PROTECTION DES PERSONNES SURENDETTÉES
EN CAS DE SAISIE IMMOBILIÈRE

Adoption d'une proposition de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi (n° 319, 1995-1996), adoptée par l'Assemblée nationale, renforçant la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière. [Rapport n° 114 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le garde des sceaux.
M. Jacques Toubon, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, l'assainissement économique et la lutte contre l'exclusion sociale constituent des priorités de l'action gouvernementale. Des mesures ont été prises en ce sens.
Les difficultés que nous connaissons depuis plusieurs années ont conduit de très nombreuses familles à subir le chômage et son cortège de difficultés, à savoir les impayés, les commandements, les saisies et, de plus en plus, la vente forcée du logement familial.
Cette évolution n'a pas manqué d'exercer une influence sur le droit des procédures d'exécution en permettant de dépasser l'antagonisme traditionnel entre le créancier et le débiteur. L'évolution législative de ces dernières années en est le reflet, comme en témoigne la réforme du 9 juillet 1991 relative aux voies d'exécution mobilière.
La réforme entreprise actuellement par le Gouvernement pour refondre la procédure de saisie immobilière répond à ce souci de trouver un meilleur équilibre entre le créancier et le débiteur et de mieux protéger les familles en difficulté, tant il est vrai que la question du logement constitue une préoccupation essentielle pour nos concitoyens.
Le projet de loi relatif au renforcement de la cohésion sociale, qui est actuellement examiné par le Conseil économique et social et dont vous aurez prochainement à débattre, comporte des dispositions relatives à la prévention des expulsions, mais cette prévention, malheureusement, ne saurait suffire. Parfois, l'apurement du passif du débiteur nécessite la vente de ses biens. Or, s'agissant des immeubles, la procédure, vous le savez, est inadaptée et conduit trop souvent à des ventes à vil prix dans lesquelles ni le débiteur ni le créancier ne trouvent leur compte. La lenteur, la complexité et le coût de la procédure actuelle appellent une réforme globale et ambitieuse. L'importance de la matière, ces enjeux complexes et divergents le justifient.
Comme je m'y suis engagé à l'Assemblée nationale, en avril dernier, la réflexion entamée depuis plusieurs années est entrée dans une phase concrète, celle de la rédaction d'un projet de loi visant à réformer, dans leur ensemble, les procédures de saisie immobilière et d'ordre, pour traduire les attentes légitimes du corps social.
Tous appellent de leurs voeux une rénovation complète de la matière : les débiteurs, qui estiment leurs biens sacrifiés ; les créanciers, qui ne sont pas assurés d'obtenir le paiement de leur dû ; les praticiens, qui sont confrontés à des démarches lourdes et formalistes.
Comme chacun peut le mesurer, ménager les intérêts des parties en présence est particulièrement délicat.
J'avais espéré pouvoir vous présenter, cet automne, une réforme complète, équilibrée et pleinement efficace de la matière.
Les travaux d'une grande ampleur menés par mes services ont, certes, permis de cerner à ce jour l'essentiel. Un avant-projet, qui comporte déjà près de deux cents articles, est sur le point d'être achevé. Mais il me faut bien constater aujourd'hui devant vous que la technicité de ce dossier, le foisonnement des textes qu'il convient de refondre, l'importante consultation qui doit être menée constituent autant d'éléments qui me contraignent à différer jusqu'au printemps votre saisine.
Un texte aussi important n'autorise pas la précipitation.
Je souhaite, cependant, affirmer d'ores et déjà quelques-uns des principes de la réforme que je suis en train d'étudier.
Tout d'abord, je le répète, le Gouvernement n'entend pas « déjudiciariser » la matière des saisies immobilières.
Il reste donc à trouver, dans un texte plus global, des équilibres généraux permettant de réaliser la vente du bien aux meilleures conditions possibles, dans l'intérêt commun du débiteur et du créancier.
Sans dévoiler l'ensemble des mesures retenues, permettez-moi de vous livrer quelques idées directrices de cet avant-projet de loi, qui vous sera présenté au printemps prochain.
Rejoignant vos préoccupations, l'accent sera mis sur l'information dans tous les actes délivrés au débiteur.
Le débiteur qui entend se prévaloir des dispositions sur le surendettement devra opérer ce choix dès le premier acte de la saisie, pour permettre une parfaite coordination entre les deux procédures.
L'effort d'humanisation et la volonté d'efficacité se traduiront également par un examen systématique de la situation financière du débiteur lors d'une audience d'orientation qui permettra au juge et aux parties d'être complètement éclairés.
