M. le président. La parole est à M. Autain.
M. François Autain. Je souhaite attirer l'attention de M. le secrétaire d'Etat à la santé sur les nombreuses dérives auxquelles donne lieu l'activité libérale des praticiens hospitaliers à temps plein.
A l'origine - c'était en 1958 - il s'agissait par ce moyen d'encourager les meilleurs spécialistes à exercer leur activité au sein d'un système hospitalier qui n'avait pas, alors, bonne réputation. Aujourd'hui, force est de constater que ce système a été complètement dévoyé par quelques médecins qui ont transformé une activité libérale qui, dans son principe, ne devait revêtir qu'un caractère subsidiaire, en activité principale. C'est, en tout cas, ce qui ressort de la lecture du dernier rapport de la Cour des comptes sur les comptes de la sécurité sociale et des nombreux contrôles effectués par les chambres régionales.
Parmi les errements signalés, citons les plus graves : des patients du secteur public qui sont refoulés pour permettre à certains médecins de soigner en priorité leur clientèle ; d'autres qui se voient orientés, contre leur gré, vers l'activité libérale ; les difficultés qu'ont les familles les plus modestes, dans certains centres hospitaliers et universitaires, à Tours, par exemple, à obtenir une consultation publique de pédiatrie le mercredi ou le samedi, ces deux journées étant majoritairement réservées aux consultations privées.
On évoque aussi le cas de ce médecin de l'Assistance publique de Marseille qui aurait perçu pendant l'année 1996, en plus de son salaire de praticien hospitalier, 2,5 millions de francs d'honoraires à titre privé, soit 50 000 francs par jour d'activité libérale...
A l'hôpital de Lorient, ce sont des radiologues qui auraient, en violation de la législation en vigueur, transformé sans vergogne leur service hospitalier en clinique privée.
Plusieurs sénateurs du RPR. Oh !
M. François Autain. Je pourrais multiplier les exemples, mais le temps me manque.
Ces errements coûtent très cher à la collectivité puisqu'il s'avère que la redevance versée à l'hôpital par le médecin pour l'utilisation des lits, du personnel et du matériel est loin de couvrir la charge financière que cela représente pour l'hôpital.
Certes, les textes prévoyaient que, dans chaque hôpital, serait installée une commission de l'activité libérale censée éviter ces débordements. Malheureusement, ces commissions ne jouent pas leur rôle, et pour cause : elles ne se réunissent jamais !
Il existe aussi des sanctions, mais elles sont rarement mises en oeuvre et, quand elles le sont, elles restent sans effet tant elles apparaissent dérisoires.
C'est pourquoi je vous demande, monsieur le secrétaire d'Etat, quelles mesures vous comptez prendre pour mettre fin à des pratiques qui, non seulement dénaturent la mission des praticiens hospitalo-universitaires, mais risquent de compromettre gravement leur réputation. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la santé, auprès du ministre de l'emploi et de la solidarité. Monsieur le sénateur, ce rapport de la Cour des comptes ne nous avait pas échappé, et je vous remercie de me donner l'occasion d'exposer clairement la politique que nous entendons suivre dans le domaine des activités privées libérales dans l'hôpital public.
En préambule, il convient de rappeler que, si le législateur avait bien voulu accepter, en 1987, que des activités libérales puissent s'exercer au sein de l'hôpital public, mais de manière très encadrée, c'est parce que nous manquions cruellement de praticiens dans certaines disciplines. J'ai d'ailleurs le regret de vous dire que nous continuons de manquer de praticiens dans les mêmes disciplines. Aujourd'hui, c'est vrai, en gynécologie, en radiologie, en chirurgie, rares sont les praticiens qui consentent à passer le reste de leur vie après leurs études à l'hôpital public. C'est un problème que nous avons abordé voilà peu de temps dans cette enceinte et qu'il nous faut affronter.
Il n'empêche, et vous avez raison d'appeler l'attention sur ce point, monsieur le sénateur, qu'il est des abus criants et que la lecture de ce rapport de la Cour soulève parfois une véritable indignation.
En vérité, les règles d'encadrement qui ont été prévues ne sont pas respectées. Il faut savoir, par exemple, qu'un praticien ne peut consacrer plus d'un huitième de son temps hospitalier public à sa clientèle privée. De même, la part des lits occupés par des malades privés ne peut excéder un cinquième des lits. Tout cela doit être clairement affiché, connu. Or ça ne l'est pas du tout.
La première des choses à faire est donc de rétablir cette transparence à l'hôpital. On doit savoir très précisément quelles sont les deux demi-journées que le praticien public peut consacrer à sa clientèle privée, car il est absolument inadmissible que, comme vous l'avez dit, des malades soient chassés de certaines consultations.
J'aurai, mesdames, messieurs les sénateurs, à vous saisir du problème du droit des malades. Ceux-ci, aujourd'hui, ne sont pas respectés puisque la connaissance même du dispositif ne leur est pas accessible.
S'agissant des commissions dites de surveillance de l'activité libérale, je crois qu'il convient de revenir sur le décret de 1987. D'abord, vous l'avez dit, monsieur Autain, la plupart du temps, ces commissions ne se réunissent pas. Mais, en tout état de cause, alors qu'elles sont chargées de surveiller l'activité privée au sein de l'hôpital public, elles ne sont composées que de praticiens du privé. Ce n'est pas acceptable. Il conviendrait au moins de mêler les praticiens publics, ceux qui consacrent 100 % de leur temps à une activité publique, et ceux qui acceptent - après tout, non seulement ce n'est pas illégal, mais c'est aussi compréhensible - de réserver une part de leur temps à une clientèle privée.
Nous veillerons donc, monsieur le sénateur, à revenir sur ce décret, au moins pour modifier la composition de ces commissions, et à rétablir la transparence. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur quelques travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Avant d'aborder le point suivant de l'ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures dix, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de M. Paul Girod.)