PÊCHE MARITIME ET CULTURES MARINES

Suite de la discussion et adoption
d'un projet de loi en troisième lecture

M. le président. Nous reprenons la discussion en troisième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Lefebvre.
M. Pierre Lefebvre. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si l'objet du débat engagé aujourd'hui est limité, puisqu'il ne porte que sur les seuls articles qui n'ont pas été jusque-là adoptés dans les mêmes termes par les deux assemblées, je tiens cependant à rappeler notre position sur l'ensemble du projet de loi et nos inquiétudes face à la situation plus préoccupante dans laquelle nous plonge la politique communautaire de la pêche à moyen et à long terme.
A propos de ce texte et des objectifs affichés d'organisation de l'accès à la ressource, d'amélioration de la structuration des filières, de consolidation des entreprises et d'amélioration des conditions sociales et de travail, je pense que des avancées intéressantes ont été introduites, qui vont réellement dans le sens d'une revalorisation d'un secteur en proie à une crise profonde depuis quelques années.
Dans le domaine de la protection sociale, sur les questions fiscales notamment, les mesures semblent aller dans le bon sens. Néanmoins, nous resterons prudents et attentifs sur ces questions.
En effet, s'agissant des quirats, si nous sommes favorables à une possible participation des capitaux privés à l'investissement, cela ne nous semble pour autant envisageable que si la volonté de la puissance publique d'intervenir face aux importants besoins de modernisation du secteur est réellement affirmée.
Or, si une telle volonté semblait être affichée par le Gouvernement, je suis étonné de constater dans le projet de budget pour 1998 une stabilité des autorisations de programme. Est-ce le signe d'un certain désengagement de l'Etat ? Nous espérons que tel n'est pas le cas au moment où les besoins pour l'amélioration qualitative de la flotte et pour l'installation des jeunes sont à pourvoir impérativement et rapidement.
Je voudrais également attirer l'attention sur un point précis qui nous semble encore poser problème et sur lequel nous avons d'ailleurs déposé un amendement de suppression. Il s'agit des mesures qui font suite au démantèlement de l'ancien régime de retraite complémentaire des exploitants agricoles, dénommé COREVA.
Nous nous interrogeons en effet sur la pertinence de l'inscription dans ce projet de loi de l'article 35 A, qui traite de cette question et qui devrait, par principe, figurer, selon nous, dans le projet de loi de finances.
Par ailleurs, je tiens à rappeler notre profonde inquiétude à propos des contraintes imposées par le cadre communautaire.
Monsieur le ministre, vous l'avez précisé vous-même lors du débat à l'Assemblée nationale et vous venez de le répéter, « la politique des pêches est très dépendante du contexte international, et d'abord du cadre communautaire ».
On peut donc s'interroger sur l'avenir du secteur à l'échelon national au regard des réductions de flottes communautaires déjà imposées, notamment par les POP III et IV à forte valeur contraignante depuis 1993.
La France présente déjà un retard par rapport au POP III de 8 000 kilowatts pour les chalutiers de l'Atlantique et de 10 000 kilowatts pour ceux de la Méditerranée.
Pour le POP IV, qui s'étend de 1997 à 2002, il est prévu une réduction de la capacité de capture de 12 000 kilowatts minimum par an.
Or on connaît les conséquences extrêmement négatives de ces mesures pour les marins-pêcheurs français et, au-delà, pour l'ensemble du secteur.
Certes, des éléments ont été proposés par le Gouvernement et adoptés à l'Assemblée nationale pour améliorer la gestion de ces POP.
Le règlement de la question des quotas hopping - mais je préfère, comme vous, monsieur le ministre, parler de « captation de quotas » - par l'instauration de la nécessité d'un lien réel avec le territoire français conditionnant l'accès aux quotas nationaux nous semble particulièrement pertinent. Cela permet de mettre fin, en effet, à la situation inacceptable dans laquelle des capitaux étrangers profitaient de nos quotas sans que notre pays en retire le moindre bénéfice.
Cependant, il faut, nous semble-t-il, aller plus loin.
Nous avions déjà proposé, lors du débat à l'Assemblée nationale, une prise en compte de la puissance captée et détournée depuis des années par ces captations de quotas dans les calculs pour la discussion de l'application du POP IV et de la fin du POP III.
