M. le président. « Art. 32 bis . _ L'article L. 348-1 du code de la santé publique est ainsi rédigé :
« Art. L. 348-1 . _ Il ne peut être mis fin à l'hospitalisation d'office intervenue en application de l'article L. 348 que sur l'avis conforme d'une commission composée de deux médecins dont un psychiatre n'appartenant pas à l'établissement et d'un magistrat désigné par le premier président de la cour d'appel dans le ressort de laquelle l'établissement est situé.
« Cette commission entend l'intéressé ou son représentant, assisté, s'il le souhaite, d'un avocat, ainsi que le médecin traitant.
« Elle fait procéder à toutes expertises qu'elle juge nécessaires.
« Ses délibérations sont secrètes.
« Les dispositions des alinéas précédents sont applicables aux personnes reconnues pénalement non responsables en application de l'article 64 du code pénal dans sa rédaction antérieure aux lois n°s 92-683 à 92-686 du 22 juillet 1992.
« En cas de partage des voix, la voix du magistrat est prépondérante. »
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 71 est présenté par M. Bimbenet, au nom de la commission des affaires sociales.
L'amendement n° 134 est déposé par M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés.
Tous deux tendent à supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur pour avis, pour défendre l'amendement n° 71.
M. Jacques Bimbenet, rapporteur pour avis. Cet amendement porte sur un sujet délicat : celui de la levée de la décision d'hospitalisation d'office lorsqu'elle concerne une personne déclarée irresponsable de ses actes après avoir commis une infraction.
En prévoyant que la décision de sortie dépendrait non plus de la décision conforme de deux psychiatres, mais de l'avis conforme d'une commission composée de deux médecins, dont un psychiatre, et d'un magistrat, cet article 32 bis soulève un problème au regard de la responsabilité du corps médical.
Il introduit la décision d'un magistrat dans la sortie du malade alors même que la justice avait rendu un non-lieu dans l'affaire qui le concernait et qu'elle s'était en quelque sorte dessaisie du prévenu pour le confier au secteur psychiatrique.
Face aux médecins qui sont dans la commission, le magistrat pourra faire valoir non pas un point de vue psychiatrique, mais des éléments tenant au passé judiciaire du prévenu qui a été relâché. En d'autres termes, la sortie du malade sera conditionnée non pas par son état de santé, mais par son dossier judiciaire.
Un malade qui serait considéré comme guéri pourrait donc rester en hospitalisation d'office en raison de la gravité des faits qui lui sont reprochés. L'hôpital psychiatrique devient alors un lieu de réclusion déguisé. Il y a là une confusion entre les missions de l'hôpital et celles de la prison.
Cet article soulève donc un problème de fond, alors qu'il ne concerne pas majoritairement des délinquants sexuels.
La procédure d'hospitalisation d'office, révisée par une loi du 27 juin 1990, comprend les hospitalisations sans consentement, à la demande d'un tiers, et les hospitalisations d'office pour troubles à l'ordre public, au titre desquelles sont internés les malades déclarés pénalement irresponsables.
Chaque année, 50 000 hospitalisations d'office sont prononcées ; 200 concernent des personnes déclarées irresponsables pénalement par la justice ; entre 10 % et 15 % de ces personnes seraient des délinquants sexuels.
Il est certainement possible d'améliorer la procédure d'hospitalisation d'office, mais faisons-le en toute connaissance de cause. Il faudrait disposer des statistiques sur le nombre de sorties et les cas de récidive. Un rapport d'évaluation a été réalisé, semble-t-il, sous l'égide de l'inspection générale des affaires sociales. Il serait souhaitable que le Parlement puisse en prendre connaissance.
Avec l'amendement de suppression que nous présentons, la commission des affaires sociales ne prétend pas que la question des internés d'office irresponsables pénalement ne peut pas être améliorée, mais elle veut éviter, à tout le moins, la création d'une procédure qui présenterait plus d'inconvénients que d'avantages et qui n'est sans doute pas à sa place dans ce projet de loi.
