M. le président. Le Sénat va examiner les dispositions du projet de loi de finances concernant l'éducation nationale, la recherche et la technologie : I. - Enseignement scolaire.
La parole est à M. le rapporteur spécial.
M. Joseph Ostermann, en remplacement de M. Jacques-Richard Delong, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Le projet de budget de l'enseignement scolaire pour 1998 aujourd'hui soumis à notre examen correspond, avec ses 286 milliards de francs de crédit, à l'énorme estomac de l'animal préhistorique que vous souhaitez dégraisser, monsieur le ministre. (Sourires.)
Il enregistre une hausse de 3,15 % en francs courants par rapport au budget pour 1997. Cela correspond à une augmentation des crédits de 8,7 milliards de francs. Il s'agit d'une hausse en francs constants de 1,77 %, qui tranche avec l'effort global de l'Etat pour contenir la croissance des crédits dans la limite de l'inflation anticipée, soit 1,36 %.
Cette augmentation tranche également avec vos déclarations, par lesquelles vous avez su attirer l'attention et susciter l'intérêt des parents, des enseignants et des élus. Car force est de constater que la machine Education nationale est restée figée sur un modèle dépassé, dans un monde pourtant changeant et dans un environnement en perpétuelle évolution, ce qui affecte les enseignants, les familles et leurs enfants.
Cette augmentation tranche enfin avec l'orientation adoptée par le précédent gouvernement, qui a mis un terme, dans le budget pour 1997, à plusieurs années de forte croissance des crédits en limitant l'augmentation à 1,5 % seulement, soit 277,2 milliards de francs contre 273 milliards de francs en 1996.
Ce ralentissement illustrait l'attention portée à la démographie dans l'enseignement scolaire et aux nécessaires adaptations qui en découlent en matière d'effectifs enseignants.
En effet, la diminution des effectifs scolarisés dans l'enseignement et dans les collèges à la rentrée 1997 a permis, non seulement de faire face, à moyens décroissants, aux besoins en enseignants dans les lycées et dans les classes post-baccalauréat, mais aussi d'améliorer les conditions d'encadrement des établissements situés en zone d'éducation prioritaire.
Or les prévisions relatives aux effectifs scolarisés dans l'enseignement primaire et dans l'enseignement secondaire pour les années à venir n'ont pas varié. Ainsi, après avoir décru de 73 500 élèves à la rentrée 1997, les effectifs scolarisés devraient de nouveau se contracter de 55 400 élèves à la rentrée 1998. On escompte, par ailleurs, dans les dix prochaines années, une diminution des effectifs de 225 000 élèves dans les écoles et de 330 000 élèves dans le second degré.
Le Gouvernement ne semble pas avoir pris conscience de cette évolution.
En effet, infléchissant la politique de contraction des recrutements engagée en 1996, il prévoit, dans le projet de loi de finances pour 1998, non seulement le maintien du nombre de recrutements au niveau de celui de 1997, mais aussi la création de 1 320 emplois de personnels non enseignants, alors que la mobilisation des « brigades de remplacement », dont je rappelle qu'elles s'élèvent à près de 51 000 enseignants, devrait permettre de déployer les emplois là où le besoin s'en fait le plus sentir. On peut donc se demander si le même résultat ne serait pas atteint par le redéploiement des effectifs existants.
Il s'avère, et je me plais à le rappeler, que la progression des crédits est due en grande partie à la progression mécanique des rémunérations des fonctionnaires en exercice et des fonctionnaires retraités. En revanche, on enregistre un manque de perspectives, de prospectives et de statistiques dans ce domaine. Une telle progression mécanique explique la faiblesse des marges de manoeuvre dont dispose le Gouvernement pour contenir ce budget.
En effet, sur 8,7 milliards de francs de hausse de crédits, 4,5 milliards de francs résultent de l'augmentation des dépenses consacrées aux personnels en activité et 3,4 milliards de francs sont la conséquence de l'accroissement des charges de pension des fonctionnaires retraités de l'éducation nationale. Le reste, soit 1 milliard de francs, provient de l'accroissement des crédits consacrés aux établissements d'enseignement privé sous contrat.
Ainsi, 96 % de ses crédits étant affectés aux dépenses de personnel, le budget de l'enseignement scolaire est l'un des plus rigides de l'Etat. Seuls 711 millions de francs, soit 0,25 % du budget, sont consacrés aux dépenses en capital. C'est regrettable !
Le solde des crédits, soit environ 12 milliards de francs, est consacré au fonctionnement des services - 1,9 milliard de francs - aux subventions de fonctionnement - 4 milliards de francs - aux bourses et aux secours d'études - 3,22 milliards de francs - et à des dépenses diverses, dont les dépenses de formation des personnels, au titre desquelles sont inscrits 1,8 milliard de francs.
Dans ces conditions, il convient de s'interroger sur le nombre de fonctionnaires à maintenir dans le système éducatif. En effet, au-delà des économies qu'il est possible de réaliser en redéployant les effectifs et en déconcentrant les actions, seule une réduction constante des effectifs des personnels enseignants et non-enseignants de l'éducation nationale sur le moyen et le long terme permettra de contenir la progression des crédits du budget de l'enseignement scolaire dans une proportion raisonnable au regard, certes, de nos engagements européens mais, surtout, de la compétitivité économique de la France.
Il importe évidemment, pour ne pas dégrader l'encadrement des élèves, que cette réduction suive la courbe des effectifs scolarisés.
Le Gouvernement a, par ailleurs, rouvert 1 262 classes, dont 394 classes maternelles et 868 classes élémentaires qui devaient être fermées du fait de leurs faibles effectifs. Cette initiative procède de l'équité, et votre rapporteur ne peut que l'approuver.
En effet, il pouvait apparaître injuste que des communes ayant fait l'effort de regrouper les écoles voient disparaître une de leurs classes, alors que celles qui possèdent une école à classe unique bénéficient du moratoire des fermetures d'école à classe unique instituée en 1993.
Néanmoins, outre les dépenses budgétaires qu'il induit, cet effort semble peu compatible avec l'évolution démographique en milieu rural, dont il est difficile de faire totalement abstraction. Il pose, par ailleurs, un autre problème, celui de l'exposition à l'échec scolaire des élèves issus d'établissements à faibles effectifs et, surtout, à classe unique.
A cet égard, le précédent rapporteur spécial des crédits de l'enseignement scolaire, notre ami et collègue Jacques-Richard Delong, dont nous regrettons l'absence et auquel nous souhaitons un prompt rétablissement, a mené une mission de contrôle de ces crédits de mai à juin 1997. Il m'a fait part de ses interrogations quant à la manière dont le ministère de l'éducation nationale compte remédier au problème de ces collèges à faibles effectifs.
Ainsi, à la rentrée 1996-1997, 207 collèges comptaient moins de 100 élèves, dont 59 collèges publics et 148 collèges privés.
Enfin, la création de 40 000 emplois-jeunes en 1997 et de 35 000 en 1998 risque de contribuer à l'alourdissement, à long terme, du budget de l'enseignement scolaire. La commission des finances souhaiterait que M. le ministre de l'éducation nationale lui confirme que ces emplois ne sont pas destinés à durer plus de cinq ans.
Si la commission des finances est amenée à exprimer des doutes à cet égard, c'est que le précédent des maîtres auxiliaires l'a un peu échaudée. Car, de même que les maîtres auxiliaires qui ont été employés depuis un certain nombre d'années sont, dans une certaine mesure, fondés à réclamer leur titularisation, la demande prévisible d'intégration aux différents corps de fonctionnaires de l'éducation nationale de jeunes gens qui auront été employés par le ministère pendant cinq ans n'aura-t-elle pas acquis une certaine légitimité à l'issue de ces contrats ? Or, il est à mon sens important de ne pas laisser ces jeunes espérer en vain.
Au demeurant, le financement de ces emplois n'a pas été prévu dans le présent projet de budget.
Pour l'avenir, il est envisagé de les financer sur la rémunération des heures supplémentaires. Mais, d'après les informations recueillies par la commission des finances, les économies réalisées grâce à cette rémunération plus rigoureuse des heures supplémentaires ne permettraient de financer que la moitié du coût anticipé des 75 000 emplois-jeunes en 1999, qui avoisinerait 1,7 milliard de francs.
Au total, la maîtrise des dépenses d'éducation paraît d'autant plus nécessaire que les crédits du budget de l'Etat consacrés à l'éducation nationale ont augmenté de plus de 100 milliards de francs en dix ans. Aucun autre département ministériel n'a connu une telle évolution.
Or, les études comparatives internationales indiquent que les pays les mieux classés pour les performances scolaires de leurs élèves ne sont pas ceux qui dépensent le plus. Ainsi, les pays asiatiques, qui affichent de bonnes performances, consacrent en moyenne 3,3 % de leur produit intérieur brut à l'éducation, soit deux fois moins que la France.
En conséquence, souhaitant récuser l'argument selon lequel la priorité accordée à l'éducation nationale doit nécessairement se traduire par une augmentation des postes et, par une politique du tiroir-caisse, la commission des finances vous proposera deux amendements de réduction des crédits portant sur les titres III et IV, pour un montant total de 2,16 milliards de francs. D'ailleurs, je dois signaler que, à notre connaissance, 1,4 milliard de francs de crédits a déjà été gelé ou annulé cette année. Il convient, au travers de l'action de l'éducation nationale, de rechercher plus d'efficacité et de réalisme en vue d'une meilleure adaptation. Efficacité est également synonyme de rentabilité.
Enfin, pour ne pas terminer la présentation de mon rapport sur une note exclusivement négative, je tiens à rendre hommage au Gouvernement pour quelques décisions qu'il a récemment prises.
La première réside dans le retour au versement direct des bourses de collège, qui devrait permettre une augmentation de la fréquentation des cantines scolaires et une meilleure alimentation des élèves.
A cet égard, la création d'un fonds social pour les cantines, doté pour 1998 de 250 millions de francs, constitue une initiative heureuse.
La deuxième décision est la réforme administrative engagée au ministère de l'éducation nationale en vue d'un allégement des structures centrales, d'une déconcentration des décisions et d'un recours croissant aux nouvelles technologies.
A cet égard, soyez assuré, monsieur le ministre, que la commission des finances sera attentive à la mise en application de deux de vos engagements.
Le premier concerne la réforme du mouvement des enseignants.
En effet, la déconcentration du mouvement des enseignants représente une réelle nécessité. Bien souvent, les jeunes enseignants s'engagent avec enthousiasme et conviction dans une profession, sans doute difficile, mais aussi et surtout passionnante. Or, leur affectation, qui ne répond bien souvent à aucune logique, refroidit quelque peu leur enthousiasme et engendre un sentiment de plus en plus répandu de résignation et d'amertume. La déconcentration des mouvements d'enseignants permettrait donc de rapprocher ces derniers de la décision d'affectation...
M. Pierre Laffitte. Très bien !
M. Joseph Ostermann, rapporteur spécial. ... et rendrait certainement un peu d'humanité au système. Les élus locaux que nous sommes sont prêts - soyez-en assuré - à soutenir votre action dans ce sens, monsieur le ministre.
Le second engagement à propos duquel la commission des finances sera vigilante a trait au plan d'introduction massive des nouvelles technologies à l'école. Le projet de loi de finances qui nous est soumis aujourd'hui prévoit l'affectation à cette fin de 104 millions de francs de moyens nouveaux.
Enfin, la dernière mesure dont il convient de se féliciter concerne l'attention soutenue portée aux ZEP, les zones d'éducation prioritaires, auxquelles 17,5 milliards de francs de crédits nouveaux seront consacrés. Il est en effet nécessaire de soutenir les personnels des établissements situés dans ces zones, qui accomplissent un travail remarquable dans des conditions souvent difficiles.
Je souhaiterais toutefois apporter une clarification et lancer une mise en garde.
Il me semble en effet important de rappeler que, contrairement à ce que sous-entend ici et là le Gouvernement, la politique des zones d'éducation prioritaires n'a nullement été abandonnée. J'en veux pour preuve le fait que votre prédécesseur, monsieur le ministre, a notamment ramené l'effectif maximal des élèves scolarisés en maternelle dans ces zones à vingt-cinq par classe et a continué à leur consacrer des moyens substantiels en personnels et en crédits pédagogiques. Les ZEP bénéficiaient, par exemple, de l'apport de 4 700 appelés du contingent.
Par ailleurs, je souhaite mettre le Gouvernement en garde contre une redéfinition trop hâtive de la carte des zones d'éducation prioritaires. En effet, s'il convient de réévaluer périodiquement la liste des établissements figurant en zones d'éducation prioritaires, il importe également de ne pas priver les équipes enseignantes d'encouragements financiers et de crédits pédagogiques supplémentaires au motif qu'elles auraient atteint leur objectif. La plus grande prudence et la plus large concertation s'imposent. Il me semble également important de fixer des objectifs clairs aux équipes éducatives de ces établissements et d'évaluer régulièrement les résultats obtenus.
Plus généralement, il convient de rendre hommage au travail des enseignants et de les encourager en améliorant le système de notation pour que ce dernier, d'une part, tienne plus compte du dévouement de la majorité d'entre eux et, d'autre part, permette de sanctionner plus durement l'absentéisme de certains, que vous dénoncez d'ailleurs régulièrement et sans ménagement, monsieur le ministre.
En conclusion, la commission des finances a décidé de recommander l'adoption de ce projet de budget sous réserve du vote des amendements qu'elle vous proposera ; elle invite M. le ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie et Mme le ministre délégué chargé de l'enseignement scolaire à mettre en oeuvre le plus rapidement possible les réformes annoncées. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Bernadaux, rapporteur pour avis.
M. Jean Bernadaux, rapporteur pour avis de la commission de affaires culturelles, pour l'enseignement scolaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le ministre, mes chers collègues, avec près de 286 milliards de francs et une augmentation de 3,15 % par rapport à 1997, le projet de budget de l'enseignement scolaire bénéficie certes d'un traitement privilégié dans le projet de loi de finances pour 1998.
Il s'inscrit dans un mouvement continu de baisse des effectifs scolarisés, qui avait justifié certains redéploiements dans le passé ; mais ce projet de budget ne permettra de financer qu'une partie des nombreuses mesures de réforme annoncées par le Gouvernement dans le domaine de l'enseignement scolaire.
M. Jean-Louis Carrère. C'est toujours mieux qu'avant !
M. Jean Bernadaux, rapporteur pour avis. En effet, si certaines mesures d'urgence sont d'ores et déjà applicables depuis la rentrée 1997, notamment la réouverture des classes élémentaires, le réemploi de 28 000 maîtres auxiliaires et la gratuité des cantines pour les élèves défavorisées, d'autres, tels la déconcentration de l'administration centrale, le renforcement du système de santé scolaire, le développement des nouvelles technologies à l'école et le recrutement d'emplois-jeunes dans les écoles et les collèges, le seront en cours d'année ou à la rentrée 1998.
Une dernière série de mesures devraient être mises en oeuvre à plus long terme : il s'agit en particulier de la réorientation des programmes scolaires, de l'extension de la scolarisation des enfants de deux ans, de la généralisation du plan de prévention de la violence et de la réforme des zones d'éducation prioritaires, d'une nouvelle orientation dans l'organisation des rythmes scolaires, de l'aménagement du système de mutation et de remplacement des enseignants et, enfin, de la réforme annoncée des lycées.
Quels sont les axes prioritaires de ce projet de budget ? A cet égard, nous relevons le maintien des emplois enseignants dans le primaire et le secondaire, la création de 1 320 emplois non enseignants, le renforcement des crédits d'actions pédagogiques pour les zones d'éducation prioritaires, la création d'un fonds social pour les cantines doté de 250 millions de francs, l'introduction des nouvelles technologies, avec des crédits en augmentation de 104 millions de francs, la revalorisation de la situation des personnels, avec 596 millions de francs en mesures nouvelles.
S'agissant de l'encadrement des élèves, les chiffres de la dernière rentrée permettent de constater la poursuite de la baisse des effectifs scolarisés, avec une diminution de 69 000 élèves dans le primaire et de 38 000 élèves au collège.
L'encadrement des élèves sera renforcé par deux séries de mesures nouvelles : d'abord, le réemploi de 28 000 maîtres auxiliaires en poste en 1995 et en 1996, qui a été financé, à la rentrée 1997, par l'utilisation de 90 000 heures supplémentaires.
Des inquiétudes subsistent cependant quant à la consolidation de ces postes à la rentrée 1998 et quant aux conséquences de ce réemploi massif, qui ne correspond pas nécessairement aux besoins par discipline : deux mois après la rentrée scolaire, plus d'un millier de postes n'étaient pas pourvus, ce qui a conduit les recteurs soit à recruter de nouveaux maîtres auxiliaires, soit à recourir à des personnels encore plus précaires.
M. Jean-Louis Carrère. Ce sont vos amis qui le demandaient !
M. Jean Bernadaux, rapporteur pour avis. La création de 40 000 emplois-jeunes dans l'éducation nationale constitue la seconde mesure nouvelle en matière d'encadrement : d'ici au début de l'année 1998, 30 000 aides éducateurs devraient être affectés dans les écoles et 10 000 devraient l'être dans les collèges. Au total, 150 000 aides éducateurs, soit près de la moitié du total des emplois-jeunes, devraient être recrutés en trois ans, notamment dans le cadre du plan de prévention de la violence.
La commission des affaires culturelles s'interroge d'abord sur les perspectives d'intégration de ces aides éducateurs dans l'éducation nationale à l'expiration de leur contrat de cinq ans et s'inquiète des conséquences qui pourraient en résulter pour l'organisation des concours de recrutement.
D'après les indications qui ont été fournies à la commission des affaires culturelles, ces emplois devaient être financés, pour la rentrée 1997, à 100 % par des crédits du ministère de l'emploi ; ils devraient l'être par le ministère de l'éducation nationale à la rentrée de 1998, à hauteur de 20 % du SMIC, à partir d'économies réalisées sur la rémunération des heures supplémentaires, étant rappelé que 35 000 nouveaux emplois-jeunes devraient être recrutés pour la rentrée 1998.
Selon les informations qui m'ont été communiquées, les économies attendues seraient de 944 millions de francs en année pleine, alors que le coût pour l'éducation nationale des 75 000 emplois-jeunes serait de 1,12 milliard de francs en 1998 et de 1,72 milliard de francs en 1999, et que 150 000 aides éducateurs, au total, devraient être recrutés en trois ans.
Il est donc bien clair, monsieur le ministre, que les économies que vous envisagez sur la rémunération des heures supplémentaires ne suffiront pas, loin de là, à financer les emplois-jeunes de l'éducation nationale.
Sur un plan plus général, quelle sont les appréciations portées par la commission des affaires culturelles sur les principales orientations de ce projet de budget ?
S'il faut saluer les quelque 1 260 ouvertures ou réouvertures de classes maternelles ou élémentaires, il convient aussi de remarquer que d'autres solutions peuvent être préférées, notamment par les parents, au maintien systématique des classes uniques en milieu rural.
