M. le président. Par amendement n° 258, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent d'insérer, avant l'article 85, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 32 du code de procédure pénale, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Dans la salle d'audience, lors des débats, le représentant du ministère public est placé sur un même plan géométrique que les autres parties au procès. »
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout d'abord, monsieur le président, nous souhaitons remplacer les mots : « plan géométrique » par le mot : « niveau ».
M. le président. Il s'agit donc de l'amendement n° 258 rectifié, présenté par M. Michel Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés, et tendant à insérer, avant l'article 85, un article additionnel ainsi rédigé :
« Après l'article 32 du code de procédure pénale, il est inséré un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. ... - Dans la salle d'audience, lors des débats, le représentant du ministère public est placé sur un même niveau que les autres parties au procès. »
Veuillez poursuivre, monsieur Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous savons que, dans le très beau texte qui est lu aux jurés, sont évoqués les intérêts de la société qui accuse et ceux de l'accusé. Le Sénat a d'ailleurs modifié cette formule en ajoutant les intérêts de la victime.
Il est donc tout à fait normal que les uns et les autres soient traités à égalité, le ministère public ne doit pas être mieux entendu par le jury et par la cour que la défense ou la partie civile.
Vous savez, mes chers collègues, que Me Moro-Giafferi prétendait que c'était en raison d'une erreur du menuisier que le parquet se trouvait surélevé, si l'on peut dire, par rapport aux autres parties.
Il est temps, nous semble-t-il, de couper le cordon ombilical, comme disait je ne sais plus qui, non pas entre le Gouvernement et le ministère public, parce que ce cordon-là existe toujours, mais entre ceux qui ont à juger et le ministère public, qui dépend, jusqu'à preuve du contraire, du Gouvernement.
Voilà pourquoi, par notre amendement n° 258 rectifié, nous demandons qu'enfin l'on décide le contraire de ce qui, en fait, n'a jamais été décidé. En effet, aucun texte n'a jamais prévu que le ministère public devait être dans une position surélevée par rapport aux autres parties dans la salle d'audience. Puisque cela continue à se pratiquer, il convient que le législateur intervienne pour dire que ce qui se fait ne doit pas se faire.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Instant tragique ! (Sourires.) Mes chers collègues, il s'agit pratiquement du seul amendement sur lequel la commission des lois n'a pas émis d'avis ! En effet, les voix se sont partagées également, le rapporteur que je suis n'ayant pas réussi à convaincre ses collègues d'émettre un avis défavorable sur cet amendement généreusement proposé par notre collègue Michel Dreyfus-Schmidt.
Je ne crois pas à l'erreur du menuisier, monsieur Dreyfus-Schmidt. En tout cas, je ne crois pas qu'elle ait influencé ou gêné le cours de la justice criminelle depuis deux cents ans.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Ça, c'est une question !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Si un représentant de la commission des finances du Sénat siégeait au banc, il pourrait d'ailleurs évoquer l'article 40, car ce sont des millions de francs qui sont en jeu.
On vient de construire, à Caen, une superbe cour d'assises - je peux en témoigner. Il faudrait, si l'on suivait M. Dreyfus-Schmidt, la reconstruire en partie !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Absolument !
Au surplus, cette question ne relève-t-elle pas plus du domaine réglementaire plus que du domaine des principes ?
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. C'est surtout cela !
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Alors, j'exprime mon avis : la commission n'en a pas, mais le Sénat en a sûrement un ! (Sourires.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Très bien !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je pourrais en effet parfaitement opposer à l'amendement n° 258, rectifié l'article 40 de la Constitution compte tenu des travaux, et donc des dépenses, que son adoption induirait.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. M. Girault pourrait le faire aussi !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Mais je préfère de beaucoup utiliser des arguments de fond, lesquels sont simplement les suivants.
D'abord, l'accusé lui-même est placé à la même hauteur que le parquet. C'est son avocat qui est placé plus bas que le parquet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ça dépend des salles ! (Sourires.)
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Ensuite, permettez-moi de dire que le client de l'avocat général, c'est la République, et que celle-ci mérite d'être au-dessus de tous et de tout. C'est essentiellement pour cette raison que je souhaite que l'amendement n° 258 rectifié ne soit pas adopté. (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 258 rectifié.
M. Jean-Jacques Hyest. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest. Je pense que l'on commet une grave erreur historique en pensant que « parquet » signifie « sur le sol ». En fait, l'expression vient de ce que, bien longtemps avant d'être rendue dans des palais de justice, la justice était rendue à l'extérieur et qu'on délimitait le parc dans lequel elle était rendue.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Voilà !
M. Jean-Jacques Hyest. On l'oublie complètement et on fantasme sur l'idée du parquet qui ne doit pas être plus élevé que la défense.
Je ne crois pas que cela ait jamais nui à la sérénité de la justice que le procureur soit à côté de la juridiction de jugement.
Au demeurant, il est certain que la mise en conformité de tous les palais de justice engendrerait des travaux considérables. Comme cette décision ne s'appliquerait qu'à la cour d'assises, quand la cour d'assises siégerait dans une salle du tribunal, il faudrait transformer cette dernière pour l'occasion. Une telle décision demanderait donc une étude d'impact sérieuse.
