PÊCHE MARITIME ET CULTURES MARINES

Discussion d'un projet de loi

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi d'orientation (n° 511, 1995-1996) sur la pêche maritime et les cultures marines. [Rapport n° 50 (1996-1997).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. Philippe Vasseur, ministre de l'agriculture, de la pêche et de l'alimentation. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, après la période relativement faste des années quatre-vingt, le secteur des pêches maritimes et des cultures marines est confronté, depuis 1993, à une crise sans précédent.
Cette crise est européenne, mais elle a été plus durement ressentie en France en raison de problèmes structurels, parmi lesquels je citerai des surcoûts d'investissements en ce qui concerne notre flotte ainsi qu'une insuffisante prise en compte des données du marché.
Au-delà des mesures d'urgence qui ont été mises en oeuvre, il est donc apparu nécessaire d'accompagner l'indispensable mutation de ce secteur, qui dispose par ailleurs d'atouts importants.
Au nombre de ces atouts, je citerai une flotte largement modernisée et performante, une production diverse et de qualité, un savoir-faire largement reconnu.
Je rappelle aussi que ce secteur représente, directement ou indirectement, une centaine de milliers d'emplois, dont quelque 20 000 marins-pêcheurs, embarqués sur près de 6 000 navires, et 12 000 conchyliculteurs.
Au-delà, il est au coeur de l'aménagement de notre littoral et constitue pour certaines régions une activité sans alternative.
Ainsi, en Cornouaille ou à Boulogne-sur-Mer, 11 % de la population active travaille dans la filière pêche. De même, l'activité économique engendre près de 10 000 emplois dans le bassin de Marennes-Oléron. Ce sont là quelques exemples parmi d'autres.
Voilà pourquoi le Gouvernement a souhaité élaborer un cadre nouveau au travers d'une loi d'orientation, dont le principe avait été annoncé en juin 1995 par le Premier ministre.
Ce projet a été élaboré en étroite concertation avec la profession, pour aboutir au texte qui vous est soumis aujourd'hui. Il s'articule autour de cinq grands axes : mieux gérer la ressource, organiser la filière, moderniser le statut légal et fiscal des entreprises de pêche, adapter les cultures maritimes, moderniser les relations sociales.
En matière de ressource, la réglementation communautaire définit un certain nombre d'instruments de gestion tels que les quotas annuels par espèce ou les permis de pêche spéciaux. Cette réglementation laisse cependant à chaque pays la possibilité, au nom de la subsidiarité, de définir les modalités de sa mise en oeuvre.
Par ailleurs, au cours de la préparation du projet de loi qui vous est soumis, plusieurs idées forces sont apparues.
Première idée force : la nécessité d'encadrer clairement la gestion des conditions d'accès à la ressource compte tenu de la situation d'un certain nombre de stocks.
Deuxième idée force : la volonté d'éviter tout risque de patrimonialisation des autorisations de pêche ou des quotas. L'expérience agricole, les expériences dans certains pays de quotas individuels transférables ou encore, plus près de nous, le permis de mise en exploitation d'un navire de pêche de première génération ont bien montré les risques - aujourd'hui, en tout cas - de voir se créer ex nihilo une valeur qui ne peut être répercutée sur le marché et qui induirait donc une charge supplémentaire artificielle.
Enfin, troisième idée force : la nécessité de mieux gérer la ressource en fonction du marché, en permettant aux organisations de producteurs de jouer un rôle renforcé dans ce domaine.
C'est pourquoi le texte affirme clairement le caractère collectif de la ressource et la non-cessibilité des diverses autorisations de pêche que seul l'Etat peut attribuer, s'agissant d'un bien public et d'un objectif de développement durable.
Cette répartition, qui se limite, je le rappelle, aux quelques espèces susceptibles de poser problème - une dizaine, variables d'une année sur l'autre - intervient chaque année après avis des organisations professionnelles et en fonction, notamment, des antériorités de pêche pour tenir compte des besoins de sécurité pluriannuelle des armements.
Ce n'est que subsidiairement, et pour des raisons socio-économiques, que l'on pourra s'écarter de ce principe.
Le projet de loi tend également à consacrer le rôle des organisations de producteurs dans la gestion des quotas.
Les organisations de producteurs se trouvent à l'interface de la ressource et de la mise en marché. Il paraît donc parfaitement justifié de leur donner la possibilité de gérer les quotas de leurs adhérents.
Ce principe se traduit, pour les organisations de producteurs, en contrepartie de l'attribution d'un sous-quota, par la nécessité d'établir un plan de gestion, communiqué à ses adhérents et notifié à l'office interprofessionnel des produits de la mer, l'OFIMER, qui devrait, si vous l'acceptez, succéder au fonds d'intervention et d'organisation des marchés des produits de la pêche maritime et des cultures marines, le FIOM.
Cette notification permet à la fois de s'assurer de la conformité de ce plan avec les principes généraux d'une gestion collective de la ressource et de favoriser, au sein de l'OFIMER, la coordination des plans de gestion des différentes organisations de producteurs et des conditions de mise en marché.
J'ajoute que ce principe d'attribution aux organisations de producteurs n'est pas systématique et n'est mis en oeuvre que si cela est justifié.
En outre, l'adhésion à une organisation de producteurs n'étant pas obligatoire, un sous-quota « non-adhérent » devra être prévu.
De même, il conviendra de mettre en oeuvre, si nécessaire, des modalités particulières de suivi afin de ne pas favoriser ces non-adhérents, et plusieurs dispositions concernant les sanctions pour infraction à la réglementation des pêches vous seront soumises à cet effet.
Il s'agit soit de sanctionner la pêche sans licence par le biais d'amendes administratives ou de sanctions pénales, soit de permettre à l'administration de suspendre les autorisations de pêche en cas d'infraction.
Il vous est également proposé de combler un vide juridique en matière de saisie des produits de la mer.
Cette possibilité est en effet limitée aujourd'hui aux seuls chefs de service des affaires maritimes, et donc aux seuls départements littoraux.
Le projet de loi prévoit donc d'habiliter, dans les départements non littoraux, les directeurs départementaux de l'agriculture et de la forêt ainsi que les directeurs départementaux de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
L'organisation de la filière des produits de la mer et, d'une manière plus générale, l'orientation économique du secteur des pêches maritimes et des cultures marines constituent le deuxième axe fort de ce projet de loi.

Il est en effet apparu fondamental à la fois de créer les conditions permettant un meilleur dialogue au sein de l'interprofession, de mieux organiser les conditions de débarquement, de renforcer le cadre juridique des organisations de producteurs, de définir le mareyage et de faciliter les investissements privés sur le domaine public portuaire.
La crise a montré les limites de l'organisation actuelle, marquée par une forte atomisation de l'offre et par l'insuffisante prise en compte des données du marché.
En effet, le « pilotage de la production par le marché », c'est-à-dire une meilleure gestion de la ressource en fonction des réalités du marché, est devenu un objectif indispensable au regard tant du marché que de la ressource.
La mise en place d'un instrument adapté à cet objectif semble donc nécessaire. C'est le sens de la proposition qui vous est faite de transformer l'actuel FIOM en un établissement public interprofessionnel fonctionnant à l'instar des offices agricoles.
L'office interprofessionnel des produits de la mer, l'OFIMER, s'inscrira, si vous l'acceptez, dans le cadre général de la loi du 6 octobre 1982 relative aux offices agricoles.
Il faudra procéder à un rééquilibrage du conseil d'administration allant dans le sens d'une parité entre les représentants de l'amont et ceux de l'aval, alors que siègent actuellement au FIOM dix-neuf représentants de l'amont contre dix pour l'aval.
Il faudra encore, au sein de l'OFIMER, créer des conseils spécialisés, en particulier par produit ou groupe de produits, voire par thème - la qualité, par exemple - agissant par délégation du conseil d'administration.
Il s'agit, en effet, de traiter des sujets déterminés en faisant appel aux représentants les plus compétents pour traiter des questions spécifiques. Ces représentants pourront, d'ailleurs, être choisis en dehors du conseil d'administration lui-même.
Le rattachement du personnel au statut commun des offices agricoles présente l'avantage d'une meilleure stabilité des personnels et offre des possibilités de mobilité inter-offices de nature à favoriser les échanges d'expérience entre les filières agroalimentaires.
Le caractère purement économique de l'OFIMER est affirmé, puisque l'actuelle section sociale du FIOM est transférée au comité national des pêches maritimes, le CNPM.
Participent également de cette ambition d'une plus grande orientation économique de la filière plusieurs mesures concernant la mise en marché. Le projet de loi qui vous est soumis permet en particulier de préciser les conditions d'agrément des points de débarquement.
Leur nombre - à ce jour, près de 1 500 - entraîne de graves inconvénients en matière tant de suivi de capture et d'évaluation de l'offre que de contrôle sanitaire.
Nous vous proposons donc de soumettre l'agrément des lieux de débarquement à l'existence de garanties relatives à la vérification de la qualité sanitaire des produits à l'enregistrement des apports et des ventes.
Toujours dans le même souci d'une meilleure organisation des points de débarquement et des criées, nous souhaitons la mise en place d'une commission consultative régionale associant l'Etat, les collectivités locales, les gestionnaires de ports et les utilisateurs, chargée de mieux coordonner les stratégies d'équipement des ports afin que ne puissent se renouveler les erreurs d'un passé récent qui ont conduit à un suréquipement global générateur de coûts d'amortissement, donc d'investissement, élevés.
Acteurs privilégiés de la mise en marché, les organisations de producteurs se doivent d'être confortées. Il faut éviter, tout d'abord, qu'elles ne soient l'objet de manoeuvres de « déstabilisation ».
Nous avons donc prévu d'infliger une lourde amende administrative à l'organisation de producteurs qui accueillerait un nouvel adhérent sans être assurée qu'il a respecté les règles de préavis minimum auprès de l'organisation qu'il quitte.
Il en est de même s'agissant du non-respect de règles contraignantes que ces organisations pourraient édicter soit vis-à-vis de leurs propres adhérents, soit à destination des non-adhérents, lorsqu'elles font application des possibilités qu'offre la réglementation communautaire.
