EMPLOI DES JEUNES

Discussion d'un projet de loi en nouvelle lecture

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en nouvelle lecture du projet de loi (n° 17, 1997-1998), adopté par l'Assemblée nationale en nouvelle lecture, relatif au développement d'activités pour l'emploi des jeunes. [Rapport n° 18 (1997-1998).]
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous voici réunis en nouvelle lecture pour débattre du projet de loi relatif au développement d'activités pour l'emploi des jeunes.
J'avais regretté devant vous, la semaine passée, l'adoption par le Sénat d'un texte dénaturé et parfois même, me semble-t-il, incohérent. Je n'y reviendrai pas. J'avais aussi, à l'époque, souligné la contradiction existant entre la volonté de la commission des affaires sociales du Sénat, de son président et de son rapporteur, qui s'était inscrite dans une logique d'amendement au texte, et l'attitude d'une partie de la majorité sénatoriale qui avait préféré s'opposer systématiquement à celui-ci, quitte d'ailleurs à se contredire d'un amendement à l'autre.
Au terme de la nouvelle lecture à l'Assemblée nationale, nous sommes parvenus, je crois, à un texte équilibré, qui pourra demain s'appliquer dans l'ensemble de nos départements, comme le souhaitent les élus, qu'ils appartiennent ou non à la majorité parlementaire. Il est le fruit de nos travaux collectifs et il reste, bien entendu, susceptible d'être encore amélioré, si vous repoussez l'adoption de la question préalable. Je dois cependant avouer que je ne crois pas beaucoup à cette éventualité...
Ainsi, le champ d'application du présent projet de loi traduit-il désormais un équilibre entre la nécessité de répondre à des « besoins émergents » et la volonté d'éviter que le nouveau dispositif ne vienne se substituer à des emplois dans la fonction publique ou dans le secteur privé.
Pour marquer cette volonté, nous avons exclu le financement par les collectivités locales d'emplois relevant de leurs « compétences traditionnelles ». L'appréciation des projets se fera au cas par cas et tiendra compte des réalités du terrain.
Le texte qui vous est maintenant soumis présente un dispositif suffisamment souple pour s'adapter à chaque situation, tout en créant les garde-fous nécessaires pour que la souplesse introduite ne puisse s'apparenter à une quelconque forme de laxisme.
Le projet de loi qui vous est proposé cible un public prioritaire, celui des moins de vingt-six ans, mais concerne également, dans certains cas, les jeunes de moins de trente ans.
Suite à l'adoption d'un amendement par le Sénat, le texte prévoit désormais que les jeunes handicapés pourront contracter avec un employeur jusqu'à l'âge de trente ans, sans autre condition.
Je m'étais engagée à trouver une formule pour favoriser la mise en place d'un encadrement de qualité et d'expérience, dans la continuité de ce que suggérait votre commission des affaires sociales : la possibilité pour les partenaires sociaux de l'UNEDIC (l'Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce) de participer au financement de ces postes par activation des dépenses de cet organisme, c'est-à-dire par une extension des conventions de coopération, a été ainsi introduite.
Ce dispositif s'appliquant, quant à lui, aux chômeurs de longue durée sans condition d'âge, les plus anciens pourront donc contribuer à mettre le pied à l'étrier aux plus jeunes. Cette main tendue entre générations est, me semble-t-il, symbolique de l'esprit qui sous-tend l'ensemble de ce texte.
L'Etat s'est engagé à verser une aide d'un montant et d'une durée qui sont sans précédent. Suite à la demande de l'ensemble des associations d'élus que j'ai pu recevoir pendant l'été, cette aide sera forfaitaire et linéaire pendant cinq ans. Cette contribution massive de l'Etat ne représentera pas un surcoût pour la collectivité, puisqu'il s'agira d'un redéploiement à l'intérieur du budget de l'Etat.
Par ailleurs, pour corriger les situations géographiques et de richesse, les régions et les départements pourront cofinancer la part restant à la charge de l'employeur. Le Fonds social européen, que nous sommes en train de mobiliser, nous permettra sans doute aussi d'assurer cet équilibrage.
Pour inciter les conseils généraux à s'investir dans la mise en oeuvre de ce plan ambitieux, il a été admis que les montants qu'ils verseront au titre des emplois-jeunes puissent venir en déduction de la contribution légale aux fonds d'insertion du RMI, chaque fois qu'il s'agira d'aider de jeunes RMistes à sortir de la situation d'échec qu'ils connaissent. S'agissant des DOM, les départements d'outre-mer, vous avez, mesdames, messieurs les sénateurs, introduit un dispositif permettant le recours à cette faculté pour leurs conseils généraux.
En ce qui concerne le temps de travail, nous avons là encore adopté, je crois, une solution pragmatique et équilibrée. Ces contrats seront à temps plein, mais pour accorder aux communes, notamment rurales, la souplesse nécessaire à la concrétisation de leurs projets le recours au temps partiel sera autorisé, sur dérogation.
Ces contrats seront dans leur très grande majorité des contrats à durée indéterminée. Je demanderai là aussi aux représentants de l'Etat de privilégier les projets qui favoriseront ce type de contrats.
Ce projet de loi me semble équilibré, parce qu'il incite, à côté du dispositif principal relatif aux contrats « nouvelles activités », à la création d'entreprises, comme nous y avait fortement invité l'Assemblée nationale, ou parce qu'il permet le développement et la pérennisation de l'apprentissage dans le secteur public, comme l'avait proposé votre rapporteur, M. Souvet. Il en est de même du Fonds de péréquation de la taxe professionnelle - veuillez excuser ce lapsus, je voulais évoquer la taxe d'apprentissage, mais il faudra bien travailler aussi un jour sur la taxe professionnelle ! - il en est donc de même du Fonds de péréquation de la taxe d'apprentissage, dont l'usage est désormais rendu possible par le vote d'un amendement du Sénat sous-amendé par le Gouvernement.
Le texte qui vous est soumis aujourd'hui prend également en considération la nécessité de transposer, sur le plan législatif, l'accord intervenu entre les partenaires sociaux concernant les conditions d'accès et d'exécution des contrats d'orientation. Notre volonté allait, elle aussi, dans ce sens.
Chacun d'entre nous est maintenant placé face à ses responsabilités. Le Gouvernement a pris les siennes en favorisant un débat large et ouvert et en donnant un avis favorable sur de très nombreux amendements parlementaires. Celles et ceux qui ont voulu donner davantage de densité au dispositif ont pu le faire et, je crois, être entendus. Personne n'a été bridé sur ce plan, et cette nouvelle lecture vous donnera encore l'occasion d'intervenir, si toutefois vous n'adoptez pas la question préalable.
Pour ma part, je n'ai jamais fait dépendre mon jugement sur un amendement de l'appartenance politique de son auteur. Je n'ai contesté que les amendements qui me semblaient alourdir la loi, la rendre moins claire, moins souple ou inapplicable, ou encore les amendements qui en changeaient la philosophie générale.
Il appartient maintenant à chacun de dire en conscience si oui ou non ce dispositif peut aider à casser la spirale de la résignation.
Ce dispositif, nous en sommes tous conscients, ne peut à lui seul répondre à l'ensemble des questions que soulève le chômage. D'autres mesures viendront le compléter, à commencer par le second volet du plan « emploi-jeunes » concernant le secteur privé, dont nous discuterons dès demain avec les partenaires sociaux.
Dans ce combat, je sais que nombreux sont celles et ceux qui, au-delà de la majorité actuelle, partagent notre sentiment et approuvent la démarche engagée.
Aux autres, je n'ai rien à dire, sinon que l'opposition systématique n'est sans doute pas la voie qui leur permettra d'être mieux compris par nos concitoyens. La seule opposition audible est, à mon avis, celle qui suggère une véritable solution de remplacement.
A chacun, je rappelle enfin que, au-delà de cet hémicycle, plusieurs centaines de milliers de jeunes attendent notre décision. Pour chacun d'eux, l'enjeu n'est pas de savoir s'il existe en France une opposition ; le seul enjeu à leurs yeux est de savoir si la communauté nationale est prête à les aider à construire leur avenir. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen. - Mme Joëlle Dusseau applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Louis Souvet, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, nous voici donc à nouveau réunis pour étudier le projet de loi relatif au développement d'activités pour l'emploi des jeunes. Une semaine a passé depuis l'examen en première lecture de ce texte par le Sénat. Vous vous souvenez sans doute que nous avions alors proposé un dispositif étoffé, en vue d'amender le texte dans un sens plus conforme à l'intérêt des jeunes. En substance, nous avions fait en sorte que le dispositif n'organise pas une fonction publique « bis » qui aurait accueilli les jeunes pour cinq ans sans prévoir de formation, d'encadrement et de perspective claire au terme du contrat.