S'agissant de la réforme des zones d'éducation prioritaires, il est vrai que le dispositif avait vieilli et devait être réactualisé ; la formation en IUFM, les instituts universitaires de formation des maîtres, devra tenir compte des difficultés qu'auront à affronter les jeunes enseignants.
Quant au plan de prévention de la violence, il mobilisera, sur neuf sites expérimentaux, quelque 3 000 aides éducateurs, 8 250 adjoints de sécurité et 4 700 appelés du contigent. Il devrait permettre de personnaliser le recrutement des enseignants dans les établissements sensibles et d'engager une coopération avec la justice, la police et la gendarmerie par le biais de contrats locaux de sécurité.
La commission des affaires culturelles tient toutefois à signaler que la violence ne concerne pas que les zones d'éducation prioritaires ; un rapport de l'inspection générale estime en effet que la moitié des lycées et collèges seraient atteints par ce phénomène.
S'agissant des élèves défavorisés, il convient certes de saluer la création du fonds social pour les cantines ; mais nous souhaiterions que la définition des élèves bénéficiaires soit précisée.
La commission des affaires culturelles estime par ailleurs que l'augmentation du nombre des vacations de médecins libéraux prévue pour 1998 ne permettra pas de remédier au sous-encadrement médical des élèves, notamment dans les zones difficiles : à cet égard, l'augmentation du nombre de recrutements de médecins scolaires est indispensable.
Nous souhaiterions en outre, monsieur le ministe, obtenir des précisions supplémentaires sur les modalités de la réforme des programmes scolaires, qu'il s'agisse de l'apprentissage de la lecture, de l'enseignement de la morale civique, des sciences et aussi d'une éventuelle polyvalence disciplinaire des enseignants en classe de sixième.
J'évoquerai également le développement quasi clandestin des classes de niveau dans 80 % des collèges, qui a fait l'objet d'une étude récente et qui constitue une réponse aux difficultés rencontrées par les établissements : le développement de ces pratiques, monsieur le ministre, n'appelle-t-il pas une nouvelle réforme et n'annonce-t-il pas la fin du collège unique ?
La commission des affaires culturelles estime en outre que l'organisation des mutations dans l'enseignement secondaire et que le système de remplacement des enseignants doivent être revus afin de mettre fin aux dysfonctionnements et aux conséquences absurdes constatés aujourd'hui.
J'en terminerai en évoquant les nouvelles orientations annoncées pour l'organisation des rythmes scolaires et en exprimant ma satisfaction de constater que l'éducation nationale retrouve la maîtrise de l'aménagement du temps éducatif, en utilisant notamment les nouveaux aides éducateurs : ma seule inquiétude est que au terme des contrats de cinq ans, les collectivités locales risquent d'être conduites à prendre le relais de l'Etat pour prolonger les expériences engagées.
En conclusion, la commission des affaires culturelles considère que trop de réformes annoncées avec éclat par le Gouvernement ne se trouvent pas traduites dans ce projet de budget et que certaines mesures témoignent, sinon d'un double langage, du moins d'une certaine incohérence. Vous avez en effet indiqué que vous étiez dans l'obligation, pour des raisons sociales, de réemployer les 28 000 maîtres auxiliaires en fonction en 1995 et en 1996 et, dans le même temps, vous affirmez que vous ne serez pas tenu de conserver les aides éducateurs, créés dans l'éducation nationale au titre des emplois-jeunes, à l'expiration de leur contrat !
La commission constate également que certaines de ses interrogations restent sans réponse.
Nous ne savons pas clairement comment seront financés, dans les cinq années qui viennent, les emplois-jeunes dans l'éducation nationale ; nous constatons que le réemploi de 28 000 maîtres auxiliaires s'est accompagné de graves dysfonctionnements, qu'il n'a pas permis de pourvoir les postes vacants dans certaines disciplines et qu'aucune véritable politique de recrutement n'a été engagée ; en outre, le sous-encadrement médical des élèves reste préoccupant et l'avenir du collège est incertain.
La commission considère que, dans un contexte de décroissance des effectifs scolarisés et d'une nécessaire maîtrise de nos déficits, l'augmentation des moyens affectés à l'enseignement scolaire n'est pas un objectif en soi : elle estime qu'un bon budget n'est pas nécessairement un budget en augmentation, mais plutôt un budget bien géré.
M. Jean-Louis Carrère. Ah !
M. Jean Bernadaux, rapporteur pour avis. Compte tenu du flou qui entoure par exemple le recrutement annoncé de 150 000 emplois-jeunes en trois ans pour satisfaire des besoins encore mal identifiés, il serait excessif de considérer que l'enseignement scolaire répond à cette exigence de bonne gestion.
La commission rappellera enfin que la revalorisation de la fonction enseignante, ô combien coûteuse, qui a été engagée au début des années quatre-vingt-dix, ne s'est pas substantiellement traduite par une amélioration du fonctionnement de notre système éducatif.
M. Jean-Louis Carrère. Peut-on le faire avec un minimum de crédits ?
M. Jean Bernadaux, rapporteur pour avis. Il nous appartient donc de nous interroger désormais sur l'adaptation des enseignants à leur mission et sur la finalité de leurs fonctions, c'est-à-dire de faire porter nos efforts au moins autant sur le qualitatif que sur le quantitatif.
Pour toutes ces raisons, la commission donne un avis défavorable à l'adoption des crédits de l'enseignement scolaire pour 1998. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendant, ainsi que sur certaines travées du RDSE.).
M. René-Pierre Signé. Il n'y a pas de quoi applaudir !
M. le président. La parole est à M. Carrère, rapporteur pour avis.
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles, pour l'enseignement technique. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, je me sens un peu dans la situation de l'étourdi qui aurait interverti ses chaussures le matin au réveil. (Sourires.)
Assurer la tâche de rapporteur pour avis alors qu'on est minoritaire au sein d'une commission est toujours un exercice délicat.
Cela dit, je vais essayer de tenir debout malgré ce mauvais chaussage.
M. René-Pierre Signé. Vous y arriverez !
M. James Bordas. Vous aurez des béquilles !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis pour l'enseignement technique. Je vous remercie, monsieur Bordas, je sais que vous m'aiderez !
M. le président. Laissez parler M. le rapporteur pour avis. La situation est déjà suffisamment embrouillée comme cela, inutile d'en rajouter ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis. Croyez-vous, monsieur le président ?... Non !
En dépit de quelques indications intéressantes fournies par les deux ministres chargés de l'éducation, il serait excessif de considérer l'enseignement technologique et professionnel comme la priorité du Gouvernement dans le domaine de l'éducation nationale.
Les nombreuses réformes annoncées depuis le début du mois de juin concernent en effet, pour l'essentiel, l'enseignement scolaire, l'enseignement supérieur et la recherche.
Vous avez cependant évoqué, au cours des derniers mois, un rapprochement à venir entre l'enseignement général et professionnel, une ouverture des grandes écoles et des IUT aux diplômes de la filière technologique, une étude prochaine sur l'efficacité de la formation en apprentissage - j'ai cru comprendre, monsieur le ministre, que cette formule pour vous n'était pas la panacée - l'abandon de la réforme envisagée de la filière technologique supérieure, etc.
Si ces quelques pistes sont susceptibles de constituer les prémices d'un programme ambitieux de rénovation de l'enseignement technologique et professionnel, force est de reconnaître que les crédits qui lui seront affectés en 1998 ne traduisent pas encore suffisamment cette ambition.
La commission le regrette d'autant plus qu'un certain rééquilibrage des effectifs est intervenu entre les formations générales ou technologiques et les formations professionnelles, comme en témoignent notamment les résultats du baccalauréat, évolution dont il convient de se féliciter.
Avec 36,3 milliards de francs, les crédits de l'enseignement technologique et professionnel progresseront somme toute de 3,1 % en 1998, soit une augmentation du même ordre que celle des crédits de l'enseignement scolaire. Je rappelle que leur augmentation n'avait été que de 1,21 % en 1997. Et pourtant, certains trouvaient le budget excellent. Nous verrons comment ils jugeront une augmentation de 3,1 %. Peut-être la nouvelle mathématique prévoit-elle que 3,1 est inférieur à 1,21... Nous jugerons postérieurement.
M. Jean Chérioux. Est-ce la le point de vue de la commission ?
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis. Non, cela je l'ajoute. Maintenant, si cela vous dérange et si vous voulez faire le rapport à ma place, je vous laisse la parole, monsieur Chérioux !
M. Jean Chérioux. Je posais une question !
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis. Toutefois, la part des crédits de l'enseignement technologique et professionnel dans le budget de l'enseignement scolaire régresse à nouveau légèrement.
Nous pouvons ainsi constater l'absence de mesures nouvelles en matière d'emplois enseignants, alors que 231 emplois non enseignants seront créés. Les crédits prévus pour 1998 permettront, en outre, de transformer 5 000 emplois de professeurs de lycée professionnel de premier grade, les PLP 1, en autant d'emplois de PLP 2. Subsiste cependant, madame la ministre, monsieur le ministre, un stock de 7 000 emplois de PLP 1. Cette non-extension du premier grade, si je puis m'exprimer ainsi, constitue un obstacle à la revalorisation des retraites des professeurs de lycée professionnel pourtant vivement souhaitée par les intéressés.
S'agissant des effectifs scolarisés, on peut noter que 19 000 élèves supplémentaires devraient être accueillis dans les lycées professionnels entre les rentrées 1996 et 1998, soit une progression significative qui traduit le rééquilibre entre les filières, déjà évoqué. Il faut remarquer aussi que ce moindre passage des élèves vers les formations générales et technologiques bénéficie moins aux formations professionnelles sous statut scolaire qu'à l'apprentissage ou aux formations agricoles et s'accompagne de sorties plus nombreuses du système éducatif.
A cet égard, il convient de se féliciter que les sorties sans diplôme se soient réduites de plus de moitié en quinze ans, ce qui démontre l'efficacité de notre système éducatif.
Le fort taux de réussite au baccalauréat professionnel constitue une autre source de satisfaction. Il concerne désormais près de 10 % d'une génération, même s'il faut déplorer le fait - ou tout au moins y réfléchir - que près de 90 % de ces bacheliers se dirigent ultérieurement vers les premiers cycles universitaires généraux où ils sont, en grand nombre, condamnés à l'échec.
Quant aux classes de quatrième et de troisième technologique, elles accueillent encore des effectifs importants - 156 000 élèves à la rentrée 1996 - tandis que le transfert de ces classes des lycées professionnels vers les collèges se poursuit.
La commission constate ensuite que les orientations du Gouvernement en matière d'enseignement technologique et professionnel s'inscrivent dans la continuité, qu'il s'agisse de la revalorisation de la voie technologique, de la rénovation des diplômes professionnels, de la mission d'insertion professionnelle de l'éducation nationale, de l'adaptation du dispositif de validation, ou de la diversification des voies de formation : les seuls aménagements envisagés concerneraient la rénovation du CAP et du BEP, et les modalités de préparation aux diplômes professionnels.
On peut également observer qu'aucune mesure n'est prévue au titre du nouveau contrat pour l'école dans le projet de budget pour 1998 - ou alors cela m'a échappé ! - ce qui semble traduire l'abandon, deux ans avant son terme, de la loi de programmation financière qui l'accompagnait plus ou moins. Je ne le regretterai pas, madame la ministre, monsieur le ministre, car cette loi prévoyait plus de redéploiements de postes que de créations d'emplois, ce que j'avais déjà eu l'occasion de souligner au nom de la commission des affaires culturelles du Sénat.
S'agissant de l'apprentissage, la commission a noté le développement encore embryonnaire de cette formule dans les lycées professionnels : 492 apprentis auraient été formés en 1996-1997 dans les sections et les unités de formation par apprentissage, et une centaine de professeurs de lycées professionnels auraient été affectés, sans doute avec une certaine réticence, à leur fonctionnement.
La commission aimerait connaître les intentions de M. le ministre quant à une extention éventuelle de l'apprentissage dans les établissements scolaires, qui constituait l'un des axes du nouveau contrat pour l'école.
La commission souhaiterait également souligner la nécessité d'encourager l'orientation des élèves vers les formations technologiques et professionnelles. Comme vous le savez, cette orientation se réalise aujourd'hui trop souvent par défaut. La rénovation pédagogique des lycées engagée depuis 1992 a déjà permis de revaloriser certaines séries du baccalauréat. En outre, l'éducation à l'orientation a été étendue à tous les collèges à la rentrée de 1996. Près de 70 % des établissements ont élaboré un programme d'éducation à l'orientation, et nous pouvons nous féliciter, monsieur le ministre, de votre intention d'associer à l'avenir les parents d'élèves à cette démarche et de proposer aux enseignants une formation à l'orientation, d'autant plus que ces propositions rejoignent celles qui sont formulées par la mission d'information de la commission sur les premiers cycles universitaires.
Nous constatons aussi avec satisfaction que votre souhait d'orienter davantage les bacheliers technologiques vers les grandes écoles rejoint les préoccupations unanimes de la commission.
Il convient également d'évoquer et de s'inquiéter d'une certaine dégradation de la situation des diplômés professionnels sur le marché de l'emploi. Les titulaires de CAP et de BEP sont désormais moins nombreux à entrer sur le marché du travail que les diplômés de l'enseignement supérieur, qui réprésentent aujourd'hui 40 % des sortants en formation initiale.
Une certaine dégradation de l'insertion professionnelle peut être constatée pour les titulaires de CAP et de BEP industriels, et pour les apprentis. Cette évolution résulte d'un nouvel équilibre entre l'emploi tertiaire et industriel, ce qui impose un pilotage attentif de ces formations en fonction des besoins de notre économie.
La commission tient enfin à formuler quelques observations qui sont autant d'interrogations.
Elle s'inquiète d'abord des conséquences de la réorganisation de l'administration centrale de votre ministère en exprimant la crainte que l'enseignement technologique et professionnel puisse se trouver noyé dans la future direction unique de l'enseignement scolaire, ce qui n'est sans doute pas le meilleur moyen de revaloriser une filière qui en a bien besoin. Encore que ce ne soit pas une direction spécifique qui, à elle seule, puisse entraîner la revalorisation d'une filière. Cette remarque est de mon cru, monsieur Chérioux.
M. Jean Chérioux. Dont acte.
M. Jean-Louis Carrère, rapporteur pour avis. La commission souhaiterait que vous puissiez nous fournir des indications sur l'état d'avancement de la mise en sécurité du parc des machines des établissements techniques et professionnels. Cette obligation est imposée par une directive européenne entrée en vigueur au début de 1997 et, vous le savez, elle préoccupe les jeunes adolescents qui sont en formation, de même que leurs parents.
Trop de lycées professionnels sont, en outre, confrontés à des difficultés de tous ordres : matériels souvent obsolètes et souvent dangereux, maintien de sections ne correspondant plus aux besoins des entreprises, difficultés pour trouver des stages en entreprise.
Il importe aussi d'ouvrir davantage l'enseignement professionnel à l'évolution des métiers et des technologies nouvelles. La commission appelle aussi de ses voeux une véritable réforme de l'enseignement technologique et professionnel qui permettrait d'utiliser de manière optimale les moyens qui lui sont affectés, ce qui supposerait un projet de loi-cadre inspiré de la loi de 1985 qui avait programmé sur cinq ans des objectifs ambitieux.
Sous réserve de ces observations, madame la ministre, monsieur le ministre, la commission a décidé de s'en remettre à la sagesse du Sénat pour l'adoption ou le rejet des crédits de l'enseignement technique pour 1998.
Pour ma part, vous n'en doutez pas, je suis favorable à leur adoption. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 30 minutes ;
Groupe socialiste : 25 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 22 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 15 minutes ;
Groupe communiste républician et citoyen : 13 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 7 minutes ;
La parole est à M. Maman.
M. André Maman. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, le projet de budget pour 1998 que le Sénat examine aujourd'hui prévoit d'affecter 286 milliards de francs à l'enseignement scolaire - soit une augmentation légèrement supérieure à 3 % - et les sommes consacrées par l'Etat à l'enseignement scolaire représenteront donc, en 1998, 18 % de son budget global.
Des calculs récents témoignent du fait que la dépense intérieure d'éducation en France, toutes origines de dépenses confondues, s'élevait, en 1996, à un peu plus de 578 milliards de francs. Plus significativement, ce chiffre correspondant à une dépense de 9 900 francs par Français.
Il s'agit naturellement là d'une charge forte, qui illustre concrètement l'importance et l'impact des décisions qui peuvent être prises dans ce domaine essentiel qu'est celui de l'éducation, puisque cette dépense est prise en charge à 65 % par l'Etat, contre 20,3 % pour les collectivités locales, 5,6 % pour les entreprises et 7,3 % pour les ménages. On le comprendra, les chiffres ont leur importance.
D'un strict point de vue comptable, donc - et même si toutes les préoccupations dont MM. les rapporteurs se sont faits excellement l'écho ne transparaissent pas aussi clairement que nous aurions pu le souhaiter - l'objectivité commande de reconnaître, madame le ministre, que l'ambition de réhabiliter notre système éducatif existe dans le texte que votre gouvernement soumet à l'approbation du Sénat.
L'effort, trop modeste mais réel, en faveur de la prise en compte des nouvelles technologies, la relance de la politique des zones d'éducation prioritaire, auxquelles 84 millions de francs seront consacrés, la progression du nombre des emplois de personnels non enseignants, ainsi que votre décision de débloquer 250 millions de francs pour le financement de la restauration scolaire, qui devrait permettre à tous nos enfants, sans exception, de pouvoir accéder à la cantine, constituent des mesures positives, et je les salue en tant que telles.
Toutefois, et les rapporteurs de la commission des finances et de la commission des affaires culturelles l'ont excellemment démontré, des questions et des doutes subsistent.
Le financement des emplois-jeunes est-il réellement assuré ? Un budget en augmentation est-il nécessairement un bon budget tant que les moyens dégagés ne sont pas réellement mis au service d'une politique ambitieuse de modernisation et d'adaptation de notre système éducatif ?
Sur tous ces points, notre assemblée vous fera naturellement part de ses observations. Pour ma part, je note que de nombreux problèmes n'ont effectivement pas reçu de réponses claires.
La réorientation des programmes scolaire par exemple, qui a fait l'objet de déclarations du Gouvernement, reste tout à fait nébuleuse.
Le problème de l'enseignement professionnel, qui, selon moi, reste à construire, me semble largement ignoré, tout comme la réforme de décentralisation de notre système éducatif, annoncée pourtant avec une véhémence telle que certains acteurs de l'éducation nationale ont pu en être troublés.
M. Jacques Habert. Très bien !
M. André Maman. Enfin, l'ouverture des lycées sur le monde des entreprises et des universités, que j'appelle de mes voeux depuis longtemps chaque fois que l'occasion m'est offerte de m'exprimer à cette tribune, n'apparaît guère dans votre projet de budget. Elle est pourtant tout à fait essentielle et relativement peu onéreuse dans sa mise en place.
