FINANCEMENT DE LA SÉCURITÉ SOCIALE
POUR 1977

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 (n° 61, 1996-1997), adopté par l'Assemblée nationale. Rapport n° 66 (1996-1997) et avis n° 68 (1996-1997).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce premier projet de loi de financement de la sécurité sociale marque une date importante dans l'histoire du Parlement, puisqu'il s'agit de leur première rencontre institutionnalisée.
En votre présence, monsieur le président, je voudrais saluer les initiatives répétées qu'a prises le Sénat ces dernières années pour tenter de parvenir au point où nous sommes aujourd'hui où le Parlement est associé désormais pleinement à l'exercice de cette responsabilité fondamentale qui consiste à organiser le fonctionnement de notre dispositif de protection sociale.
Il était temps que les représentants de la nation puissent débattre simultanément des orientations de la politique de santé et de sécurité sociale ainsi que des objectifs qui déterminent les conditions générales de l'équilibre financier de la sécurité sociale. Mais cela doit aussi marquer un progrès dans l'exercice de la démocratie : il faut que les Français appréhendent de manière adulte et responsable les questions touchant à leur sécurité sociale et à son financement.
L'équilibre de la sécurité sociale est une question complexe. Le bon équilibre est assurément la résultante d'exigences contradictoires : il faut veiller à la situation des personnes âgées et des familles, donner à tous un égal accès à des soins de qualité, mais il faut aussi, bien sûr, éviter que le poids des prélèvements nécessaires au financement des prestations ne vienne limiter la croissance et l'emploi, et décourager l'initiative et le travail.
A l'évidence également - il faut le redire - les masses de recettes et de dépenses en jeu atteignent près de 1 700 milliards de francs chaque année. Il s'agit de prendre des décisions majeures pour corriger des insuffisances, pour mettre fin à des dérives, pour redéployer des dépenses, pour adapter en permanence les régimes aux priorités sociales et au contexte économique.
Bref, mesdames, messieurs les sénateurs, ce débat peut et doit être le rendez-vous annuel où la collectivité tout entière exprime ses choix et arrête ses priorités pour l'exercice à venir.
Ce projet de loi n'est donc en aucun cas un énième plan de redressement financier dont l'existence même témoignerait de l'insuffisance des décisions antérieures.
Ce premier projet de loi de financement reste fidèle à l'esprit et à la lettre de la loi organique et peut servir de base à un débat de qualité.
Evidemment, il peut être perfectible. Cette année nous avons dû, M. Hervé Gaymard et moi-même, respecter les délais : la loi organique a été publiée le 23 juillet, la première conférence nationale de santé s'est tenue du 2 au 4 septembre, et le projet de loi a été déposé le 15 octobre. Mais nous pouvons penser que, dans l'avenir - M. Hervé Gaymard s'en expliquera - les textes pourront être préparés plus tôt.
Ce projet de loi est bâti sur des hypothèses économiques communes avec le projet de loi de finances. Il a été élaboré en cohérence avec les grands choix faits dans ce projet tant en ce qui concerne la réduction du déficit public qu'en ce qui concerne la réforme fiscale. Il s'appuie sur les comptes tendanciels soumis à la commission des comptes de la sécurité sociale.
C'est une avancée considérable, et les débats qui suivront ne manqueront pas de faire apparaître de multiples voies de progrès possibles.
A ce stade, je voudrais remercier la commission, son président, M. Fourcade, et le rapporteur, M. Descours, de tous les éclairages qu'ils ont déjà apportés à ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je reviens brièvement sur l'esprit de la réforme engagée en 1995, c'est-à-dire voilà un an.
Elle fonde un nouveau partage des responsabilités entre l'Etat et les gestionnaires de la sécurité sociale.
« Mieux d'Etat » dans l'explicitation des objectifs et des choix de principe, « moins d'Etat » dans la gestion quotidienne : cette approche se retrouve à tous les niveaux de la réforme.
Les conventions d'objectifs et de gestion vont fixer pour trois ans les règles qui répartiront les responsabilités entre l'Etat et les caisses nationales. Nous sommes en train de les préparer.
Et vous, sénateurs, serez associés au suivi de ces conventions d'objectifs et de gestion à travers les conseils de surveillance. Le décret les instituant est paru le 5 novembre. Il prévoit la présence, dans chacun des quatre organismes nationaux, de six parlementaires, dont le président du conseil de surveillance.
Après la période de transition actuelle, un partage clair des responsabilités sera établi, y compris dans des domaines difficiles et sensibles comme ceux de l'élaboration de la nomenclature.
Le souci de s'adapter au terrain, aux réalités locales, et de privilégier, pour la régulation du système de santé, le niveau régional est un autre élément central de la réforme.
Les agences régionales de l'hospitalisation auront de réelles marges de manoeuvre et des capacités de négociation avec les établissements hospitaliers ; les unions régionales de caisses d'assurance maladie, les URCAM, coordonneront la politique de gestion du risque au niveau local ; les ordonnances nous permettront d'adapter localement les objectifs prévisionnels de dépenses. Hervé Gaymard aura, après moi, l'occasion d'en reparler en évoquant le lien qu'il faudra créer entre les conférences régionales de santé et les objectifs prévisionnels adaptés.
Nous nous éloignons ainsi de la vision traditionnelle, celle d'un système centralisé, piloté exclusivement par le haut sans que soient prises en compte les diversités locales.
Un troisième exemple de cette approche déconcentrée est le souci de faire émerger des formes nouvelles d'organisation de soins par la voie des expérimentations.
Une des grandes faiblesses de notre système de santé est l'éparpillement des acteurs. Pour y remédier, tout en respectant les principes essentiels d'exercice de la médecine libérale, le Gouvernement a fait le choix de ne pas imposer un modèle, mais de rendre possible des expériences multiples dans leur objet et dans leurs formes.
De telles expériences, pour être mises en place, devront bien entendu recueillir l'avis d'un conseil d'orientation puis l'approbation de l'Etat : c'est le conseil d'orientation des filières et des réseaux de soins expérimentaux, que présidera M. Soubie, et qui regroupera des professionnels de santé, des financeurs et des experts.
Ce conseil d'orientation sera installé avant la fin du mois de novembre, et la caisse nationale de l'assurance maladie des travailleurs salariés, la caisse nationale d'assurance maladie et maternité des travailleurs non salariés des professions non agricoles et la mutualité sociale agricole entendent bien mobiliser leur réseau de caisses pour promouvoir ou faciliter l'émergence de ces initiatives.
Ainsi, la philosophie d'ensemble qui inspire la réforme est bien résumée par la place essentielle qui est faite aux contrats, aux conventions : conventions d'objectifs et de gestion entre l'Etat et les caisses nationales, entre les caisses nationales et les caisses locales, contrats conclus entre les agences régionales de l'hospitalisation et les établissements de soins publics et privés, conventions entre les promoteurs des actions expérimentales et les organismes d'assurance maladie concernés,...
M. Jean-Luc Mélenchon. Quelle usine à gaz !
M. Jacques Mahéas. Pour aboutir à 70 milliards de déficit !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. ... sans oublier, bien évidemment, les conventions entre les professionnels de santé et l'assurance maladie.
Oui, je comprends que cette philosophie contractuelle gêne les tenants de la réglementation tous azimuts. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.)

M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Jacques Mahéas. Verbiage !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. C'est pourtant par le contrat que l'on régule une société démocratique moderne au sein de l'aquelle, précisément, on peut donner à la démocratie sociale tout son sens.
M. Claude Estier. Ne donnez pas de leçons aux autres, s'il vous plaît !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Vous me permettrez de donner des leçons à ceux qui veulent m'en asséner !
M. Jacques Mahéas. Regardez donc les années antérieures !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Qu'il soit bien entendu à cet égard que le mode conventionnel doit rester le principe de base dans les relations avec les professions de santé, le mode normal de régulation du système, l'Etat n'intervenant qu'à titre exceptionnel pour pallier les vides ou les échecs conventionnels.
J'en veux pour preuve l'accord négocié, contrairement à ce qui est écrit ici et là, entre la caisse nationale de l'assurance maladie et les ambulanciers, qui a conclu à un objectif quantifié, pour 1997, en baisse de 7,5 % par rapport aux dépenses constatées en 1996.
M. Christian Bonnet. Ce n'est pas dommage !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Ce n'est pas dommage en effet ! Il a fallu un effort du Gouvernement et surtout de la caisse nationale de l'assurance maladie pour négocier cet accord. Pour être applicable, il devra recevoir une base législative ; c'est la raison pour laquelle nous vous demanderons de l'introduire dans ce projet de loi.
J'ai la conviction que, après la période d'adaptation, l'ensemble des professionnels comprendra que la réforme n'est pas une menace pour la médecine libérale, mais qu'elle est une chance à ne pas manquer pour préserver durablement ses principes.
M. Jacques Mahéas. Tous les médecins sont d'accord ?
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Avant d'aborder plus concrètement le contenu de ce projet de loi, je voudrais faire brièvement le point sur les comptes de la sécurité sociale à la lumière des travaux de la dernière commission des comptes.
Il est maintenant certain que, cette année, le déficit du régime général baissera de l'ordre de 15 milliards de francs par rapport à 1995, soit 51,5 milliards de francs en 1996 au lieu de 67,3 milliards de francs en 1995. Ce résultat peut paraître insuffisant. Mais il faut avoir à l'esprit que la croissance de la masse salariale du secteur privé - c'est-à-dire la principale assiette des recettes de la sécurité sociale - aura été très modeste, inférieure pour la sixième année consécutive à 2 % en volume.
Il est évident qu'une progression inférieure à 2 % en volume pose problème, même si, dans le même temps, l'évolution des dépenses s'est fortement infléchie, et elle s'est infléchie.
M. Claude Estier. C'est pourquoi il faut augmenter les salaires !
M. Jacques Mahéas. C'est aussi à cause du chômage !
M. Jean-Luc Mélenchon. Et les 8 milliards de francs ?
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Messieurs les sénateurs, sachez que M. Hervé Gaymard répondra très précisément à vos questions.
Permettez-moi, en attendant, de terminer cet exposé devant le Sénat dans le cadre de cet exercice nouveau, propice à l'ouverture d'un véritable débat sur la sécurité sociale.
Je reviens sur le premier point. Il existe incontestablement un déficit du régime général accru par la baisse des ressources, déficit qui ne doit cependant pas dissimuler la modération des dépenses.
Il est certain qu'une réforme aussi ample que celle qui a été annoncée voilà un an ne produira ses effets financiers que dans la durée.
En effet, il faut un certain nombre de textes. Il faut aussi, naturellement, une progressivité. On ne peut pas réduire brutalement les moyens alloués au système de santé.
J'en reviens rapidement à la réforme. Où en est-elle ?
Nous avons pris les ordonnances dans les délais impartis. Parmi la soixantaine de décrets d'application, quarante ont été publiés ou sont en cours de consultation.
La distribution des carnets de santé a commencé au mois d'octobre, comme nous nous y étions engagés ; elle sera achevée avant la fin de l'année. Les conseils d'administration des caisses nationales ont été recomposés le 15 juillet dernier ; ceux de toutes les caisses locales sont en cours d'installation.
J'en viens à ma seconde observation : au bout de douze mois, nous pouvons affirmer qu'il y a bien eu une rupture de tendance dans l'évolution des dépenses d'assurance maladie et que nos objectifs pour 1996 sont, en dépit de tout ce qu'on a pu lire, en passe d'être atteints.
En ce qui concerne les dépenses hospitalières, l'objectif d'une croissance de 2,1 % des dépenses aura été respecté en 1996. C'est une première qui a nécessité la mobilisation de toute la communauté hospitalière, et je l'en remercie.
En ce qui concerne la médecine de ville, on ne peut pas crier victoire prématurément. Mais il faut savoir que la baisse des dépenses enregistrée devrait conduire, si elle se prolonge au dernier trimestre, au respect de l'objectif de 2,1 %. D'ores et déjà, nous pouvons dire que le niveau des dépenses d'assurance maladie remboursées par la CNAM est, depuis quatre mois, plus bas que celui qu'il avait atteint en novembre dernier, au moment de l'annonce du plan de réforme.
Evidemment, si ces évolutions portent à un relatif optimisme, tout n'est pas gagné.
D'abord, il est des dépenses qui connaissent une certaine inertie. C'est vrai, le Sénat le sait bien, de l'évolution des dépenses du secteur médico-social, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, qui reste rapide à cause de tendances démographiques lourdes. Je confirme devant le Sénat notre volonté de financer 14 000 lits médicalisés entre 1997 et 1998, ainsi que 4 000 places de services de soins infirmiers à domicile. Cela a un coût !
M. Adrien Gouteyron. Très bien !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Ensuite, les dispositions de la loi famille de 1994 s'avèrent beaucoup plus coûteuses que prévu.
Plusieurs sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen. On avait remarqué !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. De 1994 à 1996, les prestations versées au titre de la petite enfance ont doublé, passant de 10,5 milliards de francs à 21 milliards de francs.
On ne peut que se réjouir du succès de la loi famille. Par exemple, 200 000 familles bénéficient à ce jour de l'allocation parentale d'éducation pour le deuxième enfant, créée en 1994.
Ce débat sur le projet de loi de financement permettra de mieux appréhender les coûts et les évolutions.
Quant aux prestations de retraite, elles continuent de croître à un rythme rapide. Elles ne connaîtront que peu à peu les infléchissements rendus possibles par la loi de 1993.
J'en viens au contenu du projet de loi. Il comporte la fixation d'un objectif national des dépenses d'assurance maladie et la réforme du financement de l'assurance maladie.
L'objectif national des dépenses d'assurance maladie, première originalité de ce texte, consiste à dépenser, en 1997, 600 milliards de francs au lieu de 590 milliards de francs, soit une augmentation de 10 milliards de francs par rapport à 1996.
Avec un tel montant de dépenses, il doit être possible d'assurer à tous les Français des soins de qualité, et ce sans aucune forme de rationnement, mais en recherchant à tout moment et à tous les niveaux le juste soin.
La France a consacré en 1995 près de 10 % de sa richesse nationale aux dépenses de santé.
Est-on pour autant mieux soigné en France que dans les pays voisins ? C'est une question que je pose.
Mme Hélène Luc. Mais tout le monde ne peut pas se faire soigner !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. J'en suis convaincu, l'augmentation incontrôlée des dépenses ne garantit pas nécessairement l'amélioration de la qualité des soins.
M. Jean-Louis Carrère. Ça, c'est vrai !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Je ne connais pas de personnes sensées dans la société française d'aujourd'hui qui puissent nier cela.
Tout sera mis en oeuvre pour atteindre cet objectif, qui deviendra celui de la nation par votre vote.
Je me contenterai aujourd'hui de rappeler que cet objectif englobe les dépenses de l'hospitalisation, publique et privée, de médecine de ville et de la partie du secteur médico-social qui est à la charge de l'assurance maladie.
Cet objectif n'est pas purement indicatif, puisque la plus grande partie de ces dépenses font, à présent, l'objet d'une régulation renforcée ou sont, pour reprendre le terme juridique, « opposables ».
Nous veillerons à ce que les efforts soient équitablement partagés. Cela signifie que la dotation globale hospitalière, l'objectif quantifié national des cliniques privées, l'objectif quantifié national des médecins devront progresser à un rythme analogue. On ne peut pas, en effet, demander un effort aux uns si les autres ne consentent pas le même effort.
M. Charles Descours, rapporteur de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Ce n'est que par une répartition équitable de l'effort que l'on peut obtenir l'adhésion de la nation.
M. Charles Descours. rapporteur. Et des usagers !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Et des usagers bien sûr.
Ces 600 milliards de francs ne constituent pas pour autant une enveloppe des crédits limitatifs, à la différence des lois de finances. Des droits sont ouverts, et les prestations seront bien sûr servies à tous sans aucune limite quantitative. C'est la raison pour laquelle toute une série de caricatures, de campagnes de désinformation laissant entendre que cet objectif national de dépenses d'assurance maladie conduirait à je ne sais quel rationnement, à je ne sais quel quota de soins, toutes ces propagandes ne résistent pas à un examen objectif de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale.
M. Jacques Mahéas. L'augmentation du taux directeur des hôpitaux, c'est fini ?
Mme Hélène Luc. Les médecins n'ont rien compris !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Nous aurons à notre disposition des instruments qui se mettent actuellement en place : le renforcement de la maîtrise médicalisée avec les références médicales opposables, le recours au carnet de santé et la responsabilisation de chacun qui en découlera, le développement accéléré des médicaments génériques, l'action sur la démographie médicale, autant d'éléments qui faciliteront l'atteinte de l'objectif que l'on se fixe.
La deuxième originalité de ce projet - M. Hervé Gaymard en parlera - c'est que son élaboration a tenu compte des orientations dégagées par la conférence nationale de la santé.
Par ailleurs, ce projet de loi nous permet d'engager une réforme essentielle, celle du financement de l'assurance maladie.
Il est fondamental de donner aux ressources de la sécurité sociale une assiette plus large. Aujourd'hui, les cotisations sont assises essentiellement sur le travail. Cette structure de financement est inéquitable et elle le devient de plus en plus, car la structure des revenus des ménages a beaucoup évolué au cours des dernières années.
M. Jacques Mahéas. Négativement !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Il n'est pas normal que les revenus qui se développent le plus vite, comme les revenus de remplacement et les revenus du capital, restent aussi peu associés au financement de la protection sociale.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. La structure de financement ne correspond plus non plus aux conditions actuelles d'ouverture des droits. C'est la raison pour laquelle nous instaurerons progressivement l'assurance maladie universelle ; j'y reviendrai au cours du débat.
D'ores et déjà, la préparation de la mise en place de l'assurance maladie universelle nous a amenés à constituer deux groupes de travail, l'un étant chargé d'étudier les conditions d'ouverture des droits, l'autre, l'intégration financière des régimes.
Je voudrais préciser, tout particulièrement à l'intention de MM. Fourcade et Descours, que nous entendons présenter, au début de 1997, un projet de loi au Parlement, qui tendra à donner à toutes les personnes résidant en France accès à l'assurance maladie dans les mêmes conditions, indépendamment de tout statut professionnel.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Il était donc logique que le financement de l'assurance maladie repose davantage sur l'ensemble des revenus.
Voilà pourquoi nous avons été conduits à proposer une restructuration des ressources de l'assurance maladie, par l'affectation aux différents régimes du produit d'un prélèvement à assiette large se substituant à des cotisations.
Nous avons choisi, comme support de cette opération, la contribution sociale généralisée, la CSG, mais il convenait, dès lors, d'adapter l'assiette de celle-ci afin qu'elle porte plus largement sur les revenus du capital.
Permettez-moi de m'attarder quelques instants sur ce point, qui peut paraître complexe.
Nous avons veillé, en utilisant la CSG, à lui donner la même assiette que le RDS, le remboursement de la dette sociale, pour ce qui concerne les revenus d'activité, de manière que le calcul de ces différentes contributions soit simplifié.
Se pose, bien sûr, le problème de la déductibilité d'une partie de cette cotisation. Si le nouveau point de CSG est déductible, c'est parce qu'il remplace une cotisation sociale elle-même déductible, le reste demeurant en l'état : non déductible.
La fiche de paie ne s'en trouvera pas compliquée, dès lors que ne figureront que deux lignes : celle de la contribution non déductible et celle de la contribution déductible. En effet, il y aura désormais une seule assiette, et non plus deux, une pour la CSG et une pour le RDS.
J'aurai l'occasion de reprendre cette démonstration au cours de la discussion des articles, mais ce que je tiens à souligner, c'est que nous avons voulu commencer ce transfert d'un excès de prélèvements sur les revenus du travail vers des prélèvements plus équitables, parce que assis sur une assiette plus large, et nous avons veillé à ce que cela n'entraîne pas de complications.
Je veux également insister sur un point qui, à mon avis, est un peu passé sous silence : cette opération, mesdames, messieurs les sénateurs, va se traduire par un gain de pouvoir d'achat au profit des actifs de l'ordre de 8 milliards de francs en année pleine.
Dans la mesure où nous avons fait en sorte que, dès le 1er janvier prochain, les entreprises commencent à rendre ce transfert possible, nous aurons, au cours de l'année 1997, redonné 8 milliards de francs de pouvoir d'achat aux salariés.
J'y insiste parce que j'ai beau ouvrir les yeux, chercher attentivement, je ne trouve pas souvent mention de cet aspect de la réforme, qui n'est pourtant pas secondaire. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Je n'évoquerai pas ici, vous me le pardonnerez, la manière dont ces ressources supplémentaires apportées par l'élargissement de la CSG vont profiter aux différentes branches ; nous y reviendrons au fur et à mesure de l'examen des articles.
Le présent texte comporte en outre diverses mesures de financement destinées à contribuer au redressement des comptes. Ce sont là des dispositions plus habituelles. Nous avons considéré que faire figurer aussi dans ce projet l'augmentation des droits sur l'alcool ou d'autres nous permettrait de débattre globalement des différentes ressources affectées à la sécurité sociale.
Je terminerai cette présentation générale en évoquant l'avenir.
Nous franchissons une première étape, en ramenant le déficit du régime général de 51,5 milliards de francs cette année à 30 milliards de francs en 1997. Envisager tout de suite 30 milliards de francs d'économies n'aurait pas été possible. Je le sais bien, des voix se sont élevées pour souhaiter cet effort supplémentaire, mais cela aurait signifié 5 % de ressources en moins pour l'assurance maladie : ce n'était pas jouable.
Cependant, grâce à la pratique du juste soin, nous parviendrons progressivement, comme cela est indiqué dans le rapport, à un équilibre structurel.
