M. le président. Je suis saisi par M. Vinçon, au nom de la commission, d'une motion n° 1 tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« Considérant qu'en première lecture, soucieux d'améliorer le projet de loi portant réforme du service national, le Sénat a abordé celui-ci dans un esprit positif, en cohérence avec les positions déjà soutenues par le Sénat lors de l'examen du précédent projet de loi portant réforme du service national ;
« Considérant que l'Assemblée nationale s'est bornée en nouvelle lecture à reprendre quelques rares amendements, de portée modeste, adoptés par le Sénat en première lecture, sans prendre en compte aucune des modifications substantielles que le Sénat avait insérées dans le projet de loi en première lecture : dénomination de Rencontre armées-jeunesse, extension du contenu de cette nouvelle obligation à un bilan de santé, réduction de la durée des volontariats à deux années, nouvelle définition du service national rappelant, en cohérence avec la professionnalisation, le caractère exceptionnel que revêtirait un éventuel rétablissement de l'appel au contingent, extension du service national rénové aux jeunes gens nés en 1979, prise en considération des besoins des armées dans la détermination des reports d'incorporation susceptibles d'être attribués aux titulaires d'un contrat de travail pendant la période de transition ;
« Considérant que le projet de loi transmis au Sénat en nouvelle lecture repose sur les mêmes ambiguïtés que le Sénat avait voulu corriger en première lecture - mise en place d'un « appel de préparation à la défense » qui n'aura ni les moyens, ni le temps de ses ambitions, pourtant fort réduites par rapport au « rendez-vous citoyen », et confusion entre les emplois-jeunes et les futurs volontariats, ceux-ci étant conçus dans une perspective de carrière qui devrait demeurer étrangère à la logique du service national ;
« Considérant que l'alignement du statut des futurs volontaires dans les armées sur celui des engagés, qui résulte du texte adopté par l'Assemblée nationale, est de nature à altérer les conditions de la professionnalisation, de même que les reports d'incorporation susceptibles d'être attribués aux jeunes gens titulaires d'un contrat de travail ;
« Considérant qu'ainsi le projet de loi voté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture risque d'affaiblir la défense du pays pendant la délicate et cruciale période de transition 1997-2002 ;
« Le Sénat, conformément au troisième alinéa de l'article 44 du règlement, décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération du projet de loi adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture portant réforme du service national (n° 30, 1997-1998). »
Je rappelle qu'en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat ont seuls droit à la parole sur cette motion : l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est M. le rapporteur, auteur de la motion.
M. Serge Vinçon, rapporteur. M'étant suffisamment exprimé au cours de la discussion générale, je me contenterai, mes chers collègues, de vous renvoyer au texte de la motion, qui me semble très explicite.
M. Xavier de Villepin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Xavier de Villepin, président de la commission. Permettez-moi, monsieur le président, de présenter brièvement l'état d'esprit qui a conduit la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à proposer au Sénat d'opposer la question préalable à ce projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture après l'échec de la commission mixte paritaire, qui s'est réunie jeudi dernier.
Je résumerai ces raisons en deux mots : déception et inquiétude.
Notre déception tient principalement au fait que, comme je l'ai dit à cette tribune la semaine dernière en première lecture, notre seul souci était d'apporter une contribution utile à la mise au point du meilleur dispositif possible, en cohérence avec les positions déjà exprimées sur ce sujet par le Sénat. Cet espoir ne nous paraissait pas a priori hors d'atteinte. Mais il a été déçu, à trois reprises.
Nous avons ressenti une première déception ici même, lorsque le ministre de la défense, en première lecture, et avec toute la courtoisie que nous lui connaissons, s'est abstenu de donner un avis favorable aux amendements les plus importants que nous proposions, ou en tout cas à certains d'entre eux, même lorsque la rédaction que nous avions retenue était modérée et s'inscrivait, dans notre esprit, dans un souci de compromis, sinon de consensus, que nous aurions souhaité réunir sur un sujet tel que la réforme du service national.
Une nouvelle déception s'est fait jour, ensuite, au cours de la commission mixte paritaire, lorsqu'il est apparu rapidement, après que les deux rapporteurs eurent précisé les points qui leur paraissaient les plus déterminants dans les positions des deux assemblées, qu'aucun accord d'ensemble n'était possible ; nous n'avons donc pu que prendre acte de ces divergences.
La dernière déception, enfin, est apparue lundi dernier, lors de l'examen du texte en nouvelle lecture par l'Assemblée nationale. Il n'était déjà certes plus question d'un accord global entre les deux assemblées ; mais nous pouvions encore espérer, vous l'avez rappelé, monsieurHarbert, que l'Assemblée nationale se rallie au point de vue du Sénat sur des points importants et que nous puissions encore influer, de manière substantielle, sur les dispositions qui seront finalement retenues.
Tel n'a pas été le cas, d'où notre déception et notre sentiment d'inquiétude sur les trois sujets majeurs qu'a soulignés M. le rapporteur.
Cette inquiétude porte d'abord sur le contenu de ce que l'Assemblée nationale et le Gouvernement persistent à vouloir appeler l'« appel de préparation à la défense », qui n'aura, selon nous, ni les moyens, ni même le temps de ses ambitions,...
M. Emmanuel Hamel. C'est évident !
M. Xavier de Villepin, président de la commission. ... pourtant fortement réduites par rapport au rendez-vous citoyen ; trop court, excluant tout bilan de santé, il sera réduit, pour l'essentiel, à quelques heures d'exposés, dont on peut craindre qu'ils ne soient très rapidement oubliés.
Notre inquiétude porte, ensuite, sur la conception même d'un volontariat qui induit, à nos yeux, une double et regrettable confusion : confusion entre volontariat et emplois-jeunes, deux notions qui répondent pourtant à une logique bien différente, mais aussi confusion entre le statut des futurs volontaires et celui des engagés, dont la spécificité doit pourtant être préservée compte tenu de l'importance de ces personnels pour la professionnalisation de nos forces.
Enfin, et c'est pour nous l'essentiel, notre inquiétude est grande au regard des dispositions introduites par l'Assemblée nationale en matière de reports d'incorporation durant la période de transition.
Nous avions à cet égard, en première lecture, écarté la tentation, pourtant forte, de supprimer purement et simplement ces dispositions pour adopter un amendement, que nous voulions consensuel, excluant que ces reports puissent être prolongés au-delà d'une durée maximale de deux ans. Cet amendement visait à la fois à réduire l'inégalité entre les jeunes et à permettre aux armées de mieux apprécier la ressource effective en appelés.
Cet amendement, pourtant minimal, a lui-même été écarté. Nous craignons beaucoup, monsieur le ministre, que les dispositions retenues par l'Assemblée nationale ne compromettent gravement - je dis bien « gravement » -, les besoins des armées et, bien sûr, en premier lieu, ceux de l'armée de terre, durant les prochaines années. Nous seront particulièrement vigilants sur ce point pendant les mois à venir.
C'est pour notre commission une raison supplémentaire de refuser de s'associer à l'adoption du présent projet de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Richard, ministre de la défense. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens tout d'abord à faire remarquer que le vote que va émettre le Sénat sur proposition de sa commission compétente est l'expression normale d'un droit fondamental dans une démocratie : le droit à la divergence politique. Qu'après que les deux assemblées à majorités politiques différentes eurent formulé des appréciations mûrement réfléchies sur un projet de loi important pour l'avenir du pays, la majorité sénatoriale aboutisse à la conclusion que les désaccords l'emportent sur les facteurs de convergence, cela me semble totalement légitime.
Je tiens cependant à souligner, après les interventions de M. le président de Villepin et de M. le rapporteur, que ce constat en phase finale du débat ne doit pas faire oublier les convergences qui existent sur les objectifs ni l'approbation largement partagée par la représentation nationale de la professionnalisation de nos armées, ni le sentiment, également largement partagé, de la nécessité d'élaborer un nouveau dispositif aménageant les relations entre les armées et la nation, dispositif auquel le Gouvernement, en concertation avec les assemblées parlementaires, souhaitera apporter des compléments dans la vie courante, au-delà de la législation.
A ce stade du débat, je tiens à saluer le souci de contribution positive qui a été celui du Sénat dans l'examen de ce projet de loi.
Mais je voudrais tout de même relativiser les désaccords qui ont été exprimés et qui fondent en partie la motivation de la question préalable présentée par la commission.
