M. le président. Par amendement n° 137, MM. Allouche, Autain, Authié, Badinter, Mme ben Guiga, MM. Biarnès, Charzat, Delanoë, Dreyfus-Schmidt, Estier, Mme Durrieu, MM. Mahéas, Mélenchon, Mmes Pourtaud, Printz, M. Rocard et les membres du groupe socialiste et apparentés proposent, dans le premier alinéa du paragraphe I de l'article 22 bis de l'ordonnance du 2 novembre 1945, de remplacer les mots : « vingt-quatre heures » par les mots : « quarante-huit heures ».
La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Cet amendement tend à porter de vingt-quatre à quarante-huit heures le délai de recours administratif contre un arrêté de reconduite à la frontière. Cette disposition offre, dans le cadre du maintien en rétention prévu à l'article 35 bis de l'ordonnance de 1945, la possibilité pour l'intéressé d'être effectivement éclairé sur ses droits et d'user de son pouvoir de recours.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. La commission émet un avis défavorable. L'intéressé est déjà informé de ses droits et de l'assistance qu'il peut trouver auprès d'un conseil et d'un interprète dans l'imprimé qui lui est notifié en même temps que l'arrêté de reconduite à la frontière. Cela est indiqué en toutes lettres dans mon rapport écrit et je l'ai rappelé en commission.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Le délai de vingt-quatre heures est en principe suffisant pour que, comme l'a dit M. le rapporteur, l'intéressé puisse exercer ses droits en matière de recours. D'ailleurs, la commission européenne des droits de l'homme, dans deux décisions, en date du 30 octobre 1991 et du 10 mars 1994, a elle-même estimé que ce délai de vingt-quatre heures était suffisant.
Par conséquent, je suis défavorable à cet amendement.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 137, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 45, MM. Caldaguès, Calmejane, Chérioux, Debavelaere, François, de Gaulle, de La Malène, Jean-Jacques Robert et Schosteck proposent d'insérer, après l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« Le deuxième alinéa (1°) de l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Toutefois, par dérogation aux dispositions du présent article, la reconduite à la frontière de l'étranger mineur est possible lorsque ses parents ou les personnes qui en ont la charge effective font eux-mêmes l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire, si aucune personne résidant régulièrement en France, et désignée par ses parents, ne peut le prendre à sa charge dans le cadre d'une tutelle ou d'une délégation d'autorité parentale. »
La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Cet amendement est inspiré par l'idée qu'il n'est pas très heureux que des parents se servent du statut de leurs enfants pour empêcher l'exécution d'une décision sanctionnant une infraction au statut des étrangers ; mais il est en outre plus que regrettable de séparer les enfants de leurs parents.
J'ajoute que lorsque des parents peuvent, du fait du statut de leurs enfants, échapper à la juste sanction de l'irrégularité de leur séjour, cela revient en quelque sorte, si l'on y réfléchit bien, à appliquer le jus sanguinis, mais en remontant le cours des générations.
Or, quand on parle du jus sanguinis, on entend des exclamations d'horreur, sauf lorsqu'il est de nature à conforter des situations délictuelles. Et le cas n'est pas unique !
Je tenais à souligner ce point pour justifier le dépôt de cet amendement, qui prévoit que « la reconduite à la frontière de l'étranger mineur est possible lorsque ses parents ou les personnes qui en ont la charge effective font eux-mêmes l'objet d'une mesure d'éloignement du territoire, si aucune personne résidant régulièrement en France, et désignée par ses parents, » - ce dernier membre de phrase est important, car il signifie que la reconduite à la frontière d'un mineur n'est pas obligatoire - « ne peut le prendre à sa charge dans le cadre d'une tutelle ou d'une délégation d'autorité parentale. »
Je signale en outre que cet amendement reprend le texte de l'article 25, alinéa 1°, de l'ordonnance du 2 novembre 1945, tel qu'il résultait de la loi du 9 septembre 1986.
Cette date, mes chers collègues, me rappelle quelque chose ! (Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. La commission a examiné avec intérêt l'amendement n° 45.
Après débat, elle a préféré ne pas inscrire dans la loi un dispositif très personnalisé qui justifie d'un examen au cas par cas. En effet, il y a cent situations possibles de l'enfant mineur par rapport à ses parents.
Le dispositif actuel, qui permet à l'administration de statuer sur le terrain, en prenant en compte des cas particuliers, a paru plus souple que celui qui est proposé par l'amendement et codifié dans l'article 25 de l'ordonnance.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Mesdames, messieurs les sénateurs, je pense qu'il n'est pas raisonnable - et je ne suis pourtant pas, croyez-le, partisan du laxisme - de prévoir dans la loi la reconduite à la frontière des mineurs. Il faut au contraire faire jouer pleinement l'autorité parentale, qui amène en effet, le plus souvent, les parents étrangers en instance de reconduite à la frontière à garder avec eux leurs enfants, surtout s'ils sont en bas âge.