Le rythme annuel de la croissance en volume des prestations du régime général dépassait 4 % en 1990 ; en 1996, il sera réduit à 1,7 %. La tendance à la baisse est donc engagée et nous la poursuivons avec ce projet de loi de financement : le taux de croissance devrait être de l'ordre de 1 % en 1997.
En outre, la projection que vous avons annexée au projet de loi de financement montre que, si nous ne relâchons pas notre effort sur la maîtrise des dépenses, avec des hypothèses économiques réalistes, le régime général devrait ramener son déficit à 12 milliards de francs en 1998 et renouer avec un excédent, de 8 milliards de francs, en 1999. Il ne s'agit que de la prolongation des tendances actuelles mais, j'y insiste, sans prévoir de déremboursements et sans prélèvements supplémentaires.
Alors, me direz-vous, une nouvelle dette se sera constituée entre-temps. Certes, mais si l'on parvient à tarir durablement la source de cet endettement, le financement de cette dette transitoire ne constituera qu'un problème de deuxième ordre.
Ce qui importe, c'est en effet que notre sécurité sociale puisse retrouver un équilibre structurel et le consolider dans la durée, sans connaître ce qu'elle a subi ces derniers temps : des déficits chroniques et des problèmes considérés par certains comme insurmontables.
Le Parlement est ainsi amené, mesdames, messieurs les sénateurs, à participer de façon éminente à la nouvelle organisation de la sécurité sociale. Il s'agit de faire en sorte que notre système de sécurité sociale n'impose pas au pays des prélèvements qui soient contradictoires avec la nécessaire bataille pour le développement et l'emploi. Il est évident que, si les prélèvements ne cessent de s'accroître, c'est le découragement qui s'installe, c'est le risque d'un chômage croissant.
M. Jean-Luc Mélenchon. Vous êtes bien placé pour le savoir !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. C'est la raison pour laquelle il est indispensable de maîtriser nos dépenses.
Mais il s'agit aussi, dans le même temps, de conserver à ce pays son système de sécurité sociale, car celui-ci est probablement ce qui rassemble le mieux les Français, ce qui soude le mieux la communauté nationale. D'ailleurs, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, quand le général de Gaulle et les responsables politiques de l'époque ont donné à notre sécurité sociale ses fondements, ils avaient bien compris qu'il y avait là une sorte de creuset de la cohésion nationale.
Il faut donc que nous préservions le dynamisme de la nation en luttant avec courage et détermination contre tout ce qui est gaspillage et excès, pour pouvoir en même temps consolider dans l'avenir le ciment qui unit les Français plus que beaucoup d'autres choses : leur sécurité sociale.
Voilà pourquoi il faut avoir le courage, aujourd'hui, de passer outre certains intérêts particuliers, car il y va de l'intérêt général et de l'avenir de la France (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat à la santé et à la sécurité sociale. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, comme vient de le dire Jacques Barrot, nous avons souhaité que la réunion de la conférence nationale de santé soit partie intégrante du processus de préparation du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Le rapport qui vous a été adressé rend compte des priorités dégagées par cette conférence et apporte certaines réponses.
C'est à ce même exercice que je souhaiterais me livrer aujourd'hui sans, évidemment, avoir la prétention d'être exhaustif, mais en m'efforçant de mettre l'accent sur certains points clés.
Un constat s'impose d'emblée : la majorité des problèmes de santé évitables sont en relation avec des facteurs liés aux habitudes de vie. Cela doit nous conduire à modifier les comportements autant, sinon plus, par des actions de prévention et de communication que par des règlements.
Par ailleurs, en matière de santé publique, les moyens sont très dispersés, chacun le sait, du fait de la diversité des acteurs concernés ; il est capital, dès lors, d'introduire davantage de cohérence.
Je ferai deux remarques préalables.
Tout d'abord, la distinction qui est souvent opérée entre politique de santé et politique de santé publique peut apparaître comme peu opérationnelle. En effet, la santé est un bien à la fois profondément collectif et profondément individuel. Il ne sert à rien de s'enfermer dans une conception réductrice de la santé publique, qui renverrait à la seule notion, étroite, d'hygième publique. La santé, c'est ce à quoi chacun tient le plus et cela dépend à la fois de comportements individuels et des solidarités collectives.
La santé est ainsi, de plus en plus, l'un des sujets majeurs qui arriment l'individu à la collectivité, d'autant que s'y greffent, de plus en plus fréquemment, des enjeux sociaux ou éthiques essentiels à la cohésion de notre communauté nationale.
C'est pourquoi il est insdispensable de bâtir, de structurer une véritable politique de santé pour notre temps, et ce débat va y contribuer.
En effet, le droit à la santé est aujourd'hui présent à l'esprit de tous les Français ; nul ne peut en faire abstraction. Non seulement nos compatriotes exigent que les moyens disponibles soient mis en oeuvre, mais ils veulent aussi des résultats.
La qualité de la médecine française et les progrès considérables des dernières décennies font que l'art médical est devenu un miracle renouvelé et que, pour nos compatriotes, soigner signifie désormais guérir ; qu'on y songe bien, c'est la première fois dans toute l'histoire de l'humanité que l'on peut penser ainsi.
Par ailleurs, malgré cette attente quasi régalienne, la santé n'est pas une affaire exclusive de l'Etat et l'intérêt général ne peut en être l'unique objectif. Le maintien de ce que l'on appelle le « capital santé » est sans conteste une notion qui, si elle renvoie à la collectivité, dépend aussi de l'individu lui-même et de son comportement.
Une politique de santé doit viser à infléchir les comportements individuels mais elle ne le peut, bien entendu, que dans les limites qu'impose le respect de la liberté individuelle.
Tels sont les termes qui guident notre débat : une demande croissante des individus à l'Etat dans un domaine où, pourtant, l'Etat n'est pas seul maître, précisément parce que l'individu demeure responsable, face à une offre de soins qui s'est accrue. Il nous appartient de définir une politique qui oriente ce système en sachant concilier la pertinence des choix collectifs et le respect des choix individuels.
J'en viens maintenant aux principaux enseignements du rapport qui vous a été transmis.
Il s'agit, au premier chef, de l'importance de la mortalité prématurée évitable. Notre pays compte parmi ceux dans lesquels l'espérance de vie est la plus élevée mais il se distingue malheureusement par une surmortalité significative chez les jeunes adultes. Elle est évitable en ce qu'elle est généralement liée aux habitudes de vie.
La santé des jeunes est, en effet, celle de la France de demain. Il nous faut d'ores et déjà travailler sur les objectifs de santé que nous devons nous assigner.
Si, globalement, les statistiques tendent à montrer que l'état de santé des jeunes est satisfaisant...
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas vrai !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. ... il faut avoir à l'esprit que ce jugement d'ensemble recouvre des réalités très diverses et masque une surmortalité très préoccupante. Deux causes de surmortalité affectent notamment cette classe d'âge. Il s'agit des accidents de la circulation et des suicides.
Les accidents de la voie publique sont en effet fréquemment associés à un comportement à risques qui pourrait être évité. De même le suicide, qui représente aujourd'hui la deuxième cause de mortalité des jeunes de quinze à vingt-quatre ans, constitue un problème de santé majeur.
L'étude de l'incidence du suicide fait d'ailleurs apparaître une très nette inégalité régionale, qui justifie des initiatives locales fortes en la matière. C'est pourquoi nous incitons les établissements publics de santé à promouvoir la coordination du travail accompli par les équipes médicales afin d'instituer une prise en charge psychiatrique au sein même des services cliniques après une tentative de suicide. Cette prise en charge coordonnée constitue la première action de prévention de la récidive. Celle-ci survient fréquemment au cours de la première année et présente souvent un caractère aggravé.
Mais, au-delà des accidents de la circulation et des suicides, il convient bien évidemment de mener une politique globale de santé en faveur des jeunes en évoquant, par exemple, les problèmes de nutrition, de dépendance, de boulimie ou d'anorexie. Nous avons beaucoup de travail à accomplir en ce domaine en liaison étroite avec les services de santé scolaire. Cette politique globale de santé en faveur des jeunes constituera une priorité pour notre ministère l'année prochaine.
Mme Hélène Luc. Vous n'augmentez pas pour autant les crédits consacrés à la santé scolaire !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Par ailleurs, parmi les habitudes qui concourent à la mortalité évitable, la consommation d'alcool et de tabac figure, comme chacun le sait, en bonne place.
L'alcoolisme, en dépit d'une décroissance régulière de la consommation moyenne d'alcool, reste encore à l'origine de très nombreux problèmes sociaux et de décès prématurés. Il demeure donc bien évidemment une priorité sanitaire.
Une politique de prévention active, ambitieuse et résolue pour combattre ce fléau doit donc permettre non seulement d'éviter la survenue de maladies d'ordre psychiatrique ou cancéreuse, mais également de réduire la mortalité par accident. Dans ce domaine, la politique doit être globale, éducative, préventive et curative.
De même, la lutte contre le tabagisme a enregistré, depuis plusieurs années, quelques succès, mais il ne faut pas se dissimuler que cette baisse globale de la consommation recouvre des réalités diverses et que nous aurons à faire face dans les prochaines années à une recrudescence des cancers des voies aérodigestives supérieures liés à l'excès de tabagisme des années soixante-dix. En ce domaine aussi, nous avons des problèmes spécifiques à traiter qui concernent les jeunes, notamment les jeunes filles.
Le dispositif législatif et réglementaire actuel en matière de lutte contre l'alcoolisme et le tabagisme, qui découle de la loi du 10 janvier 1991, fera l'objet l'année prochaine d'une évaluation scientifique et médicale. Cette évaluation, comme vous le savez, est confiée au Commissariat général du Plan qui travaillera en étroite liaison avec le ministère de la santé.
En ce domaine, Jacques Barrot et moi-même disposons bien évidemment de deux leviers d'action, à savoir l'information et la prévention, d'une part, l'augmentation des prix, d'autre part.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il faut plus de crédits !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Chacun sait en effet que la consommation est étroitement liée aux prix.
Le prix du tabac devrait donc augmenter à nouveau au début de l'année prochaine. Mais cette disposition ne figure pas dans le projet de loi. Celui-ci prévoit simplement l'affectation pérenne d'une partie du produit des droits de consommation sur le tabac à l'assurance maladie. Cette disposition est très importante car elle permet de renforcer les actions de prévention.
Dans le même esprit, ce projet de loi prévoit l'augmentation des droits de consommation sur les alcools et l'affectation d'une partie de ces droits à l'assurance maladie. Sur cette question, comme chacun le sait, les débats ont été nourris et animés à l'Assemblée nationale au point parfois de masquer peut-être l'ampleur du sujet dont nous avons à débattre aujourd'hui. Mais l'accord qui est intervenu nous paraît très équilibré.
Nous avons très rapidement pris des initiatives lorsque se sont développées des actions de promotion en faveur des prémix. Ces produits constituent une véritable tromperie. En effet, en dépit de leur couleur qui peut faire penser à du soda, il s'agit d'alcools forts. Ces boissons sont donc destinées à favoriser l'accoutumance aux alcools forts.
L'Assemblée nationale a voté, voilà dix jours, une taxation spécifique pour ces produits, que le Gouvernement a bien évidemment acceptée. Toutefois, la taxation n'est pas le seul levier que nous devrons utiliser.
J'ai saisi de cette question le comité supérieur d'hygiène publique qui a rendu, voilà un mois et demi, un avis et des propositions. Sur le fondement de celles-ci, nous examinons notamment le conditionnement et les conditions de mise à disposition de ces produits. Nous aurons l'occasion de prendre des initiatives à ce sujet dans les prochaines semaines.
Donner des moyens à la promotion de la santé constitue une autre priorité fixée par la conférence nationale de santé. Nous adhérons bien évidemment pleinement à cette orientation.
L'éducation à la santé constitue en effet l'un des leviers essentiels de la prévention et de la promotion de la santé. L'éducation à la santé est une action dont l'évaluation est difficile, mais nous disposons d'exemples qui en démontrent l'indéniable succès.
Je pense notamment à la campagne d'information tendant à inciter les mères de famille à abandonner la position ventrale pour le couchage des nouveau-nés. Depuis le lancement de cette campagne en 1994, nous avons pu constater, avec joie, une diminution de plus du tiers des cas de mort subite du nourrisson. Voilà un exemple concret de campagne d'information ayant des effets directs.
Dans le prolongement des propos tenus par M. Jacques Barrot, je tiens à souligner le caractère essentiel de la dimension régionale.
M. Claude Huriet. Très bien !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Nous avons en effet institutionnalisé les conférences régionales de santé. Celles-ci doivent remplir une double fonction. En premier lieu, étant une composante de la conférence nationale de santé, il leur appartiendra de participer à la réflexion qui éclairera les choix du Parlement et du Gouvernement en matière de politique de santé. En second lieu, il leur reviendra de contribuer à définir une véritable politique régionale de santé. Cette fonction est au moins aussi importante que la première.
Ce n'est qu'à partir du moment où seront posés les fondements d'une politique sanitaire à l'échelon régional que l'agence régionale, éclairée par la consultation du comité régional d'organisation sanitaire et sociale, pourra prendre les bonnes décisions en matière d'organisation sanitaire.
C'est également grâce aux orientations de la conférence régionale de santé que l'union régionale des caisses d'assurance maladie qu'évoquait tout à l'heure M. Barrot pourra, en liaison avec les unions professionnelles de médecins, mener dans chaque région une politique active de gestion du risque. Il est évident que ce fondement sanitaire de la politique régionale s'appliquera également à l'ensemble du secteur médico-social dont on connaît l'importance.
Nous attachons donc un grand intérêt à la dimension régionale de cette politique de santé. A cette fin, nous avons décidé d'augmenter les dotations affectées aux projets régionaux de santé afin que, région par région, en fonction des priorités fixées, nous puissions mener une politique différenciée et active.
Enfin, s'agissant toujours de la prévention, l'Etat est sur le point de conclure un contrat d'objectifs avec le comité français d'éducation pour la santé, afin de pouvoir disposer d'une meilleure visibilité et d'une déclinaison de la politique publique de prévention. Mais, au-delà de ce contrat d'objectifs, il nous faudra être à la fois plus ambitieux et plus cohérents en matière de prévention. L'Etat, l'assurance maladie, les établissements publics dépendant de l'Etat et les collectivités locales, notamment les départements, doivent désormais mener une politique de prévention mieux organisée et plus active. Jacques Barrot et moi-même aurons l'occasion de prendre des initiatives en ce domaine au cours de l'année prochaine.
Le rapport de la conférence nationale de santé évoque également la prise en charge des personnes âgées dépendantes. Il n'est point besoin, devant la Haute Assemblée, d'insister davantage sur ce sujet, compte tenu du rôle pionnier qu'elle a joué.
S'agissant des lits de section de cure médicale et des places de soins infirmiers à domicile, chacun est bien convaincu des efforts qu'il nous faut entreprendre.
J'évoquerai maintenant notre système de santé et son organisation. Nous devons tout d'abord renforcer les instruments de la veille et de la sécurité sanitaires.
J'assistais ce matin, à Bruxelles, au Conseil des ministres de la santé au sein duquel ces questions ont été évoquées à l'échelon européen. Chacun est convenu de la nécessité d'améliorer les dispositifs en la matière.
S'agissant de la veille sanitaire, nous disposons du réseau national de santé publique qui a été créé en 1992. Ses moyens sont renforcés dans le projet de budget pour 1997, qui sera prochainement soumis à la Haute Assemblée. Chacun est bien conscient de la nécessité d'avoir un instrument fiable, sérieux et incontestable. Tel est le travail qui est accompli par le réseau national de santé publique, qui doit être la tête de pont de ce réseau européen d'épidémio-surveillance.
Se pose ensuite la question de la sécurité des produits. Le Sénat est également très attentif à ce sujet. M. Huriet avait notamment déposé une proposition de loi relative aux thérapies génique et cellulaire qui a été adoptée dans le cadre d'un récent projet de loi portant diverses mesures d'ordre sanitaire, social et statutaire.
La crise de la vache folle doit nous amener à nous orienter vers une institution de référence en matière de sécurité sanitaire. Ce sujet est actuellement en cours d'examen à l'échelon interministériel. Par ailleurs, la Haute Assemblée a conduit une mission aux Etats-Unis sur cette question. Sachez, en tout cas, que le Gouvernement est décidé, sur ce point, à aller de l'avant.
M. Lucien Neuwirth. Très bien !
M. Hervé Gaymard, secrétaire d'Etat. Enfin, chacun reconnaît la nécessité de recourir à des soins de qualité. Tel sera en quelque sorte le rôle de l'agence nationale d'accréditation et d'évaluation de santé qui verra le jour l'année prochaine.
Cette agence, qui sera composée, dans son immense majorité, de médecins et de scientifiques, nous permettra de mettre en oeuvre cette politique.
Enfin, dans le prolongement de cette réflexion régionale, que j'évoquais tout à l'heure, nous devons veiller, dans les régions, à une meilleure adéquation des moyens à l'activité réelle et aux problèmes tels qu'ils se posent en matière de santé publique. Je pense notamment à la répartition des budgets hospitaliers. C'est toute l'ambition de la réforme, de l'action des agences régionales d'hospitalisation et des contrats d'objectifs qui seront conclus entre les établissements de santé et les agences régionales.
Telles sont, monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames et messieurs les sénateurs, brièvement résumées, les orientations de notre politique de santé.
Nous avons, dès cette année, un travail très important à accomplir ensemble. Ce qui est très frappant, en effet, c'est qu'on sait, à peu d'incertitudes près, dans la masse des 590 milliards de francs de dépenses d'assurance maladie pour 1996 et des 600 milliards de francs pour l'année prochaine, distinguer les dépenses hospitalières, celles de la médecine de ville, les médicaments, les honoraires, les prescriptions ou les arrêts maladie.
En revanche, on sait beaucoup moins différencier les pathologies. Il est très difficile aujourd'hui, cinquante ans pourtant après la création de la sécurité sociale, de déterminer avec précision ce qui, sur ces 600 milliards de francs, est affecté à la lutte contre le cancer, à la lutte contre les hépatites, à telle ou telle action de santé publique. C'est tout l'enjeu de ce qui nous réunit aujourd'hui !
On peut le préciser pour certaines affections : par exemple, pour le sida, on sait que la nation dépense 6 milliards de francs, parce que nous avons des réseaux de soins autour des hôpitaux, dans les CISIH, les centres d'information et de soins sur l'immuno-déficience humaine, où les crédits sont très exactement fléchés. Mais ce n'est pas le cas pour toutes les pathologies.
Nous sommes donc confrontés à un réel enjeu ; définir et mettre en oeuvre ensemble une véritable politique de santé. Trop longtemps, en effet, on a pu constater deux logiques parallèles, parfois opposées, entre la problématique de la sécurité sociale et la problématique de la politique de santé. Le projet de loi de financement de la sécurité sociale, les débats qui se sont déroulés en aval et ceux qui auront lieu en amont permettront, précisément, de réconcilier ces deux logiques et de définir une véritable politique de santé pour nos compatriotes.
Comme l'a indiqué M. Jacques Barrot tout à l'heure, nous souffrons cette année d'un calendrier particulièrement tendu : la conférence nationale de santé s'est déroulée au début du mois de septembre dernier ; elle se tiendra l'année prochaine à la fin du mois de juin ou au début du mois de juillet, ce qui permettra à chacun de travailler encore davantage à la mise en oeuvre d'une politique de santé pour tous les Français. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
(M. Jean Faure remplace M. René Monory au fauteuil de la présidence.)

PRÉSIDENCE DE M. JEAN FAURE
vice-président

M. le président. La parole est à M. Descours, rapporteur.
M. Charles Descours, rapporteur de la commission des affaires sociales pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, il y a un an, presque jour pour jour - c'était le 15 novembre 1995 - nous écoutions le Premier ministre présenter un plan de refondation de notre système de protection sociale.
Aujourd'hui, nous voici réunis pour examiner le premier projet de loi de financement de la sécurité sociale, qui constitue une étape décisive de cette refondation. Il s'agit d'une réforme qui se déroule à une vitesse convenable, d'une réforme qui continue d'exister, contrairement à ce que je lis ici ou là, d'une réforme que certains, notamment les médecins, trouvent trop rapide et que d'autres, en particulier le patronat, trouvent trop lente.
Il faut dire que cette réforme s'inscrit dans des circonstances difficiles pour notre protection sociale, qu'il importe avant tout de sauvegarder.
Quel est le contexte ?
Je commencerai par évoquer les efforts demandés à l'assurance maladie.
La réforme des retraites adoptée en 1993 commençant à produire ses premiers effets et les instruments de la maîtrise de la branche famille apparaisssant assez simples, une réelle pression s'exerce sur la branche maladie et sur les professionnels de santé.
Or 1996 a été une année difficile pour l'assurance maladie, ses comptes et ses principaux acteurs. En effet, alors que les comptes de l'assurance maladie présentent un déficit persistant, l'inquiétude des professions de santé alourdit le climat dans lequel se déroule une progressive refondation de l'assurance maladie et du système de santé.
Après les bons résultats de 1994, l'année 1995 avait été caractérisée par une très forte dégradation des comptes avec un déficit de près de 40 milliards de francs pour la seule branche maladie du régime général. En 1996, l'ampleur du déficit a été réduite de 6 milliards de francs : la commission des comptes de la sécurité sociale estime, en effet, que le solde négatif de la branche maladie du régime général s'établira à 33,6 milliards de francs en 1996.
Poste par poste, on rappellera que le taux directeur des dépenses hospitalières et l'objectif prévisionnel des dépenses médicales retenus pour l'année 1996 ont été très rigoureux, à savoir 2,1 %.