En tout cas, nous souhaitons vivement, madame le garde des sceaux, que le Parlement soit destinataire du rapport d'évaluation de Mme Hélène Strohl, afin qu'une réflexion globale puisse s'engager sur les hospitalisations d'office.
M. le président. La parole est M. Dreyfus-Schmidt, pour défendre l'amendement n° 134.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je ne m'étendrai pas sur cette question, d'abord parce qu'elle vient d'être parfaitement traitée par M. Bimbenet, au nom de la commission des affaires sociales, ensuite parce que j'en ai déjà parlé dans la discussion générale.
J'ai été assez épouvanté par l'article 32 bis , tel qu'il nous est parvenu de l'Assemblée nationale.
Pendant très longtemps, les auteurs d'infractions déclarés irresponsables étaient le plus souvent placés en asile, comme on disait à l'époque. Si le médecin de l'établissement considérait que l'intéressé n'était plus dangereux, ni pour lui-même ni pour autrui, il le libérait de son propre chef, sans aucun contrôle.
A l'occasion de la réforme du code pénal, lorsque nous avons reformulé le vieil article 64 relatif à l'irresponsabilité, nous avons, dans le même temps et sur notre initiative - pourquoi ne pas le dire ? - prévu dans le code de la santé publique que les intéressés ne pourraient être remis en liberté qu'après un examen séparé et concordant de deux médecins n'appartenant pas à l'établissement et choisis par le préfet sur une liste arrêtée par le procureur de la République après consultation de la direction départementale des affaires sociales. Nous avons là tout de même des garanties qui n'existaient pas auparavant et qui sont solides !
Qui peut savoir si quelqu'un qui a été dangereux, qui a commis un crime ou un délit, mais qui était irresponsable, n'est plus dangereux ? Seuls des médecins peuvent le dire. Certes, un magistrat intervient : le procureur de la République, qui arrête la liste de façon que l'on soit sûr d'avoir affaire à des médecins fiables et sérieux. Mais de là à inclure dans une commission un psychiatre, un médecin qui n'est pas psychiatre et un magistrat, et à ajouter que le magistrat a voix prépondérante alors qu'il n'a aucune qualité pour juger si un individu qui était un malade mental est encore dangereux ou non, ce n'est pas raisonnable !
Comme je l'ai dit dans mon intervention liminaire, on risquerait de voir le psychiatre partisan de ne pas libérer la personne en question, car elle est encore dangereuse, mis en minorité parce que le médecin qui ne serait pas psychiatre s'abstiendrait et que le magistrat déciderait, lui, de libérer l'intéressé. Ce serait tout de même un comble ! Et pourtant, ce serait possible si l'on maintenait le texte de l'article en l'état. Je le répète, les précautions maximales ont été prises voilà peu de temps. Peut-être pourrait-on nous rendre compte de l'application des dispositions de l'article L. 348-1 du code de la santé publique avant de nous proposer un autre système qui n'est pas pertinent dans la mesure où, la justice étant dessaisie, il n'y a plus aucune raison qu'un magistrat soit appelé à porter un diagnostic en matière de malades mentaux.
M. le président. Quel est l'avis de la commission sur les amendements n°s 71 et 134 ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. La commission s'en remet aux explications très pertinentes et très complètes qu'a fournies M. Bimbenet.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur ces deux amendements ?
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. L'article 32 bis a été adopté à l'Assemblée nationale avec mon accord et - je tiens à le souligner - avec celui de M. Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, qui est d'ailleurs intervenu dans le débat.
Il n'est pas illogique de prévoir une procédure particulière en matière de sortie des personnes auteurs d'une infraction mais déclarées pénalement irresponsables et ayant fait l'objet d'un internement d'office en raison de leur dangerosité.
Lorsque l'auteur d'une infraction grave, notamment d'un crime, bénéficie des dispositions prévues dans l'article 122-1 du code pénal et est déclaré irresponsable, on a parfois l'impression que la justice joue les Ponce Pilate et s'en lave les mains.