J'ajoute que l'arrêt Diallo de la cour d'appel de Lyon, en date du 4 juillet 1996, montre bien que la jurisprudence permet de traiter ces situations avec le discernement nécessaire, dans le respect, autant que faire se peut, de l'unité des familles.
Les décisions du Conseil d'Etat vont d'ailleurs dans le même sens, en se référant le plus souvent, lorsqu'elles écartent un recours introduit contre un arrêté de reconduite, à la possibilité, pour les parents, d'emmener leurs enfants avec eux. Il faut se souvenir, à cet égard, de l'arrêté pris par le préfet de Seine-Maritime le 29 juillet 1994.
En conséquence, il n'est nul besoin pour le législateur d'intervenir en cette matière sensible. Je demande donc aux sénateurs de la majorité de ne pas voter cet amendement. Je suis résolument défavorable à son adoption.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 45.
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. J'ai déjà eu l'occasion de dire, avec une pointe d'humeur, que je n'avais pas beaucoup de chance avec les amendements que j'ai déposés en compagnie d'une dizaine de mes amis.
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous non plus !
M. Michel Caldaguès. Je constate que la chance persiste à me fuir, bien que je demeure persuadé que l'amendement n° 45 s'appuie sur de solides justifications, qui avaient d'ailleurs fait l'objet d'une loi, votée septembre 1986. Peut-être était-ce une aberration, mais c'est ainsi !
Puisqu'il faut y passer, on y passera. Mais c'était le dernier des amendements que j'avais à défendre, alors permettez-moi cette familiarité, mes chers collègues : si j'étais en train de jouer à la belote avec M. le ministre et M. le rapporteur, ce qui ne doit pas manquer d'agrément, je pourrais dire, en cet instant, que je suis capot. (Rires.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Pas que pour la belote !
M. le président. L'amendement n° 45 est retiré.
M. Michel Caldaguès. Pas du tout inconscient le président ! Ce n'est pas parce qu'on est capot qu'on se retire de la partie !
M. le président. Je vous prie de m'excuser, mon cher collègue. Je ne suis pas expert en belote !
Dans ces conditions je vais mettre aux voix l'amendement n° 45.
M. Daniel Hoeffel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Hoeffel.
M. Daniel Hoeffel. Je voudrais simplement dire qu'il s'agit d'un domaine vraiment trop sensible sur le plan humain pour que l'on puisse introduire dans la loi une telle disposition.
J'approuve donc les propos de M. le ministre de l'intérieur : il n'est pas raisonnable, au point où nous en sommes arrivés dans ce débat difficile et particulièrement délicat vis-à-vis de l'opinion publique, de retenir un amendement de cette nature.
En mon âme et conscience, et avec toute ma conviction, je voudrais plaider en faveur de son rejet, afin de conserver un minimum de logique, de cohérence et d'humanité au texte qui nous est soumis. (M. Pierre Fauchon applaudit.)
Mme Monique ben Guiga. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme ben Guiga.
Mme Monique ben Guiga. Notre groupe approuve la position adoptée par M. le ministre de l'intérieur.
En effet, il ne serait pas convenable de se référer à des conventions internationales pour favoriser l'expulsion d'enfants. Nous pensons que, dans ce domaine, il faut raison garder.
D'ailleurs, un fonctionnaire a été condamné pour avoir voulu faire expulser, en même temps que sa mère, un bébé né en France.
M. Dominique Braye. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Braye.
M. Dominique Braye. Je partage tout à fait l'opinion de M. le ministre et de mon collègue Daniel Hoeffel.
Ayant soutenu M. Caldaguès à propos de nombreux amendements, parce que j'estimais qu'ils étaient pleins de bon sens et empreints de sa connaissance de la réalité des problèmes qui se posent à notre pays, je voudrais lui demander, à titre amical et au nom d'un certain nombre de membres de notre groupe, de bien vouloir retirer son amendement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 45, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Par amendement n° 182, M. Pagès, Mme Borvo, M. Ralite et les membres du groupe communiste républicain et citoyen proposent d'insérer, après l'article 6, un article additionnel ainsi rédigé :
« L'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945 est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Aucune mesure d'expulsion ou de reconduite à la frontière ne peut être prise à l'encontre d'un étranger médicalement reconnu comme atteint d'une pathologie grave figurant sur la liste des "affections de longue durée" visée à l'article D. 322-1 du code de la sécurité sociale ou de ses parents ou tuteurs, s'il est mineur ou incapable.
