des villes moyennes, ont quelque raison de s'interroger sur le financement de ce plan. Qui a payé ce grand programme immobilier universitaire ? L'effort a-t-il été équitablement réparti ?
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Il n'y a pas de mystère !
M. Claude Saunier. Comme de nombreux maires de villes moyennes, je pose la question, mais je détiens une partie de la réponse. Je suis, pour ma part, partisan de la décentralisation. Face à ce plan, j'ai pris mes responsabilités et j'ai été un partenaire actif.
Je veux néanmoins vous rappeler, monsieur le ministre, qu'en matière d'enseignement supérieur l'Etat doit continuer à assumer ses responsabilités et à jouer pleinement son rôle de régulateur et d'arbitre afin d'éviter les aberrations de certaines créations universitaires fortement empreintes d'un souci électoraliste qui discréditent le plan « Université 2000 ». L'Etat doit aussi assurer l'équité entre les différents territoires de la République.
Rien ne serait pire, monsieur le ministre, rien ne serait plus injuste que de réserver les lieux de savoir aux seules collectivités qui pourraient acheter la recherche et la formation du fait de leurs richesses. Je plaide donc pour une mise à plat des résultats du plan « Université 2000 » dans la plus totale transparence.
Ce bilan préalable est la condition de la réussite du nouveau chantier que vous avez décidé d'ouvrir avec le plan « Université du troisième millénaire ». Tout d'abord, je vous exprime notre plein accord avec cette initiative. En effet, la maîtrise et le développement de l'intelligence sont l'un des grands enjeux pour l'humanité à la veille du troisième millénaire. En outre, l'accélération des mutations technologiques, scientifiques, sociales et géostratégiques nous obligent à faire plus que jamais le choix de l'intelligence.
Le plan « U3M » est donc indispensable, mais il ne peut pas être la réédition du plan « Université 2000 » ni une simple négociation immobilière et financière entre les différents partenaires. Il doit être, pour la nation, l'occasion d'une réflexion plus vaste sur les missions de l'université, sur son articulation avec le corps social, sur ses liaisons avec le monde de l'économie.
Il doit être aussi l'occasion pour l'université d'une mise à plat de son organisation, d'une redéfinition de ses relations avec ses partenaires, d'un positionnement dans le territoire où elle est implantée et d'une mise en cause peut-être radicale de ses méthodes pédagogiques. Il doit être une réflexion collective débouchant sur un recadrage de la politique universitaire ainsi qu'un instrument de mobilisation.
Pour répondre à cet objectif ambitieux, il devra répondre à trois impératifs : il faudra fonctionner en réseau, utiliser massivement les nouvelles technologies et répondre aux besoins en matière de formation continue.
S'agissant du premier impératif, le réseau est la réponse à la fois à l'ouverture sur le monde et à la constitution de pôles universitaires d'excellence. Il préserve donc les missions fondamentales de l'université et prend en compte l'un des aspects de l'aménagement du territoire qui repose sur la localisation de l'intelligence, dont tout le monde affirme qu'elle conditionne la création d'emplois.
S'agissant du deuxième impératif, chacun a pu s'exprimer sur les nouvelles technologies. Aussi irai-je à l'essentiel.
Vous avez indiqué, monsieur le ministre, quelles étaient vos intentions, et M. le Premier ministre a, voilà quelques mois, et pour la première fois dans notre pays, en tout cas à ce niveau de responsabilités, clairement montré la voie. Il faut s'engager dans cette direction avec méthode et en formulant des propositions concrètes ; les collectivités locales seront alors prêtes à les écouter et à en débattre.
A l'heure d'Internet - et sur ce point nous sommes engagés, vous, monsieur le ministre, nous et la nation tout entière dans une course de vitesse - les étudiants n'attendront pas éternellement la modernisation pédagogique promise par l'utilisation massive des nouvelles technologies ; mais il est vrai que cela passe par une modification des comportements, qui suppose elle-même un effort considérable de formation. Mais je crois, monsieur le ministre, que vous en êtes vous-même totalement convaincu.
Enfin, et j'en terminerai par là - c'est le troisième impératif - l'université, telle qu'elle existe aujourd'hui, est capable de satisfaire les besoins en matière de formation initiale. Même si des progrès doivent être accomplis au titre de la qualité, le « zéro défaut » reste un objectif à atteindre.
Mais, au cours des prochaines années, les besoins en formation continue vont continuer d'exploser. Chacun le sait, dans toutes les professions, tous les deux, trois, quatre ou cinq ans, il faut réapprendre un métier et de nouvelles technologies. L'université, avec sa mission de service public et ses références républicaines, aura-t-elle la volonté et la possibilité de s'inscrire dans une démarche dont dépend une grande partie de l'avenir économique de la nation ?
Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions que je voulais vous soumettre.
Mon propos est donc simple et clair : j'approuve sans réserve un budget dont nous avons, les uns et les autres, du mal à comprendre qu'il puisse susciter un débat comme celui auquel nous venons d'assister. Comment, après avoir approuvé, pendant des années, toute progression des crédits consacrés à l'université, peut-on aujourd'hui insister sur la nécessité de les réduire ?
Outre le budget, il y a la politique universitaire, la négociation, le débat. En tout cas, le groupe socialiste est à votre disposition, monsieur le ministre, pour poursuivre le débat. En effet, nous le savons bien - et il s'agit non seulement d'un effet de tribune, mais d'une réalité - l'avenir de la nation passe par notre capacité à apporter une formation de très haut niveau à notre jeunesse. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Anton Tchekhov disait que la brièveté est la soeur du talent. Je vais donc tâcher d'être talentueux. (Sourires.)
M. Jacques Legendre. Nous ne doutons pas que vous y parviendrez !
M. Ivan Renar. Nous vous faisons confiance !
M. Pierre Laffitte. Monsieur le ministre, je sais que vous êtes aussi sensible que moi aux problèmes de la souplesse, de la responsabilité des universités, d'une part, et aux créations d'entreprises, d'autre part.
S'agissant du premier point, pour que l'autonomie universitaire soit réelle, il faut, bien entendu, que l'université puisse utiliser de manière plus souple les moyens dont elle dispose. Je suis convaincu qu'il est, hélas ! nécessaire de l'y aider et qu'il faut même parfois le lui imposer.
Vous avez cette possibilité, monsieur le ministre, notamment en créant un certain nombre de postes « dits fléchés » pour assurer l'accueil de personnalités issues du milieu universitaire étranger, de l'industrie, de centres de recherche, de grandes écoles, bref de milieux susceptibles de revitaliser l'université lorsque c'est nécessaire.
Vous avez la chance de pouvoir créer des emplois cette année. Utilisez-les pour assurer une plus grande souplesse au sein de l'université !
S'agissant du deuxième point, les universités pourraient-elles, comme certains instituts de recherche, disposer de moyens financiers, même modestes, permettant d'inciter les jeunes enseignants et les jeunes chercheurs à créer des entreprises ? Ce dispositif serait très utile.
Par ailleurs, je souhaite connaître votre avis sur la proposition de loi sénatoriale n° 98, qui permettrait aux chercheurs et aux enseignants de créer des sociétés innovantes tout en restant fonctionnaires selon des conditions particulières. Voilà qui doit correspondre à vos tendances !
La création d'emplois dans les entreprises innovantes étant la seule véritable source de dynamisme dans les pays modernes, l'université doit y contribuer fortement.
Par ailleurs, que pensez-vous de l'idée de former, notamment en alternance, des jeunes recrutés au titre des emplois-jeunes aux nouvelles technologies, grâce notamment à l'appui du système universitaire, et de les utiliser, à l'instar des moines-soldats, comme les volontaires du service national pour la formation en informatique, les VFI, que j'avais contribué à créer avec M. Jean-Jacques Servan-Schreiber, afin de contribuer à la prise de conscience et à la formation continue de diverses catégories socioprofessionnelles, et ce en coopération avec les collectivités locales et le monde associatif ?
Vous savez que les Américains considèrent qu'il leur manque actuellement un million de spécialistes dans le domaine des nouvelles technologies et de l'information, en dépit des efforts qu'ils ont entrepris ; peut-être pourrions-nous essayer d'inventer une méthode nouvelle ? Je souhaiterais connaître votre opinion à ce sujet.
Je souhaite, enfin, exprimer ma préoccupation à propos des projets qu'on vous prête. Vous ne voulez pas, avez-vous dit, absorber l'ensemble des grandes écoles, mais vous semblez tout de même vouloir, notamment par le canal de l'article 63 bis, non seulement assurer la coordination pédagogique, ce qui paraît tout à fait normal, gérer des axes de recherche par le canal du fonds de recherche ou de l'enveloppe-recherche, mais aussi assurer la gestion directe des écoles qui dépendent des ministères techniques et des chambres de commerce et d'industrie. Cela serait excessif et c'est pourquoi nous avons préparé un amendement tendant à préciser la situation à cet égard.
Telles sont les quatre questions que je souhaitais vous poser, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avec une augmentation de 3,05 % par rapport à 1997 et la création de 3 000 postes d'enseignant, le budget de l'enseignement supérieur marque une inflexion de tendance qu'il convient de souligner et d'apprécier dans un contexte difficile.
Pour autant, et nous savons combien l'enjeu est sensible, il convient de nous plonger un peu plus dans la réalité de notre université afin de mesurer, certes, les efforts accomplis, mais aussi ceux qui restent à faire.
Dans cet enseignement supérieur au coeur de toutes les questions liées à l'avenir, je souhaite rendre hommage à la communauté universitaire pour les efforts qu'elle a accomplis au cours des vingt dernières années.
Face à une population étudiante qui a doublé en vingt ans, elle a su multiplier ses efforts, dans des conditions difficiles, souvent ingrates, pour assurer l'accueil des jeunes générations, sans faillir à ses missions de transmission du savoir et à sa mission, non moins importante, de recherche universitaire.
Au moment où l'on constate une baisse relative du flux étudiant, n'est-il pas temps de mettre en oeuvre une politique de l'enseignement supérieur de qualité, après avoir relevé, non sans difficulté, le défi de la démocratisation de notre enseignement supérieur ?
Les créations de postes marquent un rupture réelle avec la politique menée les années antérieures en matière de personnels.
Leur nombre et leur répartition me conduisent à formuler plusieurs remarques.
Le nombre de postes offerts permettra-t-il de compenser les départs en retraite des enseignants prévus dans les prochaines années ? Une programmation pluriannuelle des besoins en enseignants universitaires est plus que jamais nécessaire, faute de quoi notre enseignement pourrait être pénalisé dans les années à venir.
J'attire votre attention sur un autre phénomène, à savoir le recours important aux professeurs agrégés dans l'enseignement supérieur. Sur les 3 000 emplois créés, 40 % sont des PRAG.
Sans remettre en cause la qualité de ces enseignants, cette réalité constitue un risque réel pour une caractéristique fondamentale de notre enseignement supérieur : l'articulation permanente avec la recherche.