Au-delà de la mise en marché, le projet de loi qui vous est soumis définit le mareyage. Cette définition s'imposait en raison à la fois des mesures particulières dont le mareyage fait l'objet de la part des pouvoirs publics et des récentes dispositions communautaires qui rendaient caduque la définition de la loi du 7 septembre 1948.
Un régime de sanctions pénales en cas de non-respect des normes sanitaires est par ailleurs prévu.
Comme les établissements de mareyage, les établissements de cultures marines sont confrontés à des investissements de modernisation ou de mise aux normes. C'est pourquoi le projet de loi prévoit de leur permettre de constituer des droits réels sur leurs installations situées sur le domaine portuaire.
La modernisation du statut fiscal et légal des entreprises de pêche constitue le troisième axe du projet de loi.
Les entreprises de pêche artisanale sont, pour une très large majorité, des entreprises individuelles, ce qui peut entraîner une confusion des patrimoines personnel et professionnel des patrons pêcheurs.
Cette situation figurant au nombre des causes de la crise des années 1993 et 1994, il est apparu nécessaire de favoriser la mise en société et de promouvoir une véritable gestion d'entreprise, tout en neutralisant, sur le plan fiscal comme sur le plan social, le passage du statut d'entreprise individuelle à celui de société de personnes.
Nous vous proposons donc de définir une « société de pêche artisanale », qui permettra au patron pêcheur de continuer à bénéficier des avantages que son statut d'artisan lui confère aujourd'hui.
Toutefois, afin de maintenir le caractère artisanal de l'entreprise et la spécificité du régime de la pêche, il s'agit d'une société de personnes dont tous les associés sont embarqués et qui est copropriétaire majoritaire d'un ou des deux navires, puisqu'il s'agit de pêche artisanale.
Une seule dérogation, limitée d'ailleurs dans le temps, à cette clause de copropriété majoritaire est prévue dans le cadre d'une copropriété avec un armement coopératif en vue d'une accession progressive à la propriété.
Dans ce cadre et il en est de même pour les GAEC, les groupements agricoles d'exploitation en commun, en agriculture, la situation économique et sociale du patron pêcheur qui opte pour la société de pêche artisanale n'est pas plus défavorable que s'il restait en entreprise individuelle.
En effet, ses revenus demeurent soumis au même régime fiscal et il continuera à bénéficier jusqu'en 2003 de l'exonération de la taxe professionnelle dont bénéficient les pêcheurs artisans. Il en est de même du régime d'exonération des cotisations sociales dont bénéficie le propriétaire embarqué.
Par ailleurs, il est apparu nécessaire, dans un souci de clarification juridique de la situation de l'entreprise de pêche artisanale, de consacrer la nature commerciale de la pêche maritime, conformément à la jurisprudence traditionnelle des cours d'appel.
Cela implique, outre la compétence, en cas de difficultés, des tribunaux de commerce, qui privilégient, on le sait, la poursuite de l'activité - ce qui, de mon point de vue, est un élément important pour la pêche - l'inscription au registre du commerce et, par la même, la représentation des pêcheurs au sein des organes consulaires, donc une participation renforcée à la vie économique locale.
En outre, cette inscription, qui crée une présomption de poursuite d'activité, devrait éviter aux pêcheurs artisans détenteurs d'un seul navire d'être taxés sur les plus-values à court terme résultant de la vente du navire lorsque l'entreprise qui entend poursuivre son activité n'a pas encore été en mesure d'armer un nouveau bâtiment de pêche.
De plus, cela ouvre la possibilité pour le conjoint de recevoir un mandat général d'administration courante, et donc de représenter l'armement dans l'ensemble de ses intérêts économiques.
Cette mesure, souhaitée par les femmes de marin, doit leur permettre de participer plus activement à la vie de l'entreprise de pêche. Elle s'inscrit dans un cadre général de mesures encourageant la gestion des armements par les pêcheurs eux-mêmes.
Nous vous proposons donc de modifier le régime social de l'ENIM, l'établissement national des invalides de la marine, pour prendre en compte le temps consacré, à terre, à la gestion de l'armement.
Ce temps, désormais validé pour la retraite dans les mêmes conditions qu'une navigation effective, peut donc représenter jusqu'à 50 % des services validés chaque année, voire 100 % pour le patron pêcheur qui a navigué plus de dix ans.
D'autres cas de validation au titre du régime de sécurité sociale des marins contribuent également à professionnaliser la filière. Il en est ainsi des fonctions exercées dans les organisations professionnelles ou syndicales, sans conditions minimales de services en ce qui concerne les marins accidentés du travail.
S'agissant par ailleurs des dispositions favorables à l'investissement, il vous est proposé de retenir une mesure d'étalement des plus-values de cession à court terme en cas de réinvestissement à la pêche.
Cette mesure, qui profite d'ailleurs tant à la pêche artisanale qu'à la pêche industrielle, vise à faciliter le renouvellement et la modernisation de notre flotte en améliorant significativement la capacité d'autofinancement du secteur.
Elle devrait permettre également d'améliorer la compétitivité face à la concurrence extra ou intra-communautaire, alors même que nos principaux partenaires et concurrents communautaires - l'Espagne, le Royaume-Uni et les Pays-Bas - appliquent des aides fiscales à l'investissement.
Ainsi, si vous le décidez, l'entreprise qui cède un navire de pêche - ou des parts de copropriétés correspondantes - pourra opter en faveur d'un régime étalant ses plus-values sur les sept ans suivant l'année de cession en cas de réinvestissement dans un navire neuf ou d'occasion, voire dans des parts de copropriétés, et ce dans un délai de dix-huit mois suivant la cession du navire.
Enfin, plusieurs mesures sont favorables soit à l'installation des jeunes, avec une exonération de 50 % des bénéfices réalisés en première installation, sous condition de formation à la gestion, soit à la pluriactivité, qu'il s'agisse de l'embarquement à titre onéreux de passagers pour assister aux opérations de pêche ou de l'exercice d'une activité complémentaire sans lien direct avec la pêche.
Les cultures marines sont le quatrième axe de ce projet de loi.
Au-delà de dispositions générales s'appliquant également aux cultures marines, des dispositions spécifiques sont prévues pour ce secteur particulier, et important, de l'économie littorale.
Le projet de loi affirmant le caractère commercial de l'activité de pêche, il apparaît nécessaire, dans le même esprit, de conforter la nature agricole des activités de cultures marines.
Le projet de loi qui vous est soumis permet également de lever toute ambiguïté sur la possibilité d'une affiliation à l'ENIM : les conchyliculteurs pourront donc continuer à relever du régime social des marins ou de la mutualité sociale agricole, la MSA.
Si la disposition concernant l'entraide agricole s'applique clairement, il est apparu également souhaitable d'en assurer la compatibilité avec les règles d'occupation du domaine public maritime. Ces dernières excluent en particulier la possibilité d'exploitation par un tiers d'une parcelle concédée.
Il vous est donc proposé de modifier l'article du code rural concerné, prévoyant, en cas de recours à ce mécanisme, la nécessité d'établir un contrat écrit.
Enfin, la reconnaissance de la spécificité de l'activité conchylicole et des élevages marins - à la fois maritime et agricole - se traduit, par une modification de la loi du 1er avril 1942 relative aux titres de navigation maritime.
Il s'agit, d'une part, d'ériger les cultures marines en genre de navigation distinct de la pêche, du commerce et de la plaisance et, d'autre part, de créer la faculté d'ouvrir un rôle d'équipage pour les embarcations conchylicoles effectuant des trajets n'excédant pas trois milles. Cette faculté, qui n'existe pas à ce jour, est laissée à l'initiative de l'entrepreneur.
Enfin, le cinquième axe du projet de loi est la modernisation des relations sociales.
La modernisation du secteur passe autant par une modernisation des relations sociales que par une adaptation aux nouvelles donnes économiques.
Dès lors, il s'agit tout d'abord de modifier des dispositions issues de la loi du 13 décembre 1926 portant code du travail maritime.
Rassemblées dans un souci d'homogénéité et de lisibilité dans l'article 30 du projet - il ne comporte pas moins de vingt paragraphes - ces nouvelles dispositions visent notamment à améliorer les conditions de vie et de travail des marins-pêcheurs.
Outre l'abrogation de certaines dispositions obsolètes - notamment celle qui est relative à l'entretien des fourneaux des navires - ou contraires au principe général du droit de travail - telles les sanctions pécuniaires pour motif disciplinaire - ce volet du projet de loi comporte un ensemble de mesures attendues depuis longtemps par les marins salariés.
Ainsi, il est proposé de mettre fin au dérôlement abusif.
Jusqu'à présent, la réglementation permettait de conclure une succession de contrats d'engagement à durée déterminée au seul motif que les marins à la pêche artisanale sont rémunérés à la part. L'avantage, pour le patron, c'est le non-paiement des cotisations pendant le week-end. L'inconvénient, pour le salarié, c'est l'absence de validation pour la retraite de ces mêmes services et, au moment de la liquidation de sa pension, un nombre d'annuités réduit.
Désormais, il est proposé que les marins-pêcheurs salariés soient recrutés soit par contrat à durée indéterminée, soit par contrat à durée déterminée, dans les conditions du droit commun maritime.
De même, plusieurs dispositions sont prévues en ce qui concerne la rémunération à la part ; elles vont dans le sens d'une plus grande transparence.
Commune aux pêcheurs du monde entier, la rémunération à la part consiste à allouer au marin une part du produit pêché. Cette part est proportionnelle à la pêche ; elle associe ainsi directement le marin aux aléas de la vente.
La rémunération à la part paraît particulièrement moderne dans son principe, mais la crise, qui a eu pour effet de mettre en évidence la question d'une rémunération minimum, a souligné la nécessité d'un aménagement dans son application.
En effet, avec les difficultés économiques, des parts inférieures sur un mois donné à la valeur du SMIC mensuel, voire des parts négatives, ont pu apparaître.