Si la volonté du Gouvernement semble affichée d'affirmer clairement la position de la France et de défendre les intérêts des pêcheurs français au sein de la Commission européenne, il nous semble nécessaire que notre pays se positionne de manière plus forte dans la perspective des prochaines renégociations de la politique commune des pêches en 2002.
Il n'est plus possible que la politique structurelle relative au secteur des pêches se limite à la seule diminution des capacités de la flotte.
Selon Mme Emma Bonino, commissaire européen, une flotte moins pléthorique doit permettre, parallèlement à la meilleure gestion des ressources, d'accroître la compétitivité dans le cadre d'une concurrence internationale exacerbée, ce qui justifie les mesures de restriction des capacités de flottes.
Or, si l'on s'en tient au strict respect des exigences des POP, de telles mesures conduiraient, comme l'a rappelé le ministre lors du dernier débat à l'Assemblée nationale, à une sortie de la flotte française de l'ordre de 3 % de sa capacité totale pour 1997.
Dans le même temps, le déficit commercial français ne cesse d'augmenter, le revenu des pêcheurs parvient à peine à se stabiliser après une baisse très nette jusqu'en 1995 et le nombre des marins diminue.
Même s'il est évidemment nécessaire de gérer rationnellement les ressources halieutiques dans un souci de préservation et de développement durable, peut-on continuer à accepter que la politique européenne des pêches soit aussi peu au service des hommes et qu'elle nous conduise, à terme, à une « Europe bleue n'ayant plus beaucoup de pêcheurs » ?
Il me paraît plus que jamais nécessaire pour notre pays de trouver des moyens - et il nous semble qu'ils existent ! - de modifier les choix européens et leurs orientations ultralibérales vers une nouvelle politique communautaire des pêches avec un volet social cohérent et une volonté de moderniser et de valoriser ce secteur dans le souci d'un réel développement durable, respectueux non seulement de l'environnement, mais aussi des hommes qui en sont, et doivent en demeurer, le pilier.
Au-delà de toutes ces considérations, nous émettrons globalement, monsieur le ministre, un avis favorable sur le projet de loi que vous nous avez soumis. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Louis Le Pensec, ministre de l'agriculture et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j'ai apprécié les interventions qui ont eu lieu, au cours desquelles vous avez abordé de nombreux sujets qui, au-delà du projet de loi d'orientation dont nous débattons, concernent l'ensemble de la politique des pêches.
Je conçois fort bien que, sur les dispositions de ce projet, vous souhaitiez être éclairés par un certain nombre de commentaires et de précisions sur la politique des pêches, sur le plan national comme sur le plan communautaire.
Les uns et les autres, en particulier M. le rapporteur, MM. Gérard, Weber, Sergent et Lefebvre, vous avez évoqué les discussions communautaires en cours, qu'il s'agisse des mesures techniques ou des POP III et IV. Je ne reprendrai pas ce que j'ai dit dans mon intervention liminaire sur ces sujets. Je note cependant que, sur ces points, vos propos n'ont fait que confirmer notre volonté commune de défendre avec détermination la pêche française.
Monsieur le rapporteur, j'ai apprécié que, dans des moments décisifs - je pense notamment au Conseil « pêche » qui se tiendra ce mois-ci - vous assuriez le ministre de l'agriculture et de la pêche du soutien de la Haute Assemblée pour défendre et faire valoir les positions françaises.
J'en viens aux points spécifiques que vous avez abordés dans vos diverses interventions.
Je commencerai par la question des quirats, dont le rapporteur, ainsi que MM. de Rohan, Gérard et Weber - j'espère n'omettre personne - se sont fait l'écho. Comme vous l'avez justement dit, le projet de loi de finances revient sur l'avantage que procure ce système quirataire, pour des raisons qui sont connues et qui sont liées, pour l'essentiel, au coût trop élevé de cet avantage par rapport aux résultats obtenus.
Pour ma part, en tant que ministre de la pêche, j'ai tenu à remplacer le quirat-jeunes pour la pêche par un système d'aides à la première installation. Inspiré du dispositif de soutien au cinéma, il a les mêmes objectifs et doit connaître les mêmes effets que l'ancien quirat-jeunes, dispositif que vous avez notamment défendu, monsieur le rapporteur.
S'agissant des navires de commerce, j'ai, comme vous, le sentiment qu'il y aura lieu de ne pas en rester là. La réflexion est engagée sur le dispositif d'aide à la flotte pour garantir l'avenir du pavillon français, de nos chantiers navals et, avec eux, de nos marins et des ouvriers de la construction navale.
