JUGEMENT DES ACTES DE TERRORISME

Adoption des conclusions du rapport d'une commission

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 72, 1997-1998) de M. Guy Allouche, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sur la proposition de loi (n° 56, 1997-1998) de M. Jacques Larché, tendant à faciliter le jugement des actes de terrorisme.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Guy Allouche, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, je me trouve rapporteur au nom de la commission des lois un peu par accident. En effet, c'est mon ami Michel Dreyfus-Schmidt qui aurait dû être à ma place ; mais, indisponible pendant quelques jours, il m'a demandé de le suppléer, ce que je fais avec plaisir.
Mes chers collègues, la proposition de loi déposée par M. Jacques Larché vise à apporter une solution simple à un problème pratique, celui de méga-procès soumis aux tribunaux parisiens.
Quel est ce problème ? Quelle solution suggère M. Jacques Larché ? Que propose la commission ? Telles sont les trois questions auxquelles je voudrais répondre rapidement.
S'agissant du problème, tout d'abord, il tient - je l'ai dit et écrit - à l'existence de ce que l'on pourrait appeler les « méga-procès ».
En effet, tout particulièrement en matière de terrorisme, un procès peut conduire à mettre en présence des centaines de personnes : des victimes, fréquemment nombreuses en raison de la réitération des attentats, des accusés ou des prévenus, souvent en nombre important puisque le terrorisme est une véritable entreprise qui relève de la criminalité organisée, et des forces de l'ordre, généralement nombreuses en raison des menaces d'attentats à l'occasion de tels procès, ou, tout simplement, pour escorter les accusés.
Or, le palais de justice de Paris ne dispose pas d'une salle d'audience permettant de recevoir des centaines de personnes dans de bonnes conditions de sécurité.
On pourrait certes imaginer d'aménager ce bâtiment afin de remédier à cet inconvénient. Mais ce serait une mesure onéreuse qui se heurterait, en tout état de cause, au classement du palais de justice de Paris comme monument historique.
On pourrait également imaginer de tenir une audience foraine dans un grand bâtiment tel que Bercy ou le Parc des Princes. Mais imagine-t-on que ces locaux soient occupés pendant des mois, puisqu'il s'agit, par hypothèse, de longs procès ?
On pourrait également imaginer un renvoi à une autre juridiction, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice. Mais cela aurait pour conséquence de dessaisir les magistrats parisiens et serait donc contradictoire avec le souci de centraliser les procès terroristes à Paris.
Il convient donc de chercher une solution plus satisfaisante.
La solution proposée par M. Larché tend à permettre au président de la cour d'appel de Paris de décider, à titre exceptionnel, que l'audience de la juridiction de jugement - tribunal correctionnel, cour d'assises ou cour d'appel - se tiendra dans un autre lieu du ressort de la cour d'appel et non au palais de justice de Paris.
Il s'agit donc d'un dépaysement ; mais, à la différence de ce qui existe aujourd'hui, celui-ci concerne non seulement l'affaire elle-même, mais aussi la juridiction. Ainsi, les magistrats parisiens seraient appelés à juger un procès hors de la capitale et donc à se déplacer.
La décision de délocalisation prendrait la forme d'une ordonnance prise sur les réquisitions du procureur général après avis des chefs des juridictions intéressées. Elle constituerait une simple mesure d'organisation judiciaire et ne serait donc pas susceptible de recours.
Quelles sont donc les conclusions de la commission ?
La commission des lois a approuvé ce dispositif qui présente les avantages de la simplicité, du moindre coût et du respect de notre patrimoine culturel.
Elle lui a cependant apporté deux modifications qui ne remettent d'ailleurs aucunement en cause l'architecture générale du texte initial de M. Larché.
La première d'entre elles consiste à prévoir que la délocalisation sera prononcée après avis du bâtonnier afin que le premier président de la cour d'appel soit pleinement informé des conséquences que sa décision pourrait avoir pour l'organisation de la défense ; par « défense », nous entendons viser non seulement les personnes poursuivies, mais aussi les victimes.
La seconde modification a pour objet de bien marquer le caractère exceptionnel de la délocalisation.
A cette fin, nous avons précisé que celle-ci ne pourrait intervenir que pour des motifs de sécurité.
Je précise que cette notion de sécurité doit être entendue dans son acception large : il s'agit non seulement de la sécurité de l'ordre public, mais aussi de la sécurité matérielle des participants. Ainsi, la délocalisation sera possible si le palais de justice de Paris ne dispose tout simplement pas d'une salle ayant une capacité suffisante pour accueillir tous les participants sans risque d'accident.
Voilà, monsieur le président, madame le garde des sceaux, mes chers collègues, brièvement présenté, le dispositif que la commission des lois vous propose d'adopter. (Applaudissements. )