Il conviendrait donc que des mesures soient prises afin que le personnel recruté par le biais de l'agrégation puisse rejoindre au plus vite les équipes et les laboratoires, ce qui permettrait ainsi une intégration réussie au sein de la communauté scientifique universitaire.
Nous savons bien que la qualité et l'originalité de notre enseignement supérieur tiennent, pour une très large part, à cette intégration, dès les premiers cycles, des étudiants dans un environnement riche des réalités de la recherche.
J'ajouterai que les professeurs agrégés ont un immense rôle à jouer dans le secondaire, notamment afin de constituer une passerelle privilégiée entre le lycée et l'université. Vous avez déjà fait état de projets dans ce domaine, monsieur le ministre. Où en est-on ?
Le projet de budget pour 1998 prévoit la création de 1 200 postes de personnels IATOS. Cette mesure est identique à celle de l'an dernier. Dans le même temps, les mètres carrés universitaires se sont accrus, la population étudiante également. Il va sans dire que ce nombre reste très largement insuffisant pour combler les retards accumulés au cours des dernières années. Cela est dommageable non seulement pour les étudiants, mais aussi pour l'image de l'université. Les premiers contacts avec les structures universitaires suffisent très souvent à prendre pleinement conscience de cette carence en personnel IATOS ; accueil, entretien, cadre de vie et environnement ne sont pas toujours au rendez-vous de ce que l'on pourrait attendre et rendent la vie universitaire très souvent insupportable. La situation particulièrement délicate des antennes universitaires doit, à ce niveau, mobiliser toute notre attention.
Par le passé, j'ai attiré l'attention de votre prédécesseur sur la misère des bibliothèques universitaires. Si 350 postes leur sont affectés, un effort réel reste à réaliser, tant pour la constitution ou la reconstitution des fonds des bibliothèques, voire pour la création de nouvelles structures de documentation, qu'en matière de personnel.
Enfin, la transformation de 262 400 heures supplémentaires en emplois est une mesure que nous attendions, mais qu'il convient de développer. A ce titre, nous souhaiterions que les emplois créés figurent dans les documents budgétaires sous forme d'emplois, et non de crédits dont chacun connaît la fragilité - nous le verrons tout à l'heure, lors de l'examen des amendements déposés par la droite.
Autre dossier sensible : au moment où des milliers d'étudiants s'entassent sur les bancs de l'université Paris X-Nanterre, peut-être pourrait-on oeuvrer à la réappropriation du pôle privé Léonard-de-Vinci. Il semble juste que cet établissement privé qui est financé par des moyens publics, ceux du conseil général des Hauts-de-Seine, revienne à l'enseignement supérieur public, a fortiori quand des surfaces entières restent inutilisées.
Enfin, de grands chantiers restent à mettre en oeuvre. Le statut social de l'étudiant est attendu par les jeunes mais aussi par leur famille. Il s'agit d'un instrument privilégié de la démocratisation de l'enseignement supérieur et le projet de budget, hormis de légères augmentations du montant des bourses et un relèvement des plafonds, reste insuffisant.
Je crois que nous n'insisterons jamais assez sur l'inacceptable sélection sociale qui prive tant de jeunes de la possibilité de faire des études supérieures. La démocratisation de l'éducation supérieure est un fait réel, mais elle masque la réalité de la sélection.
De quelles chances réelles d'accéder à l'université dispose un jeune dont les parents sont au chômage ?
Le défi d'un pays moderne comme le nôtre, en cette fin de siècle, est d'affronter et de résoudre ce problème.
Je ne saurais bien évidemment oublier la grande misère de la santé des étudiants.
Toute prise en compte de ces exigences sociales exige non seulement un maintien, mais aussi un développement des missions de service public des CROUS, les centres régionaux des oeuvres universitaires et scolaires. Vos intentions et vos projets à ce sujet sont attendus, monsieur le ministre.
Je voudrais maintenant profiter de cette intervention pour évoquer la situation des centres de formation de musiciens intervenant à l'école, les CFMI.
Ils sont au nombre de neuf en France, rattachés à neuf universités. En l'occurrence, j'ai le redoutable honneur de présider l'un d'entre eux dans le cadre de l'université Lille III, les présidents étant choisis parmi des personnalités extérieures, et c'est une tâche assez enthousiasmante au regard du travail qui s'y fait.
Les CFMI ont été créés conjointement, en 1993, par le ministère de l'éducation nationale et par le ministère de la culture. Leur mission est, je le rappelle, d'offrir une formation à des musiciens professionnels, en leur permettant d'acquérir les compétences nécessaires pour intervenir auprès des enfants dans les écoles primaires et maternelles. Un diplôme et un cadre d'emploi sanctionnent désormais cette formation au grade d'assistant territorial spécialisé d'enseignement artistique.
Une question nouvelle se pose depuis la création des contrats jeunes et des 75 000 postes d'aide éducateur : comment s'assurer que les missions et fonctions demandées à ces aides éducateurs ne recoupent pas les champs d'action et de compétences de la profession de musicien intervenant à l'école ?
Cette question n'est pas gratuite, car ici ou là des élus locaux préfèrent déjà obtenir - et on peut les comprendre - plusieurs aides éducateurs à la place d'un musicien intervenant, ce qui représente naturellement un coût moins élevé pour la collectivité. Il y a là un effet pervers qui s'apparente à un effet d'aubaine et qu'il conviendrait d'étudier.
Vous insistez, monsieur le ministre, sur votre volonté de voir l'université participer activement à la formation professionnelle. C'est une exigence ancienne et, à ce titre, la loi de 1984 n'a rien perdu de son actualité.
Encore faut-il qu'il s'agisse, en l'occurrence, de passerelles véritables entre l'université et le monde du travail. De nombreuses unités de formation et de recherche agissent dans ce sens. Si, trop souvent selon nous, la formation professionnelle est le prétexte à la recherche de financements nouveaux pour les universités, elle ne permet pas une immersion des salariés dans les cursus universitaires. Il faut donc réfléchir à une diversification de ces filières, tout en restant attaché à la notion de cursus universitaires traditionnels.
S'il est indispensable de parvenir à une meilleure articulation entre l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, s'il est indispensable aussi de réussir les réformes pédagogiques en cours, et s'il est urgent de réfléchir au statut social de l'étudiant et à l'investissement lié au plan « Université du troisième millénaire », cela ne saurait se faire sans démocratisation des structures de gestion et d'évaluation et sans la participation de tous.
La qualité de l'université sera le gage de l'enrichissement des individus qu'elle a la charge de former.
Besoins culturels - et il y a fort à faire ! - besoins scientifiques, mutations technologiques, transformation du monde du travail et nouvelles formes de transmission des savoirs - je pense aux nouvelles technologies de l'information - sont au coeur des enjeux de développement de notre système éducatif universitaire.
A ce titre, le projet de budget pour 1998 marque une inflexion positive. Pour autant, il nous appartient de rendre plus visibles les transformations que nous attendons, et ce sans tarder, pour redonner aux jeunes, bien sûr, à leurs parents, mais aussi à tous ceux qui ont la charge de la transmission de la connaissance dans notre pays confiance dans l'avenir.
Tel sera le sens de notre vote, qui sera positif au moins jusqu'à l'examen des amendements, monsieur le ministre.
M. le président. La parole est à M. Gélard.
M. Patrice Gélard. Monsieur le ministre, les universitaires avaient appris à vous connaître, et d'ailleurs à vous apprécier. La politique du « deux pas en avant, un pas en arrière, un peu provocatrice par moments, qui nous donnait l'occasion de réfléchir sur des projets à venir et la reprise, quelques mois plus tard, desdits projets permettaient d'avancer un peu et de bousculer certaines habitudes.
Malheureusement, je ne retrouve pas dans le présent projet de budget ce souffle qui était le vôtre, lorsque vous étiez conseiller du ministre de l'éducation nationale de l'époque.
Le budget que vous nous présentez suscite de ma part nombre d'interrogations et quelques inquiétudes, que je vais m'efforcer de vous exposer brièvement.
Tout d'abord, je dirai un mot sur les crédits de fonctionnement. Les universités viennent de recevoir notification de leur dotation à venir ou savent maintenant ce qu'elles vont recevoir. Or, chose tout à fait étonnante, les crédits de fonctionnement concernant les bâtiments neufs résultant du plan « Université 2000 » vont être tout à fait insuffisants. Les crédits ne permettront pas au personnel IATOS de faire fonctionner ces bâtiments neufs aussi bien que les bâtiments anciens. En d'autres termes, nous avons atteint, en matière de fonctionnement, une limite qui est quelque peu inquiétante pour la suite.
Quand au rêve d'une Université du troisième millénaire, il va falloir mesurer à deux fois les possibilités des conseils généraux, des conseils régionaux et des grandes municipalités qui sortent exsangues du plan « Université 2000 », compte tenu des sommes considérables qui ont été affectées à ce programme.
Par conséquent, ce phénomène un peu inquiétant devra être étudié, sans doute avec plus de précision à l'avenir que dans le présent budget.
Je voudrais souligner un point sur lequel on revient souvent et selon lequel les locaux universitaires seraient sous-occupés. Je m'inscris en faux contre cette allégation car je connais bien la réalité en ce domaine. Quand un amphitéâtre est occupé six jours par semaine, de huit heures à vingt heures, voire vingt-deux heures, il est nécessaire qu'il se « repose » au moins pendant les vacances, ne serait-ce que pour le nettoyer ou le repeindre. Nos locaux universitaires sont très « fatigués » par moment car il y a une surcharge d'occupation tout au long de l'année. Donc, il ne faut pas se laisser emporter par l'idée selon laquelle ils pourraient être utilisés à d'autres fins.
Le deuxième point sur lequel je voudrais m'arrêter concerne les usagers, auxquels avait été promis le statut social de l'étudiant. Or, ce statut social de l'étudiant n'apparaît pas dans ce projet de budget, et cela pose des problèmes.
Il y a, certes, des boursiers, mais aussi toute une catégorie d'étudiants qui n'ont pas droit aux bourses et dont les parents, qui sont d'ailleurs brutalement touchés par les récentes mesures fiscales, sont dans une situation financière très difficile. Nombre d'entre eux viennent me voir et essaient de trouver, avec moi, des solutions pour parvenir à mener à terme leurs études. Si le problème du statut social de l'étudiant n'est pas résolu dans un très proche avenir, nous serons très bientôt dans une situation comparable à celle que connaît l'Allemagne à l'heure actuelle.