Le choix des modalités de poursuite de la procédure - adjudication ou vente de gré à gré sous le contrôle du juge - sera effectué en fonction des éléments qui seront présentés par le débiteur et le créancier à l'occasion d'une audience d'orientation.
Les conditions de vente des biens se trouveront améliorées par une publicité rénovée et par un ajustement de la mise à prix.
Enfin, l'accent portera sur l'accélération de la diffusion du prix de vente. A cet égard, la procédure d'ordre sera notablement simplifiée et accélérée.
Vous le constatez, le travail qui reste à accomplir est important, même si nous avons beaucoup progressé. Mais les débats qui vont s'ouvrir nous permettront de clarifier certains points essentiels.
Je comprends parfaitement - je l'ai indiqué à l'Assemblée nationale - le souci du Parlement de répondre dès maintenant à certaines des préoccupations qui ont été le plus vivement exprimées.
Je rends notamment hommage aux travaux qui ont été accomplis par les députés MM. Charles Miossec, Gérard Hamel et Michel Péricard, président du groupe du RPR à l'Assemblée nationale, qui, au travers de leurs propositions de loi, ont permis à l'Assemblée nationale d'adopter le texte dont vous êtes saisis.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale repose sur trois idées essentielles, qui correspondent à une nécessité pratique évidente : une information plus complète du débiteur, une meilleure coordination entre la procédure de saisie immobilière et celle du surendettement, l'instauration d'une possibilité de contestation par le débiteur de la mise à prix fixée par le créancier poursuivant lorsque celle-ci lui paraît manifestement insuffisante. Il s'agit du point le plus important.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Eh oui !
M. Jacques Toubon, garde des sceaux. Votre commission des lois approuve ces trois objectifs, que le Gouvernement partage. Elle a néanmoins souhaité amender le texte adopté par l'Assemblée nationale sur trois points propres à circonscrire l'intervention immédiate du législateur aux cas socialement les plus douloureux.
Prenant en compte la situation concrète des particuliers, votre commission des lois souhaite limiter le renforcement de l'information aux personnes physiques.
Ce sont, en effet, ces dernières qui apparaissent le plus souvent inconscientes des enjeux de la saisie. Elles laissent, par ignorance des recours possibles - je pense, notamment, à la législation relative au surendettement - le créancier poursuivre la procédure et n'interviennent pour la faire suspendre que dans les jours qui précèdent la vente, alors qu'il n'est plus temps de redresser la situation.
Sur le fond, votre commission entend restreindre le contrôle du juge sur la mise à prix au logement principal du débiteur, conformément à l'orientation sociale qu'elle souhaite donner au texte qui vous est soumis. Sur ce point également, je comprends l'optique retenue, qui correspond à une priorité.
Toutefois, vous le comprendrez, la réforme préparée actuellement par la Chancellerie aura, bien entendu, une portée plus large et englobera l'ensemble des immeubles.
En revanche, j'avoue une certaine perplexité quant au système des enchères sur mise à prix descendante que votre commission entend voir instaurer.
Il s'agirait, à défaut d'enchères sur la mise à prix réévaluée par le juge à la demande du débiteur, de baisser successivement celle-ci, le cas échéant jusqu'à la mise à prix initiale que le débiteur a contestée. Le principe selon lequel le créancier poursuivant est déclaré adjudicataire en l'absence de tout amateur est alors maintenu.
Certes, ce mécanisme traduit le souci légitime de préserver une règle indispensable à l'efficacité de la procédure de saisie immobilière, gage du crédit hypothécaire, tout en évitant une application trop brutale de celle-ci par le biais de mises à prix descendantes.
En revanche, ce système, au demeurant étranger à la tradition juridique française, me paraît comporter deux sérieux inconvénients.
En premier lieu, il marque, en quelque sorte, un désaveu du juge qui est à l'origine de la réévaluation de la mise à prix fixée par le créancier poursuivant.
En second lieu, je m'interroge sur son efficacité car, à n'en point douter, le public sera tenté de s'abstenir d'enchérir dans l'espoir d'une baisse de la mise à prix.
C'est pourquoi je ne puis, en définitive, me rallier à ce mécanisme.
Toutefois, je le reconnais, la question est épineuse et elle ne m'apparaît pas pouvoir être tranchée aujourd'hui.