En outre, certains abus - même s'il s'agit d'abus limités - ont permis de montrer le gonflement artificiel des frais communs ou même la dissimulation d'une partie des ventes.
Il est donc prévu que l'armateur informe le marin au moins semestriellement des éléments comptables justifiant la rémunération.
De même, une liste des dépenses ne pouvant en aucun cas être imputées sur les frais communs devra être élaborée, en concertation avec les partenaires sociaux.
En ce qui concerne la réglementation d'un salaire minimum à la pêche, le texte vise à réaffirmer que le principe de la rémunération à la part, qui est maintenu et confirmé, doit se concilier avec celui d'une rémunération minimale.
Les modalités pratiques seront précisées dans un décret pris après avis des partenaires sociaux. Celui-ci retiendra comme voie, d'une part, le lissage des rémunérations sur une période adéquate - tout ou partie de l'année - et, d'autre part, le volume de travail forfaitaire servant au calcul du salaire minimum.
Cette disposition, comme d'autres, vise à encourager le secteur de la pêche à élaborer des accords collectifs d'entreprise ou de branche.
D'autres mesures, de natures diverses, relèvent de cette modernisation des relations sociales. Elles ont trait notamment au repos compensateur, aux modalités de licenciement, qui sont désormais alignées sur le droit commun, même si, comme dans le droit commun, elles peuvent être allégées. Elles concernent encore la protection des jeunes marins.
Il s'agit, sur ce dernier point, de la stricte transposition d'une directive communautaire ou de dispositions issues d'une convention de l'Organisation internationale du travail.
S'agissant enfin de la protection des marins victimes d'un accident du travail, ceux-ci bénéficieront désormais de la même protection que les salariés à terre.
Si vous acceptez cette disposition, c'est désormais la suspension du contrat d'engagement maritime qui prévaudra et non la rupture du contrat, comme le prévoit actuellement le code du travail maritime.
En matière de formation, il vous est proposé de créer un organisme collecteur paritaire agréé pour l'ensemble du secteur maritime, pêche et cultures marines, qui collecterait les contributions de la formation professionnelle continue.
Cette disposition devrait permettre d'apporter au secteur maritime la véritable autonomie réclamée depuis longtemps aussi bien pour la formation professionnelle que pour le financement de celle-ci.
La création d'un autre fonds est également proposée : le fonds national d'aide à la préretraite à la pêche assurera le financement d'allocations au bénéfice des marins-pêcheurs souhaitant arrêter leur activité avant l'âge normal de la retraite.
L'objet de ce dispositif, dont les conditions d'éligibilité seront précisées par décret, est de favoriser, dans l'esprit même de la loi du 21 février 1996, le départ en préretraite contre le maintien de l'emploi de marins plus jeunes.
En outre, il est prévu que soient créées, à l'échelon départemental, des bourses à l'emploi maritime qui doivent concourir au transfert et au reclassement des emplois de marins-pêcheurs menacés par les restructurations de la pêche.
Au cours de la préparation de la loi, s'est, par ailleurs, instauré un large débat sur la nécessité d'une affiliation de tous les marins-pêcheurs aux ASSEDIC, le secteur des pêches étant, je le rappelle, la dernière activité salariée non affiliée à ce régime contre le risque du chômage.
Ce débat préalable, au sein de la profession même, n'a pas permis de dégager une option claire sur l'opportunité d'une affiliation aux ASSEDIC. Il est apparu, en effet, que la situation du chômage effectif, par suite de licenciement, de chômage technique ou de mobilité, était à ce jour mal cernée.
J'ai pu constater, au cours des discussions, que les clivages qui se dégageaient n'avaient strictement rien à voir avec les clivages traditionnels, qu'ils pouvaient passer au sein des organisations de salariés comme au sein des organisations patronales. J'ai donc pensé que nous ne pouvions pas régler le problème immédiatement - il faudra pourtant le faire dans les délais le plus brefs - et souhaité que nous puissions affiner notre analyse.
C'est pourquoi ce projet de loi prévoit la publication d'un rapport sur la situation de l'emploi à la pêche ainsi que sur les avantages et les inconvénients que présenteraient les divers moyens d'améliorer la protection des marins-pêcheurs contre les différentes formes de chômage qui sévissent dans ce secteur. C'est après la publication de ce rapport et à l'issue de la concertation avec la profession que nous proposerons les dispositions nécessaires pour garantir ce secteur contre les risques du chômage.
Telles sont, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes orientations que le Gouvernement vous propose de mettre en oeuvre en faveur des pêches maritimes.
Ce secteur sort d'une crise majeure. Il est aujourd'hui convalescent, mais il reste encore fragile.
Il importe, pour traduire l'ambition que le Gouvernement nourrit pour l'ensemble du secteur maritime, pour la pêche en particulier, d'offrir un cadre législatif rénové, permettant à ce secteur de la pêche et des produits de la mer d'affronter dans les meilleures conditions les défis auxquels, dans les prochaines années, il sera confronté au niveau tant communautaire que national.
Je serais donc heureux que vous puissiez souscrire à ce projet de loi d'orientation. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, des Républicains et Indépendants et du RPR.) M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Josselin de Rohan, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Mes chers collègues, les propos de M. le ministre ont été si clairs, précis et exhaustifs que je ne pourrais que redire la même chose, mais avec moins de talent. Par ailleurs, j'ai développé un certain nombre de réflexions dans mon rapport écrit. Je me bornerai donc à cette tribune à présenter quelques brèves observations.
Le projet de lois soumis à l'examen de la Haute Assemblée a pour ambition de préparer le secteur des pêches maritilmes et des cultures marines à la prochaine décennie, en offrant aux hommes et aux entreprises un cadre juridique, économique et social rénové, nécessaire pour accompagner une mutation engagée depuis déjà plus de trois ans.
Cette mutation sans précédent du secteur des pêches maritimes est indispensable si la France veut conserver et consolider ses parts de marché et la place qu'elle occupe en Europe grâce à l'ardeur et au savoir-faire de ses pêcheurs.
Premier pays conchylicole et troisième pays pêcheur de l'Union européenne, la France dispose, à travers cette filière, d'un pôle économique important tant en termes d'emplois directs et indirects que d'aménagement du territoire en général, du littoral en particulier.
Cette filière, faut-il le rappeler, est un secteur économique actif, dont dépendent directement ou indirectement quelque 100 000 emplois, dont 17 500 marins, pêcheurs embarqués sur 6 000 navires et 14 000 conchyliculteurs.
Au cours de ces dernières années, notamment en 1993 et 1994, le secteur de la pêche a été en proie à une crise profonde dans l'ensemble de l'Union européenne, mais tout particulièrement en France. Cette crise, qui trouve son origine au début des années quatre-vingt-dix, a été caractérisée par une baisse sensible du chiffre d'affaires et des apports liée à la réduction de la flotte, à la diminution de l'effort de pêche, à la raréfaction de certaines espèces, à la rupture de l'équilibre des marchés due à des importations à bas prix en provenance des pays tiers.
Elle a entraîné des situations dramatiques pour nombre de patrons-pêcheurs, qui se sont trouvés dans l'incapacité de rembourser les lourds emprunts qu'ils avaient souscrits pour financer leur navire.
A la suite .des restructurations auxquelles le secteur a dû consentir, beaucoup ont dû renoncer à poursuivre leur activité. En cinq ans, la filière a perdu 2 000 marins. L'opinion a pris brutalement conscience de l'ampleur et de la gravité d'une crise qui affecte certes un nombre limité de nos compatriotes, mais qui concerne un secteur exerçant une influence considérable dans notre consommation alimentaire et assumant une fonction capitale au service de notre économie. La gravité de la crise du secteur des pêches a été révélatrice de faiblesses structurelles importantes. Elle a conduit les pouvoirs publics et l'ensemble de la filière à engager une réflexion et à organiser une concertation plus étroite. Le projet de loi est l'un des fruits de cette concertation.
En effet, au-delà des mesures arrêtées depuis 1993, qui ont eu pour objet de remédier aux difficultés les plus urgentes de ce secteur, une réflexion en profondeur s'imposait pour engager la filière sur la voie de la restructuration et de la modernisation.
Sous votre impulsion, monsieur le ministre, a été élaboré un texte pragmatique, équilibré et novateur, en étroite concertation avec les professionnels. Ce texte a fait l'objet de larges négociations avec l'ensemble de la filière, du marin au consommateur, en passant par les patrons pêcheurs, les mareyeurs, les organisations de producteurs et les secteurs de la transformation ainsi que de la distribution.
Toutes les personnes auditionnées par votre rapporteur ont reconnu à la fois la volonté d'ouverture et de concertation du Gouvernement et le caractère « largement positif » de ce texte. Il convient donc de féliciter le Gouvernement pour la méthode utilisée à l'occasion de la préparation de la loi d'orientation : la recherche d'un consensus étendu et « le temps donné au temps » ont permis de fonder le projet sur des assises solides. Une telle méthode devrait faire école.
En prévoyant des mesures sur la gestion de la ressource, l'organisation de la filière et les cultures marines, et en dotant la profession d'un véritable statut fiscal, social et légal, le projet de loi apporte des innovations profondes dans un secteur qui se distinguait encore des autres branches de l'économie par son particularisme et, parfois, par son individualisme.
Le rapprochement avec le droit commun dans le domaine économique et social doit être tenu pour un progrès. La création d'entreprises de pêche permet de séparer le patrimoine social de celui des marins-pêcheurs et d'introduire des critères de gestion commerciale et comptable qui les conduiront à affronter les fluctuations du marché avec de meilleurs outils.
L'alignement par étapes des modalités de rémunération ou d'indemnisation du chômage sur celles qui sont en vigueur dans d'autres professions témoigne d'une ouverture d'esprit et d'un sens de l'adaptation qui méritent d'être soulignés.
Le projet de loi s'inscrit également dans la perspective de la politique communautaire de la pêche. En témoignent les articles relatifs au renforcement des sanctions en cas d'infraction aux règles européennes sur les permis de pêche et la prise en compte de la réglementation sur le mareyage.