Monsieur le ministre, vous avez prévu d'accorder des bourses spéciales aux étudiants des quartiers défavorisés qui obtiennent le baccalauréat avec la mention assez bien et qui se destineront à la magistrature ou à l'Institut d'études politiques. C'est une bonne idée. Cependant, je crains que le nombre d'étudiants qui vont bénéficier de ces bourses ne soit supérieur au nombre de places offertes au concours de l'Ecole nationale de la magistrature et à l'ENA, si vous respectez les chiffres de trois cents ou quatre cents bourses que vous aviez avancés.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Non, c'est cent et cent ! Après les études, une partie d'entre eux s'orientera dans une autre direction.
M. Patrice Gélard. Cela fait deux fois cent bourses, même si certains bénéficiaires s'orienteront différemment. Je crains, avec un tel système, que toutes les places offertes au concours ne soient prises. (Sourires).
Cela dit, monsieur le ministre, il y a un vrai problème, c'est l'absence d'une réelle orientation des étudiants. Ce problème n'est pas résolu. Je suis, à chaque fois, peiné et même catastrophé quand je vois des centaines de milliers d'étudiants s'engager dans des voies où, tout le monde le sait, il n'y a pas de débouchés. Je le lisais dans un des rapports qui retrace les effectifs d'étudiants dans chaque discipline, il y a cinq mille étudiants en lettres, alors que chacun sait que le nombre de postes mis au concours d'agrégation ou au CAPES ne peut naturellement pas absorber ce nombre considérable d'étudiants.
De même, il faudrait freiner ces engouements passagers pour telle ou telle filière : on se précipite un jour dans le sport, le lendemain dans la sociologie, surlendemain dans la philosophie ou dans la psychologie ! Il faut mieux orienter les jeunes, monsieur le ministre. Aussi, je renouvelle la demande que j'avais déjà formulée à votre prédécesseur, pourquoi ne pas créer un observatoire des débouchés à moyen terme, à cinq ou six ans, ne serait-ce que pour la seule fonction publique ? On pourrait ainsi savoir combien de places seront offertes, à échéance de cinq ou six ans, à tous les concours de la fonction publique. Cet outil inappréciable nous fait aujourd'hui défaut.
Les métiers de l'enseignement ont fait l'objet d'une publicité importante. Or nombre d'étudiants sont aujourd'hui déçus parce qu'il n'y a plus de places dans les IUFM. Ils ne savent plus vers où se tourner, puisqu'ils n'ont plus la possibilité de suivre la carrière qu'ils avaient choisie. Pour mieux orienter les étudiants, le ministère de l'éducation nationale doit se doter de cet observatoire des débouchés à moyen terme. Certes, il y aura des erreurs, les données ne seront pas toujours exactes, mais nous aurons ainsi une idée des possibilités qui s'offrent aux uns et aux autres.
J'en viens à la situation de certains étudiants particuliers.
Tout d'abord, et je le déplore, nous avons supprimé les bourses aux étudiants étrangers, notamment ceux qui, au niveau du troisième cycle, venaient terminer leur thèse dans nos laboratoires.
M. Jacques Legendre. Très bien !
M. Patrice Gélard. Nous nous en sommes trop aisément remis aux programmes européens. Or chacun sait que, maintenant, Turin est aux mains des anglophones et que l'on y pratique le système du lobbying à l'anglaise. Si l'on n'est pas à Turin, on n'obtient rien ! Nous ne savons pas nous défendre. Il faut donc relancer cette forme de coopération avec l'étranger, en particulier avec les pays francophones, qui sont d'ailleurs demandeurs. (M. Jacques Legendre applaudit.)
J'évoquerai d'un mot la formation continue. Nous avons « loupé » ce que j'appellerai la « formation qualifiante ». La formation continue ne débouche pas sur des licences, des maîtrises, des doctorats, des diplômes de docteur-ingénieur. Or c'est très exactement ce qu'il faudrait.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. C'est vrai !
M. Patrice Gélard. On devrait pouvoir y arriver, mais différemment. On délivrerait les mêmes diplômes, la même licence de physique ou de droit, mais pas avec les mêmes programmes, parce que ces étudiants-là ont un acquis dont il faut tenir compte et aussi des retards qu'il leur faut rattraper.
J'évoquerai maintenant l'apprentissage des langues. Je sais à quel point vous avez soutenu mon université pour l'apprentissage des langues, mais vous savez qu'il demeure le parent pauvre de l'université française et ce n'est pas en consacrant une heure ou une heure trente à l'apprentissage des langues en premier cycle que l'on sera capable de faire concurrence aux étudiants qui, eux, apprennent correctement les langues vivantes dans les universités voisines.
Enfin, je terminerai sur les personnels.
Monsieur le ministre, nous allons en être à la dixième réforme des modes de recrutement des enseignants en moins de vingt ans ! Il est temps que tout le monde se mette d'accord sur un mode de recrutement au-delà des clivages politiques et des alternances. Cela devient insupportable, et risible aussi. Il faut trouver un mode de recrutement stable qui ne change pas avec les gouvernements !
A propos des enseignants, je m'inquiète de constater la croissance du nombre des agrégés dans l'enseignement supérieur. Ce n'est pas très sain parce que cela se fait au détriment de la création de postes. Nous avons un grand nombre de jeunes doctorants qui attendent et qui, eux, ne sont pas agrégés, qui, eux, ne sont pas certifiés. Mais un président d'université sait calculer qu'un agrégé équivaut à deux enseignants du supérieur et qu'il fait le double de service. Et, au moins, cela évite de payer des heures complémentaires !
Précisément, au sujet des heures complémentaires, elles ne sont pas aussi scandaleuses qu'on le dit, monsieur le ministre. En effet, trop d'enseignants qui s'investissent dans la pédagogie ne bénéficient d'aucune rémunération spécifique pour cela. Celui qui dirige une filière ou un cycle n'est pas rémunéré en conséquence, et il risque de se décourager. Les enseignants d'IUT ne sont d'ailleurs pas logés à la même enseigne sur ce point.
Vous avez créé des postes, monsieur le ministre. C'est bien, mais il faudrait rétablir l'équilibre entre les disciplines. Parce qu'une filière scientifique compte quatre doctorants chaque année, on réclame quatre postes de maître de conférences ? Une telle politique ferait, à terme, qu'un enseignant encadrerait cinq étudiants dans les filières scientifiques, contre un pour soixante dans les filières juridiques !
Monsieur le ministre, je vous ai dressé un tableau rapide, simple et clair de la situation. Des nuages s'amoncellent sur l'enseignement supérieur, mais je compte sur vous pour que, à l'avenir, le budget de l'enseignement supérieur, qui me paraît nettement insuffisant cette année, soit corrigé de façon que ces nuages se dissipent et n'annoncent pas de nouveaux troubles dans l'université française. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j'ai du mal à trouver dans ce projet de budget l'expression d'orientations fortes qui nous confirmeraient que vous manifestez, dans ce domaine, un réel souci de préparer l'avenir.
Certes, vous faites un effort sur l'emploi. Encore faut-il noter que les postes que vous créez sont, en fait, financés par la suppression d'heures complémentaires. Comme l'a noté notre rapporteur spécial, M. Jean-Philippe Lachenaud, vous gonflez les crédits de fonctionnement et vous réduisez les dépenses d'investissement.
En fait, en gérant le quotidien, vous hypothéquez l'avenir. Nous avons une bonne occasion, purement comptable cette fois, de vérifier qu'un budget en augmentation ne fait pas forcément un bon budget.
Monsieur le ministre, dans un contexte de grande rigueur budgétaire, votre prédécesseur, M. François Bayrou, avait réussi à redonner un caractère de grande priorité à l'enseignement supérieur.
Vous semblez aujourd'hui hésiter entre deux attitudes, tout remettre en cause - et vous mesurez les dégâts que vous feriez alors - ou accepter et mettre en oeuvre, par simple bon sens, le plan Bayrou de réforme de l'université, mais je comprends que cela vous ennuie un peu. Pourtant, ce plan élaboré dans le cadre d'une large concertation et avec l'appui de toutes les composantes de la communauté universitaire, est exemplaire. Sa mise en place fut même saluée comme un événement dans l'histoire de l'université.
Monsieur le ministre, évitez de vider de sa substance, donc de son sens, un processus ambitieux et qui avait du souffle. Sauf erreur de ma part, vous n'en reprenez que quelques dispositions, sur lesquelles demeurent, d'ailleurs, de nombreuses incertitudes. Mais vous abandonnez celles qui avaient la plus forte signification, notamment la mise en place d'une filière technologique supérieure, élément qui nous paraissait justement porteur d'avenir. Le statut social de l'étudiant est repoussé à un hypothétique débat parlementaire, au printemps prochain. Nous aimerions vous voir progresser de manière sensible sur la diversification des filières et sur les formations professionnelles. La mise en place de stages doit être, dans cet esprit, une occasion à ne pas manquer.
S'agissant des investissements, vous ne vous en sortez pas trop mal, mais en renvoyant largement les charges sur les collectivités locales. A cet égard, l'effort financier réalisé par celles-ci pour mener à bien le plan Université 2000 doit être souligné. Sans cet effort, la remise à niveau des constructions universitaires n'aurait pu avoir lieu. Pour autant, en dehors du problème spécifique des universités parisiennes, qu'il est urgent de régler, d'importants besoins n'ont pas été pris en compte. Je citerai, par exemple, le parc de logements étudiants et la réalisation d'installations sportives.
Vous nous dites, monsieur le ministre, que le plan U3M doit permettre de relancer l'investissement universitaire en collaboration avec les acteurs locaux. Je ne vous cache pas que ceux-ci, s'ils mesurent l'intérêt de cette opération, n'en sont pas moins très inquiets quant à leur future participation. De plus, pouvez-vous nous assurer que cette politique sera accompagnée d'un effort similaire en matière de fonctionnement des établissements ? Rien ne l'indique dans votre budget.
Monsieur le ministre, les collectivités locales ne peuvent pas entrer dans une logique destinée simplement à pallier le désengagement de l'Etat. Evidemment, nous ne remettons pas en cause le financement local des infrastructures universitaires, mais, il ne peut évidemment pas exister sans, en contrepartie, des responsabilités dans la gestion de ces établissements. Vous aurez alors à faire la part de ce qui exige ou justifie leur participation et de ce qui doit, bien légitimement, rester la prérogative de l'Etat, garant de l'égalité républicaine. Le succès du plan sera largement fonction de votre capacité à trouver ici le bon équilibre.
Parmi les orientations qui concernent l'enseignement supérieur, il semble notamment que vous cherchiez à rapprocher les universités des grandes écoles. Une mission de réflexion s'est d'ailleurs déjà mise au travail, sous la direction de Jacques Attali, que j'ai rencontré, je le note en passant, pour la première fois précisément sur les bancs d'une grande école, il y a un peu plus de trente ans. (Sourires.) J'en profite pour vous demander de veiller à ne pas briser l'originalité de ces deux structures, universités et grandes écoles, leur complémentarité étant une composante essentielle du modèle français d'éducation.