Trois axes guidaient notre réflexion : premièrement, organiser la pérennisation dès que possible, au sein du secteur privé, des activités créées, et pour cela réintroduire l'esprit d'entreprise à toutes les étapes du développement des activités émergentes ; deuxièmement, organiser la formation des jeunes à ces nouveaux métiers, notamment par la voie de l'apprentissage, qui permet la meilleure professionnalisation ; troisièmement, enfin, organiser l'encadrement des emplois par le recours à des cadres au chômage et à des préretraités qui souhaiteraient faire part de leurs expériences.
Ces trois propositions essentielles permettaient d'assurer un transfert vers le secteur privé des activités, et ce dans les meilleurs délais. Elles donnaient une utilité et une direction claires au texte.
En conséquence, la commission avait considéré que les emplois strictement publics, comme ceux qui sont relatifs à la police, à l'éducation nationale et à la justice, devaient être isolés du dispositif initial, puisqu'ils n'avaient pas vocation à rejoindre le secteur privé. Leur financement devait relever des crédits de personnels, et non des subventions prévues pour les aides à l'emploi.
Cela était d'autant plus nécessaire que l'éducation nationale, à travers les dossiers distribués par les rectorats, a défini des exigences qui s'éloignent très sensiblement du cadre du dispositif prévu par le projet de loi, comme de celui qui a été défini pour les emplois d'adjoints de sécurité de M. Jean-Pierre Chevènement, à savoir un an, et seulement un an, éventuellement renouvelable, un salaire égal au SMIC et des exigences importantes en matière de qualification.
En plus de ces modifications apportées au texte, le Sénat avait adopté des mesures visant à la création d'un fonds de péréquation de l'apprentissage, à la pérennisation de l'apprentissage dans le secteur public et à l'adaptation du contrat d'orientation.
Le texte transmis à l'Assemblée nationale participait donc d'une logique certaine : assurer le développement et la professionnalisation de vrais emplois.
Il s'appuyait sur un principe simple, auquel avait souscrit Mme le ministre lorsqu'elle avait été entendue par la commission et lors de ses interventions en séance publique : il s'agissait de privilégier la qualité plutôt que la quantité des emplois, afin d'éviter les effets de substitution et les effets d'aubaine.
L'idée de « pépinière d'activités » résumait assez bien notre philosophie ; le secteur non marchand était sollicité ponctuellement, pour mettre le pied à l'étrier à de nombreux jeunes sans expérience et mal préparés aux exigences de l'entreprise.
Je tiens à rappeler que notre travail de réécriture avait été complété par la présentation d'amendements, adoptés en séance publique, qui allaient au-delà de la volonté de la commission. Ces modifications traduisaient, à l'évidence, les doutes de certains de nos collègues sur le dispositif lui-même, leur inquiétude légitime quant à la prise en considération des jeunes les plus en difficulté, ou encore leur impatience de voir rapidement mis en oeuvre le plan emploi-jeunes dans le secteur privé.
Comment l'Assemblée nationale a-t-elle réagi à nos apports ?
Il faut bien constater que, derrière les manières courtoises qui ont prévalu lors de la réunion, le 2 octobre, de la commission mixte paritaire, s'est dessiné un certain état d'esprit qui, par le refus du débat entre nos deux assemblées et le postulat que les entreprises ne devaient pas être associées au dispositif, ne pouvait que mener à l'échec.
Cet échec étant constaté, nous pouvons d'ores et déjà regretter cette attitude préjudiciable aux jeunes au chômage. Les travers du texte gouvernemental que nous avions dénoncés persistent : non seulement les emplois créés pourraient écarter durablement leurs bénéficiaires du marché du travail, mais, de plus, le coût de ce dispositif lui-même, de par la charge fiscale qu'il implique, constitue un obstacle à la création de vrais emplois dans les entreprises.
L'Assemblée nationale est allée au bout de sa logique en rétablissant globalement sa rédaction. L'ouverture en matière de financement des postes d'encadrement va dans la bonne direction, mais elle reste timide.
Je me permettrai de revenir brièvement sur les principales modifications apportées par l'Assemblée nationale au texte voté par le Sénat.
Au sein de l'article 1er, la rédaction du nouvel article L. 322-4-18 du code du travail exclut ainsi à nouveau les secteurs du logement, des nouvelles technologies et de la coopération du champ des conventions. Il n'est plus fait référence, dans la liste des employeurs possibles, à l'ensemble des acteurs du secteur HLM, des sociétés d'économie mixte et des groupements associant des entreprises.
Plus grave encore, il n'est plus obligatoire d'évoquer, dans les conventions, les conditions d'encadrement et de formation des jeunes, ainsi que celles d'une possible participation financière de l'usager, pourtant évoquée ici même par Mme le ministre, ou d'un éventuel transfert des activités au secteur privé.
On peut ainsi douter de l'engagement du Gouvernement de ne pas créer une fonction publique d'un nouveau type, puisque rien n'est prévu pour que ce dispositif débouche sur autre chose au cours des cinq ans, ou même au terme du contrat. Mme Martine Aubry a cité, à de très nombreuses reprises, des exemples personnels relatifs à la pérennisation des emplois créés par la ville de Lille. Je tiens à dire que tous les maires ne disposent ni de la même personnalité ni des mêmes relations que le ministre de l'emploi et qu'il est très peu probable que les partenaires privés fassent preuve de la même bonne volonté qui, dans le cas précis qui est cité, pourrait s'avérer non dénuée de tout calcul.
L'Assemblée nationale a supprimé l'intervention en amont d'un comité local agissant au nom du CODEF, pourtant proposée par notre collègue Mme Dieulangard qui avait essayé, non sans succès d'ailleurs, d'améliorer notre dispositif. Elle traduit ainsi une volonté de concentration des décisions dans les mains du préfet et des administrations centrales.
Pourtant, j'ai relevé, en lisant le compte rendu analytique des débats de l'Assemblée nationale, à la page 29, que Mme le ministre envisageait des dispositions semblables à celles qui sont préconisées par votre commission. « On examinera aussi, est-il écrit, les chances de pérennisation ainsi que les conditions de professionnalisation ; mais il est important que les collectivités et les associations puissent être aidées. Une de nos idées serait de trouver dans chaque région deux ou trois organismes que nous agréerions, que nous formerions... » On peut se demander pourquoi, dans ces conditions, le Gouvernement s'est refusé au dialogue avec le Sénat sur cette question qui aurait pu permettre de trouver un dispositif intelligent qui nous aurait tous satisfaits. (Mme le ministre s'étonne.) J'ai le texte sous les yeux, madame le ministre.
Mme Martine Aubry, ministre de l'emploi et de la solidarité. J'ai tenu ces propos ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Absolument, ou alors le texte est faux.
On peut également noter que l'Assemblée nationale a supprimé une disposition permettant aux collectivités territoriales d'employer des jeunes pour leurs activités de représentation à l'étranger. Elle a également refusé que les institutions représentatives du personnel soient consultées préalablement à la signature des conventions, ce qui ne peut être que préjudiciable aux employés.
Dans sa rédaction de l'article L. 322-4-19 du code du travail, l'Assemblée nationale est revenue à des conditions limitatives pour les jeunes âgés de vingt-six à trente ans, ce qui ne peut que pénaliser les jeunes titulaires d'un doctorat qui auraient pu souhaiter rejoindre l'éducation nationale à cette occasion.
Elle a maintenu l'âge de trente ans sans condition limitative, introduite par le Sénat, pour les personnes handicapées sans remarquer que, en supprimant la disposition qui permettait d'exclure ces emplois du quota de droit commun à respecter, elle favorisait l'emploi des personnes handicapées dans le plan emploi-jeunes au détriment de leur emploi sous statut normal. Le texte du Sénat était, là encore, préférable.
L'Assemblée nationale a supprimé le bénéfice de l'aide financière de l'Etat pour les postes d'encadrement sans condition d'âge, ce qui ne peut que réduire un peu plus l'avenir de ces activités et notamment leur perspective de pérennisation.