Cependant, il est clair que les décisions communautaires influeront de manière directe sur le contexte dans lequel évoluera la pêche française. Parce qu'elle a respecté les engagements qu'elle avait pris à l'occasion du POP III - ce qui n'est pas le cas pour certains de nos partenaires, et non des moindres ! la France se refuse à une nouvelle et drastique diminution de sa flotte de pêche qui entraînerait non seulement le départ d'un nombre très élevé de pêcheurs, mais encore la disparition des activités qu'elle induit sur notre littoral.
Il est vain de penser qu'on pourrait maintenir une industrie de la transformation dans un très grand nombre de ses localisations actuelles si celles-ci n'étaient pas alimentées par les apports de la pêche française.
Il n'est pas sûr que la seule casse des navires mette fin à la surpêche. Le contraire peut même se produire en cas de baisse des cours car, bien souvent, les pêcheurs cherchent alors à compenser la diminution du prix unitaire par un effort de pêche plus intense pour maintenir leur revenu et faire face à leurs échéances.
Quelle que soit enfin l'issue du débat entre ceux qui pensent que moins nombreux seront les pêcheurs et plus élevé sera leur revenu, et ceux qui soutiennent que seule une organisation du marché garantira des ressources financières minimales aux pêcheurs, une certitude demeure : l'insuffisante protection du marché communautaire contre des importations à bas prix en provenance des pays tiers.
Les explications sont variées. Mais les faits sont là, et ils doivent constituer, pour les instances communautaires compétentes comme pour les gouvernements, matière à réflexion et à action.
Nous nous félicitons de la fermeté dont le Gouvernement a fait preuve, en particulier vous-même, monsieur le ministre, lors du dernier Conseil des ministres à Luxembourg, car la France ne peut admettre l'affaiblissement d'un secteur capital pour son économie.
L'organisation du marché, qui fait défaut au niveau communautaire, se trouve renforcée dans le projet de loi par l'attribution aux organisations de producteurs de prérogatives plus étendues ainsi que par la mise en place de l'OFIMER, organe de régulation et d'organisation du marché, dans lequel l'ensemble des professionnels de la filière seront représentés de façon paritaire.
Ces mesures apportent des réponses concrètes à l'atomisation de la filière pêche, si souvent évoquée par les autorités communautaires.
Le projet de loi d'orientation, par ces dispositions, permet à la législation française de prendre une avance certaine sur les législations de ses partenaires, notamment espagnole et britannique.
L'incitation au passage à la forme sociétaire et les mesures fiscales envisagées, tel l'étalement des plus-values de cession en cas de réinvestissement, permettront d'assainir la situation financière des entreprises de pêche.
En affirmant le principe de la non-patrimonialisation des droits de pêche, la France affiche une position différente de celle de bien d'autres Etats pour lesquels l'appropriation privée de la ressource est la meilleure solution. Le mécanisme du quota individuel transférable provoque dans de nombreux Etats, notamment aux Pays-Bas, un renchérissement artificiel du coût des navires. Cependant, en France, les pêcheurs ont déjà été confrontés à de tels phénomènes, qui se sont concrétisés notamment par une course aux kilowatts, entraînant une augmentation du prix de la flotte.
Ainsi, la France souhaite ne pas donner de valeur à la ressource tant qu'elle n'est pas pêchée. Cette position de principe provoquera très certainement une réflexion sur ce thème au niveau européen, même si, à l'heure actuelle, Mme Bonino, le commissaire européen compétent, m'a confirmé que l'application du principe de subsidiarité était de rigueur.
Deux aspects ont retenu plus particulièrement l'attention de votre rapporteur.
Il s'agit, en premier lieu, de la capacité pour les jeunes pêcheurs qui s'installent pour la première fois de bénéficier de possibilités d'autofinancement en cas d'acquisition de navires. En effet, l'étalement des plus-values de cession bénéficie avant tout aux marins-pêcheurs déjà installés. Par ailleurs, si le dispositif proposé par l'article 15 du projet de loi est intéressant, il ne s'appliquera pas lorsque les jeunes marins-pêcheurs ne dégageront pas de bénéfices au cours des premières années d'installation, ce qui est, vous le savez bien, monsieur le ministre, souvent le cas. Or, les jeunes ne s'orienteront dans cette filière que si celle-ci est reconnue et attractive.
Il paraît nécessaire à la commission de prévoir un dispositif particulier afin de renforcer l'autofinancement des jeunes pêcheurs qui s'installent pour la première fois. Nous serons très attentifs à l'accueil que le Gouvernement fera à nos propositions dans ce domaine. Elles doivent beaucoup d'ailleurs aux réflexions qui ont été menées par notre collègue Jacques Oudin, spécialiste reconnu de ces problèmes.
En second lieu, lors des auditions de votre rapporteur, le problème des quotas hopping, ou sauts de quotas, a été évoqué à maintes reprises. En effet, certains navires battant pavillon français sont rachetés par des ressortissants communautaires non français : ceux-ci, tout en conservant le pavillon d'origine afin de bénéficier des quotas français, emploient une très faible part de main-d'oeuvre française et débarquent leur poisson dans des ports voisins, alimentant toute une activité d'aval, mais extérieure au territoire de la République française. Compte tenu des règles communautaires, il est, je le reconnais, excessivement difficile de se prémunir contre de telles pratiques, qui ont cependant fait des ravages dans la flotte de certains Etats, notamment au Royaume-Uni.
Ce phénomène heurte le principe de la stabilité relative des quotas. Bien qu'il ne concerne pour l'instant en France que 2 % de la flotte, soit environ 16 000 kilowatts, votre rapporteur apprécierait de se voir préciser les moyens que le Gouvernement envisage de mettre en oeuvre pour faire face à cette difficulté.
Le projet de loi proposé à la Haute Assemblée donne à la pêche française des outils qui lui permettront de manière incontestable de mieux lier les activités de pêche, de transformation et de commercialisation en pratiquant une véritable politique de filière. En faisant des pêcheurs des entrepreneurs, le texte leur donne les moyens de mieux s'adapter aux contraintes et aux exigences de l'économie. En étendant les protections dont ils peuvent disposer dans le domaine social, il leur accorde des garanties nouvelles contre les aléas économiques ou naturels.
Votre commission des affaires économiques et du Plan a donné son accord à ce projet de loi, auquel elle souhaite apporter quelques amendements qui n'altèrent en rien ni son esprit ni sa portée. Elle tient, par la voix de son rapporteur, à rendre un hommage particulier à des professionnels qui exercent un des métiers les plus nobles qui soit, dans des conditions encore souvent pénibles et périlleurses, avec un courage et une endurance dignes de tous les éloges.
Elle souhaite que la pêche française puisse continuer sa mission, qui est de nourrir les hommes, en attirant à elle des éléments jeunes et bien formés disposant de navires modernes et performants.
Elle estime enfin que la prospérité de nos pêches est à la fois une condition et le gage de la vocation maritime de la France. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe du Rassemblement pour la République : 44 minutes ;
Groupe socialiste : 37 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 31 minutes ;
Groupe des Républicains et Indépendants : 26 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen : 18 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 15 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe : 9 minutes.
Dans la discussion générale, la parole est àMme Heinis.
Mme Anne Heinis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'associer à mon intervention mes collègues de la Manche, MM. Jean-François Le Grand et Jean Bizet.
Nous sommes tous les trois élus d'un département qui comporte plus de 360 kilomètres de côte et dans lequel l'activité de la pêche et des cultures marines constitue une part importante de l'activité économique.
C'est dire qu'après la crise profonde qu'a connue ce secteur, et dans un contexte européen très préoccupant, nous attendions ce projet de loi d'orientation avec impatience.
Dès le printemps 1995, vous appeliez, monsieur le ministre, tous les acteurs de la filière à s'engager rapidement dans une réflexion et une concertation communes pour aboutir à la présentation d'un texte de loi. C'est chose faite, dans le respect des délais annoncés, ce dont nous nous félicitons et vous remercions.
Le moment est particulièrement opportun, après les années noires traversées par la filière en 1993 et en 1994. Des mesures d'urgence ont été, à juste titre, mises en oeuvre. Mais la gravité et la brutalité de la crise ont conduit à une prise de conscience, à la fois par les professionnels et par les pouvoirs publics, de la nécessité de procéder aux réformes de fond de nature à restructurer et à moderniser le secteur.
Je dois ici rendre hommage à la qualité du travail accompli par notre rapporteur, qui a très complètement analysé le contexte mondial, européen et national du monde de la pêche et des cultures marines. Il a parfaitement mis en lumière les objectifs du projet de loi dans ce contexte, pour en faire ressortir tout l'intérêt, et proposé des amendements qui, à mon sens, le complètent utilement.
Je voudrais donc seulement, ici, attirer l'attention sur les préoccupations que j'entends le plus souvent exprimer et qui trouvent leur origine dans quatre points particuliers ; que l'on peut résumer ainsi : l'intégration de la politique de la pêche au niveau européen, et donc l'indispensable insertion du projet de loi actuel dans cette politique, les difficultés spécifiques à la France ; l'organisation de la filière, qui passe elle-même par celle du marché, et l'organisation de l'entreprise de pêche, avec une amélioration des relations sociales.
S'agissant de l'élaboration d'une politique européenne commune des pêches et, parallèlement, sur le plan national, permettez-moi de retracer brièvement les orientations prises depuis la fin des années soixante-dix, qui ont vu se développer des initiatives en faveur de la communautarisation des eaux.
En 1983, le Conseil a adopté le premier règlement de base de la politique commune des pêches qui consacrait ce principe. Le ministre de la mer de l'époque, M. Louis Le Pensec, avait souligné « les perspectives considérables que l'Europe bleue ouvrait à la pêche française ».
Pour tirer profit de ces perspectives, il fallait bien évidemment des bateaux. La circulaire de 1983 relançait la perspective de construction en ouvrant largement les possibilités de subventions et de prêts bonifiés. C'est le début de l'euphorie : on construit chaque année plus de cent navires de seize à vingt-cinq mètres sur le littoral français. C'est beaucoup.