Cette ouverture serait essentielle, parce que ce sont les lycéens les moins préparés au monde des idées, les plus éloignés sociologiquement du champ universitaire qui profiteraient des ponts établis entre le monde scolaire et le monde universitaire.
Cette ouverture serait peu onéreuse, puisqu'il suffirait, pour que ce système se mette en place, que soient organisées de façon systématique des rencontres récurrentes entre universitaires, entrepreneurs et lycéens, durant les heures de cours de ces derniers.
Cette idée d'une communication accrue, réelle et dense entre deux strates de notre système éducatif est très simple, et, je le crois, acceptable par tous. Malgré sa simplicité, elle me paraît tout à fait capitale pour l'avenir de nos jeunes, car un lycéen informé est un étudiant éclairé sur l'université et sur lui-même, prêt à affronter avec succès la suite de son cursus.
Compte tenu de ces carences, madame le ministre, et de tous les doutes que les travaux de la commission à laquelle j'appartiens ont mis en lumière, je ne voterai pas ce projet de budget.
En conclusion, Je veux regretter comme je l'ai fait à maintes reprises, qu'il ne comprenne pas le magnifique réseau d'établissements scolaires français de l'étranger. Nous, les sénateurs représentant les Français établis hors de France, nous allons visiter régulièrement ces établissements à l'étranger et nous regrettons qu'ils restent dans le giron du ministère des affaires étrangères. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et des indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Habert. Très bien !
(M. Jacques Valade remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JACQUES VALADE
vice-président

M. le président. La parole est de nouveau à M. Carrère, à titre personnel cette fois-ci !
M. Jean Delaneau. Il a remis ses chaussures comme il faut ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère. J'ai effectivement remis mes chaussures à leur bon pied ! M. Delaneau avait remarqué ce détail.
Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le peu de temps qui m'est aujourd'hui imparti m'obligera à être bref, et je laisserai à mes collègues le soin de développer certains points qui nous préoccupent, et ce d'autant plus que j'ai récemment eu l'occasion de m'exprimer longuement, ici même, sur le secteur éducatif dans son ensemble, au cours du débat préalable à la discussion budgétaire demandé par le Sénat et qui a été très judicieusement accepté par le Gouvernement.
Je me contenterai donc de balayer les grandes lignes de ce projet de budget en soulignant, de prime abord, la volonté manifeste d'inverser la tendance observée dans les budgets précédents, préparés par M. François Bayrou : cette année, madame la ministre, il n'y aura pas de suppression d'emplois ; mieux, il y aura un nombre de créations de postes substantiel.
Certes, aux termes du bleu budgétaire, aucune création de poste pour les enseignants n'apparaît. Mais, au moins, madame la ministre, n'en supprimez-vous pas, comme l'avait fait votre prédécesseur. En effet, l'an dernier, près de 3 000 suppressions d'emplois avaient été prononcées. Cela, mes chers collègues, c'est une différence !
M. Claude Estier. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Je tiens également à souligner que cette absence de création de postes d'enseignant est largement compensée par le réemploi des 28 000 maîtres auxiliaires dont le sort demeurait en suspens depuis de nombreux mois, de par l'inertie du gouvernement précédent. Par conséquent, je trouve misérable l'argument qui consiste à dire : « Faisons coller les besoins disciplinaires au réemploi des maîtres auxiliaires. »
Le réemploi effectif des maîtres auxiliaires et les modalités de leur intégration dans l'éducation nationale, par le biais de l'un des quatre concours d'accès - interne, externe, spécifique ou réservé - ont fait partie des toutes premières mesures que vous avez arrêtées, madame la ministre, ce dont, si vous m'y autorisez, je vous félicite.
De la même manière, je ne peux que me réjouir de l'issue heureuse que vous avez réservée à la situation des candidats admis au CAPES de mathématiques sur la liste complémentaire et que l'on avait abusivement et trop rapidement appelés les « reçus-collés » - j'ai longtemps enseigné, et je n'ai jamais compris qu'on puisse être à la fois reçu et collé ! Somme toute, il manquait des enseignants dans cette discipline et la décision que vous avez prise, madame la ministre, est tout à fait appropriée ; je vous en remercie.
Toutes ces venues nouvelles au sein du ministère de l'éducation nationale - tout comme les 40 000 emplois-jeunes, sur lesquels je ne m'attarderai pas, car je me suis déjà exprimé sur ce sujet - sont extrêmement positives, même si elles ne peuvent être comptabilisées en termes d'emplois budgétaires stricto sensu, d'autant plus que les personnels non enseignants font, eux, l'objet de toutes vos attentions budgétaires ; 1 320 emplois les concerneront en effet en 1998, chiffre jamais atteint depuis 1993.
Cela dit, madame la ministre, pour tempérer ma joie, je vous indique que, compte tenu de l'effort extraordinaire réalisé par les régions en termes de rénovation et de construction de lycées, votre ministère doit suivre en matière de création de postes ATOSS pour qu'existe une excellente corrélation entre les efforts des collectivités locales et ceux de l'Etat.
M. Marcel Vidal. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Ces créations bénéficieront tout particulièrement au secteur médico-social, pour lequel les 300 emplois nouveaux d'infirmières et les 300 emplois d'assistantes sociales permettront de combler les carences constatées dans ce secteur, plus particulièrement dans les ZEP. L'arrivée de 200 médecins vacataires pour les épauler ne pourra, elle aussi, qu'améliorer la situation.
L'orateur qui m'a précédé à cette tribune a déclaré qu'il rejetait ce projet de budget parce qu'il n'était pas suffisant. Que pouvait-on dire, alors, des budgets antérieurs ? Ce n'était rien !
M. Claude Estier. Absolument !
M. Jean-Louis Carrère. Choisissons de bons arguments, et non des arguments que je qualifierai, avec une certaine retenue pourtant, de fallacieux.
A propos de l'ensemble des personnels, je souhaiterai évoquer maintenant non plus l'emploi, mais les situations et les carrières.
J'ai bien noté que la poursuite des différentes mesures de revalorisation de la fonction enseignante ou de réforme de la grille indiciaire de la fonction publique, décidées par MM. Jospin et Durafour entre 1988 et 1993, seront honorées, budgétairement parlant, en 1998. Cependant, divers aléas, dont les retards accumulés ces dernières années, font que, parfois, la réalisation totale des plans me semble un peu longue.
J'ai pris acte de la poursuite, l'an prochain, du plan d'intégration des instituteurs dans le corps des professeurs des écoles grâce à une mesure évaluée à 167,9 millions de francs et qui concernera 14 850 instituteurs à la rentrée scolaire prochaine. C'est extrêmement positif pour les personnels concernés. Mais, au rythme où vont les choses, l'ensemble des instituteurs ne sera intégré dans le corps des professeurs des écoles qu'à l'horizon 2011.
Donc, madame la ministre, notez que Jean-Louis Carrère, sénateur socialiste, considère que ce processus est trop lent et qu'il faut essayer d'augmenter les crédits consacrés au passage des instituteurs dans le corps des professeurs des écoles.
Toujours à propos des personnels, vous vous êtes beaucoup exprimée, madame la ministre, sur votre volonté de déconcentrer l'administration et plus particulièrement son mode de gestion. Je ne peux que vous féliciter de cette volonté, qui s'inscrit dans le droit-fil de la poursuite de la décentralisation et dans la recherche du « zéro défaut ».
Mais, attention ! il faut agir en concertation avec les organisations syndicales.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Jean-Louis Carrère. Il est nécessaire, de faire évoluer le service public pour l'améliorer, mais il faut le faire en respectant nos partenaires.
Après avoir détaillé les dispositions concernant les personnels, je constate que l'ensemble de votre politique et les crédits qui lui sont consacrés vont tous dans le bon sens.
Il en est ainsi, tout d'abord, s'agissant de la réduction des inégalités sociales. Le fonds social pour les cantines scolaires constitue sans aucun doute la meilleure illustration de cette politique.
M. André Maman. Très bien !
M. Jean-Louis Carrère. Maintes fois, dans cet hémicycle, nos amis communistes et nous-mêmes avons réclamé une telle mesure. Dont acte ! La poursuivrez-vous et de quelle manière ? Quid de l'enseignement scolaire élémentaire, et quid du lycée ?
Fort heureusement, vous réparez doublement les erreurs de vos prédécesseurs puisque vous avez aussi, pour la rentrée scolaire de 1997, revalorisé de manière substantielle l'allocation de rentrée scolaire, en la portant à 1 600 francs, contre je vous le rappelle, mesdames, messieurs, 1 000 francs, l'an dernier.
Plusieurs autres aspects de votre politique et de votre budget apportent une solution concrète aux différents problèmes de l'exclusion sociale. Je sais que certains de mes collègues développeront tout à l'heure ces thèmes, mais je me réjouis fortement de la relance des ZEP, les zones d'éducation prioritaires, alors que chaque exercice budgétaire avait rogné leurs crédits depuis quatre ans !
Les récentes mesures que vous avez annoncées, voilà quelques jours, pour lutter contre la violence, l'installation de neuf sites pilotes et l'éducation à la vie citoyenne par le biais de la « morale civique » à l'école participent à l'intégration de tous les enfants non seulement au sein de l'école, mais aussi - cela est capital - dans notre société.
J'insiste donc sur l'importance que revêt le caractère interministériel de l'élaboration d'un plan contre la violence, compte tenu de la multitude des causes qui ont abouti à la généralisation de ce phénomène et à la nécessaire implication de multiples acteurs pour y remédier.
Les quelque 1 200 ouvertures ou réouvertures de classes auxquelles vous avez procédé oeuvrent, elles aussi, dans ce même bon sens, puisqu'elles permettront de profiter de la baisse des effectifs dans l'enseignement scolaire, - 69 000 personnes en moins à la rentrée 1997 - pour améliorer le taux d'encadrement et maintenir la continuité du service d'éducation.
Ici encore, je remarque que vous rompez avec la politique menée par votre prédécessur puisque, l'an passé, où les effectifs avaient enregistré une baisse sensiblement du même ordre que celle de cette année - moins 60 000 au lieu de moins 6 900 -, il avait néanmoins prévu au mois de juin dernier la fermeture de 400 écoles, catastrophe que le changement de majorité nous a permis d'éviter !
Allant toujours dans le sens d'une plus grande démocratisation de l'école, je note avec satisfaction votre souci de faire entrer les nouvelles technologies à l'école, avec sensibilisation à ces disciplines dès la maternelle.
Je crois avoir abordé l'essentiel des questions qui me préoccupaient et la plupart des aspects de votre politique éducative. J'espère avoir convaincu les quelques réfractaires qui pourraient subsister au sein de cet hémicycle de son bien-fondé et de son action en faveur d'une plus grande équité sociale, d'un meilleur éveil des enfants et d'une amélioration des conditions de travail et de vie des personnels.
Les sénateurs socialistes ne sont, pour leur part, plus à convaincre, et je vous annonce qu'ils voteront avec enthousiasme votre projet de budget pour l'enseignement scolaire. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Merci, monsieur le sénateur, pour cette nouvelle inattendue.
La parole est à M. Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, madame la ministre, l'éducation, c'est prioritaire, et, contrairement à ce que vient d'indiquer notre collègue M. Carrère, j'estime qu'il y a nécessairement une continuité de l'action de l'Etat en la matière.
Cette continuité joue aussi pour une autre priorité : l'innovation dans l'éducation. Sans innovation, en effet, nous savons bien que nous irons droit dans le mur, car le pourcentage des dépenses consenties par la nation pour cette priorité ne saurait augmenter au-delà de limites qui nous conduiraient à des difficultés économiques considérables.
J'ai eu la chance d'avoir pour instituteur, à l'école primaire de Saint-Paul, Célestin Freinet, grand innovateur s'il en est.
M. Jean-Louis Carrère. Il aurait voté ce budget, lui !
M. Pierre Laffitte. Je ne parle pas du vote du budget pour le moment !
Au cours de ma carrière, j'ai pour ma part contribué à faire évoluer le système des grandes écoles vers un modèle proche de celui de certaines universités d'élite aux Etats-Unis et de certains des meilleurs troisièmes cycles universitaires français. Je suis très concerné par cette innovation pédagogique et tiens à saluer l'initiative de M. Georges Charpak et de l'Institut national de recherche pédagogique, initiative baptisée « La main à la pâte ». Vous la connaissez, madame le ministre. Soutenue par M. Bayrou, comme l'a dit M. Allègre à la télévision, elle est poursuivie et renforcée sous votre égide commune.
Nous pouvons espérer l'étendre, notamment dans les départements de la Vienne et des Alpes-Maritimes, peut-être de l'Isère, pour ne citer que trois départements où des sénateurs veilleront à ce qu'une telle initiative soit développée rapidement et fortement.
Cette innovation doit se doubler d'un usage massif des nouvelles technologies avec des contenus adaptés, pour lesquelles le Sénat mène, depuis des années, une véritable croisade. Si j'en crois les discours, cette croisade est largement soutenue par le Gouvernement, et particulièrement par votre ministère, au-delà de la communauté scientifique, publique et privée, qui, depuis longtemps déjà, utilise ces nouvelles technologies et pour qui la messagerie électronique fait partie intégrante du mode de travail quotidien.
Les opérations La main à la pâte et Internet et multimédia doivent contribuer non seulement à l'innovation, mais aussi au décloisonnement.
En effet, le fait d'associer chercheurs publics et industriels aux instituteurs dans le programme La main à la pâte est une grande novation, et à mon sens très positif.
L'irruption de la société globale, mondiale, grâce à Internet est une autre novation. Le rôle pédagogique des enseignants s'en trouve renforcé. Je citerai l'exemple d'une bourgade des vallées alpines, Saint-Sauveur-sur-Tinée, où j'ai pu, grâce à l'appui non seulement de bénévoles, mais aussi de mécènes industriels, dans le cadre de l'initiative Netd@ys, installer des ordinateurs reliés à Internet dans des écoles primaires de villages reculés. Je voudrais vous lire, à ce propos, un passage de la lettre que Mme le maire de Saint-Sauveur-sur-Tinée m'a écrite.
« Les enseignants de l'école, en accord avec la municipalité, ont accueilli à l'école toutes les personnes désirant mieux connaître le multimédia le mardi 11 novembre au matin. » C'est un jour où il n'y a pas école.
« En effet, l'école disposant depuis peu d'un ordinateur relié à Internet via l'opération Netd@ys, l'équipe éducative a pu présenter à la population les principes de navigation sur Internet. Des sites pédagogiques ont été consultés et la correspondance par e-mail a été présentée. Au-delà, et d'une manière plus générale, diverses recherches ont été faites - informations pratiques, visite virtuelle de musées - pour montrer aux adultes l'intérêt de l'outil Internet.
« Le bilan de cette matinée s'est avéré très positif, car beaucoup de personnes - en tout une cinquantaine tout au long de la matinée - sont venues assister aux démonstrations et sont conscientes de l'enjeu d'un tel outil, et, parmi ces personnes, ne figuraient pas exclusivement des parents d'élèves, ce qui prouve que les gens veulent désormais savoir pour eux-mêmes ce qu'est Internet. »
Grâce à ces innovations, vous le constatez, le rôle pédagogique des instituteurs vis-à-vis de la population se trouve renforcé. Cela prouve également - et c'est un élément tout à fait majeur - que, grâce à ces innovations pédagogiques, non seulement on enseigne mieux, mais encore on enseigne en comprenant mieux la société tout entière.
Cela m'amène à évoquer le colloque national qui a pour thème : « Quels savoirs enseigner dans les lycées ? », dont vous avez pris l'initiative.
L'initiative est bonne, mais le comité d'organisation de ce colloque, tel qu'il est prévu à l'heure actuelle, me paraît boiteux. Il ne comporte en effet aucun représentant extérieur à l'éducation nationale, comme si le problème n'était qu'un problème interne au ministère, ce qui ne semble pas votre point de vue.
Ne sont prévus, d'après une note d'information du 17 novembre, ni politiques, ni socioprofessionnels, ni directeurs de ressources humaines de groupes économiques, qui ont quand même leur mot à dire en la matière, ni compétences étrangères, ni chambres consulaires. Pourtant, toutes ces personnalités et groupements ont en la matière des compétences ! Il s'agit donc d'un comité d'organisation purement interne alors que la participation de personnes de l'extérieur me paraît, pour les lycées, au moins aussi importante, sinon plus, que pour les écoles primaires.
On pourra évoquer le comité scientifique prévu. Mais ce dernier correspond essentiellement à des disciplines ; il est donc par nature essentiellement universitaire ou de recherche. Dans l'état actuel des projets connus, aucun partenariat ni aucune concertation avec l'ensemble du corps social ne serait prévu, ce qui paraît très regrettable. Pouvez-vous donner des indications, le cas échéant pour y remédier ?
Je voudrais dire pour terminer que la continuité des réflexions et des efforts au service de cette priorité d'amélioration du fonctionnement de l'éducation nationale est évidente. Je salue donc les initiatives de votre ministère, surtout si elles respectent la continuité de l'Etat : nous le savons bien, les responsables précédents ont mis en place un certain nombre de méthodes qui me paraissent essentielles. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à Mme Luc.
Mme Hélène Luc. L'école rend-elle heureux ?
Ce titre choc d'une émission, « Le Grand Forum », à laquelle vous participiez samedi dernier, madame la ministre, ne renvoie-t-il pas à la finalité première de notre système éducatif ?
Rendre heureux chaque jeune, heureux intellectuellement en lui permettant de s'approprier les outils d'un savoir en mutation accélérée, heureux socialement en le conduisant à l'autonomie, à la maîtrise de son insertion professionnelle et de sa vie future d'adulte, le rendre heureux en optimisant ses talents, son ouverture à la culture, à l'autre, au monde, à la citoyenneté, n'est ce pas, en effet, le fondement de ce beau projet humaniste, toujours à construire, à transformer et à adapter, qui doit être l'empreinte de notre école de la République ?
Avec nos concitoyens, nous avons à coeur la formation, le développement des individus en un pôle d'excellence d'où doit émerger le meilleur non pas au sens du premier de tous, mais le meilleur de ce que chaque enfant peut devenir et développer en lui-même.
Nous en avons débattu dernièrement à partir de la déclaration du Gouvernement au Sénat. Aujourd'hui, nous avons à nous prononcer sur la première traduction chiffrée d'une politique faite d'orientations et de chantiers nouveaux. J'ai souligné le 22 octobre l'intérêt qu'ils suscitaient en faisant part de l'approbation des sénateurs de mon groupe, acteurs à part entière de la majorité plurielle de ce pays.
Aujourd'hui, l'un des défis majeurs de notre pays est de réduire les inégalités persistantes dans les performances scolaires. Pour le relever, il faut parvenir à l'objectif commun de la qualité et de la réussite pour tous, en diversifiant les parcours scolaires, en allant vers l'individualisation de la formation pour ceux qui en ont besoin pour progresser, en prenant en compte les aspects sociaux, financiers, sanitaires, qui sont si déterminants pour l'adaptation et l'intégration de l'enfant à l'école.
Il y a là une approche que nous partageons ensemble, en rupture forte avec ce qui ne s'est fait que trop insuffisamment jusqu'à présent.
Cette approche, qui commence à se concrétiser, passe par des investissements éducatifs d'un type très nouveau, à la fois en volume, en besoins à satisfaire et en répartition sur le terrain.
Cette approche passe également, c'est une condition indispensable de sa réussite, par la recherche permanente de l'écoute, de la consultation, de la concertation vraie, de la confrontation d'idées et de projets, même si cela dérange, pourvu qu'elle soit respectueuse de l'identité de la responsabilité et de la représentativité de chacun des partenaires.
A l'unisson du dialogue social, que le Gouvernement est soucieux de faire prévaloir et qui correspond à l'une des attentes fortes du soutien des Français, la réflexion, la négociation, le débat sérieux et serein entre les pouvoirs publics et toutes les parties prenantes doivent être de mise sur tous les sujets, car c'est de cette pratique que découlera la capacité à changer et transformer le système éducatif dans le bon sens, et c'est indispensable. Mais cela ne pourra se faire qu'avec le concours de tous les acteurs, en premier lieu celui des enseignants.
J'ai moi-même régulièrement, au nom des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, des échanges de vues avec les syndicats nationaux ; je rencontre également ceux de mon département. Je participe assidument, sur le terrain, aux conseil d'administration des collèges, à la vie des écoles et des lycées de ma commune, cela avec les jeunes, avec les parents.
Je veux témoigner qu'à travers ces différents échelons je rencontre un véritable public d'experts, dont les compétences, les capacités d'initiatives, d'enthousiasme, les propositions constituent des gisements irremplaçables pour créer le va-et-vient indispensable entre l'école, la vie et la cité.
Nourrissez sans réserve votre réflexion, vos réformes et votre action de leur apport, madame le ministre, ce que favoriserait aussi, et à n'en pas douter, la revitalisation de tous les lieux de concertation, du conseil d'école aux instances nationales de concertation, en passant par les conseils de classe, les conseils départementaux de l'éducation nationale et les conseils interacadémiques de l'éducation nationale, les CIAEN, qui doivent être moins formels, plus transparents et plus démocratiques.
Depuis, madame le ministre, vous avez créé les comités locaux d'éducation pour la carte scolaire du premier degré. Mes collègues et moi-même nous en réjouissons, et nous y participerons ; nous vous avions en effet proposé cette concertation à l'échelon local. Il faut que ces comités deviennent des relais d'expression des réalités locales permettant d'éclairer les décisions à prendre et de s'assurer que celles-ci sont réellement suivies d'effet. Ainsi, en faisant la synthèse de leurs travaux, il sera possible de bien apprécier si les engagements de l'Etat correspondent aux besoins.
Avec une hausse de 3,15 %, qui ne recouvre pas que des mesures nouvelles, votre projet de budget amorce un retour du pendule vers l'arrêt de la régression observée depuis plusieurs années, vers la correction des retards accumulés. Il confirme l'amélioration engagée dans plusieurs domaines.
Ainsi en va-t-il de l'arrêt des suppressions de postes d'enseignants.
Cependant, l'absence de toute création nouvelle risque, en dépit de la baisse démographique attendue, de ne pas permettre les améliorations qualitatives que vous-même souhaitez, madame le ministre : en ZEP, des classes à très petits effectifs ; deux enseignants pour les élèves en grande difficulté ; le dédoublement des classes de physique et de langue vivante dans le secondaire.
Il reste 55 % de classes de plus de vingt-cinq élèves en collège. 20 % de plus de trente-cinq en lycée ; c'est trop pour mener à bien un enseignement moderne.
Les mesures annoncées sont positives. Elles constituent un plan d'urgence. Il s'agit maintenant d'anticiper pour donner aux élèves l'encadrement nécessaire, avant tout en enseignants, aussi bien à la maternelle et dans le primaire que dans les collèges et les lycées. C'est cela qui, fondamentalement, contribuera à combattre la drogue et la violence dans les écoles, drogue et violence résultant avant tout de l'échec, de la perte de l'espoir en l'avenir.
Nous proposons qu'une véritable programmation pluriannuelle des recrutements en IUFM, comme l'édicte la loi de 1989, soit débattue et adoptée par le Parlement afin d'aller vers la résorption des classes surchargées, tout en compensant les départs en retraite qui vont être nombreux - 14 000 à 15 000 l'an prochain - alors que 10 500 stagiaires seulement sortiront des IUFM. Cela donnerait une vision prospective du budget.
Madame le ministre, pouvez-vous nous indiquer le nombre de postes prévus aux concours du CAPES et de l'agrégation ?
L'échec scolaire est lié, pour beaucoup d'enfants, aux conditions de vie, non à leur potentiel intellectuel. C'est pourquoi la prise en compte des besoins sanitaires et sociaux des jeunes, avec le rétablissement de la bourse des collèges - que nous demandions depuis plusieurs années, et qu'il faut revaloriser -, l'institution du fonds social pour les cantines scolaires et la création de 1 320 postes d'assistants sociaux, de conseillers principaux d'éducation, d'infirmiers, d'ATOSS, constituent une première rupture significative avec ce qui prévalait antérieurement.
Il faut en effet des équipes complètes pour humaniser la vie dans les établissements. Aussi conviendrait-il d'y ajouter la nécessaire création de postes de médecins scolaires et de conseillers d'orientation psychologues, qui ont été oubliés.
Pouvez-vous nous donner des indications ou des assurances sur ces différents points ?
J'ai déjà souligné, le 22 octobre, le caractère positif du réemploi de tous les maîtres auxiliaires et du recrutement de 40 000 emplois-jeunes. Qu'en est-il de leur financement et de ses conséquences pour la partie imputée sur les heures supplémentaires d'enseignement ? Celles-ci seront-elles transformées en emplois stables, et dans quelles proportions ?
Est-il exact qu'il s'ensuivra également une diminution de leur rémunération de l'ordre de 15 à 20 %, du moins, je suis prudente, selon les prévisions des enseignants ? Cette perte de pouvoir d'achat ne serait évidemment pas admissible.
Je souhaite également attirer votre attention sur la nécessité de recréer très rapidement les conditions de l'unité professionnelle dans les écoles en accélérant l'intégration des instituteurs dans le corps des professeurs d'école, car la situation actuelle de dualité n'est pas satisfaisante, ni pour les intéressés ni pour les enfants.
L'accès de tous les établissements aux nouvelles technologies et au multimédia, qui fait l'objet d'un plan ambitieux et justifié, soulève la question de son financement. Un montant total de 15 milliards de francs est avancé ; la part de l'Etat, selon les sources, oscillerait entre 1 milliard et 3 milliards de francs. Je n'ose imaginer que la différence incomberait aux collectivités territoriales, alors que l'alourdissement de leurs charges et les inégalités de ressources entre elles sont flagrantes. Qu'en est-il exactement ? Je voulais poser la question à M. le ministre de l'éducation nationale, car je le sais attaché, comme il nous l'a rappelé le 22 octobre, à l'équité et l'unité du service public, qui permettent, en tous points du territoire, de bénéficier des mêmes équipements et services.
Le temps qui m'est imparti ne me permet pas d'aller plus avant dans l'analyse du budget ni d'aborder les nombreuses questions que soulève la situation de notre système éducatif, de la maternelle à l'université. Je renvoie, pour une partie d'entre elles, à mon intervention du mois dernier et aux futurs travaux de la commission de l'enseignement que vous voulez associer à votre réflexion et au suivi de vos chantiers.
Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen voteront votre projet de budget, madame le ministre.
Vous, mesdames, messieurs les sénateurs de la droite, vous allez réaliser le tour de force de voter contre ce projet de budget, qui est en augmentation ! C'est là une décision politique qui n'a rien à voir avec l'intérêt de l'école. D'ailleurs, hier, vous avez même décidé de réduire les crédits de l'enseignement.
Pour notre groupe, il s'agit à la fois d'un vote de reconnaissance des premières mesures significatives engagées et d'objectifs ! qui se démarquent de la logique antérieure. Il s'agit d'un vote d'incitation à aller encore plus loin dans l'attention et les moyens que la nation se doit de consacrer à son école et à sa jeunesse. Consignée sur un bulletin scolaire, l'appréciation des sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, un instant coiffés de la casquette de professeur, pourrait être : « Des efforts appréciables à confirmer et à amplifier pour mieux faire l'an prochain. » (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Gérard.
M. Alain Gérard. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous examinons ce matin le budget de l'enseignement scolaire, qui est la partie la plus importante du budget de l'éducation nationale.
Madame le ministre, j'ai souhaité intervenir aujourd'hui pour aborder deux aspects de ce budget qui me semblent très importants et quelque peu ignorés, au moins pour le premier d'entre eux, je veux parler des crédits consacrés par votre ministère à l'enseignement technique.
Je dois dire que bien peu de mesures sont annoncées dans ce domaine. Les responsables des établissements technologiques et professionnels m'ont fait part de leur inquiétude. Conscients que les formations qu'ils dispensent peuvent être une réponse à l'insertion professionnelle de nombreux jeunes, ils ne comprennent pas pourquoi leur enseignement est encore si méconnu et déplorent un manque de réflexion globale à ce sujet.
Il est vrai que notre société est ainsi faite qu'elle ne reconnaît plus les métiers manuels et que cela a conduit à considérer l'enseignement technique professionnel comme une voie d'échec, alors qu'elle peut être celle de la réussite.
Bien souvent, le choix d'une filière de formation technique se fait à défaut de pouvoir accéder à une formation générale.
Dans le même temps, nous constatons que quatre étudiants de premier cycle sur dix ne parviennent pas au second cycle. N'y a-t-il pas là un sujet de réflexion ? Notre système éducatif est-il responsable de cet état de fait ? En partie, sans doute. Alors, où se trouve la faille ?
L'une des missions de l'éducation nationale, me semble-t-il, est de préparer les élèves à des métiers dont le pays a économiquement besoin et non de laisser notre jeunesse s'engouffrer dans des filières sans issue. C'est pourquoi je pense que l'orientation des élèves doit être l'une des priorités de notre système éducatif.
Il nous faut prendre conscience de la nécessité absolue de développer une réelle politique d'orientation et cesser de penser que l'orientation ne doit concerner que les élèves en difficulté ou en échec scolaire. Il convient, pour cela, d'ouvrir notre école à d'autres talents.
Notre système d'orientation, madame le ministre, je le dis très clairement, n'est pas satisfaisant. Tous les élèves et leurs parents devraient pouvoir accéder à une information complète et détaillée sur les différentes formations proposées. Ils devraient être davantage impliqués dans le processus de recherche de formation.
Il faudrait créer des partenariats avec les différentes professions et organiser davantage de rencontres entre les élèves et les professionnels, afin que ces jeunes appréhendent mieux le métier auquel ils se destinent.
Le rôle des conseillers d'orientation est essentiel, mais aujourd'hui mal défini. Ceux-ci ne sont consultés que par ceux qui se trouvent en situation d'échec scolaire.
Je reste, pour ma part, persuadé que les filières techniques et professionnelles sont réellement une porte de sortie sur le monde du travail et un moyen supplémentaire de lutte contre le chômage. Elles devraient à mon sens, constituer un grand projet d'avenir.
C'est pourquoi je vous demande, madame le ministre, quelle place le ministère de l'éducation nationale entend réserver à l'enseignement professionnel et technique. Souhaitez-vous mettre en place une grande filière d'enseignement professionnel, comme l'ont fait bon nombre de nos voisins européens, pour que le monde de l'école rejoigne enfin le monde du travail et de l'entreprise ? Entendez-vous prendre des mesures pour que soit offerte à chaque étudiant la possibilité de faire un stage en entreprise, réel passeport pour une insertion réussie ? Allez-vous revaloriser l'image dégradée de l'enseignement technique ?
Le deuxième aspect de votre budget que je souhaitais aborder concerne le plan d'introduction des nouvelles technologies de l'information et de la communication dans notre système éducatif, plan que vous avez présenté voilà quelques jours.
A titre liminaire, je ferai observer que votre plan s'inscrit dans la ligne de la déclaration faite le 10 mars 1997 par le Président de la République, qui avait alors exprimé le souhait de voir tous les établissements d'enseignement secondaire connectés en l'an 2000, et dans celle du processus engagé le 27 octobre 1994 par le Premier ministre, lors d'un comité interministériel consacré aux autoroutes de l'information et qui devrait retenir un objectif national de couverture progressive du territoire d'ici à 2015.
Je dois dire, madame le ministre, que j'ai été particulièrement heureux d'entendre le ministère s'exprimer sur cette question et de constater que nombre de vos propositions figuraient déjà dans le rapport que j'avais remis il y a quelques mois à M. Juppé, alors Premier ministre.
Comme vous, madame le ministre, j'avais indiqué qu'une des grandes leçons que l'on pouvait tirer du « Plan informatique pour tous » était que les nouvelles technologies devaient être partie intégrante de la démarche pédagogique. Pour cela, il nous faut, en priorité, sensibiliser, impliquer et former les enseignants puisque, sans leur concours, rien ne pourra être fait.
Pendant six mois, j'ai sillonné la France, allant sur le terrain pour y rencontrer les enseignants, les chefs d'établissement, les élèves. J'ai auditionné plus de deux cents personnalités du monde de l'éducation : les responsables et hauts fonctionnaires de l'administration, les représentants des syndicats d'enseignants et des personnels d'encadrement de l'enseignement public et privé, de l'enseignement général, technique professionnel et agricole de France et de l'étranger, mais aussi les professionnels de l'édition, les constructeurs de matériel informatique, les opérateurs et, enfin, des experts et des universitaires.
Je dois dire que ce travail a été fructueux. L'occasion m'a été donnée de rencontrer de nombreux enseignants extrêmement motivés, qui attendaient un signe fort des pouvoirs publics. Ils attendaient que l'on reconnaise enfin le travail considérable qu'ils avaient accompli. Ils sont prêts à s'investir davantage encore pour peu qu'on leur en donne les moyens.
Beaucoup réclament des formations pour leurs collègues moins initiés qu'eux ils réclament également la nomination, dans chaque établissement, d'« animateurs pédagogiques ».
Madame le ministre, les nouvelles technologies de l'information et de la communication ont fait naître de grands espoirs dans le monde éducatif, je l'ai dit. Il s'agit aujourd'hui de ne pas décevoir ces hommes et ces femmes, non plus que les élèves, qui oeuvrent depuis tant d'années dans l'ombre et attendent que les actes succèdent aux paroles.
Je serai donc particulièrement attentif au bon déroulement du plan que vous nous avez annoncé.
Bien entendu, tout cela a un coût et nécessite des moyens considérables.
S'agissant de votre plan, vous avez indiqué que l'équipement informatique des établissements s'effectuera sur la base de projets et que les infrastructures seront mises en place avec les collectivités territoriales, qui bénéficieront de l'aide d'un fonds de soutien.
Votre objectif est ambitieux puisque ce plan devrait permettre à tous les élèves et étudiants d'accéder à une activité sur support numérique ou audiovisuel d'ici à l'an 2000 : manipulation et dessin informatique en maternelle ; courrier électronique en cours élémentaire ; accès au Web en cours moyen ; travail en réseau au collège ; enfin, adresse électronique pour chaque élève de terminale et chaque étudiant.
Madame le ministre, vous avez annoncé que le coût total de votre plan serait de 15 milliards de francs. Votre ministère contribuera à hauteur d'un peu plus de 1 milliard de francs par an pendant trois ans. Qu'en sera-t-il pour les années suivantes ?
La mise en oeuvre de ce plan, pour peu que les collectivités locales bénéficient d'une aide adaptée de l'Etat - et nous souhaiterions, madame le ministre, obtenir des précisions sur les modalités de cette aide - devrait se traduire par l'acquisition et, surtout, - vous l'avez dit - par la location de nouveaux matériels qui rendront obsolètes la plupart des matériels existants.
Comme vous le savez, l'évolution des techniques informatiques est telle qu'elle se traduit par une obsolescence de plus en plus rapide des matériels et conduit les utilisateurs à vouloir les remplacer rapidement.
L'application de ce plan devrait donc accélérer mécaniquement la vétusté des matériels informatiques existant dans les écoles et les établissements d'enseignement, en faisant également baisser leur valeur unitaire.
A cet égard, je souhaite vous indiquer que j'ai déposé un amendement qui permettrait, lorsque ces matériels appartiennent à des services de l'Etat, aux collectivités locales ou à des établissements publics, de les céder gratuitement à des associations de parents d'élèves ou à des associations de soutien scolaire.
Ces associations, qui bien souvent n'ont pas les moyens de s'informatiser, trouveraient là, vous en conviendrez, le moyen de faire bon usage des matériels, certes vétustes mais en bon état, qui aujourd'hui restent inutilisés faute de repreneur et sont stockés dans l'attente de leur destruction.
Cet amendement était l'objet de l'une des trente-deux propositions de mon rapport « Multimédia et réseaux dans l'éducation ». Il a été adopté. Je ne doute pas que vous souhaiterez en faciliter la mise en oeuvre.
Tel est, madame le ministre, l'essentiel de ce que je souhaitais vous dire en ce qui concerne le budget de l'enseignement scolaire et le plan d'informatisation de nos écoles que vous avez présenté. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Richert.
M. Philippe Richert. Voilà un mois, madame le ministre, avec votre collègue Claude Allègre, vous nous avez présenté les orientations de votre ministère, et M. Allègre l'a fait, je dois l'avouer, avec une verve, une passion et une volonté de convaincre qui n'ont laissé personne indifférent.
Cette rencontre m'a paru importante, car elle nous a permis, pour une fois, d'entendre directement, de la part des représentants du Gouvernement, ce que nous avions l'habitude de découvrir par la presse et par les médias.
L'examen du projet de budget de votre ministère pour l'enseignement scolaire me donne aujourd'hui l'occasion d'approfondir les analyses que nous avions entamées, au niveau tant des crédits que du projet éducatif et de ses conditions de mise en oeuvre. Il ne saurait être question, en effet, de nous prononcer uniquement sur les inscriptions financières sans nous soucier de l'utilisation des moyens qui seront ainsi dégagés.
Permettez-moi tout d'abord de vous dire, madame le ministre, que je crois sincèrement en la volonté du Gouvernement, notamment de Claude Allègre et de vous-même, de réformer notre système éducatif et que j'apprécie les efforts que vous déployez pour débloquer les freins, libérer les initiatives et supprimer les inerties trop nombreuses et qui handicapent encore notre système éducatif.
Pour autant, je ne peux approuver la méthode qui est mise en oeuvre. Je le dis non par esprit polémique, mais parce que je pense que, réellement, dans la façon d'agir, il est un certain nombre de principes que l'on ne peut accepter.
Les initiatives qui sont prises - elles sont nombreuses ! - sont telles qu'il n'est plus possible aujourd'hui de distinguer l'orientation globale qui est donnée au mouvement.
Lorsque vous allez sur le terrain - vous le faites certainement, mais je ne suis pas sûr qu'on vous le dise ! - que vous rencontrez les enseignants, que vous discutez avec les directeurs d'écoles, vous constatez qu'ils ne savent plus où l'on va.
Jusqu'à présent, on se fixait un objectif, on définissait les moyens pour y parvenir, on les mettait en oeuvre et on évaluait les résultats.
M. René-Pierre Signé. On ne bougeait pas !
M. Philippe Richert. Aujourd'hui, on lance plusieurs chantiers en même temps, et la vision globale ne permet plus de dégager la piste qu'ensemble on doit suivre.
En même temps, il est vrai que les propos donneurs de leçons - qui sont moins votre fait que celui de votre collègue Claude Allègre - tels que « dégraisser le mammouth », « la quasi-majorité des enseignants sont méritants », ou encore des affirmations sur l'absentéisme des enseignants provoquent des blocages au lieu d'en supprimer. (Protestations sur les travées socialistes.)
M. Jean-Louis Carrère. C'est vous qui nous donnez des leçons !
M. Philippe Richert. C'est non pas par des attitudes péremptoires, mais par un réel travail de concertation avec tous les partenaires, y compris avec les élus, que nous pourrons faire évoluer les situations. En effet, celles-ci ne sont pas aussi simples ou aussi simplistes comme on voudrait trop souvent les présenter.
Le fait d'avoir, d'une façon ou d'une autre, parfois involontairement, mis les enseignants au pilori, de les avoir livrés à la critique de l'opinion publique, s'apparente plus à du populisme que certains récupèrent qu'à une véritable volonté d'aller de l'avant.
M. André Maman. Très bien !
M. Philippe Richert. Voilà ce que je voulais dire au sujet de la méthode. Je me sentais obligé d'y faire allusion.
J'en viens maintenant au fond.
J'aborderai quelques dossiers spécifiques, sur lesquels je vous apporte mon soutien. Je ne les développerai pas ; d'autres l'ont fait avant moi et vous en trouverez le détail dans le rapport écrit. Cela ne signifie pour autant pas qu'ils ne sont pas importants.
Je commencerai par dire, Madame le ministre, que j'ai beaucoup apprécié vos prises de position courageuse sur le bizutage. Je salue l'audace dont vous avez fait preuve : vous êtes allée de l'avant, vous n'avez pas fléchi, y compris lorsque vous avez rencontré des réticences et des résistances.
M. Pierre Fauchon. Bravo !
M. René-Pierre Signé. Changez de majorité !
M. Philippe Richert. Je souhaite évoquer d'abord, parmi les décisions positives que je recense, votre souci de déconcentration des structures de l'administration centrale et, en corollaire, le redéploiement de ces moyens sur le terrain. Cela doit intervenir en parallèle avec le traitement du mouvement des enseignants du secondaire au niveau académique. Cela me paraît être une bonne chose.
J'évoquerai ensuite la décision de verser à nouveau les bourses de collège aux familles sans passer par les caisses d'allocations, ce qui facilitera le paiement des demi-pensions. La mesure qui avait été été prise était une mauvaise mesure. Je suis content que vous rétablissiez les anciennes procédures.
M. René-Pierre Signé. Ce n'est pas la seule mauvaise mesure !
M. Philippe Richert. Cela va dans le bon sens !
Je salue encore l'attention que vous portez aux classes et aux écoles qui se trouvent dans des zones difficiles et en milieu rural fragile. Les solutions apportées me paraissent satisfaisantes.
Enfin, j'ose dire que la création de 620 emplois d'ATOS est une bonne disposition. Nous en avons besoin ! Nous savons que, dans les établissements scolaires, les départements accomplissent aujourd'hui de grands efforts pour construire de nouvelles cantines scolaires. Toutefois, lorsque vous n'avez pas le personnel nécessaire pour les entretenir, cela ne sert pas à grand-chose.
La mise en place des conseillers principaux d'éducation, d'emplois d'infirmières et d'assistantes sociales constitue également une bonne mesure.
Comme vous le voyez, je ne me gêne pas, madame le ministre, pour dire que des dispositions vont dans le bon sens et qu'elles sont efficaces.
Vous vous imaginez bien que l'ensemble de mon propos n'aura pas la même tonalité jusqu'au bout !
M. Marcel Vidal. Quel dommage ! (Sourires.)
M. René-Pierre Signé. Alors, arrêtez là votre propos !
M. Philippe Richert. J'en arrive à d'autres points.
Tout d'abord, nous savons bien que l'efficacité du ministère de l'éducation nationale est souvent jugée au nombre de postes créés et à l'augmentation du budget. Il est vrai qu'avec 40 000 postes d'emplois-jeunes - en fait, 150 000 sur trois ans - et le réemploi de 28 000 maîtres auxiliaires, vous affichez des chiffres à faire pâlir d'envie tous vos prédécesseurs ! D'autant que cela correspond à une période où on compte, tous les ans, 50 000 jeunes de moins.
Lorsque 68 000 postes sont crées - 110 000 sur les deux années à venir - comment ne pas s'interroger sur les moyens qu'il faudra dégager les années suivantes ?
En ce qui concerne les emplois-jeunes, il nous a été affirmé que ceux qui auront été engagés à ce titre ne seront pas fonctionnaires et ne seront pas automatiquement titularisés sur les postes qu'ils occupent. Mais alors, deux remarques s'imposent.
Tout d'abord, si ces emplois sont indispensables, comme on nous l'explique, je ne vois pas comment nous les supprimerions demain. L'éducation nationale comptera donc automatiquement 50 000 fonctionnaires de plus, et il faudra, c'est le premier point, pérenniser ces emplois.
Le second point est le suivant : on me dit que, au bout de cinq ans de présence dans l'éducation nationale, ces jeunes ne seront pas automatiquement titularisés et ne seront pas conservés. Mais comment pourra-t-on les renvoyer ?
Voilà un mois, M. Allègre avait dit, s'agissant des maîtres auxiliaires, que lorsque ceux-ci sont dans l'éducation nationale depuis cinq à dix ans, on ne peut imaginer les renvoyer. Je pense que le même argument vaudra pour les personnes qui auront été employées pendant cinq ans au titre des emplois-jeunes par l'éducation nationale.
M. Jean-Louis Carrère. Qu'est-ce que vous proposez ?
M. Philippe Richert. A l'époque, M. Allègre nous expliquait qu'il s'agissait de raisons « humanitaires ». Je crois que la même situation se présentera dans le cas des emplois-jeunes. Cela entraîne donc indiscutablement un accroissement du nombre des personnels de l'éducation nationale, qui représentera, sur trois ans, 150 000 emplois supplémentaires. On ne peut feindre de l'ignorer !
Dès lors, des questions se posent. Tout d'abord, ces emplois sont-ils indispensables ? Ensuite, que penser de ces jeunes diplômés...
M. René-Pierre Signé. Vous posez des questions sans apporter de réponse !
M. Philippe Richert. Je vais y venir !
... sans statut, embauchés pour cinq ans ? Peut-on accepter qu'ils se trouvent dans une situation de fonctionnaire bis ?
Enfin, les moyens mobilisés ont-ils été affectés là où ils sont le plus indispensables ?
Je ne pense pas que nous soyons sur la bonne voie, madame le ministre. En effet, à un moment où tous les pays - l'exception française ne peut pas être invoquée dans ce domaine - se doivent de réduire les dépenses publiques, toute nouvelle création de poste public doit être examinée avec une vigilance extrême.
Imaginer que l'on va résoudre le problème du chômage dans notre pays en multipliant les emplois publics me paraît relever - je reprendrai une expression de M. Claude Allègre - d'une « scorie idéologique » d'un autre âge.
M. Jean-Louis Carrère. Il ne devait pas le dire à ce sujet !
M. Philippe Richert. La création d'une fonction publique bis, marque un recul pour les intéressés, sachant que l'on fabrique ainsi des générations de jeunes aigris.
Quant à la question de savoir si ces moyens seront efficacement utilisés, comment peut-on imaginer que des jeunes à qui, au mieux, on donnera une initiation pédagogique, pourront réellement prendre en main les situations difficiles dans les établissements scolaires, servir de médiateurs, être là où, jusqu'à présent, les enseignants patentés, expérimentés font échec ? Comment pourront-ils être à la hauteur de l'enjeu ?
Il eût été préférable de mettre à plat aujourd'hui les moyens qui sont disponibles ou dispersés afin de mieux les utiliser et, à partir de là, recenser les zones dans lesquelles il est indispensable de les concentrer. Nous savons bien, en effet, que des besoins réels existent. Je me contenterai de citer le cas des chefs d'établissement. Comme vous le savez, madame le ministre, 800 postes sont aujourd'hui vacants dans l'enseignement secondaire.
Mme Hélène Luc. Neuf cents !
M. Philippe Richert. C'est encore mieux !
Mme Hélène Luc. Ah non !
M. Philippe Richert. C'est mieux pour étayer mon raisonnement, madame Luc.
Nous savons bien que les chefs d'établissement sont, plus encore aujourd'hui qu'hier, des personnes clés dans le fonctionnement des établissements scolaires. Jusqu'à présent, ils étaient recrutés dans le milieu enseignant. Or, face à l'absence de candidatures, ils le sont de plus en plus aujourd'hui dans l'administration. Ainsi, non seulement nous n'avons plus assez de chefs d'établissement mais, qui plus est, ceux-ci ne sont plus recrutés dans le milieu enseignant.
En mettant en place une administration sans lien avec l'enseignement, vous vous engagez dans la mauvaise direction. Comment pourrions-nous faire pour encourager les enseignants à retrouver cette voie ?
Il faudrait, tout d'abord, cesser de confier aux chefs d'établissement des charges supplémentaires contraignantes et essayer de réexaminer leur statut. En effet, voilà encore quelques années - cette situation perdure pour quelques-uns - celui, qui voulait devenir chef d'un établissement du second degré devait se présenter à un concours. En cas de réussite, il suivait une année de formation spécifique avant de prendre ses fonctions, la plupart du temps d'ailleurs comme adjoint dans un collège.
Il faut bien être conscient de la situation actuelle. Je citerai, à cet égard, un exemple récent. Les chefs d'établissement, sensibilisés par leur hiérarchie, ont alors prêché la bonne parole. Engagez-vous, rengagez-vous, disaient-ils, vous verrez du pays ! Ils se sont montrés convaincants. Voilà un mois, une enseignante certifiée se présente au concours ; trois jours plus tard, elle était proviseur-adjoint dans un lycée, et pas le moindre, puisqu'il s'agissait d'un lycée professionnel qui connaît des difficultés sérieuses. Comment voulez-vous redresser la barre ?
D'un côté, de nombreux emplois-jeunes vont être créés dans les établissements, mais les jeunes concernés sont sans réelle formation et ne peuvent donc être efficaces.
M. René-Pierre Signé. Ils vont se former !
M. Philippe Richert. Oui, sur le terrain ! Nous avons déjà quelques exemples de la manière dont ils sont obligés de se former. Merci bien !
M. Pierre Fauchon. Merci pour les cobayes !
M. Philippe Richert. Aujourd'hui, on nous explique que les meilleurs enseignants doivent travailler dans les établissements difficiles, mais, dans le même temps, on affecte dans ces mêmes établissements des jeunes qui ne sont pas formés.
M. Jean-Louis Carrère. De qui viennent ces imprévisions ?
M. Philippe Richert. De l'autre côté, les chefs d'établissement n'ont plus la formation souhaitable...
M. Pierre Fauchon. Merci pour les cobayes !
M. le président. Je vous en prie, mes chers collègues, laissez parler M. Richert !
M. Philippe Richert. Il faudrait dégager des moyens pour leur permettre d'être à nouveau sur le terrain.
M. Jean-Louis Carrère. Tout cela, c'est la faute de M. Bayrou !
M. Philippe Richert. Qu'allez-vous faire, madame le ministre, pour que ces postes de direction soient de nouveau occupés par des chefs d'établissement formés, motivés et disposant de moyens leur permettant d'exécuter la tâche qui leur est confiée ?
Acceptez-vous aussi, madame le ministre, de réexaminer le dossier de ces emplois-jeunes affectés à l'éducation nationale ? Ces jeunes seront, qu'on le veuille ou non, des fonctionnaires puisqu'ils seront intégralement payés par le ministère de l'éducation nationale.
J'en viens au second point de mon intervention qui me paraît tout aussi essentiel : il s'agit du respect de la séparation des compétences entre l'Etat et les collectivités territoriales en matière scolaire. Ce principe a été arrêté par les lois de décentralisation. Or, monsieur Carrère, depuis quelques années, nous constatons qu'il est de plus en plus bafoué. L'Etat décide puis demande aux collectivités de partager et parfois même de supporter seules les charges résultant de ses décisions.
Cette situation, souvent proche du chantage, devient intolérable. Lorsque vous décidez, madame le ministre, d'un plan concernant les nouvelles technologies, nous vous suivons car, comme vous, nous estimons que l'école doit préparer tous nos jeunes à entrer dans le monde de demain.
Mais lorsque je prends connaissance des chiffres annoncés, je m'insurge. Ce plan est évalué à 15 milliards de francs. Si j'ai bien compris, l'Etat prévoit d'y affecter à trois reprises un milliard de francs. Par conséquent, il reste 12 milliards de francs à trouver. Qui va payer ? Ce seront une nouvelle fois les collectivités qui devront réaliser l'effort le plus important.
La séparation des compétences doit s'appliquer. Il faudrait éviter de donner le sentiment à l'échelon national d'avoir de bonnes idées alors que nous laissons les collectivités assumer seules sur le terrain les charges financières.
Au nom de la gratuité de l'enseignement, argument qui est souvent avancé et qui est un peu trop facile, des communes riches pourront facilement faire face à cette situation mais, pour les autres, soit la fiscalité locale sera de nouveau accrue, soit les élus devront rogner sur les crédits dont ils disposent pour exercer les compétences propres qu'ils se sont vu attribuer par la loi.
Si seul se posait le problème lié aux nouvelles technologies, il n'y aurait rien d'alarmant, mais ce chantage à la gratuité devient insupportable, car il est répétitif. L'Etat donneur de leçons énonce les principes et les collectivités locales passent à la caisse.
Prenons l'exemple de l'encadrement des sorties scolaires que j'ai déjà développé le mois dernier. Il faut absolument revenir sur les dispositions de la circulaire de septembre dernier.
Il est tout à fait inacceptable et irréaliste de demander qu'un enseignant qui veut emmener sa classe sur le terrain de sport situé à deux cents mètres de l'école soit accompagné d'un adulte, voire de deux s'il veut emmener ses élèves à la piscine où, de surcroît, il y aura des maîtres-nageurs. Il est tout aussi irréaliste de demander, lors de chaque sortie des élèves, qu'il soit procédé à un contrôle d'alcoolémie du chauffeur de l'autocar qui va les emmener, ou à une vérification de l'état des pneus. Mais jusqu'où irons-nous ? Et qui procèdera à tous ces contrôles ?
M. René-Pierre Signé. Pourquoi ne l'avez-vous pas demandé plus tôt ?
M. Philippe Richert. Il faudra être raisonnable et rester vigilant pour éviter que ne se reproduise des accidents tels que celui du Drac. Cependant, il n'est pas possible de tout encadrer ni de tout demander aux collectivités car, nécessairement, les enseignants qui ne disposent pas des moyens nécessaires s'adresseront aux communes et aux districts. Il serait souhaitable que, sur ce dossier aussi, vous puissiez faire machine arrière et clarifier la situation.
Prenons un exemple. Voilà quatre semaines, dans ma circonscription, trente-trois classes, soit huit cents élèves, se rendaient à la piscine.
M. Jean-Louis Carrère. Vous voulez dire dans votre département ?
M. Philippe Richert. Non, je parle de la circonscription scolaire, celle de l'inspecteur départemental de l'éducation nationale.
Une semaine après, vingt-cinq classes se rendaient à la piscine, puis seize classes. Aujourd'hui, elles ne sont que six.
Ce n'est pas un progrès, vous en conviendrez, madame le ministre. Il serait donc nécessaire de remettre l'ouvrage sur le métier pour voir comment il est possible d'améliorer la situation.
M. Jean-Louis Carrère. Il faut de l'argent !
M. Philippe Richert. S'agissant de la clarification des compétences entre l'Etat et les collectivités locales, il serait souhaitable que vous demandiez aux recteurs, aux inspecteurs d'académie et aux inspecteurs de l'éducation nationale d'arrêter ce chantage à l'engagement des collectivités. Il faut de nouveau instaurer le dialogue sans pour autant exercer des pressions sur les élus.
Dernier point, j'ai eu l'occasion, l'an dernier, avec ma collègue alors député Simone Régnault, de rédiger un rapport sur la parité entre les hommes et les femmes dans les livres scolaires. Sans entrer dans le détail des conclusions de ce rapport, je dirai simplement, madame le ministre, qu'il y a encore de réels progrès à accomplir en ce domaine.
M. Jean-Louis Carrère. Vous feriez mieux d'établir cette parité sur vos listes !
M. Pierre Fauchon. Nous n'avons pas besoin de vos leçons !
M. Philippe Richert. Parmi les propositions que nous avons émises, vous en appliquez une de façon exemplaire puisque vous avez féminisé le sommet de la hiérarchie de votre ministère. Voilà une excellente initiative !
Une autre proposition concerne la formation initiale et continue des enseignants afin de les sensibiliser à ce thème. Les enseignants devraient l'être dans les instituts universitaires de formation des maîtres et dans les MAFPEN, les missions académiques à la formation des personnels de l'éducation nationale. Dès lors, les éditeurs et les auteurs seraient d'autant plus attentifs qu'ils sauraient que les enseignants qui, en définitive, choisissent les livres, opèreront leurs choix en fonction de ce critère.
Madame le ministre, si ce sujet vous intéresse, je serais heureux de le développer davantage et, éventuellement, de vous présenter les propositions contenues dans notre rapport.
J'évoquerai, enfin, la filière professionnelle et technique. Il s'agit, à mon sens, d'un domaine essentiel qui appelle une évolution des mentalités dans notre pays. En Allemagne, celui qui travaille dans une entreprise ou dans le bâtiment et les travaux publics est autant estimé qu'un « col blanc ». En France, il arrive trop souvent que l'estime soit réservée à ceux qui ont poursuivi leurs études au moins cinq ans après le baccalauréat.
Il serait bon d'instaurer un système où les jeunes qui suivront une formation en alternance, qui seront employés dans les entreprises du bâtiment ou dans des ateliers de mécanique jouiront d'une estime équivalente à celle dont bénéficie celui qui poursuit des études générales.
Il serait utile que vous essayiez d'accompagner cet effort pour que, demain, notre pays dispose de jeunes formés dans des secteurs qui sont aujourd'hui déficitaires et dans lesquels ils pourraient s'épanouir.
Enfin, madame le ministre, le budget de 285,93 milliards de francs affecté à l'enseignement scolaire progresse de 3,15 % par rapport à l'année dernière. Cet effort est important.
Evidemment, comme je l'ai expliqué, un certain nombre de réformes engagées et de politiques lancées recueillent notre total soutien. En revanche, d'autres me paraissent néfastes car elles nous entraînent sur de fausses pistes.