Pour l'hôpital - M. Barrot le rappelait à l'instant - la progression des dépenses devrait effectivement être réduite à 2,1 % en 1996. Pour les médecins, le taux d'évolution des dépenses entrant dans le champ de l'objectif prévisionnel a été beaucoup plus élevé que l'objectif pendant les sept premiers mois.
Cependant, au cours des mois de juin, juillet et août, l'évolution des dépenses de remboursement d'honoraires médicaux - M. Barrot l'a également rappelé - a été négative pour le régime général : moins 0,3 % en juin, moins 0,3 % en juillet et moins 0,5 % en août.
De bons résultats sont aussi constatés sur ces trois mois pour les dépenses correspondant aux prescriptions - biologie, auxiliaires médicaux - si l'on excepte les médicaments.
Par conséquent, il faut rassurer les professionnels de santé : l'objectif de 2,1 % qui avait été fixé sera respecté pour l'année 1996, tant pour l'hôpital que pour la médecine libérale, et ce sans aucune restriction de soins. Cet objectif n'est donc plus hors de portée.
Certes un point noir subsiste - M. le ministre le rappelait à l'instant - en ce qui concerne les prescriptions pharmaceutiques : cette année encore, les résultats risquent d'être décevants, puisque la commission des comptes de la sécurité sociale estime à 5,2 % l'augmentation des remboursements du régime général pour l'ensemble de l'année.
A cet égard, je voudrais attirer l'attention du Gouvernement sur deux points.
En premier lieu, des transferts semblent s'être opérés entre l'hôpital et la médecine de ville, notamment pour le traitement de l'hépatite C, du sida ou des cancers.
Le principe des vases communicants s'applique aussi à la médecine : il y a des malades coûteux, vous le savez bien, mes chers collègues, et, compte tenu des limitations budgétaires, personne ne veut les garder trop longtemps, qu'il s'agisse de la médecine de ville ou de l'hôpital. Il y a donc là une prise en charge globale nécessaire, que nous devons prendre en compte.
Je souhaite attirer l'attention du Gouvernement sur un second point : l'accord-cadre conclu entre l'Etat et le syndicat national de l'industrie pharmaceutique arrive à expiration. La commission des affaires sociales souhaiterait donc obtenir un bilan détaillé de son application : elle n'a jamais reçu d'informations précises sur le fonctionnement et les résultats des conventions, qui ont pourtant été conclues au nom de l'Etat. Il conviendrait que le Parlement fût informé.
Au travers de la persistance des déficits de l'assurance maladie, je désire revenir sur le contexte de profonde inquiétude, voire de désarroi, des professionnels de santé dans lequel s'inscrit ce débat.
Il est d'abord patent que les médecins doivent aujourd'hui affronter une véritable crise d'identité collective.
A la fois hommes d'un art, d'une science et d'un sacerdoce, les médecins ont vu leur activité se banaliser, alors même que la médecine réalisait d'immenses progrès.
Dans un climat d'amélioration du niveau général d'éducation de la population française, le nombre de médecins a crû de 470 % en quarante ans. La profession se féminise et elle est de plus en plus considérée comme une profession comparable aux autres.
Descendus de leur piédestal, affrontant une période de crise, certains médecins n'hésitent pas à se considérer comme les boucs émissaires de la société de cette fin de siècle. Au déshonneur éditorial qu'ils doivent parfois affronter dans certains journaux ou magazines s'ajoutent les efforts financiers qui ont été demandés à la profession en 1996 et qui constituent un puissant catalyseur de la crise. Certains vont même jusqu'à oublier - je le leur rappelle au passage - que le produit de ces mesures financera non pas le déficit de l'assurance maladie, mais des aides à l'informatisation de cabinets médicaux et à la reconversion des médecins.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. Charles Descours, rapporteur. J'aimerais que mes confrères, responsables des syndicats de médecins, le rappellent à l'ensemble de la profession.
Je tiens à dire aux médecins qu'ils ne sont pas des demi-dieux intouchables, mais qu'ils ne sont pas non plus des boucs émissaires, comme ils ont peut-être, à tort, l'impression de l'être aujourd'hui.
Je souhaite également dire quelques mots sur la crainte de l'inégalité de la répartition de l'effort. L'ensemble des professionnels de santé est convaincu que les prochaines années seront des années d'effort. Pour la plupart, ils semblent l'accepter, à condition que cet effort soit équitablement réparti.
Il convient donc de montrer clairement que tous doivent accomplir un effort : les médecins libéraux certes, mais aussi les médecins hospitaliers - il importe que la réforme hospitalière ne s'arrête pas aux portes de l'hôpital et qu'elle soit en place dès le 1er janvier 1997 - et les établissements médico-sociaux. Nous réintroduirons dans la loi, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, les établissements médico-sociaux, qui y figuraient initialement : nous ne pouvons pas fixer un taux de 1,7 % pour les médecins et les hôpitaux publics - 2,1 % l'année dernière - alors que les dépenses des établissements médico-sociaux ont dérivé de 8 % l'an dernier !
Je sais bien que le même coefficient ne peut pas leur être appliqué, mais on ne peut pas les ignorer ; ce sera d'ailleurs un stimulant, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, pour réformer la loi de 1975, qui sera très difficile à modifier.
Par ailleurs, il convient que les clients, les usagers, les malades accomplissent un effort. Nous aurons d'ailleurs un débat, à l'occasion de cette discussion, sur le carnet de santé. Bien sûr, je connais les difficultés que soulève la confidentialité du carnet de santé, mais on ne peut pas demander des efforts uniquement aux personnels soignants sans que les clients, les usagers, les malades, puissent aussi être contrôlés. Je rappelle que, voilà quelques années, le professeur Béraud parlait de 100 milliards de francs ou de 60 milliards de francs d'économies ; cela avait d'ailleurs fait hurler les médecins à l'époque. Je ne sais pas quel est le chiffre exact, mais il est sûr qu'il y a des examens redondants dans ce pays et que le carnet de santé - et demain la carte à puce - doit permettre de les gommer. Il faudra donc rapidement que ce carnet de santé soit opposable.
Je souhaite revenir sur le bilan des mesures de rééquilibrage, à court terme, présentées dans le cadre du plan du 15 novembre 1995.
L'ampleur des mesures présentées dans le présent projet de loi de financement se justifie par le bilan des mesures de rééquilibrage du plan Juppé. Il me paraît utile, en effet, de revenir sur les causes du décalage entre les objectifs financiers annoncés par le Premier ministre le 15 novembre 1995 et les résultats constatés. Les mesures financières à court terme alors présentées devaient ramener le déficit général à environ 17 milliards de francs en 1996 et dégager un excédent en 1997.
Un premier constat a été dressé dans le plan Juppé : la dette sociale accumulée fin 1995 a été cantonnée et son financement assuré.
La CADES a créé, par ailleurs, une contribution assiste sur tous les revenus, la CRDS, afin d'apurer un déficit cumulé, qui s'élevait à 250 milliards de francs.
Cet établissement public a été mis en place dans des conditions de rapidité et d'efficacité qu'il convient de souligner.
Je rappelle, toujours pour la transparence, qu'un conseil de surveillance de la CADES a été constitué, qui jusqu'à présent n'a jamais été réuni. Il aurait été intéressant de savoir, avant ce débat sur la sécurité sociale qui a lieu pour la première fois au Parlement, comment la CADES est gérée cette année. Aujourd'hui, nous avons auditionné le président de la CADES, mais, je le répète, le conseil de surveillance n'a jamais été réuni. Ce n'est pas normal !
En outre - il s'agit d'un point un peu annexe - le Premier ministre avait rappelé que, au-delà du remboursement de la dette sociale, deux ressources devaient être trouvées : le reversement des sommes correspondant au remboursement des créances détenues sur les organismes étrangers de sécurité sociale et la vente du patrimoine privé à usage locatif des caisses nationales du régime général. A la lecture des textes, nous avons le sentiment que cela n'est pas prévu. Toutefois, compte tenu des contacts que nous avons eus avec des membres de votre cabinet ministériel, monsieur le ministre, il paraît que le processus est engagé. Il n'est pas évident de trouver d'autres sources que le RDS pour alimenter la CADES.
Je souhaiterais savoir quelles sont les ressources qui proviennent du remboursement des dettes des pays étrangers dans le financement de la CADES et ce qu'il advient de la vente du patrimoine privé à usage locatif des caisses, patrimoine, qui, je le rappelle, est estimé à 8 milliards de francs. Je sais bien que ce n'est pas le bon moment pour vendre, mais ce patrimoine ne paraît pas absolument indispensable.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. C'est une bonne question !
M. Charles Descours, rapporteur. Je vous remercie, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, de nous répondre sur ce point.
Un deuxième constat a été dressé dans le plan Juppé : le plan d'urgence mis en place en 1996 a permis de réduire le déficit tendanciel de l'exercice 1996 de 29,4 milliards de francs.
Sur un rendement de quelque 35 milliards de francs, pratiquement 85 % de cet objectif ont pu être atteints. Cependant, comme vous l'avez dit, monsieur le ministre, et je suis totalement d'accord avec vous, le problème, c'est l'évolution très défavorable des recettes.
Comment le Gouvernement et le Parlement peuvent-ils faire des prévisions normales ? En effet, alors que, selon les organismes de prévision publics ou privés, l'hypothèse de croissance s'élevait à 2,8 % et la progression de la masse salariale à 5,3 %, la croissance s'établira finalement à 1,3 % et la progression de la masse salariale à 2,3 %. Je veux bien qu'entre les prévisions des organismes il y ait l'épaisseur du trait. Toutefois, je ne peux comprendre qu'il existe un écart de trois points entre la progression prévue de la masse salariale et la progression réelle. Nous ne pouvons pas travailler dans ces conditions. Il faut vraiment revoir les modèles mathématiques qui, à l'évidence, ne sont pas bons.
Les recettes dépendent essentiellement de la masse salariale. Aussi, je voudrais tout d'abord évoquer les études que nous conduisons pour rendre les recettes moins dépendantes de l'évolution de la masse salariale.
Je rappelle que la France reste, dans l'Union européenne, le pays où la proportion des ressources du régime général assurées par des cotisations sociales est la plus élevée. Le Danemark, par exemple, a une proportion presque inverse, puisque 81 % de ses dépenses de protection sociale sont couverts par l'impôt et les contributions publiques.
Il faudra donc élargir l'assiette des cotisations sociales dans notre pays. C'est une évolution incontournable, une nécessité. Certains, hier, pensaient à la valeur ajoutée : nous n'y sommes pas opposés ; encore faudra-t-il examiner les effets pervers sur les entreprises à forte valeur ajoutée.
Je voudrais également aborder les dépenses liées à la branche famille, dont le coût s'est révélé supérieur de près de 3 milliards de francs aux dépenses initialement prévues.
Le contexte dans lequel a été déposé le premier projet de loi de financement de la sécurité sociale peut paraître bien difficile. Cependant, nous nous réjouissons de la présentation de ce texte au Parlement. Il constitue l'aboutissement d'une procédure d'élaboration mettant en jeu l'ensemble des acteurs de notre système de sécurité sociale, avec, notamment, l'intervention de la conférence nationale de santé, la réunion de la commission des comptes de la sécurité sociale, la consultation des caisses et le rapport de la Cour des comptes.
Cette procédure en amont a été mise en place dans des conditions qui n'étaient pas évidentes. Cependant, elle a contribué très utilement aux travaux de la commission des affaires sociales. Je pense notamment à la tâche accomplie par la conférence nationale de santé qui, aux dires de tous les participants et malgré la précipitation avec laquelle elle a été convoquée, s'est révélée très utile.
Je voudrais souligner également la diversité et la densité des documents qui ont été transmis au Parlement. Je pense au rapport de la Cour des comptes et au rapport annexé au projet de loi.
Le Parlement a été placé au centre de ce dispositif, conformément à l'engagement de M. le Premier ministre d'en faire « la clé de voûte » de sa réforme de la protection sociale.
Nous sommes conscients non seulement de l'importance des compétences qui sont désormais les nôtres, mais également des responsabilités qui en découlent, qu'il s'agisse de nos responsabilités relatives à l'analyse des comptes qui nous sont soumis ou de nos responsabilités au regard des propositions que nous formulerons.
Je regrette un peu que nos collègues de l'Assemblée nationale aient accru le déficit de près de un milliard de francs. Dans ce type de débat, il est facile d'accroître les déficits ; c'est plus populaire que d'essayer d'atteindre l'équilibre.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 a un véritable contenu. De nombreuses discussions avaient eu lieu sur le contenu et la portée des futures lois de financement de la sécurité sociale, et leur valeur normative a été mise en doute. Aujourd'hui, le doute n'est plus permis : la loi de financement de la sécurité sociale pour 1997 comporte des dispositions qui n'ont rien à voir avec une vague loi de programme ; elles ont un contenu et des effets juridiques incontestables. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, nous nous en réjouissons.
On distingue bien dans ce texte, d'une part, le rapport d'orientation, qui présente et explicite les objectifs du Gouvernement et qui a donné lieu à un large débat à l'Assemblée nationale, et, d'autre part, les mesures juridiques, qui, sur l'exercice 1997, vont déterminer les conditions de l'équilibre général des régimes de base de la sécurité sociale.
La réforme du financement de l'assurance maladie s'inscrit dans une évolution amorcée depuis plusieurs années et qui s'est accélérée avec l'introduction de la contribution sociale généralisée, d'abord pour la branche famille en 1991, puis pour la branche vieillesse en 1993, et qui s'étend aujourd'hui à la branche maladie. Nous le constatons, nous nous y mettons tous, quelles que soient nos sensibilités, puisque trois gouvernements successifs ont agi en ce sens. La CSG apparaît ainsi comme la véritable composante de cette réforme structurelle et conforte sa vocation de « cotisation sociale universelle » - c'est l'expression que vous avez utilisée, monsieur le ministre - avec un produit d'environ 150 milliards de francs pour 1997.
Sur le dispositif proposé, la commission des affaires sociales souhaite faire quatre observations principales.
Première observation : compte tenu de l'impact financier de l'élargissement de l'assiette de l'ensemble de la CSG, nous comprenons que le Gouvernement ait retenu une extension progressive et n'ait pas procédé immédiatement à l'assujettissement des prestations familiales et des aides personnelles au logement. Toutefois, cela est difficilement compréhensible par nos concitoyens, puisqu'il n'y a pas d'harmonie avec la contribution pour le remboursement de la dette sociale, pour des raisons liées tant à la nécessaire simplification des fiches de paie qu'à l'équité et à la mise en place du régime universel de l'assurance maladie, dont M. Gaymard vient d'annoncer la prochaine discussion.
Il existe donc un véritable problème. En effet, l'assiette des trois CSG a été harmonisée dans le présent projet de loi, et nous nous en réjouissons, mais elle est différente de l'assiette de la CRDS. Cela est difficilement compréhensible pour nos concitoyens.
Deuxième observation : la déductibilité de la CSG maladie introduit une disparité difficilement justifiable car elle précise, comme on le voit bien, un avantage d'autant plus important que le revenu est élevé et la famille peu nombreuse.
M. Jean-Luc Mélenchon. Eh oui !
M. Charles Descours, rapporteur. Là encore, M. Mélenchon connaît bien la situation.
Troisième observation : l'opération de substitution de la CSG à la cotisation maladie se serait révélée défavorable - il ne faut pas l'oublier, mes chers collègues - de l'ordre de 1,7 milliard de francs, si une recette nouvelle ne venait pas compléter la CSG maladie. Le Gouvernement a donc prévu d'affecter à cette branche une partie des droits sur les alcools, selon un mécanisme compliqué, mais que la commission a compris lors des auditions, prélevés jusqu'ici au profit du Fonds de solidarité vieillesse. Il faut donc bien avoir à l'esprit que toute baisse du produit de ces droits à une incidence directe sur l'équilibre de nos régimes d'assurance maladie.
Enfin, quatrième observation : la commission des affaires sociales a voté la création d'un groupe de travail sur la réforme des cotisations patronales. Nous considérons que c'est un sujet très délicat et que les effets de la prise en compte de la valeur ajoutée devront être appréciés, le cas échéant, secteur par secteur, afin de ne pas pénaliser les entreprises les plus dynamiques. Je rappelle que, notamment dans les pays développés, ce sont les entreprises qui ont une grande valeur ajoutée qu'il convient de préserver. Il ne faut pas pénaliser nos entreprises à forte valeur ajoutée car nous les inciterions à s'installer à l'étranger, à l'instar de nos entreprises de main-d'oeuvre.
J'en viens à l'équilibre financier. S'agissant des conditions de l'équilibre financier des régimes de base, je formulerai quatre remarques, au nom de la commission des affaires sociales.
Premièrement, les prévisions de recettes s'élèvent à 1 658 milliards de francs, alors que les objectifs de dépenses s'établissent, après examen du projet de loi par l'Assemblée nationale, à 1 684,9 milliards de francs, soit un écart de 26,9 milliards de francs. Ce solde est-il significatif ? En tout état de cause, il est, selon nous, très difficile à comprendre, dans la mesure où les recettes portent sur l'ensemble des régimes alors que les dépenses ne concernent que les régimes comptant plus de 20 000 cotisants actifs ou retraités titulaires de droits propres. Il s'agit d'un point extrêmement technique. Cela étant, nous nous préoccupons également de l'avenir des petits régimes pour lesquels un dépoussiérage et une plus grande transparence sont souhaitables. Aujourd'hui, il existe un « gap » que nous voudrions voir comblé au cours des prochaines années, afin que le Parlement sache de quoi il parle. En l'occurrence, il s'agit non pas de quelques francs, mais de quelque 27 milliards de francs.
Deuxièmement, ces évaluations de recettes sont cohérentes avec les hypothèses macro-économiques retenues dans le projet de loi de finances pour 1997. Nous avons noté le recours à certaines recettes ponctuelles, notamment l'intégration financée du régime militaire de sécurité sociale, le versement annoncé de l'Etat au titre du règlement du contentieux EDF-GDF - vieille histoire ! - et, surtout, la ponction sur les réserves de l'allocation temporaire d'invalidité des agents des collectivités locales au profit de la CNRACL, la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. Nous y reviendrons au cours du débat. S'agissant de la CNRACL, je précise d'ores et déjà que nous présenterons un amendement.
Troisièmement, les objectifs de dépenses, qui prévoient un freinage très net dans l'évolution des dépenses, ne nous paraissent pas irréalistes. Je crois que, comme en 1996, les chiffres seront proches de la réalité.
J'attire cependant l'attention de nos collègues sur le fait qu'il ne faut pas se polariser sur la branche maladie. En effet, la branche vieillesse reste au moins aussi préoccupante. Je rappelle que, sur la totalité des dépenses, la branche maladie représente 39 % et la branche vieillesse 44 %. Ce n'est pas parce qu'on a jeté un voile, telle la tunique de Nessus, sur les régimes spéciaux que cela dispensera l'Etat d'y consacrer 65 milliards de francs d'ici à l'an 2000. Cela n'empêchera pas les régimes spéciaux d'être extrêmement déficitaires en 2005 et d'exploser en 2010 si aucune mesure n'est prise.
Or les seules options envisageables sont des dispositifs « en sifflet », c'est-à-dire comportant une très grande progressivité. Nous ne pourrons pas éternellement esquiver le débat sur les régimes spéciaux de retraite. En effet, le problème est devant nous. La réflexion aura lieu dans le cadre d'un dialogue social. Elle est indispensable car le problème est réel.
Quatrièmement, le solde du régime général connaîtra, après ces mesures, une amélioration de 17,5 milliards de francs. Il s'agit d'une évolution tout à fait positive, qui permettra de contenir les besoins de trésorerie dans les limites fixées par l'article 5 du projet de loi. Ce sera notamment le cas pour la branche maladie, dont le solde devrait être réduit de moitié, c'est-à-dire de près de 16 milliards de francs, contre plus de 31 milliards de francs en solde tendanciel.
J'en viens aux propositions de la commission des affaires sociales.
S'agissant des équilibres financiers de la sécurité sociale, la commission, comme je l'ai dit tout à l'heure, s'est fixé comme objectif essentiel de faire en sorte que le texte qui résultera des travaux du Parlement n'aggrave pas le déficit initial présenté par le Gouvernement. Cela nous semble être une question de responsabilité du Parlement. Celui-ci ne doit pas aggraver le déficit, qui est déjà important.
Aussi, en ce qui concerne le volet « recettes » du projet de loi, la commission considère qu'un compromis a été trouvé s'agissant de la CSG sur les casinos, de la taxation des premix et des droits sur les alcools, et ne souhaite pas revenir sur ces points.
En revanche, elle proposera d'assujettir à cotisations sociales les indemnités de licenciement versées au-delà des obligations légales et conventionnelles, lesquelles concernent seulement les cadres qui ont un salaire important, étant observé que le présent projet de loi soumet lesdites indemnités, pour cette même part, à la CSG. Sans cela, des indemnités soumises à la CSG ne seraient pas soumises à cotisations sociales. Cela constitue une ressource nouvelle. Aussi, nous vous proposons, mes chers collègues, de l'inscrire dans le projet de loi.
Au nom de la commission, je formulerai maintenant dix propositions relatives à l'assurance maladie, certaines trouvant leur traduction dans les amendements présentés sur le volet « dépenses » du présent projet de loi. Il s'agit, notamment, de la régulation des dépenses du secteur médico-social et de la « cagnotte » destinée aux professionnels de santé.