Très vite, la Commission, inquiète de cette euphorie, qui n'est pas seulement française, et de ses conséquences sur la ressource commune, a parlé de maîtrise des capacités de pêche, avec le premier programme d'orientation pluriannuel, le POP, certes peu contraignant, mais totalement ignoré par les Etats membres. Devant la surcapacité croissante, la Commission a établi, en 1987, un second programme d'orientation pluriannuel qui obligeait les Etats membres à réduire leur flotte. La France l'a ignoré jusqu'à la fin de 1988, date à laquelle elle a commencé à contrôler les entrées en flotte par l'institution d'un permis de mise en exploitation.
En 1990, débute la crise de la ressource en France. Un premier « plan Mellick » propose des mesures timides qui n'auront guère de succès. En 1991, le même ministre lance un plan de sorties de flotte qui, en dépit de la modicité des aides, aboutit à une importante réduction de la flotte. Un nouveau plan de soutien suit en 1992, largement utilisé sur la façade Manche - mer du Nord et en Bretagne.
La même année, l'Union européenne a adopté un troisième plan d'organisation pluriannuel - POP III - qui prévoyait une réduction de 11 % de la flotte française pour la période 1992-1996. En 1993, débute la crise du marché, liée aux problèmes de la ressource et à la chute brutale des prix. Cette crise européenne était due à la mondialisation des marchés, à la stagnation de la consommation et à la part prépondérante de la grande distribution.
Cette crise était aussi spécifiquement française en raison, d'une part, du poids des charges financières pesant sur la flottille artisanale, modernisée dans les années 1980-1990, et, d'autre part, de la grande dépendance de la production française à l'égard des marchés du sud de l'Europe, qui, eux, bénéficiaient de dévaluations compétitives.
C'est alors que les importantes mesures d'urgence que j'ai déjà évoquées ont été mises en oeuvre : réduction des cotisations sociales, aides diverses, contrats de progrès pour la pêche, etc. Cette politique a été maintenue et complétée en 1994.
Ce simple rappel de l'évolution du secteur de la pêche met en lumière à quel point il a été soumis à une sorte de jeu de yoyo, les mesures de forte incitation au développement et à l'investissement étant suivies de mesures incitant au contraire à la limitation de capacité, voire à la mise à la casse des navires. Les professionnels, vous vous en doutez, en ont éprouvé une grande amertume, car ils ont eu l'impression que les politiques suivies manquaient totalement de cohérence et de vision à long terme, ce qui, honnêtement, était loin d'être faux.
Le présent projet de loi a fort heureusement pour objectif de donner un cadre aux activités de pêche et de culture marine en énonçant des objectifs qui soient en conformité avec les principes et les règles de la politique communautaire. Dans le respect des engagements internationaux, ils doivent permettre un meilleur ajustement de la production aux besoins du marché, une amélioration de la gestion des entreprises et des relations sociales, ainsi que la consolidation des activités de culture marine.
Le projet de loi, dans son titre II, traite de l'accès et de la gestion de la ressource. Il consacre le caractère collectif de cette dernière, ainsi que l'incessibilité des droits à produire et la responsabilité particulière de l'Etat en matière de fixation des conditions d'accès à cette ressource. Sont posés ici des principes qui ne peuvent être qu'approuvés.
L'application ne devrait pas poser trop de problèmes lorsqu'il s'agit de pêche dans les eaux territoriales. Le problème est franco-français, et le texte a été bien reçu par la profession au cours des travaux préparatoires.
En revanche - et pour nous cela est important - lorsqu'il s'agira de la pêche dans les eaux communautaires ou dans les eaux pour lesquelles la France est titulaire de droits de pêche, la réussite dépendra bien sûr d'une coopération technique avec les autres pays pour la mise en place de règles communes de bonne gestion, ce qui n'est pas si facile.
A cet égard, les insuffisances de l'organisation commune des marchés sont largement reconnues.
Il est cependant évident que l'organisation d'une coopération pour le contrôle des prélèvements effectués sur la ressource, c'est-à-dire le volume pêché, les dates de pêche, les tailles minimales, est, à terme, profitable pour tous.
J'en apporterai pour preuve ce qui a été mis en place pour la capture des homards dans les années 1977-1978 dans la Manche, dans la mer commune entre Guernesey, Jersey et la France.
Des réserves de reproduction ont été délimitées et respectées, ce qui est admirable. Il s'en est suivi une augmentation de la population des homards et, par voie de conséquence, des prélèvements. Simultanément, on a pu mettre en oeuvre un procédé de conservation par hibernation et ainsi réaliser de meilleures ventes hors saison.
Certes, la surveillance et le contrôle des activités de production visant à assurer la pérennité de la ressource et la loyauté de la concurrence peuvent seuls garantir le développement durable des activités de pêche et de cultures marines. Encore faut-il que cette surveillance et ce contrôle portent sur une gestion de la ressource et des flottes de pêche qui prenne en compte les caractéristiques de la pêche française sans menacer les équilibres socio-économiques des régions littorales. Nous sommes, en la matière, inéluctablement confrontés à la politique communautaire.
A l'heure actuelle, la France s'efforce de respecter les objectifs définis par segments de flottilles par le POP III. Le Royaume-Uni et les Pays-Bas connaissent malheureusement, pour leur part, des retards significatifs. En revanche, l'Espagne et le Portugal respectent leurs objectifs. Il serait important que ce respect soit général.
Les propositions de la Commission concernant le POP IV pour 1997 à 2002 sont faites sur la base des conclusions d'un groupe d'experts scientifiques, rassemblées dans le rapport Lassen, recommandant pour un certain nombre d'espèces sensibles des réductions de 20 % à 40 % des captures. Et la Commission en toute simplicité de proposer une réduction analogue des flotilles communautaires, comme si le problème pouvait se résoudre par une simple division ! On est un peu atterré par une conclusion aussi rapide et aussi inadéquate.
Vous avez vigoureusement contesté, monsieur le ministre, cette approche systématique et uniforme, et vous devez être soutenu dans cette démarche ; vous pouvez compter sur moi, soyez-en sûr.
S'il est incontestable que de nombreux stocks de pêche sont surexploités, notamment ceux qui intéressent les flottes de plusieurs Etats membres, en revanche, de très nombreuses ressources, moins communément pêchées, ne sont pas soumises à une telle surexploitation. Elles constituent une part très significative des captures des navires français et elles ne sont pas prises en compte.
On sait que la pêche française ne prélève pas la totalité de ses quotas et qu'elle tire, par ailleurs, une partie de ses captures d'espèces qui ne sont pas soumises à TAC, c'est-à-dire à un total admissible de capture au niveau européen, ni à quota. Ce point spécifique à la France est particulièrement important à noter.
Aussi, monsieur le ministre, je me permettrai de rappeler quelques impératifs, sur lesquels d'ailleurs vous êtes tout à fait d'accord, je crois.
Il est nécessaire de conserver un niveau de flotte suffisant pour permettre à chaque Etat membre de pêcher les quotas dont ils disposent, car, par le passé, on a vu le jeu des diminutions des flottes priver certains de la possibilité de pêcher ce dont ils avaient besoin.
Il ne faut pas opérer de discriminations entre Etats membres, discriminations qui résulteraient de l'application mécanique de taux de réduction de flottes identiques qu'il y ait surexploitation ou sous-exploitation des quotas.
Il faut également tenir compte des captures d'espèces hors quotas dans les objectifs nationaux de réduction, car elles entrent en jeu.
Par ailleurs, il faut prendre en compte dans les réductions de flotilles l'effet des mesures nationales de réduction de l'effort de pêche, qui viennent déjà limiter l'impact des flotilles sur la ressource.
Sous ces conditions, une véritable coopération pourrait être mise en oeuvre, et il appartiendra à la Commission d'assumer ses responsabilités en matière de contrôle, à l'égard tant des Etats membres que des pays tiers. Or, vous le savez comme moi, les contrôles sont à la fois insuffisants dans leurs moyens et très sélectifs dans leur mise en oeuvre, et cette sélection ne nous sert pas toujours.
Pour conclure sur le titre II, et toujours dans la perspective européenne, j'annoncerai mon soutien à l'amendement n° 8 de la commission visant à introduire un article additionnel après l'article 7 et aux termes duquel est prévu, dans un délai de deux ans, le dépôt d'un rapport sur la bande côtière.
Celle-ci est à la fois un lieu privilégié de reproduction de la ressource trop souvent pillée par des engins de pêche demesurés et une zone d'activité où se concentre une partie importante de notre flottille.
Il est bon et même nécessaire d'approfondir la réflexion afin de proposer des solutions à des problèmes aujourd'hui bien identifiés mais sur lesquels, nous le savons tous, le consensus est difficile à trouver.
J'en viens maintenant au titre III, qui est véritablement novateur. Il tend en effet à permettre une réelle modernisation de l'entreprise de pêche en offrant au patron-pêcheur artisanal la possibilité de constituer une société de pêche artisanale comparable aux groupements d'aide à l'exploitation en commun, les GAEC, en agriculture.
Le rapport d'audit sur la pêche artisanale établi en 1995 a fait ressortir que la structure financière des entreprises de pêche était gravement déséquilibrée par la faiblesse des fonds propres et par un fort endettement, dû en partie à un certain surinvestissement. La pêche artisanale présenterait ainsi les caractéristiques d'une industrie lourde et capitalistique, mais qui serait financée comme l'est une PME artisanale ; curieux paradoxe !
Le développement de la mise en société, encouragé par la neutralité fiscale et économique, permettra de mieux cerner la valeur des actifs, d'éviter la confusion du patrimoine privé et social, en un mot, d'avoir une véritable gestion d'entreprise. A cet égard, l'investissement sera facilité par l'étalement des plus-values réalisées lors de la cession d'un navire de pêche ou de parts de copropriété, avant le 31 décembre 2003, sous réserve de réemploi dans un navire de pêche neuf ou d'occasion ou dans des parts de copropriété correspondantes.
