M. le président. La parole est à M. Amoudry.
M. Jean-Paul Amoudry. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
Je voudrais me faire l'interprète de nombreux maires et responsables de petites et moyennes entreprises aujourd'hui confrontés à l'application de normes qui apparaissent et se renouvellent à un rythme toujours plus soutenu.
Dans les domaines les plus divers, les élus locaux reçoivent des injonctions les mettant dans l'obligation d'exécuter ces normes, dont ils doivent trop souvent déplorer l'instabilité et le coût exorbitant. A peine une collectivité s'est-elle conformée à une règle, qu'apparaît une nouvelle norme ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.) Quant aux investissements rendus nécessaires par cette évolution, c'est peu dire qu'ils sont considérables.
Permettez-moi d'illustrer mon propos par quelques exemples.
On évoque aujourd'hui l'adoption prochaine d'une directive qui réduirait la teneur en plomb de l'eau potable. Le coût de mise en oeuvre pour la France de cette seule mesure est approximativement estimé à 120 milliards de francs, dont 90 % pour le remplacement des canalisations privatives.
Autre exemple, l'entrée en vigueur, en juin dernier, du décret du 18 décembre 1996, relatif aux normes de sécurité applicables aux aires de jeux pour enfants (Exclamations sur certaines travées du RPR), est lourd de conséquences financières pour les communes.
Ainsi, le montant des investissements nécessaires pour respecter les prescriptions de ce texte, qui prévoit en particulier la mise en place immédiate de signalétiques spécifiques sur l'ensemble des installations de jeux, amène nombre d'élus à envisager de retirer les équipements concernés par cette réglementation.
A l'heure actuelle, les maires attendent avec inquiétude la parution d'un décret devant définir de nouvelles normes en matière de restauration scolaire ; ils craignent, en raison des investissements que nécessitera cette réglementation, d'être conduits à fermer leurs cantines municipales et à faire appel à des sociétés spécialisées.
J'ajouterai quelques exemples issus du secteur privé.
Les responsables de petites et moyennes entreprises industrielles et artisanales, engagés dans des programmes de mise aux normes, constatent parfois qu'entre le début des travaux et la mise en exploitation des équipements la réglementation a changé.
Je citerai un autre exemple dans le domaine agricole. Les exploitants agricoles, dont l'activité repose, par exemple, sur des productions fermières, doivent souvent, après deux décennies d'investissements réalisés pour améliorer la qualité alimentaire de leurs produits, se soumettre encore à de nouvelles normes. On observe que chaque semestre - ce sera encore le cas le 1er janvier prochain - voit arriver son lot de coûteuses exigences.
Loin de moi, monsieur le Premier ministre, l'idée de remettre en question les impératifs de sécurité en matière tant d'alimentaire que d'activités collectives : la sécurité doit demeurer, pour les collectivités comme pour les entreprises, la priorité. Loin de moi aussi l'idée que nos entreprises ne seraient pas aptes à assumer les nécessaires mutations que leur impose l'évolution de notre société.
Mais est-il possible, est-il même réaliste de chercher à atteindre en toute chose le « risque zéro » ? Sommes-nous bien conscients que nous risquons pour cela non seulement de faire disparaître des richesses de nos terroirs, mais aussi et surtout de mettre en péril nombre d'entreprises qui constituent, pour notre pays, le plus précieux et et plus irremplaçable tissu économique ?
Sommes-nous, enfin, conscients que nombre de nos collectivités vont se trouver dans l'impossibilité de faire face à tant et tant de contraintes ?
L'heure n'est-elle donc pas venue, pour le Gouvernement, d'appréhender globalement cette question et de se livrer à une évaluation préalable de ce vaste processus normatif ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le sénateur, vous avez soulevé un vaste problème que tous les élus locaux et nombre de professionnels connaissent. Les normes européennes élaborées par le Comité européen de normalisation visent à permettre une harmonisation des normes nationales sur le territoire de l'Union européenne et doivent être reprises en France par l'Association française de normalisation, l'AFNOR. En outre, d'autres normes peuvent être fixées par des directives de la Commission européenne ou du Conseil.
L'application des normes n'est pas toujours obligatoire. En principe, celles du Comité européen de normalisation ne le sont pas. C'est dans des cas particuliers que des normes peuvent être rendues obligatoires par les autorités publiques afin de garantir notamment la sécurité, à laquelle vous n'êtes pas insensible, avez-vous dit, monsieur le sénateur, lors de l'utilisation de certains équipements, que l'utilisateur soit public ou privé.