Premièrement, il faut rétablir le dialogue avec les professionnels de santé. En effet, la réforme de la sécurité sociale ne se fera pas contre les médecins. A la suite de malentendus et, peut-être, de maladresses, un climat d'incompréhension mutuelle semble s'être installé entre les professionnels de santé et le Gouvernement. Cela est grave au moment où est mise en place une réforme essentielle pour l'avenir de notre système de santé.
Il convient donc d'adapter, dans les meilleurs délais, la convention médicale aux nouvelles données, afin que le système conventionnel ne soit pas menacé.
Certes, nous ne devons pas oublier les autres professionnels de santé, comme les directeurs de laboratoires, de cliniques, ou les infirmiers, qui se sont engagés, eux aussi, depuis très longtemps dans un processus de maîtrise médicalisée des dépenses.
Deuxièmement, il convient de poursuivre la mise en oeuvre rapide des ordonnances.
Je l'ai déjà souligné, la totalité des mesures réglementaires d'application nécessaires à l'entrée en vigueur des ordonnances doit être publiée dans les plus brefs délais, en tout cas d'ici au 1er janvier 1997. Le Gouvernement s'y est engagé. Les Français ne comprendraient pas que, plus d'un an après le discours de M. le Premier ministre, le 15 novembre dernier, soulignant la gravité de la situation et l'urgence d'une réforme, rien ne soit changé d'ici au début de l'année prochaine.
Troisièmement, il faut rétablir la confiance chez les professionnels et dans l'opinion publique sur les objectifs que nous nous sommes fixés. J'ai déjà évoqué ce point.
Quatrièmement, il convient de placer le secteur médico-social dans un mécanisme de régulation des dépenses. Nous proposerons un amendement sur ce point. Je le répète, il n'est pas normal que le secteur médico-social soit aujourd'hui le seul à ne pas être placé dans un dispositif de maîtrise des dépenses. Certes, il conviendrait d'attendre une réforme de la loi du 30 juin 1975. Toutefois, dans l'attente de cette dernière, la commisssion des affaires sociales vous proposera d'adopter un dispositif de maîtrise des dépenses qui, dans le respect des spécificités du secteur médico-social, contribuera à réguler l'évolution des dépenses qui le concernent.
Cinquièmement, il convient de médicaliser autant que possible l'objectif national des dépenses. La commission des affaires sociales souhaite notamment affiner sa méthode de travail avec la conférence nationale de santé tout au long de l'année pour disposer de données chiffrées prospectives et pour connaître l'impact financier de certaines priorités ; cela lui permettra d'éclairer plus utilement le Parlement sur les choix qu'il aura à effectuer au cours du débat sur le financement de la sécurité sociale. Nous pourrions ainsi, par exemple, définir le panier des biens et des services de santé remboursables par l'assurance maladie.
De même, la commission des affaires sociales vous propose d'augmenter cette année l'objectif national de dépenses, en le complétant par une enveloppe supplémentaire, sorte de réserve destinée à financer de nouvelles priorités de santé publique définies par le Gouvernement ou par les partenaires conventionnels.
J'apporterai quelques explications à cet égard : voilà deux ans, le Gouvernement a lancé une campagne de vaccination contre l'hépatite B. Pendant un an, médecins et syndicats médicaux ont expliqué qu'ils n'étaient en rien responsables de l'augmentation de 1,3 point qui s'était ensuivie puisqu'il s'agissait d'une décision gouvernementale. De même, la trithérapie contre le sida va entraîner une augmentation des dépenses dans la mesure où le nombre des malades est passé de 150, voilà quelques mois, à 12 000, aujourd'hui, ainsi que nous l'a récemment indiqué M. Gaymard.
En outre, de nouveaux traitement contre le cancer, qui ont déjà reçu l'autorisation de mise sur le marché, l'AMM, vont surenchérir le coût du traitement des cancéreux l'année prochaine.
Il ne faut pas que ces divers surcoûts pèsent sur l'objectif opposable aux médecins, qui n'en peuvent mais. Il faut donc prévoir une poire pour la soif. Nous proposons un milliard de francs supplémentaires, une sorte de cagnotte pour les professionnels de santé. Si j'en crois les premières réactions de la presse, cette disposition, demandée à juste raison par les médecins depuis longtemps, a été plutôt bien reçue.
J'en viens à la sixième suggestion : il faut faire en sorte que la réforme hospitalière ne s'arrête pas à la porte de l'hôpital. Nous sommes un peu inquiets, car il est bien évident que le succès de la réforme hospitalière passe par une forte implication du niveau local dans la gestion des praticiens hospitaliers et des chefs de service, lesquels ne sont pas tous prêts à jouer ce jeu de contractualisation ; c'est d'autant plus vrai que cette dernière débouchera, dans un certain nombre de cas, sur un redéploiement des services, parfois même des hôpitaux, point sur lequel les médecins hospitaliers sont bien sûr plus que réservés.
Septièmement - je le dis pour mémoire - il faut procéder à une remise à plat des conditions d'exercice de la pharmacie d'officine.
Huitièmement, il convient de réfléchir à une éventuelle inclusion de l'Assistance publique-Hôpitaux de Paris dans le champ de compétences de l'agence régionale de l'hospitalisation de l'Ile-de-France. Cette région est trop souvent exclue des lois que nous votons.
Ainsi, comme la LOTI, la loi d'orientation des transports intérieurs, ce projet de loi ne s'applique pas à l'Ile-de-France. Je ne comprends d'ailleurs pas pourquoi toutes les lois françaises ne visent pas cette région !
Il faudrait au moins favoriser une coopération entre l'agence régionale de l'hospitalisation de l'Ile-de-France et l'Assistance publique.
Neuvièmement, il convient de procéder à une révision rapide de la nomenclature des actes professionnels et du tarif des prestations sanitaires. C'est un vieux cheval de bataille, monsieur le ministre : il y a longtemps que l'on parle de la nomenclature, et rien n'est fait ! Là aussi, les professionnels attendent des décisions, et j'espère que ces dernières pourront être prises le plus rapidement possible.
Enfin - c'est la dixième suggestion - il faut renforcer la transparence des comptes. Suite au rapport de la Cour des comptes, nous pensons que, malgré les efforts entrepris depuis plusieurs années par la commission des comptes de la sécurité sociale et son secrétaire général, M. Jean Marmot, des efforts restent à réaliser quant à la transparence des comptes. La Cour des comptes, dans son rapport, en suggère un certain nombre qu'il faudra mettre en pratique au sein de la commission des comptes.
Mes chers collègues, sous ces réserves, la commission des affaires sociales vous propose d'adopter le projet de loi de financement de la sécurité sociale, modifié par les amendements que je vous ai annoncés, pour ses dispositions relatives aux conditions générales de l'équilibre financier et de l'assurance maladie. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Machet, rapporteur.
M. Jacques Machet, rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, s'agissant de la branche famille, la commission des affaires sociales souhaite préciser tout d'abord, dans la mesure où la Caisse nationale des allocations familiales, la CNAF, octroie la plus grande partie des prestations familiales, que la politique familiale sera analysée presque exclusivement à travers la situation de cette caisse.
Dans un premier temps, la commission des affaires sociales a choisi de dresser un bilan de l'application de la loi relative à la famille, dont le coût, beaucoup plus fort que prévu, pèse durablement sur la situation financière de la CNAF. En ce qui concerne les aides à la petite enfance, elle reprendra succinctement l'analyse, au demeurant assez critique, que la Cour des comptes a formulée dans son rapport au Parlement.
Dans un second temps, la commission examinera la mise en oeuvre des dispositions à caractère familial du plan dit « Plan Juppé », qui trouvent, selon elle, leur prolongement dans le contenu du présent projet de loi et se sont accompagnées de la mise en place d'un nécessaire mécanisme de concertation : la conférence de la famille.
En premier lieu, je dresserai donc le bilan de la politique familiale qui a été menée ces dernières années : le coût de l'application de la loi relative à la famille a été plus élevé qu'on ne le pensait au départ, et les aides à l'accueil des jeunes enfants ont abouti, selon la Cour des comptes, à des résultats mitigés.
En effet, depuis 1995, la montée en charge plus forte que prévu des dépenses liées à la mise en oeuvre de la loi relative à la famille a contribué à creuser le déficit préoccupant de la CNAF. Celui-ci a été, en 1995, de 38,4 milliards de francs, soit une forte aggravation par rapport à 1995, où il n'atteignait « que » 10,45 milliards de francs, alors qu'il se monte aujourd'hui - vous l'avez dit à cette tribune, monsieur le ministre - à 21 milliards de francs.
La loi relative à la famille prévoyait deux grands types de dispositions : les mesures à destination des jeunes adultes et l'aide à l'accueil des jeunes enfants, avec l'extension de l'APE, l'allocation parentale d'éducation, dès le deuxième enfant, ainsi que l'amélioration de l'AGED, l'allocation de garde d'enfant à domicile, et l'AFEAMA, l'aide aux familles pour l'emploi d'une assistance maternelle agréée à domicile.
Selon les prévisions, le coût supplémentaire pour la branche famille de ces trois dispositions devait être de 2,9 milliards de francs en 1995, de 5,5 milliards de francs en 1996 et d'environ 10 milliards de francs à la fin de la montée en charge. Or, dès le deuxième semestre de 1995, on a pu constater un surcoût que l'on évalue à 3 milliards de francs en 1996 et à 3,7 milliards en 1997. Ainsi, les dépenses supplémentaires engendrées par la mise en oeuvre de la première étape de la loi pourraient atteindre plus de 14 milliards de francs, selon le rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale de juin 1996. N'est-ce pas cependant pour le bien de nos familles ?
A cet égard, la commission souhaite faire une remarque qui corrige cette optique purement financière.
Si le premier volet de cette loi est aussi coûteux, c'est qu'il correspond bien à un besoin, notamment de la part des femmes qui souhaitent s'arrêter de travailler pour pouvoir s'occuper de leurs enfants, et qui ne le pouvaient pas auparavant pour des raisons financières. L'allocation parentale d'éducation dès le deuxième enfant a donc été positive pour la famille et la vie de famille. En revanche, les chiffres un peu secs qui viennent d'être évoqués consacrent plutôt l'échec des prévisionnistes. Avant de prendre une décision, peut-être faut-il plus souvent aller au bout de la prévision !
S'agissant toujours de l'APE, la commission des affaires sociales a souhaité porter à la connaissance de la Haute Assemblée un chiffre extrêmement significatif : actuellement, 45 % des femmes accouchant d'un deuxième enfant, soit presque une femme sur deux, demandent cette prestation, que cela soit à taux plein, soit 35 %, ou à taux partiel, soit 10 %, selon leurs ressources. Cette proportion est encore plus importante pour les femmes ayant des revenus modestes - et tant mieux ! - dans les moyennes et petites agglomérations et, surtout, dans les régions touchées par le chômage. La CNAF souligne, à cet égard, l'aspect transfert entre les prestations de chômage et l'APE. Chacun voit bien le mécanisme.
D'après une étude de la CNAF, les régimes de sécurité sociale ont dépensé, en 1995, pour l'APE dès le deuxième enfant un peu moins de 2,4 milliards de francs, dont 2,1 milliards de francs pour l'APE à taux plein, alors que les prévisions tablaient sur 1,6 milliard de francs, dont 1,05 milliard de francs pour l'APE à taux plein. Donc, pour cette dernière, les dépenses, dès 1995, sont doubles de ce qui avait été envisagé, ce qui est considérable.
La montée en charge de l'AGED a été tout aussi impressionnante, avec une augmentation de 88,6 % entre le quatrième trimestre 1994 et le quatrième trimestre 1995, soit en une année. Globalement, pour 1996, l'AGED devrait atteindre 1,6 milliard de francs. Pour 1997, son montant total est évalué à 1,86 milliard de francs, soit un doublement par rapport à 1995.
Concernant l'AFEAMA, pour la dernière période connue, c'est-à-dire de mars 1995 à mars 1996, le taux de croissance du nombre des bénéficiaires est de 20,46 %. Sur le plan des montants, on peut constater que, entre 1994 et 1997, si l'on en croit les prévisions, cette prestation devrait connaître un quasi-doublement, passant de 4,18 milliards de francs à 8,1 milliards de francs. Mais - je le rappelle - c'est pour nos familles.
Ainsi, globalement, l'application du premier volet de la loi relative à la famille, quels que soient ses mérites - et ils sont très importants, comme la commission des affaires sociales l'a déjà souligné - semble à l'origine d'une dérive financière due à de mauvaises prévisions, ainsi que je l'ai dit au début de mon propos. La commission souhaite donc fortement que cela ne conduise pas à remettre en cause la mise en oeuvre de la deuxième partie de cette loi à destination des jeunes adultes, car elle lui semble tout à fait nécessaire.
La Cour des comptes, dans son dernier rapport, a, par ailleurs, analysé l'ensemble du dispositif d'aide à la petite enfance et a soulevé questions et problèmes.
S'agissant de l'AGED, la Cour des comptes a conclu que cette aide était d'autant plus intéressante que le ménage, la famille, considéré était aisé et qu'il pouvait également bénéficier de la réduction d'impôt d'un montant maximal de 45 000 francs. Elle a déploré, par ailleurs, que la revalorisation de l'AGED en 1994 soit intervenue sans évaluation préalable et que les conditions d'ouverture du droit restent complexes. S'agissant de la pertinence du cumul entre l'AGED et la réduction d'impôt, ainsi que sur les modalités d'accès, la commission aimerait entendre votre sentiment, monsieur le ministre.
Concernant l'AFEAMA, la Cour des comptes a constaté - c'est un vrai problème selon la commission - le manque de coordination entre les CAF et les départements qui ne communiquent pas à celles-ci les décisions d'agrément des assistantes maternelles.
Sur le plan général de la concurrence entre accueil individuel et hébergement collectif, la Cour des comptes s'est interrogée sue les conséquences de l'accroissement des aides individuelles quant à l'équilibre financier des structures collectives. Il convient, toutefois, selon la commission, de relativiser ce problème dans la mesure où, d'une part, l'écart reste important entre le nombre de places de crèches et celui des bénéficiaires de l'AGED, et où, d'autre part, la pénurie de places de crèches subsiste dans certaines villes. Ainsi, on peut espérer que l'amélioration des aides individuelles, sans que cela soit encore globalement mesurable, a pu permettre de libérer des places de crèches pour les familles les plus modestes.
Le constat de la Cour des comptes qui, bien sûr, ne met en lumière que les problèmes et non les succès, invite cependant à la réflexion.
En deuxième lieu, les dispositions relatives à la politique familiale du plan dit « plan Juppé » trouvent leur prolongement dans les mesures contenues dans le présent projet de loi ou annoncées dans ce cadre et sont accompagnées d'un nécessaire mécanisme de concertation, la conférence de la famille.
La commission des affaires sociales ne vous rappellera pas dans le détail, mes chers collègues, les dispositions du plan du 15 novembre 1995 concernant la famille, mises en oeuvre par l'ordonnance du 24 janvier 1996. Elle mentionnera simplement qu'elle n'avait pas été favorable à la mise sous condition de ressources de l'ensemble de l'APJE, l'allocation pour jeune enfant. S'il est trop tôt pour dresser un bilan de la mesure, il semble néanmoins qu'elle ait engendré plus d'économies que prévu - 730 millions de francs au lieu de 600 millions de francs attendus initialement - ce qui pourrait signifier que les familles exclues sont plus nombreuses que ce qui avait été envisagé à l'origine. J'espère, monsieur le ministre, que vous pourrez dissiper cette inquiétude.
La non-revalorisation de la base mensuelle des prestations familiales a, quant à elle, permis d'économiser autant que prévu, soit 2,6 milliards de francs. C'est un effort important, dans la situation difficile que nous connaissons, qui a été demandé aux familles.
La commission des affaires sociales se félicite de constater que l'assujettissement à l'impôt sur le revenu des prestations familiales, d'abord envisagé, n'a finalement pas été mis en oeuvre par le Gouvernement.
S'agissant de ce que le plan du 15 novembre 1995 appelait « la rationalisation des prestations familiales », l'économie envisagée de 600 millions de francs ne sera qu'en partie réalisée, dans la mesure où le Gouvernement a renoncé, après les remarques de la commission des affaires sociales en janvier 1996, à la réduction des délais de prescription.
Quant à la cinquième disposition, elle concernait la rationalisation des aides au logement. Cette mesure, qui devait permette d'économiser 1,2 milliard de francs, n'a finalement engendré qu'une économie de 900 millions de francs.
La sixième disposition était relative à la contribution de la branche aux mesures d'économie de gestion, qui devrait être de 272 millions de francs.
Enfin, l'accroissement des taux de cotisation d'allocations familiales pour l'ensemble des entreprises publiques de 4,8 % à 5,2 % à compter du 1er janvier 1996 n'est finalement pas entré en application.
Les dispositions, peu nombreuses, qui concernent la branche famille dans le présent texte et celles qui ont été annoncées dans ce cadre se situent dans le prolongement du plan du 15 novembre 1995.
Si la commission des affaires sociales a jugé certaines d'entre elles positives, elle s'est interrogée sur les conséquences, pour les familles modestes, de la réforme des aides au logement. Elle a, en effet, relevé deux aspects positifs : tout d'abord, il s'agit de l'application aux entreprises publiques et à l'Etat du taux de cotisation pour les allocations familiales de 5,2 % à compter du 1er janvier 1997, dont elle vient de dire qu'elle n'avait pas été mise en oeuvre en 1996. Elle s'est, à cet égard, demandé quand les entreprises publiques et l'Etat rejoindraient le taux de droit commun, à savoir 5,4 %. Ensuite - et c'est la mesure la plus importante - le présent projet de loi de financement prévoit l'extension de l'assiette de la CSG, ce qui permettra à la branche famille de se voir affecter 3,1 milliards de francs supplémentaires.
A côté de ces recettes supplémentaires, figurent deux mesures ayant trait globalement aux aides au logement.
Ainsi, l'article 33 du présent projet de loi prévoit une harmonisation avec le RMI de la prise en compte des aides au logement dans les ressources qui sont prises en considération pour l'attribution de l'allocation de parent isolé.
Par ailleurs - mais cela est d'ordre réglementaire - une réforme des aides au logement a été annoncée. Celle-ci, qui permettrait d'économiser, en 1997, environ 600 millions de francs, consisterait, notamment, à unifier les deux aides personnalisées au logement APL 1 et APL 2. Or cette réforme a suscité certaines interrogations, voire des critiques.
Le conseil d'administration de la CNAF a émis un avis défavorable sur ce projet de réforme, dans la mesure où, selon lui, il risquait d'avoir un « impact à la baisse » pour les familles modestes. Le président de la CNAF, M. Jean-Paul Probst, m'a d'ailleurs fait part de ses inquiétudes lors des auditions préparatoires devant la commission, des affaires sociales.
M. Probst a notamment déploré le fait que, alors que cette réforme doit entrer en vigueur le 1er janvier 1997, la CNAF ne connaisse pas encore les nouveaux barèmes des aides au logement, qui ne lui seront communiqués qu'à la fin du mois de novembre. Ce délai lui est apparu trop court, tant sur le plan informatique que sur le plan de la formation des personnels, alors même que son conseil d'administration avait dû se prononcer sur le bien-fondé de ladite réforme sans en connaître les tenants et les aboutissants. Compte tenu de ce qui vient d'être dit, monsieur le ministre, pensez-vous réellement que la réforme pourra entre en vigueur au 1er janvier 1997 et pouvez-vous nous rassurer quant aux conséquences de cette réforme ?
Par ailleurs, la loi n° 94-624 du 25 juillet 1994, relative à la famille, a, par son article 41, institutionnalisé une conférence nationale annuelle de la famille. Mais ce n'est que le 6 mai 1996 qu'a été effectivement réunie cette conférence pour la première fois depuis le vote de cette loi. A cet égard, la commission des affaires sociales a estimé que le Parlement aurait pu être plus étroitement associé à celle-ci ainsi qu'aux groupes de travail constitués à son issue.
Elle considère également qu'une telle manifestation instaure un mécanisme de concertation et d'échange nécessaire pour l'élaboration d'une politique familiale ambitieuse pour l'avenir de notre pays. Elle a donc souhaité que soit solennisée cette instance de concertation en inscrivant son principe au sein du code de la famille et de l'aide sociale.
Quant à la réunion du 6 mai 1996, elle a été suivie par la mise en place de cinq groupes de travail qui accomplissent une tâche importante et qui doivent remettre leurs conclusions à la fin du mois de novembre ou au début du mois de décembre. A cet égard, j'exprime un regret : notre commission aurait souhaité pouvoir disposer de ces conclusions avant de se prononcer sur le présent projet de loi.
En conclusion, la commission des affaires sociales estime qu'il conviendra d'être vigilant sur les conséquences de la réforme des aides au logement. Vous me rétorquerez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que cela n'entre pas tout à fait dans vos attributions. Mais nous en reparlerons !
Par ailleurs, la commission souhaite que les aides à la petite enfance soient revues dans un sens de plus grande simplicité, de meilleure lisibilité et de plus grande équité. Elle souligne, à cet égard, la nécessité de mettre en oeuvre le plus tôt possible le deuxième volet de la loi relative à la famille concernant les aides aux jeunes adultes, tout en étant attentive à la dérive financière de l'application du premier volet de celle-ci.
Cependant, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, eu égard à l'amélioration des ressources de la branche famille, grâce à l'élargissement de l'assiette de la CSG qui permettra à ladite branche de bénéficier de 3,1 milliards de francs supplémentaires, la commission des affaires sociales s'est déclarée favorable au présent projet de loi.
Cela étant, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, tous ces chiffres arides ne représentent que des moyens. Ne perdons pas de vue le côté humain que constituent nos familles ! Je remercie à cet égard M. Fourcade de m'avoir confié ce rapport, me permettant ainsi de m'exprimer sur le sujet qui me tient le plus à coeur - et j'en suis fier ! - à savoir, précisément, la famille.
Toute ma vie, j'ai considéré - et je n'ai pas peur de le répéter - que la famille était la cellule de base de la société. Cela semble ringard aujourd'hui, mais, si la réalité actuelle s'est trop éloignée de cette valeur, de grâce ! ne soyons pas trop négatifs. Sans gommer les difficultés de la vraie vie familiale, l'amour au sein de la famille, cela existe, même si nous devons parfois déplorer certaines violences. Mais notre silence à tous n'est-il pas complice de toutes ces difficultés ? Au demeurant, questionnez toutes les personnes qui sont le vendredi soir sur les routes, demandez-leur où elles vont : toutes vous répondront qu'elles partent retrouver leur famille, qu'elles vont « en famille ».
C'est dans cet esprit positif que la commission des affaires sociales vous propose d'adopter le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale, dans ses dispositions relatives à la famille et aux prestations familiales. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Vasselle, rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des affaires sociales pour l'assurance vieillesse. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, dans un monde extrêmement incertain où la perspective du chômage angoisse les moins de soixante ans mais où l'inflation a été maîtrisée, les retraités peuvent apparaître, aux yeux de certains, comme des nantis dans la mesure où, précisément, ils ont des revenus garantis et non sujets à l'érosion monétaire. Or la situation globale des retraités n'est rien moins qu'homogène, même si les trente dernières années ont vu le niveau de vie général s'améliorer.
En même temps, les retraités souhaitent une plus grande reconnaissance institutionnelle, par exemple une participation au Conseil économique et social. Le Président de la République, M. Jacques Chirac, vient d'ailleurs de leur donner satisfaction sur ce point, lors du cinquantenaire de cet organisme. L'ensemble des retraités souhaitent en tout cas être davantage consultés sur les mesures qui les concernent.
La commission des affaire sociales a souhaité faire le point sur la situation des retraités. Elle a ensuite examiné la mise en oeuvre des dispositions concernant l'assurance vieillesse incluses dans le plan du 15 novembre 1995, avant de s'interroger sur l'intérêt de la création d'une conférence des retraités en tant qu'instance de consultation, par référence à la conférence de la famille dont vient de parler M. Machet et à celle de la santé, qui existe déjà.
Enfin, dans la mesure où nous avons examiné fort récemment la proposition de loi relative à la prestation spécifique dépendance, dont le président de la commission des affaires sociales, M. Fourcade, et moi-même étions signataires, nous avons souhaité poser quelques jalons pour l'avenir.
Ainsi, il nous a semblé essentiel que soient accrues l'efficacité et la cohérence des actions des différentes caisses de sécurité sociale à destination des personnes âgées dans le cadre de la coordination des aides prévues par la proposition de loi précitée.
Mais nous avons également considéré, sans remettre en cause le financement des régimes de retraite légaux, que devraient être prises des initiatives favorisant la prévoyance individuelle, en particulier en matière de dépendance, toutes initiatives qui pourraient trouver leur place au sein de la future loi sur l'épargne-retraite.
Je souhaiterais faire le point avec vous, mes chers collègues, sur la situation actuelle des personnes âgées.
Quelles sont les conséquences de la réforme des retraites du régime général ? Si l'indexation sur les prix à la consommation, mise en oeuvre dès 1987, a eu immédiatement un impact positif important sur la situation financière de la CNAVTS, deux autres dispositions, consistant l'une à passer à cent soixante trimestres, l'autre à prendre en compte les vingt-cinq meilleures années pour obtenir une retraite à taux plein, ont été très progressives dans le temps et n'ont eu au départ que peu d'influence sur le solde financier de la CNAVTS. L'impact de ces deux dernières mesures devrait cependant s'accroître progressivement au fil des années et s'élever, selon la commission des comptes de la sécurité sociale, à 1 milliard de francs en 1996 et 1997.
Selon le rapport annexé au présent projet de loi, cet impact atteindrait 4 milliards de francs en l'an 2000 et 28 milliards de francs en l'an 2010. Cela paraît tout à fait considérable !
Toutefois, l'équilibre à long terme de la branche vieillesse ne sera pas pour autant rétabli. A cet égard, il est permis de se demander si les dispositions de la loi du 22 juillet 1993, nécessaires et courageuses, seront suffisantes. Nous connaissons à cet égard une situation assez préoccupante, qui est liée à celle des autres régimes.
Sur ce point, permettez-moi de rappeler que, si le régime général a connu les réformes indiquées et si les régimes conventionnels complémentaires tels que l'AGIRC et l'ARRCO se sont engagés depuis 1993 sur la même voie douloureuse, il n'en a pas été de même pour tous les régimes spéciaux, qui connaissent déjà ou sont appelés à connaître des situations extrêmement difficiles. Nous nous en sommes ouverts avec vous, monsieur le ministre, en commission des affaires sociales et vous êtes convenu vous-même, lorsque nous avons abordé le problème de la surcompensation vis-à-vis de la CNRACL, qu'au-delà des questions que pose ce financement il faudrait également aborder les problèmes dans leur ensemble. Même si nous avons décidé de prendre un peu de recul, nous n'esquiverons donc pas, un jour ou l'autre, le débat sur les régimes spéciaux.
D'une manière générale, dans une perspective qui se situe à l'horizon 2010-2015, comme pour le régime général, le rapport du plan de l'an dernier, dit « Briet », fait apparaître une dégradation plus ou moins importante selon le régime du rapport entre cotisants et retraités. Comme vous nous l'avez dit tout à l'heure, monsieur le ministre, cette dégradation résulte d'une baisse des cotisants et d'un accroissement du nombre des retraités. Seuls les régimes de la SNCF et des exploitants agricoles enregistrent une baisse du nombre de leurs retraités, alors que l'action combinée des deux paramètres précités compromet lourdement la situation de la CNRACL et celle des fonctionnaires.
Lors de la discussion des articles seront abordés les problèmes très actuels de la CNRACL, bien connus du président de notre commission, M. Fourcade.
Les difficultés du régime des fonctionnaires viennent par ailleurs d'être soulignées dans un récent rapport de la commission des finances de l'Assemblée nationale, dit rapport « de Courson ». En effet, globalement, sur l'ensemble de la période, le nombre des fonctionnaires et des cotisants à la CNRACL va se stabiliser, alors que le nombre des retraités croîtra de 80 % pour le premier régime et sera multiplié par 2,8 pour le second.
C'est en raison de ce constat extrêmement préoccupant que, sur la proposition de notre président, M. Fourcade, notre collègue M. Descours nous présentera, au titre de la CNRACL, un amendement qui tend à plafonner la contribution de cette caisse.
S'agissant des cotisants des régimes complémentaires, il convient de noter que l'évolution de l'ARRCO est quasiment identique à celle du régime général, alors que l'AGIRC voit l'évolution de ses cotisants liée à l'évolution du taux d'encadrement, qui devrait continuer à croître, mais moins fortement que par le passé. Parallèlement, le nombre des retraités affiliés à l'AGIRC croîtra fortement.
Globalement, à partir de 2005, et surtout de 2010-2015, l'AGIRC et l'ARRCO, qui ne comptabilisent pas leurs retraités âgés de moins de soixante-cinq ans - l'effet est donc décalé dans le temps - subiront le choc de l'arrivée à l'âge de la retraite des enfants du baby boom, et ce même si les deux régimes ont signé, ces dernières années, un certain nombre d'accords visant à pérenniser leur système. Les partenaires sociaux sont donc invités à continuer dans la voie de la réforme.
J'en viens à la mise en oeuvre des mesures contenues dans le plan dit « Juppé ».
Hormis la mesure de rattrapage négatif de 0,1 % au 1er janvier 1996, qui sera évoquée plus avant, l'essentiel des mesures réellement appliquées dans le cadre du plan Juppé pour « redresser » les comptes de la branche vieillesse du régime général n'ont pas eu d'influence sur la situation financière des retraités alors que, c'est là le paradoxe, une partie de ces derniers ont, en fait, contribué à la résorption du déficit de la CNAMTS par l'accroissement de leur cotisation maladie, au 1er janvier 1996, de 1,2 %.
Trois dispositions du plan du 15 novembre 1995 concernaient la branche vieillesse.
Tout d'abord, il était envisagé de déroger au mode de revalorisation des retraites institué par la loi du 22 juillet 1993 relative aux pensions de vieillesse et à la sauvegarde de la protection sociale. Il était donc prévu de revaloriser les pensions de retraite uniquement en fonction de l'évolution des prix prévisionnels pour 1996, soit 2,1 % sans rattrapage. Or l'inflation constatée en 1995 s'est avérée plus faible que prévu, 1,9 %. Il n'y a donc pas eu besoin d'un rattrapage positif.
En fait, au 1er janvier 1996, les pensions de retraite ont été finalement revalorisées de 2 %, ce qui comprenait à la fois l'inflation anticipée, soit 2,1 %, et un rattrapage négatif de 0,1 %, rattrapage que l'on n'a pas complètement appliqué, car il aurait dû être de 0,2 %. Ainsi a-t-on limité la baisse de la revalorisation des retraites de l'ensemble des personnes âgées.
Il est d'ailleurs à noter que, en 1997, le mécanisme légal aurait dû aboutir à un taux de revalorisation de 1,1 % au 1er janvier, résultant d'une inflation prévisionnelle de 1,3 % et d'un rattrapage négatif de 0,2 % au titre de 1996.
Nous avions adopté ce mécanisme, en 1993, à l'occasion de l'examen du texte sur le fonds de solidarité vieillesse. C'est ce que l'on appelle communément l'« effet Chamard ».
En fait, cette revalorisation devrait être un peu supérieure puisqu'elle s'élèvera à 1,2 %. Sans doute, monsieur le ministre, avez-vous voulu ne pas ajouter à l'accroissement des prélèvements sur les retraités !
Ensuite, le plan dit « plan Juppé » prévoyait d'harmoniser les conditions de prise en compte des durées d'activité pour le calcul des droits à pension. Toutefois, cette disposition n'a finalement, pas été mise en oeuvre, car la parfaite coordination entre régimes qu'elle supposait a soulevé d'importants problèmes qui ne sont pas apparus, pour le moment, solubles. Peut-être, pourrez-vous nous donner de plus amples explications à cet égard, monsieur le ministre.
La troisième disposition concernait le fonds de solidarité vieillesse, le FSV, qui devait augmenter sa contribution à la branche vieillesse au titre des validations de période de chômage de 50 %. Cette disposition a rapporté à cette branche 11 milliards de francs, en 1996, et elle lui en rapportera autant en 1997. C'est là le résultat du passage du taux de compensation des cotisations des non-indemnisés de 60 % à 90 % et de l'allégement de la dette de 11 milliards de francs que nous faisions supporter à titre transitoire au fonds de solidarité vieillesse. Cela correspondait au financement du cumul du déficit constaté des années antérieures, financement qui, aujourd'hui, est assuré par la contribution au remboursement de la dette sociale.
J'ai dit au début de mon propos qu'il serait peut-être bon d'envisager l'instauration d'un mécanisme de concertation préalable en matière de vieillesse. Dans la mesure où il existe désormais une conférence nationale de la famille, une conférence nationale de la santé, la commission, faisant sienne une proposition qui lui a paru pertinente, soumettra un amendement qui tend à créer une conférence annuelle des retraités, de manière que ceux-ci puissent aborder, avec le Gouvernement, les problèmes relatifs à la vieillesse et aux retraites.
Parallèlement à cette proposition très concrète et dans le droit-fil de ce qu'a proposé le Gouvernement pour la santé, la commission a souhaité examiner les perspectives pour les années qui viennent.
Il faudrait, d'abord, penser à accroître l'efficacité et la cohérence des actions des caisses de sécurité sociale à destination des personnes âgées, conformément à la coordination prévue par le texte sur la prestation spécifique dépendance, texte qui est encore tout frais dans vos mémoires, mes chers collègues, puisque nous l'avons examiné il y peu de temps. Il a en effet paru indispensable à la commission, dans un contexte budgétaire très contraignant, qu'une telle disposition soit valorisée.
A cet égard, l'article 1er A, inscrit en exergue de la proposition de loi instituant une prestation spécifique dépendance, semble tout à fait porteur d'une nouvelle logique : instituer une coordination entre les aides existantes grâce au partenariat des différents acteurs.
Il faut rappeler que les expérimentations en matière de dépendance dans douze départements, inscrites dans la loi de juillet 1994 à l'instigation, je le rappelle, de la commission et de son président, M. Jean-Pierre Fourcade, ont démontré que le partenariat entre les départements et les caisses de sécurité sociale pouvait fonctionner à la satisfaction de tous, y compris des usagers. Le temps n'est plus, selon la commission, aux querelles de compétences et à préférer « un splendide isolement » à une collaboration efficace.
Cette coordination valorisée a d'ailleurs été souhaitée, dans le cadre de la proposition de loi sur la prestation spécifique dépendance, aussi bien par les départements que par la CNAVTS, qui a confirmé, par la voix de son président, M. Jean-Luc Cazettes, sa volonté de rencontrer au plus tôt l'assemblée permanente des présidents de conseils généraux afin de définir ensemble les modalités d'intervention de chacun qui pourront prendre place dans le cadre du cahier des charges que vous arrêterez, monsieur le ministre. Cette coordination peut d'ailleurs être une chance pour les caisses de sécurité sociale, régimes de base et même régimes complémentaires, pour remettre à plat les actions financées par leurs fonds d'action sociale respectifs.
Je précise au passage qu'il est entièrement faux d'affirmer aujourd'hui que le fait d'avoir adopté des dispositions particulières en faveur des personnes âgées au titre de la prestation spécifique dépendance va entraîner ipso facto une diminution du concours des caisses à travers leurs fonds d'action sociale au profit de ces mêmes personnes âgées. Bien au contraire, il y aura une meilleure complémentarité entre l'action des conseils généraux et celle des caisses de sécurité sociale, plus particulièrement la branche vieillesse.
Par-delà les initiatives favorisant la prévoyance individuelle qui pourraient trouver leur place au sein de la future loi sur l'épargne-retraite, il semble qu'aujourd'hui, après le dépôt de nombre de propositions de loi dont la commission s'était fait largement l'écho les années précédentes et qui n'avaient pu franchir « l'obstacle » de la séance publique, un texte vienne enfin en discussion.
En l'occurrence, il s'agit de la proposition de loi de MM. Charles Millon et Jean-Pierre Thomas, qui est aussi la synthèse des propositions de M. Jacques Barrot, aujourd'hui présent dans cette enceinte en tant que ministre du travail et des affaires sociales et qui se rappelle sans doute en avoir été le cosignataire.
La discussion générale de ce texte a déjà eu lieu, le 30 mai 1996, et les articles devraient être examinés par l'Assemblée nationale le 21 novembre prochain, dans le cadre de la « fenêtre » mensuelle ouverte aux initiatives parlementaires.
Un texte dans ce domaine est, bien évidemment, souhaitable. Toutefois, il doit d'abord tendre à dissiper nombre d'incertitudes et ne pas contribuer à accroître l'inquiétude de nos concitoyens quant à l'avenir de leurs régimes de retraite de base et complémentaires obligatoires. Les retraites par répartition doivent rester et resteront le socle de notre système de retraite. La loi du 22 juillet 1993 l'a d'ailleurs confirmé sans aucune équivoque.
Dans la mesure où le contenu des proprositions du rapporteur était connu depuis longtemps, le débat du 30 mai 1996 a surtout eu pour objet de permettre au Gouvernement, par la voix de M. Arthuis, ministre de l'économie et des finances, de préciser certains de ses choix. Ainsi, en accord avec les auteurs de la proposition de loi, il s'est déclaré favorable au caractère facultatif des plans d'épargne-retraite, à la sortie en rente et à la présence d'une forte proportion d'actions au sein des actifs de fonds.
En revanche, contrairement à ce que prévoyait la proposition de loi, le Gouvernement, toujours par la voix de M. Arthuis, a souhaité réserver le bénéfice de ces plans aux seuls salariés du secteur privé et exclure la souscription directe desdits plans par les salariés auprès des compagnies d'assurance. Il a également préféré le recours à une gestion externe. Par ailleurs, il n'a pas précisé, pour le moment, les modalités d'un « coup de pouce fiscal » qui pourrait être octroyé aux souscripteurs de ces plans afin de rendre ces derniers plus attractifs.
Sur ce point, la commission exprime un voeu ; c'est que, lors de l'examen des articles de cette proposition de loi ou lorsque celle-ci sera soumise à la Haute Assemblée, une disposition du type de celle qu'avait présentée notre collègue Jean Chérioux, dans le cadre de la discussion de la prestation spécifique dépendance, concernant les contrats d'assurance dépendance puisse être examinée favorablement.
Vous aviez demandé à M. Chérioux de retirer son amendement, monsieur le ministre, en déclarant que cette disposition serait examinée dans le cadre de la proposition de la loi sur le plan épargne-retraite.
Nous aimerions que vous puissiez nous confirmer aujourd'hui la volonté du Gouvernement d'aller dans ce sens, car c'est ce que souhaite le Parlement. S'il n'était pas opportun de prendre en considération la proposition de M. Chérioux lorsqu'il l'a présentée, si tel n'est toujours pas le cas dans le présent projet, peut-être pourrez-vous à tout le moins nous donner quelque assurance ou quelque apaisement pour dissiper notre inquiétude, voire nous annoncer que, après consultation avec votre collègue Jean Arthuis, une diposition sera présentée au moment où nous examinerons la proposition de loi.
En conclusion, mes chers collègues, face à ce texte important, qui est soumis au Parlement pour la première fois, la commission prend acte de la volonté du présent Gouvernement de rompre avec certains errements du passé.
Aussi, sous réserve que soient adoptés deux amendements, dont j'ai parlé tout à l'heure, l'un ayant trait à la création d'une conférence nationale des personnes âgées, l'autre au financement de places de services de soins infirmiers à domicile - lors de l'examen de la proposition de loi sur la prestation spécifique dépendance, vous avez accepté, monsieur le ministre, que soient financées dès à présent 2 000 places sur les 4 300 places restant à financer - la commission vous propose, mes chers collègues, d'adopter le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Je ne doute pas que nous serons nombreux à le faire ; si nous pouvions être unanimes, ce serait parfait. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste et sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Oudin, rapporteur pour avis.
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale que nous examinons aujourd'hui est le premier du genre. Il nous est présenté par le Gouvernement en application de la révision constitutionnelle du 22 février dernier, qui donne enfin au Parlement la faculté de se prononcer chaque année sur les perspectives financières de la sécurité sociale.
C'est un des points forts de la réforme annoncée par Alain Juppé, le 15 novembre 1995. Un an plus tard - notre collègue Charles Descours l'a dit tout à l'heure - cette réforme est en marche : la Constitution a été révisée, cinq ordonnances ont été prises, quarante décrets sont soit publiés, soit en concertation, comme nous l'a précisé M. le ministre lui-même.
Nous ne pouvons que nous féliciter de l'innovation juridique constituée par les lois de financement de la sécurité sociale, que, pour ma part, je souhaitais depuis longtemps. J'avais d'ailleurs déposé, dès 1994, une proposition de loi en ce sens.
L'instauration des lois de financement de la sécurité sociale ne marque pas simplement un renforcement des pouvoirs du Parlement sur la sécurité sociale ; elle constitue l'amorce d'un changement profond de l'organisation et de la logique de notre système même de sécurité sociale.
Elle marque également le début de la remise en ordre des comptes de la sécurité sociale. La Cour des comptes, comme nous l'avons souhaité, a désormais, depuis 1994, un rôle majeur dans le contrôle des comptes sociaux. Cette réforme a été fortement défendue par la commission des finances. Les observations de la Cour contribueront à la rationalisation du cadre comptable des organismes de sécurité sociale. Permettez-moi d'insister sur ce point, car il n'est jamais possible d'avoir des politiques justes sans des comptes clairs.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Ça, c'est vrai !
M. Jacques Oudin, rapporteur pour avis. A cet égard, j'ose espérer, monsieur le ministre, que le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale et ses annexes pourront être présentés en droits constatés, comme nous le demandons depuis longtemps.
Je souhaite également que les structures et les moyens de la Cour des comptes soient adaptés à cette nouvelle tâche. N'oublions jamais que la Constitution assigne à cette juridiction, parmi ses différentes missions, celle d'éclairer le Parlement.
Pour ma part je souhaiterais qu'une chambre spéciale soit dédiée au contrôle des comptes de la sécurité sociale.
L'instauration des lois de financement doit également permettre de dédramatiser la question du déficit de la sécurité sociale. Par le passé, cette question a trop souvent été abordée dans un climat d'urgence et de polémique. En l'absence de tout mécanisme assurant un équilibre a priori entre les dépenses et les recettes sociales, il est bien normal que les ajustements interviennent régulièrement chaque année. Il n'en va pas autrement pour le budget de l'Etat.
Le présent projet de loi de financement contient ainsi un certain nombre de mesures ponctuelles destinées à réduire d'environ 16 milliards de francs le déficit tendanciel des régimes de base de sécurité sociale en 1997.
A cet égard, il me faut toutefois regretter, au nom de la commission, monsieur le ministre, que la solution consistant à augmenter les recettes l'ait emporté, une fois encore, sur la stabisitation, voire la réduction, des dépenses. Certes, c'était nécessaire, nous le savons, mais nous souhaitons que ce soit au moins la dernière fois.
Depuis plusieurs décennies, nous augmentons régulièrement les prélèvements sociaux, qui sont passés, en vingt-cinq ans, de 13 % à 25 % du produit intérieur brut marchand.
Nos concitoyens commencent à être de plus en plus allergiques à toute augmentation d'impôts, de taxes ou de contributions diverses. Notre économie supporte de moins en moins ces charges que nous devons alléger périodiquement dans certains secteurs, car elles pèsent sur les salaires et sur l'emploi.
Il est significatif que le débat d'ensemble sur l'avenir de notre système de protection sociale à l'Assemblée nationale ait été perturbé, voire occulté, par la question des taxes sur les alcools ou les casinos, ce qui n'était certainement pas le point le plus important !
Pour le futur, nous devons impérativement fixer comme objectif aux lois de financement de la sécurité sociale qui se succéderont la stabilisation de la part des prélèvements sociaux dans la richesse nationale. Nous avons atteint l'un des niveaux les plus élevés des pays occidentaux, ce niveau doit nous suffire désormais pour assurer une solidarité efficace et durable.
Cela suppose que nous conservions toujours une vision globale des prélèvements obligatoires, qu'ils soient fiscaux ou sociaux, vision qui n'apparaît pas suffisamment dans ce projet de loi de financement.
La récente séparation entre les prélèvements fiscaux, dont la commission des finances est saisie, et les prélèvements sociaux, qui relèvent de la commission des affaires sociales, ne me paraît pas satisfaisante et devra certainement être revue.
C'est la raison pour laquelle la commission des finances, mes chers collègues, est réservée sur tout amendement qui aboutirait à aggraver ou à majorer les prélèvements sociaux au-delà de ce qui était prévu par le Gouvernement.
Le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale ne comporte pas d'article d'équilibre afin, si j'ai bien compris, de ne pas officialiser le déficit. Il n'est cependant pas interdit de rapprocher les prévisions de recettes et les objectifs de dépenses.
Ce rapprochement fait apparaître, en 1997, un déficit tendanciel de l'ordre de 44 milliards de francs pour l'ensemble des régimes de base, qui serait réduit à 27 milliards de francs par la loi de financement.
Quant au déficit du seul régime général de sécurité sociale, qui a un caractère tout à fait officiel, il serait réduit, en 1997, et passerait de 47,2 milliards de francs à 30,4 milliards de francs.
Il convient toutefois de relever que cette réduction du déficit est acquise, pour une large part, grâce à des ressources de trésorerie ou à des transferts non reconductibles.
Par ailleurs, les perspectives de moyen terme jointes en annexe laissent espérer un retour à l'équilibre dès 1999.
Ces prévisions ont, certes, la valeur de toute projection macro-économique. La Cour des comptes, dans son deuxième rapport au Parlement sur la sécurité sociale, nous a bien rappelé les limites de l'exercice. Les moins-values sur cotisations qui expliquent le dérapage du déficit en 1996 nous incitent également à la prudence pour l'avenir.
Toutefois, j'estime extrêmement utile que la démonstration soit ainsi faite que le redressement financier de la sécurité sociale peut intervenir dans le cadre d'une ligne politique claire et persévérante qui aboutira à un rythme de progression des dépenses durablement inférieur à celui des recettes.
Monsieur le ministre, vous avez insisté sur ce point et vous avez raison, car c'est là le but qu'il convient de se fixer. Il s'agit d'un objectif politique que nous approuvons, mais qui appelle le maintien d'une grande vigilance et la poursuite des efforts engagés par le plan de redressement et de restructuration actuellement en cours.
La fixation de plafonds de trésorerie pour les principaux régimes constitue une autre innovation fondamentale du dispositif qui nous est soumis aujourd'hui. Ce mécanisme garantit un contrôle véritable du Parlement sur le financement des déficits des régimes de sécurité sociale.
De ce fait, la compétence du Parlement apparaît plus étendue pour les finances de la sécurité sociale que pour celles de l'Etat. Il ne nous reste plus qu'à souhaiter que ce mécanisme puisse ultérieurement être appliqué à l'exécution des lois de finances.
Par le présent projet de loi de financement de la sécurité sociale, il nous est proposé par ailleurs une réforme ambitieuse, qui recueille l'appui et l'accord de la commission des finances : il s'agit de l'élargissement de l'assiette de la contribution sociale généralisée, la CSG, qui permettra de diversifier le financement de la sécurité sociale pour le rendre à la fois plus équitable et moins sensible à la conjoncture économique.
Toutes les modalités de cette CSG élargie ne sont pas également satisfaisantes. Je pense ici au mécanisme d'acomptes de la CSG due au titre de certains produits de placement, qui ne semble pas avoir de justification véritable. Je pense également à l'assiette de la CSG sur les jeux, qui a été définie de façon peut-être trop arbitraire.
Par ailleurs, l'amorce du basculement des cotisations maladie sur cette contribution sociale généralisée à base élargie constitue le préalable financier à la création d'un régime universel d'assurance maladie.
J'appelle toutefois votre attention, monsieur le ministre, sur le fait que ce basculement ne pourra pas être prolongé dans les prochaines années sans une adaptation corrélative de la fiscalité sur les revenus de l'épargne.
Le vote de l'objectif national de dépenses d'assurance maladie proposé par le présent projet de loi de financement donnera le coup d'envoi au nouveau dispositif de régulation des dépenses de santé prévu par les ordonnances du 24 avril 1996.
Fixé à 600,2 milliards de francs pour 1997, cet objectif est volontariste, mais reste réaliste.
Votre rapporteur pour avis est convaincu que la maîtrise des dépenses d'assurance maladie ne peut être que globale et qu'il ne saurait y avoir de maîtrise médicalisée digne de ce nom sans une maîtrise des enveloppes financières globales rendue possible par une amélioration réelle des mécanismes comptables.
Le mécanisme des enveloppes par région, par secteur et par profession apparaît très responsabilisant. Il permet de concilier les stratégies particulières avec les intérêts collectifs. La commission des finances l'avait déjà proposé dès 1992.
La restructuration du système hospitalier est devenue urgente. Il convient de réduire les inégalités dans la répartition géographique des dotations ; elles ont atteint des niveaux qui ne sont plus tolérables.
Dans mon rapport écrit, j'évoque ces inégalités qui, par région et par habitant, évoluent de 1 348 francs en Bourgogne à 2 892 francs en Ile-de-France et à 2 636 francs en Alsace, soit du simple au double. La région des Pays de la Loire, que j'ai l'honneur de représenter, se situe à 1 673 francs seulement. Elle est en avant-dernière position, mais personne ne s'y estime pour autant ni mal soigné, ni mal entouré. Cela nous ouvre des horizons, quand on sait l'importance des excès commis dans d'autres parties du territoire.
Les taux d'évolution des enveloppes régionales devront donc être différenciés, voire négatifs pour certains. Il conviendra d'organiser la mobilité du personnel hospitalier, si la marge offerte par son taux de renouvellement naturel n'apparaît pas suffisante.
Enfin, et j'insiste sur ce point, l'informatisation sera l'un des axes essentiels de la réforme du système de santé. Hôpitaux, cabinets médicaux, caisses de sécurité sociale, assurés sociaux, tous les acteurs sont concernés par cette informatisation, qui conditionne le succès final de la réforme. Seule la généralisation de l'informatique permettra de connaître les coûts de gestion des pathologies dont a parlé tout à l'heure M. Gaymard en disant que l'on ne les connaissait pas tous. Elle permettra également de suivre l'évolution des pratiques médicales et de développer l'information et la formation permanente des médecins.
La commission des finances a, bien entendu, donné un avis favorable à ce premier projet de loi de financement de la sécurité sociale. Elle n'a pas jugé nécessaire d'y apporter des modifications de fond.
Au-delà de son souci de voir se stabiliser le montant des prélèvements fiscaux et sociaux, la commission des finances appelle de ses voeux une mise en oeuvre rapide de tous les aspects du plan de redressement et de restructuration de notre système de protection sociale. Notre attention s'est d'abord concentrée, il est vrai, sur la réforme de l'assurance maladie, car c'est dans ce secteur que résidait la plus grande partie du déficit. Mais il nous faudra avancer davantage dans la définition d'une politique familiale qui, à enveloppe maîtrisée, puisse atteindre les objectifs qui seront définis par la conférence nationale de la famille.
Nous aurons également à régler le problème lancinant de l'équilibre à long terme des régimes spéciaux de retraite, que M. Alain Vasselle vient d'évoquer.
Pour s'en tenir aux seuls régimes de retraite des fonctionnaires civils et des collectivités locales, l'équilibre financier qui existait en 1993 s'est dégradé en un léger déficit, qui atteignait 6,6 milliards de francs en 1995. Ce déficit grossira rapidement, pour atteindre 20 milliards de francs en l'an 2000, 65 milliards de francs en 2005, 100 milliards de francs en 2010 et 150 milliards de francs en 2015, si aucune mesure de redressement n'est prise d'ici là.
Chaque année, le Parlement demandera au Gouvernement de l'éclairer particulièrement sur les perspectives les plus inquiétantes, et j'en ai cité certaines. C'est la raison pour laquelle la commission des finances a souhaité une rationalisation des différents rapports demandés au Gouvernement en complément des annexes financières prévues par la loi organique.
Nous ne pouvons dissocier l'effort que le Gouvernement et sa majorité ont engagé pour réduire le déficit du budget de l'Etat de celui dont nous débattons aujourd'hui et qui a pour objectif de rééquilibrer nos comptes sociaux.
Cette action de redressement est nécessairement globale, même si les contraintes peuvent apparaître différentes. Notre système de protection sociale est fondé sur le principe de la répartition immédiate. L'équilibre financier est donc impératif, à moins de faire supporter aux générations futures la protection sociale des générations actuelles. C'est cette contrainte qui nous a amenés à créer la caisse d'amortissement de la dette sociale et à nous fixer un objectif d'équilibre pour 1999.
La mise en oeuvre du plan de restructuration et de redressement impliquera, pour tous les acteurs et pour tous les bénéficiaires des régimes sociaux, des efforts réels que nous ne mésestimons pas.
Cependant, en aucun cas, le niveau global de protection ne sera réduit. Il s'agit tout à la fois de maîtriser la croissance des dépenses - pour la maladie, 590 milliards de francs cette année ; 600 milliards de francs l'année prochaine - de restructurer, de régionaliser, de responsabiliser davantage afin de dépenser mieux pour sortir de cette logique intenable qui consiste à toujours dépenser plus.
Désormais, le Parlement, comme il l'a souhaité, est un élément clé de la détermination de notre politique sociale et de son équilibre financier.
Nous saluons cette première loi de financement, qui marquera, nous en sommes convaincus, le début d'un redressement durable de notre système de protection sociale. Mais nous savons aussi que ce n'est que le début d'une action en profondeur qui se déroulera sur le long terme et qui a pour objectif final de mieux garantir la protection sociale de nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires sociales.
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. De quoi parlons-nous ? De quoi débattons-nous ? Nous parlons d'une masse de dépenses qui, pour 1997, s'établira, si les prévisions du Gouvernement sont exactes, à 1 685 milliards de francs, et nous débattons pour savoir si le déficit sera légèrement inférieur ou légèrement supérieur à 30 milliards de francs.
Il faut garder ces deux chiffres à l'esprit pour mieux apprécier les ordres de grandeur respectivement du budget de l'Etat - là, nous parlons d'une masse de dépenses d'environ 1 500 milliards de francs - et du déficit, dont nous débattons pour savoir s'il s'élèvera à 280 milliards de francs ou à 290 milliards de francs.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Mes chers collègues, si j'ai tenu à rappeler ces chiffres, c'est pour ramener un peu de réalité dans cet hémicycle et vous inciter à poser les questions de fond qui méritent d'être posées.
En abordant aujourd'hui pour la première fois la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous entamons une véritable réforme de notre système de protection sociale.
Sans revenir sur les observations pertinentes et de grande qualité des quatre rapporteurs, je poserai une seule question : par quels moyens peut-on rééquilibrer le déficit actuel de notre système de protection sociale sans majorer encore les prélèvements obligatoires et sans tomber dans les excès de systèmes privatisés ne garantissant pas à tous nos concitoyens un traitement équitable ?
Pour traiter cette question, je présenterai deux observations préliminaires et j'indiquerai les quatre pistes que, selon moi, le Gouvernement et ceux qui le soutiennent devront emprunter au cours des prochaines années.
Première observation : le déficit de la sécurité sociale n'est pas le fait de la seule assurance maladie, comme on voudrait trop souvent nous le faire croire. Il provient de trois branches sur quatre : la vieillesse, la famille, la maladie, la branche accidents du travail enregistrant un léger excédent. C'est pourquoi il faut apporter le même soin à l'assurance vieillesse et à la politique familiale qu'à l'assurance maladie.
Il est clair que la maîtrise des dépenses d'assurance maladie est beaucoup plus difficile à mettre en oeuvre que la maîtrise des dépenses de vieillesse ou de la famille ce n'est pas une raison pour ne pas s'en occuper.
En ce qui concerne la vieillesse, je me réjouis que l'Assemblée nationale examine prochainement la proposition de loi relative à l'épargne-retraite, parce que celle-ci ne conduit pas du tout à une privatisation de la sécurité sociale, mais correspond à la mise en place d'un troisième niveau de retraite par capitalisation permettant, dans un avenir proche, en 2005, 2010, 2015, de compenser les difficultés de nos systèmes de répartition.
Je souhaite, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous soyez ouverts à ce projet d'épargne-retraite, qui sera, pour beaucoup de nos concitoyens, le complément nécessaire de leur retraite.
Quant à la politique familiale - M. Machet l'a dit avec son coeur et son talent habituels - nous devons avoir le courage d'en ajuster les moyens à nos capacités de financement. La loi, relative à la famille, du gouvernement précédent a été ambitieuse. Elle a, reconnaissons-le, dépassé ses objectifs en matière de dépenses. Elle a donc produit des résultats positifs. Mais nous devons mieux veiller à définir nos priorités en ce domaine.
Développer à tout va les prestations n'est pas le meilleur moyen de garantir la pérennité de celles-ci, surtout lorsqu'elles attirent dans notre pays de nouveaux résidents, qui sont à la recherche désespérée d'une couverture sociale. Il faudra étudier de plus près comment s'applique notre système d'allocations familiales et de prestations familiales à tous ceux qui résident sur notre territoire.
J'en viens à ma deuxième observation. J'ai entendu M. Oudin souligner à juste titre que nous devions maîtriser les équilibres financiers en cessant de majorer les prélèvements obligatoires. Je partage son avis d'autant que - vous l'avez constaté, mes chers collègues, en ce qui concerne la fiscalité locale - nos concitoyens sont las de voir leurs versements majorés. L'effort annoncé de maîtrise des dépenses ne se traduit pas toujours de manière concrète.
Pourtant, la majorité de la commission des affaires sociales a accepté, pour 1997, les quelques recettes supplémentaires proposées par le Gouvernement et en a ajouté d'autres. Elle souhaite ne pas retomber, comme ce fut le cas trop souvent depuis vingt ans, dans le travers du non-remboursement ou de la suppression de prestations.
Dans la période difficile dans laquelle nous sommes en matière d'emplois, d'activités, de revenus, nous considérons qu'il vaut mieux, pour tenter de rééquilibrer à court terme les mécanismes de financement de la protection sociale, faire appel à quelques recettes nouvelles, notamment lorsqu'elles concernent des personnes qui peuvent faire cet effort, plutôt que de supprimer des remboursements de médicaments ou d'opérations chirurgicales, comme on l'a trop fait depuis un certain nombre d'années.
Les recettes nouvelles que vous nous avez proposées, monsieur le ministre, ont fait l'objet de grands débats à l'Assemblée nationale, notamment pour ce qui concerne l'alcool, le PMU ou les courses. Nous n'y reviendrons pas, car nous considérons que les arbitrages effectués à l'Assemblée nationale sont définitifs.
Vous nous proposez des dispositions plus importantes. Par exemple, vous nous proposez de transférer un point de cotisation d'assurance maladie vers la CSG. Je crois que c'est une bonne réforme, car elle permet de majorer les salaires directs dans une proportion faible. Les 8 milliards de francs dont vous avez parlé représentent une somme tout à fait importante pour le développement de la consommation des ménages.
Par ailleurs, vous nous proposez d'étendre et d'harmoniser l'assiette de la contribution sociale généralisée.
Il est un point sur lequel je doute encore, celui de la déductibilité de la deuxième partie de la CSG. C'est un point sur lequel on peut s'interroger et qui, à mon avis, ne peut être étudié que dans la perspective d'une modification complète de notre fiscalité sur le revenu. C'est un point qui fera sans doute l'objet d'autres débats.
Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, vous nous proposez d'essayer de tendre vers l'équilibre progressivement, en deux ans et demi, ou peut-être en trois ans. Quelles pistes pourrions-nous emprunter pour rééquilibrer les comptes de la sécurité sociale, c'est-à-dire pour effacer ce déficit de 30 milliards de francs sur les 1 685 milliards de francs, sans augmenter les prélèvements et sans réduire un certain nombre de prestations auxquelles nous sommes attachés ? Ces pistes sont au nombre de quatre et sont complémentaires.
La première piste, c'est la responsabilisation.
Il faut, bien entendu, engager un débat public et demander à la représentation nationale de se prononcer sur la politique de santé. A ce titre, je remercie M. le secrétaire d'Etat de nous avoir indiqué les grands objectifs de la politique de santé publique. Je constate qu'en examinant ces grands objectifs on peut établir un certain nombre de priorités, on peut essayer de déterminer les secteurs dans lesquels nous pouvons dépenser plus pour améliorer la situation.
J'ai été frappé, monsieur le secrétraire d'Etat, de ce que vous avez dit à propos du décès des jeunes et de la mortalité infantile. Il y a là un certain nombre de domaines dans lesquels il convient de faire des efforts, et je crois que ce débat sera utile, puisqu'il permettra au Gouvernement de préciser des objectifs.
Responsabiliser, c'est aussi impliquer tous les secteurs. Les règles de maîtrise financière ayant déjà été posées, la commission des affaires sociales proposera de les étendre au secteur médico-social. Mais je sais, monsieur le ministre, que vous avez retenu un autre calendrier, lié à la réforme de la loi de 1975. Toutefois, il est clair que dans un pays épris de justice comparative, on ne peut pas imposer des efforts à la médecine hospitalière et à la médecine ambulatoire si, en même temps, on ne traite pas tout le secteur médico-social, peut-être selon des normes différentes. Si l'on encadre, il faut le faire partout, pour éviter les dérapages.
Responsabiliser, c'est aussi impliquer nos concitoyens dans l'effort de maîtrise des dépenses de santé. Dans ce domaine, l'introduction du carnet de santé marque une étape. Nous devons le plus vite possible rendre ce carnet obligatoire.
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Il l'est !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Je comprends que vous ne l'ayez pas mis en place tout de suite, mais je crois qu'il faut aller très vite. Il doit devenir l'instrument d'un dialogue entre le prescripteur et le patient.
La clé de la réussite, c'est la confiance du patient envers son médecin, laquelle tient à la régularité de leurs relations. Dans cette optique, vous avez tout à fait raison de chercher à ressusciter la médecine de famille, mais vous ne devez pas tuer pour autant ce qui fait l'originalité de notre système de santé, qui est fondé sur un strict respect des principes libéraux de l'exercice de la médecine.
Monsieur le ministre, vous avez eu raison de vouloir stopper la baisse constante du niveau de prise en charge collective des médicaments et des soins, à laquelle nous avons trop souvent recouru depuis une vingtaine d'années. Il faut substituer aux déremboursements sauvages une pédagogie de la responsabilité.
La deuxième piste, c'est celle de la contractualisation. Vous l'avez dit vous-même tout à l'heure, monsieur le ministre, les exigences financières du moment ont un peu « grippé » les relations du Gouvernement avec le corps médical. Vous avez souhaité, et vous l'avez répété tout à l'heure, instaurer un dialogue approfondi avec les professions de santé, et la commission a souhaité envoyer elle-même un signal en proposant qu'une réserve soit affectée pour 1997 au financement des mesures nouvelles de santé publique, décidées par l'Etat ou qui résulteraient de négociations conventionnelles.
Comme le disait André Bergeron, dans une négociation, il faut un peu de grain à moudre ! Si nous parvenons à réunir autour d'une table les organismes de sécurité sociale et les médecins afin de dégager quelques masses financières pour améliorer, sur un certain nombre de points, les nouvelles technologies médicales ou faciliter la mise en place de nouvelles thérapies, nous serons allés dans le bon sens, nous aurons revigoré la négociation collective. Je souhaite que les médecins libéraux acceptent de répondre à cet appel.
Quant à la médecine hospitalière, il est clair que les hôpitaux doivent être engagés dans cette logique contractuelle avec l'Etat et la sécurité sociale, mais, là aussi, sans oublier les médecins. On n'arrivera à rien en matière d'économies hospitalières - je le sais parce que j'ai participé à la gestion de deux hôpitaux de tailles différentes - si l'on n'intéresse pas les chefs de service et l'ensemble du personnel médical aux économies de gestion de leur service.
Par conséquent, là aussi, c'est la contractualisation qui s'impose. Certes, les ordonnances ont prévu la conclusion de tels contrats, mais il faut maintenant aller vite.
Enfin, contractualiser, monsieur le ministre, et c'est un point plus difficile, c'est clarifier les relations entre l'Etat et les caisses de sécurité sociale. Il faut bien préciser les responsabilités des uns et des autres pour éviter les mauvaises polémiques comme celles que nous avons vu surgir voilà quelques semaines.
Le Parlement pourrait demander aux conseils d'administration des caisses d'établir des programmes pluriannuels d'économies permettant de nous orienter vers cet objectif de réduction des dépenses, qui me paraît tout à fait essentiel.