La commission a ajouté à ce dispositif un article additionnel destiné à favoriser la première installation des jeunes pêcheurs. Aux termes de cet amendement, ils pourront bénéficier de l'abattement fiscal visé à l'article 2 de la loi du 5 juillet 1996 lorsqu'ils souscriront des parts de copropriété de navires de pêche, quirats.
Le dispositif est bien encadré. Les conditions sont telles qu'il sera réservé aux jeunes de moins de 35 ans pour la première installation. Je le voterai, car il me semble bien mieux adapté pour ces jeunes que l'étalement des plus-values qui, concrètement, ne les concerne pas.
Les titres IV et V, relatifs à la réorganisation de la filière et aux cultures marines, portent des dispositions de nature à assurer le pilotage de la production par le marché, mais aussi à fournir les moyens d'une politique de produits de qualité et de protection du consommateur. Ce dernier point aurait sans doute mérité une réflexion plus grande.
On connaît les difficultés liées à la dispersion de l'offre face à une demande de plus en plus concentrée, à la diversité des marchés et des espèces, ainsi qu'aux charges liées au débarquement. Il y a quarante-six criées en France, dépendant plus des traditions locales que des besoins du marché, d'où la multiplication des ventes hors criée, estimées à 40 %, ce qui est tout de même beaucoup.
On ne peut qu'approuver la transformation du FIOM en un office de type agricole, l'OFIMER, qui assurera un véritable pilotage de la filière. Si nous voulons véritablement une stratégie de qualité, il est indispensable que s'instaure un véritable dialogue interprofessionnel, ainsi qu'une véritable politique de partenariat.
La création du conseil supérieur d'orientation chargé de mettre en cohérence les politiques de la pêche concourt aussi à la poursuite de ces objectifs. Tout ce qui, dans la loi, favorise une réelle implication de toute la filière en vue de promouvoir une politique de qualité et de « traçabilité » des produits, de l'amont vers l'aval, doit être mis en oeuvre avec détermination. Permettez-moi, monsieur le ministre, de citer encore un exemple pris dans ma région. Les ostréiculteurs, qui tiennent à ce que la dénomination « Huitres de pleine mer de Saint-Vaast ou de la côte ouest du Cotentin » soit connue, savent bien que leur production est demandée pour ses qualités gustatives et sanitaires unanimement reconnues.
Quand nos produits sont les meilleurs, il faut le faire savoir. Nous ne sommes pas excellents dans ce domaine et nous avons des progrès à faire !
Le titre V du projet de loi traite de la modernisation des relations sociales, qui sont très spécifiques dans le domaine de la pêche.
Il s'agit, en effet, d'un secteur d'activité très ancien, qui s'est structuré autour des traditions de métier. Certains textes remontant à Louis XIV ont été à peine rénovés en 1926 par le code du travail maritime. Au demeurant, les conditions de travail à la mer n'ont pas tant changé que cela depuis l'époque de Louis XIV.
A bord d'un petit chalutier, les relations entre patron et salariés ont un caractère très particulier, et le statut de l'un et des autres ne peut être calqué sur ce qu'il est dans d'autres activités économiques.
Le système de rémunération à la part, universel et très ancien lui aussi, a pourtant un caractère très moderne en ce qu'il implique un partage des risques et des bénéfices. Cependant, un salaire négatif n'est pas envisageable, dans la mesure où un salarié ne peut participer aux pertes.
Il résulte de cela un certain flou quant au statut du salarié à la pêche artisanale que le texte vient opportunément clarifier, à travers des mesures bien accueillies, là encore, par l'ensemble de la profession.
Ainsi, le principe de l'application du SMIC se trouve concilié avec le système de rémunération à la part par le lissage sur l'année du calcul de la rémunération minimale, en tenant compte en particulier du temps de travail à la pêche. Cela fera, avez-vous dit, monsieur le ministre, l'objet du décret qui sera pris après concertation.
La mise en place d'un fonds national d'aide à la préretraite s'appliquant à l'ensemble des marins constitue une avancée substantielle ; elle a pour contrepartie l'embauche d'un marin ayant perdu son emploi à la suite d'une sortie de flotte, ce qui mettra en évidence le reclassement.
L'amélioration des relations sociales est un objectif louable. Comment ne pas y souscrire ?
Veillons cependant à tenir compte des contraintes particulières des métiers de la pêche et à ne pas créer des obstacles à une activité, qui est certes dure et exigeante pour ceux qui la pratiquent, mais qui est aussi leur fierté.
J'émettrai ainsi quelques réserves sur les dispositions relatives à la protection des jeunes travailleurs. Leur application risque d'être à la fois tout à fait incontrôlable et incompatible avec la vie à bord, par exemple par mauvais temps et lorsque le bateau se trouve sur un banc de poissons.
« Tous embarqués sur un même bateau » : l'expression populaire montre bien que le résultat attendu, voire la survie dépendent d'un effort qui ne peut être que commun.
J'ajouterai que les conditions de travail sur un navire dans les moments les plus difficiles, les plus ardents du métier n'ont rien à voir avec celles de quelqu'un qui est enfermé dans un bureau toute la journée, et cela doit être pris en compte.
Je souhaiterais faire une observation à propos de l'article 35, relatif à la constitution de droits réels sur le domaine public portuaire géré par les départements, notamment en ce qui concerne les installations immobilières affectées aux cultures marines ainsi qu'aux mareyages.
La commission nous propose un amendement visant à supprimer l'obligation d'obtenir l'accord du représentant de l'Etat pour l'octroi de ses droits réels.
Dans le cadre d'une réelle décentralisation, la collectivité qui a la maîtrise de la gestion du domaine qui lui a été transféré doit pouvoir exercer pleinement ses pouvoirs pour créer, aménager, exploiter les ports maritimes. Le point de vue économique et environnemental qui lui est propre doit l'emporter sur des considérations trop strictement technico-administratives et qui sont souvent totalement indifférentes, je l'ai constaté bien des fois, aux besoins réels et aux contraintes économiques.
Les compétences techniques des personnes concernées ne sont pas en cause ; c'est l'usage qui est fait de ces compétences qui est discutable.
Je voterai donc cet amendement.
Pardonnez-moi de terminer cette intervention en revenant sur le titre Ier et l'article 1er du projet de loi, mais il s'agit d'une réflexion sur la portée réelle des objectifs qui sont énoncés.
Le rapporteur a souligné l'ambiguïté de formules déclaratives - il écrit même « incantatoires » - dans un texte qui, par essence, doit être normatif. Il est clair que la plupart des objectifs énoncés dans l'article 1er sont repris dans le corps du projet et ont, de ce fait, une réelle portée juridique. En revanche, le développement des cultures marines et la qualité du milieu marin dans lequel elle s'exerce ne le sont qu'indirectement.
Certes, une directive communautaire a été adoptée en 1979 en vue, notamment, de sauvegarder les populations conchylicoles de diverses pollutions. Cependant, en matière de protection du littoral et d'aménagement du territoire, comme en matière d'identification et de qualité des produits, on aurait pu espérer un véritable cadre juridique, expression concrète d'une volonté politique forte. Je pense qu'il faudra y revenir dans le futur.
Cela dit, je voterai, comme tous les membres du groupe des Républicains et Indépendants, l'ensemble du texte, qui consacre la reconnaissance de la pêche et des cultures marines comme un secteur économique à part entière.
Mais je ne voudrais pas clore cette intervention, monsieur le ministre, sans vous remercier d'avoir consacré à la pêche et aux cultures marines une attention tout aussi vive que celle que vous vouez, on le sait, à l'agriculture. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Oudin.
M. Jacques Oudin. Monsieur le président, mes chers collègues, je crains que, à ce stade du débat, l'essentiel n'ait déjà été dit, que ce soit à travers le discours très détaillé du ministre, l'excellent rapport, aussi ample que précis, de M. de Rohan...
M. Gérard Larcher. Tout à fait !
M. Jacques Oudin. ...ou l'intervention de Mme Anne Heinis.
Ce texte vient à son heure et nous en sommes, je crois, très satisfaits. Je redoute d'ailleurs qu'il ne connaisse le sort des trains qui arrivent à l'heure et que les médias n'en parlent moins que des trains qui déraillent... (Sourires.)
MM. Josselin de Rohan, rapporteur, et Gérard Larcher. Eh oui !
M. Félix Leyzour. Ou qui ne partent pas !
M. Jacques Oudin. En tout cas, monsieur le ministre, vous êtes arrivé à l'heure et avec de beaux wagons ! (Nouveaux sourires.)
Ce projet de loi illustre notre double ambition : ambition maritime et ambition européenne.
L'ambition maritime a été maintes fois affichée par M. le Président de la République, notamment le 20 juillet 1995 lorsqu'a été célébré, à Rochefort, le vingtième anniversaire du Conservatoire du littoral.
Cette volonté a d'ores et déjà été concrétisée par un nombre non négligeable de mesures : nomination du secrétaire général à la mer, dont je salue la présence ; tenue de deux conseils interministériels maritimes, le 26 juillet et le 4 octobre 1995 ; vote de la loi sur les quirats. Vient maintenant ce projet de loi sur la pêche maritime et les cultures maritimes, qui devrait être prochainement suivi d'un projet de loi portuaire.
Cet ensemble impressionnant montre que l'ambition maritime de la France se bâtit pierre par pierre.
L'ambition européenne n'est pas moins importante. Voilà plus de dix ans que la politique commune des pêches existe. Je crois qu'elle était indispensable, et nous nous réjouissons qu'elle ait été mise en place, même s'il nous arrive de protester contre quelques déviations ou abus.
Quoi qu'il en soit, ce texte a le mérite incontestable de faire apparaître qu'une volonté européenne et une volonté nationale sont parfaitement conciliables ; il faut d'ailleurs les concilier pour coordonner l'ensemble de nos actions.