Il faut y réfléchir encore et, dans l'immédiat, il me paraît préférable d'en rester aux grandes lignes du système actuel, complété par le contrôle judiciaire de la mise à prix, que votre commission propose.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les observations que je souhaitais formuler sur cette proposition de loi. Au travers de ce texte, et grâce à l'excellent travail qui a été réalisé sous l'autorité de M. Hyest, rapporteur, nous pourrons améliorer la proposition de loi adopté par l'Assemblée nationale et, surtout, préparer le grand débat qui s'ouvrira l'année prochaine sur la réforme d'ensemble de la saisie immobilière. Il s'agit, en effet, d'une réforme essentielle, urgente et délicate à mettre au point. Je suis certain qu'à partir du projet du Gouvernement le Parlement, et le Sénat en particulier, sauront encore une fois faire oeuvre utile, comme ils l'ont fait pour la proposition de loi aujourd'hui en discussion. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, après l'analyse exhaustive de M. le garde des sceaux, nous pourrions presque passer directement à l'examen des articles. Je dois néanmoins resituer cette proposition de loi dans le cadre de la réforme globale des saisies immobilières.
Des efforts ont été accomplis, c'est exact, pour améliorer le dispositif relatif aux procédures d'exécution en ce qui concerne la saisie mobilière ; il s'agit de la loi de 1991.
Une réforme d'ensemble de la saisie immobilière est attendue depuis un certain nombre d'années ; la Chancellerie y travaille.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale tend à répondre à des préoccupations sociales graves et immédiates. En effet, nombre de ventes immobilières sur saisie du logement principal des débiteurs surendettés, notamment en cas de difficultés familiales - je pense au chômage ou à l'éclatement de la cellule familiale - conduisent la famille à la fois à perdre son logement et à en recueillir un prix extrêmement faible, compte tenu des conditions d'organisation des ventes sur saisie immobilière, qui ne couvre même pas ses dettes.
Le décret-loi de 1938 est manifestement devenu inadapté ! Les professionnels comme les élus souhaitent que soit revu le dispositif relatif aux conditions des ventes des liens sur saisie immobilière. En tant qu'élus, nous avons souvent à rencontrer les familles qui connaissent de telles difficultés et à trouver des solutions.
Néanmoins, nous sommes perplexes, monsieur le garde des sceaux. En effet, la proposition de loi votée par l'Assemblée nationale se doit de ne pas être en contradiction avec les principes qui seraient posés dans le cadre d'une réforme générale de la saisie immobilière. On ne peut pas imaginer, en effet, l'instauration de deux procédures : l'une pour le logement principal, l'autre pour l'ensemble des biens ! Il faudra assurer, dans ce domaine comme dans d'autres, une certaine cohérence.
C'est la raison pour laquelle, dans l'immédiat, la commission souhaite réserver au logement principal les effets de la présente proposition de loi.
Tel était d'ailleurs le cas de la proposition de loi initiale, mais, dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, les mesures ont été étendues à l'ensemble des biens.
Le deuxième problème qui se pose - c'est le plus important ! - concerne la recherche d'un équilibre entre débiteur et créancier.
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale me paraît receler un vice rédhibitoire : toute la procédure de saisie est fondée sur le fait que l'on peut rendre adjudicataire le créancier, à condition qu'il ait lui-même fixé le montant de la mise à prix. Au nom de quoi serait fixé un prix ne correspondant pas à sa créance ? D'ailleurs, le créancier adjudicataire peut ne pas avoir les moyens de se rendre acquéreur du bien au prix fixé par le juge. Ce qu'il veut, c'est rentrer dans ses fonds !
On me rétorquera qu'il s'agit toujours d'organismes bancaires, etc. Je vous rends attentif au fait qu'il peut s'agir d'un syndicat de copropriétés, monsieur le garde des sceaux ! Ce cas, qui a été peu évoqué, se rencontre de plus en plus souvent.
Dans ces conditions, si l'on peut admettre d'ouvrir au débiteur la faculté de formuler un dire sur la mise à prix, encore faut-il savoir si le prix doit être fixé selon le montant des enchères habituellement pratiquées en la matière ou en fonction de la valeur vénale de l'immeuble. Il conviendra d'aborder cette question lors de l'examen des articles. En effet, par définition, la mise à prix ne correspond pas nécessairement à la valeur vénale du bien.
La mise à prix doit être attractive afin qu'il y ait des enchérisseurs. C'est le fondement même des ventes aux enchères, qu'elles soient mobilières ou immobilières. Une vente aux enchères permet souvent, on le sait, d'obtenir un meilleur prix qu'une vente à l'amiable. Mais il faut pour cela que la mise à prix soit attractive.