Ainsi, je le rappelle, deux décrets ont été pris en 1996, sur l'initiative des pouvoirs publics, dans le secteur des équipements sportifs et des aires collectives de jeux, auxquelles vous avez fait allusion, monsieur le sénateur, afin d'assurer la sécurité des jeunes utilisateurs. Ces réglementations nouvelles concernent directement les collectivités locales et leur imposent un certain nombre d'obligations qui peuvent paraître, dans un premier temps, assez lourdes sur le plan financier. Vous avez également cité l'exemple d'une directive européenne récente tendant à obliger le remplacement de certaines canalisations, le montant des travaux ayant été estimé à 120 milliards de francs sur quinze ans.
M. Christian Bonnet. Comme le Crédit Lyonnais !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Vous avez cité aussi la directive sur les fromages au lait cru, qui s'applique à des entreprises agricoles et artisanales. On pourrait citer encore la directive sur lesabattoirs, etc.
Toutes ces réglementations, il faut bien le constater, ont pour objet de formaliser des exigences de sécurité ou d'entretien régulier qui incombent à tout responsable ou organisme mettant des équipements à la disposition du public.
En réalité, vous avez dit être sensible aux exigences de sécurité. Vous vous êtes demandé si l'on pouvait poursuivre l'objectif du « risque zéro ». Donc, vous avez conclu implicitement qu'il convenait de trouver un juste chemin.
Je tiens à vous dire que ces textes permettent tout de même d'éviter un certain nombre d'accidents causés par le défaut d'entretien dont la responsabilité est, vous le savez, toujours imputée par les tribunaux au propriétaire de l'équipement.
Lors de l'élaboration des textes pris dans le cadre de l'article L. 221-3 du code de la consommation, à savoir des décrets en Conseil d'Etat fixant des exigences de sécurité, les pouvoirs publics consultent toujours largement les parties intéressées, notamment les associations d'élus concernées. Par ailleurs, pour l'élaboration des normes françaises, l'AFNOR fait également appel à toutes les parties concernées pour constituer des commissions de normalisation.
Un certain nombre de responsables de services travaillant sur les équipements d'aires de jeux, les équipements sportifs ou les équipements dits de proximité participent actuellement à ces commissions.
Cette consultation est-elle satisfaisante ? On peut se poser la question. Les associations d'élus peuvent prendre contact avec l'AFNOR pour solliciter une participation plus active aux différentes commissions de normalisation qui les concernent. L'Etat a signé en 1996 un contrat d'objectifs avec l'AFNOR, qui prévoit en particulier la recherche de l'amélioration de la participation des collectivités locales au processus normatif.
Reste que tout cela coûte cher, vous l'avez dit, monsieur le sénateur, et, sur ces travées, nombreux sont ceux qui en sont parfaitement conscients.
C'est pourquoi j'ai décidé de confier à l'inspection générale de l'administration, en liaison avec la direction générale des collectivités locales, une mission en vue d'un recensement et d'une évaluation des contraintes qu'impose aux collectivités locales la mise en oeuvre des normes. Ces travaux, qui débuteront prochainement, seront bien évidemment conduits avec les associations d'élus locaux.
M. le Premier ministre a chargé Mme Voynet, ministre de l'aménagement du territoire et de l'environnement, et moi-même de procéder à une étude sur les problèmes posés par l'application de la législation et des normes en matière de politique de l'eau.
Tous ces coûts supplémentaires, souvent élevés, peuvent être allégés, dans une certaine mesure, par la mise en place de subventions nationales : mise en sécurité des écoles, élimination de l'amiante dans les établissements scolaires notamment. Cependant, M. le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ne me contredira pas, ces subventions ne peuvent être généralisées. (Sourires sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) Les marges financières de l'Etat sont réduites.
MM. Jean Chérioux et Charles Descours. Celles des collectivités locales aussi !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. La multiplication des subventions spécifiques se heurterait au principe de la globalisation des subventions et de la dotation globale d'équipement.
Il est donc nécessaire d'arriver à trois choses.
Tout d'abord, il faut une évaluation globale des conséquences des normes nouvelles ; comme je l'ai montré, nous nous y attachons. Ensuite, il faut peut-être une plus grande vigilance des pouvoirs publics quant aux normes qui sont décidées à Bruxelles. Je tiens d'ailleurs à souligner que les assemblées, qui sont consultées par le canal des délégations compétentes, peuvent également se manifester. Enfin, il faut respecter une saine progressivité dans l'application de ces normes, de façon non seulement à les rendre compatibles avec la pression fiscale, mais également à tenir compte d'autres priorités, telles que l'investissement nécessaire des collectivités locales dans le domaine de l'emploi. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)

ARRÊT DE SUPER PHÉNIX ET POLITIQUE ÉNERGÉTIQUE