« Un certificat valant autorisation de résidence luî est délivré de plein droit. Celui-ci est renouvelable de plein droit pendant la durée de son traitement. »
La parole est à M. Billard.
M. Claude Billard. Cet amendement vise à compléter l'article 25 de l'ordonnance du 2 novembre 1945, en ajoutant à la liste des étrangers protégés contre les mesures d'éloignement du territoire français ceux qui sont médicalement reconnus comme atteints d'une pathologie grave.
Notre amendement prévoit, en outre, que lorsqu'il s'agit d'un mineur, cette protection légale contre la reconduite à la frontière s'applique également aux parents ou aux tuteurs de l'enfant.
La nécessité d'adopter cette disposition est, depuis de nombreuses années, régulièrement soulignée par les associations d'aide aux étrangers et aux malades.
Cependant, rien n'a été fait.
Ainsi, des malades ou des parents d'enfants malades sans papiers sont arrêtés à l'occasion de contrôles d'identité ou même après l'engagement d'une procédure de régularisation qui a permis de les identifier. Ils sont alors conduits dans des centres de rétention, puis renvoyés dans leur pays d'origine, qui est en général un pays du tiers monde ne disposant ni des infrastructures ni des personnels médicaux ni des médicaments nécessaires.
Mes chers collègues, je vous laisse imaginer les conséquences souvent dramatiques qui découlent de ces reconduites à la frontière !
Pourtant, le 21 août 1996, M. le ministre de l'intérieur avait affirmé qu'aucun malade ne serait renvoyé dans son pays. Le Premier ministre, M. Alain Juppé, avait lui aussi déclaré, peu après : « Jamais il ne nous est venu à l'idée d'expulser quelqu'un qui est gravement malade. »
Or, ce principe a connu certaines entorses en ce qui concerne les « sans-papiers » de l'église Saint-Bernard, et il semble en outre qu'il ait été totalement oublié lors de la préparation du présent projet de loi.
En effet, aucune disposition relative aux étrangers gravement malades ne figure dans le texte que nous soumet le Gouvernement.
Il n'est pas possible, pensons-nous, de continuer à fermer les yeux.
Laissez-moi, pour vous convaincre, vous exposer rapidement le cas d'un jeune Algérien reconduit à la frontière en 1995, alors qu'il était atteint de la tuberculose. Son arrêté de reconduite à la frontière a depuis été annulé, mais on lui refuse obstinément un visa pour revenir en France. Déprimé, malade, il attend en Algérie.
Un pays qui se réclame des droits de l'homme ne peut impunément faire prévaloir des intérêts sécuritaires qui compromettent la santé d'individus, quelle que soit leur situation administrative.
Tel est l'objet de l'amendement que je vous demande, mes chers collègues, d'adopter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Paul Masson, rapporteur. Nous avons déjà eu un débat de même nature, voilà une heure, à propos de l'amendement de M. Allouche, s'agissant d'un sujet non pas identique mais similaire.
M. Jean Chérioux nous avait alors livré un témoignage particulièrement émouvant que chacun a salué, selon lequel il ne s'était jamais passé quoi que ce soit qui puisse être attentatoire à la morale et à l'honneur.
Je répondrai à notre collègue Claude Billard de la même façon s'agissant de l'amendement n° 182. A ma connaissance, il n'existe pas un cas où l'appréciation portée sur le terrain par les préfets ait pu entâcher de quelque manière que ce soit la dignité et l'honneur du pays.
Est-il nécessaire de codifier l'honneur de la France ? Je ne le crois pas. Je pense donc que, s'agissant de cas très particuliers, nous devons, encore une fois, faire confiance à ceux qui sont au plus près des cas particuliers.
Mon collègue comprendra qu'il n'est pas question de ne pas prendre en considération son amendement, mais je pense que, vu sous cet angle, il serait presque un peu agaçant que le législateur se sente dans l'obligation juridique de codifier, alors que notre pays se targue d'avoir toujours respecté les droits fondamentaux de la personne, s'agissant d'un malade et d'une maladie grave.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur. Défavorable.
M. le président. Je vais mettre aux voix l'amendement n° 182.
Mme Nicole Borvo. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à Mme Borvo.
Mme Nicole Borvo. Très souvent, vous êtes animés par le souci d'aller dans le détail s'agissant des dispositions législatives. En l'occurrence, la formulation retenue est suffisamment générale pour être inscrite dans la loi.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 182, repoussé par la commission et par le Gouvernement.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Article 6 bis