M. le président. M. Jacques Valade rappelle à Mme le ministre de l'emploi et de la solidarité que la prise en charge des autistes dans notre pays pose différents problèmes, tant sur l'adaptation des structures nécessaires que sur l'incertitude des modes d'accueil et en particulier sur leur nombre.
Il convient pourtant d'offrir aux autistes, jeunes, adolescents et adultes, la possibilité d'un droit à une vie digne, à un certain niveau d'éducation, et de leur fournir les moyens d'accéder à la meilleure autonomie humaine et sociale possible. Des places dans des établissements spécialisés ont été créées depuis 1995, mais leur nombre est trop faible et il y a encore beaucoup d'exclus.
De très nombreux adolescents et adultes restent dans leur famille, dans des conditions de vie quotidienne très difficiles, faute d'un lieu d'accueil convenable en dehors de l'hôpital psychiatrique. Ce type d'internement est inacceptable aux yeux des parents et des professionnels, il n'est pas justifié sur le plan médical, il est complètement inadapté à la spécificité de l'autisme et constitue une démission de notre société à l'égard de cette catégorie de défavorisés.
Les établissements scolaires ou médico-éducatifs devraient avoir les moyens financiers nécessaires pour créer des sections spécialisées, des structures de vie et de travail pour les enfants et les adultes autistes et disposer de personnels professionnels formés spécifiquement aux problèmes liés à l'autisme.
En 1996, le Parlement a adopté la proposition de loi tendant à assurer une prise en charge de l'autisme. Cette étape décisive ne saurait être efficace si elle n'est assortie de moyens importants et de la mise en oeuvre d'une politique volontariste.
Le Gouvernement entend-il mobiliser les moyens nécessaires pour que soit apportée une réponse concrète aux besoins reconnus par tous et aux attentes légitimes des milliers de familles concernées ? (N° 71.)
La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, l'autisme, dysfonctionnement complexe et mal connu de la vie mentale, se traduit le plus souvent par une incapacité à communiquer selon les normes établies par et dans notre société. Il se manifeste le plus souvent par des troubles importants du sommeil et de l'appétit, par une hyperactivité très caractéristique et par l'isolement des malades, qui semblent ne pas entendre, ne pas voir, dans un univers d'angoisse et de terreur qui les mène souvent à une dramatique agressivité, quelquefois à l'automutilation ou à des attitudes extrêmes.
Ces troubles sont constatés et, pour l'instant, non détectés ou trop tardivement détectés. Or cette détection devrait permettre une meilleure évaluation et une prise en charge adaptée susceptible de déboucher sur une meilleure intégration sociale et scolaire des personnes autistes, enfants, adolescents et adultes.
Tout cela passe par la mise en place de personnels spécialisés, d'équipes multidisciplinaires et, naturellement, d'instituts spécialisés. Les malades, lorsqu'ils ont la chance ou l'opportunité de bénéficier de structures d'accueil, en tirent immédiatement bénéfice, et leur vie personnelle et celle de leur famille et leur environnement s'en trouvent améliorés.
Actuellement, seules des initiatives locales, qui sont le fait d'associations, tentent de résoudre le dilemme cruel entre le maintien en famille, dans des conditions de vie quotidienne très difficiles pour tous, ou l'internement en hôpital psychiatrique, inacceptable aux yeux des parents et des professionnels, injustifié sur le plan médical et, dans la majorité des cas, totalement inadapté à la spécificité de l'autisme.
En dehors de ces problèmes généraux, il faut avoir conscience que cette question concerne tous les âges de la vie, les enfants, les adolescents puis les adultes, et que les réponses devraient être adaptées.
A titre d'exemple, des initiatives sont prises dans mon département, mais elles portent sur un nombre très faible de places, ici trente-deux, ailleurs vingt : il s'agit d'un effort considérable et généreux, mais on recense actuellement trois cent quatre-vingts autistes en Gironde.
Par ailleurs, le montage de ces opérations est extrêmement complexe et se heurte souvent à des refus administratifs difficilement acceptables. Il dépend de la mobilisation de crédits d'origines très diverses, apportés notamment par les collectivités locales, départementales et régionales, lesquelles ne restent pas insensibles à ces demandes quelquefois désespérées.
Nous ne pouvons pas rester indifférents, sauf à accepter une démission de notre société à l'égard de cette catégorie de défavorisés. En 1996, le Parlement a adopté une proposition de loi tendant à assurer une prise en charge de l'autisme, mais cette étape décisive ne saurait être suivie d'effets si elle n'est pas assortie de moyens importants et de la mise en oeuvre d'une politique volontariste.
Monsieur le secrétaire d'Etat, le Gouvernement entend-il mobiliser les moyens nécessaires pour que soit apportée une réponse concrète à des besoins reconnus par tous et aux attentes légitimes des milliers de familles concernées ? (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, je partage bien entendu vos préoccupations, et vous avez fort bien décrit cette pénible affection qu'est l'autisme, au niveau tant du diagnostic que de la prise en charge.