Dans la préparation de cette loi, monsieur le ministre, vous avez réussi à associer tous les professionnels ; le rapporteur et Mme Heinis ont déjà, à juste titre, rendu hommage à la concertation qui a été menée. Elu du littoral, je peux vous dire que les milieux professionnels ont apprécié la méthode que vous avez adoptée. Vous êtes d'ailleurs venu plusieurs fois en Vendée et, chaque fois, votre présence a été un atout pour mieux faire comprendre les difficultés d'un secteur qui en rencontre beaucoup actuellement.
Certes, la pêche n'est sans doute pas, au regard des autres secteurs économiques, une activité extrêmement importante. Mais 17 000 marins, 15 000 conchyliculteurs, 6 milliards de francs de chiffre d'affaires pour la pêche, 100 000 emplois dans la filière, ce n'est tout de même pas négligeable !
Il était nécessaire d'entreprendre la démarche consistant à inviter le Parlement à légiférer dans ce domaine. C'est essentiel à la survie du littoral, car celui-ci, même s'il a des atouts, est confronté à une série de problèmes : des ports de commerce qu'il faut dynamiser ; une flotte marchande qui ne se porte pas très bien ; une pêche qui connaît des difficultés considérables depuis 1993, contrastant avec la période relativement faste qui a précédé.
Sur le littoral, notre souci est d'assurer une diversité et une complémentarité d'activités. La pêche constitue évidemment, dans cette perspective, un élément majeur. Comme l'a souligné notre collègue Anne Heinis, pour avoir une pêche vivante, il faut conserver un minimum de flotte.
Je le disais lorsque je rapportais le projet de loi sur les quirats, à la base de tout, il y a le bateau, qu'il s'agisse de marine marchande ou de pêche maritime. S'il n'y a plus le bateau, il n'y a plus d'hommes ni de produits. Et un nombre minimal de bateaux est nécessaire pour faire vivre les ports.
Par conséquent, la réflexion doit tourner autour du bateau.
Monsieur le ministre, cette question a été évoquée lorsque vous êtes allé sur le terrain : quel est le minimum acceptable en termes de flotte, non seulement globalement mais également par secteur géographique ?
Il s'agit donc de savoir de combien de bateaux un port de pêche a besoin pour faire vivre sa criée, ses organisations de producteurs, son circuit commercial, bref pour exister en tant que tel.
A terme, monsieur le ministre, vous devrez adopter, pour les ports de pêche, la même démarche que pour les ports de commerce : l'élaboration d'un schéma portuaire des ports de pêche. C'est une réflexion qui doit être amorcée au cours de ce débat.
Par exemple, le port des Sables-d'Olonne - mais je pourrais en citer bien d'autres dans mon département - dépérira inéluctablement si le nombre de bateaux descend en dessous d'un certain seuil.
Je ne reviendrai pas sur les cinq axes que vous avez évoqués, que M. le rapporteur a analysés et dont a traité également Mme Heinis. Je formulerai, pour ma part, quelques observations.
S'agissant de la gestion de la ressource, vous avez eu raison de mettre l'accent sur les organisations de producteurs. Le secteur de la pêche n'a d'avenir que s'il est solidaire, structuré, et si les professionnels et l'administration peuvent travailler main dans la main. Il est donc juste que les organisations de producteurs puissent se voir affecter les sous-quotas et les gérer.
Cela dit, je souhaiterais que les organisations de producteurs soient également consultées sur l'ensemble des conditions d'accès à certains stocks.
En ce qui concerne l'évolution des capacités de pêche, nous sommes tous d'accord pour dire qu'une réduction de 40 %, fixée de façon arbitraire, n'est pas une mesure acceptable en l'état. Toutes les ressources ne sont pas menacées, nous le savons ; tous les quotas ne sont pas utilisés, c'est un fait ; tous les pays ne pratiquent pas certaines techniques dévastatrices utilisées par les grands chalutiers de nos voisins et néanmoins amis. Evitons donc de mettre tout le monde sous la même toise.
Monsieur le ministre, vous avez défendu les intérêts français avec le dynamisme qu'on vous connaît, et le monde de la pêche vous en est reconnaissant. Nous vous demandons de continuer dans cette voie, car, s'il y a une politique européenne de la pêche, je ne suis pas sûr que les pratiques de pêche soient identiques partout en Europe ; je suis même certain du contraire. Cela implique un système de contrôle adapté.
Je pourrais tenir exactement le même discours à propos de la politique douanière : j'évoquais récemment avec le directeur général des douanes les pratiques locales assez singulières observées parfois dans ce domaine.
Telle est la raison pour laquelle le contrôle de l'application des dispositions doit requérir toute votre attention et le maintien d'une pression toute particulière.
S'agissant de la bande côtière, qui est une zone parfois surexploitée et toujours conflictuelle, la commission a proposé un bon amendement. Le délai de deux ans proposé par le Gouvernement me semble trop long. Le rapport sur la bande côtière peut être présenté d'ici à la fin de l'année... (M. le ministre marque son étonnement) de l'année prochaine, veux-je dire. (M. le ministre sourit.) Il ne faut pas attendre trop longtemps. Les rapports administratifs se perdent trop souvent dans les sables des procédures.
Le POP IV, tel qu'il a été présenté, ne nous semble pas acceptable. Vous devriez insister sur la nécessité de distinguer les gros bateaux, qui peuvent être dévastateurs, et les petits bateaux artisanaux, qui font vivre notre bande côtière et les ports de pêche qui animent notre littoral. Il n'est pas possible, je le répète, de placer tout le monde sous la même toise.
A ce point de mon intervention, je formulerai une remarque sur un point très particulier qui a été évoqué devant le conseil portuaire que j'ai présidé hier. Dans le cadre des procédures de retrait de flotte, je souhaite que vous reveniez sur certains aspects de la notion de « destruction ». La subvention n'est en effet accordée que si le bateau est complètement détruit. En fait, il serait souhaitable qu'un bateau qui n'est plus réellement en mesure de pêcher ou d'être remis en état de pêcher soit considéré comme détruit. Cette mesure irait dans le bon sens.
En effet, une culture se développe sur notre littoral tendant à nous rendre attentifs à la conservation de ces vieux bateaux soit dans des cimetières de bateaux, soit dans certains sites où ils sont exposés. Or je me heurte à l'administration, qui, au motif d'appliquer les règlements, demande la destruction des bateaux.
Soyons donc raisonnables, monsieur le ministre. Essayons d'adapter. Il est possible d'enlever le moteur d'un bateau ou de rendre inapte à la pêche celui-ci. Il est parfois souhaitable de conserver ce patrimoine maritime.
Le président de l'association pour la création de la fondation du patrimoine maritime que je suis est très sensible à cet argument. Aussi, je vous demande, monsieur le ministre, de faire en sorte que les règlements soient intelligents, sur ce point en particulier.
Puisque nous parlons de règlements intelligents, le moment est venu d'évoquer le projet de règlement de la Commission concernant les mesures techniques. Nous avons d'ailleurs traité ce point avec vos collaborateurs.
Ces mesures techniques peuvent paraître parfois modestes, voire accessoires aux yeux des non-spécialistes, puisqu'il s'agit, par exemple, de la taille ou de la forme des mailles. Or il n'en est rien. Ce problème est très important.
Sans entrer dans le détail des mesures, je vous demande qu'aucune disposition ne soit prise sans avoir été au préalable expérimentée afin d'en apprécier les conséquences. Nous avons eu trop de mécomptes dans le passé.
S'agissant toujours de l'effort de pêche, comment voulez-vous qu'un élu du département de la Vendée n'évoque pas la question du filet maillant dérivant ? Entre la raison et la passion, je ne suis pas certain que la seconde ne l'ait pas emporté. Les scientifiques et les techniciens ont examiné ce problème : le filet maillant dérivant ne menace pas les stocks de thons ; il n'éradique pas les autres espèces, comme certains l'affirment ou le font affirmer par d'autres.
Non, le filet maillant dérivant limité à 2,5 kilomètres par bateau doit permettre à notre flottille de pêche au thon de survivre. Je pense notamment à celle du port de l'île d'Yeu, dont dépend la survie de l'île, ce qui n'est pas négligeable.
Vous avez défendu ce dispositif. Vous nous aviez expliqué que nos partenaires européens y sont, dans leur majorité, hostiles. Il faut maintenir notre position et continuer à l'expliquer à nos partenaires. Nous ne pouvons pas abandonner l'île d'Yeu sous prétexte que certains ont, sur ce point, des positions extrêmes.
J'en viens maintenant à la commercialisation. J'ai évoqué tout à l'heure le problème des contrôles. Des progrès ont certes été réalisés, mais d'autres restent encore à accomplir. Je pense notamment à certaines importations sauvages et à certains transferts de circuits d'importations qui doivent bien évidemment être réprimés autant que faire se peut.
Nous approuvons la transformation du FIOM en OFIMER. Nous l'avions d'ailleurs appelée de nos voeux et nous souhaitons qu'elle soit mise en oeuvre rapidement.
De même, nous approuvons la création d'un conseil supérieur d'orientation des politiques halieutique, aquacole et halio-alimentaire ainsi que la mise en oeuvre d'une politique de mareyage.
Sur ce dernier point, nous avons déjà évoqué les quarante-six criées françaises. Je voudrais simplement attirer votre attention sur la nécessité d'entreprendre un effort de rationalisation, mais aussi sur le danger d'une destructuration pour certains de nos ports si cet effort est réalisé sans aucune vision d'avenir.
J'en reviens donc à ma suggestion d'un schéma portuaire pour la pêche. Regardez ce qui s'est passé récemment pour la mise aux normes des criées. De nombreux gestionnaires de criées ont réalisé des efforts financiers considérables pour appliquer les règlements européens. Certaines de ces criées sont maintenant aux normes. Mais la crise est arrivée, et les criées sont déficitaires.
Que faire ? Monsieur le ministre, vous connaissez ce dossier. Je souhaite, bien sûr, que l'on trouve la meilleure solution, mais je crois que l'avenir de l'organisation du marché passe par des professionnels organisés, mais également par une informatisation du dispositif aussi poussée et aussi performante que possible.