Elle a supprimé le principe même d'une priorité à l'embauche pour les jeunes les moins qualifiés lorsqu'ils sont capables d'occuper les emplois proposés. Cela ne pourra que créer des frustrations pour les jeunes surqualifiés alors que les jeunes sans qualification seront exclus d'un dispositif que l'on aurait pu croire leur être naturellement destiné.
L'Assemblée nationale a également supprimé toute référence au montant de l'aide comme à celle d'une modulation en fonction du potentiel fiscal des collectivités, et à celle d'une dégressivité, dans le temps, de l'aide.
Je rappelle que votre commission n'avait pas donné son accord à ces deux dernières propositions, sans pour autant nier qu'il existait un véritable problème concernant la pérennisation des activités et la situation des collectivités locales les plus pauvres, auquel le Gouvernement n'apporte aucune réponse.
Plus dommageable encore est la suppression du bénéfice de l'aide pour les formations à ces nouveaux métiers par la voie de l'apprentissage. Cette modification est incompréhensible : le Gouvernement persiste à considérer que les jeunes au chômage ont une formation, sans se rendre compte que le diplôme nominal peut ne présenter aucun intérêt professionnel. Sans formations solides et structurantes, il ne pourra y avoir de nouveaux métiers.
Dans le texte proposé pour l'article L. 322-4-20, l'Assemblée nationale s'est attachée à supprimer toutes les dispositions qui tendaient à permettre une pérennisation dans le secteur privé. Cette attitude rigide est source d'inquiétude.
Que va-t-il advenir de ces jeunes au bout de cinq ans ? Leur situation ne sera-t-elle pas plus délicate encore s'ils ont été écartés du monde de l'entreprise et maintenus dans des ersatz d'emplois ? En effet, certains jeunes seraient âgés de trente ans voire trente-cinq ans au terme du contrat et ils pourraient n'avoir jamais rencontré le monde de l'entreprise.
La seule avancée significative de l'Assemblée nationale réside dans l'ouverture au bénéfice des conventions de coopération pour des postes d'encadrement. L'Assemblée nationale reprend ainsi, sous une autre forme, l'idée d'une activation des dépenses passives à travers le fonds paritaire d'intervention pour l'emploi et le souci de valoriser les compétences des cadres expérimentés. Il faut toutefois noter que ces cadres ne seront pas éligibles à l'aide de l'Etat.
Ce geste traduit insensiblement une prise de conscience des insuffisances du texte gouvernemental par l'Assemblée nationale, même si cette dernière n'en a pas tiré toutes les conséquences quant à la formation et la pérennisation.
On peut faire la même observation sur l'article 2 bis A relatif aux contrats publics dans l'éducation nationale et la justice. Le ministre de l'emploi et de la solidarité a déclaré à plusieurs reprises qu'ils s'écartaient de l'esprit du texte. Comment se fait-il, dans ces conditions, que l'Assemblée nationale maintienne le principe d'une « sous-fonction publique » sous contrats privés, rémunérée par des subventions pour l'aide à l'emploi prélevées sur les crédits du ministère pour financer ces emplois à concurrence de 80 % du SMIC alors qu'ils devraient être financés en totalité par des crédits prévus en loi de finances pour la rémunération des personnels, conformément aux principes des finances publiques ?
Le désaccord entre l'Assemblée nationale et le Gouvernement, d'une part, et le Sénat, d'autre part, est donc profond sur le projet de loi relatif aux emplois-jeunes, la logique comme les objectifs sont différents. L'Assemblée nationale et le Gouvernement privilégient coûte que coûte un objectif quantitatif, sans se soucier véritablement de ce qu'il adviendra des jeunes, alors que le Sénat a cherché à privilégier un dispositif souple, transitoire, professionnalisé et proche des entreprises.
Les déclarations de certains organismes publics de gestion d'HLM constituent un bon exemple des contradictions du texte présenté par l'Assemblée nationale. Ces derniers viennent en effet de préciser qu'au terme de cinq ans la pérennisation des emplois sera tout simplement assurée par une augmentation des loyers. Dans ces conditions, on comprend mal pourquoi il serait nécessaire de subventionnner pendant cinq ans des activités dont le financement pourrait d'ores et déjà être assuré au moyen d'un relèvement des loyers.
Je tiens à ajouter que l'Assemblée nationale a accepté sans modification l'article 4 relatif à la pérennisation de l'apprentissage dans le secteur public et pour lequel votre commission avait beaucoup fait au printemps dernier. Elle a également voté les dispositions introduites par le Sénat concernant la création d'un fonds de péréquation de l'apprentissage et l'adaptation du contrat d'orientation. Le parti que nous avions pris d'amender le texte - ce qui est une preuve de bonne volonté - n'aura donc pas été tout à fait inutile.
Vous comprendrez bien toutefois, monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, que notre accord sur des dispositions distinctes du texte ne peut cacher une profonde divergence sur les politiques à mener pour créer des emplois, notamment pour les jeunes.
Ce désaccord est d'autant plus fort qu'il s'accompagne d'un mode de financement curieux puisqu'il sera comptablement assuré par une baisse des crédits du ministère de la défense, qui, outre le fait qu'elle pourrait fragiliser notre sécurité...
M. Emmanuel Hamel. Elle la fragilise, c'est une certitude !
M. Louis Souvet, rapporteur. ... et notre capacité d'intervention, ne manquera pas de se traduire par des licenciements supplémentaires dans les industries de défense. L'armée, à tous les niveaux, a conscience d'avoir payé largement le coût du dispositif emploi-jeunes. Les cadres militaires ne cachent pas leur inquiétude quant à leur formation, ...
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Louis Souvet, rapporteur. ... à la modernisation de leurs matériels et donc à leur carrière. Ils considèrent que des réactions vives pourraient accompagner l'éventuel échec d'un dispositif emploi-jeunes qui leur a tant coûté.
L'attitude du Gouvernement et de l'Assemblée nationale étant par conséquent ce qu'elle est, je vous propose, mes chers collègues, de mettre un terme à l'examen de ce texte, qui conserve ses tares initiales, par l'adoption d'une motion tendant à opposer la question préalable. J'avoue que, personnellement, j'aurais préféré maintenir un texte complet, mais telle n'a pas été la volonté de la majorité sénatoriale. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après une longue réflexion, la majorité sénatoriale s'est résolue à présenter une motion tendant à opposer la question préalable.
Nul doute que le Sénat a le devoir de débattre de tout texte qui lui est soumis même si celui-ci est jugé irritant et symbolique. C'est ce que le Sénat a fait, d'abord en commission des affaires sociales puis en séance publique, la semaine dernière, pendant deux jours et deux nuits.
Vous avez tenu, madame la ministre, à déclarer l'urgence sur votre projet de loi, ce qui est très significatif. Cette procédure, en supprimant la deuxième lecture, enlève pratiquement tout espoir de conciliation, puisque le laps de temps consacré à la réflexion, au mûrissement des idées - elles en ont besoin ! - au dialogue entre les deux assemblées est insuffisant et ne peut conduire qu'à l'échec, nous le constatons.
Madame la ministre, le Sénat a joué son rôle d'assemblée complémentaire. Il a apporté sa contribution sur un sujet qu'il considère comme étant particulièrement grave. La majorité sénatoriale, acteur responsable, et en particulier la commission des affaires sociales ont donc adopté une attitude constructive. Elles se sont interrogées, ont fait part de leurs préoccupations, ont mis en garde, ont émis des réserves et, surtout, ont formulé des propositions.
Si nous avions d'emblée rejeté l'idée de recourir à une motion tendant à opposer la question préalable, c'est parce que, d'une part, l'annonce des emplois-jeunes avait suscité de nombreux espoirs et que, d'autre part, nous considérions que la recherche d'emplois nouveaux n'était pas une solution à rejeter a priori.
La commission, en particulier, s'est donc appliquée à corriger le projet de loi afin qu'il puisse atteindre son objectif avec plus de réalisme. La majorité sénatoriale et la commission ont estimé, avec lucidité et clairvoyance, que la direction donnée n'était pas la bonne et qu'il fallait changer d'aiguillage. Il n'a jamais été dans l'objectif du groupe de l'Union centriste de rendre votre projet de loi caricatural, madame la ministre. Nous étions sur un mode différent.
