M. le président. Par amendement n° 202, M. Dreyfus-Schmidt et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent de supprimer le deuxième alinéa du texte présenté par l'article 2 pour l'article 231-102 du code de procédure pénale.
La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
MM. Jacques Toubon, garde des sceaux, et Jean-Marie Girault, rapporteur. Il est retiré !
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Dans le texte du projet de loi a été introduit un article totalement nouveau par rapport à l'actuel code de procédure pénale. A ce propos, je n'ai pas très bien compris l'explication de M. le garde des sceaux sur le fait que notre amendement empiétait sur la réforme d'ensemble. Pourquoi le nôtre plus que les autres ? Tous les amendements que nous étudions empiètent sur la réforme d'ensemble, c'est évident. Tant qu'à réformer la procédure criminelle, il est normal que nous puissions faire des suggestions, comme le fait le Gouvernement d'ailleurs !
Ainsi, dans le projet de loi, l'article 231-102 du code des procédure pénale paraît totalement nouveau, non pas que le serment de témoins soit prescrit à peine de nullité, cela a toujours été vrai, mais en ce qu'il ajoute : « Néanmoins cette exception de nullité doit, à peine de forclusion, être soulevée par le ministère public ou les parties avant la fin de l'audition du témoin. »
Premier inconvénient : on ne sait jamais quand s'achève une audition. Ainsi, lorsque sera remarquée l'absence de prestation de serment, il suffira au président et au témoin de dire que l'audition est terminée pour éviter la nullité ! Cela n'est pas logique !
Je poursuis la lecture de l'article : « Cet incident contentieux est réglé conformément aux dispositions de l'article 231-84 », c'est-à-dire que le jugement est rendu immédiatement par le tribunal. Ensuite, « si la partie de l'audition réalisée sans prestation de serment est annulée par le tribunal » - c'est-à-dire qu'on l'annule effectivement après avoir reconnu qu'il n'a pas été prêté serment -, « le témoin peut à nouveau être interrogé après avoir prêté serment ».
Deuxième inconvénient : cela signifie que l'on peut se trouver dans cette situation extraordinaire qu'un témoin présente une première version sans avoir prêté serment ; le tribunal se retire alors pour délibérer, revient, annule le témoignage, et réentend le témoin, cette fois sous serment, qui présente une nouvelle version. On n'aura donc pas le droit de faire état de ce premier témoignage ni de ces contradictions ! C'est tout de même énorme !
Enfin, le témoin « ne peut être entendu sans prêter serment ». Cela était prévu pour les experts, mais a été supprimé par l'Assemblée nationale.
C'est en réalité la traduction d'une jurisprudence de la chambre criminelle, qui peut évoluer beaucoup plus aisément que ne peut le faire la loi. Nous vous demandons de respecter la jurisprudence, et de ne pas introduire dans la loi le texte que je viens de lire. Il est, en premier lieu, extrêmement lourd ; il est, en second lieu, illogique et peut aboutir à des résultats catastrophiques pour la manifestation de la vérité.
Voilà pourquoi nous demandons la suppression pure et simple du deuxième alinéa de l'article 231-102 du code de procédure pénale.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marie Girault, rapporteur. A titre personnel, j'étais plutôt défavorable à l'amendement, mais la commission des lois a émis un avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Monsieur le président, si je veux résumer la situation aussi simplement que possible, je dirai que l'amendement du groupe socialiste, soutenu par la commission, porte - et là, j'en suis d'accord - sur la possibilité de faire prêter à nouveau serment et de réentendre le témoin.
Actuellement, cette question est réglée par la jurisprudence ; M. Dreyfus-Schmidt et la commission considèrent qu'il n'est pas utile d'inscrire ce dispositif dans le projet de loi et qu'il vaut mieux laisser la situation en l'état.
Mais attention ! notre texte ne régle pas seulement cette question. Il traite également - c'est là son apport - de la forclusion pour ce qui concerne la nullité.
Sur ce point, qui n'est pas du tout celui de la reprise du témoignage, cet article apporte un élément utile. J'ajoute qu'il se situe dans la lignée des propositions faites, voilà dix ou douze ans, par la commission présidée par l'avocat général M. Toubas sur le formalisme de la procédure criminelle.