Par conséquent, il faut trouver une solution, monsieur le garde des sceaux. On ne peut pas, comme l'a fait l'Assemblée nationale, admettre que c'est le juge qui fixe le prix et rendre ensuite le créancier adjudicataire du bien au prix fixé par le juge, prix éventuellement très supérieur à la mise à prix qu'il avait initialement fixée. Le créancier n'a pas de raison de payer plus que le montant de sa créance ! C'est tout le problème. Dans le cas contraire, on détruit totalement l'équilibre de la procédure actuelle.
Monsieur le garde des sceaux, vous avez dit que les propositions de la commission des lois du Sénat vous rendaient perplexe. Si vos suggestions sont meilleures, je les accepterai.
Je rappellerai quand même l'existence d'enchères descendantes, notamment en matière de liquidation de biens devant les tribunaux de commerce : il s'agit en fait, quand il n'y a pas d'enchérisseur sur la mise à prix fixée par le juge, de descendre progressivement et de relancer les enchères. Le créancier sera alors adjudicataire non pas d'office, mais seulement en l'absence d'enchères successives et descendantes. Bien entendu, à partir du moment où l'on en arrive à la mise à prix fixée par le créancier, il est normal que ce dernier, faute d'enchère, redevienne adjudicataire d'office à ce prix.
Certains, dans un élan de générosité, font valoir que, s'il n'y a pas d'enchérisseurs sur la mise à prix fixée par le juge, il ne se passera rien. Ce n'est pas la peine de faire une procédure de saisie !
M. Guy Allouche. C'est pour le cas où !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On pourrait ainsi recommencer trois ou quatre fois ! Je vous rappelle que les frais sont toujours à la charge du débiteur et que cela risque d'augmenter sérieusement sa dette !
Nous avons fait des propositions sur ce point. Si elles n'étaient pas adoptées, nous en reviendrions alors au dispositif voté par l'Assemblée nationale : un créancier serait adjudicataire à un prix qu'il n'avait pas fixé, ce qui me paraît être en contradiction formelle avec les principes qui ont toujours été reconnus en matière de procédure civile, s'agissant des saisies immobilières.
J'en viens à un troisième point, auquel vous avez d'ailleurs fait allusion dans votre propos liminaire, monsieur le garde des sceaux : la proposition de loi prévoit une meilleure articulation entre la procédure de traitement du surendettement et la procédure de saisie immobilière. De ce point de vue, s'agissant du logement principal, elle peut tout à fait être acceptée, sous réserve de quelques modifications.
J'évoquerai, pour conclure, la disposition que propose d'ajouter la commission des lois et qui, à mon avis, devrait aller dans le sens que vous souhaitez, monsieur le garde des sceaux : vous avez en effet évoqué une audience préliminaire, disant que, dans ce cadre, des formules pourraient être trouvées pour éviter la vente à la barre et pour organiser une cession amiable. Pour notre part, nous avons prévu, dans le cas du logement principal, la possibilité d'une procédure de gré à gré, sous le contrôle du juge. Reconnaissez, monsieur le garde de sceaux, qu'il faut un certain temps avant que la vente de gré à gré ne se fasse. Par conséquent, la disposition proposée par la commission des lois peut, à mon avis, s'intégrer parfaitement dans la procédure d'audience préliminaire que vous prévoyez dans le cadre de la réforme générale des saisies, monsieur le garde des sceaux.
Telles sont les conclusions de la commission des lois.
Dans ce domaine, comme dans beaucoup d'autres, s'il faut certes montrer de la générosité, il ne faut néanmoins pas oublier qu'un certain nombre de procédures interviennent en raison de l'imprévoyance dont font preuve nombre de personnes surendettées, en se mettant la tête sous l'aile dès la survenue des premières difficultés. Bien souvent, ainsi que vous le disiez, monsieur le garde des sceaux, une prévention et une information meilleures permettraient d'éviter des procédures.
Mais, en même temps, on ne peut pas toujours considérer qu'il existe les bons, d'un côté, et les méchants, de l'autre. Un équilibre doit à mon avis être réalisé entre les créanciers et les débiteurs, au risque de voir dépérir tout crédit, ce qui n'irait pas du tout dans le sens que nous souhaitons du développement de notre économie. Tous les créanciers ne sont pas forcément des affreux ; il en existe de respectables. Je disais d'ailleurs la même chose - souvenez-vous-en, monsieur le garde des sceaux - à propos des relations entre les propriétaires et les locataires. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. La parole est à M. Allouche.