Pour toutes ces raisons, je crois opportun de rejeter l'amendement.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Si nous avions demandé, ce qui correspond à notre pensée profonde, que cette modification intervienne dans tous les tribunaux, y compris en matières correctionnelle ou de police, on nous aurait rétorqué que notre proposition sortait des limites du projet de loi. Il est bien évident que, si le Sénat adopte notre amendement, il faudra en effet prévoir les mêmes modifications pour l'ensemble des instances.
S'agissant du parquet, j'ai joué sur le mot ; je n'ai pas commis d'erreur d'ordre juridique ou historique. De toute façon, le problème n'est pas là, il est que, véritablement, l'avocat de la société - et non pas de la République, monsieur le garde des sceaux - que l'avocat de la société, dis-je, et l'avocat de l'individu ont droit très exactement au même respect : les droits de la défense sont tout aussi sacrés que ceux de la partie civile, et réciproquement.
En fait, est créée une espèce de solidarité de corps entre les magistrats du siège et ceux du ministère public, solidarité qui n'est pas de mise et qui rompt l'égalité des armes, principe que tout le monde doit reconnaître.
Je vous sais gré, monsieur le garde des sceaux, de ne pas avoir invoqué l'article 40 de la Constitution, pas plus d'ailleurs que M. le rapporteur, qui pouvait le faire - n'importe quel sénateur peut le faire, je me permets de le rappeler.
Toutefois, je persiste à penser qu'il n'y a aucune raison pour qu'une des parties soit située plus haut que l'autre.
M. le garde des sceaux nous dit que l'accusé est placé à la même hauteur que le parquet. C'est tout à fait inexact. En effet, s'il existe quelques tribunaux où l'accusé est un peu plus haut que son défenseur, qui est assis devant lui, tout en étant plus bas le plus souvent que le ministère public et que la cour, il en est d'autres où, au contraire, l'endroit où se tient l'accusé n'est pas surélevé par rapport au défenseur ; cela dépend des salles. En tout cas, dans toutes, le ministère public est à la même hauteur que la cour, ce qui crée une confusion.
Je pense donc par principe que le Sénat se grandirait en décidant que toutes les parties au procès doivent être traitées de la même manière.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Je n'oserai dire que la question qui nous occupe a fait bien souvent l'objet de délices rhétoriques au sein des palais de justice et que, bien souvent aussi, un certain nombre de candidats au secrétariat de la conférence du stage ont aimé la traiter. Cependant, elle n'est pas indifférente parce que, dans le domaine judiciaire plus qu'en d'autres domaines, la force symbolique est grande. Ainsi, l'architecture judiciaire n'est pas complètement innocente.
La représentation que les citoyens se font de la justice quand ils passent devant le palais a évolué avec le temps. Mais, depuis le moment où l'on a adopté le palais à la grecque jusqu'aux dernières années, l'architecture s'est inscrite dans une continuité qui exprime une certaine idée de la justice.
M. Charles de Cuttoli. Avec un escalier que l'on s'essouffle à gravir avant d'entrer !
M. Robert Badinter. Certains sont en effet extrêmement raides !
M. Pierre Fauchon. Si vous étiez portés par la foi vous ne vous essouffleriez pas ! (Sourires.)
M. Robert Badinter. Le choix d'une telle architecture n'est pas innocent. C'est un choix délibéré.
M. Jean-Jacques Hyest. Récent !
M. Robert Badinter. Non, pas récent ! Il date de la fin du xviiie siècle, avant même que la Révolution française n'intervienne.
Sans remonter jusqu'à l'origine du parquet - M. Hyest n'a pas tort - sans remonter au développement de l'architecture intérieure de nos cours d'assises, ma conception est simple parce qu'elle est dictée par une exigence qui est celle de notre droit contemporain. En effet, quelle que soit la dignité, l'importance, l' imperium , pourrait-on dire, de celui qui représente le ministère public, lorsqu'il est à l'audience - et seulement, je le souligne, lorsqu'il est à l'audience - quelle que soit par ailleurs cette audience, il demeure une partie au débat.
Que le tribunal ou que la cour se trouve surélevé par rapport aux parties, cela va de soi.
Mais, s'agissant d'une partie, quel que soit son statut hors de l'audience, on retrouve ici le principe contemporain, si fortement inscrit dans la Convention européenne des droits de l'homme, de l'égalité entre les parties à l'audience.
Par conséquent, je ne crois pas que l'on puisse maintenir telle qu'elle se présente actuellement l'architecture intérieure de nos juridictions. Le moment est venu de la modifier, même si, bien entendu, cela demandera du temps, de l'argent et des choix prioritaires.
Pour le plaisir de l'anecdote, je rappellerai qu'alors que j'exerçais les fonctions que M. le garde des sceaux occupe actuellement, à l'occasion de l'édification d'un nouveau palais, j'avais demandé que soit modifiée l'architecture intérieure de façon que les parties à l'audience se trouvent placées à égalité. On a inauguré ce palais, puis, comme cela est de règle, le moment venu, j'ai quitté la Chancellerie. J'ai appris, par hasard, quelques années plus tard, avec un certain sourire, que l'on avait trouvé les crédits nécessaires pour ramener le parquet à la hauteur du siège.
Je pense qu'à l'avenir, dans les palais de justice qui seront construits, mieux vaudrait que les parties à l'audience soient situées sur le même plan, étant maintenue la prédominance de ceux qui président et qui sont appelés à se prononcer.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le vice-président de la commission.
M. Pierre Fauchon, vice-président de la commission des lois. Je veux ajouter quelques mots sur cette affaire qui, au-delà du pittoresque, pose un vrai problème, comme M. Badinter vient de le montrer.
Cette question de hauteur et de niveau n'est pas aussi ridicule que l'on veut bien nous le faire croire. En réalité, elle est fort importante, et l'on a rappelé son côté symbolique.
Pour des jurés, notamment, la différence de hauteur entre les personnes qui interviennent, qu'on le veuille ou non, consciemment ou inconsciemment, crée une différence d'autorité.
Je prendrai deux exemples pour illustrer un peu mon propos.
Ainsi, ce n'est pas par hasard que le président de notre assemblée siège à la place la plus élevée.
Par ailleurs, avec la permission de notre collègue M. Schumann ici présent, j'évoquerai l'incendie qui vient de dévaster la cathédrale de Turin pour faire remarquer que, lorsque Guarino Guarini a dû édifier une chapelle pour abriter le Saint-Suaire, il l'a placée à une hauteur tout à fait extraordinaire puisqu'on y monte par des escaliers qui constituent une grande réussite architecturale ; là non plus, ce n'était pas un hasard.
Au passage, je me réjouis que le Saint-Suaire ait échappé à ce fâcheux sinistre ; mais ce qui m'inquiète le plus, c'est le sort de la chapelle de Guarini. (Sourires.)
Cela étant, je m'abstiendrai sur cette affaire non seulement parce que j'occupe en l'instant la place du président de la commission, mais aussi parce qu'il s'agit d'une question de nature réglementaire.
Cependant, il nous faut, en cette occasion, prendre conscience du fait qu'il existe, très peu dans nos rangs mais surtout dans le public, une confusion entre les magistrats du siège et ceux du parquet du fait qu'ils portent tous le nom de magistrat.
Ainsi, bien des gens ont été sensibles à la création de la commission Truche et aux problèmes de l'indépendance de la magistrature, mais nombreux sont ceux qui croient qu'il s'agit de la magistrature assise et non de la magistrature que nous appelons « debout ». Vous voyez que l'équivoque n'est pas bonne.
Je suis de ceux qui souhaitent depuis longtemps que l'on réfléchisse à la possibilité de mieux distinguer les carrières des magistrats du parquet, qui sont infiniment respectables, de celles des magistrats du siège, qui ne sont pas de même nature.
Si un choix définitif ou quasi définitif était exigé à la sortie de l'école de la magistrature et que l'on sache que les uns seront des juges du siège et les autres des juges du parquet, on aurait déjà opéré une clarification utile.
Je souhaite donc que ce débat soit l'occasion d'engager une réflexion sur cette question qui est très importante, notamment pour l'idée que l'on peut se faire de la République et de l'état de droit.
MM. Michel Dreyfus-Schmidt et Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Cette question a déjà été évoquée en 1993, lors de la discussion du projet de loi portant modification de la procédure pénale. Ainsi, la loi du 4 janvier 1993, qui a été adoptée par la majorité de l'époque, prévoyait ce que proposent aujourd'hui les auteurs de l'amendement n° 258 rectifié.
Puis, lors de la discussion de la loi du 24 août 1993, d'origine parlementaire puisque l'initiative en revenait au président Larché, la nouvelle majorité est revenue sur cette disposition et la représentation nationale a adopté la position que je vous propose de prendre aujourd'hui en repoussant l'amendement n° 258 rectifié.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Le 24 août, c'est la Saint-Barthélemy ! (Sourires.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 258 rectifié, repoussé par le Gouvernement.

(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, n'adopte pas l'amendement.)
M. le président. Par amendement n° 166, le Gouvernement propose d'insérer, avant l'article 85, un article additionnel ainsi rédigé :
« I. - Dans la première phrase de l'article 34 du code de procédure pénale, les mots "instituée au siège de la cour d'appel" sont supprimés.
« II. - La seconde phrase du même article est supprimée. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. C'est un amendement de simple logique.
L'article 34 de l'actuel code de procédure pénale vise la cour d'assises instituée auprès de la cour d'appel, c'est-à-dire l'une des cours d'assises du ressort de la cour d'appel.
Aujourd'hui, compte tenu du fait qu'il n'existera qu'une seule cour d'assises à l'échelon de la cour d'appel et un tribunal criminel départemental dans chaque département, l'expression « instituée auprès de la cour d'appel » est devenue inutile et inexacte.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. Favorable.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 166, accepté par la commission.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, avant l'article 85.

Article 85