INSCRIPTION D'OFFICE DES PERSONNES ÂGÉES DE DIX-HUIT ANS
SUR LES LISTES ÉLECTORALES

Adoption d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion, en nouvelle lecture, du projet de loi (n° 43, 1997-1998), adopté avec modifications par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif à l'inscription d'office des personnes âgées de dix-huit ans sur les listes électorales. [Rapport n° 48 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la Haute Assemblée est à nouveau saisie du projet de loi permettant l'inscription d'office des jeunes de dix-huit ans sur les listes électorales.
Les principes qui inspirent les dispositions qui vous sont soumises sont déjà largement connus et je ne les rappellerai que brièvement.
Le Gouvernement souhaite faciliter l'exercice du droit de vote par nos plus jeunes concitoyens et empêcher que ne se produisent, comme ce fut récemment le cas, des situations où la surprise jointe à l'insuffisante information empêchent la participation au scrutin.
Il ne s'agit pas de nourrir l'illusion selon laquelle l'inscription d'office ferait sourdre à nouveau le civisme chez les jeunes là où il se serait évanoui. Mais il convient pour le moins - cela seul mérite des efforts - d'effacer les obstacles qui se placent à la participation aux scrutins.
Si le principe général a recueilli l'accord quasi unanime du Sénat, un désaccord s'est manifesté quant à la date de mise en oeuvre de la réforme. Vous avez souhaité, monsieur le rapporteur, suivi en cela par la commission des lois et par le Sénat, que l'inscription d'office ne fût possible qu'à compter de 1999, année de la mise en oeuvre du recensement général des jeunes filles comme des jeunes garçons.
Ce n'était pas le point de vue du Gouvernement, qui considère, comme je vous l'ai déjà exposé, que le recours aux fichiers des régimes d'assurance maladie permet une mise en oeuvre immédiate du dispositif.
La commission mixte paritaire a constaté ce point de désaccord sans pouvoir le surmonter.
L'Assemblée nationale, dans sa séance du 21 octobre dernier, a adopté à l'unanimité un texte permettant de répondre aux objectifs poursuivis, tout en demeurant dans les limites du possible.
Ce texte, qui est aujourd'hui soumis à votre examen, permet de mettre à contribution, pour l'établissement des inscriptions d'office, non seulement les informations qui sont fournies par le recensement, mais aussi celles qui sont issues des fichiers des organismes servant des prestations de base de l'assurance maladie.
Cette mesure semble importante au Gouvernement, car elle permettra la mise en oeuvre de l'inscription d'office dès à présent, et sans attendre la fin de l'année 1999. En effet, le travail accompli en ce moment même par l'INSEE, les services du recensement du ministère des armées et les organismes d'assurance maladie permettra d'obtenir des résultats qui, s'ils ne sont pas exhaustifs dès 1997, permettront cependant d'inscrire un très grand nombre de jeunes gens et de jeunes filles.
Il n'est pas nécessaire d'attendre 1999, dès lors que deux garanties sont données.
La première porte sur l'ampleur des données disponibles dès à présent. Le recensement concerne la quasi-totalité des jeunes garçons et, à l'issue de ses ultimes investigations, l'INSEE pense pouvoir adresser aux mairies des informations portant sur près des trois quarts des jeunes filles.
Notre code électoral apporte une seconde garantie. Si le Parlement adopte ce texte, un droit sera créé au bénéfice des jeunes gens ayant atteint l'âge de dix-huit ans entre le 1er janvier 1997 et le 21 février 1998. Et ces jeunes gens, même s'ils étaient omis des listes transmises par l'INSEE aux mairies, pourraient obtenir sans difficulté du juge d'instance leur inscription jusqu'à la date du scrutin, en réparation de l'erreur matérielle constatée.
Aucun obstacle ne s'oppose donc à la mise en oeuvre dès à présent de l'inscription d'office des jeunes parvenant à l'âge de la majorité.
Je n'ai pas mésestimé, en vous présentant ce projet, les difficultés inhérentes à la période transitoire. J'ai le sentiment qu'elles seront prochainement résolues.
L'exhaustivité des listes transmises par l'INSEE aux commissions administratives chargées d'effectuer les inscriptions d'office sera bien vite améliorée. Dès 1998, avec la mise en oeuvre du répertoire inter-régimes d'assurance maladie, nous disposerons de listes quasi complètes. A partir du 1er janvier 1999, date de la mise en oeuvre du recensement général des jeunes garçons et des jeunes filles, nous disposerons des éléments de preuve qui nous manquent encore aujourd'hui quant à la nationalité des jeunes filles.
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ah ! oui !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. Mais, pour l'instant, il conviendra encore de faire la preuve de sa nationalité, surtout pour les jeunes filles, par définition non recensées à ce jour au titre du service national. Il faudra donc encore se rendre en mairie, soit spontanément, soit sur convocation des mairies à partir des listes qui leur auront été fournies par l'INSEE.
Comme je l'avais indiqué ici-même, je renouvelle, à travers vous, mon appel aux jeunes citoyennes et aux jeunes citoyens : cette année, rendez-vous dans vos mairies ! La démarche est encore indispensable cette année. Elle ne le sera plus demain.
Bref, comme je vous l'indiquais ici même le 8 octobre dernier, des difficultés existent, mais elles seront surmontées avec le temps.
Un dispositif supplémentaire a été introduit par l'Assemblée nationale, permettant de réaliser les inscriptions d'office pour les scrutins intervenant à leur échéance normale.
Pour ces élections, l'amendement voté prévoit que les commissions administratives se réuniront à nouveau, afin de procéder aux inscriptions d'office des jeunes atteignant l'âge de dix-huit ans à la date du scrutin considéré. L'INSEE aura adressé dans un délai suffisant les données nécessaires à ces opérations. De la sorte, l'inscription d'office couvrira un champ plus vaste et inclura les jeunes atteignant l'âge de dix-huit ans entre la date de clôture de la liste électorale - c'est-à-dire le dernier jour de février - et la date d'un scrutin arrivant à terme normal. Le Gouvernement, après s'être assuré de la faisabilité de ce dispositif, l'a approuvé.
De la même manière, le texte modifié qui vous est soumis prévoit que les commissions administratives réunies à l'occasion de la révision annuelle, entre septembre et décembre de chaque année, inscriront non seulement les jeunes ayant atteint l'âge de dix-huit ans entre le 1er janvier de l'année considérée et le 28 février de l'année suivante, mais aussi ceux qui atteindront la majorité entre le 28 février et la date des scrutins municipaux et cantonaux, lesquels ont toujours lieu en mars, les années voyant le renouvellement normal des conseils municipaux ou d'une partie des conseils généraux.
De la sorte, le processus d'inscription d'office ne connaîtra pratiquement pas de lacune, si ce n'est pour les élections partielles, où des impossibilités pratiques tenant à la fourniture des fichiers par l'INSEE et des difficultés juridiques tenant au respect des délais de recours rendaient la tâche plus que malaisée.
Sans doute un jour l'équipement informatique généralisé de toutes les mairies permettra-t-il de renouveler la matière. Mais ces deux novations, applicables à compter de 1999, doivent être soulignées.
Les charges qui résulteront, pour les communes, de ce dispositif doivent être appréciées à leur juste mesure. Une classe d'âge ne représente que 2 % du corps électoral. De plus, les mairies avaient d'ordinaire l'habitude de devoir enregistrer de très nombreuses demandes d'inscription sur les listes électorales les années précédant les grands scrutins nationaux. Et, vous le savez bien, c'est dans les derniers jours de décembre que se regroupaient un très grand nombre de demandes. L'inscription d'office permettra de mieux répartir la tâche - de lisser la courbe, comme on dit - et cet avantage ne peut pas être ignoré.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, lors de la première lecture, le souci de l'information des jeunes électeurs avait été exprimé sur toutes les travées, notamment par M. Bonnet, rapporteur, et par M. Allouche.
Je puis vous indiquer, en réponse à cette préoccupation, qu'un guide pratique destiné aux jeunes bénéficiant de la procédure d'inscription automatique sera prochainement préparé : le Livret du citoyen.
M. Guy Allouche. Excellente idée !
M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur. J'ai confié à M. Claude Nicolet, membre de l'Institut, ancien directeur de l'Ecole française de Rome, historien reconnu de la citoyenneté depuis la République romaine jusqu'à nos jours, ancien rédacteur en chef des Cahiers de la République de Pierre Mendès France, la tâche de proposer le contenu de ce Livret du citoyen adressé à tous les nouveaux électeurs et électrices. Il s'inspirera du principe cher à Jules Ferry selon lequel le premier devoir du pédagogue est de ne jamais blesser aucune conscience, et nous pouvons être sûr de sa hauteur de vue. Je renvoie à égard ceux qui ne l'auraient pas lu au magnifique ouvrage L'Idée républicaine en France. (M. le rapporteur opine.)
Nous aurons ainsi concrètement contribué à éveiller le civisme, pour autant qu'il soit en nous, et à simplifier l'accès à la citoyenneté.
Relever l'esprit républicain est, certes, la tâche de tout le Gouvernement, de tous les élus, de tous les enseignants. Du moins aurons-nous, par ce texte, apporté notre pierre à l'ouvrage et fait oeuvre de modernisation de la vie publique.
Ce souci a été compris, je le crois, par des hommes et des femmes venus de tous les horizons de la vie politique, et il s'est traduit par un vote unanime à l'Assemblée nationale.