M. Guy Allouche. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, « le Gouvernement ne peut donc pas rester sans rien faire, il ne peut être indifférent à la détresse de ces familles qui ne savent plus à quelle porte frapper pour se sortir d'affaire. Le surendettement est un mécanisme d'exclusion, c'est une pente qui peut se révéler inexorable vers la pauvreté et la misère ». Ainsi s'exprimait Mme Neiertz, le 5 décembre 1989, à l'Assemblée nationale, lors de la discussion du projet de loi sur le surendettement.
Aujourd'hui, tous les observateurs partagent le même constat : le phénomène du surendettement est d'une ampleur considérable et tend à s'inscrire dans la durée. L'endettement immobilier occupe une place importante dans les situations de surendettement.
La proposition de loi dont nous sommes saisis illustre parfaitement la fracture sociale et ses conséquences. Certes, elle tend à lui apporter un début de solution ; l'intention est louable et généreuse. Nous souscrivons au principe de cette proposition de loi. Encore faudra-t-il que ses auteurs n'approuvent pas inconditionnellement une politique d'ensemble qui aggrave, par d'autres mesures, cette même fracture sociale !
La loi Neiertz de 1989, modifiée en 1995 par le gouvernement de M. Balladur, permet de résoudre un nombre important de difficultés rencontrées par les personnes surendettées. Or il est apparu que cette loi ne résolvait pas les situations délicates comme celles des saisies immobilières. Aussi, cette proposition de loi crée une articulation entre la loi sur le surendettement et la loi très ancienne sur les saisies immobilières ; elle n'est qu'une réponse partielle, et considérons-la comme telle !
Notre préoccupation d'aujourd'hui est celle des personnes surendettées, « de bonne foi », victimes de la grave crise économique que connaît le pays et de ses conséquences sur l'emploi. Au-delà de la montée persistante du chômage, il existe bien d'autres symptômes parmi lesquels s'inscrit l'endettement croissant des ménages. Ce surendettement est devenu un phénomène social durable qui conduit de plus en plus de familles aux portes de l'exclusion.
Je suis l'élu d'un département qui détient le record en matière de surendettement ; ce dernier est trop souvent dû à la perte d'emploi du chef de famille, perte d'emploi qui vient parfois s'ajouter à celle du conjoint. Si cette situation conduit quelquefois à l'éclatement de la cellule familiale, elle provoque en tout cas une contraction très sensible des ressources familiales. Commence alors la spirale infernale des difficultés ! Le déséquilibre financier aboutit dans un cas sur trois à la nécessité de vendre des biens essentiels à la vie quotidienne, notamment le bien précieux qu'est la résidence principale. La perte d'une existence sociale, d'une adresse personnelle pèse lourdement sur les conditions normales de vie et empêche la personne surendettée de retrouver un emploi. La spirale du surendettement entraîne celle de l'exclusion.
Ces situations dramatiques ont mis en évidence l'obsolescnece des règles applicables en matière de saisie immobilière. Puisque M. le garde des sceaux nous annonce qu'une réforme d'ensemble est en cours d'élaboration, nous en acceptons l'augure ; mais, dans l'attente, il est nécessaire de remédier aux situations actuelles.
A ce stade de mon propos, je ne veux pas passer sous silence la responsabilité des pouvoirs publics dont les politiques d'encouragement à l'accession à la propriété des catégories les plus modestes de la population - ces politiques sont d'ailleurs menées parfois sous la pression des lobbies des constructeurs promoteurs et des organismes de crédit - favorisent l'émergence de situations de surendettement.
Il en est ainsi de la création du prêt à taux zéro dont nous avons dénoncé, à l'époque, les effets pervers. Une fois embarqués dans l'aventure de l'accession à la propriété - rêve de chacun, il faut en convenir - les ménages modestes sont les plus exposés aux accidents de parcours et au surendettement. Plus de la moitié de ceux qui possèdent un faible apport personnel n'ont ensuite plus aucune réserve pour parer à d'éventuels imprévus. Ce fait inquiétant est révélé par une enquête de l'association nationale d'information sur le logement rendue publique le 5 décembre 1996.
M. Pierre-André Périssol, ministre délégué au logement, avait prévu un dispositif original de sécurisation des accédants exposés au risque d'une chute de leurs ressources. Or cet « airbag de l'accession » semble abandonné. Ajouterai-je que l'association des études de la consommation juge dommageable l'abandon du dispositif de sécurisation prévu pour les ménages les plus fragiles, tout comme elle dénonce la concurrence forcenée à laquelle se livrent les organismes de crédits, ainsi que les pratiques commerciales agressives des constructeurs promoteurs ?
Ces informations sont inquiétantes pour le présent et pour l'avenir. Le législateur doit enrayer ce mal sans trop attendre. Or ce mal tient au fait que les ventes à la barre, sur saisies immobilières, conduisent à de véritables spoliations, les biens immobiliers n'étant jamais vendus à leur juste prix. Dans la mesure où c'est le créancier qui fixe la mise à prix, il ne prend en compte que le montant de sa créance, en aucun cas la valeur vénale du bien saisi, et encore moins la totalité du montant des dettes de la personne saisie.
Il en résulte que les acquéreurs réalisent une opération immobilière fructueuse. Est-il besoin d'ajouter que l'adjudication judiciaire, malgré la publicité légale qui lui est attachée, est souvent une affaire d'initiés et souffre d'une trop grande confidentialité, laquelle favorise toutes les ententes ?
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, sans esprit de système, nos amis députés ont approuvé cette proposition de loi de bon sens, somme toute équilibrée, qui améliorera la situation des personnes surendettées. Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale rétablit un équilibre entre les droits légitimes du créancier et ceux, tout aussi légitimes, des débiteurs en grande difficulté.
Le texte de l'Assemblée nationale nous agrée parce qu'il complète l'information du débiteur sur ses droits lorsqu'un commandement lui est signifié et prévoit la nullité pour le cas où l'un de ses droits ne serait pas mentionné dans le commandement.
Sur proposition de son rapporteur, la commission des lois du Sénat a complété opportunément la liste des informations devant être fournies au débiteur, personne physique. Mais nous regrettons qu'elle ait choisi de supprimer le caractère automatique de la nullité. Si nous désirons véritablement protéger le débiteur saisi et faire en sorte qu'il soit réceptif à ses droits, il convient d'instituer le couperet de la nullité automatique.
Le dispositif adopté par l'Assemblée nationale introduit plus de transparence. Trop souvent, les débiteurs ont le sentiment d'être tenus à l'écart de toutes les opérations engagées. La frustration vient s'ajouter aux difficultés vécues. Désormais, ils pourront faire savoir au tribunal que le prix fixé ne leur paraît pas convenable. Le tribunal pourra alors consulter un expert pour s'assurer que les conditions locales du marché ont été prises en compte.
Monsieur le rapporteur, vous proposez de supprimer le recours à l'expert. Nous pensions jusqu'à présent que cette expertise présentait l'avantage de protéger, d'une part, la décision du juge, qui n'est pas un professionnel de l'immobilier, et, d'autre part, le débiteur, qui acceptera plus facilement la décision de l'expert que la mise à prix du créancier. Mais, dès l'instant où le débiteur saisi dispose d'un délai pour vendre lui-même son bien, il sera directement confronté à la réalité du marché immobilier et, s'il le juge utile pour son intérêt, il pourra recourir aux conseils des professionnels de ce secteur économique.
Je vous le rappelle, monsieur le rapporteur - mais cela ne vous avait pas échappé - l'ambition de cette proposition de loi se retrouve dans son intitulé : il s'agit de renforcer la protection des personnes surendettées. Je ne veux pas dire par là que nous nous désintéressons du sort des créanciers, mais nous nous préoccupons d'abord des personnes surendettées.
La commission des lois du Sénat est animée par le souci de rechercher l'équilibre économique entre le débiteur et le créancier. M. le garde des sceaux y a fait allusion, elle propose la remise en vente sur baisses successives de la mise à prix.
Ce dispositif appelle certaines remarques. Je l'ai dit en commission, je le redis ici : ma grande crainte est celle des ententes et des collusions qui pourraient intervenir pour revenir au montant de la mise à prix initialement fixé par le créancier.
Notre souci principal est d'éviter une vente à vil prix, et donc d'empêcher que le débiteur ne se trouve spolié. La proposition de la commission des lois tient compte de cet élément sans pour autant négliger les conséquences dommageables pour le créancier de l'absence de vente faute d'enchérisseurs. De tout cela, nous reparlerons lors de la discussion des articles.
Avant de conclure, je voudrais adresser mes remerciements et mes félicitations à M. le rapporteur pour la qualité du rapport qu'il nous à présenté au nom de la commission des lois et, surtout, je tiens à le souligner, pour la qualité de l'écoute dont il a fait preuve tout au long des débats, ce qui a permis d'améliorer, sur un certain nombre de points, le texte en discussion.
Monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, tout doit être mis en oeuvre pour éviter la précarité et prévenir l'exclusion, ce fléau qui menace notre société. Un drame social ne doit pas être une fatalité. Nous devons offrir une nouvelle chance de se rétablir à celles et à ceux qui, privés d'emploi, et parfois de façon durable, vivent durement les affres de la fracture sociale. La saisie immobilière doit être l'étape ultime et dissuasive mise en oeuvre après échec avéré de toutes les tentatives amiables. A quoi bon prétendre vouloir placer l'homme au centre de nos préoccupations si, dans la réalité des faits, l'aspect humain passe après les intérêts économiques ? Cela ne saurait être le sens de notre démarche. (Applaudissement sur les travées socialistes. - MM. Fauchon et Deneux applaudissent également.)
M. le président La parole est à M. Pagès.
M. Robert Pagès. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la fin des années quatre-vingt aura été ponctuée par l'adoption de la loi n° 89-1010 du 31 décembre 1989 relative à la prévention et au règlement des difficultés liées au surendettement des particuliers et des familles.
Jusqu'en 1989 et en 1990 encore, à les personnes surendettées, pour une large part, devaient leur situation à l'accumulation de prêts et à un taux d'endettement volontaire excessif, les établissements prêteurs, peu scrupuleux, jouant un rôle décisif en la matière.
Aujourd'hui, le surendettement des ménages est dû en majorité au contexte économique et social difficile de notre pays, qui se traduit par la perte d'un emploi, l'éclatement de la cellule familiale, la longue maladie, entraînant une diminution très sensible des revenus.
C'est bien la situation économique, marquée par la domination de l'argent sur l'individu, qui est la cause première de tant de drames humains, du cycle infernal du surendettement, qui peut aller jusqu'à la mise en vente de la résidence principale. Aussi est-il regrettable de constater que le surendettement, devenu un phénomène durable de notre société, conduit tous les ans de nombreuses familles vers l'exclusion. Ainsi, près de 200 000 familles sont touchées par le surendettement en France, si l'on se fie aux dernières données statistiques nationales.
Si la loi de 1989 a peut-être permis, dans certains cas, d'aider un tant soit peu les ménages en difficulté en permettant un rééchelonnement des remboursements et une renégociation des taux d'intérêt, elle n'a cependant pas empêché l'augmentation du nombre de surendettés.
Tant que le Gouvernement ne s'attaquera pas aux causes profondes qui conduisent au surendettement, la fracture sociale, tant décriée par M. Chirac, ne cessera de s'élargir.
Déjà, avec plus de trois millions de chômeurs et avec l'augmentation de la précarité du travail, les organismes patronaux estiment à 25 % des actifs seulement le nombre de personnes qui auront un emploi stable et un statut au début des années 2000. Une chose est certaine, les Français ne vont pas en s'enrichissant, leur pouvoir d'achat étant en chute constante depuis une dizaine d'années. A cela, il convient d'ajouter, notamment, le coût de la réforme de la sécurité sociale et la hausse de deux points de la TVA, qui viennent grever un peu plus le budget des familles.
En France, ce sont douze millions de personnes qui ne pourraient pas subvenir à leurs besoins sans l'apport des différentes aides sociales. Dans un tel contexte, il ne faut pas s'étonner de la progression du nombre de ménages surendettés, d'autant que l'on peut s'attendre à une aggravation de la situation.
Lorsque l'équilibre financier d'un ménage est ainsi fragilisé, on en vient trop souvent à la revente des biens essentiels à la vie quotidienne, et a fortiori du logement. Après l'endettement, c'est le surendettement, la saisie immobilière, et l'on arrive très rapidement à l'exclusion sociale. D'autant que la perte d'une adresse pour une personne surendettée au chômage se traduit par l'impossibilité de retrouver un emploi, faute d'existence sociale, et par là même par l'impossibilité de retrouver des conditions de vie normales.
En matière de surendettement, de saisie immobilière, de procédures civiles d'exécution, non seulement la législation en vigueur n'est pas adaptée, mais encore elle est loin de pouvoir régler les drames qui se vivent tous les jours, puisqu'elle n'intervient qu'en aval, quand tout est déjà joué.
La législation actuelle conduit trop souvent, en effet, à privilégier les ventes à la barre des tribunaux sur les ventes amiables, et ce sans garantie aucune que les biens immobiliers saisis seront vendus à leur juste prix, ce qui conduit à une véritable spoliation des familles surendettées, puisque c'est le créancier lui-même qui fixe la mise à prix, mon excellent collègue et ami M. Guy Allouche l'a signalé.