Le Parlement serait ainsi saisi, avec les rapports de la Cour des comptes et ceux du Gouvernement, de propositions d'économies parmi lesquelles il pourrait choisir, ce qui lui permettrait de mieux préciser la politique dans laquelle il souhaite s'engager.
La troisième piste concerne la décentralisation. M. Claude Huriet l'a défendue avant moi et il le confirmera sans doute tout à l'heure. Lors de la discussion de la loi hospitalière de 1991 dont il était le rapporteur, nous avions voulu opposer au « tout-Etat » une logique de responsabilité locale.
Personne n'a voulu aller dans cette voie. Pourtant, nos déplacements chez les principaux partenaires de notre pays nous ont convaincus que la maîtrise des dépenses de santé ne peut résulter que d'un rapprochement des acteurs et des décideurs.
A cet égard, le modèle retenu pour la prestation spécifique dépendance dont a parlé notre excellent collègue M. Alain Vasselle tout à l'heure me paraît exemplaire : définir quelques principes forts et pérennes, avoir un filet de sécurité sur le plan national et laisser au niveau local, par la voie conventionnelle, le soin de gérer la prestation me paraissent de nature à nous rapprocher de nos concitoyens et à nous permettre de mieux les servir, au meilleur prix.
On pourrait adopter ces principes pour plusieurs séries de prestations, car je crois que, dans cette maison, nous sommes très nombreux à être partisans d'étendre le domaine de la décentralisation.
J'en viens à la quatrième piste, qui est la plus douloureuse, monsieur le ministre. C'est la piste de la restructuration. C'est en effet la structure même de notre système de protection sociale qu'il faut désormais avoir le courage de remettre en cause.
Restructurer, c'est d'abord cesser de redimensionner l'appareil hospitalier par le seul effet aveugle du budget global. Nous attendons beaucoup des nouvelles missions confiées aux directeurs des agences régionales de l'hospitalisation, mais je crois, que pour faire naître une véritable culture de l'« hôpital-entreprise », il faut aller beaucoup plus loin que la mise en place de ces agences : il faut, là aussi, essayer de restructurer sans détruire, mais de restructurer sur la longue période de manière à avoir des effets mesurés mais efficaces.
De même, les agences devront développer la coopération interhospitalière plutôt que de s'en tenir à proposer de réduire ou de supprimer les moyens des hôpitaux. C'est à la lisibilité de leur démarche que tiendra leur réussite.
Restructurer, c'est aussi mieux utiliser les moyens des caisses. La commission connaît les efforts engagés par ces dernières pour rationaliser leur gestion. Mais nous ne sommes pas tout à fait convaincus qu'elles soient arrivées au terme des opérations de restructuration et d'amélioration de gestion. Des rapports sur l'informatisation des caisses ou leurs mécanismes de fonctionnement montrent qu'il y a encore quelques progrès à faire.
Monsieur le ministre, les collectivités territoriales font, à l'heure actuelle, de gros efforts pour limiter leurs dépenses et améliorer leur gestion ; il n'est pas interdit aux grands organismes de sécurité sociale de faire de même afin de procéder à des économies réelles.
Restructurer, c'est encore achever la réforme de l'assurance vieillesse.
Que cela plaise ou non, le débat sur les régimes spéciaux ne pourra pas être éludé ; il faudra y venir le plus rapidement possible.
Il est temps aussi de clarifier les relations entre les régimes eux-mêmes. Vous savez l'intérêt que je porte à la surcompression financière qui affecte la Caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales. C'est une forme légale d'extorsion de fonds qui s'apparente plutôt à la stratégie du Sapeur Camember, qui creuse un trou pour en remplir un autre, qu'à une véritable gestion des caisses de retraite.
Le texte que vous nous présentez contient des dispositions provisoires pour la CNRACL. Nous vous proposons de mettre en place un système pour le plus long terme, qui évitera que les prélèvements effectués sur cette caisse ne soient décidés au gré de la seule humeur de ceux qui veulent boucher un trou en creusant dans un autre qui est encore de taille modeste.
Voilà, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'Etat, les sujets que je voulais aborder dans cette brève intervention.
D'ores et déjà, il est temps de mettre en chantier la loi de financement de l'année prochaine. Je tiens à vous féliciter, monsieur le ministre, d'avoir tenu vos engagements, d'avoir respecté le calendrier et de nous avoir présenté un ensemble de textes tout à fait important.
Mes chers collègues, pour que le Parlement puisse assumer pleinement les responsabilités nouvelles qui viennent de lui être confiées, il doit avoir le courage d'aider le Gouvernement à maîtriser au plus vite la dérive des dépenses. Il doit aussi avoir la volonté de renouer le dialogue et il doit montrer que la loi de financement de la sécurité sociale, plutôt qu'un acte de puissance publique, est le début d'une concertation très générale, à la fois professionnelle et géographique, sans laquelle nous ne pourrons pas sauver notre protection sociale.
M. Lucien Neuwirth. Très bien !
M. Jean-Pierre Fourcade, président de la commission des affaires sociales. Malgré les tentations qui seront fortes dans les prochains jours de débattre à l'infini de l'articulation des recettes nouvelles ou du calibrage de ce que l'on va prendre à l'un ou à l'autre, je vous demande, mes chers collègues, de faire en sorte que notre débat reste au niveau de cette ambition. Sachons oublier l'accessoire pour nous souvenir de l'essentiel : le système français de protection sociale a été et est encore parmi les meilleurs du monde. Nous devons le sauver avant qu'il ne soit trop tard ! (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Très bien !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République, 71 minutes ;
Groupe socialiste, 62 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 53 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants, 44 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 32 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 28 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Autain. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. François Autain. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, notre assemblée aborde donc aujourd'hui, pour la première fois, la discussion d'un projet de loi de financement qui, désormais, viendra chaque année ponctuer la vie de notre système de sécurité sociale.
Le climat dans lequel s'est ouverte cette discussion est pourtant bien morose. Est-ce la nouveauté de l'exercice ? Est-ce la prise de conscience tardive de sa difficulté, qui confine parfois à l'impossible ? Toujours est-il que l'Assemblée nationale a paru peu empressée d'assumer la nouvelle responsabilité qu'elle avait pourtant choisi elle-même de se confier.
Certes, elle a su retrouver quelque ardeur pour débattre des taxes qui pèsent sur les activités ludiques ou sur les alcools, comme si, en se mobilisant ainsi sur un aspect somme toute marginal de ce projet de loi, elle voulait masquer l'essentiel, à savoir l'incapacité du Gouvernement à financer le déficit de la sécurité sociale, relatif certes, mais important tout de même, après nous avoir promis qu'après l'instauration de la contribution au remboursement de la dette sociale et grâce à sa structure de cantonnement, ce déficit chronique, que tout le monde critiquait, surtout quand vous étiez dans l'opposition d'ailleurs, et dont souffrirait la sécurité sociale, était enfin circonscrit et définitivement vaincu.
M. René Régnault. Hélas !
M. François Autain. Reconnaissons au passage que, de toutes les mesures que comportait le plan Juppé, c'est la CRDS qui a été le plus rapidement et le plus complètement appliquée.
Cet échec - car il faut bien parler d'un échec - en annonce d'autres, au point qu'à l'heure actuelle personne ne se hasarderait à pronostiquer le succès d'un plan dont tout le monde craint qu'il ne soit fondé sur des hypothèses trop fragiles.
Pour mieux comprendre ce scepticisme qui gagne même les rangs de votre majorité, monsieur le ministre, il faut revenir sur un passé récent, au risque d'être contraint de rappeler quelques souvenirs parfois désagréables.
On ne peut s'empêcher, en effet, de voir un symbole dans le fait que nous abordons l'examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale presqu'un an jour pour jour après la révolution annoncée par M. Alain Juppé, le 15 novembre 1995.
Quelle belle journée que cette journée-là, où, chers amis de la majorité, vous étiez bien plus nombreux qu'aujourd'hui, tous debout pour applaudir à tout rompre cet acte révolutionnaire, allais-je dire, disons « refondateur » pour reprendre l'adjectif utilisé par M. le rapporteur.
Malheureusement, il n'a pas fallu beaucoup de jours pour que ce discours triomphant ne débouche sur la plus grande crise sociale connue par la France depuis 1968. Pourquoi ? Tout simplement parce que, au-delà de ceux qui avaient choisi la grève pour protester contre la remise en cause de leurs régimes spéciaux, nos compatriotes constataient que ce plan aggravait les charges qui pesaient sur leurs salaires sans pour autant garantir une quelconque amélioration de leur protection sociale, bien au contraire.
Dans le même temps, on pouvait s'étonner que M. le Premier ministre, qui leur proposait de s'engager dans la voie de la réforme, était celui-là même qui l'avait pourtant refusée quelque temps plus tôt. Comment, en effet, ne pas se rappeler au moins les trois bévues les plus graves d'Alain Juppé lorsqu'il était dans l'opposition ?
La première, c'est d'avoir osé dire, lorsque M. Michel Rocard a institué la contribution sociale généralisée, qu'il ne s'agissait que d'un impôt de plus et d'avoir fait voter l'ensemble de ses amis contre ce projet, à l'exception notable, il est vrai, je le reconnais, de quelques éléments de la majorité sénatoriale dont je salue le courage et la clairvoyance.
M. Charles Descours, rapporteur. C'est pour cela que M. Evin a soutenu Juppé !
M. François Autain. La deuxième bévue, c'est lorsque Pierre Bérégovoy a courageusement tenté de mettre en oeuvre les instruments d'une maîtrise médicalisée des dépenses de santé. On a vu M. Juppé descendre dans la rue au côté des médecins pour laisser croire à la faillite de notre système de santé et dénoncer l'atteinte portée à la dignité du corps médical.
La troisième, qui n'est sûrement pas la moins grave, c'est d'avoir soutenu un programme présidentiel qui promettait, aux médecins en particulier mais aussi à beaucoup d'autres, monts et merveilles, et des lendemains qui chantent !
N'est-ce pas M. Chirac qui, dans un entretien accordé à Impact Médecin Hebdo , déclarait pendant la campagne présidentielle : « Notre approche est sans rapport avec la volonté exprimée par certains de plafonner les dépenses de santé par rapport au PIB. » Je ne sais pas qui était visé dans ces propos, mais force est de constater aujourd'hui que la politique que vous nous proposez, monsieur le ministre, a quand même quelque chose à voir avec ce plafonnement des dépenses de santé que dénonçait le futur président de la République !
La cause profonde de l'échec du plan de M. Alain Juppé, c'est d'avoir opéré ce virage à 180 degrés par rapport à la plate-forme présidentielle, prenant le contre-pied de la politique qu'il défendait quand il était dans l'opposition, suscitant dans son électorat, singulièrement chez les médecins, une réaction de rejet qui a fini par gagner sa personne.
En d'autres termes, l'homme qui avait pris de telles positions ne pouvait pas être celui de la réforme. Il ne pouvait surtout pas être celui de cette réforme-là car, loin de tirer les leçons des erreurs passées, le plan du 15 novembre n'a fait qu'accroître encore l'inquiétude et le scepticisme de nos concitoyens.
Car, enfin, ne nous a-t-on pas promis, voilà un an, de ramener le déficit à 17 milliards de francs cette année pour revenir à l'équilibre en 1997 ? Comment ne pas constater aujourd'hui que c'est un déficit de 51,5 milliards de francs qui est attendu pour cette année, que le trou sera encore de 30 milliards de francs l'an prochain et que l'on n'ose même plus nous parler de retour à l'équilibre avant 1999 ? C'est en tout cas l'année qui est citée dans le rapport.
Pourquoi 1999 ? Pourquoi pas 2000 ou 2001 ? Nous n'en savons rien. Personne ne peut prédire aujourd'hui de façon crédible une telle échéance, le problème de l'heure étant, me semble-t-il, non pas la date de disparition du déficit, mais bien la date et les moyens de son financement. Or, jusqu'à ce jour, vous avez été, monsieur le ministre, il faut bien le dire, d'une discrétion exemplaire, vous abstenant de répondre lorsque la question vous était posée, notamment lors de la dernière réunion de la commission devant laquelle vous avez été auditionné.
Tout à l'heure encore, je vous ai écouté attentivement, sans déceler la moindre esquisse de début de solution à ce problème. Simplement avez-vous consenti à reconnaître qu'il s'agissait là d'un problème de second ordre, ce que vous n'avez pas toujours fait, vous en conviendrez, surtout lorsque vous étiez dans l'opposition ! Combien de fois ne nous avez-vous pas critiqués pour ces déficits ? Vous considérez aujourd'hui qu'un déficit est un problème de second ordre. J'en prends acte.
M. Marcel Charmant. Bonne remarque !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Un déficit transitoire !
M. François Autain. Transitoire, oui, c'est évident ! On verra en 1998 !
Comment, après tout cela, espérer que les perspectives tracées par le projet de loi de financement de la sécurité sociale emportent la conviction ?
Les causes de l'échec du plan sont nombreuses.
La première est, j'en conviens, que les recettes n'ont pas été au rendez-vous. Vous avez beaucoup insisté, monsieur le ministre, sur le triste effet du rétrécissement de la masse salariale sur les ressources de la sécurité sociale. Mais, enfin, si la masse salariale se rétrécit, c'est bien que le chômage s'accroît et que les salaires ne progressent plus !
M. Charles Descours, rapporteur. Par rapport aux prévisions !
M. François Autain. Par rapport aux prévisions, je veux bien le reconnaître.
Si les salaires ne progressent plus, c'est que le succès économique n'est pas au rendez-vous et que votre politique, par voie de conséquence, doit être considérée comme mauvaise, car il n'est plus possible aujourd'hui d'incriminer la conjoncture internationale. En effet, ce sont bien vos choix, après ceux de M. Edouard Balladur, qui font aujourd'hui que la France demeure dans la logique de récession, tandis que ses principaux partenaires occidentaux, les Etats-Unis en tête, aperçoivent le bout du tunnel.
Autrement dit, vous avez organisé la récession en cassant la reprise de l'activité économique par des prélèvements massifs et répétés, dont mon collègue et ami Jean-Luc Mélenchon, qui interviendra tout à l'heure, avait fait la recension à l'occasion du débat sur le projet de loi organique relatif aux lois de financement de la sécurité sociale au moi de juin dernier.
M. Jean-Luc Mélenchon. Excellente référence !
M. François Autain. Citant la Tribune - même datant du mois de juin dernier, cela mérite d'être repris - Jean-Luc Mélenchon disait : « Au hit-parade des hausses d'impôts, le Gouvernement Juppé l'emporte très largement sur son prédécesseur... Pas moins de 126 milliards de francs de prélèvements nouveaux en année pleine ont été décidés depuis juin 1995. Ils ont porté à un record historique le taux de prélèvements obligatoires, qui atteint 47,5 % du PIB cette année, selon le ministère des finances. Et 84 % de ces prélèvements nouveaux pèsent sur les ménages. »
M. Jean-Louis Carrère. C'est normal ! Il est premier partout !
M. François Autain. Dans ces conditions, on comprend que l'annonce d'une baisse des impôts pour 1997 ait plutôt fait un bide, pour employer une expression familière qui veut bien dire ce qu'elle veut dire.
On peut d'ores et déjà parier que les orientations de la loi de finances vont aggraver cette évolution - je devrais même plutôt dire « involution ». En effet, il est question de santé et vous savez qu'en physiologie médicale « involution » veut dire rétrécissement, rétractation d'une cellule ou d'un organe. En l'occurrence, c'est bien de cela qu'il s'agit.
La deuxième excuse avancée pour justifier la médiocrité des résultats obtenus par le Premier ministre, M. Alain Juppé, est que la réforme engagée ne saurait produire ses effets qu'à moyen ou à long terme. Mais que ne l'avez-vous dit et, surtout, prévu plus tôt, monsieur le ministre ? En vérité, si la réforme ne produit aucun effet, c'est parce que, au-delà des apparences, elle n'est pas engagée. Tout se passe comme si l'indice d'application de vos ordonnances évoluait parallèlement à celui de la popularité de notre Premier ministre. Vous comprendrez qu'on finisse par s'inquiéter ! (M. Mélenchon applaudit.)
La troisième cause des déceptions enregistrées serait la résistance de la société française à la réforme. Mais la réforme, monsieur le ministre, n'est pas seulement une affaire d'ambition ; c'est une affaire de concertation ! Votre savoir-faire, que personne ne saurait mettre en doute, se heurte malheureusement trop souvent aux maladresses du chef du Gouvernement.
Après ces quelques rappels nécessaires pour situer le contexte politique, venons-en au projet lui-même, qui paraît, tant sur la forme que sur le fond, constituer une nouvelle étape vers l'échec.
D'abord, les conditions de sa préparation ne sont pas conformes aux engagements. Comment ne pas souligner que la conférence nationale de la santé a été constituée trois jours avant la date prévue pour la conclusion de ses travaux ?
Comment, dans ces conditions, définir une politique de santé publique pour 1997 ? Comment, dès lors, présenter autre chose qu'un texte purement comptable ? Comment, enfin, ne pas en arriver, dans ces conditions, à une annexe si médiocre, si creuse et déconnectée du dispositif que nous avons failli en proposer la suppression pure et simple ?
Puisque nous sommes sur le terrain de la méthode, comment ne pas rappeler ensuite que, en contradiction formelle avec les ordonnances, qui laissent à la concertation le soin de décliner les objectifs légaux, le porte-parole du Gouvernement s'est cru autorisé à faire connaître, avant même que ces derniers aient été adoptés, les intentions du Gouvernement, laissant ainsi bien peu de place au dialogue.
Enfin, pour rester sur le terrain de la méthode, le rapporteur de la commission des affaires sociales pour la famille a regretté de ne pouvoir se fonder sur les conclusions de la conférence nationale pour développer ses propres conclusions.
Il est temps, cependant, d'aborder le fond du dispositif qui nous est proposé.
Commençons par les objectifs de recettes. Si Jean-Paul Fitoussi, directeur de l'Observatoire français des conjonctures économiques, l'OFCE, confirme que c'est la rétractation des recettes qui est en grande partie responsable du creusement du déficit pour 1996, ses conjoncturistes prévoient qu'elle se poursuivra en 1997. Comment, dès lors, retenir pour crédibles les chiffres que vous avancez ? Ce n'est pas l'élargissement de l'assiette de la contribution sociale généralisée ou quelques recettes de poches qui changeront la nature des choses.
Venons-en aux objectifs de dépenses. Vous nous proposez, pour l'assurance maladie, une progression de 1,7 % l'année prochaine. Les perspectives d'inflation et l'évolution de la masse salariale hospitalière font, malheureusement, gravement douter du sérieux d'une telle prévision. La branche famille souffre, quant à elle, du droit de tirage présidentiel de M. Edouard Balladur, le prix de la loi pesant aujourd'hui terriblement sur les comptes.
Quant à l'assurance vieillesse, les premiers effets des quelques mesures finalement tirées de la réflexion ambitieuse engagée voilà quelques années par M. Michel Rocard ne suffisent pas encore à garantir l'avenir du régime général, tandis que les régimes complémentaires sont enfoncés dans les plus graves difficultés.
Le solde n'est donc pas crédible, et la note que vous nous présenterez à la fin de 1997 sera donc sûrement bien supérieure aux 30 milliards de francs de déficit que vous nous annoncez.
Au-delà des chiffres, la condition du réalisme de vos propositions c'est la volonté de mise en oeuvre de votre réforme. Il faudrait, pour parvenir au résultat que vous escomptez, une application effective de la réforme que vous avez annoncée.
Or, s'agissant de la politique de restructuration hospitalière, les instruments font défaut. Les agences régionales d'hospitalisation ne sont pas encore vraiment en place ; dans ces conditions, contrairement à ce que vous espériez, leurs directeurs ne seront pas en mesure, dès 1997, d'agir de façon efficace pour contrarier le court normal des choses.
Autrement dit, la réforme s'est arrêtée aux portes de l'hôpital. Vous n'avez pas cru devoir remettre en cause le mode de nomination des praticiens parce que vous n'osez pas affronter le mandarinat hospitalier. C'est pourtant bien là qu'est la difficulté. L'hôpital n'est pas un lieu où les hommes sont mis au service d'une fonction ; c'est au contraire un lieu où, trop souvent, les moyens sont soumis à l'irresponsabilité des hommes.
Actuellement, l'hôpital public fonctionne comme un appareil de production de soins que l'assurance maladie finance sans pouvoir apprécier la qualité ni l'utilité des soins prodigués. Est-il besoin de rappeler, en effet, que l'opposabilité de références médicales prévue depuis 1993 ne s'applique pas aux hôpitaux ?
L'hôpital doit se réformer de l'intérieur et rechercher les moyens d'améliorer son efficacité par rapport aux coûts. Nombreux sont les spécialistes qui savent que les biens de santé sont trop souvent gaspillés et qui affirment que ce gaspillage peut être aisément endigué. Il ne manque, pour y parvenir, que la volonté. Le gaspillage existe. La plus grande erreur serait de le nier ou de le minimiser ; le plus grand danger, de ne rien faire.
J'évoque rapidement les exemples qu'on cite souvent. Les prothèses peuvent être surfacturées de sept à douze fois leur prix de revient. La dialyse, dont le prix moyen serait de 1 800 francs dans des pays comparables à la France, voit son prix atteindre le double en France, soit 3 200 francs. On pourrait multiplier ces exemples.
Dès lors qu'à l'hôpital rien ne se passe, comment vouloir réformer, dans le même temps, la médecine ambulatoire sans laisser croire aux praticiens qu'ils sont les seules victimes d'une politique qui les désigne comme des boucs émissaires ?