Pourquoi ne pas avoir attendu la fin des travaux de la Conférence sur l'emploi pour proposer un grand projet de loi d'ensemble destiné à lutter contre le chômage, sans discrimination aucune, en dynamisant l'emploi vers le secteur privé ? Au lieu de cela, vous vous êtes empressée, madame la ministre, de proposer à une catégorie de jeunes des activités d'utilité sociale dans les secteurs public et associatif, en faisant procéder à des recrutements avant même que le Sénat n'ait eu son mot à dire et en alourdissant le poids des finances publiques. Aujourd'hui, près d'un Français sur trois travaille pour l'administration. La France est le pays de l'OCDE, à l'exception de la Suède, qui compte le plus de fonctionnaires par rapport à la population active et où les dépenses publiques sont les plus lourdes en pourcentage du PIB.
Une telle philosophie, qui consiste à augmenter les dépenses publiques par un nouvel accroissement de la masse des personnels relevant des missions de l'Etat, ne peut donc nous satisfaire.
Le dispositif est dangereux pour les collectivités locales, en particulier, auxquelles sera imposée, encore une fois, une nouvelle charge financière. A terme, il débouchera inévitablement sur une augmentation de la pression fiscale. Et dans cinq ans, les collectivités locales seront contraintes de financer elles-mêmes la pérennisation de ces emplois qui leur sera imposée par la pression sociale.
Ce qui nous gêne également dans votre projet de loi, madame la ministre, c'est que ces « métiers » ne s'adressent qu'à des jeunes diplômés et laissent sur le bord de la route les autres, dont le taux de chômage est beaucoup plus criant et qui auraient pu voir dans ces emplois-jeunes une véritable chance d'insertion. Il ne faut pas oublier que, dans notre pays, un tiers d'une classe d'âge sort de l'école sans aucune qualification.
Si de jeunes diplômés acceptent ces petits emplois payés au SMIC pendant cinq ans, c'est que l'angoisse dépasse la révolte. Cela me rappelle l'affaire du CIP, le fameux SMIC-jeunes : en 1994, les jeunes diplômés n'admettaient pas l'idée d'être payés à 80 % du SMIC ; la dévalorisation du diplôme était, pour eux, monétaire. Reconnaissez que la plupart des emplois-jeunes sont à la fois surqualifiés pour les uns et sous-payés pour les autres.
Le plan que vous proposez repose sur une certaine logique d'assistance, et c'est cette notion même d'assistance qui nous gêne car elle ne concorde en rien avec la philosophie qui est la nôtre et qui se tourne résolument vers l'esprit d'entreprise, vers la responsabilisation de notre jeunesse, vers la création de richesses par l'entreprise.
Or, dans le contexte économique actuel, il nous faut une démarche stratégique qui encourage l'innovation et stimule l'esprit d'entreprise des travailleurs qui ont de l'expérience pour insérer les jeunes, en priorité, dans les activités marchandes existantes.
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Jean-Louis Lorrain. Non seulement le texte est ambigu quant à la nature des activités envisagées, mais, de plus, ces emplois ne nous paraissent pas - dans l'ensemble - adaptés à des jeunes âgés de moins de vingt-six ans, sans expérience professionnelle ni expérience humaine, notamment en ce qui concerne la médiation familiale, la réinsertion des détenus ou encore la prévention de la violence. Le risque d'inutilité, voire d'échec, que nous déplorons, est donc malheureusement probable.
La reconnaissance et le développement du tiers secteur, c'est-à-dire d'une économie entre le marché et l'Etat, auraient mérité un autre débat. Ces métiers, que l'on a qualifié de « métiers du lien social », consistent à intervenir entre le fonctionnement ordinaire des institutions et les comportements pour corriger, adapter individus et institutions. En fait, ils remettent en cause le travail social. Après tout, pourquoi pas ? Mais il faut le dire et s'interroger en amont sur son avenir.
Afin de clarifier le dispositif, il a paru essentiel à la commission des affaires sociales de tracer une frontière bien nette entre les emplois-jeunes et les assistants ou auxiliaires de la fonction publique. C'est l'un des points qui nous opposent.
Les 20 000 adjoints de sécurité que vous avez prévu de recruter seront, en fait, pratiquement intégrés à la police nationale, avec uniforme et arme de service, mais après seulement deux mois de formation, ce qui nous paraît inquiétant.
A l'exception de celles de la police judiciaire et du maintien de l'ordre, ils pourront effectuer toutes sortes de missions : îlotage, patrouilles, etc. En fait, ils remplaceront tout simplement les appelés du contingent servant dans la police. Cela ne va pas sans critique des syndicats de policiers, qui déplorent une formation bâclée et craignent une « police à deux vitesses » : d'une part, 20 000 adjoints de sécurité, sous-payés et précarisés ; d'autre part, 15 000 autres personnes, agents locaux de médiation, plus loin de la police mais appelés dans les zones difficiles pour prévenir et désamorcer les conflits par le dialogue et la discussion.
Certains emplois envisagés relèvent à l'évidence des missions régaliennes de l'Etat et donc du secteur public comme ceux qui sont liés à l'éducation, à la justice et à la police, relevant du ministère de l'intérieur.
Par ailleurs, considérant que seul le secteur marchand - des grandes entreprises aux PME - est créateur d'emplois et que vous demeurez néanmoins fidèle à la conception qui fait de l'Etat, c'est-à-dire de la puissance publique, l'acteur principal, nous avons souhaité inclure dans le dispositif les entreprises privées, en l'occurrence les PME de moins de 50 salariés, sous certaines conditions bien sûr.
Nous avons été plus loin en permettant à ces petites entreprises, notamment aux artisans, de conclure une convention pluriannuelle avec l'Etat pour participer au dispositif des emplois-jeunes.
Nous sommes convaincus que seules de telles dispositions auraient pu permettre de rendre votre projet de loi plus proche des réalités, c'est-à-dire plus viable, et, surtout, de le placer dans la droite ligne d'une véritable dynamique de l'emploi.
Fidèles à nos convictions, nous avons toujours privilégié la voie de l'allégement du coût du travail et donc de l'allégement des charges sociales sur les bas salaires.
Nous sommes donc en opposition avec le Gouvernement, qui vient d'annoncer, pour 1998 la remise en cause de ces allégements.
Le Gouvernement va même jusqu'à remettre en cause le plan d'allégement des charges sur les bas salaires. Tout à l'heure, des explications nous ont été données s'agissant du plan textile, et je n'y reviens donc pas. Mais trouver là un mode de financement au plan emplois-jeunes nous paraît difficile à comprendre !
C'est à l'heure du premier bilan, en 1998, que nous vous donnons rendez-vous, et nous verrons si les 150 000 emplois-jeunes qui doivent être créés pour cette date auront eu un effet de substitution au sein des collectivités territoriales. L'effet pervers aura alors joué. En effet, les finances locales étant déjà fortement sollicitées, notamment au bénéfice de la solidarité, les collectivités territoriales ne vont pas manquer de s'engouffrer dans cette brèche qui est ouverte.
La majorité sénatoriale s'est donc rendue à l'évidence qu'elle n'avait pas d'autre choix, aucune conciliation n'étant possible, que de rejeter ce projet de loi, pour rester en phase avec ses convictions et ses engagements.
Nous sommes aussi préoccupés que vous du problème du chômage des jeunes. Toute l'Europe l'est comme nous. Il est difficile de ne pas remarquer que des nations, comme la Grande-Bretagne et les Pays-Bas, commencent à réussir à juguler ce problème en empruntant les moyens qui sont dédaignés dans notre pays.
Aux Pays-Bas, le Gouvernement a misé sur le partage du travail par le temps partiel. Le SMIC a baissé par rapport au salaire moyen et le poids des dépenses publiques dans le produit intérieur brut a régressé très fortement. Le taux de chômage y est comparable à celui des Etats-Unis.
C'est donc en conscience que le groupe de l'Union centriste votera la motion tendant à opposer la question préalable. Il regrette que l'énorme travail accompli par la commission des affaires sociales, saisie au fond, particulièrement par son rapporteur et son président, n'ait pas été estimé à sa juste valeur, alors que vous-même, madame le ministre, lui reconnaissiez des mérites. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'incapacité de trouver un accord entre les deux assemblées nous conduit donc, une semaine après l'examen en urgence du projet de loi relatif à l'emploi des jeunes, à une nouvelle lecture de ce texte.
Cela n'est pas pour m'étonner : le texte voté par la majorité sénatoriale, passant au hachoir le texte adopté par les députés, aboutissait en effet à la réécriture complète, presque systématique, du projet de loi.
