M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 45 est présenté par M. Jolibois, au nom de la commission des lois.
L'amendement n° 104 est déposé par MM. Pagès, Dérian, Duffour et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Tous deux tendent à insérer, après le texte proposé par l'article 19 pour l'article 706-48 du code de procédure pénale, un article 706-48-1 ainsi rédigé :
« Art. 706-48-1. - Le mineur victime de l'une des infractions mentionnées à l'article 706-48 doit être assisté d'un avocat.
« A défaut de choix d'un avocat par le mineur ou son représentant légal, le procureur de la République ou le juge d'instruction fait désigner par le bâtonnier un avocat d'office. »
La parole est à M. le rapporteur, pour défendre l'amendement n° 45.
M. Charles Jolibois, rapporteur. Cet amendement est l'une des innovations de la commission, à laquelle elle est d'ailleurs très attachée.
Le 15 octobre dernier, à la suite des auditions de magistrats pour enfants auxquelles nous avons procédé, il nous a paru nécessaire de prévoir que le mineur victime de l'une des infractions mentionnées à l'article 706-48 du code de procédure pénale, c'est-à-dire l'ensemble des infractions de nature sexuelle, doit être assisté d'un avocat. A défaut du choix d'un avocat par le mineur ou son représentant légal, le procureur de la République ou le juge d'instruction fait désigner, par le bâtonnier, un avocat d'office.
M. le président. La parole est à M. Pagès, pour défendre l'amendement n° 104.
M. Robert Pagès. Il s'agit d'inscrire dans la loi qu'un enfant victime d'une infraction sexuelle sera toujours assisté d'un avocat dès le début de l'enquête. Cela nous semble extrêmement important.
Le mineur, lorsqu'il est délinquant, étant assisté d'un conseil, il ne serait pas normal que, lorsqu'il est victime, il n'en bénéficie pas. C'est pourquoi nous nous félicitons que la commission soutienne cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 45 et 104.
Mme Elisabeth Guigou, garde des sceaux. Je vais exposer les raisons pour lesquelles je suis réservée sur ces deux amendements, qui prévoient l'intervention systématique d'un avocat auprès des mineurs victimes dès le stade de l'enquête.
D'un point de vue pratique, cette disposition, si elle était adoptée, poserait d'importants problèmes. Le mineur victime doit être assisté par un avocat, précisent ces amendements, mais à partir de quand ? L'absence d'un avocat doit-elle interdire l'audition du mineur ? Devra-t-on, sous peine de nullité de la procédure, attendre que l'avocat soit désigné par le bâtonnier à la demande du procureur de la République et qu'il se présente pour pouvoir commencer l'audition d'un mineur, alors même que les conditions de cette audition - présence d'un psychologue, de matériel audiovisuel - seraient déjà remplies ? C'est une première série d'interrogations.
De plus, d'un point de vue théorique, qui dit avocat dit défense. Or, il n'y a pas de défense tant que la victime n'est pas partie au procès, tant qu'elle ne se constitue pas partie civile. Le projet de loi prévoit toutes les mesures utiles, notamment la désignation d'un administrateur ad hoc, pour permettre justement cette constitution de partie civile sans délai et la désignation immédiate, mais dès lors que la victime est partie civile, d'un avocat. Je ne crois pas, à cet égard, que l'on puisse faire un parallèle avec l'avocat du mineur en garde à vue, puisque là nous sommes dans la défense proprement dite.
Enfin, s'agissant de l'efficacité de la réforme, est-il utile que le mineur soit sans délai mis en présence de multiples intervenants, qui souhaitent tous agir dans son intérêt ? En effet, je rappelle que le projet de loi prévoit une présence effective de l'administrateur ad hoc, l'intervention d'un psychologue, l'examen médical du mineur, la présence possible d'un éducateur ou d'un proche et l'avocat, bien entendu, qui doit intervenir dans son rôle de défenseur.
Par conséquent, je crains que le fait de donner à l'avocat un rôle humanitaire en quelque sorte, alors que ce rôle est assuré par d'autres intervenants, ne crée une confusion ; cela risque même de ne pas être bien compris par la victime elle-même.
Telles sont les raisons pour lesquelles je suis réservée à l'égard de ces deux amendements.
M. le président. Je vous ai senti ébranlé, monsieur le rapporteur, est-ce le cas ?
M. Charles Jolibois, rapporteur. Je ne puis vous répondre tout de suite, monsieur le président.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jacques Larché, président de la commission des lois. Monsieur le président, vous avez eu le sentiment que M. le rapporteur était ébranlé ; j'ajouterai : le président de la commission aussi ! (Sourires.)
Je vous propose un marché, madame le garde des sceaux : nous adoptons ces amendements tout de suite et nous réexaminerons la situation en deuxième lecture.
Le problème est à la fois simple et compliqué. En effet, il faut déterminer si, malgré tout, une intervention n'est pas obligatoire à un certain stade, peut-être un peu plus tard, pendant l'instruction ou au moment de l'audience. Or, comme nous ne pouvons pas le faire immédiatement en séance, je suggère que nous adoptions cette disposition. Madame le garde des sceaux, vous ferez ce que vous entendez à l'Assemblée nationale ; vous serez sûrement suivie. Je précise que vous ne rencontrerez pas d'hostilité fondamentale de notre part sur ce point.
M. le président. Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 45 et 104.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. J'avais levé la main, monsieur le président, et si vous m'aviez donné la parole, cela aurait peut-être permis à la commission de se mettre d'accord.
J'envisageais de demander la réserve de ces deux amendements jusqu'à l'examen de notre amendement n° 128 qui prévoit, au nom du parallélisme des formes, pour le cas où le Sénat retiendrait l'obligation de l'assistance d'un avocat pour le mineur victime, de ne plus rendre obligatoire, comme le fait l'article 756-54 du code de procédure pénale, la présence auprès du mineur victime d'un psychologue, d'un membre de la famille du mineur, de l'administrateur ad hoc ou d'une personne chargée d'un mandat du juge des enfants. C'est d'ailleurs ce qu'a dit Mme le garde des sceaux. Dès lors que la présence des personnes que nous avons, elle et moi, énumérées est obligatoire, la présence de l'avocat n'est pas nécessaire.
J'ajouterai qu'il est des cas où, pendant un certain temps, on ne sait pas s'il y a une victime, si celui ou celle qui se prétend victime l'est ou ne l'est pas ; il faudra peut-être attendre la fin du procès pour le savoir. Cette disposition est donc certainement très généreuse, mais elle est tout de même un peu rapide. De plus, les arguments qui ont été donnés par Mme le garde des sceaux, tendant à démontrer que cela pourrait paralyser la procédure, sont parfaitement exacts.
Le projet de loi a déjà prévu que l'enfant doit être assisté par la personne la plus qualifiée possible - excepté un avocat - et c'est très bien ainsi. Le marché proposé par M. le président Larché aurait un intérêt si l'article 19 n'était pas aussi long. En tout état de cause, il restera en navette. Par voie de conséquence, il est tout à fait inutile que le Sénat adopte une disposition qui - cela a été reconnu - n'est pas nécessaire, les arguments de Mme le garde des sceaux étant extrêmement clairs. Le mieux est de rejeter ces amendements s'ils ne sont pas retirés par leurs auteurs.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 45 et 104, repoussés par le Gouvernement.

(Les amendements sont adoptés.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 706-48 du code de procédure pénale.

ARTICLE 706-49 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE