M. le président. « Art. 11 bis. - La gestion des actifs des fonds d'épargne retraite peut être déléguée à des prestataires de services d'investissement, agréés pour fournir le service visé au d de l'article 4 de la loi n° 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières.
« Le fonds d'épargne procède au moins tous les cinq ans au réexamen du choix du prestataire de services d'investissement. »
Par amendement n° 7, M. Marini, au nom de la commission, propose :
I. - Dans le premier alinéa de cet article de remplacer les mots : « peut être » par le mot : « est ».
II. - Après le premier alinéa de cet article, d'insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le non-respect des dispositions de l'alinéa précédent est passible des sanctions prévues aux articles 82 à 88 de la même loi. Sans préjudice de ces sanctions, la commission prévue à l'article 17 bis de la présente loi peut retirer l'agrément délivré au fonds. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur. Les questions que nous traitons par cet amendement sont de diverses natures.
D'abord, est-il normal et légitime qu'un épargnant qui confie son argent à un gestionnaire, par exemple en investissant dans un fonds commun de placement ou dans une SICAV, bénéficie de la protection de la Commission des opérations de bourse alors qu'un autre épargnant, salarié d'une entreprise et qui confie son argent à un fonds de pension, n'en bénéficie pas ? C'est la première question que nous nous posons et que nous soumettons au Sénat.
Notre industrie financière a-t-elle intérêt à la consécration d'un monopole de droit au profit des assureurs et des banquiers ? C'est la seconde question que nous nous posons.
M. Emmanuel Hamel. Elle est excellente !
M. Philippe Marini, rapporteur. Sans vouloir être trop long, je voudrais revenir sur quelques points de principe, là encore pour éclairer le débat aussi objectivement que possible.
En l'occurrence, nous traitons du problème de la délégation de la gestion à des gestionnaires ou gérants de portefeuilles pour compte de tiers. Cela répond, dans les pays où la règle de l'obligation de délégation de gestion existe, à un double objectif.
Il s'agit d'abord d'un objectif prudentiel, avec la délimitation d'un champ de compétences pour la Commission des opérations de bourse. A ce propos, je relève que, tant en Grande-Bretagne qu'aux Etas-Unis, les homologues de la Commission des opérations de bourse interviennent pour garantir la qualité et la fiabilité de l'information donnée aux souscripteurs.
En l'état actuel du texte de la proposition de loi, le contrôle exercé au nom de l'Etat serait assurément un contrôle de qualité, celui de la commission de contrôle des assurances, améliorée par l'adjonction d'autres personnes spécialistes en matière de prévoyance sociale et de mutuelle, mais ce ne serait pas le contrôle de la Commission des opérations de bourse, au profit de laquelle nous avons créé, par la loi du 2 juillet 1996, un bloc de compétences sur les affaires de la gestion.
Je me permets de rappeler au Sénat que l'état dans lequel nous trouvons le texte encore cet après-midi me gêne beaucoup. En effet, avoir revalorisé le statut de la Commission des opérations de bourse, avoir rapproché cette commission du Parlement en prévoyant au sein de son collège des membres désignés par les présidents des assemblées parlementaires, avoir constitué ce bloc de compétences sur les affaires de la gestion et considérer que cela s'applique à tous les compartiments de l'épargne, sauf à l'épargne à long terme et à très long terme, me paraît manquer de rationalité...
M. Emmanuel Hamel. De logique !
M. Philippe Marini, rapporteur. ...de logique, en effet, et de cohérence.
Le second objectif, et je vais aussi m'en expliquer, c'est celui de stratégie industrielle. Faut-il consacrer ce monopole de droit au profit des assureurs et des banquiers ? Voyons ce qui se passe à l'extérieur, sur les marchés d'outre-Atlantique et d'outre-Manche où existent des fonds de pension. La plupart des professionnels de ces pays nous expliquent que la France en est aujourd'hui à un stade d'évolution qu'ils ont connu dans leur pays voilà vingt ou trente ans, avant des réformes structurelles significatives.
Certains d'entre vous me diront peut-être que les fonds d'épargne retraite relèvent du domaine de l'assurance, lequel est régi par des modalités d'organisation et des règles de gestion spécifiques. Ils auront, certes, raison. Il ne faut en effet pas confondre l'assurance et les OPCVM, les SICAV ou les fonds communs de placement.
En ce qui concerne les OPCVM, la société gère des capitaux qui ne lui appartiennent pas, et les résultats dépendront uniquement de la performance de la gestion.
En matière d'assurance, les capitaux appartiennent à l'assureur, qui les gère en fonction de ses engagements, lesquels peuvent être très élevés. Nous en avons discuté lors du débat sur les prestations définies, les taux garantis, etc.
Nous avons en effet deux systèmes juridiques différents.
Mais en matière de fonds de pension - je vais encore me répéter - nous espérons bien que nous ferons autre chose que de l'assurance vie à quarante ans. M. Arthuis disait d'ailleurs lui-même qu'il faut parvenir à financer autre chose que les déficits publics.
M. Jean Chérioux. C'est évident !
M. Philippe Marini, rapporteur. Or, la forme la plus achevée des fonds de pensions est non pas celle dans laquelle il y a globalisation de tous les versements et de tous les engagements, mais au contraire, me semble-t-il, celle où il y a segmentation, compartimentage des versements et des engagements en fonction de l'arrivée probable à l'âge de la retraite des différentes classes de salariés.
Je n'entrerai pas dans le détail technique, mais on voit bien que, si l'on gère dans l'esprit habituel des assureurs, on conservera les mêmes proportions de l'actif investi dans les différentes catégories des valeurs pendant toute la durée de vie du fonds. Par conséquent, on gardera un socle important de valeurs obligataires et de valeurs de nature monétaires.
Si l'on procède différemment, avec ce que l'on appelle l'effet de noria, l'investissement pourra être fait majoritairement en actions pendant la première période de vie du fonds, puis essentiellement en produits liquides en fin de vie, lorsque les rentes devront être liquidées au bénéfice des ayants droits.
Dès lors, il n'y a pas de raison, semble-t-il, qu'un même métier ne soit pas exercé selon les mêmes règles et sous le contrôle de la même autorité. Il n'y a pas de raison qu'un épargnant qui confie son argent à un gestionnaire pour compte de tiers bénéficie du contrôle de la Commission des opérations de bourse et que celui qui confie son argent à un fonds d'épargne retraite n'en profite pas.
Voyons enfin ce qui se passe dans nos grands groupes d'assurance. A cet égard, je relisais par hasard, dans une publication financière - il s'agit du journal MTF-l'Agefi du 4 janvier dernier - un entretien récent de l'un des directeurs généraux d'AXA, M. Gérard de la Martinière : « Si je prends le cas du groupe AXA, notre organisation interne sépare déjà la gestion d'actifs et la gestion des passifs. Nous avons donc bien à la fois une offre d'accueil bilantiel au niveau des passifs et une offre de gestion financière au niveau des actifs, ces deux offres pouvant être combinées ou séparées. »
Ce n'est pas autre chose que ce que nous disions ici-même en décembre dernier, lors de la première lecture de ce texte, à savoir que la technique assurantielle, c'est la gestion des passifs et l'adossement des actifs et des passifs, et que tout cela est contrôlé par la commission de contrôle des assurances, améliorée, et que la gestion des actifs, qui a vocation à être faite par des équipes distinctes, doit être contrôlée par la Commission des opérations de bourse.
S'il n'y a pas séparation juridique de l'un et de l'autre, on ne voit pas où faire passer la ligne de partage...
M. Michel Caldaguès. La « muraille de Chine » !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... entre les compétences de la commission de contrôle des assurances et celles de la Commission des opérations de bourse.
M. Jean Chérioux. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur. Certes, on peut dire que tout cela peut heurter des habitudes et que tous les segments de l'industrie financière ne sont pas forcément prêts à accueillir ce langage.