Je pense donc qu'il convient de repousser l'amendement et de maintenir le texte dans sa rédaction actuelle parce qu'il règle la question de la forclusion de la nullité, ce qui n'est pas fait aujourd'hui par la jurisprudence. Dès lors, il s'agit d'un débat sur le fond.
Vous ne pouvez pas dire, monsieur Dreyfus-Schmidt, que vous ne voulez pas de ce texte parce que la jurisprudence en dispose déjà ; si vous n'en voulez pas, c'est que vous êtes opposé au système de forclusion de la nullité que propose le Gouvernement. Il s'agit en fait de savoir quelle est votre position sur ce sujet.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Tout à fait !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Or, ce n'est ni ce que vous avez dit, ni la raison pour laquelle la commission vous a suivi.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je vous en donne acte.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 202.
M. Robert Badinter. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter. Sur le point de la forclusion, j'appelle l'attention de chacun.
Le texte qui nous est proposé est ainsi rédigé : « ... cette exception de nullité doit, à peine de forclusion, être soulevée par le ministère public ou les parties avant la fin de l'audition du témoin ».
Tout d'abord, lors de l'audition d'un témoin, l'attention peut être très vive en ce qui concerne les propos mais pas nécessairement porter sur le fait que le témoin a ou n'a pas prêté serment. Il serait cependant extraordinaire que le président du tribunal ne prête pas attention à cette formalité que l'on a toujours considérée comme éminemment substantielle.
Avec ce texte, et si l'on ne soulève pas l'absence de prestation de serment pendant le déroulement du témoignage parce que l'attention est attirée par les déclarations du témoin et non pas sur la formalité du serment, c'est terminé, et le témoin aura été entendu sans serment. Ce n'est pas raisonnable !
Pourquoi dire qu'on ne pourra plus soulever cette nullité ? Quel est l'intérêt au regard des droits de la défense ? Quel avantage peut en tirer l'accusation ? Quel est le sens d'une telle disposition, alors que la procédure orale repose sur la loyauté du témoin, qui doit prêter serment, et qu'on a toujours considéré que ce serment était au coeur de la sincérité du débat ?
Désormais, si l'attention est divertie par un autre incident, ce sera terminé, et l'on acceptera qu'un témoin puisse déposer devant un tribunal sans avoir prêté serment. J'avoue ne pas comprendre l'utilité d'une telle disposition.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Dreyfus-Schmidt.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Je remercie M. le garde des sceaux d'avoir attiré mon attention sur le fait que cet article allait au-delà d'une simple application de la jurisprudence. Qu'il me permette de lui dire que c'est encore pire !
J'en viens au système des nullités, que nous étions en train d'étudier en commission des lois lorsque nous avons suspendu nos travaux. Nous ne contestons pas l'alinéa de l'article disposant que les nullités de première instance ne pourront pas être reprises devant la cour d'assises, s'il n'y a pas eu d'incident contentieux.
En revanche, ce que vous proposez là, monsieur le garde des sceaux, s'écarte de votre système général dont je viens de rappeler l'économie : vous demandez, en effet, que la nullité soit soulevée à peine de forclusion non pas avant la fin des travaux du tribunal, mais avant la fin de l'audition du témoin. Permettez-moi de vous dire que cela n'est vraiment pas justifié.
Evidemment, interjeter appel sera possible puisque l'on est devant un tribunal. Mais, encore une fois - je l'ai déjà rappelé, permettez-moi cependant, monsieur le garde des sceaux, de me répéter, car vous n'avez pas dû m'entendre - la fin d'une audition d'un témoin est tout à fait subjective : le président peut prétendre, et le témoin accepter de reconnaître que l'audition est terminée, de manière qu'il n'y ait pas de nullité, même si le témoin avait en vérité l'intention d'ajouter quelque chose.
Une annulation interdirait de plus de faire état d'une éventuelle contradiction du témoin.
Il est donc tout à fait important que cette nullité puisse être soulevée au moins jusqu'à la fin des travaux du tribunal.
Je serais heureux d'avoir convaincu M. le garde des sceaux et, en tout cas, M. le rapporteur, et d'avoir ainsi amené celui-ci à se rallier à la position adoptée par la commission.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ? ...
Je mets aux voix l'amendement n° 202, accepté par la commission et repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le texte proposé pour l'article 231-102 du code de procédure pénale.

(Ce texte est adopté.)

ARTICLE 231-102-1 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE