ÉPARGNE RETRAITE

Discussion d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 100, 1996-1997), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à l'épargne retraite. [Rapport n° 124 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le débat qui s'ouvre aujourd'hui au Sénat revêt à mes yeux une importance capitale. Il porte, en effet, sur un sujet qui préoccupe, à juste titre, l'ensemble de nos concitoyens, puisqu'il s'agit de leur retraite.
M. Paul Loridant. Il faut saisir la commission des affaires sociales !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Nous allons préciser ensemble le cadre des fonds d'épargne retraite tel qu'il a été défini lors de la première lecture par l'Assemblée nationale de la proposition de loi instituant, enfin, l'épargne retraite en France. Je m'empresse toutefois de dire que le Sénat aurait pu ouvrir cette discussion à partir de la proposition de loi déposée par M. Philippe Marini !
Si nous sommes aujourd'hui si prêts du but, c'est grâce à une mobilisation collective sans précédent. La discussion de cette proposition de loi est, en outre, le témoignage d'une coopération exemplaire entre le Gouvernement et le Parlement, et vous m'en voyez très heureux.
Je tiens à remercier tout particulièrement M. Marini, votre rapporteur, pour le rôle central qu'il a joué à toutes les étapes de cette réflexion.
La mise en place de fonds d'épargne retraite dans notre pays est une nécessité largement admise aujourd'hui, ainsi qu'en témoigne une récente enquête d'opinion effectuée par l'institut BVA. Selon ce sondage, 64 % des Français se déclarent favorables à la mise en place d'un système de ce type.
La raison d'être première de l'épargne retraite est, en effet, d'apporter un complément de revenu aux Français qui le souhaitent. C'est, me semble-t-il, l'esprit d'un système de liberté et de responsabilité que de laisser à chacun la possibilité de compléter la retraite de base qui lui est garantie par un complément de revenu procuré par son épargne.
Notre système de retraite par répartition, prolongé par les mécanismes complémentaires, a donné, convenons-en, d'admirables résultats. Il restera, à l'avenir, le fondement de la solidarité entre les générations. Il ne saurait être question de remettre en cause, en quoi que ce soit, le système de retraite par répartition.
J'ai bien conscience des craintes exprimées ici et là, selon lesquelles les fonds d'épargne retraite pourraient affaiblir les deux premiers étages d'un dispositif qui repose sur la répartition, le régime général et les régimes complémentaires. Mais il n'en est évidemment rien. Ces fonds permettront, au contraire, à ceux qui le souhaitent de compléter, dans les proportions qu'ils jugent utiles, leur retraite de base. Loin de menacer nos retraites, les fonds d'épargne retraite les conforteront.
Je crois même pouvoir dire que le dispositif à trois étages dont nous disposerons fera de notre pays l'un des mieux armés au monde en matière de retraite.
J'ajoute que c'est par l'effet bénéfique qu'ils auront pour notre économie que les fonds d'épargne retraite contribueront à mieux conforter nos systèmes de prévoyance. Leur instauration, aura en effet, pour objet de « muscler » notre tissu productif en renforçant les fonds propres des entreprises. Il s'agit donc de financer l'économie productive.
Aujourd'hui, l'épargne des Français est abondante, mais la part de cette épargne investie dans les entreprises est très insuffisante.
Les besoins de l'Etat et ceux des administrations publiques en absorbent, en effet, une fraction extrêmement importante, au détriment des activités productives. Demain, grâce aux fonds d'épargne retraite et à la remise à flot de nos comptes publics, cette épargne se réorientera, enfin, vers les entreprises.
C'est en favorisant le développement des entreprises que nous assurerons le plus sûrement l'avenir de la protection sociale, parce que ce sont elles qui créent la richesse et l'emploi, source des cotisations sociales nécessaires à l'équilibre des systèmes de retraite par répartition. Pour faire aboutir ce projet, si essentiel pour notre économie, je me suis mis, au cours de ces derniers mois, à l'écoute des partenaires sociaux et des professionnels. Je retire de ces échanges et de cette concertation plusieurs convictions, que je voudrais maintenant vous faire partager.
Premièrement, les fonds d'épargne retraite doivent assurer la sécurité de l'épargne des salariés.
C'est pourquoi ces fonds, quelle que soit leur forme juridique - société anonyme, mutuelle, institution de prévoyance - doivent être soumis aux mêmes règles prudentielles, à un régime d'agrément unique, ainsi qu'à un contrôle unique.
En proposant d'assujettir les fonds d'épargne retraite au régime prudentiel en vigueur pour l'assurance-vie, nous répondons pleinement, me semble-t-il, à cette obligation de sécurité.
Les règles strictes de dispersion des risques qui sont prévues procèdent de la même volonté de sécurité. Il n'y a pas d'équivoque possible. Notre priorité est de garantir aux épargnants la sécurité de leurs placements.
Sur toutes ces questions, je suis heureux que les discussions que j'ai menées avec les partenaires concernés nous aient permis de parvenir à ce bon compromis.
Vous souhaitez, monsieur le rapporteur, dans un souci de prudence et de développement de la sécurité financière, que ce texte impose une obligation de délégation de la gestion de leurs actifs aux fonds d'épargne retraite.
Je ne peux que partager ces deux objectifs. Mais, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, je prépare un texte de loi sur la gestion d'actifs pour compte de tiers. Je souhaiterais donc, sur ce sujet, procéder à une concertation approfondie avec les professionnels de la gestion avant de faire des propositions.
Je vous demande donc, au bénéfice de cet engagement, de retirer l'amendement que vous avez déposé à cet effet ou d'accepter un nouvel amendement du Gouvernement ouvrant cette possibilité, sans toutefois en faire dès maintenant une obligation.
Le Gouvernement vous présentera le projet de loi sur la gestion d'actifs pour le compte de tiers, au cours du premier semestre de 1997. Ce texte devra respecter le principe de déontologie et conférer aux gestionnaires les marges d'indépendance nécessaires. Je prends cet engagement devant votre Haute Assemblée et je souhaite que nous puissions, à l'occasion de cette discussion, ouvrir le débat. Nous adresserons ainsi un signe à tous ceux qui, dans les semaines à venir, mettront en place des fonds d'épargne retraite : ils doivent se préparer à prendre en considération cette exigence d'indépendance et de déontologie.
Je souhaite mettre en évidence un deuxième élément.
Cette épargne retraite nouvelle doit s'inscrire dans un cadre collectif, mais reposer sur le libre engagement de chacun.
Ainsi, la mise en place des plans d'épargne retraite s'effectuera au niveau de l'entreprise, de la branche ou dans un cadre interprofessionnel. Toutefois, l'ouverture de ce plan dans chaque entreprise et l'adhésion du salarié au dispositif dont il relève - entreprise ou branche - doivent rester facultatives.
A l'inverse, la mise en place de plans individuels, c'est-à-dire souscrits directement par les salariés auprès des compagnies d'assurance, présenterait des inconvénients.
Outre le fait qu'elle ne correspond pas à notre tradition de gestion paritaire des régimes de retraite, cette solution présente des risques non négligeables, les salariés n'étant pas toujours en mesure d'apprécier seuls la sécurité des produits qui leur sont offerts. Enfin, elle ne permettrait pas le partage des cotisations entre le salarié et l'employeur, ce qui, convenons-en, en limiterait fortement l'intérêt.
Il n'en résulte pas moins que nous aurons à l'avenir à réfléchir aux voies d'une généralisation à l'ensemble des Français de cette épargne retraite complémentaire.
Il est un troisième élément que je tiens à souligner : les revenus de ces fonds doivent être essentiellement distribués sous forme de rente, afin de constituer un complément de revenu régulier pendant toute la durée de la retraite.
Vous connaissez mon attachement à la sortie en rente. C'est la condition pour que ces fonds constituent un véritable complément de retraite. Favoriser une sortie en capital reviendrait simplement à créer un nouveau produit d'épargne longue, alors qu'il y en a déjà tant sur le marché.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Exactement !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Tel n'est pas notre objectif, car nous souhaitons véritablement conforter la retraite de nos concitoyens.
Il est toutefois envisagé de permettre une sortie en capital limitée à 20 % des droits acquis, dans la limite de 100 000 francs, au moment du départ en retraite.
De même, la sortie en capital est prévue dans les cas de détresse humaine comme l'invalidité ou la perte des droits à l'assurance chômage.
Sur le plan fiscal, nous avons prévu d'exonérer d'impôt sur le revenu les versements qui seront effectués dans la limite de 5 % du montant brut de la rémunération. Bien entendu, la rente ou le capital perçu ultérieurement seront soumis à l'impôt sur le revenu.
Sur le plan social, l'alinéa 1 de l'article 26 voté par l'Assemblée nationale avait institué, sur proposition du Gouvernement, une enveloppe spécifique de déductibilité pour les plans d'épargne retraite. Cependant, cette disposition - elle s'élevait à une somme forfaitaire de 4 000 francs, augmentée de 2 % du salaire brut - a suscité une forme d'incompréhension parmi certains partenaires sociaux ainsi qu'au sein des organismes de retraite complémentaire, qui craignent, par la création d'une enveloppe nouvelle, une érosion de l'assiette des cotisations.
Aussi, dans un souci d'apaisement, le Gouvernement donnera son accord à l'amendement présenté par la commission des affaires sociales...
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je vous remercie !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. ... tendant à supprimer le dispositif spécifique d'exonération des cotisations sociales. Ainsi le régime des fonds d'épargne retraite s'insérera-t-il dans celui qui existe déjà en faveur des systèmes de prévoyance.
Ce régime permet d'exonérer les versements, dans la limite de 85 % du plafond annuel de la sécurité sociale, soit jusqu'à 137 037 francs de cotisations. Il a fait ses preuves et permettra de préserver le caractère attractif de ce produit nouveau de retraite.
Je l'ai déjà dit, mais je me permettrai d'insister à nouveau : la création de fonds d'épargne retraite est aujourd'hui nécessaire, parce qu'elle se trouve au confluent des attentes de nos concitoyens et des besoins de nos entreprises, de notre économie
M. Jean-Luc Mélenchon. Du capital financier, point final !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Décidément, vous n'avez pas de considération pour la création d'emplois !
M. Jean-Luc Mélenchon. J'en ai beaucoup pour vous, mais pas pour vos arguments !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Vous savez bien, monsieur le sénateur, que ce sont les entreprises qui créent les emplois !
M. Jean-Luc Mélenchon. Oh non, je vous en prie !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. La création de fonds d'épargne retraite nous donne aujourd'hui l'occasion de répondre aux attentes de tous. Ne laissons pas passer cette chance !
L'épargne retraite, outre le fait qu'elle sécurise la retraite des salariés qui y contribuent, mobilise les fonds d'épargne dont les entreprises ont besoin pour investir et créer des emplois.
L'épargne retraite, à court terme, est donc bien l'instrument de consolidation des régimes de retraites par répartition.
Que l'on cesse d'opposer épargne retraite et retraite par répartition ! Dans cinq ans, dans dix ans, dans vingt ans, les régimes de retraite par répartition ne seront équilibrés que s'il existe un nombre suffisant de salariés. Pour qu'il y ait demain et après-demain assez de salariés, pour qu'il y ait une véritable cohésion sociale dans notre pays, il faudra que nous ayons su mobiliser une épargne suffisamment abondante et que nous ayons pu la mettre à la disposition de ceux qui investissent, de ceux qui entreprennent, de ceux qui créent de la richesse, de la croissance et de l'emploi. Il n'y a aucune opposition, bien au contraire, entre la retraite par répartition et l'épargne retraite ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Marini, rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est présenté est un texte pour l'avenir. C'est un texte structurel, et notre discussion sera assurément fondamentale.
Je tiens tout d'abord à mettre l'accent sur trois aspects de la proposition de loi qui me semblent particulièrement importants.
Tout d'abord, la loi à l'élaboration de laquelle nous nous apprêtons à participer est une loi pour les jeunes actifs ; elle s'adresse à ceux qui, aujourd'hui, sont dans la vie active et ont entre trente ans et cinquante ans ; ce sont eux, mes chers collègues, qui sont directement et prioritairement concernés par nos travaux, car c'est de leur retraite et de leur pouvoir d'achat qu'il s'agit.
M. Paul Loridant. Cela relève donc de la commission des affaires sociales !
M. Philippe Marini, rapporteur. Nous savons fort bien que, dans ces domaines, les aspects sociaux et financiers sont étroitement mêlés.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Cela dépend pour qui !
M. Philippe Marini, rapporteur. Soyons réalistes ! Examinons les chiffres tels qu'ils sont ! L'évolution démographique peut inspirer des préoccupations s'agissant de nos régimes de retraite.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Tout à fait !
M. Philippe Marini, rapporteur. Par ailleurs, nos entreprises ne résisteraient pas, nous le savons, à un surcroît de charges obligatoires et de prélèvements nouveaux.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Les salariés encore moins !
M. Philippe Marini, rapporteur. Demain et après-demain, la création d'emplois dépendra de notre capacité à maîtriser les charges obligatoires des entreprises. Cette proposition de loi constitue une tentative partielle de réponse à cette préoccupation. De ce point de vue, la démarche est particulièrement importante.
Par ailleurs, mes chers collègues, les fonds d'épargne retraite, couramment appelés, selon l'usage, « fonds de pension »,...
M. Jean-Luc Mélenchon. L'usage anglo-saxon !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... représenteront une chance pour l'économie. Comme l'a dit très justement M. le ministre, il est important de disposer, à partir de l'épargne nationale, de fonds institutionnels susceptibles de favoriser la compétitivité de nos entreprises en renforçant leurs fonds propres, et d'améliorer celle de la France et de la place financière de Paris, par rapport à Londres et à Francfort, dans l'Europe de demain.
De ce point de vue, en ce qui concerne les entreprises cotées ainsi que les petites et moyennes entreprises, au travers du capital développement, sur le long terme et dans les décennies à venir, les fonds d'épargne retraite représentent une réforme structurelle importante...
M. Jean-Luc Mélenchon. Ça, c'est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur. ... et attendue depuis longtemps.
M. Jean-Luc Mélenchon. Par vous !
M. Philippe Marini, rapporteur. En troisième lieu, et peut-être cela frustre-t-il certains interlocuteurs, les fonds d'épargne retraite représentent un instrument nouveau du dialogue social d'entreprise. Je voudrais insister sur ce point.
Dans les années quatre-vingt, nous avons effectué, c'est vrai, la décentralisation politique. Les collectivités territoriales sont ainsi en mesure d'assurer une gestion au plus près du terrain, et souvent de prendre de meilleures décisions que les administrations d'Etat.
M. Claude Estier. Vous étiez contre la décentralisation, à l'époque !
M. Philippe Marini, rapporteur. De la même façon, mes chers collègues, le dialogue social doit se déplacer sur le terrain, et donc adhérer à la réalité de l'entreprise.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est l'autogestion que vous proposez ?
M. Philippe Marini, rapporteur. Il faut sortir de l'esprit vertical de certaines organisations et ouvrir la voie, dans les entreprises, à un dialogue responsable entre les partenaires qui s'y trouvent, tant du côté du patronat que du côté des représentants des salariés. D'ailleurs, depuis peu de temps, notre législation en comporte un bon exemple, qui produit des résultats : c'est ce qu'on appelle la loi Robien sur l'organisation du travail, la réduction du temps de travail et ses compensations.
La présente démarche s'inscrit un peu dans la même philosophie. Il serait excellent, monsieur le président de la commission des affaires sociales, que, demain ou après-demain, le dialogue social puisse se nourrir un peu mieux des réalités de l'entreprise et que l'on puisse, au niveau d'une entreprise, globaliser des questions comme les salaires, l'organisation du travail, les qualifications, les carrières, l'intéressement, la participation et la préparation de la retraite.
Si l'on ne croit pas à cette décentralisation des décisions économiques, alors, effectivement, il faut être contre les fonds d'épargne retraite. Si l'on y croit, il faut adhérer à la démarche et tâcher de la rendre la plus efficace et la plus probante possible.
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous donnez déjà les réponses. Ne posez pas en plus les questions !
M. Philippe Marini, rapporteur. M. le ministre de l'économie et des finances l'a fort opportunément rappelé, le Sénat a constitué, en effet, un élément moteur de l'évolution des esprits dans cette affaire.
M. Denis Badré. C'est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur. Dès le début de l'année 1993, un groupe de collègues a bien voulu s'associer à la proposition de loi que j'avais soumise à leur réflexion...
M. Paul Loridant. A la commission des affaires sociales !
M. Philippe Marini, rapporteur. Mon cher collègue, tous les sénateurs sont à égalité dans cette assemblée !
M. Jean Chérioux. Sauf M. Loridant !
M. Philippe Marini, rapporteur. J'espère que l'on ne fait pas de distinction par catégorie !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Absolument !
M. Philippe Marini, rapporteur. J'espère que nous avons tous droit au débat !
D'ailleurs, je rappelle que, sur l'initiative de certains d'entre nous, s'était tenue - c'était en mai 1993, si je ne me trompe - une séance de questions orales avec débat sur ce thème de l'épargne retraite. Ce débat, qui avait eu lieu en présence de Mme Simone Veil, avait permis d'échanger des arguments forts intéressants et de faire progresser la réflexion. M. Jean Arthuis s'en souvient certainement, car il devait être alors présent dans l'hémicycle.
Il est vrai que nombre d'occasions perdues ont été collectionnées au fil des ans. Il est également vrai, mes chers collègues, que notre économie, et sans doute aussi notre dialogue social, se porteraient un peu mieux si cette réforme avait été réalisée plus vite. Il faut cependant se féliciter qu'elle soit aujourd'hui inscrite à l'ordre du jour.
Nous le devons aussi, il faut le rappeler, à nos collègues de l'Assemblée nationale, et en particulier au groupe de l'Union pour la démocratie française et du Centre, qui a fait montre d'une pugnacité particulière.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur. Je voudrais, pour ma part, saluer personnellement les efforts du rapporteur à l'Assemblée nationale, M. Jean-Pierre Thomas. Sur les objectifs et les principaux éléments de cette proposition de loi, nous avons la même conception et nous participons au même combat pour le progrès social et pour faire avancer le système de retraite des Françaises et des Français.
Au sein de la commission des finances du Sénat, nous avons, bien sûr, procédé à une analyse très approfondie, malgré la brièveté du délai dont nous disposions. D'ailleurs, le rapport que vous avez à votre disposition, mes chers collègues, montre que nous nous sommes efforcés d'examiner toutes les questions qui, selon nous, se posaient.
Avant de survoler les propositions de la commission, je voudrais rendre hommage à nos interlocuteurs, et en particulier à vos collaborateurs, messieurs les ministres, qui ont véritablement été animés de l'esprit le plus constructif et qui se sont prêtés à des dialogues francs, si je puis ainsi les qualifier : ils ont été fructueux et ils ont permis de bien faire avancer la situation.
Je sais, monsieur le ministre de l'économie et des finances, que, en ce moment, il n'est pas toujours de coutume de complimenter Bercy, mais permettez-moi de le faire en l'occurrence, car cela me semble correspondre à la réalité.
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Bercy beaucoup ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur. En ce qui concerne le mécanisme lui-même, je voudrais rappeler qu'il comporte quatre parties. En l'occurrence, il y a quatre catégories d'interlocuteurs, et la terminologie est importante pour que, au cours de nos débats, nous puissions discuter en toute clarté.
En premier lieu, nous avons les salariés du secteur privé, à qui s'adresse cette proposition de loi. Je les appellerai les adhérents, car nous sommes dans un système de liberté et de libre adhésion, dans lequel personne ne sera contraint.
En deuxième lieu, nous avons les entreprises ou les groupements d'entreprises, que j'appellerai les souscripteurs car il s'agit de contrats. Il est important d'insister sur cette notion de contrat ! Ces souscripteurs peuvent être des entreprises, mais aussi des groupements d'entreprises et, par groupement d'entreprises, vous savez que l'on peut entendre aussi bien un groupe de sociétés, au sens capitaliste du terme, que des unions professionnelles ou interprofessionnelles, géographiques ou de branche, toutes formes de regroupement qui paraîtraient convenables aux partenaires concernés, aux initiateurs du fonds d'épargne retraite. Cette souplesse mérite d'être soulignée.
En troisième lieu, dans la troisième catégorie d'interlocuteurs, nous aurons les fonds eux-mêmes, qui vont être dotés de la personnalité morale et régis par certaines dispositions du code des assurances.
A cet égard, tout le monde sera sur la même ligne de départ. Il n'y aura pas de chasse gardée, et il n'en faut surtout pas. L'égalité des règles du jeu doit s'instaurer pour que la concurrence puisse jouer équitablement.
Bien entendu, le contrat que j'évoquais sera passé entre les souscripteurs et les fonds, et il sera dénommé « plan d'épargne retraite ». Ce contrat sera exécuté selon les intérêts des adhérents, pour optimiser la valeur de leur placement. Bien entendu, comme il est légitime, les adhérents y veilleront, au sein des comités de surveillance. Aussi la commission des finances vous proposera-t-elle quelques amendements pour mieux délimiter les attributions de ces comités et pour les rendre encore plus effectives qu'elles ne le sont dans le texte adopté par l'Assemblée nationale.
En quatrième lieu, comme vous y avez fait allusion dans votre propos, monsieur Arthuis, nous allons trouver les gérants d'actifs financiers, gérant pour compte de tiers, c'est-à-dire pour le compte des fonds. Nous reviendrons, bien sûr, sur ce sujet dans le débat. Cependant, je voudrais malgré tout, à ce point de la discussion, faire état d'une cohérence qu'il me semble nécessaire de préserver par rapport aux positions prises par le Sénat quand a été examinée et adoptée la loi du 2 juillet 1996, dite loi de modernisation des activités financières, par laquelle, notamment, la Commission des opérations de bourse a reçu une nouvelle légitimité. Il est indispensable, s'agissant de produits qui seront très largement répandus dans le public, de trouver une délimitation claire, permettant à la Commission des opérations de bourse de remplir sa mission.
Pour commenter très rapidement les propositions de la commission des finances, je me bornerai, messieurs les ministres, à évoquer cinq grandes notions dont nous voudrions nous rapprocher le plus possible. Ces notions sont l'équité, la prudence, la transparence, la concurrence et l'efficacité.
Au titre de l'équité, nous souhaitons que les travailleurs non salariés, bénéficiaires de la loi Madelin, rejoignent le plus vite possible le régime de droit commun qui sera défini ici. Nous souhaitons aussi que, parmi les salariés du secteur privé, personne ne reste sur le bord du chemin. Nous voudrions donc que les salariés des entreprises qui n'auraient pas pu ou pas voulu créer de fonds d'épargne retraite soient libres d'adhérer à des plans ou à des fonds existants. Cela fait l'objet d'un amendement de la commission des finances.
Nous voudrions aussi, au titre de l'équité, que les salariés qui seraient empêchés par des événements de la vie de tirer pleinement parti, au cours d'une année déterminée, des nouvelles dispositions de la loi puissent reporter sur une période de quelques années les versements qu'ils n'auraient pas été en mesure de faire, en gardant un droit à l'incitation fiscale établie par le texte.
En dernier lieu, il nous semble essentiel de veiller - nous le ferons par quelques ajustements techniques - à l'équité entre les différents acteurs, c'est-à-dire les organismes mutualistes issus du code de la mutualité, les institutions de prévoyance sociale du code de la sécurité sociale, les mutuelles d'assurance et, naturellement, les compagnies d'assurance classiques.
En ce qui concerne la prudence, nous avons deux préoccupations majeures, que vous avez vous-même évoquées, monsieur le ministre. Il s'agit, d'une part, de la dispersion des risques, car il faut veiller à ce que les économies des adhérents soient préservées par la meilleure dispersion possible des actifs. Il s'agit, d'autre part, de la nécessité de séparer les fonctions de gestion de la garantie des engagements pris à l'égard des adhérents.
Au titre de la transparence, outre les progrès à faire concernant les comités de surveillance, nous avons prévu un certain nombre de suggestions pour renforcer les obligations d'information des adhérents et pour favoriser la transparence des relations entre le fonds et le comité de surveillance. Nous nous sommes également intéressés au pouvoir qui serait exercé dans les assemblées générales des sociétés dont les titres se trouveraient dans les actifs des fonds. Nous avons, à cet égard, souhaité que les gérants d'actifs financiers soient placés par la loi dans l'obligation d'exercer, chaque fois que cela est nécessaire, leur droit de vote dans ces assemblées générales et d'expliquer à leurs adhérents ce qu'ils font, pourquoi ils le font, et en quoi c'est conforme à leurs intérêts.
S'agissant de la concurrence, nous avons essayé de perfectionner le texte aux différents niveaux qui s'y prêtaient, c'est-à-dire celui du choix de l'adhérent et celui du choix du souscripteur. Sans aller jusqu'à des dispositions qui risqueraient de déstabiliser les fonds et leur gestion, nous avons souhaité qu'il y ait des possibilités périodiques de réexamen des contrats, afin que la concurrence puisse pleinement jouer car nous sommes convaincus qu'il y va réellement de l'intérêt des adhérents et de la valorisation la meilleure possible de leur future retraite.
Enfin, au titre de la rationalité économique et de l'efficacité, nous nous sommes interrogés sur les effets de tout ce système sur le financement en fonds propres des entreprises, qui nous paraît, bien entendu, être un très grand enjeu pour les années à venir dans notre pays.
Nous ferons, à cet égard, des propositions car notre commission a considéré que les finalités mêmes de ce système et la nécessité d'optimiser ses effets économiques devaient conduire à exclure les régimes dits à prestations définies, qui se traduiraient essentiellement par la gestion d'instruments de taux, c'est-à-dire d'obligations. En effet, les membres de notre commission des finances, ainsi que bien d'autres sénateurs, ne souhaitent pas que les fonds d'épargne retraite soient des contrats d'assurance-vie à quarante ans.
Vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre, nous avons en l'occurrence l'impérieuse nécessité de participer au dynamisme de l'économie, de réveiller l'initiative et l'esprit de responsabilité.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est de la magie !
M. Philippe Marini, rapporteur. Certes, il n'y a pas de recette miracle, mon cher collègue ! Si vous en connaissiez une, il faudrait que vous nous la donniez.
M. Jean-Luc Mélenchon. Cela vient !
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous ne l'avez pas encore fait !
M. Jean-Luc Mélenchon. Patience ! Plus que dix-huit mois !
M. Philippe Marini, rapporteur. Les fonds d'épargne retraite sont un élément important dans la politique économique qui va être conduite non seulement sur une année, mais sur une longue période.
Monsieur le ministre de l'économie et des finances, soyez remercié de l'initiative que le Gouvernement a prise en inscrivant ce texte à l'ordre du jour de nos travaux.
Sous le bénéfice des observations que j'ai présentées, je peux vous dire par avance, mes chers collègues, que, s'agissant des orientations générales du texte, la commission des finances y a souscrit, à une large majorité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. La discussion qui s'ouvre montre à quel point les enjeux sont essentiels pour tous nos concitoyens, pour notre économie et pour l'emploi. Je voudrais remercier M. Philippe Marini de la présentation qu'il vient de faire des fonds d'épargne retraite. Il s'agit d'une réforme structurelle majeure.
C'est une discussion passionnante qui s'ouvre au Sénat et j'aurais voulu, pour ma part, au nom du Gouvernement, y participer, mais je dois me rendre maintenant à Dublin pour un conseil économique et financier et pour la réunion des chefs d'Etat et de gouvernement.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ne capitulez pas !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Aussi, je prie le Sénat d'excuser mon départ : c'est M. Alain Lamassoure qui conduira la discussion au nom du Gouvernement. Dans ces conditions, je vous demande l'autorisation, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, de prendre congé. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants. - M. le ministre quitte l'hémicycle.)
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais simplement dissiper le malentendu qu'aurait pu faire naître une interruption de M. Loridant lorsque M. Marini présentait son rapport. Il n'y a pas conflit sur ce texte entre la commission des finances et notre commission. La commission des affaires sociales a toujours été favorable, à une très large majorité, à l'institution en France d'un système d'épargne retraite. Elle y avait simplement posé un certain nombre de conditions.
La première prévoyait que le système se traduise à la fin par une rente et non par un versement de capital ; j'ai entendu M. Arthuis confirmer, au nom du Gouvernement, qu'il en serait bien ainsi.
La deuxième condition était que l'institution de systèmes d'épargne retraite intervienne le plus rapidement possible pour pallier les conséquences de la modification de nos régimes de retraite décidée en 1993.
La troisième condition était une séparation tranchée entre le mécanisme d'alimentation normale de nos régimes de retraite de base et retraite complémentaire et le système d'épargne retraite. C'est sur ce point seul - l'article 26 - que la commission des affaires sociales diverge du texte adopté par l'Assemblée nationale. Nous reverrons donc, lors de la discussion de l'article 26, quelle théorie triomphera : celle qui a été adoptée par l'Assemblée nationale et qui est soutenue par M. Marini, ou celle qui a été adoptée par la commission des affaires sociales du Sénat, et - je viens de l'entendre, et je m'en réjouis - qui est soutenue par le Gouvernement. Mais c'est le seul point de divergence - il est petit, mais important pour l'avenir de nos régimes sociaux - qu'il y ait entre nous ; je tenais à le dire pour éviter que nous ne nous lancions dans une guerre mythique entre les deux commissions.
Nous sommes en effet tous partisans de la création du système proposé par Jean-Pierre Thomas. Nous apprécions toutes les garanties de sécurité et de bonne gestion que la commission des finances du Sénat a ajoutées au texte de manière à protéger l'ensemble des adhérents.
C'est donc le Sénat qui tranchera dans cette affaire, demain, quand l'article 26 viendra en discussion.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Christian Poncelet, président de la commission des finances. J'ai été étonné, moi aussi, d'entendre ou de lire qu'il y aurait eu affrontement entre la commission des affaires sociales et la commission des finances.
La commission des finances a été saisie au fond sur ce texte ; elle a, bien sûr, à faire part de ses observations et des améliorations qu'elle souhaite lui apporter.
Une concertation a eu lieu entre la commission des affaires sociales et la commission des finances, et ce texte sera donc le résultat d'un travail constructif réalisé par les deux commissions du Sénat ; je ne vois donc pas où trouver matière à querelle dans cette affaire !
Il s'agit d'un texte extrêmement important, qui vient compléter le système de retraite par répartition. Il a été souhaité par plusieurs organisations professionnelles et syndicales, et il est donc attendu.
Il convient par conséquent que nous travaillions ensemble à ce texte pour l'améliorer encore, si possible, sachant que notre travail sera encore perfectible.
Une proposition a été faite par la commission des affaires sociales. Le Gouvernement a donné son point de vue. La commission des finances donnera le sien dans un instant, et le Sénat, bien sûr, se prononcera.
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidé par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 26 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes.
La parole est à M. Massion.
M. Marc Massion. Je crains fort, mes chers collègues de la majorité, qu'en votant en l'état ou simplement modifiée par les amendements présentés par M. Marini, au nom de la commission des finances, la proposition de loi qui nous est soumise, vous ne commettiez une nouvelle et lourde faute politique tant sur le fond que sur l'opportunité.
Sur le fond, je relève le caractère fondamentalement inégalitaire et dangereux, à terme, de ce texte pour l'ensemble des systèmes de retraite actuellement en vigueur. Il est vrai que ces dangers n'apparaissent pas encore clairement aux yeux des Françaises et des Français. Et même, il est vrai que l'idée rapidement exposée pourrait paraître séduisante. A ce propos, je constate, en le regrettant, que les réactions des organisations syndicales et des organismes de retraite en général ont un peu tardé ; mais je me réjouis qu'elles se multiplient avec force depuis quelque temps.
L'objectivité, toutefois, m'amène à dire que le danger n'est pas pour tout le monde. Cette affaire suscite des attentes très fortes sur le thème bien connu : votre argent nous intéresse !
Sur l'opportunité, vous ne répondez pas, une fois de plus, à l'attente de celles et de ceux à qui vous aviez promis la réduction de la fracture sociale : ils sont 8 millions en situation de chômage ou de précarité extrême ; ils sont de 4 à 5 millions en situation de précarité « simple » ; et la préoccupation de nos concitoyens un peu mieux lotis mais dont la situation reste modeste est tout autre que celle de l'épargne retraite.
Ainsi, vous concrétisez aujourd'hui une sorte de volonté masochiste du Gouvernement d'accentuer le déphasage entre les lois votées et les graves difficultés auxquelles sont confrontés nos compatriotes
M. Claude Estier. Très bien !
M. Marc Massion. Mais venons-en au texte lui-même.
Considérant, d'une part, que notre système de retraite fondé sur la répartition était menacé à brève échéance et, d'autre part, qu'il convenait de permettre aux entreprises de renforcer leurs fonds propres, un député de la majorité a été à l'initiative d'un nouveau produit d'épargne entreprise en vue de la retraite, offert à l'ensemble des salariés, mais facultatif, et fondé sur la capitalisation.
Cette initiative n'est pas surprenante venant d'un membre de la majorité actuelle. M. Chirac lui-même, à l'occasion de la campagne présidentielle, avait déjà évoqué cette orientation ; M. Arthuis, en 1996, a eu des velléités analogues qui n'ont d'ailleurs pas dépassé le stade d'un avant-projet de loi.
Ce sujet semble faire recette à droite, même si certaines réserves se sont exprimées ici ou là. Il est rare, cependant, de voir une volonté politique se concrétiser aussi difficilement : en effet, deux ans et demi se sont écoulés entre le moment où le texte a été discuté en commission, à l'Assemblée nationale, et celui où il est examiné en première lecture par le Sénat.
Ce long délai est dû aux nombreuses tractations rendues nécessaires, pour l'essentiel, par les positions divergentes adoptées par les groupes économiques concernés par le nouveau produit : je veux évidemment parler des banquiers et des assureurs. Les uns et les autres ont essayé de peser sur la rédaction du texte pour qu'il réponde au mieux à leurs intérêts.
Ecartés, depuis la Libération, du domaine de la retraite par les régimes de base de la sécurité sociale et, plus encore, par les partenaires sociaux, gestionnaires des régimes complémentaires, les assureurs et les banquiers se réjouissent de voir le législateur leur offrir, sur le dos des contribuables et des cotisants, un marché qui, même s'il n'est pas aussi prometteur qu'ils l'espèrent, leur apportera un surcroît d'affaires.
Je déplore également la manière dont le texte a été discuté à l'Assemblée nationale : des amendements importants, déposés à la dernière minute sur l'initiative du Gouvernement, ont rendu la discussion en séance quelque peu surréaliste, puisque l'opposition, en tout cas, n'était pas en mesure de savoir, avant d'entrer dans l'hémicycle, ce qui, en définitive, serait débattu.
Avant d'analyser en détail cette proposition de loi - comme vous l'avez deviné, j'en pense le plus grand mal ! - en défendant une motion de renvoi à la commission, j'orienterai mon propos sur la philosophie qui l'a inspirée, car c'est bien sa logique qui doit retenir toute notre attention.
Cette proposition de loi, en effet, est conforme à une logique déjà expérimentée auprès des Français - jusque là sans beaucoup de succès - par le Gouvernement et sa majorité.
Pour reprendre un vocabulaire qui n'est plus guère employé mais que vous m'incitez à réactualiser ou à remettre à la mode, je dirai que cette proposition de loi s'inscrit dans une logique de classe.
Les ambitions affichées par les auteurs du texte de drainer une nouvelle épargne en vue de la retraite ne pourront certainement pas se réaliser comme ils le souhaitent, parce que les dangers vont rapidement apparaître.
Il est certes nécessaire de se préoccuper de l'avenir de nos régimes de retraite fondés sur la répartition. Ceux-ci connaîtront à partir de 2015 des difficultés du fait de la démographie, de l'allongement de l'espérance de vie et de l'absence d'une forte croissance.
Seulement, ce texte ne répond pas à ces enjeux. On peut donc se demander si, à l'avenir, il n'y a pas un risque de voir l'Etat récupérer les fonds de pension pour financer les régimes par répartition. Les entreprises et les affiliés qui auraient fait le choix des plans de retraite seraient alors grugés.
Les fonds de pension ne répondent pas au problème.
Aux Etats-Unis, où les fonds de pension existent depuis fort longtemps, seulement 10 % de la population qui, auparavant, bénéficiaient du régime obligatoire ont souscrit à de tels fonds facultatifs. En Californie, les budgets sociaux des retraites explosent. Je vous ferai par ailleurs remarquer que, aussi bien aux Etats-Unis qu'au Japon, les fonds de pension connaissent des problèmes gigantesques, s'agissant de leurs réserves.
En France, chacun sait que la loi Madelin pour les non-salariés n'a pas fait recette. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement souhaite permettre aux non-salariés de bénéficier également du nouveau produit proposé dans ce texte.
La PRÉFON, la caisse nationale de prévoyance de la fonction publique, offre un système également facultatif. Mais les fonctionnaires, à la différence des salariés, ont une garantie complète de retraite. Il serait donc malvenu d'établir des comparaisons. Rappelons au passage que seulement 2 % des fonctionnaires adhèrent à la PRÉFON.
M. Philippe Marini, rapporteur. Ce n'est pas assez !
M. Marc Massion. Le système facultatif et individuel ne marche pas. Beaucoup d'individus n'ont en effet pas la capacité financière et le souci de se projeter à très long terme. Ils souhaitent, qui plus est, dans le cas où ils économisent, avoir une épargne non captive, pour parer aux aléas de la vie.
Par ailleurs, pour bon nombre d'entre eux, ce système est par nature risqué, puisqu'il s'agit de capitalisation. Qui peut dire, aujourd'hui, ce que seront l'inflation ou les marchés financiers dans quarante ans ?
On voit bien que les fonds de pension posent toutes sortes de problèmes. Y avoir recours, et ce à travers un texte relativement bâclé, est irresponsable. La retraite nécessite de cotiser pendant longtemps : trente ou quarante ans. Cela signifie deux choses : il faut s'y prendre longtemps à l'avance et il faut avoir beaucoup de volonté.
Ce nouveau système est détestable, car il est surtout inégalitaire.
Il est clair que le nouveau système créera des inégalités pour les salariés selon qu'ils travaillent dans des entreprises qui opteront ou non pour l'épargne retraite. En gros, on serait tenté de dire que les salariés des petites et moyennes entreprises pourraient être écartés du système. Je vous rappelle que les entreprises de moins de cinquante salariés représentent 55 % des effectifs globaux, ce qui n'est pas rien.
De manière générale, seules y penseront les personnes disposant de revenus élevés, parce qu'elles peuvent dégager une épargne supplémentaire sans difficulté et parce qu'elles sont incitées par le dispositif fiscal leur offrant une nouvelle niche fiscale permettant d'échapper à l'impôt.
C'est pour ces personnes-là - cadres supérieurs disposant de revenus élevés et bénéficiant déjà de régimes de retraite particuliers, de stocks options , etc. - que le texte a été rédigé. Mais c'est aussi - j'aurai garde de ne pas les oublier - pour les compagnies d'assurances et les banques, qui ont besoin d'un nouveau marché.
Dans ce nouveau système, que faites-vous donc de tous ces salariés qui, licenciés vers quarante-cinq ans, finissent leur vie professionnelle à coups de missions d'intérim jusqu'à la retraite ?
Que faites-vous de tous ces salariés qui travaillent six mois, trois mois, parfois huit jours, voire deux jours, à coups de contrats à durée déterminée ? Où se situent-ils dans le système que vous nous proposez aujourd'hui ?
Pour revenir aux affiliés potentiels, il est inadmissible que le Gouvernement se préoccupe d'offrir des avantages fiscaux aux contribuables les plus riches de notre pays. Par définition, le système de la déductibilité n'avantagera que les contribuables imposables et, au sein d'entre eux, ce système offrira des avantages fiscaux d'autant plus élevés que les revenus auxquels il se rapporte le seront.
J'ajouterai enfin que les plans d'épargne retraite, par le fait même qu'ils n'ont pas recours à la mutualisation et que le montant de la rente servie est fonction de la durée de la capitalisation, seront également, et à ce titre, inégalitaires, ce que ne sont pas les retraites par répartition.
Les nouveaux affiliés paieront deux fois des cotisations : au titre des régimes de base, ils paieront pour les générations en âge d'être à la retaite et ils paieront également pour leur retraite future.
Sur un sujet d'importance comme la retraite, il n'y a pas place pour des intérêts économiques particuliers.
La rentabilité des assureurs-vie, sous l'action des taux d'intérêt et de la concurrence accrue, connaît aujourd'hui des heures difficiles. La situation des banques n'est pas meilleure, loin s'en faut. Tout cela est vrai.
Mais comment faire confiance, en matière de retraite, à des agents privés dont on veut nous faire croire qu'ils pourront se substituer parfaitement, et avec les mêmes garanties, à l'Etat ? La retraite est une chose trop importante pour la leur abandonner. Elle doit rester du domaine de l'Etat et des partenaires sociaux ; n'oublions pas que les cotisations sont un salaire différé !
Il y a presque un an jour pour jour, le 11 décembre 1995, le secrétaire général de la commission de contrôle des assurances déclarait lui-même : « J'ai des inquiétudes sur ce que les assureurs se permettent de garantir à leurs assurés et sur ce qu'ils pourront donner effectivement. » Comment ne pas penser de même, aujourd'hui, et ne pas s'inquiéter du nouveau cadeau qui leur est offert ?
Ce système va casser, à très court terme, notre régime de sécurité sociale.
Les exonérations fiscales et sociales vont avoir un impact diabolique sur tous les régimes obligatoires, car il est évident que les employeurs vont très vite voir ce qui est le plus intéressant pour eux : satisfaire à leurs obligations patronales au titre des régimes de base et complémentaire, ou abonder ces plans, avec la possibilité que les versements se substituent aux augmentations salariales, et donc leur permettent doublement de ne pas payer de charges sociales.
On peut craindre, dans ces conditions, leur désengagement de ces systèmes au profit du nouveau, ce qui impliquera, pour les salariés qui n'auront pas eu les moyens d'effectuer des versements, une réduction de leur retraite de base.
On parle déjà, aujourd'hui, d'une évasion de ressources pour les régimes obligatoires. Le Gouvernement n'a même pas eu le souci, en entérinant cette mesure d'exonération de charges sociales, d'en présenter le coût pour la sécurité sociale. L'amendement proposé par la commission des affaires sociales du Sénat, même s'il répond à une préoccupation légitime, ne règle pas le problème.
Bien au contraire, j'ai cru comprendre, ce matin, lors de la réunion de la commission des finances, que nous nous rejoignions sur l'analyse de cet amendement, monsieur le rapporteur. Espérons que ni pour vous ni pour moi ce rapprochement ne paraisse suspect ! (Sourires.)
Contrairement à ce que prétend la droite, il n'y a pas, aujourd'hui, consensus sur l'épargne retraite.
On prétend que sept Français sur dix sont pour une réforme. Mais sur quelle base ? En effet, 43 % des personnes interrogées estiment ne pas être suffisamment informées sur la retraite ; 84 % ne pensent pas que le système va s'améliorer et 30 % seulement des ménages se disent prêts à placer leur épargne pour leur retraite. La fédération française des sociétés d'assurances, elle-même, évoque ses propres simulations, qui montrent que les flux engendrés par ce nouveau produit pourront varier de 1 à 5, selon l'avantage fiscal.
Quand un système a besoin d'un coup de pouce fiscal pour se vendre, j'ai la faiblesse de penser qu'il propose, par définition, un mauvais produit.
L'ensemble des syndicats sont, d'ailleurs, totalement hostiles au texte, même si celui-ci a été long à voir le jour, je l'ai dit. Je ne vois donc apparaître aucun consensus.
M. Marini a rapidement évoqué en commission une prétendue convergence entre ce qu'il propose et des projets socialistes défendus par Pierre Bérégovoy.
Je veux m'insurger devant cet inadmissible amalgame. Pierre Bérégovoy n'a jamais été favorable à un système comme celui que vous proposez aujourd'hui. Il avait simplement songé à mettre en place, pour les régimes spéciaux qui posent effectivement des problèmes, un fonds abondé par des réserves venant des actifs des entreprises publiques. Cela n'a rien à voir avec votre système facultatif et individuel.
Je tenais donc à faire cette rectification à la tribune. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Vous la faites par avance !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'était indispensable !
M. Marc Massion. D'un point de vue macro-économique, je ne pense pas qu'il soit judicieux, à l'heure où la croissance reste fragile parce que portée par une consommation toujours aussi erratique, de mettre en place un système dont la logique est d'inciter les Français à épargner et à épargner encore, en particulier ceux qui pourraient contribuer à la relance de la consommation.
Nous nous opposerons donc très violemment à cette proposition de loi, tout au long de la discussion, en défendant non seulement une question préalable, mais aussi une motion de renvoi à la commission, ainsi que plus d'une soixantaine d'amendements.
Cette opposition n'est pas stérile. Nous ne sommes pas opposés, bien au contraire, à une réflexion sur les régimes de retraite. Simplement, il faut s'engager dans une autre voie.
Je disais tout à l'heure que la retraite nécessite une volonté sur une longue durée. Cela ne peut se faire de manière facultative. Il faut une obligation.
Je sais bien que vous allez me dire qu'il y a trop de prélèvements obligatoires et qu'il n'est pas possible d'en instaurer de nouveaux.
Pour répondre à cette objection, il faut regarder comment fonctionnent habituellement les différents systèmes de retraite.
Il y a, tout d'abord, les régimes généralisés et obligatoires. Ce sont, bien évidemment, ces systèmes qui respectent le mieux le principe d'égalité.
Il y a, ensuite, les régimes mis librement en place par les entreprises ou les branches professionnelles. J'insiste sur le fait que les entreprises et les branches sont libres de les mettre en place, car les cotisations qui les financent n'entrent pas dans les prélèvements obligatoires. L'entreprise ou la branche peut à tout instant revoir à la baisse le régime qu'elle a mis en place ou même l'arrêter. Ces régimes ne sont obligatoires que pour les salariés des entreprises concernées.
Ces systèmes, bien évidemment, sont inégalitaires puisque seuls les salariés des entreprises et branches qui estiment avoir les capacités financières nécessaires pour les mettre en place vont en profiter. Néanmoins, ces salariés pourront, en quelque sorte, oublier leur préférence pour le court terme, contribuer également de leur côté et, ainsi, bénéficier d'un véritable complément de retraite.
Le troisième système relève de la libre décision de l'assuré. Celui-ci peut décider seul et librement, dans son entreprise, et s'arrêter quand il le voudra. Mais il s'agira plus d'une opération d'épargne que d'une opération de retraite.
La plupart des pays industrialisés disposent de ces trois systèmes. La France se trouve dans une situation différente puisque l'essentiel de son système de retraite repose sur trois régimes obligatoires et généralisés : la sécurité sociale, l'association des régimes de retraites complémentaires, l'ARRCO, et l'association générale des institutions de retraites des cadres, l'AGIRC, qui correspondent, en fait, au premier pilier dans les autres pays.
Il est donc regrettable et inconséquent de se préoccuper de la mise en place d'un troisième pilier. Il serait plus opportun d'asseoir plus encore le deuxième, c'est-à-dire le système obligatoire d'entreprise ou de branche.
Votre logique est mauvaise ; nous vous le ferons savoir en conséquence, tout au long de cette discussion.
Monsieur le ministre, chers collègues de la majorité, je ne veux pas, en conclusion de cette intervention, dramatiser à l'excès la situation qui règne dans ce pays. Je tiens néanmoins à rappeler ce que disait l'un des vôtres, et non des moindres, puisqu'il s'agit de M. Pasqua, voilà quelques semaines, au sujet de la France : « Ce pays est au bord de la révolte. »
L'expression me paraît grave, surtout dans la bouche d'un ancien ministre de l'intérieur. Mais il m'arrive parfois, quand je discute, dans ma commune, avec les gens que je rencontre ici ou là, de penser qu'il a raison.
Or, avec ce texte, vous n'allez pas apaiser les craintes ; bien au contraire, vous allez les accentuer. Alors, mes chers collègues, si un jour « le couvercle saute » (comme l'on dit, personne ne peut dire comment il retombera, mais, à coup sûr, il fera une victime, une victime de taille, la démocratie, et vous en porterez la responsabilité. (Très bien ! et applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à M. Loridant.
M. Paul Loridant. Je suis d'accord au moins sur un point avec M. Marini, avec M. le ministre et avec les présidents des deux commissions : ce texte est très important.
Le débat sur les fonds de pension, ou plutôt sur les fonds d'épargne retraite, n'est pas neuf. Il trouve son fondement dans la confluence de plusieurs facteurs, au premier rang desquels on trouve, d'une part, le problème structurel de la démographie depuis le milieu des années soixante ainsi que la crise économique que nous traversons depuis plus de vingt ans et, d'autre part, une mode « idéologique » - je ne trouve pas d'autre mot - qui prend sa source chez les ultra-libéraux et l'école anglo-saxonne.
La conjonction des deux premiers facteurs - je n'en refais pas l'historique - semble conduire vers ce qui pourrait être, à l'horizon de 2015, l'impasse des systèmes de retraite par répartition, bien que ces derniers - on ne l'a pas dit - aient déjà intégré, à travers les taux de cotisation, ces deux premiers facteurs.
Il me souvient d'avoir écrit, à titre personnel, dans diverses revues qu'en l'an 2015 nombre de « petits vieux » feraient des petits boulots pour survivre, comme cela existe déjà aux Etats-Unis.
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est juste !
M. Paul Loridant. Pour autant, le système de retraite par répartition garde la nette préférence des Français, dans la mesure où il créé une solidarité à l'intérieur d'une génération, mais surtout une solidarité entre les générations elles-mêmes, ce qui est un des piliers fondamentaux du pacte républicain.
Dans le même temps, les libéraux ont pour coutume de répéter que les entreprises françaises manquent singulièrement de fonds propres. La constitution des fonds d'épargne retraite pourrait alors pallier cette insuffisance, et c'est là le véritable motif de cette proposition de loi.
Les assureurs, ne trouvant rien à redire à cette observation, trouvent là une excellente opportunité pour avancer des pions sur le terrain des fonds de pension, qui ne sont ni plus ni moins qu'une individualisation du risque retraite par la constitution d'un système de capitalisation volontaire à titre individuel.
Dans cette proposition de loi, l'argument de fond des libéraux est, somme toute, assez simple : orientons l'épargne, voire une partie des cotisations sociales, qui pèsent lourdement sur les entreprises, vers les fonds d'épargne retraite en actions - vous l'avez dit, monsieur le rapporteur ! - pour la constitution de fonds propres - vous l'avez dit, monsieur le rapporteur ! - en adoptant une fiscalité plus favorable à ce type d'investissement, fût-ce au détriment d'autres placements comme l'assurance-vie, même si, jusqu'à présent, aucune corrélation n'a jamais pu être constatée entre l'importance des fonds de pension et le taux d'épargne des ménages. Il ne s'agit pas d'autre chose que de créer un nouveau marché pour le secteur de l'assurance...
M. Jean-Luc Mélenchon, Exactement !
M. Paul Loridant. Le troisième étage qui nous est ainsi proposé, venant s'ajouter à celui de la sécurité sociale et à celui des retraites complémentaires de type ARRCO et AGIRC, est facultatif pour l'entreprise comme pour le salarié.
A chacun donc, selon la logique de cette proposition de loi, de se constituer son propre complément de retraite, dont il choisira, à terme, la sortie : rente viagère ou capital dans la limite d'un certain plafond.
Par ailleurs, chacun aura noté le louable souci démocratique des promoteurs de cette loi puisque les salariés ne seront pas vraiment associés à la gestion de ces fonds de pension, sinon de façon très marginale ! J'y reviendrai lors de la discussion des amendements.
Mes chers collègues, une opération d'épargne retraite de type facultatif est non seulement foncièrement, fondamentalement inégalitaire et inéquitable pour les salariés, mais, en plus, elle renforce les inégalités.
Tout système non établi à l'échelon national est, par nature, porteur d'inégalité. Il y a les entreprises qui mettront en oeuvre ces systèmes et celles qui ne le feront pas ; dès lors, les salariés de ces dernières seront désavantagés.
Mais, au-delà, tout système à adhésion facultative à l'intérieur même d'une profession, d'un ensemble engendre lui-même des inégalités : seuls ceux des salariés qui ont la capacité de se projeter dans l'avenir sans risque de se tromper cotiseront à ces systèmes et, bien sûr, ce sont ceux qui souvent en auraient le plus besoin qui ne disposeront pas des moyens d'adhérer à ces dispositifs.
L'abondement de l'employeur, si tant est qu'il existe - reconnaissons qu'il est prévu et qu'il est possible - suppose une contribution volontaire initiale du salarié lui-même, ce qui renforce encore l'inégalité.
Entre celui qui dispose déjà d'un haut revenu et celui qui n'a que le SMIC pour faire vivre sa famille, quel est celui, mes chers collègues, qui trouvera encore assez d'épargne pour cotiser à un fonds d'épargne retraite ?
En matière d'opérations facultatives, et sauf cas particulier, il s'agit d'épargne retraite par capitalisation des cotisations, et donc d'une stricte transformation du capital accumulé en rente viagère. Or, dans ces systèmes libellés en francs, le montant de la rente servie lors de la liquidation est fixe pour la durée du service de la rente, sauf exception prévue par la loi, et il est fonction de la durée de capitalisation de chaque cotisation. Autrement dit, pour un même versement, un salarié obtient un élément de rente différent selon son âge lors du versement. Ainsi, celui qui verse 1 franc à vingt-cinq ans ne jouira pas de la même rente que celui qui verse 1 franc à cinquante-neuf ans.
M. Philippe Marini, rapporteur. C'est l'inégalité de l'âge !
M. Paul Loridant. Cette technique induit donc bel et bien une inégalité supplémentaire entre les salariés, alors qu'un système obligatoire permet une véritable mutualisation des droits à la retraite indépendamment de l'âge, tout comme en prévoyance collective, par exemple.
Que dire aussi d'une rente viagère, sinon qu'elle est le piège par excellence, dans la mesure où la rente est servie contractuellement à taux fixe, sans jamais tenir compte de l'inflation ou d'éventuelles dévaluations monétaires ? Pour s'en convaincre, il suffit d'observer la situation depuis les années cinquante : on constate que le système ne fonctionne pas correctement puisque les rentiers ont dû attendre le début des années quatre-vingt-dix pour bénéficier, de par la loi, d'une revalorisation de leur rente égale au moins à l'inflation, ce qui correspond à une période où les taux d'intérêt réels étaient particulièrement élevés et, en fait, à une période de grave crise économique.
Par ailleurs, le principe d'une déduction fiscale attachée aux versements des salariés est, en lui-même, une redistribution à l'envers, et donc renforce ces inégalités, d'autant que plus d'un Français sur deux n'est pas concerné par l'impôt sur le revenu. Dans ce cas, l'avantage de la cotisation à l'épargne retraite est singulièrement amoindri.
S'agissant, enfin, des principales personnes concernées dans cette affaire, à savoir les salariés, comme je viens de le dire, chacun aura noté le peu d'empressement que les rédacteurs de cette proposition de loi ont mis à leur accorder une place de premier plan dans la gestion de ces fonds qui, tout de même, les concerne directement. Il s'agit de salaires différés, il s'agit de la retraite des salariés, cela ne concerne pas les employeurs.
Les systèmes de fonds de pension représentent des opérations d'une durée, en général, de plusieurs dizaines d'années. En conséquence, ils nécessitent des réserves importantes qui permettent de faire face aux évolutions de divers paramètres aléatoires de nature socio-économique, tant externes qu'internes. Sur une période aussi longue cela se comprend. Aussi, l'existence de réserves, gages de sécurité à long terme pour les participants, constitue un transfert entre générations ; il serait donc pour le moins indispensable que ce soient les partenaires sociaux qui contrôlent ces régimes pour les piloter avec équité dans l'intérêt général.
Autant dire que, de cela, il n'est absolument pas question puisque la proposition de loi n'envisage même pas le comité d'entreprise comme un acteur possible de la mise en place d'un fonds de pension, alors même que la loi Madelin sur les plans d'épargne entreprise le prévoyait. Pourtant, les syndicats de salariés, les comités d'entreprise ont leur mot à dire dans l'épargne entreprise.
Cette proposition de loi, au-delà de son iniquité, sent résolument le bâclé comme elle ne tient absolument pas compte de l'histoire des fonds de pension, qui est plus vraisemblablement celle d'un échec que celle d'une réussite.
Je prendrai ainsi certains exemples de systèmes facultatifs en matière de retraite supplémentaire. Citons PREFON, qui concerne les fonctionnaires. Au bout de trente années de fonctionnement, il a recueilli moins de 200 000 adhésions, chiffre dérisoire par rapport au nombre de participants potentiels. Citons encore Organic Complémentaire, pour les commerçants, qui regroupe moins de 5 % des adhérents possibles. Il en va de même pour COREVA, système facultatif de retraite pour les agriculteurs ; l'échec flagrant de la loi Madelin pour la partie épargne retraite démontre le peu d'attrait de nos concitoyens pour la formule.
A l'origine, les fonds de pension sont un pur produit de la culture capitaliste américaine. Le modèle social américain laisse une part très maigre à la solidarité nationale, contrairement au système français qui, sans être tout à fait universel, couvre la quasi-totalité de la population. Pour mémoire, je vous rappelle, mes chers collègues, que plus de trente-cinq millions d'Américains vivent au-dessous du seuil de pauvreté et ne bénéficient d'aucune couverture sociale, sauf à recourir à l'aide des pouvoirs publics - quand elle existe - ou, plus sûrement, à celle des organisations caritatives.
Beaucoup de citoyens américains qui avaient misé sur la constitution d'une épargne retraite individuelle ont fini par y renoncer. Ainsi, chez Levi's, la grande firme textile californienne, le fonds d'épargne retraite mis en place pour remplacer le système de retraite obligatoire a capoté. Il y a cinq ans, tous les salariés cotisaient, contre, aujourd'hui, 10 % seulement. On peut deviner la suite dans les années futures et le sort de ces employés lorsqu'ils auront atteint l'âge de la retraite !
Aux Etats-Unis, les fonds de pension connaissent un gigantesque échec qui est soigneusement occulté en France, où l'on ne parle jamais, non plus, de la faillite de ces fonds après le krach boursier de 1929, ni d'ailleurs du scandale Maxwell, alors que tant de salariés britanniques ont été lésés. Cet aspect est pourtant frappant du point de vue tant social qu'économique ou financier.
De plus, il faudra compter sur l'expérience américaine et ses conséquences sur le plan pénal. J'attire votre attention sur ce point, monsieur le rapporteur. Le risque, pour l'employeur, de se voir poursuivi pour défaut de conseil ou pour préjudice vis-à-vis des salariés...
M. Philippe Marini, rapporteur. Cela ne peut que vous réjouir !
M. Paul Loridant. ... ou vis-à-vis des anciens salariés n'est pas nul. Aux Etats-Unis,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Les Etats-Unis ne connaissent pas le même droit que nous !
M. Paul Loridant. ... le nombre de recours devant les tribunaux pour des faits de ce type est en très nette augmentation, monsieur le rapporteur, et la responsabilité du promoteur du fonds de pension, pour une opération même facultative, est de plus en plus souvent engagée, ce qui met les dirigeants d'entreprise dans une position très inconfortable. Du coup, ces entreprises ont de plus en plus tendance à proposer à leurs salariés le simple accès, même facilité, à tous les produits du marché, sans se prononcer pour l'un ou pour l'autre.
Je veux souligner également un autre vrai danger : les fonds d'épargne retraite ont toutes les chances d'amputer les cotisations de retraite. C'est d'ailleurs pour cela que je m'étonnais que la commission des affaires sociales ne se soit pas saisie pour avis de ce texte. Du fait de l'exonération des cotisations sociales prévue par le texte tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée nationale, l'ARRCO comme l'AGIRC ont raison de craindre que les entreprises ne préfèrent abonder les fonds d'épargne retraite plutôt que d'accorder des augmentations de salaires.
C'est ainsi que les experts de l'AGIRC, selon le quotidien La Tribune, estiment qu'un versement de 50 millions de francs dans des fonds d'épargne retraite entraînerait une évasion de la masse salariale de 2 % par an, soit une perte sèche de ressources de plus de 3 milliards de francs par an pour l'AGIRC et pour l'ARRCO.
Ainsi, les perspectives d'équilibre financier de ces deux régimes de retraite à l'horizon 2015, entérinées par l'accord d'avril dernier - voilà donc à peine quelques mois, l'encre est tout juste sèche - seraient remises en cause.
En développant, sans plus de précaution, le troisième étage de retraite, c'est tout l'édifice du système de la couverture vieillesse que le Gouvernement met ainsi en péril. Qui paiera le manque à gagner ? L'Etat, c'est-à-dire l'ensemble de la collectivité nationale. Pourquoi ? Pour financer quelques fonds de pension de quelques privilégiés. Est-ce cela la conception républicaine de la justice sociale ?
Ce texte, bien entendu, nous ne le voterons pas. Il est une très mauvaise réponse à un problème sérieux qui sera celui de cette fin de siècle et des années ultérieures. Il est profondément inégalitaire, du point de vue tant des entreprises que des salariés, dont on ne demande même pas l'avis. Il distend les liens entre générations en favorisant l'individualisme au détriment de la solidarité. Il est immoral de ce point de vue, car totalement contraire à l'esprit de notre République, démocratique et sociale.
M. Philippe Marini, rapporteur. Ce n'est pas encore une démocratie populaire !
M. Paul Loridant. Enfin, il porte en germe une menace directe sur le fragile équilibre établi par les deux grandes caisses de retraite complémentaire en raison des avantages fiscaux qui seraient accordés aux fonds d'épargne retraite.
Enfin, ce texte est profondément pervers. Il n'a été conçu que pour satisfaire quelques puissances financières. Ne lit-on pas, dans l'éditorial en date du 29 novembre dernier de L'Argus, la revue des assureurs, à propos de la proposition de loi dont nous débattons : « C'est une victoire du progrès sur le conservatisme - sic ! - Une victoire pour les assureurs dont les demandes les plus pressantes ont été satisfaites. »
M. Claude Estier. Voilà !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Eh oui !
M. Paul Loridant. C'est on ne peut plus éloquent !
Je note une nouvelle fois qu'il est, par ailleurs, tout à fait singulier qu'un acte aussi essentiel que la retraite fasse l'objet de si larges débats au sein des commissions des finances du Parlement sans que les commissions des affaires sociales aient jamais été invitées à se saisir du dossier.
Aux côtés de tous les syndicats de salariés, aux côtés de l'AGIRC et de l'ARRCO, nous combattrons ce texte qui ne propose d'ailleurs vraiment ni de la retraite ni de l'épargne.
Nous ferons savoir à nos concitoyens comment, par pans entiers, ce gouvernement, dont on se demande bien ce qu'il a encore de républicain, brade chaque jour un peu plus le patrimoine de la nation, si chèrement acquis. (Protestations sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Philippe Marini, rapporteur. Oh !
M. Paul Loridant. Non à l'inégalité ! Non à cette proposition de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen ainsi que sur les travées socialistes.)
M. Jean Delaneau. Vous insultez le Parlement, monsieur Loridant !
M. Alain Gournac. Il ne faut pas exagérer, tout de même !
M. le président. La parole est à M. Seillier.
M. Bernard Seillier. Chacun sait que la situation de nos régimes de retraite par répartition va connaître un épisode critique à compter de 2005. Chacun le sait, et la plupart s'accordent pour dire leur attachement aux formes de solidarité sociale exprimées à travers les mécanismes de répartition.
Il est vrai cependant que cette profession de foi a eu plus souvent l'occasion de s'exprimer à propos des débats sur l'assurance maladie que sur le sujet des retraites. Or la question ne se présente pas exactement dans les mêmes conditions.
Le mécanisme de répartition appliqué à l'assurance maladie exprime une solidarité que je qualifierai d'universelle. Le cotisant cotise pour tous et pour lui-même. Autrement dit, il peut être lui-même le bénéficiaire de cette solidarité à l'époque même de sa contribution au financement du régime de protection.
S'agissant, en revanche, des retraites, la solidarité mise en oeuvre par les techniques de répartition joue exclusivement entre actifs et retraités, de ceux-là vers ceux-ci.
Contrairement à une idée très répandue, qui provient du cas de figure de l'assurance maladie, les actifs ne cotisent pas pour leur propre retraite. Ils financent le paiement des retraites de leurs contemporains et n'acquièrent aucune garantie concrète quant aux possibilités de financement de leur propre retraite.
Quant on mesure les difficultés d'ajustement de l'assurance maladie, on ne peut pas imaginer la solution qu'il faudra mettre en oeuvre pour faire face aux déséquilibres prévus pour les régimes de retraite par répartition. Les chiffres sont stupéfiants. Dans son rapport, le député Jean-Pierre Thomas cite les prévisions de l'OFCE, l'Observatoire français des conjonctures économiques, qui évalue à 35 milliards de francs la somme qu'il faudrait mette en réserve chaque année pendant quarante ans pour pouvoir garantir en 2040 un niveau de pensions identique à celui d'aujourd'hui. Pour la période, l'impasse serait, en effet, de 1 400 milliards de francs.
Devant cette perspective alarmante, il est important de mettre en oeuvre la panoplie la plus vaste possible de mesures susceptibles de réduire cette fracture nouvelle, qui risque de se faire au détriment des cadres moyens de la société. En effet, les bénéficiaires des retraites les plus faibles seront nécessairement protégés en priorité.
S'agissant, tout d'abord, du principe de la répartition, il ne peut être question de l'abandonner, ni même de le restreindre. Il convient, au contraire, de lui donner son effet maximum. Pour cela, il n'y a que deux variables stratégiques : l'assiette, et le rendement de l'assiette.
Pour ce qui concerne le rendement de l'assiette, il est clair que le taux de cotisation n'est pas élastique. Les extrapolations faites pour calculer le taux de cotisation rendu nécessaire par la chute du rapport entre actifs cotisants et retraités dans les années à venir conduisent à des impossibilités physiques. Les régimes de retraite par répartition sont aujourd'hui dans l'incapacité absolue de pérenniser le niveau des pensions que nous connaissons.
Nous le savons tous, et personne n'est en mesure d'apporter une solution complète, tant sont disproportionnés les besoins de financement et les effets prévisibles des mesures que nous pouvons mettre en oeuvre de manière classique, qu'il s'agisse de la hausse des cotisations ou de l'allongement des durées de cotisation.
Malgré la loi du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, on observe encore des mouvements en sens inverse - chacun a en tête l'exemple de la branche du transport - conduisant donc à une aggravation des déséquilibres de la répartition.
Le risque, dans ce genre de situation, est de voir se généraliser le sauve-qui-peut individuel, qui avantage, bien sûr, ceux qui peuvent courir, et même courir vite !
Qu'observe-t-on, en effet ? Une véritable explosion des assurances-vie ou de la capitalisation à titre individuel. Le député Jean-Pierre Thomas cite, à cet égard, des chiffres explicites : 70 % de l'épargne nette des particuliers s'est investie en 1993 dans l'assurance-vie, contre 52 % en 1992 et 6 % en 1980, selon une étude de la BNP. Or aucune solution collective ne peut être recherchée dans le remplacement du régime de répartition par un régime de capitalisation.
Techniquement, d'abord, la montée en charge d'un régime de capitalisation demande de longues années. Ses résultats sont évidemment tributaires de la santé de l'économie et, surtout, du rendement des placements.
La capitalisation qui serait nécessaire pour assurer une substitution au régime de répartition mis en place en France pour les retraites est encore plus inaccessible que l'équilibre futur du régime actuel, d'autant qu'il faut penser à une marge prudentielle qui accroît encore le volume de la capitalisation nécessaire.
En outre, pendant la montée en charge d'un régime de cette nature, le mécanisme de répartition doit continuer à jouer. On en arrive donc à un phénomène de double cotisation qui est impossible à mettre en oeuvre.
Ce constat conduit alors naturellement à creuser la technique du mixage des systèmes, pour additionner leurs avantages et éliminer l'effet néfaste de leurs insuffisances. C'est toute la philosophie qui a inspiré et inspire les initiatives parlementaires relatives aux fonds de pension ou aux plans d'épargne retraite.
Les années quatre-vingt-dix marquèrent le progressif développement du souci de l'avenir des retraites dans les discussions entre partenaires sociaux comme au Parlement. Le Livre blanc sur les retraites, publié en 1991, ouvrit cette décennie de réflexion, qui nous conduit aujourd'hui à l'examen de la proposition de loi émanant de l'Assemblée nationale et regroupant les propositions de MM. Charles Millon et Jean-Pierre Thomas, d'une part, visant à créer un plan d'épargne entreprise retraite de M. Jacques Barrot, d'autre part, créant des fonds de pension.
Le débat aurait tout aussi bien pu s'établir à partir de la proposition de loi d'origine sénatoriale que nous avions déposée en 1992, connue sous le nom de proposition Marini.
C'est en tout cas l'initiative parlementaire, reconnue par le Gouvernement au cours de cette session, que je me plais une fois encore à saluer. Après la prestation spécifique dépendance, voici une nouvelle occasion de reconnaissance par le Gouvernement de la qualité du travail parlementaire. C'est là l'essentiel.
Il faut, en outre, reconnaître que la qualité du travail de nos collègues députés dans ce domaine mérite aussi d'être saluée, singulièrement celle de M. Jean-PierreThomas, qui s'est attaché, avec une énergie sans faille et une incontestable compétence, à rechercher la synthèse des dispositions les meilleures pour concilier le respect de la liberté individuelle, le mécanisme des accords sociaux, la préservation des acquis sociaux et la nécessité économique. Il faut, en effet, conjuguer solidarité et responsabilité.
Il est vrai que, si l'on peut obtenir une harmonisation correcte entre les régimes de base de répartition et un troisième régime de capitalisation, on peut espérer un renforcement réciproque de tous les éléments de l'édifice.
Cette distinction entre l'objet et les effets du mécanisme est utilement exprimée dès le départ dans le rapport de notre éminent collègue M. Philippe Marini, rapporteur de la proposition de loi au nom de la commission des finances.
L'objet des fonds de pension est avant tout social. Ces fonds doivent consolider le système actuel de retraite par répartition. On peut cependant en attendre des effets économiques bénéfiques du fait du renforcement des fonds propres des entreprises.
Ces effets seront eux-mêmes facteurs d'une consolidation du système de répartition, par les créations d'emplois induites par une croissance nouvelle des entreprises, et donc par un élargissement de l'assiette des cotisations.
Toutefois, pour réussir cette harmonisation, il faut veiller, dans la situation actuelle, d'une part à ne pas soumettre le régime de l'épargne retraite à un risque mal encadré, d'autre part à ne pas bouleverser, avant même sa pleine entrée en vigueur et la cueillette de ses fruits, la loi sur le financement de la sécurité sociale.
Sur le premier point, le texte voté par les députés me paraît offrir les garanties prudentielles attendues. Le rapporteur au Palais-Bourbon, M. Jean-Pierre Thomas, a consulté tous les partenaires concernés, les spécialistes des investissements et les gestionnaires de portefeuilles, pour être en mesure d'aboutir à un code des assurances renforcé et à une sécurité du système supérieure à celle que connaissent, par exemple, les Britanniques, qui sont souvent cités comme référence.
Sur le deuxième point, en revanche, le président de la commission des affaires sociales du Sénat a très rapidement souhaité que ne soit pas ouvert un risque d'incohérence dans l'effort fondamental que nous avons engagé en matière de maîtrise des dépenses dans l'ensemble du système de protection sociale. Il convient, en effet, de consolider notre effort.
Je n'entrerai pas dans le détail de ce débat, qui sera développé à l'occasion de la discussion de l'article 26. Mais l'échange de vues sur l'épargne retraite que nous avons eu au sein de la commission des affaires sociales, de manière informelle, sur l'initiative de M. Jean-Pierre Fourcade, a été lumineux et donc convaincant.
La finalité sociale du dispositif nouveau doit être affirmée. Il s'agit de conforter le dispositif général de nos retraites en enrichissant ses modalités. La catégorie sociale qui doit être fondamentalement concernée par l'épargne retraite est bien celle qui risquerait le plus d'être affectée par les difficultés futures du régime de répartition : celle des cadres moyens, celle des techniciens et techniciens supérieurs, celle des enseignants, parmi bien d'autres.
N'oublions pas que 90 % des salaires annuels sont inférieurs à 250 000 francs par an, et que le salaire moyen dans notre pays est de 11 000 francs brut par mois.
Le groupe des Républicains et Indépendants se ralliera donc sans hésitation à l'amendement déposé par notre collègue M. Vasselle, au nom de la commission des affaires sociales. Cet amendement tend à valider la démarche de l'épargne retraite en permettant sa mise en place et son acclimatation, pour que la consolidation de l'architecture générale des retraites par répartition et son perfectionnement soient bien clairement perçus et ne soient pas considérés comme une substitution.
Cela dit, le groupe des Républicains et Indépendants espère qu'enfin, grâce à ce texte, les régimes d'épargne retraite pourront être organisés collectivement en France, au lieu de laisser chacun se débrouiller tout seul.
Notre groupe salue la détermination et l'énergie de ceux grâce auxquels un tel débat a pu venir au jour : M. Jean-Pierre Thomas à l'Assemblée nationale et M. Philippe Marini au Sénat.
M. Philippe Marini, rapporteur. Merci !
M. Roland du Luart. Très bien !
M. Bernard Seillier. Notre groupe apprécie, bien sûr, l'attitude du Gouvernement, qui a accepté que vienne en discussion cette proposition de loi, et il apportera tout son soutien à ce texte. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Badré.
M. Denis Badré. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour examiner une proposition de loi fort importante qui, après une lente maturation, a connu une brusque accélération, ce qui conduit presque certains à regretter de manquer d'un peu de temps. Il est vrai qu'un sujet aussi crucial, à la fois pour l'avenir de notre système de protection sociale et pour le financement de nos entreprises, mérite un examen très approfondi.
Notre discussion de ce jour doit donc se dérouler dans le sérieux et la sérénité, sans qu'aucune difficulté ne soit éludée. C'est bien évidemment dans cet esprit que nous l'abordons. Je souhaite que notre discussion soit particulièrement constructive, et je pense qu'elle le sera.
Le débat a un double enjeu, cela a déjà été souligné par les principaux orateurs, en particulier par le rapporteur de la commission des finances, M. Marini. Il vise, d'une part, à offrir une possibilité de complément de retraite à long terme aux Français dans un contexte démographique de plus en plus défavorable aux régimes de base par répartition, principe auquel nous demeurons, bien sûr, très attachés. Il vise, d'autre part, à améliorer les financements des entreprises françaises, notamment des PME, l'épargne classique restant insuffisante pour soutenir leur nécessaire adaptation et accompagner la modernisation qu'elles entreprennent.
La réalisation de tels objectifs comporte une difficulté. Il s'agit, en effet, d'inciter les Français à épargner davantage sans contrarier pour autant la relance nécessaire de la consommation.
Dans ce contexte difficile, un fait est certain : l'avenir des retraites est un des dossiers prioritaires des gouvernements qui se sont succédé depuis mars 1993.
La loi du 22 juillet 1993, en effet, a permis de sauvegarder durablement le régime général de l'assurance vieillesse.
Je rappelle à ce propos les trois dispositions essentielles de la réforme : premièrement, l'indexation des pensions sur les prix à la consommation ; deuxièmement, l'accroissement d'un par an du nombre de trimestres requis pour bénéficier d'une retraite à taux plein, afin d'arriver, en 2004, à 160 trimestres contre 150 avant la réforme ; enfin, troisièmement, le changement de la référence de calcul pour ces mêmes retraites, avec le passage progressif des dix meilleures années aux vingt-cinq meilleures années sur le principe d'un accroissement d'une année de référence par an.
Il en a été de même pour les régimes de retraite complémentaire obligatoires, avec les accords du 10 février 1993 et du 9 février 1994. Dans ces derniers accords, les régimes concernés ont annoncé une augmentation progressive de leurs taux contractuels, ce qui a eu pour effet d'augmenter immédiatement leurs ressources.
C'est dans la lignée de ces textes que s'inscrit la proposition de loi dont nous débattons aujourd'hui.
Deux chantiers restent à ce jour encore inachevés : la pérennisation des régimes spéciaux de retraite et le projet de création de fonds de pension assurant aux Français un complément de retraite par capitalisation.
Est-il nécessaire de rappeler dans quelle situation préoccupante se trouvent la plupart des régimes spéciaux ? Je ne le pense pas. Le commissariat général du Plan a présenté sur ce sujet un rapport très riche d'enseignement, au mois d'octobre 1995.
Chacun des régimes concernés connaît une dégradation du rapport cotisant/retraité. Dans ces conditions, monsieur le ministre, n'attendons pas le dernier moment pour essayer de remédier à leurs déséquilibres financiers. Il nous faut y réfléchir dès maintenant.
S'agissant des fonds de pension, chacune des deux assemblées a apporté sa contribution à la réflexion engagée par les gouvernements de MM. Balladur et Juppé, M. Bernard Seillier l'a rappelé fort justement et très précisément à l'instant : le Sénat, avec la proposition de loi déposé le 19 février 1993 par notre collègue, aujourd'hui rapporteur, M. Philippe Marini ; et l'Assemblée nationale, avec la proposition de loi préparée d'après les travaux de M. Jean-Pierre Thomas et de M. Jacques Barrot, je me plais à le souligner.
Une concertation a été engagée au mois de septembre dernier avec les partenaires sociaux. Elle a abouti à l'adoption par l'Assemblée nationale de la proposition que nous examinons maintenant.
Aujourd'hui, c'est dans le créneau mensuel réservé aux propositions de lois choisies par le Sénat que nous étudions ce texte. Je me plais à le souligner et à m'en réjouir.
Venons-en au contenu de la réforme. Celle-ci doit respecter trois grands principes : l'équité, la sécurité et l'efficacité économique.
Sous réserve de l'adoption de quelques amendements, le texte que nous examinons prend globalement en compte ces trois principes.
Le premier d'entre eux, c'est l'équité.
Le choix des concepteurs du projet est le caractère volontaire de l'affiliation. Il s'agit non pas de concurrencer les systèmes de retraite obligatoires, mais de les compléter en proposant un « plus ». Et, comme le principe de l'affiliation, le choix du montant des versements de l'adhérent et de l'employeur est également libre. Ce fait doit être souligné.
Par ailleurs, l'affiliation est ouverte aux salariés de droit privé et aux salariés du secteur agricole ; les travailleurs indépendants et les fonctionnaires ne peuvent donc y être candidats. On peut le regretter, même si, comme chacun le sait, ces catégories bénéficient déjà d'un dispositif spécifique de retraite surcomplémentaire. Il resterait à vérifier que chacun de ces dispositifs est aussi intéressant que celui auquel nous travaillons. Il serait utile, monsieur le ministre, que vous puissiez nous communiquer les éléments d'analyse dont vous disposez à ce sujet et qui nous permettraient de faire les comparaisons voulues. Voilà qui calmerait, je pense, un certain nombre d'appréhensions.
Il reste qu'à ma connaissance aucune disposition n'est prévue en faveur des agriculteurs exploitants.
M. Jean-Luc Mélenchon. Ils ont de la veine !
M. Denis Badré. A cet égard, je souhaiterais connaître également votre sentiment, monsieur le ministre.
Un autre problème mérite un examen attentif : c'est le cas du salarié appartenant à une entreprise qui ne propose pas de plan d'épargne retraite. Ce salarié ne bénéficiera pas de l'aide publique dans les mêmes conditions que son collègue salarié d'une entreprise qui aurait choisi de souscrire à un tel dispositif.
Cela ne va pas vraiment dans le sens de l'équité, mais la commission des finances a fort justement proposé, par voie d'amendement, une solution pour combler cette lacune de la proposition de loi en permettant à un salarié d'adhérer à un plan d'épargne retraite existant si son entreprise ne propose pas elle-même de plan. Cette disposition me semble aller dans le bon sens et, pour ma part, je la soutiendrai.
Par ailleurs, il importe qu'en cas de rupture du contrat de travail l'adhérent au fonds de pension puisse transférer ses droits acquis ou, tout au moins, les conserver. C'est ce que prévoit l'article 8 du texte, et je trouve heureuses les dispositions qu'il comporte à cet effet. J'ajoute que je proposerai par sous-amendement de renforcer les garanties que cet article offre aux salariés.
Le second principe auquel nous sommes très attachés est la sécurité.
La responsabilité de la gestion de l'épargne retraite doit revenir à des organismes extérieurs soumis aux règles prudentielles de l'assurance, c'est-à-dire aux banques, aux compagnies d'assurance, aux mutuelles ou à la Caisse des dépôts et consignations.
Certains scandales, comme l'affaire Maxwell, nous ont montré les dangers d'une gestion interne des fonds de pension lorsqu'elle n'est pas suffisamment contrôlée.
Je suis, en outre, favorable à une autre des garanties offertes par ce texte : l'agrément des organismes gestionnaires par le ministère de l'économie et des finances.
Mais la sécurité de l'adhérent passe également par la mise en place de ratios d'investissement très stricts : c'est l'objet de l'article 23 du texte, qui limite la part de l'actif constituée par des actions d'une même entreprise.
Par ailleurs, le texte prévoit une bonne transparence grâce à un mécanisme d'information qui accorde un rôle important aux comités de surveillance où seront représentés les adhérents.
Voilà pour la sécurité.
Le troisième principe fondamental de ce dispositf, c'est la recherche de l'efficacité économique. Au-delà de l'aspect social de cette proposition de loi, l'une des motivations - peut-être la principale - du législateur doit être, évidemment, d'améliorer le financement du secteur productif.
Comme notre rapporteur, M. Philippe Marini, le ministre de l'économie et des finances l'a fortement souligné dans son propos liminaire : c'est en améliorant la santé de notre économie que nous servirons au mieux la sauvegarde de nos régimes de retraite.
Déjà, le texte prévoit de limiter les investissements des fonds d'épargne retraite en obligations à hauteur de 65 % de l'actif. On peut donc supposer qu'une grande partie des sommes qui seront capitalisées viendront renforcer les fonds propres de nos entreprises.
Nul ne peut ignorer le succès remporté par les fonds de pension aux Etats-Unis - cela a déjà été rappelé - où ils mobilisent plus de 3 000 milliards de dollars. Ce succès a certainement contribué à la forte expansion du marché boursier outre-Atlantique ces dernières années. De même, la création des fonds de pension en France devrait contribuer à remettre la place financière de Paris en position plus favorable face à ses principales concurrentes, notamment la City de Londres.
Les futurs fonds d'épargne retraite pourraient être alimentés en particulier par les organismes de placement collectif en valeurs mobilières orientés exclusivement vers les petites et moyennes entreprises. Je crois savoir qu'une étude remise récemment au ministère chargé des petites et moyennes entreprises irait dans ce sens. Monsieur le ministre, pouvez-vous me le confirmer ? Des précisions sur ce point renforceraient encore l'argumentation développée en faveur de ce projet.
La contrepartie de la participation des futurs adhérents des fonds au financement de l'économie nationale est une certaine souplesse au niveau des modalités de sortie des plans d'épargne retraite.
Il me semble évident que la règle de base doit être la sortie sous forme de rente viagère : il faut d'ailleurs noter que les produits existants avec sortie en capital sont déjà nombreux, que ce soit les contrats d'assurance-vie ou la plupart des plans d'épargne populaire. Ils sont, au demeurant, assez différents.
Nos collègues de l'Assemblée nationale ont cependant prévu une sortie en capital dans le cas des petites rentes. Je considère pour ma part qu'une telle discrimination ne serait guère opportune, tant sur les plans juridique que politique.
Au contraire, il est bon que l'adhérent puisse opter, dans tous les cas, en faveur d'une sortie partielle en capital. C'est le principe retenu par l'Assemblée nationale et confirmé par la commission des finances du Sénat. Il reste à préciser, à présent, la limite dans laquelle pourra se faire le versement en capital.
S'agissant, donc, de ce problème très sensible de la sortie en rente ou en capital, je me suis réjoui d'entendre tout à l'heure M. le ministre intervenir pratiquement dans le même sens. C'est de bon augure pour la suite de notre débat.
En conclusion, cette proposition de loi pose de vraies questions. Elle va économiquement et financièrement dans le bon sens. Il reste, néanmoins, dans le cadre de la discussion des articles, à régler quelques problèmes : je pense notamment à la portée de l'affiliation ainsi qu'au système de déduction fiscale et sociale. Il est nécessaire que ces questions puissent être traitées dans les meilleures conditions et dans la clarté afin que ce texte représente un vrai progrès sur les plans économique et social.
J'ajoute qu'une telle réforme, sur un sujet sensible et complexe, ne doit pas être réservée à la lecture des seuls initiés. Elle doit, au contraire, être bien comprise par l'ensemble des Français, à l'instar de notre système de participation.
C'est nécessaire, monsieur le ministre, si nous voulons rassurer ceux qui craignent que l'institution de fonds de pension en France ne remette en cause les régimes de retraite par répartition auxquels nous sommes historiquement, socialement et politiquement très attachés.
Monsieur le président, sous réserve de ces remarques, est-il utile que je confirme que le groupe de l'Union centriste votera cette proposition de loi sur l'épargne retraite ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Autain.
M. François Autain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, parce que je suis avant tout constant dans le choix de mes références - ceux de mes collègues qui participaient au débat sur la loi de financement de la sécurité sociale pourraient en témoigner - c'est la lecture des excellents travaux réalisés au nom de la délégation du Sénat pour la planification par notre non moins excellent collègue M. Bernard Barbier, que tout le monde connaît, qui a, une fois de plus, stimulé ma réflexion sur la proposition de loi relative à l'épargne retraite.
M. Barbier s'interrogeait en effet, l'an dernier, sur les incidences macroéconomiques du développement des régimes par capitalisation, présentés comme le moyen de régler, au-delà de 2005, la question du financement des régimes de retraite compte tenu de la poursuite du vieillissement démographique.
Première question que se posait M. Barbier, peut-on transférer du pouvoir d'achat dans le temps ? En d'autres termes, la capitalisation permet-elle de transférer le pouvoir d'achat d'aujourd'hui pour financer les retraites de demain et d'après-demain ?
La réponse de M. Barbier était claire : le pouvoir d'achat est comme le courant électrique, il ne se stocke pas.
Quel que soit le système, il faut toujours que les actifs produisent ce qui sera consommé, à la fois par eux-mêmes et par les inactifs. La manière dont le prélèvement sur le labeur des actifs s'opère - répartition ou capitalisation - est une question beaucoup moins déterminante que le niveau du prélèvement. Dans tous les cas, les actifs doivent s'abstenir de consommer.
Un prélèvement par transfert d'épargne serait-il mieux supporté par les actifs qu'un prélèvement obligatoire, s'interroge encore M. Barbier ?
Sa réponse est la suivante : passer d'un régime de répartition à un régime par capitalisation imposerait un double fardeau à la génération actuelle, qui paierait non seulement sa retraite à venir, mais encore celle des retraités de l'ancien système.
Quant au dernier argument en faveur du développement de la capitalisation, qui serait justifié par la persistance de taux d'intérêt élevés qui garantiraient le « rendement du système », M. Barbier le juge d'autant plus surprenant qu'un des avantages prêtés à la capitalisation serait précisément qu'elle permettrait un accroissement de l'épargne, et donc donc une baisse des taux d'intérêt.
Seconde grande question, la capitalisation permet-elle un meilleur financement de l'économie ?
Selon ses défenseurs, la capitalisation présenterait deux avantages : une augmentation de l'épargne des ménages et une meilleure orientation de cette épargne.
Or les effets de la mise en place de systèmes par capitalisation sur le volume de l'épargne sont incertains : il n'y a pas de corrélation, toujours selon M. Barbier, entre le poids des fonds de pension par capitalisation dans les différents pays et le taux d'épargne.
Par ailleurs, les ménages n'épargnent pour leur retraite que s'ils y sont contraints. Les systèmes de capitalisation facultative auraient donc peu d'incidence sur le taux d'épargne. Quant à la capitalisation obligatoire, si elle est, de ce point de vue, plus efficace, elle fait perdre un avantage de la capitalisation, qui n'est précisément pas un prélèvement obligatoire.
Par ailleurs, si la modification de la structure de l'épargne présente un avantage pour les entreprises, elle est risquée pour les salariés.
La conclusion finale de M. Barbier, que je partage en tous points, était la suivante : l'inquiétude suscitée par un vrai problème - le vieillissement démographique - ne doit pas déboucher sur des mesures prises à la hâte et des solutions qui risqueraient, en définitive, d'aggraver les choses.
Je vous adresse donc, mes chers collègues, un conseil : pas de précipitation, poursuivez encore votre réflexion. Mais, comme je crains que vous ne suiviez pas ce conseil, j'aimerais vous dire le sentiment que m'inspire ce texte.
S'il faut absolument accepter l'idée de ce troisième étage de retraite, trois conditions me paraissent devoir être respectées.
D'abord, ce nouveau produit financier ne doit en aucune manière porter atteinte à l'avenir et à la pérennité financière des régimes par répartition.
Ensuite, il doit s'adresser à tous les salariés et non pas favoriser les plus privilégiés d'entre eux.
Enfin, il doit respecter les règles du dialogue social.
Au lieu de cela, que nous proposez-vous ?
La commission des affaires sociales, dont je suis membre, a souligné les atteintes graves portées par le système d'exonération retenu à l'Assemblée nationale par le Gouvernement à l'équilibre financier de la sécurité sociale, qu'il s'agisse du régime de base ou des régimes complémentaires. M. Fourcade me le pardonnera, mais l'amendement qu'il propose, s'il nous évite le pire, ne résout en aucun cas le problème.
Qu'on le veuille ou non, et comme il l'a dit lui-même, l'épargne retraite, c'est du salaire différé offert à bon marché aux employeurs. Le résultat, c'est que les salariés paieront deux fois : ils subiront, d'abord, une perte de pouvoir d'achat ; ils devront, ensuite, financer les pertes de recettes de la sécurité sociale.
Si tout cela était réalisé au profit de tous, on le comprendrait. Mais on voit bien que le système d'exonération retenu - et M. Philippe Marini, dont la principale qualité est la franchise, l'a dit à qui voulait l'entendre - a d'abord pour objet de favoriser les plus hauts revenus. Lesquels ? Ceux des employeurs eux-mêmes et ceux des cadres dirigeants. Pourquoi ? Parce qu'on nous explique, d'ailleurs sans pudeur aucune, que si les gros n'ont rien pour eux ils ne feront rien pour les autres.
Alors, de grâce ! Cessez de nous parler de ce troisième étage social et démocratique ! Cessez de prétendre aussi que vous voulez aider les classes moyennes ! Vous n'avez qu'un souci : protéger ceux qui n'en ont pas besoin. Nous l'avons vu à l'occasion du débat sur les stock options. Nous l'avons vu à nouveau à propos de l'impôt de solidarité sur la fortune. Nous en avons une nouvelle preuve aujourd'hui.
Voilà pour le fond.
Quant à la forme, elle est plus choquante encore.
L'article 6 de la proposition de loi et, a fortiori, l'amendement n° 8 de M. Marini sont, à cet égard, l'un et l'autre parfaitement inacceptables.
Ils définissent comme une règle de droit commun la faculté de négocier un accord d'entreprise avec n'importe qui, faisant fi du respect des règles de la représentativité syndicale.
En outre, ils permettent à l'entreprise, dans le texte de l'Assemblée nationale, en cas d'échec de la négociation collective ou sans même que cette négociation ait été tentée, dans la proposition de M. Marini, d'imposer unilatéralement un plan d'épargne retraite à l'ensemble des salariés.
Mais, surtout, monsieur Marini, votre amendement bouleverse notre droit du travail. Il permet à un accord d'entreprise de primer sur tout accord de niveau supérieur, y compris dans l'hypothèse où ce dernier est plus avantageux.
Il faut bien le dire : pour trouver plus ultralibéral que vous, il faut chercher ! Il ne sert à rien, monsieur Marini, de vouloir nier, comme vous le faites, la réalité sociale des entreprises.
M. Philippe Marini, rapporteur. J'ai toujours affirmé mes convictions, et je continuerai ; mais il ne faut pas les caricaturer !
M. François Autain. Je sais bien que vous continuerez,...
M. Philippe Marini, rapporteur. Bien sûr !
M. François Autain. ... mais laissez-moi la possibilité, en ce qui me concerne, d'exprimer mes convictions !
M. Philippe Marini, rapporteur. Bien entendu !
M. François Autain. Vous ne parviendrez pas à modifier la structure de l'épargne longue pour favoriser le financement des entreprises - objectif que l'on peut comprendre - au mépris du dialogue social. Vous n'y parviendrez pas !
M. Jean-Luc Mélenchon. C'est impossible !
M. Philippe Marini, rapporteur. Allons donc !
M. François Autain. Vous voyez bien que vos propositions prétendument modernistes soulèvent un tollé général parmi les partenaires sociaux ! Vous ne pourrez pas faire la retraite des Français contre eux.
En vérité, il faut bien le dire, vous n'avez que deux objectifs : offrir un produit financier à des conditions exceptionnelles pour le seul profit de quelques privilégiés, et en faire supporter le coût, bien entendu, par l'ensemble de la collectivité
M. Philippe Marini, rapporteur. Caricature !
M. François Autain. Pis ! le contexte est le plus défavorable qui soit pour vous. Les négociations engagées sur la reconduction de la retraite à soixante ans, actuellement en cours, font craindre le pire.
Au moment où l'Etat envisage de remettre en cause les modalités du droit à la retraite à soixante ans, comment peut-on, aux dépens des plus nombreux, offrir à quelques-uns un pont d'or payé par tous les autres ?
Décidément, le Président de la République aura beaucoup de mal à faire croire aux Français, ce soir, qu'il continue de vouloir lutter pour réparer une fracture sociale que son Gouvernement ne cesse d'approfondir !
Telle est la raison pour laquelle, mes chers collègues, je voterai, et les collègues de mon groupe avec moi, contre cette proposition de loi.
Et, puisque la presse nous entend et que les marchés financiers sont à l'écoute de la moindre rumeur, que vos amis les assureurs sachent - je sais qu'ils sont ici très largement représentés - que nous abrogerons ce mauvais texte, et cela dès mars 1998, parce que vous faites tout pour perdre les élections législatives. Il faut que les Français le sachent pour que votre manoeuvre n'aboutisse pas ! (Applaudissements sur les travées socialistes ainsi que sur celles du Groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous propose d'interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures quinze, est reprise à dix-sept heures trente-cinq.)