Vous avez tout à fait raison de souligner combien il est difficile ou presque impossible, pour les familles, de garder un malade à domicile et combien font cruellement défaut, dans notre pays, les structures pour prendre en charge une des affections neurologiques ou de dégénérescence, je ne sais. C'est que, monsieur le sénateur, nous découvrons avec beaucoup de retard en termes de compassion, mais aussi par rapport à d'autres pays, presque ensemble des affections neurologiques qui nécessitent des prises en charge à tous les âges de la vie, pour les personnes âgées et pour les malades beaucoup plus jeunes, comme dans l'exemple que vous avez cité, à savoir l'autisme.
Je ne peux que partager le sentiment et vous faire une réponse relativement dilatoire.
Tout cela en effet se traduit nécessairement par des ouvertures d'établissements et par des financements. S'agissant de l'autisme, vous avez cité les chiffres de votre département, qui sont hélas ! comparables aux autres - trois cents, quatre cents ou cinq cents personnes, et encore les diagnostics ne sont pas toujours portés. Si nous essayons, ce que nous devrions faire, de dépister plus avant ces affections, nous aurons, je le crains, de bien mauvaises surprises.
Les plans régionaux sur l'autisme ont été mis en oeuvre par une circulaire ministérielle d'avril 1995 et constituent, c'est vrai, des outils pertinents pour programmer, et seulement pour programmer, une offre de prise en charge des enfants et des adultes présentant ce syndrome qui les coupe du reste du monde.
Ces plans, qui ont été assortis à deux reprises, en 1995 et en 1997, d'une aide financière importante des pouvoirs publics ont d'ores et déjà permis la création de 1 171 places réellement adaptées aux personnes autistes. Ainsi, 631 places ont été financées sur l'enveloppe nationale de 1995, 327 sur la seconde dotation de 1997 et 213 par redéploiement entre 1996 et 1997.
La loi du 11 décembre 1996 sur l'autisme a été votée, vous l'avez rappelé, monsieur le sénateur, à la quasi-unanimité des députés et des sénateurs. Cette loi est indéniablement un texte fondateur d'une reconnaissance de l'autisme en tant que syndrome méritant une attention particulière et nécessitant des prises en charge individualisées, adaptées, pluridisciplinaires, soigneusement ajustées. Il faut tout de même donner à chaque autiste sa thérapeutique et sa prise en charge. C'est un effort personnel des soignants, qui doit être ajusté au millimètre.
Le Gouvernement est pleinement convaincu de la nécessité de poursuivre les efforts antérieurement consentis pour améliorer la situation de ces personnes. A court et à moyen terme, nous comptons, Mme Martine Aubry et moi-même, procéder en deux temps.
Pour l'année 1998, nous avons plusieurs priorités. Il s'agit, d'abord, de renforcer la formation initiale et continue des personnels médico-sociaux. Au passage, monsieur Valade, vous avez dit, et vous avez tout à fait raison, que les structures psychiatriques devaient être très largement adaptées. Nous avons pris en charge des personnalités et des difficultés psychologiques ou psychopathologiques qui n'étaient pas loin de celles que vous avez citées. Cette adaptation, cette ouverture des établissements psychiatriques sur la réalité et peut-être sur l'hôpital général sont également une de nos préoccupations. Il faut poursuivre en ce sens.
Il convient donc de renforcer la formation initiale et d'expérimenter sur plusieurs dizaines d'établissements volontaires une évaluation des diverses prises en charge à partir de grilles mesurant l'évolution des compétences des personnes autistes accueillies dans ces institutions. De plus, les efforts entrepris les années antérieures ont vocation à être poursuivis, notamment par la création de places supplémentaires.
Vous comprendrez sans peine, monsieur le sénateur, que l'année 1998 puisse être consacrée aux grandes priorités du Gouvernement, qui relèvent de sa politique du handicap, je veux parler du dépistage précoce des handicapés, du maillage du territoire en matière de centres d'action médico-sociale précoce, de la poursuite du programme pluriannuel d'amélioration de la prise en charge des traumatisés crâniens, de la création de centres de ressource pour les handicaps rares et, enfin, de la création de places pour personnes handicapées adultes afin de résorber les effets de l'amendement Creton.
Ces actions constituent des priorités incontournables.
Toutefois, nous sommes particulièrement sensibles au fait que la politique menée sur l'autisme a connu, par le passé, des retards importants dans notre pays. C'est pourquoi le Gouvernement est résolu à poursuivre les efforts récemments entrepris, que vous avez soulignés et qui sont excellents, pour permettre aux personnes autistes et à leur famille de trouver leur place dans notre société.
M. Jacques Valade. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Valade.
M. Jacques Valade. Monsieur le secrétaire d'Etat, je tiens à vous remercier de votre réponse et à vous dire que nous concevons tous l'extrême difficulté de faire face à toutes ces priorités et de les ordonner.
Mais, comme vous le disiez vous-même au début de votre propos, votre réponse est dilatoire. Elle l'est fatalement,...
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat. Bien sûr !
M. Jacques Valade. ... et je le comprends parfaitement.
Je tenais néanmoins à attirer solennellement l'attention du Gouvernement sur ce problème, qui concerne à la fois la société dans son ensemble - nous partageons par conséquent une responsabilité à cet égard - et les individus concernés, à savoir les personnes atteintes de cette terrible affection et leur entourage, qu'il soit familial, scolaire ou professionnel.
Par conséquent, nous ne serons jamais trop nombreux pour faire des efforts dans ce domaine.
M. le président. Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures trente, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. René Monory.)