A propos des contrôles de santé, j'ai bien insisté sur le fait que le Gouvernement, ayant dû légiférer dans l'urgence pour des raisons que chacun se rappelle, ne s'estimait pas prêt à proposer au législateur, aujourd'hui, un dispositif obligatoire et d'application immédiate.
Je confirme toutefois l'intention du Gouvernement de mettre en place, au cours des prochaines années, un contrôle de santé générale pour les jeunes passant à l'âge adulte et de mettre en relation ce contrôle avec l'obligation de l'appel de préparation à la défense. Il n'y a donc pas, sur ce point, de désaccord profond ou définitif.
Par ailleurs, s'agissant des reports d'incorporation, je rappelle qu'il y a eu rapprochement des points de vue entre les deux assemblées et que - j'insiste sur ce point - les termes du projet de loi tels qu'ils sont adoptés n'ouvrent pas droit à un report automatique pour les jeunes titulaires d'un contrat de travail, qu'il soit à durée déterminée ou à durée indéterminée.
L'octroi de ce report par une commission responsable sera conditionné à la vérification du caractère contradictoire entre l'incorporation et l'insertion professionnelle du jeune. En fait, en maintes occasions, le jeune titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée pourra être incorporé sans risque pour la poursuite de son activité professionnelle.
Enfin, je voudrais également relativiser le désaccord concernant les volontariats.
Chacun comprend bien que, une fois la priorité à l'emploi des jeunes affirmée et traduite en un ensemble de mesures, un volontariat qui ne se distinguerait de toutes les autres possibilités d'activités offertes aux jeunes que par la brièveté et la faiblesse de la rémunération n'aurait pas de caractère incitatif. On risquerait même ainsi d'aboutir à une certaine déqualification du volontariat dans nos armées.
Bien sûr, si l'on considère qu'il faut laisser, dans notre pays, la situation de l'emploi des jeunes telle qu'elle était au début de cette année, alors, oui, on peut espérer qu'un volontariat à faible statut social et à faible rémunération aurait sa chance, serait susceptible de séduire un certain nombre de jeunes. Mais force est tout de même d'admettre que cela résulterait d'une situation sociale des jeunes globalement tout à fait insatisfaisante.
A partir du moment où l'on relève la barre pour l'ensemble des jeunes qui peuvent prétendre à une première expérience professionnelle, c'est-à-dire qu'on leur garantit un contrat de travail et une rémunération au SMIC - c'est un vrai débat : on peut être hostile à ce que des jeunes jouissent de telles garanties dès leur première expérience professionnelle - il ne serait pas concevable de proposer aux jeunes qui décident de faire cette première expérience dans les armées, avec des responsabilités substantielles, un statut social moindre.
Je crois que, là encore, la différence entre nous est plus d'ordre pratique que de fond.
Je prends bonne note des appréciations qui figurent dans la motion. Le Gouvernement s'efforcera de prendre en compte les préférences du Sénat. Je voudrais, toutefois, exprimer un regret sur le choix, à mon avis hâtif, de quelques-uns des termes de cette motion ; je pense notamment à l'imputation d'un risque d'affaiblissement de la défense du pays.
M. Xavier de Villepin, président de la commission. C'est pourtant vrai !
M. Emmanuel Hamel. C'est évident, hélas !
M. Alain Richard, ministre de la défense. De telles affirmations ne peuvent pas être formulées à la légère et je pense que les débats que nous mènerons de nouveau au cours des mois qui viennent, qu'il s'agisse des questions budgétaires ou des orientations générales de notre politique de défense, permettront au Gouvernement de convaincre l'ensemble du Sénat...
M. Emmanuel Hamel. Certainement pas !
M. Alain Richard, ministre de la défense. ... que tout est fait - à partir de la décision présidentielle, monsieur Hamel, de professionnaliser les armées, une décision que personne ne remet en cause - pour assurer la fiabilité et la capacité de réponse de nos armées à toutes les situations et que la validité de notre dispositif de défense n'est en rien entamée, l'imputation contraire pouvant avoir d'ailleurs des conséquences politiques incalculables.
Je respecte, bien entendu, le vote du Sénat et ses motivations politiques. Ce vote n'exclut en rien la possibilité de poursuivre un dialogue loyal, amical et démocratique. Nous retrouverons, dans l'application de ce texte, les occasions de rapprochement et de conciliation qui ont été manquées de peu, me semble-t-il, à la fin de ce débat. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 1.