M. Jean Chérioux. Une fois de plus !
M. Philippe Marini, rapporteur. Mais il y a eu concertation de place. Je tiens à souligner la conclusion de cette dernière, qui figure à la page 108 du rapport du groupe de travail de Paris Euro-place, présidé par l'excellent Gérard de la Martinière : « Pour les membres de la commission, l'élément majeur est que les fonds d'épargne retraite, comme d'ailleurs l'ensemble des organismes de retraite ou de gestion des comptes sociaux, délèguent leur gestion et ceci uniquement auprès d'organismes soumis au "bloc de compétence" institué au profit de la COB. Seul ce type de mesure est de nature à garantir les meilleurs contrôles et la sécurité dans la gestion des fonds. »
Pardonnez-moi la longueur de cette explication, mais c'est, à mon avis, un point intéressant du débat.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission des finances soumet à nouveau au Sénat cet amendement n° 7, qui ne fait que reprendre un amendement que nous avions voté de manière identique en première lecture.
Nous savons bien que nous sommes actuellement en deuxième lecture, que certains points de divergence peuvent légitimement exister entre nos approches et que la commission mixte paritaire se réunira la semaine prochaine. Nous verrons alors, à ce stade, comment nos approches s'ordonnent les unes par rapport aux autres. Mais il serait à mon avis dommage que le Sénat, s'il partage la vision et la conviction que je viens d'exprimer ne concrétise pas cette position par un vote qui constituerait un élément important pour nos discussions au sein de la commission mixte paritaire.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lamassoure, ministre délégué. Nous reprenons là un débat que nous avons déjà eu en première lecture.
Le Gouvernement émet un certain nombre de réserves sur la solution présentée par cet amendement, qui a d'ailleurs été rejetée par l'Assemblée nationale. Mais le débat est tout à fait légitime, et je reconnais très volontiers la pertinence d'un grand nombre d'arguments avancés par M. le rapporteur.
Cet amendement vise à rétablir l'obligation de délégation de gestion des actifs des fonds d'épargne retraite. Or, le Gouvernement considère que cette obligation soulève des difficultés pour deux raisons principales.
En premier lieu, elle néglige les contraintes spécifiques d'adossement actifs-passifs propres à des organismes d'assurance.
La cohérence de la proposition de loi réside dans le choix d'un support technique et juridique qui est celui du code des assurances, comme M. le rapporteur l'a reconnu. Pour nous, ce choix doit conduire en logique et pour des raisons de sécurité à éviter de séparer systématiquement la gestion du passif du fonds de celle de ses actifs. Ce sont les engagements pris par le fonds - ils figurent à son passif - qui commandent les règles de gestion des actifs, et non l'inverse.
En second lieu, cette obligation ajoute un élément de complexité et de coût au dispositif, élément qui ne paraît pas justifié par un gain en termes de sécurité dans la gestion des fonds d'épargne retraite.
Le contrôle des fonds d'épargne retraite doit d'abord être celui de la bonne adéquation entre passifs et actifs du fonds, c'est-à-dire le contrôle du respect des règles prudentielles. Or, qui mieux que les organismes spécialisés en la matière, c'est-à-dire les commissions de contrôle des assurances et des institutions de prévoyance ou des mutuelles, peuvent assurer efficacement ce contrôle ?
Pour ces raisons, il nous semble préférable de substituer une faculté de délégation à cette obligation. En fonction de leurs objectifs de gestion et de la nature des contrats retenus, les fonds ou les souscripteurs d'épargne retraite peuvent souhaiter déléguer tout ou partie de la gestion de leurs actifs ou ne pas le faire.
Par conséquent, ne figeons pas aujourd'hui le mode d'organisation des fonds d'épargne retraite. Laissons ces fonds, qui sont des investisseurs professionnels, libres de choisir leur mode d'organisation en matière de gestion d'actifs.
C'est pourquoi le Gouvernement reste défavorable à cette obligation.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'amendement n° 7, repoussé par le Gouvernement.

(L'amendement est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'article 11 bis , ainsi modifié.

(L'article 11 bis est adopté.)

Article 11 ter