Je ne veux pas ignorer le désaccord qui subsiste entre nous à propos de la date d'application de la mesure, mais ayons confiance dans la durée ! Les difficultés s'aplaniront, les lacunes d'aujourd'hui seront comblées rapidement et, de plus, nous ouvrirons pour des centaines de milliers de jeunes, dès aujourd'hui, la voie de l'inscription automatique.
Voilà pourquoi je pense qu'un large accord pourrait se manifester aujourd'hui au Sénat, comme cela a été le cas à l'Assemblée nationale, autour d'un projet de loi qui est le fruit d'une volonté exprimée par les plus hautes autorités de l'Etat, je vous le rappelle, et qu'a tenu à réaliser le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Christian Bonnet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire a constaté un désaccord persistant entre l'Assemblée nationale et le Sénat. Les représentants de la majorité au Palais-Bourbon ont abordé, en effet, l'examen de ce texte en tenant pour négligeables « sans pour autant les méconnaître » - je cite le rapport de M. Christian Paul - les difficultés liées aux imperfections des fichiers des organismes de sécurité sociale.
Ces « difficultés » - j'ai entendu ce terme dans votre bouche à l'instant, monsieur le ministre - vous ne les niez pas, tout en les lissant à tout le moins.
La priorité des priorités concernait, dans l'esprit des députés de la majorité de l'Assemblée nationale comme dans celui de nos collègues de la minorité du Sénat, la possibilité d'appliquer, quels que soient les obstacles, cette mesure d'inscription d'office le plus rapidement possible.
Le souci dominant de la majorité sénatoriale était, tant lors de la commission mixte paritaire que lors de la séance publique qui s'est tenue dans cet hémicycle, de ne pas accabler les mairies et certains organismes de charges qu'elle tenait pour inutiles dès lors qu'elle avait marqué son accord sur le principe. Elle souhaitait toutefois que l'application de ce dernier se fasse dans la simplicité et la fiabilité.
Je l'ai déjà dit, nous ne saurions dans le même temps condamner la complexité des textes et leur accumulation lorsque nous nous trouvons en face des maires, dans nos départements, et contribuer, à Paris, à l'alourdissement des procédures.
Quoi qu'il en soit, l'Assemblée nationale a, hier, écarté l'article 2 bis au motif - sourions ! - qu'il eût entraîné des difficultés d'application, ainsi que l'article 2 ter , qui, quelle que pût être son utilité, posait un sérieux problème de constitutionnalité en créant une catégorie privilégiée d'électeurs. Mais ce problème a été apparemment reconnu par son auteur lors de la réunion de la commission des lois de l'Assemblée nationale.
Mais, dans le même temps, les députés ont construit, en guise de substitut à l'article 2 bis qui élargissait les possibilités d'inscription d'office à toutes les élections, y compris partielles, une autre « usine à gaz ». Vous avez pensé qu'elle était « faisable » - à l'instant, monsieur le ministre, vous avez utilisé le terme de « faisabilité » - et que, par dérogation au principe de l'annualité, elle permettrait l'inscription d'office jusqu'à la date du scrutin les années d'élections générales, excluant par là même le cas des élections partielles.
Il s'agit, certes, d'une simple extension du principe de base, mais le mot « simple » n'est pas celui qui convient en l'occurrence : il s'agit, au contraire, d'une scorie très lourde issue d'un perfectionnisme pervers. Si lourde, si pervers, que nos collègues du Palais-Bourbon ont prévu que ces dispositions « entreront en vigueur à compter du jour où les nationaux des deux sexes seront soumis à l'obligation du recensement en application du code du service national », en clair le 1er janvier 1999. Sourions derechef !
Je puis d'autant moins recommander son adoption que l'article L. 30 du code électoral actuel permet déjà les inscriptions hors période de révision pour les Français atteignant l'âge de dix-huit ans après la clôture des délais d'inscription au 31 décembre, devant le juge d'instance il est vrai, sans préjudice du droit ouvert par l'article L. 34 jusqu'au jour du scrutin auprès de ce magistrat.
Sous le bénéfice de ces observations, en bon républicain, je vous propose, mes chers collègues, de supprimer l'article 1er bis en tant que générateur d'une complexité supplémentaire ; de rétablir l'article 2 dans le texte adopté par le Sénat en première lecture, c'est-à-dire en évitant le recours au fichier des organismes servant les allocations de base des régimes de protection sociale ; de confirmer la suppression, opérée par l'Assemblée nationale, des articles 2 bis et 2 ter ; de rétablir, enfin, l'article 3, liant l'entrée en vigueur du dispositif à la généralisation aux nationaux des deux sexes de l'obligation de recensement, afin d'éviter toutes les difficultés d'application qui ne manqueront pas de se produire et à propos desquelles je vous donne en toute amitié rendez-vous, monsieur le ministre, dans un an. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 1er bis