Sachons transformer d'éventuelles rivalités en saine émulation. Nos grandes écoles ne sont pas les rivales des universités. A certains égards, elles représentent même un moteur pour notre enseignement supérieur. A d'autres égards, ce sont les universités qui ont cette fonction, je ne le nie pas.
Les grandes écoles se veulent exemplaires pour ce qui est de l'ancrage dans les entreprises et, aujourd'hui toujours davantage, de la relation avec le monde de la recherche.
Notre collègue Pierre Laffitte a joué, à cet égard, un grand rôle, et je tiens à lui en rendre hommage en cet instant.
Les échanges entre écoles et universités se multiplient. A partir du moment, en effet, où il y a respect réciproque et intérêt mutuel, cela doit se faire tout naturellement, sur le terrain, au niveau des responsables, et tout le monde s'y retrouve : universités et grandes écoles, entreprises et laboratoires de recherche.
J'ai déposé un amendement sur la question qu'évoquait M. Laffitte, voilà un instant, du rattachement à divers ministères de certaines grandes écoles. Je me permets d'y insister, car c'est le coeur de notre débat.
Si nos écoles spécialisées sont souvent restées rattachées à des ministères techniques, je ne pense pas que ce soit le résultat du hasard, ni même une survivance de notre histoire administrative. Comment, en effet, mieux réaliser l'insertion de jeunes étudiants dans leur futur milieu professionnel qu'en les formant en symbiose avec ce milieu, qu'en les associant immédiatement aux évolutions, aux difficultés et aux ambitions du secteur ?
Je note que, dans le même temps, l'insertion d'une école dans son contexte professionnel et la responsabilité que cela confère au ministère compétent me paraîssent excellents : cela représente, pour le ministère, une exigence particulière et inappréciable de qualité.
La formation continue trouve tout naturellement sa place, alors, dans la vie du ministère, formation continue que les grandes écoles pratiquent depuis longtemps. C'est une occasion supplémentaire, une occasion privilégiée d'ouverture sur le monde de la recherche et, bien souvent, sur l'international. C'est aussi, et je pourrais dire surtout, un appel permanent pour tous à se remettre en cause. Cet appel peut être particulièrement bien perçu par le ministère et par les professionnels du secteur, qui, quelquefois, en ont bien besoin !
Pour autant qu'on ait la volonté de tirer vraiment partie des grandes écoles dans d'autres ministères que celui de l'éducation nationale, c'est bon pour ces écoles, bon pour les étudiants et, je ne crains pas de le dire, c'est bon aussi pour ces ministères !
Monsieur le ministre, la présence simultanée dans notre enseignement supérieur d'universités et de grandes écoles est une chance pour le pays. C'est, à l'évidence, une richesse si vous savez vous en servir. Si nivellement il doit y avoir, que ce soit par le haut, sur chaque sujet et dans chaque domaine ! Ce sera parfois à l'avantage des universités, parfois au bénéfice des grandes écoles, tantôt grâce aux premières, tantôt grâce aux secondes.
Nous sommes, monsieur le ministre, en situation de faire jouer des synergies. Les enjeux pour nos étudiants et les défis à relever au plan international comme au plan scientifique sont tels qu'il ne peut plus y avoir ici la moindre place pour le dogmatisme, l'esprit de système ou les querelles de boutiques.
Le gouvernement précédent avait mis en chantier une réforme des études médicales. Un rapport dressant un bilan assez peu rassurant et avançant des propositions a été réalisé par le professeur Mattei. Monsieur le ministre, pourriez-vous nous préciser vos intentions sur cet important dossier qui appelle des solutions urgentes ?
Enfin, je profite de ce débat pour mettre l'accent sur la nécessité d'améliorer les collaborations entre les universités européennes ; notre collègue Patrice Gélard évoquait cette question à l'instant. Nous devons créer un espace européen du savoir, de la formation supérieure et de la recherche. A quand des universités européennes pouvant rivaliser avec leurs consoeurs d'outre-Atlantique ? C'est ici le rapporteur spécial, du prélèvement pour le budget des Communautés qui vous interroge, vous l'aurez compris.
Je me souviens m'être rendu en 1984 à Berkeley avec le président de la Conférence des grandes écoles d'alors, devenu depuis notre collègue M. Pierre Laffitte, pour bâtir un jumelage entre nos grandes écoles françaises et l'université californienne. Nous avions d'ailleurs présenté sur place cette réalisation au Président de la République d'alors et à son conseiller, M. Jacques Attali, lesquels l'avaient, me semble-t-il, l'un et l'autre appréciée. Nous avons ainsi démontré qu'il était possible de faire travailler ensemble nos grandes écoles. Nous avons évidemment vérifié qu'elles se retrouvaient tout à fait spontanément et se rapprochaient très naturellement dès lors qu'elles étaient en terrain étranger et confrontées à une concurrence particulièrement forte. Je suis certain que la même démonstration peut valoir pour les universités ; j'imagine d'ailleurs qu'elle a déjà été faite sans que je l'aie su, et c'est très bien ainsi.
Aujourd'hui, nous devons aller plus loin et faire des propositions à l'échelon européen en appelant l'ensemble de nos établissements d'enseignement supérieur à se rapprocher pour que notre jeunesse et nos étudiants sachent que, s'ils ont une part à prendre dans l'avenir de l'Europe et du monde, ils s'y prépareront en échangeant davantage. Au passage, je note aussi qu'ils contribueront fortement à construire l'Europe, l'Europe des jeunes, l'Europe des citoyens de demain.
Pour en revenir à votre projet de budget, monsieur le ministre, mes collègues du groupe de l'Union centriste et moi-même ne pouvons y souscrire en l'état. C'est pourquoi nous suivrons les conclusions de nos rapporteurs. ( Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants. )
M. le président. La parole est à M. Maman.
M. André Maman. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le Gouvernement a fait de l'éducation nationale, en général, de l'enseignement supérieur, en particulier, une priorité. Cette volonté, qui transparaît dans les intentions affichées des responsables, se retrouve dans les données chiffrées qui caractérisent le projet de budget que le Sénat examine aujourd'hui. C'est là une justice qu'il faut vous rendre, monsieur le ministre, et je le fais bien volontiers.
La croissance des crédits, légèrement supérieure à 3 %, correspond à une hausse de 1,4 milliard de francs, et le budget global, qui atteint un peu plus de 48 milliards de francs, représente 3 % du budget général de l'Etat.
Ces chiffres, témoignage d'une certaine bonne volonté, sont d'autant plus flatteurs qu'on doit les rapporter à un contexte général marqué par une légère baisse des effectifs universitaires.
L'honnêteté intellectuelle commande donc de dire, monsieur le ministre, que le projet de budget que vous nous présentez comporte, d'un point de vue strictement comptable, des efforts significatifs qui ne peuvent que satisfaire tous ceux qui, comme moi, sont particulièrement attentifs à l'état dans lequel se trouve le système d'enseignement supérieur français.
Certaines des dispositions vertueuses de votre projet de budget ont été mises en lumière par d'autres que moi, et je ne m'y attarderai pas. Je rappellerai simplement que la création de 3 000 emplois d'enseignants, l'effort fait en faveur des bibliothèques universitaires - qui bénéficieront d'un budget en progression de 50 millions de francs et de 350 emplois nouveaux - et la revalorisation des plafonds de ressources ouvrant droit à des bourses sont, selon moi, des mesures positives qu'il convient de saluer. Elles me paraissent aller dans le bon sens, c'est-à-dire vers l'édification d'une université ouverte à tous, où les étudiants travaillent dans de bonnes conditions avec un encadrement pédagogique renforcé.
Pourtant, en dépit de cette présentation que j'ai voulue objective, je ne voterai pas le projet de budget présenté par le Gouvernement.
En effet, la question qu'il est urgent de se poser aujourd'hui, au-delà des problèmes liés à des arbitrages financiers, est de savoir si les orientations fondamentales de ce projet de budget seront favorables à la dynamisation de notre système d'enseignement supérieur et, surtout - j'insiste sur ce point - à l'accroissement de son efficacité sociale.
De ce point de vue, monsieur le ministre, je ne doute pas que votre volonté d'améliorer la situation soit réelle. Malheureusement, je crois aussi, et je le regrette, que le Gouvernement s'est un peu arrêté à la surface des choses et qu'aucun changement véritable ne sortira de ce projet de budget. On apporte des modifications à la périphérie du système, mais on évite soigneusement d'en consulter le coeur. Tout cela est d'autant plus décevant que certaines déclarations, que nous sommes nombreux à avoir en mémoire, laissaient augurer le contraire.
Pour ma part, j'ai plusieurs fois plaidé, depuis cette tribune, pour un système universitaire où les mots de « sélection » et d' « argent » - c'est-à-dire de sélection bien faite à l'entrée de l'université, et de frais de scolarité avec bourses à l'appui - ne seraient plus tabous. On s'y refuse encore, et on m'a objecté récemment que cela viendrait avec l'université européenne, que j'étais impatient... Bien sûr, je suis impatient, car nous prenons un tel retard par rapport aux autres universités, notamment américaines, que je ne comprend pas pourquoi on hésite à prendre des décisions.
J'ai répété, et je répéterai toujours, au risque de lasser, que la pire des sélections est la sélection par l'échec : c'est-à-dire celle qui, malheureusement, joue à presque tous les niveaux du système français et que notre excellent collègue Jean-Pierre Camoin a appelée, à juste titre, lors d'une réunion de la commission des affaires culturelles, la « sélection clandestine ».
M. Jean-Pierre Camoin, rapporteur pour avis. C'est vrai !
M. André Maman. Certains ont pu voir dans mes propos antérieurs une atteinte à un principe auquel je suis pourtant attaché, celui de l'égalité. Ils y ont vu, de bonne foi sans doute, la volonté d'appliquer aveuglément des expériences anglo-saxonnes au modèle républicain qui est le nôtre, et qui, je le répète également, doit le demeurer.
A tous ceux-là, et à vous-même, monsieur le ministre, je voudrais donc simplement rappeler les conclusions d'une enquête sur le recrutement social de l'élite scolaire en France, qui a été publiée dans le dernier numéro de la Revue française de sociologie et que le quotidien Le Monde a signalée dans son édition datée du vendredi 21 novembre dernier.
A l'heure où l'on s'aperçoit que l'accès à la connaissance est devenu l'élément fondamental de l'intégration sociale et de l'épanouissement individuel, les conclusions de cette étude, qui sont assez édifiantes, sont les suivantes : la proportion des jeunes d'origine populaire dans les quatre plus grandes écoles françaises - polytechnique, Normale Sup, ENA et HEC - est passée d'environ 30 % dans les années cinquante à 9 % aujourd'hui.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Absolument !
M. André Maman. Je voudrais vraiment qu'on m'explique où est l'égalité dans ce domaine !
En comparant le système français à d'autres systèmes que je connais très bien, j'ai l'impression qu'au fond de l'esprit français il y a un parti pris d'élitisme. On fait semblant de vouloir aider tout le monde, mais on préfère l'élite et on met, si je puis dire, des bâtons dans les roues des étudiants qui n'appartiennent pas au milieu socio-culturel de l'élite. Sinon, les résultats seraient différents. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
Comment, voilà vingt ans qu'on répète ce leitmotiv, et les choses n'avancent pas ! En fait, chacun se dit qu'il n'est pas la peine de se préoccuper du sort de ces jeunes gens, et qu'une élite qui représente 3 % de la population étudiante française suffit pour faire face à la concurrence étrangère. C'est complètement faux !
J'aimerais que l'on m'explique également où se trouve l'égalité quand on constate que ce sont majoritairement les étudiants d'origine socio-culturelle modeste qui sont les premières victimes du naufrage pédagogique que constitue, dans les universités françaises, le passage du premier au deuxième cycle.
Monsieur le ministre, c'est parce que je ne me résous pas à ce genre de chiffres que je souhaite une réforme d'envergure de l'université française. Je pensais que vous pouviez le faire après avoir entendu toutes vos déclarations. Je faisais confiance à votre dynamisme pour faire changer de cap au bateau. Mais je dois constater que vous vous êtes repris. (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Bon, nous en reparlerons tout à l'heure ! (Sourires.)
Je suis en effet convaincu que la pluralité des attentes du corps social par rapport à l'université, que la diversité sociale des étudiants, que l'échec universitaire et la durée des études sont des réalités nouvelles auxquelles il faudra bien, un jour ou l'autre, apporter des réponses nouvelles.
De ce point de vue, je vois mal comment nous pourrions faire l'économie d'une véritable réflexion sur l'orientation des étudiants, sur l'inadaptation des formations supérieures aux besoins de l'économie, ainsi que sur un relèvement significatif des frais de scolarité à l'université, fondé sur la prise en compte des capacités contributives de chacun.
C'est parce que je ne vois aucun signe de cette réforme dans votre projet de budget, monsieur le ministre, que, tout comme mes collègues non inscrits, je ne le voterai pas. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean-Louis Carrère. J'applaudis tout, sauf la conclusion !
M. le président. La parole est à M. Vidal.
M. Marcel Vidal. Monsieur le ministre, le projet de budget que vous présentez devant le Sénat rompt enfin avec la politique « comptable » menée précédemment et trace, pour l'enseignement supérieur et la recherche, une ambition nouvelle et des objectifs clairement identifiés.
Moderniser l'enseignement supérieur, l'ouvrir sur le monde, le préparer aux défis du troisième millénaire tout en renforçant ses missions fondamentales et traditionnelles ; telles sont les orientations dont nous avons pris connaissance, notamment lors de votre audition devant la commission des affaires culturelles du Sénat, le 30 octobre dernier.
Ces orientations s'inscrivent dans un véritable projet de société où le pari sur l'intelligence détermine le véritable enjeu pour la France en concentrant tous les efforts en faveur de la jeunesse. Les créations d'emplois et l'amélioration de l'encadrement des étudiants sont une première réponse à ce projet. Elles apportent aussi des perspectives nouvelles pour les jeunes chercheurs, dont on connaît les difficultés à trouver un premier emploi.
Quatre mille deux cents emplois seront créés en 1998, dont 3 000 concernent des postes d'enseignants ; ce sont là des décisions auxquelles nous n'étions plus habitués depuis quelques années et nous saluons ce changement d'orientation qui, sans rattraper le retard accumulé au cours des exercices précédents, en particulier si l'on établit la comparaison avec nos voisins européens, donnent néanmoins le signal d'une politique nouvelle.
Votre deuxième objectif est de donner à l'enseignement supérieur les moyens matériels de fonctionner et de travailler, car il ne s'agit pas seulement d'améliorer l'encadrement des étudiants, il faut aussi créer les conditions d'un accueil optimal avec des outils performants.
Or, là encore, le retard pris est particulièrement préoccupant et nous devons prendre conscience qu'il faudra plusieurs années d'efforts, y compris budgétaires, pour consolider des pôles universitaires dignes de notre pays soucieux de jouer un rôle décisif sur la scène internationale.
Nous observons également avec satisfaction l'augmentation des moyens alloués aux bibliothèques universitaires dont on connaît, indépendamment de l'insuffisance notoire des capacités d'accueil, les carences en matière de gestion informatique, les insuffisances de crédits pour acheter et renouveler des ouvrages - et souvent d'ailleurs, la discrétion des responsables de bibliothèques universitaires a contribué à aggraver ces situations - voire l'état de délabrement pour certaines d'entre elles.
Dans ce domaine également, votre projet de budget apporte une réponse par la création de 350 emplois et une augmentation de plus de 200 millions de francs des crédits de fonctionnement.
Ces choix devraient permettre, nous en sommes convaincus, de préparer l'université du XXIe siècle.
Vous avez présenté très récemment avec votre collègue Mme Royal un plan d'introduction massive des nouvelles technologies dans l'enseignement, depuis l'école maternelle jusqu'à l'université.
Parallèlement, vous préparez le plan baptisé U3M, destiné à lancer l'université dans le troisième millénaire.
Voilà une grande révolution - au sens étymologique - tant attendue de l'université et le souffle nouveau traçant des perspectives destinées à encourager notre jeunesse.
Ainsi, dans le prolongement du plan « Université 2000 », votre projet s'inscrit aussi dans une démarche d'aménagement du territoire, en déconcentrant les pôles d'excellence et en répartissant l'intelligence sur l'ensemble du territoire.
Cet enjeu résidera aussi dans la définition d'une conception nouvelle de l'aménagement du territoire et de la déconcentration universitaire, prenant en compte la mutation engendrée par les technologies nouvelles et par les mises en réseau qui, nécessairement, en découleront. Ce sont autant de thèmes qui ont été évoqués ces dernières années au cours de la mission sénatoriale portant sur l'aménagement du territoire, à laquelle j'ai eu la satisfaction de participer en ma qualité de membre de la commission des affaires culturelles.
Par ailleurs, votre volonté de créer des passerelles entre l'université et le monde du travail pour favoriser une véritable formation professionnelle qualifiante nous paraît digne d'intérêt. A cet égard, vous entendre sur le rôle que vous envisagez de faire jouer à l'université, dans la formation continue, ainsi que l'a souhaité tout à l'heure notre collègue M. Saunier, au cours de son intervention, nous serait fort utile.
Cette ouverture doit aussi aller vers les pays étrangers, et notamment vers nos partenaires européens. Trop d'obstacles subsistent encore, aussi bien pour accueillir les étudiants étrangers que pour encourager nos étudiants à effectuer une partie de leur cursus dans les universités européennes.
Les contacts fréquents que j'ai avec eux, à Montpellier et à Paris, me permettent d'insister auprès de vous pour que soient facilitées toutes démarches favorables à cette ouverture vers l'Europe et au-delà.
Ces obstacles sont clairement identifiés. Ils sont d'abord financiers, car les études à l'étranger sont coûteuses. Malgré les aides prévues par les programmes européens, des améliorations sont nécessaires et urgentes pour encourager le plus grand nombre à bénéficier de ces échanges. Par ailleurs, ces obstacles sont liés à des difficultés d'harmonisation européenne et il faudra toute votre détermination pour obtenir des avancées significatives sur ce point au niveau de l'administration de Bruxelles.
Enfin, je souhaiterais attirer votre attention sur l'importance de l'enseignement des langues vivantes dans nos universités. Il est très préoccupant de constater que les langues étrangères ne sont pas enseignées dans la plupart d'entre elles et il est grave de noter les lacunes des étudiants dans ce domaine. Le développement de laboratoires de langues performants et modernes est urgent.
Vous avez également annoncé pour le printemps prochain un débat devant le Parlement, portant sur le plan social étudiant qui viendra compléter l'ensemble des mesures que vous nous avez présentées. Il est certain que les problèmes relatifs au « service social » dans leur globalité - critères d'attribution des bourses, logement, restauration, médecine, accueil-information - méritent un examen approfondi, une mise à jour et des décisions claires. Le moment venu, nous apporterons notre contribution à la discussion générale avec l'enthousiasme qui nous anime.
Monsieur le ministre, nous connaissons votre attachement à toutes ces question, nous apprécions la netteté de vos déclarations qui, jusqu'à ce jour, ont eu pour avantage de ne laisser personne « plonger » dans l'indifférence. Votre projet de budget définit un cadre nouveau pour l'enseignement supérieur ; il trace un projet ambitieux pour notre université, selon les engagements annoncés. Nous le voterons sans réserve. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, on s'illusionne souvent sur l'image que l'on donne ou que les autres ont de nous-mêmes. Si une chose m'a étonné, c'est bien que l'on puisse penser un seul instant que je n'allais pas avoir une politique et une ambition pour l'université française.
Vous avez la mémoire courte, et je vais être obligé de vous la rafraîchir, en rappelant ce qui a été fait après notre départ du gouvernement. Je vous demande de m'en excuser, mais l'addition sera probablement salée pour ceux qui nous ont suivis ! Si vous avez été francs, je le serai aussi.
Par ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai relevé dans vos interventions un certain nombre de contradictions étonnantes.
M. Maman dit, avec juste raison, d'ailleurs, que l'université conduisait à l'inégalité. Selon moi, ce n'est pas à l'université, c'est au lycée que se fait la sélection ; c'est pourquoi je m'occupe du lycée, et vous ne pouvez pas me reprocher de ne pas m'occuper d'abord de ce qui engendre ce que vous critiquez, vous ne pouvez pas me reprocher d'avoir établi cette priorité.
Certains intervenants qui m'ont dit tout à l'heure que j'avais ouvert trop de chantiers me reprochent maintenant de ne pas en avoir ouvert de supplémentaires. Je vais donc mettre la représentation nationale au courant.
Pendant quatre ans, j'ai été conseiller spécial du ministre de l'éducation nationale, chargé de l'enseignement supérieur ; je peux donc vous rappeler très précisément ce que nous avons fait.
Nous avons revalorisé la situation des enseignants. Nous n'avons pas agi n'importe comment, nous n'avons pas procédé à une revalorisation égalitaire à l'ancienneté. Nous avons instauré des primes pour ceux qui faisaient de la recherche, nous avons instauré des primes pour ceux qui se consacraient à la pédagogie. Nous avons décidé d'attribuer aux maîtres de conférences une augmentation double par rapport à celle dont bénéficiaient les professeurs. Par conséquent, nous avons rétréci l'échelle.
Par ailleurs, nous avons mis en place la contractualisation dans les universités, ce qui obligeait chaque établissement à proposer un plan de recrutement et d'insertion des étudiants, et leur garantissait les enseignants. Cette mesure a été supprimée, non par moi, mais par mon prédécesseur.