C'est pourquoi, répondant à une légitime préoccupation manifestée par de nombreux députés, dont MM. Mazeaud et Douste-Blazy, l'Assemblée nationale a adopté un texte aux termes duquel une commission composée d'un magistrat et de deux psychiatres donne son avis sur la fin de l'hospitalisation d'office d'une personne.
C'est d'ailleurs une commission similaire qui statue lorsqu'une personne conteste la nécessité de son internement ; il s'agit de la commission départementale des hospitalisations psychiatriques, prévue par l'article L. 332-3 du code de la santé publique et qui est « chargée d'examiner la situation des personnes hospitalisées en raison de troubles mentaux au regard du respect des libertés individuelles et de la dignité des personnes ». Cette commission comprend un magistrat, deux psychiatres et un représentant des familles des personnes atteintes de troubles mentaux.
Il a ainsi paru cohérent qu'une commission juridico-médicale intervienne à la fois au début ou au cours de l'internement, et à l'issue de celui-ci.
Quant au rôle du magistrat au sein de la commission instituée par le nouvel article L. 348-1 du code de la santé publique, il est de rappeler au psychiatre que la question de la libération de l'auteur d'une infraction grave comporte, au-delà de son aspect médical, une dimension d'ordre public.
En tout état de cause, le représentant de l'autorité judiciaire était minoritaire au sein de cette commission et ne pouvait donc empêcher la cessation de l'internement si les deux psychiatres estimaient qu'elle était possible.
Il demeure qu'il s'agit là d'une question très complexe. Il est vrai qu'une évaluation de la loi du 27 juin 1990 vient d'avoir lieu, comme vous l'avez souligné, monsieur le rapporteur pour avis ; elle devrait avoir pour conséquence un projet de réforme sur lequel travaille actuellement le ministère de la santé.
Dans ces conditions, il serait sans doute opportun que l'éventuelle modification des dispositions de l'actuel article L. 348-1 intervienne dans le cadre de cette réforme d'ensemble.
C'est pourquoi je m'en remets à la sagesse du Sénat sur les amendements n°s 71 et 134.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 71 et 134.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Pour éclairer complètement le débat, je voudrais tout de même dire que, en matière d'internement et de mise en liberté, ce sont surtout les tribunaux qui interviennent ; c'est l'autorité judiciaire, gardienne des libertés, qui peut être saisie de la demande d'un malade mental qui conteste son internement et demande à sortir. Que fera alors le président du tribunal saisi en référé ?
Il désignera, bien évidemment, un ou plusieurs experts, et c'est en fonction de l'avis de ceux-ci qu'il prendra sa décision.
Dans le cas présent, la situation est différente : ce n'est pas un malade qui demande à être libéré, ce sont les médecins qui constatent que l'intéressé n'est plus dangereux. On ne va donc pas le garder en permanence en détention !
Au demeurant, je comprends que l'on estime nécessaire que le maire du lieu où ont été commis les faits soit prévenu, de manière que la famille de la victime puisse l'être à son tour, car il est vrai que la mise en liberté de l'auteur de l'infraction peut éventuellement surprendre la famille de la victime ou la victime elle-même.
Pour le reste, il paraît logique que quelqu'un qui était malade et qui a commis un crime ou un délit sous l'empire de la maladie soit mis en liberté dès lors qu'il est guéri et que deux psychiatres ont constaté qu'il n'est plus dangereux, ni pour lui-même ni pour autrui.
En outre, permettez-moi de vous faire observer, madame la ministre, que vous avez commis une petite erreur. En effet, vous nous avez dit que le magistrat est en minorité au sein de la commission. C'est vrai, mais les deux autres membres de celle-ci ne sont pas deux psychiatres. Dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, il s'agit curieusement d'un psychiatre et d'un autre médecin. On ne comprend d'ailleurs pas pourquoi il n'y aurait pas, en effet, deux psychiatres.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques n°s 71 et 134, acceptés par la commission et pour lesquel le Gouvernement s'en remet à la sagesse du Sénat.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, l'article 32 bis est supprimé.

Article additionnel après l'article 32 bis