Force est de constater que l'option affirmée par le Sénat était nettement contraire à la volonté du Gouvernement, à celles des députés et, ai-je envie d'ajouter, aux attentes et aux espérances de la jeunesse et de nos concitoyens.
M. Jean-Pierre Schosteck. Ça, c'est moins sûr !
M. Guy Fischer. La majorité de la commission des affaires sociales a donc pris prétexte de ce désaccord et du refus de l'Assemblée nationale d'étendre le champ du projet de loi au secteur marchand pour lui opposer la question préalable.
La majorité sénatoriale se dévoile sous son vrai jour. Elle tire donc les leçons de ses divisions et renonce à amender le texte comme elle s'y était essayée lors de la lecture précédente.
M. Alain Gournac. Vous prenez vos désirs pour une réalité !
M. Guy Fischer. Ce faisant, elle fait preuve de son mépris pour ce texte, mais surtout d'un incroyable mépris pour l'espoir qu'il a soulevé dans toute une partie de la jeunesse qui sent - on le voit bien d'après les réactions des jeunes - qu'il s'agit peut être d'un premier pas permettant enfin de rompre avec la logique passée.
M. Alain Gournac. Un faux pas !
M. Guy Fischer. Eh bien, plutôt que de prendre la mesure de ces attentes et de ces espoirs, vous leur opposez une motion de procédure !
Aux 630 000 jeunes chômeurs, aux centaines de milliers de jeunes qui alternent petits boulots ou contrats emploi-solidarité, stages plus ou moins qualifiants et périodes de chômage, vous répondez par la question préalable.
Bien sûr, ce projet de loi peut, dans son état actuel, soulever des questions et mériterait, à notre sens, d'être amélioré.
M. Jean-Pierre Schosteck. Ah bon !
M. Guy Fischer. Je suis objectif !
M. Alain Gournac. C'est bien !
M. Guy Fischer. Je pense en particulier au maintien de la possibilité de recourir au temps partiel. Si les affirmations de Mme la ministre en la matière nous rassurent sur sa volonté de privilégier le temps plein, nous craignons néanmoins que, sur le terrain, cette volonté ne puisse s'exprimer avec la même force et ne finisse par laisser certains jeunes dans des situations de précarité.
Nous persistons à penser qu'il aurait été nécessaire de clarifier les rapports entre le dispositif de emplois-jeunes et la fonction publique.
M. Jean-Pierre Schosteck. Tiens !
M. Guy Fischer. Bien sûr, on peut regretter encore que l'Assemblée nationale n'ait pas intégré certaines des rares améliorations apportées au texte par le Sénat : à cet égard, je pense en particulier au maintien par les députés d'une simple information sur les conventions et non pas, comme notre groupe ou d'autres l'avaient proposé, d'une consultation des institutions représentatives des personnels.
Il en est de même pour l'examen des conventions par une structure locale.
Bien sûr, on peut regretter certains ajouts effectués par l'Assemblée nationale : je pense à l'ouverture aux bénéfices des conventions de coopération pour les postes d'encadrement des emplois-jeunes en versant aux employeurs ce qui est au bout du compte l'argent des chômeurs et des salariés. Nous avions d'ailleurs refusé, en 1994, la création de ces conventions.
Il est symptomatique à cet égard que M. le rapporteur qualifie cette mesure de « seule avancée significative ». Cela ne nous surprend pas.
Bien sûr, on peut toujours préférer, sur tel ou tel point - mais c'est bien rare à mon sens - l'écriture proposée par le Sénat.
Mais aujourd'hui, avec le dépôt de cette motion tendant à opposer la question préalable, il s'agit non pas de cela, mais de l'expression d'une opposition entre deux logiques contradictoires.
D'un côté, nous avons un texte, celui de l'Assemblée nationale qui, même s'il n'est pas parfait, s'inscrit dans la logique du projet de loi présenté par le Gouvernement, apporte à ce dernier des améliorations et confirme la volonté affichée de rompre avec un type d'aide à l'emploi qui a échoué jusqu'à présent.
De l'autre côté, le texte de la majorité sénatoriale affirmait la volonté d'aller toujours plus loin dans la flexibilité, dans la remise en cause du code du travail, dans la baisse des coûts salariaux et de la protection sociale.
M. Alain Gournac. Et dans la formation !
M. Guy Fischer. Je pense à la proposition d'un sous-contrat à durée déterminée de cinq ans pour les petites et moyennes entreprises, à la possibilité de conserver les aides pour les emplois repris par le secteur marchand, au détournement du fonds paritaire pour l'emploi, à la proposition formulée par un sénateur d'employer sous contrat emplois-jeunes des gardiens d'immeubles en copropriété.
Ce texte prévoyait donc encore et toujours moins pour le salarié et encore et toujours plus pour l'employeur : en bref, il visait à continuer dans une voie qui, de loi quinquennale pour l'emploi et de contrat emploi-solidarité en contrat initiative-emploi et en contrat d'insertion professionnelle, de loi sur les négociations collectives en baisse du coût du travail, aurait, à défaut de faire baisser le chômage, propagé la précarité par effet de substitution et contribué finalement à la destruction d'emplois.
Ce texte, nous l'avions refusé. Et l'on peut se demander si le dépôt de la motion tendant à opposer la question préalable ne montre pas, en fait, que la droite ne croit même pas à sa proposition d'extension du dispositif au secteur marchand ! Nous serons fixés demain.
Au reste, avec le futur texte sur l'emploi des jeunes dans les entreprises, second volet de la lutte contre le chômage des jeunes, nous aurons l'occasion de le vérifier encore.
Nous rejetons la motion tendant à opposer la question préalable - cela n'étonnera personne - parce que nous rejetons la logique que la droite voulait imprimer au dispositif des emplois-jeunes. Nous la rejetons, parce qu'il est impossible de ne pas répondre à la situation d'urgence dont témoignent les 200 000 jeunes - on parlait naguère de 140 000 jeunes - qui se sont rués vers les guichets des rectorats.
Pour nous, le projet de loi relatif au développement d'activités pour l'emploi des jeunes est non pas un point d'arrivée, mais un point d'appui à partir duquel doit être combattu le fléau que constituent le chômage et la précarité pour la jeunesse et pour la société tout entière.
Décidés à ne laisser passer aucune chance et ne voulant pas renoncer au défi d'offrir un véritable emploi aux jeunes de notre pays, nous rejetterons la motion tendant à opposer la question préalable déposée par la majorité de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen, sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Dusseau.
Mme Joëlle Dusseau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette nouvelle lecture est bien sûr symbolique : la commission mixte paritaire a constaté le désaccord entre l'Assemblée nationale et le Sénat, et le dernier mot reviendra à l'Assemblée nationale, laquelle a quasiment rétabli en nouvelle lecture, à quelques détails près, le texte initial ; enfin, la majorité de la commission, par la voix de son rapporteur, a décidé de déposer une motion tendant à opposer la question préalable.
Certes, la distance était très grande et les conceptions totalement différentes entre le projet de loi et le contre-projet sorti des débats de la Haute Assemblée.
Il n'y a pas lieu de le regretter, et il est même positif que nous ayons sur un certain nombre de points clés des clivages très marqués.
Toutefois, le fait de souligner ces clivages - c'était nécessaire, même s'ils ont parfois été accentués un peu gratuitement - a forcément érodé, élimé des interrogations fondées qui se retrouvaient, et se retrouvent toujours, sur toutes les travées de cette assemblée.
A ce stade du débat, c'est sur ces interrogations que je veux insister.
Je souhaite vous demander, madame la ministre, d'être particulièrement vigilante sur un certain nombre d'aspects, dans les prochains mois. J'ai en effet des inquiétudes, comme nombre de mes collègues, notamment MM. Fourcade et Souvet, sur la confusion qui s'est installée entre le projet de loi initial et la mise en place d'un secteur parapublic, avec des embauches dans l'éducation nationale et dans la police.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Ah !
Mme Joëlle Dusseau. Mais je l'avais dit dans mon intervention lors de la précédente lecture, monsieur le président !
A cela, deux raisons.
D'abord, ces emplois, payés à 80 % sur les crédits du ministère de l'emploi et de la solidarité, ne peuvent pas, par leur nature même, devenir marchands, d'où la question de l'avenir de ces emplois, des profils de carrière de ces jeunes, de la distinction entre eux et les fonctionnaires sur les plans du statut, de la rémunération et des heures de travail.
L'idée de leur intégration par concours n'est pas complètement satisfaisante. Si j'ai bien lu les chiffres, 40 000 emplois-jeunes sont créés cette année dans l'éducation nationale et 150 000 le seront d'ici à trois ans. Ces chiffres sont sans commune mesure avec le nombre de postes mis habituellement aux concours dans l'éducation nationale, hors recrutement d'enseignants.
De plus, cela sous-entendrait que les concours, dans les années à venir, seraient exclusivement réservés à ces jeunes que l'on embauche maintenant, ce qui n'est pas possible.
La deuxième raison de mon inquiétude quant à la mise en place de ce secteur parapublic tient à son poids « psychologique » sur l'image des emplois que vous souhaitez créer.
Pour ces emplois, qui sont, au sens strict du terme, les « emplois Aubry », vous faites appel à deux notions qui me paraissent tout à fait importantes.
La première notion, qui vous est chère comme à moi, madame la ministre, est l'imagination, la reconnaissance dans le champ social de ces emplois émergents, dont certains se dessinent déjà à partir de pratiques sociales innovantes, et dont d'autres sont encore à imaginer.
La seconde notion, qui vous est également chère, est le basculement partiel, progressif, mais organisé, de ces emplois vers des financements diversifiés en partie ou totalement marchands.
Il est à craindre, à entendre telle commune faire état de 100 emplois ou tel conseil régional de 500 emplois dont le financement serait déjà inscrit au budget supplémentaire en cours d'adoption, que, fortes de ces effets d'annonce, les collectivités locales ne s'engouffrent dans ce système comme elles l'ont fait précédemment dans celui des CES. C'est un peu moins rentable, certes, mais tellement plus qu'une embauche puisque ces emplois sont financés à 80 % par l'Etat !
C'est dire, madame la ministre, à quel point ce chemin de crête dans lequel vous vous engagez - et dans lequel je vous suis - entre le secteur marchand et le secteur public comporte des limites, qui seront difficiles à saisir par certains utilisateurs faute de volonté ou d'imagination. Quoi qu'il en soit, les collectivités locales devront bien un jour ou l'autre pérenniser les emplois créés dans une sorte de « sous-fonction publique », ce qui ne correspond pas à l'esprit de votre projet de loi.
C'est dire également à quel point ce projet fort, ambitieux et nécessaire, qui correspond à de réels besoins non satisfaits et à l'attente exigeante de la jeunesse, doit, au-delà du vote même du texte, être appliqué dans un esprit novateur.
C'est dire aussi à quel point il ne pourra porter vraiment ses fruits que s'il est complété par le second volet concernant le privé que vous avez annoncé, mais aussi par une politique volontariste qui s'attaque au chômage des autres catégories d'une population qui subit la crise depuis plus de vingt ans et dont toute une partie ne vit plus que sous le signe des trois D : déprime, débrouille et désespérance.
Vous le savez, au moment où nous examinerons la question préalable, seuls les représentants des groupes auront droit à la parole. Je ne pourrai donc pas exprimer la position des sénateurs radicaux socialistes du groupe du RDSE ! Je précise donc - mais ce n'est pas vraiment une surprise - que, dans la mesure où ils soutiennent le projet de loi, ces derniers voteront contre la question préalable. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Diligent.
M. André Diligent. Avant d'en venir à mon intervention proprement dite, je voudrais, madame la ministre, vous poser une question précise et, je vous le dis d'emblée, je n'emploierai pas la formule habituelle qui consiste à dire que de votre réponse dépendra le sens de mon vote car, de toute façon, je ne voterai pas la question préalable. Non pas pour vous être agréable, non pas pour déplaire à mes collègues, mais parce que, en conscience, je le dois.
M. Emmanuel Hamel. Vous n'êtes pas le seul !
M. André Diligent. Je tiens à rappeler auparavant que, à l'instar de certains de mes collègues - de tous bords, d'ailleurs - je réclame une véritable justice fiscale entre les différentes collectivités locales.
C'est bien à cette fin que le Sénat a adopté, en première lecture, un amendement instaurant une modulation au bénéfice des communes les plus pauvres, car nous en avons tous assez d'un système aux termes duquel plus on est pauvre plus il faut payer.
L'Assemblée nationale n'a pas suivi le Sénat, mais un parlementaire très proche de vous, madame la ministre, a publié, dans la presse dominicale, le communiqué suivant : « Afin que soit rendu possible un financement de 90 % au lieu de 80 % par l'Etat des emplois-jeunes au bénéfice des communes percevant la dotation de solidarité urbaine ou rurale, j'ai saisi le ministre pour qu'il utilise cette possibilité de financement pour rétablir la justice, puisque je ne peux pas voter cet amendement ».
J'aimerais connaître la réponse que vous allez apporter à ce parlementaire, madame la ministre, car ce point est capital : c'est un combat qu'avec un certain nombre de parlementaires nous menons depuis longtemps, et nous espérons vous convaincre.
Cela dit, m'exprimant à titre purement personnel, je vous confirme que je ne voterai pas la question préalable. J'ai en effet rencontré, au cours de ce week-end, un certain nombre de jeunes chômeurs - et ce n'est pas difficile dans ma commune, où les records sont battus - et je peux traduire ici le message qu'ils m'ont transmis : certes, ce projet de loi est plein d'imperfections ; certes, il aurait sans doute fallu donner la priorité à l'emploi privé par rapport à l'emploi public ; certes, un problème de philosophie est posé à la base ; certes, nous ne sommes pas rassurés quant à la pérennité des emplois. Mais nous sommes au bord de la route et nous ne pouvons plus attendre une autre législature, c'est-à-dire cinq ans ! Nous sommes désespérés, certains d'entre nous ont, osons le dire, faim.
C'est pourquoi, tout en reprenant à mon compte et en approuvant les remarques qu'ont présentées les différents orateurs de la majorité sénatoriale, je me vois dans l'obligation, après avoir longuement hésité - car c'est pour moi un véritable cas de conscience personnelle, mais n'y voyez pas un quelconque reniement de ma part - de ne pas voter, à titre personnel, la question préalable. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Estier.
M. Claude Estier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, à la veille de la Conférence pour l'emploi et les salaires qui réunira demain, à l'hôtel Matignon, les partenaires sociaux sur l'invitation du Gouvernement, le Sénat va mettre un terme, à sa manière, à l'examen du projet de loi relatif aux emplois-jeunes.
La coïncidence de date permet de replacer l'ensemble de l'action du Gouvernement pour l'emploi en perspective.
Un premier volet, dont nous terminons l'examen ce soir, est spécifiquement en faveur de l'emploi des jeunes dans les structures publiques et parapubliques, les collectivités territoriales et les associations. Puis se réunira une conférence pour l'emploi, en vue notamment de déboucher sur la réduction du temps de travail et la création d'emplois dans le secteur privé, y compris pour les jeunes. Un projet de loi, enfin, interviendra en direction des plus défavorisés afin de permettre leur insertion ou leur réinsertion sociale et professionnelle. En effet, parmi eux, 250 000 jeunes sont en grande difficulté, et leur situation retient toute notre attention. Elle nécessitera la mise en oeuvre de dispositifs particulièrement bien ajustés.
Dans le passé, vous avez su, madame la ministre, agir en ce sens, et nous savons qu'il en ira de même très bientôt.
Pour l'heure, c'est encore du projet de loi emplois-jeunes qu'il s'agit.
Le texte que nous a transmis l'Assemblée nationale nous convient globalement. Nos collègues députés y ont intégré quelques éléments apportés par le Sénat, notamment en faveur de l'apprentissage ou du contrat d'orientation. Nous notons ainsi avec satisfaction la reprise de l'amendement ouvrant le bénéfice des emplois-jeunes aux personnes handicapées jusqu'à l'âge de trente ans.
Par ailleurs, le texte a retrouvé la simplicité, la cohérence et la lisibilité qu'il avait perdues ici en première lecture. Ce sont des éléments importants pour le succès de cette opération auprès de tous les partenaires, surtout localement.
Il a retrouvé aussi un coût budgétaire acceptable pour nos finances publiques. En effet, ce ne fut pas le moindre paradoxe que la juxtaposition par la majorité sénatoriale d'un discours alarmiste sur le coût supposé prohibitif des emplois-jeunes et de l'incroyable extension de ce dispositif à de nouveaux publics et à de nouveaux employeurs privés. Au demeurant, on se demande en vertu de quoi ces employeurs percevraient une aide de l'Etat de 80 % par emploi, alors que tant d'autres aides et exonérations leur sont déjà accessibles par ailleurs !