C'est la raison pour laquelle, tout en restant ouverts à la discussion et à l'amélioration des orientations qui nous sont proposées, les membres du groupe de l'Union centriste et moi-même suivrons les rapporteurs de la commission des finances et de la commission des affaires culturelles. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Castaing.
M. Robert Castaing. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le budget de l'éducation nationale pour 1998 va dans le bon sens. Il affiche la nette volonté de donner à l'école de la République les moyens et l'ambition nécessaires à son action.
Je suis particulièrement sensible aux mesures qui sont prises dans le domaine de la solidarité et de l'égalité. Elles visent au refus d'un système éducatif à plusieurs vitesses. L'égalité des chances appliquée sur l'ensemble de notre territoire, pour coûteuse et exigeante qu'elle soit, contribuera à lutter contre les dangers de l'exclusion et des inégalités sociales.
Même les zones rurales sont devenues très fragiles ; elles assistent, impuissantes, à l'application couperet de la sacro-sainte notion de rentabilité, entraînant des suppressions de postes et des fermetures d'écoles, précipitant dans l'agonie des villages et, quelquefois, des bourgs ruraux.
Je voudrais insister sur trois points.
Premièrement, le moratoire en milieu rural est parfois mal perçu par ceux qui, en milieu urbain et dans les zones difficiles, se plaignent, à juste titre sans doute, des classes surchargées et du manque de moyens d'action. A ces maux, votre budget propose des solutions positives. Dans tous les cas, l'existence du moratoire nous permet d'envisager plus sereinement des mises en réseau et d'identifier les projets pédagogiques forts et concertés.
Les comités locaux d'éducation, dont vous envisagez l'extension pour préparer la rentrée 1998, me semblent opportuns et pertinents. Cela évitera le sentiment d'injustice et l'incompréhension que suscitent des décisions administratives lointaines. J'espère aussi que le maintien du moratoire associé aux comités locaux d'éducation ne servira pas in fine à faire accepter, au plus près, les décisions de fermeture de postes et d'écoles.
Mme Hélène Luc. Ah non ! C'est clair !
M. Robert Castaing. La réouverture de plus de 1 200 écoles, dans un contexte de baisse des effectifs, et une meilleure répartition des personnels confirmés à leurs postes nous démontrent, pour l'instant, le contraire.
Deuxièmement, les mesures de solidarité envers les familles et l'enfant ainsi que celles qui permettent la sociabilisation de l'enfant me semblent judicieuses. Dans ce domaine, il faut soutenir les dispositifs prévus en faveur de la lutte contre l'exclusion et la violence à l'école. Ce sont des mesures concrètes, assorties de personnels qui sont ou devront être formés à ces fins.
De même, le rétablissement de la morale civique doit être une préoccupation du long terme, du primaire au secondaire. Leur contenu et leur support auront été clairement définis, confiés à tous les enseignants en charge de leurs élèves, et pas aux seuls enseignants d'histoire et de géographie... Expérience vécue !
Il faut, par ailleurs, se féliciter du montant significatif de l'allocation de rentrée scolaire, des crédits inscrits au titre des mesures de justice sociale en faveur des familles ainsi que des fonds sociaux pour les cantines destinés aux élèves de milieux défavorisés.
J'espère que les diagnostics permettront d'identifier les publics concernés de manière efficace, car ces jeunes publics sont, hélas ! de plus en plus nombreux, y compris dans les milieux ruraux, que l'on croit généralement beaucoup plus protégés.
Troisièmement, j'en viens aux activités périscolaires et à l'aménagement des rythmes de vie. Nous savons l'importance que vous accordez à ces thèmes.
Les mesures, les fonctionnements et les partenariats futurs devront donner la priorité absolue à l'enfant, car ces moments dégagés sont aussi, pour lui, autant d'occasions d'enrichissement, de développement, de relations nouvelles, d'épanouissement et d'apprentissage de la vie.
Cependant, de plus en plus, les collectivités locales sont engagées sur ce terrain, puisque ce sont elles qui, généralement, soit financent directement le personnel nécessaire, soit subventionnent les associations qui accueillent les enfants, les transportent ou mettent à leur disposition les locaux nécessaires.
Par ailleurs, il me semble que la multiplicité des partenaires institutionnels ne facilite pas la lisibilité des compétences et du domaine d'intervention de chacun. De plus, un certain désengagement financier alourdit les budgets des collectivités locales. Il faut souligner que les expériences innovantes portant sur l'aménagement des rythmes de l'enfant et sur les activités périscolaires, parce qu'elles sont organisées à côté, ou à l'intérieur du corset rigide des contraintes administratives, représentent, pour les collectivités locales, des surcoûts dont je crains qu'ils ne contribuent à remettre en cause le droit égalitaire d'accès aux activités sur l'ensemble de notre territoire.
Vos mesures courageuses, dont le caractère clair et démocratique sert la qualité de notre système éducatif, ont toutes pour objectif de favoriser le projet de l'enfant, c'est-à-dire qu'elles donnent à chacun des chances égales de réussir. Elles nous rappellent aussi avec urgence que « l'école est le berceau de la République », et de la citoyenneté !
Ces réserves, madame la ministre, ne m'empêcheront pas d'approuver le projet de budget que vous nous proposez. (Bravo ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Joly.
M. Bernard Joly. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, alors que la France connaît un taux de renouvellement des générations assez faible, le devenir de la jeunesse devient une préoccupation obsessionnelle pour les responsabbles, quels qu'ils soient. Quelle place va-t-elle avoir dans le monde économique ? Comment va-t-elle s'insérer dans le système social ?
Chaque jour apporte sur le devant de l'actualité des événements traduisant le mal-être de cette classe d'âge. Leur localisation prête à penser que les zones suburbaines sont les seuls lieux où existe une déshérence manifeste. La violence de son expression occulte les signes émis ailleurs.
Les banlieues n'ont pas le monopole du désespoir. Toutefois, les conduites diffèrent lorsque le milieu d'appartenance se distingue encore.
Les zones rurales, malmenées tant par l'exode des années soixante-soixante-dix et la fascination des métropoles que par les mutations successives du secteur agricole, ont vu apparaître un quart-monde spécifique. Les collectivités locales en ont une connaissance précise par l'aide sociale et la scolarisation.
L'école est le premier lieu de socialisation de l'individu. Elle est le premier univers structuré pour certains qui connaissent pour seul environnement quotidien une famille monoparentale ou recomposée à géométrie variable, des ressources assurées par une batterie d'allocations diverses et un hébergement précaire. Quelle notion des normes ont-ils ? Savent-ils que la cellule familiale est une entité parents-enfants entretenant des liens économiques et sociaux avec les différents groupes qui composent la société ? Savent-ils que les relations sont régies par des règles ?
Au-delà de la transmission du savoir, l'école a un certain nombre de missions d'accompagnement à remplir si l'on veut que l'apprentissage des connaissances soit satisfaisant. Si l'enjeu est bien d'intégrer, et le mieux possible, les enfants, en particulier ceux qui sont en grande difficulté scolaire dans un environnement rural, il convient de s'interroger sur la démarche d'approche.
En Haute-Saône - je prends un exemple pour rendre plus concret mon propos - le taux de redoublement en sixième est de 9,27 % et il frôle les 17 % dans un collège du chef-lieu départemental. Il y a de quoi s'inquiéter ! Parallèlement, compte tenu de la baisse des effectifs, qui diminuent de 234 élèves, le département n'a bénéficié que d'un seul des 300 emplois d'enseignant des écoles créés à la rentrée pour rouvrir les classes. En fait, il aura donc rendu 15 postes au lieu des 16 initialement prévus.
Par ailleurs, toutes les ouvertures nécessaires n'ont pu être réalisées. On trouve encore des classes avec un nombre d'élèves supérieur à 28 et l'AIS, l'adaptation et l'intégration scolaires, faute de personnels qualifiés a perdu 5 postes.
La saisie purement quantitative de la situation conduit à l'énoncé suivant : le déficit de population génère une réserve de postes pour le redéploiement. La démarche qualitative que j'aimerais voir privilégier, madame le ministre, et bien sûr pas seulement pour mon département, constituerait à rééquilibrer les chances dès l'école primaire, là où il est encore temps de gommer les handicaps. Si tout se joue avant six ans, comme le prétendent des psychologues, c'est dès la maternelle qu'il faut agir avec une équipe pluridisciplinaire. Ce qui n'est pas traité à la base, s'amplifie. Ainsi est-on dans l'obligation d'avoir recours aux classes d'intégration scolaire qui supposent, en plus, une organisation et un financement de l'accueil périscolaire d'accompagnement.
A la place de la grille quotas - seuils -moyennes - écarts-types et autres, j'aimerais, madame le ministre, que, pour titrer le bénéfice de la diminution d'effectifs, les postes soient conservés et affectés à l'amélioration de la qualité de l'enseignement, mais aussi à l'insertion de l'adulte dans la société de demain.
En ce qui concerne les actions périscolaires indispensables, il ne me semble pas que les attentes en matière de prévention et d'assistance puisse être satisfaites.
Là encore, la situation de la Haute-Saône reflète l'instantané national. Dans votre budget, madame le ministre, on trouve, pour répondre à l'objectif, 300 emplois d'infirmier, 300 emplois d'assistante sociale et 120 équivalents temps plein de médecin. Rapportée à la réalité de mon département, la lecture en ce qui concerne la dernière catégorie d'intervenants est la suivante : 3 postes pour 48 648 élèves ; avec les 2,4 postes d'équivalents temps plein de médecin vacataire, cela revient à dire que chaque médecin a en charge 9 000 élèves ! Comment peuvent-ils remplir leurs missions, qui sont définies dans le cadre de la protection de l'enfance, de l'intégration des élèves porteurs de handicaps et de maladies chroniques et de la prévention des conduites à risques ?
Le médecin de l'éducation nationale a vu son rôle beaucoup évoluer. Il ne se limite plus à effectuer des examens médicaux mais doit, notamment, être en mesure d'évaluer les besoins de la population scolaire et de proposer des programmes adaptés prenant en compte les pathologies dominantes et les facteurs de risques prioritaires. L'efficacité de leur action repose sur leur capacité à travailler avec l'ensemble de la communauté scolaire, pour tenter d'apporter des solutions aux difficultés de plus en plus complexes présentées par les élèves.
La solution ne se trouve pas dans le recours à des vacataires, pas plus qu'à des médecins libéraux, qui n'ont pas la même formation initiale en santé publique, en éducation à la santé ainsi qu'en médecine de l'enfant et de l'adolescent que leurs confrères qui se sont spécialisés et sont recrutés sur concours pour ces compétences. Or, les candidats ne manquent pas. A la session de cette année, il y avait 450 inscrits pour 32 postes au concours externe sur épreuves !
Sachant que 40 % de l'activité médicale est assurée par des vacataires, je crains que l'on ne trouve une justification à la création des emplois-jeunes dans l'éducation nationale et que l'on ne se dispense de recruter en créant des postes là où les besoins existent. Pour ce secteur, ils sont clairement définis : 4 postes supplémentaires sont nécessaires en Haute-Saône.
Parce qu'elle n'est pas satisfaite, l'exigence d'aujourd'hui deviendra, demain, une urgence ingérable. L'équation exponentielle est en cours d'écriture. Comment allons-nous, madame le ministre, identifier l'exposant pour le maîtriser ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Vasselle.
M. Alain Vasselle. Madame le ministre, depuis sa prise de fonctions, M. Allègre nous a habitués à ses déclarations tonitruantes et provocatrices. L'opinion pensait que, de ses déclarations découleraient très rapidement des mesures concrètes confirmant votre volonté d'engager de véritables réformes structurelles. Si séduisant que soit le discours de M. Allègre, l'opinion reste sur sa faim. Sachez, madame le ministre, que celle-ci ne jugera votre gouvernement qu'aux actes !
Le projet de budget n'était-il pas la meilleure occasion de traduire dans les faits la volonté de réforme du Gouvernement ? Mais c'est en vain que j'y ai recherché l'esquisse d'une nouvelle orientation de la politique nationale en matière d'éducation.
Le projet de budget est, certes, en augmentation de 3,15 % par rapport à la loi de finances pour 1997, étant ainsi porté à près de 286 milliards de francs. A l'analyse, cependant, il s'avère qu'un peu plus de 2 % de l'augmentation est essentiellement consacré à l'effet mécanique de la revalorisation des salaires.
Il reste donc à peine 1 % réservé à des mesures nouvelles. Quelles sont-elles ? Il s'agit essentiellement de mesures d'ordre social telles que la lutte contre l'exclusion en milieu scolaire, les actions de prévention de la violence à l'école et, pour une faible part, comme l'ont confirmé de récentes déclarations, l'introduction des nouvelles technologies.
Si ces mesures contribuent à améliorer les conditions d'enseignement et de vie scolaire de nos enfants, il n'en reste pas moins que votre projet de budget ne révèle, à mon sens, aucune mesure significative engageant le ministère de l'éducation nationale dans une lutte sans merci contre les échecs scolaires. Ce phénomène est grandissant dans notre société et donc particulièrement préoccupant.
Il devrait, à mon sens, être au coeur de vos préoccupations. Il n'en est rien.
On prévoit une baisse des effectifs scolaires d'ici à 2006 estimée à 170 000 élèves pour la tranche d'âge des six à dix ans. Vous vous êtes contentés de satisfaire des besoins quantitatifs ! L'exemple de votre cabinet est très révélateur de ce qui se passe dans la fonction publique d'Etat. Les personnes attachées au cabinet de M. le ministre de l'éducation nationale ne sont pas moins de soixante et une, ce qui en fait l'un des cabinets de la République les plus pléthoriques.
M. Alain Gournac. Soixante et une ! Eh bien ! Voilà un mammouth à dégraisser !
M. Alain Vasselle. Cela n'est pas de nature à nous rassurer sur les économies d'échelle qui peuvent être recherchées au niveau des charges de gestion de ce ministère.
M. Jean-Louis Carrère. Et le cabinet de la Ville de Paris ?
M. Alain Vasselle. Il aurait été préférable de consacrer cet argent à des actions en faveur des publics scolaires.
Pendant ce temps, l'illettrisme continue de gagner du terrain au sein de la population scolaire. Quel avenir souhaitons-nous réserver à nos futures générations, tant aux enfants qui fréquentent aujourd'hui l'enseignement primaire qu'à ceux qui le fréquenteront demain ?
En effet, de nombreux experts estiment qu'environ 15 % des enfants entrant en sixième se trouvent en détresse profonde de lecture. Ainsi, 10 à 15 % de nos enfants empruntent le long couloir de l'illetrisme, qui, de la maternelle jusqu'en troisième, traverse l'école de la République. C'est donc un élève sur dix qui risque de se retrouver confronté à un échec scolaire majeur. Face à ce fléau qu'il convient de battre en brèche au même titre que la violence dans les écoles, que faites-vous, monsieur le ministre de l'éducation nationale ?
M. Jean-Louis Carrère. Et voilà ! c'est la faute de M. le ministre !
M. Alain Vasselle. L'objectif de la loi Jospin de 1989, auquel vous ne devez pas être étranger, n'était-il pas qu'aucun jeune ne sorte sans qualification du système éducatif ? Or les récentes études prospectives montrent que l'on s'en éloigne très largement.
Vous savez comme nous tous que c'est à l'école primaire que se joue la capacité du système éducatif à faire entrer nos enfants dans le processus d'apprentissage, afin de les rendre aptes à un maximum d'autonomie et de polyvalence. Cela passe, à mon sens, par un effort en direction de la formation des enseignants, par l'amélioration de la qualité des programmes, mais aussi par celle de la qualité des équipements pédagogiques et de l'environnement éducatif.
M. Jean-Louis Carrère. Que ne l'avez-vous dit à M. Bayrou !
M. Alain Vasselle. En agissant pour partie sur ces deux derniers points, M. Allègre et Mme Royal font oeuvre utile, je tiens à le dire ; mais quel sera l'avenir, dans cinq ans, de ces fameux emplois-jeunes recrutés à cet effet ? Quelles mesures prendrez-vous, madame le ministre, monsieur le ministre, pour assurer la pérennité du dispositif ?
M. Jean-Louis Carrère. Demandez au maire de Bordeaux ce qu'il en fera !
M. Alain Gournac. M. Carrère a toujours des références !
M. le président. Seul M. Vasselle a la parole, mes chers collègues !
M. Alain Vasselle. Concernant les nouvelles technologies, nos enseignants sont-ils prêts à les utiliser avec compétence ? Ont-ils ou recevront-ils pour ce faire la formation nécessaire ?
M. Alain Gournac. Pour l'instant, ils ne l'ont pas !
M. Alain Vasselle. Je mets en garde le Gouvernement : il ne faudrait pas que nous nous retrouvions, avec l'utilisation des technologies nouvelles que j'approuve des deux mains, dans la même situation que celle que nous avons connue avec le plan « Informatique pour tous » de M. Fabius, plan qui a été un véritable échec, tout au moins dans le système scolaire en milieu rural, ainsi que j'ai pu moi-même le constater sur le terrain, dans mon département.
M. René-Pierre Signé. C'est faux !
M. Alain Gournac. C'est vrai !
M. Alain Vasselle. C'est faux ? J'entends qu'on me le démontre !
La préoccupation majeure dans ce pays en matière d'éducation devrait être celle qui tend à mieux mettre en adéquation les besoins de formation de nos enfants et ceux de notre économie, qui ne cessent d'évoluer avec la mondialisation des échanges.
Les générations futures vont être appelées à exercer leur activité professionnelle bien au-delà des limites de notre hexagone.
M. Jean-Louis Carrère. La douce mélodie...
M. Alain Vasselle. De plus, dans un tel contexte d'ouverture sur l'étranger, la maîtrise d'une langue étrangère paraît de plus en plus indispensable pour préparer les jeunes à leur vie de citoyen européen. J'aimerais, sur ce point, connaître les véritables intentions du Gouvernement, notamment celles du ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie.
A ce sujet, monsieur le ministre, je crois savoir que, lors de l'université d'été du Parti socialiste du 30 août dernier, vous avez déclaré « qu'il ne fallait plus compter l'anglais parmi les langues étrangères ».
Quant à vous, madame le ministre, vous avez insisté à plusieurs reprises et à juste raison sur la nécessité de mener une action forte en la matière. Je partage votre point de vue. Mais je n'ai pas trouvé dans le projet de budget les mesures financières qui accompagnent ces belles déclarations. Je les cherche en vain ! Rien, a priori, ne semble présager un redéploiement des dépenses en vue du développement de ces enseignements, notamment d'une ouverture de l'enfant sur les langues vivantes étrangères.
Or, les expérimentations engagées par plusieurs écoles démontrent que l'enseignement précoce d'une langue étrangère se révèle très positif pour l'évolution scolaire de l'enfant, et ce non seulement quant à son apprentissage de futur citoyen européen, mais également quant à son assimilation et à sa maîtrise de la langue française.