Aussi, étant donné l'état actuel du marché immobilier, pour être sûrs de la vente du bien, et donc d'être payés, les créanciers prennent en compte dans la fixation du montant de la mise à prix uniquement le montant de leurs créances et non la véritable valeur du logement saisi.
Par ailleurs, l'adjudication judiciaire, malgré la publicité dont elle doit faire l'objet, s'effectue en pratique dans une grande confidentialité. C'est ainsi que seuls certains cabinets spécialisés y ont effectivement accès. Par conséquent, les enchères libres et transparentes n'ont pas lieu et le bien est rarement vendu à un prix proche de sa valeur vénale.
Le dispositif qui nous est soumis se propose donc de renforcer la protection des personnes surendettées en cas de saisie immobilière.
Le texte améliore l'information du débiteur saisi en complétant la liste des informations qui doivent lui être fournies.
Il devra ainsi être informé qu'il a la possibilité tout à la fois de saisir la commission de surendettement des particuliers, de bénéficier, pour la procédure de saisie, de l'aide juridictionnelle et de demander la conversion de la saisie en vente volontaire, à peine de nullité.
Le débiteur aura également la faculté de contester auprès du juge le montant de la mise à prix fixé par le créancier poursuivant, pour insuffisance manifeste du prix ou pour tout autre motif. C'est le tribunal qui tranchera la contestation, en tenant compte de la valeur vénale de l'immeuble ainsi que des conditions du marché.
Par ailleurs, la commission de surendettement des particuliers pourra, aux termes de la proposition de loi, demander la remise de l'adjudication pour causes graves et dûment justifiées afin de régler la situation avant toute vente du bien.
Ensuite, le débiteur aura la possibilité de bénéficier d'une suspension des procédures d'exécution immobilière, même après la publication d'un commandement aux fins de saisie immobilière.
Enfin, le débiteur pourra demander une réduction de la fraction des prêts immobiliers restant éventuellement due aux établissements de crédit, non plus un an au plus tard après la vente, mais dans les deux mois.
Nous sommes conscients qu'il s'agit là d'améliorations importantes en matière de surendettement.
En revanche, nous regrettons que la proposition de loi ne s'attaque qu'aux conséquences, certes non négligeables, du surendettement, sans se préoccuper des causes profondes du développement de ces situations. Ce qu'il aurait fallu, c'est traiter le problème en amont, avant qu'il y ait situation de surendettement ; sinon, cela revient à poser un petit pansement sur une plaie béante.
Même si l'on améliore la situation du débiteur qui est obligé de vendre son logement, au bout du compte, il se trouve quand même sans logement. Il faut à tout prix éviter d'en arriver à de telles situations.
Cela implique, en premier lieu, de lutter contre le chômage, mais aussi de responsabiliser davantage les établissements prêteurs, qui n'ont pas de scrupules à proposer des crédits à des taux souvent prohibitifs aux personnes qui connaissent déjà des difficultés.
Il faut protéger le consommateur, y compris contre lui-même, car, dans notre société de consommation, la tentation est grande et tout est fait pour inciter les gens à acheter, même et surtout quand ils n'en ont plus les moyens. Les magasins Crazy George's, qui ont défrayé la chronique il y a peu, en sont l'exemple type.
Il faudrait encore donner plus de moyens aux tribunaux qui traitent des dossiers de surendettement et qui se trouvent engorgés, afin qu'ils puissent régler plus rapidement des situations désespérées qui ne peuvent attendre.
Je voudrais dire un mot de la loi du 8 février 1995, qui a modifié la loi de 1989 et, par là même, la procédure de traitement des situations de surendettement.
Nous étions - et nous le sommes toujours - opposés au transfert des pouvoirs judiciaires à la commission de surendettement des particuliers. Pouvez-vous me dire si, aujourd'hui, la réforme d'hier a eu quelques conséquences positives en matière de surendettement ? J'y reviendrai lorsque nous aborderons la discussion des articles.
Je tiens aussi à faire part de mon étonnement : était-il vraiment nécessaire de légiférer ainsi, au coup par coup, sans débat de fond, sachant que le Gouvernement prépare, M. le ministre nous l'a confirmé, une réforme globale relative à la procédure de saisie immobilière ?
Toutes ces explications amènent les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen à s'abstenir sur ce texte. M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.

Article 1er