Ensuite, nous avons créé les centres d'initiation à l'enseignement supérieur, les CIES, et les moniteurs, pour permettre aux personnes se destinant à l'enseignement supérieur de s'initier à la pédagogie. M. Bayrou a laissé ces centres mourir lentement : le nombre des moniteurs a été divisé par quatre, et les CIES ont alors périclité.
Nous avons aussi créé l'Institut universitaire de France, l'IUF, pour sélectionner, au sein de l'université, les meilleurs enseignants et leur attribuer une dotation spéciale, afin de leur permettre de poursuivre leurs recherches tout en assurant un enseignement. L'objectif était d'éviter que les meilleurs enseignants ne quittent la province pour réjoindre des institutions parisiennes prestigieuses. On a laissé péricliter l'IUF, en supprimant les dotations réservées aux enseignants.
Nous avons créé les instituts universitaires professionnalisés, dont l'enseignement doit être assuré en alternance par des professionnels ou par des professeurs étrangers ; je vous le rappelle, monsieur Laffitte. On a failli laisser mourir les IUP.
Nous avons rénové la recherche universitaire, en prévoyant des crédits spéciaux pour les jeunes équipes ; nous avons multiplié par deux ce budget, en faisant passer le nombre des allocations de recherche de 1 900 à 3 800. Mais la direction de la recherche universitaire a été supprimée en tant que telle.
Nous avons rénové les premiers cycles. Et certains parlent de la réforme Bayrou ! Elle n'existe pas ! Elle marque la continuation de ce que nous avions fait : les tutorats, les modules capitalisables, l'orientation et la cessation des filières closes, sans passerelles.
Nous avons mis en place le plan Université 2000. De quoi s'agissait-il ? Ce n'était pas que du béton, c'était la définition de pôles européens, des IUT délocalisés, avec une carte nationale des implantations, ainsi que la création d'universités nouvelles.
Nous avons également institué, pour la première fois, un statut de l'étudiant.
Pendant la période où nous avons été au Gouvernement, le nombre des chambres pour les étudiants a été multiplié par cinq : les chambres d'étudiants ne font plus défaut aujourd'hui, sauf à Paris.
Pendant cette période, le nombre des bourses a été fortement multiplié.
S'agissant des bibliothèques, les crédits ont été largement multipliés.
Nous avions instauré un comité scientifique pour l'éducation nationale, composé pour moitié d'Européens, au sein duquel siégeaient six prix Nobel. Ce comité a été instantanément supprimé à l'arrivée de M. Fillon et remplacé par un comité purement local, fondé sur des amitiés politiques.
Nous avions donné l'autonomie aux universités. Que s'est-il passé quand nous avons quitté le pouvoir en matière de recrutement ? Tout est revenu à Paris.
Nous obligions les représentants de l'administration à se déplacer dans les universités pour prendre en compte leurs propositions d'autonomie et nous les empêchions de faire venir les responsables à Paris. Cela a été supprimé, et l'administration centrale a repris le pouvoir, comme il en va toujours dans ce pays !
La droite parle de déconcentration et de décentralisation, mais elle centralise dès qu'elle a le pouvoir !
M. Jacques Legendre. Holà !
M. Jean-Louis Carrère. Mais oui !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. C'est un fait, monsieur le sénateur !
Le général de Gaulle avait parlé de décentralisation, M. Pompidou l'avait enterrée, M. Giscard d'Estaing l'avait ignorée, et c'est M. Mitterrand qui l'a faite !
M. Jacques Legendre. Et M. Pasqua ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. C'est M. Mitterrand qui a fait les lois de décentralisation !
M. Jean-Louis Carrère. M. Pasqua était dans l'opposition !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Dans le domaine universitaire, il en est de même. Nous avions donné l'autonomie à l'université, elle lui a été reprise !
Quant au schéma régional des formations qui devait être établi dans chaque académie à l'issue d'une discussion associant les élus et qui devait permettre de suivre les étudiants du lycée à l'université, il a été supprimé !
Maintenant, je vais vous dire quel est mon programme. Mon programme, c'est d'abord de remettre tout cela en place, et c'est pourquoi je n'ai besoin ni de déclarations publiques, ni de grande loi, ni de tintamarre.
Vous pouvez demander aux universitaires, à tous les plus grands universitaires, de comparer nos politiques respectives : vous verrez qu'ils sont favorables à cette remise en place. C'est pourquoi je peux dire de certains propos que j'entends que non seulement ils ne sont pas objectifs, mais qu'ils ne sont même pas décents.
Parlons des personnels.
Cette année, 5 000 postes seront ouverts au concours pour les doctorants du fait des créations de postes et des départs à la retraite, et nous ne savions pas si nous pourrions les pourvoir faute d'un système de recrutement adapté. Il fallait réformer d'urgence notre système de recrutement !
Toutes les universités d'Europe, toutes les universités du monde, sauf en Italie, disposent de l'autonomie en matière de recrutement de leurs professeurs.
Dans ces pays, il n'y a ni comité consultatif national ni navettes. Il n'y a que nous qui ayons de telles procédures ! Il faudra bien un jour que l'on se rende à cette autonomie, et c'est le chemin sur lequel nous nous engageons.
Quant à l'équilibre entre les PRAG et les non-PRAG, il est rétabli cette année en faveur des non-PRAG, même si les professeurs agrégés de l'enseignement supérieur rendent des services importants. Simplement, ils n'avaient aucun statut. Nous leur en donnons un, en distinguant ceux qui font de la recherche et ceux qui n'en font pas, et en prenant en compte le nombre d'heures effectuées pour essayer d'organiser le système.
Il est impératif, dans l'enseignement supérieur français, non pas d'augmenter les horaires des enseignants, mais de les différencier.
Certains enseignants font de la recherche, et leurs horaires sont lourds, alors que d'autres ne font pas de recherche et, pour ceux-là, les horaires sont légers. Certains enseignants se dévouent pour la collectivité, et pour ceux-là les horaires sont lourds, alors que d'autres exercent un second métier, parfois d'ailleurs d'une manière illégale - je pense, par exemple, aux professeurs de droit qui plaident contre le Gouvernement, ce qui est interdit - et pour ceux-là les horaires sont légers.
Eh bien ! il faut attribuer aux différents personnels des horaires qui correspondent à leur activité.
Un intervenant a parlé de l'équilibre des disciplines. Mais tout le monde sait que les professeurs de droit ne veulent pas qu'on augmente le nombre de professeurs de droit, en particulier de droit public ! Lorsque j'étais au ministère de l'éducation nationale, j'ai proposé de doubler le nombre des postes à Paris II. Des professeurs sont alors venus m'expliquer que ce n'était pas possible, que je tuais le marché de l'expertise !
Tout le monde le sait, il ne faut pas demander la création de postes supplémentaires de professeur de droit ! En droit, 250 postes de maître de conférence ne sont pas pourvus !
Ne me parlez donc pas de l'égalité, mesdames, messieurs les sénateurs.
Nous rétablissons un mode de recrutement qui donne la responsabilité finale aux établissements.
J'ajoute, je le dis franchement, que je n'aurais pas proposé de listes d'aptitude si je n'y étais pas obligé. C'est en effet la loi qui prévoit la qualification nationale.
Un jour ou l'autre, il faudra bien modifier la loi pour harmoniser notre mode de recrutement avec celui qui est en vigueur dans les autres pays européens. De ce point de vue, nous sommes en effet en contradiction avec le traité de Maastricht.
Quand le temps viendra, je vous proposerai une modification de la loi, mais ce n'est pas le moment.
Nous avons remis de l'ordre dans la situation des personnels non enseignants à l'occasion d'une table ronde. Nous avons obtenu un accord quasi unanime qui nous a permis d'éviter les tensions excessives. Sachez, en effet, que, dans un même laboratoire, ceux qui s'appellent les ITA, des ingénieurs techniciens administratifs, parce qu'ils sont attachés au CNRS, et ceux qui s'appellent des ATOS, parce qu'ils sont attachés à l'université, n'ont pas le même statut, n'ont pas les mêmes primes, n'ont pas les mêmes horaires et n'ont pas les mêmes congés. Imaginez la tension !
Cette année, nous avons repris l'effort engagé en faveur des bibliothèques ; nous avons en particulier - cela intéressera M. Laffitte - instauré un système qui permettra de transmettre dans cinq bibliothèques de province - c'est un début - l'ensemble des données de la Bibliothèque de France. Il s'agit là d'une véritable décentralisation !
Le statut social social de l'étudiant ? J'en dirai quelques mots.
Le Président de la République, plus exactement le candidat à la présidence de la République, a parlé, pendant la campagne présidentielle, d'une allocation étudiante pour tous. Je vous donne le coût de sa proposition : 60 milliards de francs ! Mesdames, messieurs les sénateurs, si vous êtes prêts à voter une telle augmentation de mes crédits, le ministre de l'éducation nationale que je suis est prêt à s'en féliciter, mais le ministre de la République sera inquiet pour l'équilibre des finances publiques !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôles budgétaire et des comptes économiques de la nation. Il n'y a pas que le ministre qui sera inquiet !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Il faut donc arrêter de parler de l'allocation quand on en connaît le prix.
M. Bayrou, quant à lui, parlait de procéder à un certain nombre de transferts sociaux. Moi, je ne m'imagine pas augmenter les impôts, je vous le dis tout de suite, ni le demander au Gouvernement.
M. Jean-Pierre Camoin, rapporteur pour avis. Qu'est-ce que vous avez fait cette année ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je ne me vois pas proposer d'augmenter les impôts !
Nous proposerons par conséquent un plan social, qui donnera lieu à un débat au Parlement, pour que chacun se prononce.
Je ne vous proposerai pas un plan à la sauvette ; je vous demanderai de décider, parce que je ne veux pas décider moi-même sur ce sujet.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. C'est bien ce que nous demandons !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, me permettez-vous de vous interrompre ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Vous venez de dire à l'instant que vous ne souhaitiez pas - je vous comprends ! - solliciter une augmentation des impôts auprès des contribuables.
Comme j'aurais aimé que votre collègue le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie vous entende ! En effet, le projet de budget qui nous est présenté aujourd'hui nécessite une augmentation des prélèvements obligatoires de plus de 50 milliards de francs environ : 25 milliards de francs au titre des entreprises, 25 milliards de francs au titre des ménages. Je crois donc que, en termes d'augmentation d'impôt, vous n'avez pas été entendu.
Puisque j'ai la parole, je voudrais encore relever un de vos propos.
Monsieur le ministre, je vous ai entendu dire voilà un instant - je n'ai pas voulu vous interrompre par courtoisie - que seul François Mitterrand avait lancé un projet de loi sur la décentralisation. Je me souviens avoir participé activement, en 1969, à une grande manifestation en faveur d'un projet de décentralisation extrêmement important. J'ai regretté alors que François Mitterrand ne soutienne pas ce véritable grand projet de décentralisation.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Vous avez raison de dire que le général de Gaulle avait prévu d'engager la décentralisation, mais il ne l'a pas fait !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Non, il n'a pas été suivi, c'est différent !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. François Mitterrand l'a fait !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. J'en reviens au statut social de l'étudiant.