M. Alain Pluchet. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Pluchet.
M. Alain Pluchet. Vous déclariez, monsieur le ministre, le 7 octobre dernier, dans cette enceinte : « Le travail effectué aujourd'hui par le Sénat a été constructif. Le Gouvernement nourrit l'espoir que la suite des échanges législatifs permettra de déboucher sur une solution pleinement acceptée par les deux assemblées. »
Vous reconnaissiez ainsi la démarche constructive de la Haute Assemblée et la cohérence de ses positions.
Or l'Assemblée nationale, en nouvelle lecture, a certes repris certaines mesures introduites par le Sénat, mais chacun admet que celles-ci n'ont qu'une portée bien modeste.
Le refus de prendre en considération les nombreuses dispositions insérées sur l'initiative de notre excellent rapporteur, M. Serge Vinçon, et qui permettaient de corriger les défauts les plus manifestes du texte, est regrettable, en particulier dans deux domaines : l'appel de préparation à la défense et le statut des futurs volontaires.
Ce refus est d'autant plus regrettable que la mise en place de l'appel de préparation à la défense n'aura, comme cela a déjà été dit, ni les moyens ni le temps de son ambitieuse dénomination.
J'aurais aimé entendre un peu plus les donneurs de leçons de mars 1997, qui parlaient, à propos du projet de loi instituant le « rendez-vous citoyen », d'un texte « surréaliste », en se demandant comment le gouvernement d'alors pourrait « réussir en cinq jours » ce qu'il trouvait « mal assuré en dix mois » !
Ainsi, M. Bertrand Delanoë expliquait : « Vous essayez de sauver la face en nous présentant le rendez-vous citoyen comme une véritable révolution culturelle. Vous le parez de vertus magiques. Ce brassage social que vous trouviez mal assuré en dix mois, vous prétendez le réussir en cinq jours, voire moins si l'on suit les propositions du rapporteur... Ce rendez-vous citoyen risque c'être une perte de temps. Il n'a plus aucune finalité militaire, à moins que vous ne comptiez insuffler un esprit de défense à la jeunesse en quarante-huit heures. » M. Delanoë précisait que le rendez-vous citoyen ne constituait pas non plus « une réponse aux vrais maux dont souffre la société française ». « Cinq jours, c'est trop court », disait-il encore.
M. Emmanuel Hamel. C'étaient d'excellents propos, hélas !
M. Alain Pluchet. Je vois mal comment nous pourrons mieux préparer demain notre jeunesse à la défense en quatre heures de discours, mais ces volte-face font partie des péripéties auxquelles nous habitue la majorité plurielle.
Par ailleurs, la confusion entre volontariat et emploi est particulièrement dangereuse, comme est singulièrement pernicieuse la convergence d'objectifs et de moyens entre les emplois-jeunes et le volontariat.
En effet, cette confusion change la nature du volontariat en le transformant en un service rendu par la collectivité au jeune, alors que ce devrait être un service rendu par le jeune à la collectivité.
De même, il est hautement regrettable que le texte, tel qu'il nous revient de l'Assemblée nationale, puisse laisser penser aux engagés que leur situation est moins attractive que celle qui sera offerte aux volontaires, cela notamment en raison de l'extension aux futurs volontaires d'importantes dispositions du statut général des militaires.
Cette situation est d'autant plus fâcheuse qu'elle affaiblit, en altérant la spécificité du statut des engagés, le passage à la professionnalisation de nos armées.
Le Sénat, au cours des différentes lectures, a bien fait son travail. La majorité plurielle - socialistes, communistes et verts - de l'Assemblée nationale l'a méprisé. C'est pour cette raison que le groupe du Rassemblement pour la République votera sans état d'âme la question préalable présentée par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées sur un projet de réforme minimaliste et dépourvu de toute ambition. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, qui est repoussée par le Gouvernement et dont l'adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
M. Emmanuel Hamel. Espérons qu'il sera rejeté !

(La motion est adoptée.)
M. le président. En conséquence, le projet de loi est rejeté.
M. Emmanuel Hamel. Hélas, il passera à l'Assemblée nationale !

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