Voilà pourquoi la négociation conventionnelle revêt une importance considérable. Vous êtes aujourd'hui à la croisée des chemins : ou bien, pour répondre à son attente légitime, vous donnez enfin satisfaction à MG France en développant vraiment les filières de soins - et, monsieur le ministre, l'intervention que vous avez prononcée le week-end dernier au congrès de ce syndicat majoritaire chez les généralistes et l'accueil chaleureux qu'elle a reçu semble bien indiquer que c'est cette voie, sans arrière-pensée, que vous voulez emprunter ; vous me direz tout à l'heure si je me trompe - ou bien, cédant aux pressions qu'exerceront les autres syndicats de médecins, vous revenez sur vos engagements du week-end, ce qui ne serait pas une nouveauté, c'est déjà arrivé. Ainsi, le contrat de santé conclu en mars 1991 avec MG France fut rendu caduc par l'hostilité de la CSMF - confédération des syndicats médicaux français - avant même tout début de mise en oeuvre. Dans ces conditions, il en sera fini de la maîtrise des dépenses d'assurance maladie.
On voit bien que ce n'est pas seulement la politique qu'il faut changer ; c'est aussi les hommes qui la conduisent.
Je le redis : la condition de la réussite, c'est l'application de la réforme. La faiblesse politique croissante du chef du Gouvernement vous rend inapte à la poursuivre.
Je sais, monsieur le ministre, que vous me ferez tout à l'heure le reproche de dénigrer à tout prix. Je sais aussi que vous jugerez ce dénigrement d'autant plus injuste que, comme vous l'avez laissé entendre à l'Assemblée nationale, vous dénoncerez une prétendue communauté de vues entre vous et nous sur la réforme de la sécurité sociale. Il est vrai que, au lendemain du 15 novembre 1995, quelques-uns de mes amis ont retrouvé dans les propositions du Premier ministre un assez grand nombre de leurs suggestions pour avoir la faiblesse de croire devoir soutenir son entreprise. Je voudrais, sur le fond, rappeler quelques vérités.
D'abord, monsieur le ministre, la convergence est naturelle quand vous venez vers nous. Qui aujourd'hui nous propose d'étendre le champ d'une contribution sociale généralisée que nous avons créée et que certains de vos amis ont tant critiquée ?
Ne venez-vous pas non plus vers nous quand la plupart des instruments de la maîtrise médicalisée des dépenses ambulatoires contenus dans les ordonnances sont issus des pistes ouvertes par Pierre Bérégovoy en 1992 ?
M. Charles Descours, rapporteur. Le Sénat l'avait votée ; mais pas les socialistes !
M. François Autain. Je n'ai pas dit que vous ne l'aviez pas votée. Mais c'est nous qui en avions pris l'initiative !
Ne venez-vous pas non plus vers nous quand, loin d'abroger la réforme hospitalière de Claude Evin, que vous avez tant combattue, vous en complétez encore les outils ?
Alors, monsieur le ministre, oui, quand vous êtes d'accord avec nous, je le confesse, nous sommes d'accord avec vous.
En revanche, quand vous partez à la recherche désordonnée de recettes nouvelles pour colmater les trous et que votre projet de loi de financement n'a d'autre cohérence que d'empiler les centaines de millions sur les centaines de millions, nous ne vous comprenons plus : où sont vos ambitions en matière d'allègement des prélèvements obligatoires quand leur taux global, je le rappelais tout à l'heure, est aujourd'hui bien supérieur à celui que nous avons laissé ?
Quand vous nous proposez de modifier l'assiette de la contribution sociale généralisée pour trouver quelques sommes supplémentaires, vous ne savez même pas la soumettre à des règles juridiques communes. Vous développez un discours alambiqué, selon lequel une part de la CSG serait un impôt non déductible, fondé sur le principe de solidarité, tandis que l'autre serait une cotisation sociale fiscalement déductible. Comment voulez-vous faire comprendre cela à nos concitoyens ?
Quand vous nous proposez de transférer 1,3 point de cotisation d'assurance maladie vers la contribution sociale généralisée, vous ne dites pas vraiment pourquoi. Souhaitez-vous poursuivre un tel transfert ? Dans quels délais ? N'oseriez-vous pas le dire parce que vous ne voulez pas fâcher votre électorat ? N'oseriez-vous pas le dire parce que l'assurance maladie universelle, qui apparaît comme l'accompagnement naturel d'un tel transfert, est oeuvre trop difficile à entreprendre pour que vous ayez été en mesure de la présenter en même temps, comme vous auriez dû le faire ?
Quand vous nous proposez d'augmenter les taxes sur les alcools pour accroître les ressources de la sécurité sociale sans augmenter, dans le même temps, le montant des crédits consacrés à la lutte contre l'alcoolisme, comment pouvez-vous prétendre nous proposer une vraie politique de santé publique ?
M. René Régnault. Très bien !
M. François Autain. Quand, ayant grappillé ces quelques subsides, vous ne savez pas vous entendre avec votre majorité pour engager un débat sur la nécessaire réforme de l'assiette des cotisations patronales, comment pouvez-vous prétendre donner à nos concitoyens le sentiment que vous êtes animé par une ambition claire et déterminée ? Pourtant, monsieur le ministre, nous sommes prêts, pour notre part, dans la continuité de notre action passée, à vous accompagner sur ces importants sujets.
Mirage de la convergence aussi que de croire que, parce que les instruments que vous utilisez sont ceux que nous proposions, la recette serait la même. Tant de mets différents peuvent être préparés dans la même marmite ! Lorsque mon regretté collègue Charles Metzinger dénonçait le danger de l'étatisation pour s'opposer à votre plan et à l'institution des lois de financement de la sécurité sociale, il était animé par deux craintes.
Il voyait d'abord dans votre démarche - je viens moi-même de le dénoncer longuement - une seule volonté comptable de maîtriser la dérive financière de notre système de protection sociale sans ambition réformatrice.
Il y voyait aussi et surtout un risque grave pour la démocratie sociale qui fonde depuis 1945 la gestion de ce système.
Je reconnais volontiers, monsieur le ministre, que vous n'êtes pas de ceux qui m'inspire une telle crainte, mais vous ne pouvez pas nier que la reprise en main par l'Etat de la gestion de la sécurité sociale n'est pour certains de vos amis qu'une étape. Après avoir tué la démocratie sociale, ils dénonceront le poids du système pour proposer de le privatiser. Comment interpréter autrement les appels d'Alain Madelin à un équilibre financier impossible ? (« Absolument ! » sur les travées socialistes. - Exclamations sur les travées des Républicains et Indépendants et du RPR.)
A ce propos, après avoir dénoncé les fausses convergences, je voudrais maintenant exposer nos vraies divergences.
Enfin, monsieur le ministre, quand les députés de la majorité vont, pas plus tard que la semaine prochaine, aborder la discussion d'une proposition de loi sur l'épargne-retraite, vont-ils faire autre chose que d'engager cette privatisation ? Nous ne refusons pas de débattre des questions fondamentales qu'appelle l'évolution de l'assurance vieillesse. Il reste que le sourd combat que se livrent aujourd'hui banquiers et assureurs révèle bien que l'enjeu n'est pas social. Vous n'avez d'ailleurs pas caché vous-même les réserves que vous inspire cette discussion.
Quand vous ne savez pas réformer l'assurance maladie autrement que par le recours à des recettes purement institutionnelles, vous refusez d'affronter les vraies contradictions de notre système de protection sociale, car l'originalité du système français, sinon sa faiblesse, repose sur le fait que, financées par des crédits publics, les dépenses sont ordonnées, pour une bonne part, par des personnes privées et dispensées par des caisses qui fonctionnent presque à guichet ouvert.
Il faut donc qu'en respectant autant que possible les principes qui commandent leurs conditions d'exercice les médecins acceptent de remettre en cause leur mode de rémunération et de formation. Ils doivent consentir à une limitation de la liberté de prescription, liberté trompeuse d'ailleurs qui, paradoxalement, revient à les placer, souvent à leur insu, sous la dépendance des laboratoires pharmaceutiques, faute d'une formation continue digne de ce nom. (« Eh oui ! » sur les travées socialistes.)
En généralisant l'évaluation et l'expertise des pratiques, les filières de soins répondent en partie à cette préoccupation. Elles doivent être développées. Le carnet de santé et l'informatisation sont les instruments d'une telle évolution pour le patient. C'est vers ces évolutions profondes qu'il faut désormais s'engager plutôt que de chercher à contraindre par l'outil comptable.
J'en viens à la deuxième divergence.
Le budget global, que nous avons institué, a été la première étape de la réforme financière. Tous les chiffres montrent qu'elle a permis, au cours des années quatre-vingt, d'engager un véritable processus de maîtrise des dépenses. Elle appelle désormais une nouvelle étape ; seules les évolutions institutionnelles que j'ai proposées tout à l'heure et une plus grande transparence financière permettront de la franchir. Or les instruments font défaut.
Il faut engager une réforme de la gestion financière des établissements qui repose sur la meilleure allocation des moyens et une responsabilité accrue des acteurs. Une vraie régionalisation apparaît, à cet égard, comme une voie privilégiée. Elle devrait s'articuler, au niveau départemental, avec la médecine ambulatoire, dans la logique des filières de soins, même si celles-ci sont, au début, fondées sur le volontariat.
J'en terminerai en évoquant la divergence qui concerne la politique familiale.
Le gouvernement de M. Edouard Balladur a offert des ponts d'or aux familles nombreuses à hauts revenus tandis que vous vous êtes perdu dans le débat sur la fiscalisation des allocations familiales. Quel spectacle ainsi offert aux familles les plus défavorisées qui, dans le même temps, ont seulement vu diminuer fortement l'allocation de rentrée scolaire ! (Très bien ! sur les travées socialistes.)
Santé, famille, vieillesse, nous ne sommes pas d'accord sur grand-chose, monsieur le ministre. Encore une fois, s'il nous arrive parfois de recourir aux mêmes outils, nous n'en faisons pas le même usage, car nous ne proposons pas aux Français la même politique.
Nous refusons la vôtre parce que nous savons qu'elle mène à l'échec. Nous ne ferons pas avec vous le pari d'un redressement rapide de la sécurité sociale parce que nous ne croyons ni au sérieux de vos prévisions ni à votre capacité de réformer. En un mot comme en cent, nous voterons contre le projet de loi de financement de la sécurité sociale parce que vos choix ne sont pas les nôtres. (Applaudissements sur les travées socialistes.)
M. le président. La parole est à Mme Fraysse-Cazalis.
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de financement de la sécurité sociale qui nous est soumis constitue la stricte application du plan de réforme présenté par le Premier ministre l'an dernier : étatisation de la sécurité sociale, fiscalisation de son financement, dépenses encadrées par le Parlement, alors que le Gouvernement dessaisit les assurés sociaux, rupture avec la logique de solidarité par l'instauration de la séparation des branches, asphyxie du système public hospitalier, culpabilisation des médecins, accusés de prescrire à tort et à travers.
Le mouvement social avait condamné sévèrement ce projet, dont les sondages ont montré qu'il était majoritairement refusé par nos concitoyens.
Malgré cela, et en affichant une autosatisfaction fort peu justifiée, le Gouvernement a poursuivi, en usant des procédés les plus autoritaires, la mise en oeuvre des mesures annoncées.
Des résultats avaient aussi été annoncés : le Premier ministre s'engageait, le 15 novembre dernier, à ramener le déficit à 17 milliards de francs en 1996 et à équilibrer les comptes en 1997. Aucun de ces objectifs n'a été ou ne sera atteint : 51,5 milliards de déficit en 1996 et, pour 1997, le rapport nous annonce un déficit de 47,2 milliards de francs, avant les mesures de redressement supplémentaires, c'est-à-dire de nouvelles taxes !
Ou le Gouvernement s'est trompé, ce qui est déjà grave, ou il trompe l'opinion publique, ce qui l'est encore bien plus. Nous n'avons pas entendu le moindre mot d'autocritique à propos de ce résultat désastreux, mais vous continuez !
C'est ainsi que vous augmentez à nouveau la CSG, que vous aviez tant critiquée lorsqu'elle fut instaurée, tout en vous arrangeant cependant pour en permettre l'adoption ! Aujourd'hui, vous l'élargissez aux revenus de remplacement : aux indemnités journalières de maternité, par exemple. Rien ne vous échappe ! Vous visez jusqu'aux indemnités de licenciement !
Ce projet de loi tout entier est donc bien sous-tendu par une seule logique, d'ordre comptable, que vous appliquez à travers deux types de dispositions, sans vous préoccuper de la gravité de leurs conséquences.
D'une part, il s'agit de réduire à tout prix les dépenses pour les contenir dans un plan comptable n'ayant rien à voir avec la santé, le droit à une retraite digne et la possibilité pour les familles d'élever correctement leurs enfants. D'ailleurs, trois syndicats de médecins sont totalement hostiles à votre réforme et parlent même d'« atteinte à la qualité des soins » et de « dérive vers le rationnement des dépenses », comme l'indique ce soir un quotidien.
D'autre part, il s'agit de faire payer davantage les salariés, les retraités, les familles et même les chômeurs, pour alléger toujours plus les charges patronales.
Ainsi, vous faites le contraire de ce que vous affirmez.
M. Gaymard, tout à l'heure, a parlé longuement de la prévention, de la santé des jeunes... C'est bien, mais où sont les mesures concrètes ? Il ne suffit pas d'en parler !
Le Gouvernement prétend, dans son rapport, qu'il soutient une politique familiale ambitieuse. Or non seulement nous n'en trouvons trace dans aucune des mesures concrètes qu'il présente mais, à l'article 33, par exemple, c'est sans doute avec cette louable ambition qu'il propose d'inclure les aides au logement, par nature attribuées aux foyers dont les revenus sont modestes, dans le calcul de l'allocation de parent isolé, ce qui diminuera, bien sûr, le nombre des bénéficiaires.
C'est sans doute avec le même souci d'aide aux familles que vous envisagiez de soumettre les allocations familiales à l'impôt sur le revenu. Heureusement, la protestation des associations familiales vous a contraint à reculer sur ce point !
On comprend, dans ces conditions, que vous n'attendiez pas les résultats de la conférence nationale de la famille pour modifier les textes : une belle illustration de votre conception de la démocratie. La démocratie, bien sûr, vous la redoutez.
Ainsi, la brutale réduction de l'allocation de rentrée scolaire, l'intégration des revenus de transfert dans le calcul des aides au logement, l'extension de la CSG à ces revenus, y compris les indemnités de congé maternité, frapperont durement les familles, surtout les plus modestes. Vous préférez l'imposer d'autorité et ne pas trop en débattre. On vous comprend !
Il est révélateur que les dépenses prévues pour la branche famille à l'article 3 progressent moins vite que l'inflation, alors qu'il faudrait, pour répondre aux besoins des familles, revaloriser les allocations familiales et attribuer une prime exceptionnelle de Noël.
Les retraités ne sont pas davantage épargnés. La moitié d'entre eux ont des ressources inférieures à 4 700 francs par mois. L'allongement de la durée de cotisation pour bénéficier de la retraite à taux plein, soumise de surcroît à la cotisation maladie et à la CSG, que vous augmentez, tourne le dos aux véritables mesures qu'il faudrait prendre en leur faveur, en revalorisant les pensions, en permettant le départ en retraite après trente-sept annuités et demie de cotisations, ce qui favoriserait l'embauche de jeunes, en couvrant le risque dépendance au même titre que le risque maladie.
Autant de mesures qu'il serait possible d'arrêter, à condition de prendre l'argent là où il est ! Malheureusement, avec ce projet, on ne progresse pas, on recule.
Vous connaissez les résultats des enquêtes montrant qu'une personne sur cinq renonce à des soins pour des raisons financières : 40 000 personnes ont eu recours cette année aux centres de soins gratuits de Médecins du monde, soit 10 000 de plus que l'an dernier. Beau résultat du plan Juppé ! De plus, 2 000 cas d'enfants atteints du saturnisme sont recensés à Paris. On parle même de scorbut ! On a peine à y croire !
Où menez-vous ce pays ?
Vous savez que des personnes âgées ne peuvent plus se soigner correctement, ne peuvent plus faire face aux dépenses de soins dentaires ou de lunettes, qui leur sont pourtant indispensables.
Vous ne savez peut-être pas, mais je vous l'annonce, que la tuberculose sévit parmi les étudiants de l'université de Paris-X, à Nanterre ; or aucun dispositif de dépistage n'est mis en place, le président de l'université me l'a précisé récemment.
Parallèlement, et toujours selon la même logique, le secrétaire d'Etat à la santé décide de refuser le remboursement de l'amniocentèse pour les femmes de moins de trente-huit ans, même si les examens ont montré qu'elles présentent un risque réel de donner naissance à un enfant trisomique. Ainsi donc, seules celles qui auront les moyens de payer les 2 500 francs que coûte cet examen pourront éviter ce drame.
Mme Marie-Claude Beaudeau. C'est scandaleux !
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. La voilà votre politique de prévention dont vous parlez tant ! Et je n'évoque pas ses aspects éthiques, qui sont pour le moins préoccupants !
Mme Hélène Luc. Très bien !
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. Ces quelques exemples illustrent bien la voie dans laquelle vous voulez nous engager.
Toutes les dispositions que vous prévoyez concourent à cette régression, notamment celles qui sont contenues dans les ordonnances, imposées à l'Assemblée nationale grâce à l'article 49-3 de la Constitution, en toute démocratie, dont la majorité sénatoriale a refusé de débattre dans les conditions que l'on sait et dont la ratification n'a jamais été débattue au Parlement !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Ça aussi, c'est scandaleux.
Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. Enfin vous proposez, dans l'article 25, le reversement à la branche maladie d'une partie des excédents de la branche accidents du travail-maladies professionnelles. C'est la moindre des choses, face au scandale que constitue dans ce pays la non-reconnaissance de tant de maladies professionnelles et d'accidents du travail dont la branche maladie a finalement supporté les coûts. Faut-il rappeler combien d'années il aura fallu aux salariés, à leurs organisations syndicales, aux associations, aux élus, aux médecins pour obtenir enfin la reconnaissance du danger que représente l'amiante pour la santé ?
Mais cela ne fait pas le compte.
Il est indispensable que les maladies professionnelles et les accidents du travail soient reconnus comme tels si l'on veut une véritable politique de prévention des risques au travail et de juste réparation.
Votre texte organise concrètement le démantèlement de la protection sociale annoncé dans le plan Juppé.
En substituant la CSG aux cotisations sociales, vous mettez de fait en place une protection sociale minimum, financée par le budget de l'Etat, et donc par l'impôt, soumise aux critères de convergence exigés par Maastricht pour accéder à la monnaie unique.
Vous annoncez clairement la couleur avec l'assurance universelle et le champ largement ouvert aux marchés financiers dans les domaines de la santé, de l'assurance et des fonds de pensions. Cette démarche est d'ailleurs illustrée par votre choix de mettre de nombreux dirigeants du privé à la direction des agences régionales de l'hospitalisation.
Vous prétendez qu'il n'y a pas d'autre voie et que ceux qui refusent la vôtre seraient partisans d'un immobilisme dangereux. C'est faux, vous le savez, puisque le Premier ministre lui-même corrigeait cette affirmation en décembre dernier, ajoutant : « Une seule, peut-être, une seule a le mérite de la cohérence. Cette réforme sérieuse et cohérente, c'est celle du groupe communiste. C'est vrai. Elle relève d'une autre philosophie de la vie et de la société que la nôtre. »
Sur ce point au moins, nous sommes d'accord avec M. Juppé. Oui, il faut une réforme de la sécurité sociale, permettant de mobiliser une part significative des richesses créées par les salariés pour développer la protection sociale et répondre aux besoins humains. C'est en cela que nous nous opposons radicalement à votre philosophie et donc à ce projet, qui vise, lui, à soumettre les besoins primordiaux à la logique du marché.
Un pays comme le nôtre dispose de richesses qui sont susceptibles de lui assurer une protection de haut niveau, comme le montrera mon amie Marie-Claude Beaudeau en présentant dans quelques instants des propositions de financement justes et efficaces.
Si l'on faisait, par exemple, cotiser les revenus financiers spéculatifs au même niveau que les salaires, cela rapporterait 167 milliards de francs à la sécurité sociale et permettrait d'abroger la CSG.
D'autres choix d'utilisation de la richesse nationale permettraient non seulement de faire face aux dépenses actuelles mais aussi d'améliorer l'accès aux soins, notamment en odontologie et en ophtalmologie, de développer la prévention, de faire face aux maladies nouvelles qui surgissent, de mieux protéger les enfants, en instaurant, comme nous le proposons, la gratuité des soins jusqu'à six ans. Voilà une bonne mesure de prévention !
Non, ce n'est pas une utopie. C'est une autre logique, diamétralement opposée à la vôtre, laquelle, de réforme en nouveau plan de redressement des comptes, jette de plus en plus de personnes dans la précarité, la misère et l'exclusion, tandis que rien n'est réglé sur le plan financier puisque le déficit continue de se creuser.
Vous êtes dans un cercle vicieux que vous entretenez en poursuivant, l'aveu vient d'en être fait, une politique de chômage et de bas salaires, pour mieux privilégier les intérêts de la finance et de la spéculation, ce que vous avez oublié de dire.
Nous ne vous suivrons pas, monsieur le ministre, sur cette voie catastrophique tant pour les hommes que pour l'économie du pays.
C'est pourquoi le groupe communiste républicain et citoyen votera contre votre projet de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. A cette heure, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jacques Valade.)