Se proclamant gardienne sourcilleuse des finances publiques, la majorité sénatoriale n'a pas hésité à proposer de considérables dépenses nouvelles. Tout aussi surprenant, elle a adopté des amendements en direction du secteur privé qui auraient provoqué de graves distorsions de concurrence nuisibles pour les entreprises.
Pour ma part, j'ai le sentiment que, au-delà des péripéties politiciennes du moment, cette confusion est le signe d'une distance - je ne veux pas dire d'une incompréhension - par rapport aux mutations technologiques auxquelles nous sommes confrontés.
Ces mutations induisent des transformations dans la société. Nous tous, en tant qu'élus locaux, y sommes confrontés chaque jour lorsque nous en recevons les victimes - chômeurs, personnes en difficulté - dans nos permanences.
Il est clair pour nous, socialistes, que nous ne pouvons laisser faire et que nous ne pouvons nous contenter de panser les plaies individuelles. Une action globale, prenant en compte l'ensemble de ces mutations, est plus qu'urgente.
Il n'y a plus, aujourd'hui, nous le savons tous, d'inépuisables réserves d'emplois dans la production de biens d'équipement. La productivité acquise, à laquelle vient s'ajouter la délocalisation massive de certains secteurs, aboutit à une demande de main-d'oeuvre beaucoup plus faible que par le passé.
Il ne suffit pas d'en prendre acte et de considérer, sans aller au-delà, que les salariés sont la seule et unique variable d'ajustement pour maintenir la compétitivité. Cela se justifie d'autant moins qu'après une période difficile nos entreprises ont, pour la majorité d'entre elles, retrouvé une meilleure santé, notamment financière.
Si des efforts demeurent à accomplir, c'est en direction des très petites entreprises et des entreprises artisanales, d'ailleurs souvent victimes en tant que sous-traitantes de la pression que des entreprises plus importantes font peser sur elles.
Que ressort-il donc de ces mutations et comment les prendre en compte pour que les conditions de vie demeurent acceptables pour le plus grand nombre ?
Il est clair aujourd'hui que, si l'entreprise est un moteur essentiel de la croissance, elle n'est pas l'alpha et l'oméga de la vie d'une société. Comment, d'ailleurs, une entité économique tournée par vocation légitime vers le profit pourrait-elle prétendre répondre à l'ensemble des besoins sociaux ? Telle n'est pas sa finalité.
S'il n'était orienté que vers un nombre de plus en plus restreint de personnes en abandonnant le plus grand nombre à la précarité et à l'angoisse, le profit réduirait en proportion son champ d'action : l'offre existerait, mais la demande tendrait à disparaître. Dans ces conditions, l'appel à la croissance serait sans effet, parce que sans rapport direct avec la vie de millions de nos concitoyens.
D'un point de vue général, le mérite premier des emplois-jeunes - et nos concitoyens l'ont, je crois, bien perçu - est de constituer le premier pas important vers le retour à la confiance et à la croissance par l'expression de la volonté collective et de l'action publique.
Pour la première fois, la convergence entre les nouveaux besoins sociaux insatisfaits, la nécessaire professionnalisation de métiers nouveaux s'y rapportant et la volonté des jeunes de s'insérer dans la vie active est prise en compte de façon globale. Nous quittons le traitement social du chômage de ces dernières années pour répondre à une demande nouvelle.
L'Etat reprend ainsi l'initiative et s'engage en première ligne, comme il est de son devoir. Le groupe socialiste exprime, bien entendu, son soutien à cette politique novatrice.
Nous aurions aimé, madame la ministre, vous exprimer ce soutien par un vote positif, sans doute plus gratifiant pour vous et pour nous. Comme en première lecture, nous serons malheureusement privés de cette satisfaction.
Après avoir dû voter contre un texte dénaturé, nous devrons évidemment voter tout à l'heure contre la question préalable adoptée par la majorité de la commission des affaires sociales, procédé qui laisserait penser, aux termes même de la définition de la question préalable, qu'il n'y a pas lieu de débattre d'un tel projet. Sur ce point, je comprends les remarques de notre collègue M. Diligent !
Il est clair que tel est bien, pour la majorité sénatoriale, le seul moyen de masquer ses divisions de fond sur la conduite à adopter, divisions qui se sont manifestées aussi bien à l'Assemblée nationale qu'au Sénat en première lecture.
Vous concevrez aisément, madame la ministre, que notre vote contre la question préalable soit effectivement l'expression de notre soutien total et de notre engagement à vos côtés. (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. Hamel.
M. Emmanuel Hamel. Sur ce projet de loi, tel que modifié par l'Assemblée nationale, je partage les doutes, les inquiétudes, les incertitudes exprimées avec sa conscience et son talent par notre collègue M. Souvet. Mais je partage également le sentiment exprimé par notre collègue M. Diligent et, comme lui-même, en conscience, je ne pourrai pas voter la question préalable.
M. le président. La parole est à M. Habert.
M. Jacques Habert. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, c'est avec regret que nous avons constaté que, dans le texte tel qu'il nous revient, la plupart des dispositions votées par le Sénat en première lecture ont été abrogées, et ce à la demande du Gouvernement. Notre excellent rapporteur M. Souvet a dit toutes les raisons que nous avons de le déplorer.
Mais, parmi ces dispositions, il en est une que les sénateurs des Français de l'étranger regrettent plus particulièrement de ne plus voir figurer dans le texte.
Cet amendement, qui recueillait l'approbation de tous les sénateurs représentant les Français de l'étranger et qui prévoyait, en quelque sorte, le recours au dispositif emplois-jeunes pour les emplois situés à l'étranger, avait été proposé par notre collègue socialiste Mme Cerisier - ben Guiga. Je ne reviens pas sur son plaidoyer, qui avait été excellent. Il figure au Journal officiel .
Je rappelle, madame le ministre, que vous lui aviez répondu assez vertement. « Je comprends bien le souci de Mme Cerisier-ben Guiga de faire en sorte que des emplois à l'étranger puissent être proposés au jeunes Français. Toutefois, à ce stade, il s'agit pour nous de répondre d'abord aux besoins de nos concitoyens en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer, au prix d'un investissement qui est déjà lourd. »
Vous estimiez donc qu'il convenait de répondre d'abord aux besoins en France et dans l'outre-mer, ne voyant sans doute pas - ce sur quoi nous avons insisté par la suite - que les deux choses sont très intimement liées.
Celle qui était notre porte-parole avait d'ailleurs dit : « Un emploi créé à l'étranger, c'est d'abord un chômeur de moins en France, mais c'est surtout un jeune qui acquiert des compétences nouvelles : la maîtrise d'une langue étrangère, l'adaptation à des méthodes de travail différentes ... »
Bref, nous considérions tous que c'était une expérience extrêmement enrichissante et tout à fait utile au pays.
Sur l'ordre qui lui était ainsi intimé, Mme Cerisier-ben Guiga avait retiré son amendement. Naturellement, celui-ci avait immédiatement été repris par la majorité sénatoriale, ce qui avait donné lieu à un débat intéressant dans lequel plusieurs de nos collègues, notamment M. Marini, étaient intervenus, ce dont je les remercie.
Je veux citer aussi M. Fourcade, président de la commission des affaires sociales, qui avait très bien expliqué ce que nous souhaitions : « ... une mesure que réclament depuis longtemps les entreprises françaises qui veulent envoyer à l'étranger des jeunes, à savoir un contrat à durée déterminée couvrant une période plus longue que celle que prévoit actuellement le code du travail pour ce type de contrat. » Entendez plus de deux ans, car, à l'étranger, il faut davantage.
Autrement dit, nous proposions que, à l'occasion de ce plan emploi-jeunes, un dispositif profitable non seulement aux intéressés mais également et surtout au pays soit mis en place.
La disposition avait été votée par la majorité sénatoriale, par l'ensemble des sénateurs des Français de l'étranger et, me semble-t-il, par la grande majorité de notre assemblée, des deux côtés de l'hémicycle.
Madame le ministre, je regrette beaucoup votre attitude - on vous a d'ailleurs répondu. Je déplore que l'on oublie l'existence des 1 700 000 Français qui vivent à l'étranger. Je ne voulais pas que tel soit encore le cas lors de cette nouvelle lecture.
Notre assemblée tout entière, et son président le premier, est très attachée à la promotion des emplois à l'étranger, pour lutter contre le chômage en France et donner de nouveaux débouchés à notre pays. Voilà pourquoi nous aurions vivement souhaité que la disposition figurât encore dans le texte.
Cela étant dit, je ne reprendrai pas la parole lors de l'examen de la motion tendant à opposer la question préalable. Puisque cette disposition essentielle a été supprimée, les sénateurs des Français de l'étranger et, plus largement, les sénateurs non inscrits, pour marquer leur désapprobation, voteront la question préalable. (M. Durand-Chastel applaudit.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, après les explications qui viennent d'être données, je tiens, en quelques mots, à bien marquer l'enjeu du débat.
Je respecte profondément le cri de conscience de mes collègues André Diligent et Emmanuel Hamel, qui viennent de dire qu'ils ne pourraient pas voter la question préalable. Je comprends leurs raisons et je respecte leur vote.
Je tiens toutefois à rappeler que le texte qui nous revient de l'Assemblée nationale participe d'une philosophie qui consiste à isoler plus encore la France de ses partenaires de l'Union européenne.
La France - je l'ai dit dès le début de la discussion - est le pays d'Europe qui a le plus d'emplois publics après le Danemark et la Suède et, si l'on ne modifie pas le texte pour favoriser un certain nombre de transferts vers le secteur privé, il sera, dans cinq ans, celui qui en aura le plus. Par conséquent, il aura le niveau de charges fiscales et sociales le plus élevé de l'Union européenne.
M. Alain Gournac. Et voilà !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Cette considération me paraît tout de même avoir autant d'importance, à terme, que certaines impulsions ou certains scrupules aujourd'hui, au regard du problème des jeunes chômeurs !
Madame la ministre - le débat l'a bien montré - la commission des affaires sociales a essayé non pas de dénaturer, mais de modifier le texte, estimant que votre idée était juste qui consistait à essayer de préfinancer, en quelque sorte, des emplois émergents répondant à des besoins nouveaux. Car telle était bien l'idée originale de votre texte.
La commission des affaires sociales a essayé de partir de cette idée, de cette philosophie, en apportant quatre corrections essentielles au projet. Je rappelle ces corrections afin d'éviter tout malentendu dans la communication future.
Premièrement, il y a eu, selon nous, un mélange maladroit entre le recrutement de jeunes pour tenir des emplois supplétifs dans la fonction publique et la réponse au besoin d'emplois nouveaux dans des métiers émergents.
M. Alain Gournac. Cela n'a rien à voir !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Il fallait soit bien séparer dans le texte les deux filières, soit rédiger deux textes. C'est ce que nous avons essayé de faire, et c'est ce que l'Assemblée nationale n'a pas accepté.
Tout à l'heure, dans cette enceinte, M. le ministre de l'éducation nationale a bien précisé son intention de recruter 40 000 ou 50 000 jeunes dans le cadre des emplois-jeunes. C'est dangereux, car non seulement cela ne donnera pas à ces jeunes des garanties suffisantes pour l'avenir, mais cela contrariera l'évolution normale, dans les cinq prochaines années, de tous les concours administratifs. En conséquence, cela créera, demain, du chômage chez les jeunes qui arriveront sur le marché.
J'en viens à la deuxième correction, à savoir l'organisation, avec tous les acteurs économiques possibles, du transfert des emplois vers le secteur privé dès le recrutement. Nous acceptons l'idée du préfinancement et celle de l'utilisation des fonds publics pour essayer d'acclimater des emplois nouveaux, mais nous pensons que tout doit être fait pour favoriser le transfert vers le secteur privé.
A cet égard, la commission avait présenté un amendement essentiel qui avait été adopté. J'en rappelle les termes, puisque je prends rendez-vous pour l'avenir : « Les conventions précisent les modalités d'encadrement de l'activité, les conditions d'une éventuelle participation financière de l'usager, les conditions de l'éventuel transfert de cette activité au secteur privé, fixent les objectifs de qualification et déterminent les conditions de la formation professionnelle, ainsi que les modalités du tutorat. »
M. Alain Gournac. C'est très important !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. Ce point était fondamental. Nous n'avons jamais dit qu'il fallait passer tout de suite au secteur privé ; nous avons simplement dit qu'il fallait s'assurer dès le départ, au moment de la création de ces emplois, de la possibilité de passer vers le secteur privé dans des conditions de formation correctes.
M. Alain Gournac. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. La troisième correction tendait à remédier à l'inexistence, dans le texte initial, de tout dispositif de formation et d'encadrement.
M. Alain Gournac. Incroyable !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. L'Assemblée nationale, sur ce point, nous a largement rejoints, et je vous remercie, madame la ministre, de l'avoir aidée à aller dans cette voie. Par conséquent, désormais, cette correction est moins nécessaire.
Enfin, la quatrième correction portait sur le rôle exclusif donné au préfet et au représentant des administrations de l'Etat pour détecter les emplois émergents et pour définir dans quel secteur on pourrait aller.
L'expérience du RMI aurait dû vous convaincre que, lorsque l'on charge les administrations publiques de trouver des passages vers le secteur privé, on est sûr d'aller à l'échec.
Le fait d'associer, dans le CODEF, dans les missions locales ou dans les comités de pilotage, comme l'avait proposé Mme Dieulangard, les professionnels, les chefs d'entreprise et les artisans à la détection de ces métiers dès le départ aurait permis au préfet, qui tranche en tout dernier ressort, de savoir ce qui était bon et ce qui ne l'était pas, et d'avoir des avis motivés.
Voilà les quatre points sur lesquels nous avons non pas dénaturé, monsieur Estier, mais corrigé le texte...
M. Alain Gournac. Amélioré !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission. ... pour tenir compte de notre objectif : comment arriver à préfinancer, aujourd'hui, pour faire face au problème du chômage des jeunes, un certain nombre d'emplois qui, demain, pourront devenir des métiers du secteur privé ?
Sur nos quatre propositions, l'Assemblée nationale en a repoussé trois, ne faisant qu'un petit pas vers nous en ce qui concerne le dispositif de formation et d'encadrement. Vous comprendrez donc qu'à nos yeux le texte ne puisse être considéré comme ayant été corrigé !
Notre pays court ainsi le risque majeur de connaître, à terme, une augmentation du nombre des emplois dans le secteur public et parapublic, car le secteur associatif vivant du secteur public, c'est, hélas ! la même source de financement !
Nous rattraperons alors le Danemark et la Suède et, face à la compétition au sein de l'Union européenne, nous aurons des problèmes graves d'adaptation et de concurrence.
Aujourd'hui, c'est donc une occasion manquée. Nous attendons, madame le ministre, le second volet, qui résultera de votre négociation avec les forces patronales et syndicales, pour voir comment vous pourrez insérer des centaines de milliers de jeunes directement dans l'activité économique. C'est au vu de ce second volet que nous porterons un jugement d'ensemble.
Dans cette affaire, il n'y a eu ni conflit idéologique ni dénaturation ; il y a eu simplement jugement d'un texte généreux mais mal fait par des personnes qui n'ont pas entendu celles qui ont l'expérience du terrain et qui, chez elles, ont réalisé un certain nombre d'opérations tendant à orienter des jeunes vers des métiers du secteur privé.
Il est dommageable qu'il n'ait pas été tenu compte des expériences concrètes que chacun d'entre nous peut citer - mais encore aurait-il fallu qu'on nous le demande ! - et que l'on s'en soit tenu à cette idée fallacieuse d'une augmentation de l'emploi du secteur public et du secteur associatif.
Hélas ! ce n'est pas avec le secteur associatif et l'emploi public que l'on gagnera la guerre économique qui nous est faite ; ce n'est pas de cette manière que nous pourrons consolider l'euro ; ce n'est pas de cette manière que nous pourrons faire face à la compétition américaine et asiatique.
Nous avions proposé les moyens de combiner le souci généreux d'aider les jeunes dès maintenant et celui d'améliorer nos structures économiques dans les prochaines années. Je constate que nos collègues de l'Assemblée nationale ont peu tenu compte de nos propositions, ne retenant que celle qui concerne l'encadrement.
Maintenant, il faut trancher le débat, afin que chacun prenne ses responsabilités. C'est la raison pour laquelle la commission, dans sa majorité, a adopté la question préalable. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, de l'Union centriste et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.

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