Pendant que M. Bayrou a amusé tout le monde avec ce statut, en 1996-1997, il a diminué de 2,7 % les crédits affectés aux bourses, ce qui a fait baisser leur nombre de 9 600. Cette année, nous augmentons de 1,9 % lesdits crédits, ce qui permet de créer 6 000 boursiers supplémentaires et 11 000 boursiers exceptionnels. Vous pouvez comparer !
Mesdames, messieurs les sénateurs, quand je dis : « Nous allons créer 40 000 emplois-jeunes », tout le monde rigole, mais nous le faisons ! Quand je dis « Nous reprenons les maîtres auxiliaires », tout le monde rigole, mais nous le faisons ! Quand je ne parle pas, c'est que je ne suis pas sûr de pouvoir mener à bien le projet.
Venons-en au plan « Université pour le troisième millénaire », l'U3M.
Je vous fais une proposition, mesdames, messieurs les sénateurs : le Sénat ayant plus particulièrement vocation à représenter les collectivités locales, je vous propose d'organiser, sous son égide, un débat pour dresser le bilan du plan « Université 2000 ».
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Très bien !
M. André Maman. Nous sommes preneurs !
M. Adrien Gouteyron, président de la commission des affaires culturelles. Banco !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je suis également prêt à discuter des orientations du plan U3M au Sénat.
M. Jean-Louis Carrère. Nous vous l'avons demandé.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Vous ne l'avez pas demandé, je vous le propose.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Si, nous vous l'avons demandé voilà quelques semaines.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. C'est vous qui l'avez demandé ? Admettons !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, m'autorisez-vous à vous interrompre ?
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Je vous en prie.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances, avec l'autorisation de M. le ministre.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Monsieur le ministre, permettez-moi de vous faire observer que, quand nous vous avons auditionné en commission des finances, nous vous avons posé différentes questions. Le débat a été extrêmement courtois, enrichissant même pour la plupart d'entre nous. Je vous ai alors demandé, au nom de tous les membres de la commission des finances sans exception, si vous seriez d'accord pour que, après la discussion budgétaire, en janvier ou en février, nous organisions un grand débat sur l'éducation nationale, en particulier sur le plan « Université 2000 ». Vous en avez été d'accord, et je vous ai remercié.
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. La proposition que je vous fais déborde le cadre que vous évoquez. Je souhaite, en effet, organiser au Sénat un débat sur le schéma Université 2000, mais un débat qui ne soit pas restreint, qui soit public, sous l'égide du Sénat, avec la participation des personnalités que nous souhaiterons inviter les uns et les autres.
Nous ferons le bilan du plan Université 2000 avant d'engager l'U3M.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Nous souscrivons totalement à cette proposition, d'autant que les collectivités territoriales y ont apporté une contribution importante.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Non, pas importante : essentielle !
Tout à l'heure, un intervenant a dit « ... notamment grâce aux collectivités locales. » Ce n'est pas « notamment », c'est « grâce » aux collecticités locales.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Oui !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Si vous voulez me faire reconnaître que, à partir du moment où Lionel Jospin n'a plus été ministre de l'éducation nationale, les engagements de l'Etat ont commencé à s'effriter, je le reconnais bien volontiers. (Sourires sur les travées socialistes.)
M. Jean-Louis Carrère. C'est vrai !
M. Claude Saunier. Cela avait commencé avant !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Pas sous Lionel Jospin, je peux vous le dire.
Maintenant, je souhaite répondre sur deux questions qui ont été soulevées concernant les crédits de paiement et les autorisations de programme.
Je vous expose très franchement le problème.
L'année dernière, M. Bayrou n'a pas dépensé, et de loin, tout son budget de construction.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Voilà !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Aussi, quand j'ai demandé des crédits, on m'a répondu : votre administration n'est pas fichue de dépenser des sommes pareilles ! Montrez-nous donc que vous êtes capables de les utiliser.
Pour ce faire, on a augmenté le volume de nos autorisations de programme, et j'ai obtenu l'engagement que, si des besoins se manifestaient, nos crédits de paiement seraient reconsidérés.
Toutefois, je dois vous dire très honnêtement que les procédures d'autorisations de construction sont telles que, avant d'avoir pu mettre la machine en route, je vais me trouver confronté à un certain nombre de problèmes.
Je vais maintenant parler de Jussieu. Je vous en ai d'ailleurs déjà parlé moult fois.
Nous attendons le permis de construire pour le premier bâtiment. L'organisme chargé de l'opération est en place ; la rénovation de Jussieu va donc avoir lieu.
Il y a le problème de l'amiante. J'aurai l'occasion, dans quelques semaines, d'en parler avec mon collègue Bernard Kouchner, qui le traite sous l'aspect de la santé publique.
Je vous ai dit mes préoccupations à ce sujet.
Je pense - et cela sans ambiguïté - que l'amiante à haute dose est toxique, même pendant une durée d'exposition relativement limitée. En revanche, personne n'a démontré la toxicité de l'amiante à faible dose.
Par ailleurs, les bâtiments de Jussieu qui ont été calfeutrés présentent des taux d'amiante inférieurs aux taux moyens relevés à Paris.
J'en conclus, pour ma part, qu'il faut surtout protéger contre l'amiante ce qui se trouve à l'intérieur des locaux et éviter aux personnels tout contact avec lui.
Quant au désamiantage, l'expérience du Berlaymont, à Bruxelles, est un tel désastre qu'on peut se demander s'il est opportun.
On sait par ailleurs qu'il n'y a aucun moyen de calfeutrer efficacement contre l'incendie sans amiante. Or, à Jussieu, il se produit deux incendies par an à cause des laboratoires de chimie. Je ne peux donc faire les choses à la légère ; ma responsabilité en la matière est lourde.
Une commission d'experts est en place ; nous verrons plus tard comment il faut traiter le problème.
En tout cas, personne ne sera en contact avec de l'amiante, et Jussieu sera rénové.
Après que nous aurons réglé tous ces problèmes - recréé les IUP, fait entrer des professeurs extérieurs, rénové la recherche universitaire, redonné l'autonomie aux universités, engagé la contractualisation, la responsabilisation, noué le lien avec l'économie... - ce qui demandera du temps, de la motivation et du dynamisme, nous nous lancerons dans une nouvelle étape.
Je n'ai pas l'intention de lancer une grande réforme, ou plutôt, monsieur Maman, si un jour nous décidons d'en faire une, c'est qu'elle aura déjà été faite.
J'ai vécu les réformes successives, monsieur le sénateur. Pendant que certains enseignaient à Princeton, moi j'étais ici, et j'ai vécu la réforme d'Edgar Faure qui fut votée à l'unanimité.
M. Lucien Neuwirth. Moins une voix...
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Celle de Fouchet.
M. Lucien Neuwirth. Non, celle de Sanguinetti.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. J'ai vu les lois se succéder sans qu'aucun changement notable intervienne.
Pour ma part, j'ai choisi de procéder à des changements effectifs et non pas à une réforme de nature législative qui prétendrait masquer les difficultés parce que la loi aurait été votée.
Les réformes pédagogiques qui ont eu lieu n'étaient que la continuation de ce que nous avions mis en oeuvre. Je veux bien reconnaître que, sur un certain nombre de points, M. Bayrou a favorisé la poursuite de certaines actions de façon efficace, encore que certains de ces prolongements soient plus que discutables.
Quant à moi, j'ai dit que je n'étais pas favorable à la filière technologique. Pourquoi ? Parce que je veux que toutes les filières comprennent un peu de formation professionnelle et que toutes les formations technologiques incorporent un peu de culture générale ; il n'y a pas de reconversion possible sans culture générale. Je ne veux pas de ghetto technologique ; je ne veux pas de ghetto professionnalisé.
Je veux, au contraire, rénover les IUP ; je veux continuer à dynamiser les IUT et je veux que les universités s'ouvrent.
Mais nous sommes confrontés à deux grands défis, sur lesquels nous travaillons le plus activement parce que c'est, dans ce domaine, que nous devons changer nos habitudes.
Le premier, c'est l'internationalisation de l'université.
Cela implique que l'innovation soit au coeur de l'enseignement, pour non pas apprendre à apprendre, mais apprendre à innover, apprendre à créer, apprendre à entreprendre. L'université doit être au coeur de la création d'entreprise. C'est là un des points fondamentaux de notre action. Bien sûr, de ce fait, les langues étrangères deviennent un élément essentiel de tous les enseignements et elles deviendront obligatoires dans tous les enseignements.
Le second défi est lancé par l'Europe.
Nous travaillons, en ce moment, sans faire beaucoup de bruit, avec mon collègue allemand - bien qu'en ce moment il connaisse quelques difficultés - avec mon collègue britannique et avec mon collègue italien, pour essayer d'harmoniser l'ensemble des cursus européens afin de permettre à tous les étudiants de voyager en Europe et, éventuellement, de rendre obligatoire une année à l'étranger.
Dès lors, se pose le problème de la cohabitation entre l'université et les grandes écoles.
Grand Dieu ! je ne veux pas uniformiser ! Je déteste l'uniformité ! Je pense que c'est la pire des choses. La diversité, c'est la richesse. Nous avons des grandes écoles et des universités : gardons-les !
Toutefois, nous sommes confrontés à un problème : le rythme annuel des grandes écoles est incompatible avec la réalisation de projets plus ou moins imités, il faut le dire, du modèle américain, à savoir quatre années pour le niveau undergraduate, quatre années pour le niveau graduate , avec, entre les deux, la possibilité d'un mastère.
J'en viens à l'enseignement dispensé dans ces écoles. Je ne veux pas défigurer les enseignements. Les jeunes travaillent beaucoup pour sortir dans la botte de telle ou telle grande école. Mais ce système s'oppose à celui de l'université où il n'y a pas de sélection à l'entrée mais où la sélection continue est terrible.
Dans les grandes écoles, la sélection est terrible à l'entrée, mais ensuite beaucoup ne font pas grand-chose : les notes sont quasi automatiques. En outre, ces enseignements sont extraordinairement scolaires. Ils ne favorisent pas l'innovation. Je dis souvent que, chez nous, les meilleurs étudiants accomplissent leur effort le plus important quand ils préparent les concours, c'est-à-dire lorsqu'ils apprennent ce que les autres ont fait, alors que les étudiants américains déploient leur plus grand effort quand ils en sont au PhD, aux masters, c'est-à-dire quand ils créent eux-mêmes.