Je suis de ceux qui pensent que nous aurons à concrétiser notre ambition maritime par une politique de la flotte fiscalement juste et acceptable à Bruxelles prenant en compte l'ensemble des emplois de navigants, des chantiers, des sous-traitants, bref de ce qu'on appelle les bassins d'emplois du littoral. Je sais que c'est la volonté de mon collègue M. Gayssot, ministre de l'équipement, des transports et du logement, comme de l'ensemble du Gouvernement.
Monsieur Gérard, vous avez évoqué la question de la formation maritime. Les écoles et les lycées maritimes aquacoles relèvent de la compétence du ministère de l'équipement, des transports et du logement, vous l'avez rappelé.
Les personnels de ces établissements sont gérés par une association selon la loi de 1901, l'association de gestion des écoles maritimes et aquacoles, l'AGEMA.
Ces écoles assurent les formations initiales et continues pour le commerce, pour la pêche maritime et les cultures marines.
La réforme qui consiste à assurer un statut public aux agents et, par voie de conséquence, à supprimer l'AGEMA, est nécessaire, mais elle doit être l'occasion d'un choix raisonné du ministère de rattachement.
A la rentrée de 1997, 1 700 élèves ont intégré les douze écoles maritimes ; 80 % à 90 % d'entre eux se destinent à la pêche et à l'aquaculture : c'est une situation plus structuelle que conjoncturelle.
Pour répondre à votre question, monsieur le sénateur, je dirai qu'une réflexion au niveau interministériel doit permettre de trouver prochainement une solution répondant à la nécessité de garantir la situation des personnels - 340 agents - tout autant qu'à satisfaire l'intérêt des jeunes élèves par une perspective d'adaptation professionnelle aux contraintes et aux évolutions du métier.
Enfin, la tendance qui est constatée quant au renouveau de l'intérêt des élèves peut nous laisser penser que s'inversera le phénomène de recours à des marins étrangers, que vous avez été plusieurs à souligner, me semble-t-il.
Vous m'avez également interrogé, monsieur Gérard, sur le crédit impôt-formation.
Certes, la loi Madelin est venue à échéance le 31 décembre 1996. Ce n'est que parce que la pêche était une activité commerciale qu'elle bénéficiait de cette disposition. La reconduction de cette mesure relève donc d'un débat plus général. Mais, je l'ai dit, cette question de la formation est une de mes grandes préoccupations.
J'en reviens à la question des POP III et POP IV, posée par M. le rapporteur, ainsi que par MM. Weber, Sergent et Lefebvre. Je préciserai que se déroulent actuellement des négociations bilatérales entre la Commission européenne et les autorités françaises, et que ces négociations doivent prendre fin au mois de novembre.
J'entends bien rester vigilant jusqu'au dernier moment, afin que les conséquences des règles adoptées au mois d'avril 1997 ne viennent pas perturber les efforts consentis par les professionnels français.
Nous devons - cela a été le sens de mon entretien avec Mme le commissaire Bonino - obtenir suffisamment de souplesse de façon à pouvoir rétablir notre régime d'aides à la construction de navires de pêche dans les meilleurs délais et donc à pouvoir indiquer aux entreprises le cadre stable qui leur permettrait de réaliser leurs investissements.
S'agissant de la politique de filière évoquée notamment par M. Sergent, je dirai que la mise en place d'une politique de filière ambitieuse, efficace et de qualité constitue bien un des axes essentiels de la politique de la pêche.
Je tiens à vous assurer, monsieur le sénateur, que la transformation du FIOM en OFIMER va faciliter la réalisation de tels objectifs. L'alignement sur le statut des offices agricoles en est le moyen essentiel, et tous les partenaires de la filière y seront associés. Il sera à ce moment-là plus facile de rechercher les voies de valorisation de la production française.
S'agissant du Conseil supérieur d'orientation des politiques halieutiques, aquacoles et halio-alimentaires, je voudrais rassurer M. Sergent. En aucun cas, cet organisme ne se substituera à l'organisation professionnelle des pêches et, donc, au Comité national des pêches. Ce sera une instance consultative présidée par le ministre en charge des pêches, ayant pour objectif essentiel de veiller à la cohérence des différents aspects de la politique des pêches et des cultures marines.
M. Sergent a aussi évoqué les revendications des trémailleurs du nord de la France. J'ai transmis l'étude qui a été conduite par l'IFREMER, en liaison étroite avec les services et les professionnels. Cette étude est actuellement examinée par les services de la Commission, notamment par ses instances scientifiques. Je crois pouvoir assurer M. Sergent de ma détermination pour faire aboutir ce dossier.
Par ailleurs, j'ai bien entendu les préoccupations particulières qu'il a exprimées sur la pêche dite industrielle.
Au-delà des dispositions importantes de ce projet de loi sur l'étalement des plus-values, au-delà des aides à la modernisation des navires que nous octroyons, soyez convaincu monsieur le sénateur, de ma volonté d'accompagner les stratégies d'entreprises - souvent spécifiques - que nécessitera le maintien d'une flotte industrielle présente sur les différentes mers.
M. Lefebvre a évoqué l'évolution des autorisations de programme entre 1997 et 1998.
Je lui redis que je serai particulièrement vigilant pour ce qui est du maintien du niveau d'intervention en matière d'investissements dans le secteur des pêches. Dans le contexte budgétaire actuel, le fait mérite d'être souligné, alors même que des efforts importants sont demandés à d'autres secteurs économiques.
Toujours en ce qui concerne le FIOM, l'agrément permettant à cet organisme de payer les aides communautaires correspondant aux retraits sera reconduit.
En effet, les efforts faits pour sécuriser les retraits auraient pour conséquence le renouvellement pour un an de l'agrément. Ce délai est nécessaire à la mise en place des dispositions de contrôle qui ont été introduites cet été.
M. Lefebvre a encore évoqué le problème de la captation des quotas, sujet de préoccupation pour M. le rapporteur et M. Weber également. J'ai énoncé dans mon intervention liminaire les critères qui définiront l'existence d'un lien économique réel et d'un établissement stable. J'ajoute qu'une circulaire d'application détaillera ces différents éléments. Elle précisera également les modalités du contrôle.
Ainsi, à compter du 1er janvier 1999, ce délai devant permettre aux armateurs en place de se mettre en conformité avec la loi, les services auront la charge de vérifier que tout navire demandant une licence et pêchant sur les quotas français respecte ces critères.
Les navires en infraction - si je suis précis sur ce point, c'est que cela me dispensera d'y revenir lors de l'examen de l'amendement correspondant - les navires en infraction, disais-je, pourront se voir sanctionner, en application des articles 6 et 13-1 du décret du 9 janvier 1852 modifié par la loi d'orientation, d'une amende ainsi que de la suspension ou du retrait de leurs licences.
Dès la publication de la loi, j'inviterai également les services à évaluer la situation des navires immatriculés dans leur circonscription au regard de ces critères.
Ainsi, avec ce projet de loi et les textes d'application que nous proposerons en très étroite liaison avec la profession, un pas en avant majeur sera franchi pour lutter contre le phénomène de « captation des quotas ».
M. Weber s'inquiète de l'abaissement de seize à quinze ans de l'âge d'embarquement des jeunes marins ; je tiens à le rassurer sur le caractère strictement dérogatoire de la possibilité donnée à un jeune en fin d'études, mais n'ayant pas encore atteint l'âge de seize ans, de commencer à entrer dans la vie professionnelle par la voie du régime très protecteur de l'apprentissage, ouvert par principe à l'âge de seize ans.
Il ne s'agit, avec l'article 30, que d'établir une parité entre le droit du travail maritime et le droit du travail général.
J'ai bien noté la question de M. Girard sur la déduction fiscale dont pourraient bénéficier les conchyliculteurs pour leurs cotisations à un régime de retraite complémentaire.
L'article 35 A réglera la question pour les conchyliculteurs relevant de la mutualité sociale agricole. Pour les conchyliculteurs marins, la question est plus ardue et méritera une expertise approfondie.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les réponses qui me semblaient pouvoir être apportées en écho aux différentes interventions, sachant que, lors de la discussion des articles, je pourrai apporter quelques précisions supplémentaires.
Je tiens à redire combien j'ai apprécié la coopération du Sénat dans la discussion du texte que nous examinons et, notamment, combien j'ai apprécié les propos des divers intervenants qui ont éclairé la suite du débat. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale et close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle qu'aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.

Article 4 bis