Je vous engage madame le ministre, monsieur le ministre, à tirer profit pour nos jeunes des expériences en cours dans de nombreux départements français. De telles expériences sont organisées tant en milieu urbain qu'en milieu rural, dans le département de l'Oise, que je représente. Je peux citer l'expérience des école primaires du secteur scolaire de Froissy, auquel j'appartiens. En effet, depuis 1993, le secteur rural de Froissy, dont je suis le conseiller général, a été retenu au niveau académique dans le cadre de l'expérimentation de l'apprentissage précoce des langues étrangères aux élèves du primaire.
Deux postes d'enseignement ont ainsi été créés en CM1 et en CM2 : un temps plein pour l'anglais et un mi-temps pour l'allemand.
Après six années d'expérimentation, tous les acteurs locaux et les bénéficiaires de cet enseignement sont unanimes pour reconnaître les résultats positifs, d'autant que des améliorations ont été apportées au fil du temps. Nous pensons avoir réussi à atteindre un rythme qui pourrait être amplifié et devenir à terme le rythme de croisière des écoles primaires, à condition, bien entendu, que les moyens mis en oeuvre soient maintenus, voire renforcés.
Fort des excellents résultats obtenus sur le plan pédagogique dans l'enseignement tant primaire que secondaire, il me semblerait opportun d'aller aujourd'hui beaucoup plus loin en dépassant le stade de l'expérimentation et en s'inspirant notamment des heureuses expériences menées sur les vingt-deux sites bilingues paritaires France - Allemagne qui concernent soixante-douze classes et 1 700 élèves, en Alsace, situation que mon collègue Joseph Ostermann connaît bien. Dans ces écoles, les vingt-six heures d'enseignement par semaine sont partagées dès la maternelle entre treize heures d'enseignement en allemand, y compris l'enseignement de la langue allemande, et 13 heures d'enseignement en langue française. Cet enseignement, financé en partie par le contrat de plan Etat-région, est dispensé soit par le maître lui-même, s'il a des compétences en allemand, soit par des vacataires - titulaires d'une maîtrise d'allemand, conjoint de nationalité allemande d'une personne de nationalité française ou professeur d'allemand du second degré - soit par le système d'un échange de service entre instituteurs.
Les résultats sont excellents. Il est vrai que l'environnement de ces enfants y est particulièrement favorable, plus qu'en aucune autre région française.
Un enseignement sous cette forme ne devrait-il pas être étendu à tous les départements volontaires ? Si vous étiez prêts à mener cette expérimentation, le département de l'Oise pourrait se porter volontaire.
M. Alain Gournac. Celui des Yvelines aussi !
M. Alain Vasselle. Mais, dans le même temps, madame le ministre, monsieur le ministre, il me paraîtrait judicieux d'introduire dès à présent au plan national l'enseignement des langues étrangères dans le primaire, en commençant par une action de sensibilisation aux langues étrangères, qui devrait menée de la maternelle jusqu'au cours préparatoire. En CE 1 et en CE 2, cette action devrait se poursuivre par une initiation aux langues vivantes, qui déboucherait, dès le CM 1, vers un véritable enseignement précoce, prolongé en CM 2, comme cela se pratique dans des secteurs expérimentaux, à la plus grande satisfaction des enfants, des parents ainsi que des enseignants du primaire et du secondaire.
L'enseignement précoce des langues pourrait ainsi être généralisé à l'ensemble du territoire national. Ce faisant, nous préparerions nos enfants à l'Europe de demain et contribuerions à leur donner un maximum de chances pour leur avenir.
Pourtant, comme je l'ai souligné au début de mon propos, la véritable volonté du Gouvernement à agir sur la qualité des enseignements, tant pour combattre les désastres de l'illettrisme et des échecs scolaires que pour prédisposer les enfants à leur avenir européen, ne transparaît pas dans ce projet de budget.
Telles sont, madame le ministre, monsieur le ministre, les quelques remarques qu'appelle de ma part le projet de budget.
Votre responsabilité est grande pour l'avenir de nos enfants. Je vous invite à en faire bon usage, car c'est en partie la France de demain que vous avez entre vos mains.
Sachez donc tenir compte de l'avis de ceux qui, sans partager votre sensibilité politique, veulent faire oeuvre utile par la contribution qu'ils apportent à leur pays. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Alain Gournac. Et dégraissons le mammouth !
M. le président. La parole est à M. Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, madame le ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, à la suite de MM. Carrère et Castaing, et pour changer un peu de tonalité, je salue la politique éducative que vous préconisez et qu'illustrent les 3,15 % d'augmentation du budget de l'enseignement scolaire pour 1998. J'observe qu'après quatre budgets ayant suivi la baisse du nombre d'élèves inscrits, l'enseignement scolaire va bénéficier à nouveau d'une politique visant à l'égalité des chances entre les enfants, quelle que soit leur origine. La cohésion sociale commence par là.
Je me réjouis en particulier de l'effort de relance des 531 zones d'éducation prioritaires, mené par votre ministère : 17,6 millions de francs supplémentaires pour soutenir l'innovation pédagogique, mais aussi la scolarisation généralisée à deux ans, le retour de l'éducation civique, qui apprend à devenir libre en respectant les autres, la lutte résolue contre toutes les formes de violence, l'association plus étroite des familles, notamment des parents de milieu populaire, etc.
Au-delà de ce constat du retour des ZEP parmi les priorités de l'éducation nationale, je note avec satisfaction madame le ministre, votre voeu, que vous partagez avec M. Claude Allègre, de recentrer la mission de l'école dans les ZEP sur les apprentissages scolaires. Vous avez raison de refuser la dualité entre une école où l'on étudierait et une autre où l'on ne chercherait qu'à résoudre des problèmes sociaux.
Je me réjouis d'une politique scolaire refusant la fatalité des générations perdues ! Une étude britannique, rapportée ces jours-ci par le journal Le Monde, démontre les ravages, en ce domaine, de quinze ans de libéralisme sauvage au Royaume-Uni. C'est ainsi tout un pan de la jeunesse anglaise, de la génération émergente, qui se trouve menacé du chômage à vie, faute d'avoir pu acquérir les connaissances de base dans les domaines de la lecture, de l'écriture et du calcul. C'est peut-être à une forme moderne d'esclavage que ces futurs adultes doivent s'attendre, sans même parler des dangers mortels pour la paix sociale et la démocratie.
Pour être moins dramatique, la situation de notre pays se dégrade néanmoins rapidement. Détourner le regard de cette urgence reviendrait à détourner le regard de notre avenir. Ce que les équipes pédagogiques qui opèrent en ZEP feront avec l'appui de vos services et d'un budget renforcé est tout simplement vital pour l'avenir de notre société.
Redonner la priorité aux ZEP, comme vous le faites, c'est prendre acte des succès de cette démarche depuis seize ans, et donc bien considérer que les jeunes issus de familles en grande difficulté peuvent réussir et trouver leur place dans la société. C'est faire preuve d'ambition et d'exigence pour eux et envers eux, dans un cadre adapté qui leur offre, dès le plus jeune âge, les meilleures chances possible. Un rapport qui vous a été remis récemment rappelle, dans ses conclusions, à quel point l'origine sociale demeure déterminante dans la réussite scolaire des élèves. Concrètement, ces enfants souffrent souvent, du fait des problèmes de leurs parents, de retards multiples d'apprentissage et de socialisation. Beaucoup d'entre eux n'ont jamais vu leur père ni leur mère occuper un emploi.
Un certain nombre se voient adresser la parole pour la première fois en français le jour de leur première rentrée scolaire. Des carences affectives sont également observées. Comment en serait-il d'ailleurs autrement quand la misère écrase jusqu'à l'espoir de s'en sortir ?
Une scolarisation précoce, dès l'âge de deux ans, est le meilleur moyen de renforcer les chances de ces enfants. Chaque année passée à grandir sans école aggrave le retard des futurs élèves des ZEP. Malgré quelques critiques émises sur l'âge opportun d'admission à l'école maternelle, il serait bon, à mon avis, d'accroître le taux de scolarisation à deux ans dans ces zones.
En tant qu'élu d'une région rurale, j'applaudis enfin à la volonté de votre ministère d'articuler la relance des ZEP avec les actions d'aménagement du territoire. On ignore trop souvent que près de 5 % des élèves scolarisés dans les collèges publics ruraux relèvent d'une ZEP. Loin des cités où se concentrent de façon spectaculaire les problèmes économiques et culturels des enfants, nos zones rurales voient, elles aussi, s'accroître la pauvreté à un rythme inquiétant. Cette pauvreté est d'ailleurs parfois subie par des familles qui ont cru adoucir leur situation en quittant les villes pour les campagnes. Même si elle se manifeste différemment, la misère, y compris morale, qui en résulte n'est pas moins alarmante que celle que l'on observe à la périphérie de nos villes. En tout état de cause, le handicap est comparable pour les enfants.
Pour conclure, je veux vous dire la reconnaissance de nombre d'élus locaux en zone rurale quant à la mise en place prochaine des comités locaux d'éducation.
On peut espérer que cette concertation des différents partenaires qui font vivre l'école permettra de mieux prendre en compte les réalités locales dans le choix de conserver ou de fermer ces classes. Comme dans le cas des ZEP, priorité sera donnée aux projets éducatifs et pédagogiques élaborés sur le terrain même de leur application. Le groupe socialiste, madame le ministre, monsieur le ministre, approuve évidemment l'esprit citoyen de cette réforme. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Martin.
M. Pierre Martin. Monsieur le ministre, votre fonction à la tête de ce grand ministère de l'éducation nationale fait que votre rôle n'est pas aisé, j'en conviens !
Vous avez la charge de réunir les conditions qui conduisent nos jeunes à la réussite scolaire, celle-ci repose sur un certain nombre de paramètres et n'est donc pas systématique.
Il est difficile d'ignorer les différences, les facultés respectives des enfants, leur courage, leur volonté.
Le rôle des parents et de la famille est primordial.
Si les conditions matérielles demeurent un élément concourant à cette réussite, le maître demeure, lui, le chef d'orchestre : sa personnalité, sa pédagogie, l'ambiance qu'il créera dans sa classe sont autant de facteurs déterminants pour un bon déroulement de la scolarité.
L'énoncé de ces critères démontre que les moyens financiers ne constituent pas à eux seuls le gage de réussite pour offrir un enseignement moderne et de qualité.
Vous êtres un ministre chanceux, puisque vous pouvez vous flatter - votre majorité le répète largement - d'avoir le premier budget parmi tous les budgets civils et militaires !
Les sommes consacrées par l'Etat à l'enseignement scolaire représenteront, en 1998, 18 % de son budget, soit une augmentation brute dépassant les 8,7 milliards de francs.
Un bon ministre, par définition gestionnaire, est-il forcément un ministre dépensier, dans une institution où l'exemple doit servir de référence ?
Cette rupture avec la tendance précédente, dont votre majorité s'enorgueillit, peut-elle vous assurer de réussir là où beaucoup d'autres à votre place ont vainement tenté de le faire ?
Récusons l'argument selon lequel un fonctionnement toujours plus efficient de l'éducation nationale doit nécessairement se traduire par des postes et des crédits supplémentaires.
Au-delà de considérations arithmétiques, dont je concède volontiers qu'il est nécessaire de les apprécier, mon expérience professionnelle, encore toute proche, me rappelle que, dans une classe, les résultats ne peuvent s'obtenir que dans la mesure où une certaine discipline est instaurée.
L'éducation civique et la morale, abondonnée depuis 1969, doivent être traitées avec à propos, dans une société où le respect de l'autre est un acte naturel. Elles doivent revenir au rang des priorités scolaires - vous en avez parlé et je vous en félicite - mais avec des limites bien fixées.
Mais de quels moyens disposent aujourd'hui les enseignants, monsieur le ministre, pour faire respecter cette discipline ?
Comment leur parler de morale si, dans ce qu'ils peuvent voir à l'école, dans la rue, à la télévision, à la maison, nos enfants n'ont plus l'occasion de découvrir les images, reflet des beaux messages qu'on a bien voulu leur faire passer ? Si les mots sont nécessaires, l'exemple est indispensable.
Le comportement des enfants reflète malheureusement l'évolution de notre société qui se traduit, il faut le dire, par un manque de courage, une discipline de plus en plus mal acceptée et la considération de l'autre oubliée.
Comment, sans arrêt, imaginer des devoirs pour les autres alors que, pour soi-même, on ne retient que les droits ?
L'enfant, naturellement juste, est très sensible à la vérité et à la sincérité, mais il sait aussi rapidement découvrir et s'adapter au vice.
Eviter que l'école constitue le premier piège de l'exclusion et de la fracture sociale, réussir une école citoyenne, ouverte sur la cité et le monde moderne, telle est, je pense, notre mission, mes chers collègues !
La plupart des ministres du Gouvernement que vous représentez ici se font les farouches partisans du partage du travail, des richesses ; mais où parle-t-on du partage de l'effort ?
Le moment n'est-il pas venu de recréer les conditions d'un service où seule la qualité serait l'objectif premier en matière scolaire ?
Cette adaptation qualitative du système éducatif suppose la prise en compte de l'évolution démographique, de l'espace territoire, de l'intercommunalité et de la volonté.
A cet égard, doit-on se féliciter d'avoir ouvert ou réouvert des classes, dont la fermeture est programmée à terme en raison de la seule baisse des effectifs ? A-t-on voulu marquer une nouvelle différence et asseoir la popularité politique de récents élus ?
En zone rurale, l'organisation d'unités à taille humaine, comprenant par exemple cinq classes élémentaires et une maternelle, n'est-elle pas préférable au maintien de classes éparses n'offrant pas, faute de moyens, un accès aux nouvelles technologies comme outil pédagogique à des élèves lassés et fatigués d'emprunter trop longuement les transports scolaires dans le cadre de regroupements pédagogiques diffus ?
Les moyens humains et financiers dégagés ne devraient-ils pas converger vers ces structures pour adapter notre enseignement aux besoins de cette fin de siècle ?
Cette rationalisation des moyens permettrait d'offrir plus en dépensant moins, donc mieux grâce aux économies d'échelle. Elle susciterait aussi une autre motivation des jeunes et un véritable esprit d'équipe parmi les enseignants.
Par ailleurs, est-il raisonnable de voir des classes composées de quatre à dix enfants en milieu rural, alors que d'autres en milieu urbain en regroupent de vingt-cinq à trente, de situations et de cultures très diverses ? J'exclus, bien entendu, vous le comprendrez, les cas spécifiques relatifs aux particularités géographiques.
Il est temps, je crois, de se pencher courageusement sur le moratoire, peut-être utile dans un premier temps pour mieux réfléchir au problème de la baisse des effectifs, mais sûrement obsolète au-delà d'une période de deux ans, et qui n'est pas, à terme, de nature à enrayer la désertification rurale.
Pour ces situations particulières, il apparaît de plus en plus nécessaire de confier la responsabilité des décisions aux partenaires de base : enseignants, parents, élus, représentants de l'inspection académique.
Enfin, vous avez pensé que les emplois-jeunes pourraient offrir une solution pour apporter un accompagnement valorisant pour l'enseignement. Pourquoi pas ? Je redoute, néanmoins, l'apparition d'écoles à deux vitesses : celles qui grâce à leur projet, accompagnées d'une volonté communale, feront vivre le périscolaire et les autres, pour lesquelles aucun accompagnement n'existera.
Laissez-moi vous montrer, monsieur le ministre, que vous créez de plus une injustice parmi les emplois-jeunes.
En effet, exerçant dans une école primaire, ces personnes effectuent actuellement vingt-sept heures de service par semaine si la commune n'a pas d'autres activités à leur proposer. Dans le même temps, je rappelle qu'un salarié du secteur privé travaille 227 jours par an, soit 1 816 heures, tandis qu'un enseignant cumule 936 heures dans l'année.
Cela m'amène à vous préciser que les contrats conclus par l'éducation nationale dans le cadre du plan emplois-jeunes ne porteront, en réalité, que sur vingt heures de service par semaine, réparties sur toute l'année civile. Sur cette base, le salaire perçu sera équivalent à 10 800 francs par mois, et non au SMIC. J'apprécierais de connaître votre sentiment sur le sujet, monsieur le ministre.
Enfin, comme cela a été dit tout à l'heure, au terme des cinq ans, après qu'ils auront, je l'espère, rendu de bons et loyaux services à l'éducation nationale, comment pourrez-vous ne pas accorder à ces jeunes le même avantage que celui qui a été octroyé aux maîtres auxiliaires à la rentrée de 1997 ? Le précédent a été créé.
En conclusion, je dirai que l'éducation nationale, cette lourde machine, doit inciter à la conjugaison de nos efforts, afin d'offrir à notre jeunesse la possibilité de s'intégrer dans la société.
Pour ce faire, libérez les partenaires, monsieur le ministre, laissez-les réfléchir ensemble ! Faites en sorte que parents, enseignants, élus et représentants des académies puissent gagner le pari de la réussite scolaire, dans l'intérêt de l'enfant, dans l'intérêt du pays ! (Très bien ! et applaudissement sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Sérusclat.
M. Franck Sérusclat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, je ne dispose que de quelques minutes pour évoquer un sujet que je considère comme fondamental, pour lequel vous avez déjà dressé la toile de fond, monsieur le ministre : le rôle et la place de l'ordinateur à l'école.
Je ne crois pas que l'ordinateur sera demain le seul outil qui sera utilisé à l'école. En revanche, je suis persuadé qu'il faut que chaque élève ait son ordinateur dans son cartable électronique, comme l'a imaginé et suggéré tout récemment le président de l'Assemblée nationale, M. Laurent Fabius.
Il faut effectivement faire en sorte que chaque élève ait sur son bureau, outre son matériel ordinaire - livres, crayons, cahiers... - un ordinateur, qu'il utilisera non pas au gré de ses fantaisies, mais en fonction des cours ou des devoirs méritant d'être demain traités sur ordinateur.
M. Alain Vasselle. Il faut augmenter les crédits !
M. Franck Sérusclat. Cette novation, que vous appelez de vos voeux, est particulièrement importante. Mais le délai de mise à disposition d'un ordinateur à chaque élève risque d'être long.
Or, l'école républicaine, que nous voulons, et que, je le sais, vous voulez également, doit être égalitaire, et on ne peut pas attendre trois, quatre, voire cinq ans avant que toutes les écoles de France disposent des mêmes moyens d'enseignement et de communication, surtout quand ceux-ci sont déterminants pour l'avenir professionnel des enfants.
Mais il est une autre urgence : la formation des professeurs d'école à l'informatique. Or ils y sont tout juste sensibilisés dans les IUFM.
Il faut, me semble-t-il, dispenser une culture informatique et non pas simplement former des techniciens de l'ordinateur et des informaticiens. Il y a des cultures grammaticales, des cultures syntaxiques, qui ne font pas pour autant des enseignants des grammairiens ou des personnes qui rédigent des documents ou des livres sur le sujet.
L'importance de la matière est telle qu'il faut vraiment, et très rapidement, mettre en place un corps d'enseignants disposant de cette culture informatique.