C'est là que se situe le problème. Il n'est pas bon d'avoir des gens fatigués, il faut avoir des gens qui ont confiance en ce qu'ils font. C'est la raison pour laquelle j'ai confié une mission à M. Jacques Attali, ainsi qu'à une brochette de personnes tout à fait éminentes et d'origine variée. Je pense d'ailleurs, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'il serait bon que vous auditionniez M. Jacques Attali pour avoir un dialogue avec lui. Il ne m'a pas encore rendu son rapport. Il a donné une conférence de presse pour expliquer ce qu'il faisait, parce que des rumeurs couraient selon lesquelles on allait couper les gens en morceaux. (Sourires.) Il a voulu mettre un terme à ces rumeurs.
J'en viens à l'accueil des étudiants étrangers. Je veux faire en sorte que, dans toute grande école de ce pays, il y ait un tiers d'étudiants étrangers parce que, demain, le fait d'avoir formé des étudiants étrangers sera une des clefs de la compétitivité de la France.
Mon ambition ultime, c'est de voir l'offre de formation française devenir un des postes essentiels de notre commerce extérieur. C'est pourquoi nous allons créer une agence qui sera chargée de la coopération internationale en matière universitaire et qui, je l'espère, ira disputer les marchés d'éducation à l'Australie. Ce pays, je le rappelle, voit chaque année sa balance des paiements se gonfler ainsi d'environ 7 milliards de dollars.
Le premier de nos grands objectifs est donc d'ouvrir l'enseignement supérieur à l'international.
Le deuxième est de l'ouvrir sur la formation continue. L'un de vous l'a dit : il faut que tous les diplômes puissent être obtenus par la formation initiale ou par la formation continue, mais pas de la même manière.
A cet égard, le modèle qu'a été pendant longtemps le CNAM, le Conservatoire national des arts et métiers, est à la fois admirable et terrible : sur 25 000 inscrits, quelques dizaines de diplômes d'ingénieur seulement sont délivrés par le CNAM au terme du cursus. Mais on demande à ces personnes de travailler tout en suivant les mêmes études que les étudiants traditionnels.
Cette formation continue-là ne représente donc pas la bonne voie. Il faut mettre sur pied une formation continue adaptée, reconnaissant les talents professionnels.
Cette reconnaissance doit se concrétiser non seulement dans la délivrance des diplômes mais aussi dans un changement d'attitude à l'université même.
En effet, lorsqu'elle accueille des professionnels qui viennent se former, l'université reçoit en même temps les connaissances dont ces derniers sont porteurs. Autrement dit, l'enseignement ne doit plus être univoque mais doit, au contraire, reposer sur l'échange.
C'est là, probablement, qu'interviendront de la manière la plus décisive les nouvelles technologies. car ce qui fait l'extraordinaire force des nouvelles technologies, c'est qu'elles obligent à l'échange : l'échange avec la machine, donc avec celui qui l'a programmée, et l'échange avec tout un ensemble de personnes.
C'est la raison pour laquelle cette formation continue diplômante sera aussi une formation « distribuée ». Certains d'entre vous ont évoqué la question des villes moyennes. Je pense que, dans dix ou quinze ans, les centres de formation seront distribués sur tout le territoire. Les habitants des villes moyennes seront reliés électroniquement aux centres universitaires, où ils ne se rendront qu'une ou deux fois par semaine pour rencontrer les enseignants. Pour le reste, l'enseignement sera assuré à travers les nouveaux moyens de communication.
C'est cela que nous voulons mettre en place, avec des connexions à l'échelle européenne et à l'échelle de la planète.
Je n'éprouve aucun plaisir, croyez-le bien, à critiquer ce qui a été fait auparavant, d'autant que je considère M. Bayrou comme un homme tout à fait sympathique et honorable. (Ah ! sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur le banc des commissions.)
Néanmoins, je suis bien obligé de constater les faits ! Le réseau RENATER, que nous avons réalisé, était le premier réseau en Europe qui irriguait les universités. Eh bien, on a laissé ce réseau se dégrader. Comment se fait-il que, aujourd'hui, nous soyons obligés d'en augmenter la capacité parce qu'il est maintenant inférieur aux réseaux allemands et anglais ? Cela prouve bien qu'il n'y avait plus personne pour s'en occuper !
Formation continue, nouvelles technologies, internationalisation : c'est ainsi que l'on préparera l'université de demain.
L'université de demain, ce n'est plus d'un côté ceux qui savent et de l'autre ceux qui apprennent ; c'est un échange général dans lequel, bien sûr, il faudra encore travailler dur. Car je ne suis pas de ceux qui pensent que l'informatique permet de se reposer, d'apprendre automatiquement. Sans effort, il n'y a pas de progrès. C'est ce sens de l'effort que nous voulons restaurer.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le projet que nous avons pour l'université est ambitieux. Il tend effectivement à mobiliser l'ensemble des atouts de ce pays, sans supprimer les différences : grandes écoles et universités doivent travailler en synergie.
M. Laffitte, lorsqu'il était directeur de l'Ecole des mines de Paris, a été le premier à faire admettre - et c'était la révolution ! - que des gens puissent entrer - sur entretien, de surcroît - dans cette école en ayant fait une partie du parcours universitaire.
Cette formule s'est répandue plus ou moins vite et avec plus ou moins de succès. Mais c'est cette formule-là que nous entendons promouvoir, chaque système gardant néanmoins sa personnalité. Pourquoi, en effet, se priver de la synergie possible entre deux systèmes qui sont complémentaires ?
Je suis contre la sélection à l'entrée de l'université parce qu'il y a une sélection à l'entrée des grandes écoles et qu'il faut bien donner une deuxième chance.
M. André Maman. Ce ne serait pas la même sélection !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Ce qui est sûr, c'est qu'il faut lutter contre le gâchis universitaire. Or il me semble que, dans cette perspective, la formule des six mois d'orientation à l'entrée de l'université constitue un bon compromis. Si l'on perd six mois pour s'orienter, ce n'est pas un drame ! Ce qui est un drame, c'est la « boucherie » dans le premier cycle de certains cursus.
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Très juste !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Ça, c'est quelque chose qui est complètement anormal !
Le baccalauréat, qu'il faut délivrer, je le dis au passage, avec équité et rigueur, sans laxisme,...
M. Jean-Philippe Lachenaud, rapporteur spécial. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. ... permet d'entrer à l'université. Le nouvel étudiant dispose alors de six mois pour s'orienter.
Par une sorte de tradition, les étudiants anglais, après le lycée, avant d'entrer à l'université, prennent un an : un an pour « voir », pour « se promener ». C'est ainsi que le Premier ministre britannique, avant d'entrer à Oxford, a été barman au Sofitel de Paris et a appris à parler le français. Voilà pourquoi quand il est revenu à Paris pour la première fois, Tony Blair a demandé à aller au Sofitel. Tout le monde se demandait pourquoi ! Il voulait simplement retrouver l'endroit où il avait passé cette année parisienne !
Une période de six mois d'orientation me paraît donc être une bonne chose. Ce système a été institué par M. Bayrou et nous le défendrons, nous en poursuivrons la mise en place.
A l'heure actuelle, le lycée n'a pas toute la substance qu'il devrait avoir : pensez que 62 % des élèves sortant du lycée n'ont jamais fait un exposé oral ! C'est tout de même effrayant ! Aussi, avant que le lycée soit rénové, il faut que, durant ces six premiers mois d'université, les étudiants puissent davantage travailler au sein de ce que, dans d'autres lieux, on appelle des « petites classes ». Là, les agrégés sont beaucoup plus aptes à encadrer les étudiants, pour leur donner un certain nombre d'éléments fondamentaux, que des enseignants qui ont été trop exclusivement engagés dans la recherche.
Je crois donc que, dans les premiers cycles, il doit exister une synergie entre, d'une part, les professeurs-chercheurs qui font des cours et qui permettent d'ouvrir des perspectives, de s'orienter dans telle ou telle direction, de choisir sa voie et, d'autre part, des professeurs agrégés qui réparent les déficiences actuelles du lycée et permettent aux jeunes étudiants d'affronter cette terrible épreuve qu'est aujourd'hui l'entrée dans l'enseignement supérieur.
Je ne suis pas pessimiste pour l'enseignement supérieur français ; je pense que notre architecture universitaire est bonne.
Je le dis souvent, l'enseignement supérieur français a subi une croissance de 500 % en trente ans. Aucun autre service public n'a connu une telle croissance. Pour autant, les budgets n'ont pas suivi. Dès lors, le système ne pouvait qu'être sous tension. Néanmoins, paradoxalement, il s'est extraordinairement amélioré au cours de cette période : nul ne conteste que les cours qui sont dispensés dans les universités françaises sont aujourd'hui infiniment meilleurs que ce qu'ils étaient voilà trente ans.
Si nous avions conservé le système de mandarinat qui régnait à l'époque, quelqu'un comme Pierre-Gilles de Gennes - pour ne citer que lui - aurait attendu quinze ans avant de devenir professeur d'université !
L'expansion qu'a connue l'université a aussi coïncidé avec l'arrivée de toute une série de personnalités, dont une bonne partie avait été formée aux Etats-Unis, qui ont introduit les nouveaux savoirs. C'est notamment cela qui a permis à l'université de relever le formidable défi de la quantité tout en améliorant la qualité.
Aujourd'hui, les effectifs stagnent ; ils décroissent même légèrement. L'université peut donc relever non plus le défi de la qualité mais celui de l'excellence.
Voilà bien, mesdames, messieurs les sénateurs, les objectifs que je fixe à l'université française : le défi de l'excellence, celui de l'internationalisation et celui de la formation continue. (Applaudissements.)
M. le président. Monsieur le président de la commission des finances, je me permets de vous faire observer que, manifestement, l'organisation de nos travaux, telle qu'elle a été définie par votre commission, ne tient pas la route ! Ainsi, d'après vos prévisions, il reste au moins quatre heures de débats avant l'achèvement de cette séance.
Pensez-vous que nous pouvons terminer l'examen des crédits de l'enseignement supérieur avant la suspension ?
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Monsieur le président, pour que les interventions des uns et des autres soient encore bien présentes à l'esprit de nos collègues lorsqu'ils auront à se prononcer sur ce budget, les amendements qui s'y rapportent devraient, me semble-t-il, être examinés immédiatement.
Je pense que, dans trente à quarante minutes, nous pourrions en avoir terminé.
M. le président. Je vous mets en garde, mon cher collègue : il ne sera pas possible alors au Sénat de reprendre ses travaux avant vingt-trois heures !
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. Vraiment, monsieur le président, il ne serait pas rationnel de fractionner la discussion de ce budget.
Après les excellents exposés de nos collègues et la réponse de M. le ministre que nous venons d'entendre, nous pouvons délibérer rapidement et en connaissance de cause sur les amendements qui ont été déposés.
M. le président. Personne ne met en cause le grand intérêt et la qualité de cette discussion !
Nous allons donc procéder à l'examen et au vote des crédits figurant aux états B et C concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : II - Enseignement supérieur.

ETAT B

M. le président. « Titre III : 1 094 287 414 francs. »