M. le président. La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à remercier M. Jacques Larché d'avoir déposé cette proposition de loi tendant à faciliter le jugement des crimes et des délits en matière de terrorisme.
En effet, cette proposition de loi répond à un impérieux besoin de la juridiction parisienne, qui va bientôt se trouver confrontée à une difficulté d'ordre pratique considérable, puisqu'elle sera matériellement hors d'état de juger un certain nombre d'affaires en matière de terrorisme, en raison du nombre important de prévenus ou d'accusés.
Il en sera notamment ainsi pour une affaire correctionnelle d'association de malfaiteurs de nature terroriste qui devrait passer en jugement dans quelques mois et qui nécessitera la comparution d'un nombre important de personnes, prévenus, victimes, témoins, experts, sans compter les escortes et le personnel de sécurité.
La tenue de tels procès soulève d'importantes difficultés tant pour trouver des salles d'audiences susceptibles d'accueillir un nombre aussi élevé de personnes que pour garantir la sécurité de ces dernières.
On aurait pu se poser la question de savoir s'il fallait vraiment aménager des locaux spéciaux et si tous les prévenus devaient comparaître ensemble. Mais il résulte de l'analyse du Parquet et des juges d'instruction que le procès en cause fait un tout et qu'il importe de le traiter comme tel.
Les études réalisées ont permis de montrer que l'organisation de tels procès nécessite des locaux d'une superficie au moins égale à 1 000 mètres carrés. Le palais de justice de Paris ne comporte pas de salles aussi vastes et il ne peut être transformé, compte tenu du fait qu'il est classé monument historique.
Face à ces difficultés pratiques, l'arsenal juridique existant n'est d'aucun secours. En effet, le code de l'organisation judiciaire permet bien la tenue d'audiences foraines - vous y avez fait allusion, monsieur le rapporteur - mais à l'intérieur du ressort géographique de la juridiction parisienne. Or, si le ministère de la justice dispose précisément de locaux qui permettraient la tenue de ces grands procès, ces locaux sont situés en dehors du ressort du tribunal de grande instance de Paris.
Il faut donc adopter un nouveau texte de loi pour régler ce problème. C'est la raison pour laquelle je suis totalement favorable aux dispositions proposées qui, dans les affaires de terrorisme, permettront au premier président de la cour d'appel de Paris de faire siéger, à titre exceptionnel, la cour d'assises et le tribunal correctionnel en dehors des limites de la ville de Paris ; mais dans les limites du ressort de la cour d'appel de Paris, et ce afin de respecter la compétence territoriale du premier président.
Cette proposition de loi a été sensiblement améliorée sur l'initiative de M. Dreyfus-Schmidt, initialement désigné comme rapporteur de ce texte, et de M. Allouche, qui a repris cette fonction en raison de l'hospitalisation de M. Dreyfus-Schmidt.
Je voudrais remercier l'un et l'autre pour leur travail. J'ajoute que je suis heureuse de constater queM. Dreyfus-Schmidt, aujourd'hui rétabli, siège à nouveau dans votre assemblée.
La première amélioration apportée par la commission consiste à préciser que la délocalisation du procès ne pourra être décidée qu'après avoir pris l'avis du bâtonnier de l'ordre des avocats de Paris, ce qui me paraît être, au regard des droits de la défense, une excellente précision.
La seconde amélioration vise à indiquer que cette délocalisation interviendra pour des « motifs de sécurité », ce qui précise très clairement les objectifs de la réforme.
Je vous demande donc, mesdames, messieurs les sénateurs, d'adopter cette proposition de loi dans la version qui vous est proposée par la commission des lois.
Qu'il s'agisse d'une proposition de loi émanant du Sénat marque, à mes yeux, le sentiment d'unanimité qui nous anime face au fléau du terrorisme. Nous envoyons ainsi un message empreint de détermination à la représentation nationale, et le gouvernement y est sensible. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
« Article unique. - Il est inséré, après l'article 706-17 du code de procédure pénale, un article 706-17-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-17-1. - Pour le jugement des délits et des crimes entrant dans le champ d'application de l'article 706-16, le premier président de la cour d'appel de Paris peut, sur les réquisitions du procureur général, après avis des chefs de tribunaux de grande instance intéressés, du bâtonnier de Paris et, le cas échéant, du président de la cour d'assises de Paris, décider que l'audience du tribunal correctionnel, de la chambre des appels correctionnels de Paris ou de la cour d'assises de Paris se tiendra, à titre exceptionnel et pour des motifs de sécurité, dans tout autre lieu du ressort de la cour d'appel que celui où ces juridictions tiennent habituellement leurs audiences.
« L'ordonnance prise en application du précédent alinéa est portée à la connaissance des tribunaux intéressés par les soins du procureur général. Elle constitue une mesure d'administration judiciaire qui n'est pas susceptible de recours. »
Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi n° 56 (1997-1998).

(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. René Monory.)