Ensuite, une attention toute particulière doit être portée aux logiciels et à leur conception à la française.
Même si l'anglais - vous avez eu raison de le dire, monsieur le ministre - devient de plus en plus nécessaire dans le monde d'aujourd'hui, le français doit conserver sa place, toute sa place. Je suis sûr que c'est votre souhait. Pour cela, il faut insister particulièrement sur la conception même de l'ordinateur, afin de parer certaines initiatives, telles celle de Microsoft, qui fait irruption en inondant les écoles de ses logiciels, offerts certes, mais qui nécessitent des machines pour l'utilisation et la maîtrise desquelles il faut d'abord apprendre l'anglais.
Je me permettrai une suggestion : vous avez imaginé de mettre 10 millions de francs dans les nouveaux projets qui pourraient prendre corps. Suffisamment de projets sont aujourd'hui relativement aboutis, depuis trois, quatre ou cinq ans, qui mériteraient, selon moi, d'être aidés. Ne pourrions-nous pas envisager une conférence nationale chargée d'analyser ces projets ? Personnellement, je suis prêt à participer à cette opération, si le ministère la prenait effectivement en charge.
Je crois que nous devons bien prendre en compte le rôle de l'ordinateur dans la conservation de la culture de l'écrit. Mais, en même temps, obligation nous est faite d'observer l'évolution de la culture de l'image et d'apprendre à analyser l'image, comme on a appris à analyser le livre.
Il y a aujourd'hui une ouverture importante, que nous vous devons, monsieur, madame les ministres, et je voulais insister sur quelques-uns des aspects déterminants pour l'avenir de cette première initiative.
C'est peut-être simplement pour les raisons que je viens d'évoquer que le plan « Informatique pour tous » n'a pas eu l'effet que nous en attendions, à savoir redonner à l'école toute sa responsabilité et son rôle essentiel de lieu où l'on vient découvrir les moyens d'accéder à la culture et au savoir.
En conclusion, je dirai que si je suis persuadé de l'intérêt des réseaux Intranet, plus encore que du réseau Internet, pour la formation, je suis également convaincu qu'il faut savoir utiliser le Net, pour éviter les chausse-trappes. Je crains que le Net ne soit perçu comme un mirage, comme un mythe, et que l'on n'oublie l'enseignement en amont, qui seul permettra d'utiliser intelligemment cet outil.
Je suis sûr que vous souhaitez atteindre l'objectif que je viens de décrire et que nous y arriverons ensemble. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen et du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous indique que M. Allègre va intervenir maintenant et que nous entendrons Mme Royal cet après-midi, après les questions d'actualité au Gouvernement et la discussion d'un projet de loi.
La parole est à M. le ministre.
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, pour introduire la réponse du Gouvernement aux interrogations que vous avez formulées, je voudrais vous faire part de quelques considérations d'ordre général.
Je vous expliquerai d'abord la méthode que nous avons choisie.
Contrairement à une habitude qui s'est instaurée dans ce pays, nous considérons que l'éducation nationale ne relève pas seulement du dialogue entre le ministère et les représentants des enseignants, mais qu'elle concerne l'ensemble du pays.
Depuis le début, nous nous sommes donc efforcés de nous adresser, d'abord et en priorité, à l'ensemble du pays, en particulier à la représentation nationale, mais aussi aux différents corps constitués que sont les confédérations syndicales, le patronat et les diverses associations. Nous n'avons pas pour autant négligé les représentants des enseignants, ainsi replacés dans un contexte plus général.
Je vous rappelle, mesdames, messieurs, que nous sommes le seul pays du monde - cela mérite réflexion - qui ait inscrit dans une loi que l'enfant était au centre du système éducatif. Cela signifie quelque chose !
Or, le système éducatif, pour lequel nous avons réalisé des investissements considérables depuis un certain nombre d'années me semble paradoxal à deux titres.
Premièrement, il est de plus en plus sélectif, alors que, naturellement, le mot « sélection » est banni. La France est le seul pays du monde où l'on met des notes dès la sortie de l'école maternelle et où, en cours préparatoire, on fait faire des exercices de mathématiques dès le premier jour !
Le système est de plus en plus sélectif, disais-je. Il s'agit d'une sélection rampante, qui décourage les enfants des milieux modestes. Sachez en effet que, depuis trente ans, l'inégalité a crû et qu'il y a aujourd'hui, à l'Ecole polytechnique, moins d'élèves issus des milieux modestes qu'il n'y en avait voilà vingt ans, non seulement en proportion, mais également en valeur absolue. Autrement dit, on a fabriqué un système qui est de plus en plus injuste.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Et avec de plus en plus d'argent !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Deuxième paradoxe : bien que les enseignants de base soient, pour la grande majorité d'entre eux, de très bonne qualité, dévoués, et fassent leur travail, le système fonctionne mal. La responsabilité n'en incombe pas aux enseignants, c'est le système qui est en cause, un système centralisé, trop rigide et qui, petit à petit, a perdu un certain nombre de ses repères républicains.
Un orateur a dit que nous avions ouvert de multiples chantiers. Non ! nous n'avons pas ouvert de multiples chantiers. La preuve en est que certains m'ont reproché de ne pas avoir parlé de la formation professionnelle, de la technologie, de n'avoir pas préparé un plan général pour la recherche. Si je vous avais écouté, mesdames, messieurs, j'aurais ouvert 1 200 chantiers supplémentaires, tant il est vrai que ce ministère touche à de multiples secteurs !
En fait, nous avons concentré nos propositions sur deux axes.
Tout d'abord, nous avons souhaité assurer la rentrée, qui, de l'avis de tous, a été l'une des meilleures de ces dernières années. Nous n'en avons pas le mérite exclusif, mais nous avons pris un certain nombre de mesures. Nous avons notamment repris des maîtres auxiliaires - j'y reviendrai - rouvert des classes qui étaient fermées, prévu une allocation pour les cantines scolaires.
Ensuite, nous avons centré notre action sur le rétablissement de l'école républicaine.
En prenant des mesures touchant au problème, marginal et pourtant spectaculaire, de la pédophilie, en prenant des mesures touchant au problème, marginal et pourtant spectaculaire du bizutage, en nous engageant dans la voie du rétablissement de la morale civique à l'école - ma collègue Ségolène Royal a fait une communication sur ce thème, hier, en conseil des ministres, et, pour ma part, je n'ai pas peur de parler de morale - en faisant en sorte que la formation des enseignants - formation continue légitime - ne se fasse pas au détriment des élèves, nous oeuvrons en faveur du rétablissement de l'école républicaine.
Il en va de même lorsque nous élaborons un plan contre la violence, parce qu'il n'est pas possible de dispenser un enseignement dans un établissement où ni les professeurs ni les élèves ne sont respectés et où ils subissent des violences.
Il ne s'agit donc pas de multiples initiatives, il s'agit toujours de la même : le rétablissement de l'école républicaine.
Mme Luc a dit qu'il fallait rendre heureux chaque jeune.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Pour ma part, je considère que l'école devrait apprendre aux enfants le plaisir du travail et la joie de vivre. Je ne veux oublier ni l'un ni l'autre.
Il est essentiel de réapprendre le plaisir du travail. Il n'y a ni progrès, ni succès sans travail.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Pour moi, le travail est le complément de la joie !
J'évoquerai maintenant trois thèmes.
Je commencerai, paradoxalement, par vous parler des non-enseignants, dont on ne parle jamais.
Mme Hélène Luc. Oh si !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Madame Luc, lorsque je tiens une conférence de presse spécialement pour expliquer le plan consacré aux non-enseignants et pour annoncer les conclusions de la table ronde que nous avons organisée à leur sujet, pas un seul de mes propos n'est repris dans les journaux. Le sujet n'est pas noble !
Mme Hélène Luc. C'est exact !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Nous avons organisé une table ronde pour discuter de la revalorisation des agents administratifs, techniciens, ouvriers et de services, les personnels ATOS, qui sont des éléments essentiels à la marche de nos établissements et qui sont en nombre insuffisant.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Nous avons réuni une table ronde pour parler de la médecine scolaire, des infirmières, des assistantes sociales, de ceux qui assument les tâches administratives dans nos établissements.
Je parlerai ensuite des maîtres auxiliaires.
Lorsque nous sommes arrivés, ils étaient dans la rue, derrière des banderoles ! Nous n'avons pas compris la logique qui avait présidé à la décision de mettre brutalement à la porte des personnels qui, pour certains, avaient travaillé douze ans, et ce alors même qu'ils n'avaient jamais été inspectés, ce qui est tout de même assez extraordinaire.
Il nous a donc paru essentiel, pour des raisons humanitaires, de reprendre ces enseignants qui avaient servi l'éducation nationale, dans des conditions parfois acrobatiques ; nous avons voulu y voir clair et organiser pour eux des concours de recrutement.
Je n'ai pas cédé aux slogans exigeant l'intégration systématique des maîtres auxiliaires ! Pour entrer dans la fonction publique - c'est la loi ! - il faut passer un concours. Nous avons donc mis sur pied des concours, qui ont été annoncés au Journal officiel et qui tiendront compte de l'expérience professionnelle.
Ce problème sera réglé dans la rigueur, la dignité et le respect des individus.
J'en viens au troisième thème : les emplois-jeunes.
Ces emplois-jeunes font l'objet d'une expérimentation. Au moment où je vous parle, des membres de mon cabinet vont, par groupe de trois, voir ce qui se passe dans le pays, sur le terrain. Ils élaboreront une synthèse à la fin de la semaine prochaine.
Ces emplois-jeunes changent déjà bien des choses dans les relations au sein des établissements.
Les bénéficiaires de ces emplois ont comme vertu essentielle d'être jeunes, et il n'est pas question de les titulariser. Ce serait la fin de l'expérience !
L'objet de cette expérience, c'est d'intégrer un flux de jeunes dans l'équipe éducative, des jeunes qui seront encadrés par les enseignants. Ils aideront les enseignants, ils seront formés par les enseignants et ils participeront à l'éducation.
La question de l'emploi du temps de ces jeunes a été évoquée, et, à cet égard, le calcul fait par M. Pierre Martin est à cet égard intéressant.
Nous voulons que l'emploi du temps de ces jeunes soit calculé sur la base de trente-cinq heures - trente-neuf heures pour l'instant - le temps de formation étant inclus. Sachez toutefois que la formation continue de ces jeunes n'est pas encore en place ; elle le sera au 1er janvier 1998.
J'ajoute que ces jeunes ne sont pas destinés à rester forcément dans l'éducation nationale, ils s'orienteront, par exemple, vers les métiers de l'animation culturelle.
Comme je l'ai dit, ces jeunes ont une qualité spécifique : leur âge ! Ils sont sensibilisés au monde moderne, notamment aux nouvelles technologies, et ils viendront soutenir l'action éducative.
J'en viens à notre action structurelle.
Elle porte d'abord sur la déconcentration. Nous prenons notre temps, pour des raisons diverses, mais nous progressons.
Elle porte ensuite sur la simplification de la structure de l'administration centrale. Actuellement, mesdames, messieurs les sénateurs celle-ci n'est pas lisible. Elle le sera désormais, et pour vous tous.
L'administration s'articulera à l'avenir autour de quatre directions fonctionnelles et de quatre directions opérationnelles. Et j'ajoute que, alors que, dans la structure actuelle, il y a dix-neuf directions et pas une seule femme à leur tête, dans un milieu où les femmes représentent 60 % des effectifs, il y aura dans la nouvelle structure moitié de femmes et moitié d'hommes, ce qui sera une révolution dans cette administration ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Que M. Carrère se rassure, dans cette réforme de l'administration, la technologie ne sera pas oubliée !
On a parlé du « zéro défaut ». Oui ! Et une table ronde travaille actuellement ce thème, que je résume ainsi : pas de classe sans enseignant, pas d'enseignant sans classe.
A ce propos, je ne comprends pas pourquoi on laisse les remplaçants chez eux, à côte d'un téléphone, alors que tant de classes ont besoin d'un enseignant. Pourquoi ne les envoie-t-on pas dans les quartiers difficiles à deux enseignants par classe quand il n'y a pas de remplacement ? Ils contribueraient ainsi à résoudre des difficultés.
Les moyens auxquels je pense sont aussi simples que celui-là ! Je n'ai pas inventé le fil à couper le beurre ! Je ne comprends pas pourquoi cela ne se fait pas depuis de nombreuses années !
Voilà quel est notre objectif, et nous avons de bonnes raisons de penser que nous réussirons.
J'en viens à une discussion de fond que nous amorçons - nous sommes là au coeur du projet, la chair en quelque sorte - que faut-il enseigner et comment l'enseigner ?
S'agissant de la façon d'enseigner, on a parlé des nouvelles technologies.
Je rassure M. Sérusclat : nous allons tenir compte de toutes les expériences, et celles qui marchent bien ne seront pas arrêtées.
Si je suis sensible, comme vous, monsieur le sénateur, à l'égalité républicaine, je suis aussi conscient de la difficulté qu'il y a à former les gens et à intégrer ces nouvelles technologies. C'est pourquoi nous privilégions non pas le matériel, mais la formation des hommes et la pédagogie.
Les efforts financiers, en particulier du Gouvernement, porteront donc principalement sur cette formation, que ce soit la formation initiale, avec, par exemple, la mise à disposition de jeunes docteurs dans les IUFM pour former les enseignants, ou des stages de formation continue. Il faut introduire peu à peu ces nouvelles technologies, mais en pensant « technologie ».
Il faut, en même temps - nous allons l'annoncer - donner des facilités aux enseignants afin qu'ils puissent créer soit des entreprises, pour ceux qui sont entreprenants, soit des coopératives, pour ceux qui ont une autre philosophie, soit des associations périscolaires, soit des groupes capables de fabriquer des logiciels destinés à l'enseignement.
A propos de l'anglais, Mme Ségolène Royal fera le point sur l'apprentissage des langues à l'école primaire. Pour ma part, je voudrais revenir sur ce que j'ai dit devant votre commission, à savoir que l'anglais n'est plus une langue étrangère. Sur ce point, j'ai été entendu par M. Maurice Schumann notamment.
Je voulais dire que connaître l'anglais, savoir utiliser l'ordinateur ou Internet, ce doit être, demain, pour tout le monde, comme savoir lire, écrire et compter. Certes, ce ne sera ni l'anglais de Shakespeare ni celui d'Oxford ! Ce sera un baragouin qui permettra de communiquer (Rires), mais - certains me le reprochent déjà - qui met en péril la langue anglaise !
M. Alain Lambert, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Cela semble vous faire de la peine ! (Sourires.)
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Certains pensent que cette stratégie vise à défendre le français en détruisant la langue anglaise.
M. Henri de Raincourt. Très bien !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. Elle me permet surtout de rendre obligatoire l'enseignement de deux langues vivantes, hors l'anglais, dans le secondaire, et donc de demander à mes homologues russe, anglais et allemand, de faire du français une langue obligatoire dans l'enseignement secondaire de leur pays. Quand je dis que l'anglais n'est plus une langue étrangère, c'est donc pour défendre l'enseignement du français partout dans le monde. (Très bien ! sur plusieurs travées.)
C'est la seule méthode efficace, car, chaque fois que les langues française et anglaise sont en concurrence, il faut bien reconnaître que c'est toujours la seconde qui l'emporte !
S'agissant de l'enseignement professionnel, si nous ne sommes pas loquaces, c'est parce que le problème est délicat. Toutefois, nous y travaillons, et nous aurons l'occasion d'en reparler l'an prochain, peut-être même devant les commissions.
Pourquoi ce problème est-il délicat ? Parce qu'il y a des mots tabous, des rentes de situation - et pas forcément à l'éducation nationale - parce qu'il y a de l'argent dans des officines plus ou moins contrôlées. Il est donc nécessaire que nous ayons préalablement un dialogue approfondi avec les grands groupes industriels, le patronat, les confédérations syndicales,...
M. Pierre Laffitte. Les régions !
M. Claude Allègre, ministre de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie. ... les régions, oui, les différentes professions, les enseignants des lycées professionnels, les proviseurs, les enseignants des lycées techniques, cela afin de déboucher sur un consensus nous permettant d'avancer dans ce domaine. Si nous sommes discrets sur ce sujet, c'est qu'il nécessite de la discrétion !
Le dernier point concerne le colloque sur les lycées.
Je vous indique tout de suite que nous n'en sommes pas, pour l'instant, à une réforme des lycées. Mais il est vrai que tout le monde se plaint des programmes démentiels, du stress des élèves et de la déstructuration.
Le colloque que nous lançons se fera, dans un premier taux, établissement par établissement et, bien sûr, avec la participation de tous - élèves, parents d'élèves, enseignants - puis avec niveaux académique et national.
Parallèlement, des débats disciplinaires seront engagés, avec, bien sûr, monsieur Laffitte, la participation, au sein du comité d'organisation, présidé par Edgar Morin, de représentants des entreprises, de directeurs des ressources humaines, etc.
Le processus sera très lent parce que nous touchons là à des problèmes très délicats. Mais nous ne cherchons pas à aller vite ; ce que nous voulons, c'est lancer très tôt le débat, sinon personne ne croirait plus à notre volonté de faire évoluer les choses.
Voilà ce que je voulais vous dire. Mme Royal reviendra plus en détail cet après-midi sur nos intentions.
Croyez bien, mesdames, messieurs les sénateurs, que nous avons la volonté de rénover un système éducatif qui est - c'est un autre paradoxe - l'un des meilleurs du monde.
Mais est-il l'un des meilleurs ou l'un des moins mauvais ? C'est la question que je me pose lorsque j'observe ce qui se passe aujourd'hui dans les universités allemandes, que je connais bien, et qui sont dans un état bien plus dramatique que les nôtres, ou lorsque j'entends ce qui se dit, aux Etats-unis, sur l'enseignement secondaire, qui est dans un état de délabrement considérable et dont le seul mérite est de ne pas envoyer des enfants fatigués à l'université - c'est une vertu qu'il ne faut pas négliger ! - alors que, nous, nous amenons à l'université des enfants fatigués. Je suis bien conscient de ce problème.
Notre ambition - peut être est-ce une ambition exagérée ? - est, pour la France, pays de grande culture, de grande tradition et où les enseignants sont bien formés, de faire du système éducatif non pas l'un des meilleurs, mais le meilleur du monde. Nous en avons les moyens. Toutefois, nous n'y parviendrons pas en limitant la discussion aux cercles de spécialistes. C'est la nation tout entière qui doit se mobiliser pour faire de notre système éducatif le meilleur du monde. Et c'est ce à quoi nous nous employons.
Lorsque je vois que l'on parle de nouveau de l'éducation dans les journaux, même si c'est pour critiquer tel ou tel propos du ministre, je me réjouis, car cela prouve que l'éducation redevient un thème essentiel du débat politique dans ce pays. Ce n'est que justice : nous jouons là l'avenir de la France ! (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du RDSE, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures, avec les questions d'actualité au Gouvernement.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures quarante, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. René Monory.)