Pour ce qui est de la modernisation des entreprises de pêche, les orateurs précédents ont déjà dit tout le bien qu'ils pensaient de certaines des mesures fiscales que vous proposez, en particulier de l'étalement des plus-values. Mais une autre question importante a été soulevée, celle de l'installation des jeunes. A ce sujet, la commission a déposé, avec l'approbation de la majeure partie de ses membres, un amendement concernant l'application du système des quirats à la première installation des marins-pêcheurs.
Cette mesure est importante car l'étalement des plus-values concerne d'abord ceux qui disposent déjà d'un outil. Or, pour le jeune qui souhaite s'installer, il est important de réunir l'épargne nécessaire au financement de son bateau afin de ne pas être obligé d'hypothéquer sa maison, voire celle de ses parents ou de ses beaux-parents.
Le système des quirats a précisément été créé à cet effet. Il a existé de tout temps, puisqu'il date des Phéniciens ; nous l'avons seulement réactualisé.
Je sais, monsieur le ministre, que vous vous livrez à un combat interministériel difficile. Mais le Parlement, et c'est son rôle, a son mot à dire en l'espèce. Il faut étendre ce dispositif, afin de drainer vers la pêche une épargne qui lui est nécessaire.
S'agissant du domaine public maritime, vous avez évoqué, voilà un instant, monsieur le ministre, les autorisations d'occupation temporaire. L'adaptation du système juridique du domaine public maritime est bonne. Néanmoins, j'attire votre attention sur un point : lorsqu'une autorisation d'occupation temporaire du domaine public maritime est accordée, elle exclut, selon le droit actuel, les sous-locations.
Monsieur le ministre, vous avez renforcé les organisations de producteurs, donc la structuration du système de pêche. Or, un comité local des pêches qui se voit accorder une autorisation d'occupation temporaire et qui, sur l'emplacement ainsi dévolu, aménage des chais pour les marins-pêcheurs ne peut pas, en théorie, louer ceux-ci. Toutefois, en pratique, il le fait. Monsieur le ministre, il faut donc adapter le droit aux faits.
Un comité local des pêches qui construit, par exemple, un atelier de réparation ou un magasin devrait pouvoir les sous-louer. Or, il ne le peut pas. Je vous demande donc sur ce point de dynamiser davantage la loi et de permettre aux structures professionnelles de mieux occuper le domaine public maritime.
En conclusion, j'évoquerai les cultures marines.
Nous sommes l'une des premières nations productrices, et nous en sommes fiers. Tout le monde s'accorde à reconnaître la qualité de nos produits.
Il existe toutefois quelques ombres au tableau.
Nous avons développé la recherche en matière de culture marine, notamment d'aquaculture. L'IFREMER était au centre de cette recherche, mais je ne suis pas certain que les résultats aient été à la hauteur soit des espérances, soit des crédits affectés à cette recherche.
Monsieur le ministre, peut-être serait-il opportun d'entreprendre avec votre collègue en charge de la recherche un travail d'évaluation dans ce domaine et d'envisager peut-être une réorientation ou une dynamisation.
Par ailleurs, chaque été, les cultures marines sont frappées par des épidémies. Une partie de la récolte se trouve ainsi détruite, polluée, en tout cas perturbée. Là encore, bien que des progrès récents aient été accomplis, il faut développer la recherche autour d'IFREMER afin de lutter contre toutes ces épidémies estivales qui sont un désastre pour nos cultures marines côtières.
Ainsi que l'ont souligné les orateurs précédents, nous disposons de nombreux atouts : une flotte moderne, des hommes compétents, une demande porteuse. Nous avons affirmé notre volonté nationale ; nous oeuvrons actuellement au sein d'une politique européenne qui va dans la bonne direction même si nous devons l'infléchir parfois. La mutation que nous connaissons va se poursuivre mais nous n'avons pas encore surmonté la crise grave que nous traversons.
Comme M. le rapporteur l'a souligné, je suis persuadé que ce texte à la fois pragmatique, équilibré et novateur, qui a été élaboré après une concertation poussée, nous mènera sur le bon chemin, celui de la pérennité d'une pêche qui fait honneur à nos traditions littorales et maritimes. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Sergent.
M. Michel Sergent. Issu d'une très large concertation, le projet de loi d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines s'articule autour des cinq grands axes que vous avez définis, monsieur le ministre : la gestion de la ressource, l'organisation de la filière, la modernisation du statut légal et fiscal des entreprises de pêche artisanale, l'adaptation des cultures marines et la modernisation des relations sociales.
Le projet de loi qui nous est soumis répond à une attente du monde de la pêche. Il est l'aboutissement logique d'une longue réflexion des représentants de l'Etat et des professionnels à la suite des graves événements survenus en 1993 et en 1994.
Le projet de loi vise à une meilleure implication de notre environnement des pêches maritimes dans leur cadre européen et communautaire.
Pour ma part, et en accord avec mon collègue M. Henri Weber, je traiterai plus particulièrement de la ressource, du marché et du statut des entreprises. A bien considérer vos propositions, monsieur le ministre, je tenais à formuler un certain nombre d'observations.
Je ferai, tout d'abord, une remarque de fond qui rend compte, en définitive, de la fragilité de certaines propositions. La deuxième partie de l'article 1er de l'avant-projet de loi d'orientation a été supprimée. Or, ce texte définissait les objectifs concrets de la politique des pêches maritimes après les objectifs généraux figurant dans la première partie.
Cette suppression réduit les ambitions de la loi à une loi de caractère essentiellement technique, et non à une loi dite d'orientation aussi ambitieuse que les lois d'orientation agricole, que vous connaissez bien, monsieur le ministre.
Si la gestion de la ressource halieutique est, à n'en pas douter, une problématique qui s'inscrit pleinement dans une politique des pêches communautaires renouvelée, il est nécessaire, voire indispensable, de mettre en avant une donnée fondamentale : l'axe ressource-marché, sur lequel se greffe la rentabilité de la flotte.
S'inscrivant désormais dans une logique communautaire et européenne, la politique commune des pêches, amorcée en 1973, revêt quatre aspects.
Il s'agit, premièrement, de l'ouverture totale des marchés des produits de la mer, avec des normes sanitaires et commerciales communes.
Il s'agit, deuxièmement, de l'égalité d'accès à l'ensemble de la mer communautaire : les zones économiques exclusives des Etats membres, à l'exception des eaux territoriales, réservées aux pêches nationales, et du régime particulier de l'Espagne et du Portugal.
Il s'agit, troisièmement, d'une politique du développement qui a d'abord consisté à favoriser, par des financements communautaires, la modernisation des flottes de pêche et des équipements de commercialisation à terre, et qui devait s'attacher à s'assurer la rentabilité de la flotte, notamment en adaptant la capacité de pêche à la ressource.
Enfin, quatrièmement, il s'agit des normes communes de régulation de l'effort de pêche - les TAC et les quotas nationaux - pour les espèces sensibles, des mesures techniques - maillages minimaux, tailles minimales, notamment - et des systèmes statistiques communs.
Cependant, force est de constater et de regretter, d'une part, le non-respect des règles édictées au sein de l'Union européenne par certains pays membres de la Communauté - et non des moindres - et, d'autre part, une perméabilité inadmissible des frontières communautaires à l'égard de certains produits et certaines espèces.
Dans cette perspective de lisibilité des filières et au-delà d'une nécessaire interaction intracommunautaire, à condition que celle-ci s'effectue dans le cadre d'une saine et franche concurrence, votre projet de loi d'orientation, monsieur le ministre, constitue un outil important que toute la profession attendait.
Mais avant d'aborder les aspects techniques de votre texte, permettez-moi de recentrer notre préoccupation commune : la défense de nos pêches nationales.
Nous avons bien compris que les mesures que vous proposez et que vous suggèrent les professionnels - je veux parler de l'union des armateurs à la pêche de France, du comité national des pêches maritimes, du FIOM, de l'ensemble du monde syndical, bref de tous les organismes qui représentent la profession des pêches maritimes - ces mesures, dis-je, s'inscrivent dans une logique et une seule : l'adaptabilité de nos professions dans le concert européen.
Les grands axes que vous avancez sont liés les uns aux autres. Il convient, par conséquent, de les examiner un à un, de les aménager et de leur donner une texture en harmonie avec les défis européens et mondiaux.
Au centre du problème se trouve la ressource. Mais, partant de cet axe majeur, c'est tout un ensemble de secteurs qui doivent être traités.
La règle fondamentale de l'accès au marché en contrepartie de l'accès à la ressource doit être l'objectif prioritaire. Ce n'est pas le cas actuellement.
Tout d'abord, la Communauté a accepté que les eaux internationales du nord de l'Europe soient considérées, sans aucune justification, comme une extension des eaux norvégiennes, sans contrepartie pour les Etats membres et sur l'importance de leurs quotas.
Ensuite, l'accès des pays tiers au marché de l'Union européenne serait supportable si les pays concernés octroyaient à la Communauté des contreparties substantielles sous forme de droits de pêche dans leurs eaux. Or ces droits de pêche sont très faibles dans les eaux norvégiennes et inexistants dans les eaux islandaises.
Enfin, les quotas octroyés par la Communauté dans les eaux communautaires sont, pour la plupart des espèces, adaptés à la flottille française, et en particulier à la flottille hauturière, dont l'effort de pêche a considérablement diminué.
Cependant, les à-coups brutaux dans les quotas de maquereau - diminution de 50 % en 1995 et 1996 et de 20 à 30 % en 1997 - et de hareng - baisse de 50 % en 1996 et sans doute un statu quo en 1997 - lèsent considérablement les flottilles hauturières et artisanales, dont les revenus de fin d'année sont étroitement liés à la capture de ces deux espèces. Ils sont donc économiquement inacceptables.
Ainsi donc, en tête des préoccupations bruxelloises, se trouve la gestion de la flottille. Rappelons au passage que nous ne pouvons admettre le diktat de la Commission. La France, qui respecte ses engagements et qui fait figure de bon élève, ne peut et ne doit accepter une nouvelle fois la réduction de sa flotte. Nous vous soutiendrons, monsieur le ministre, dans toutes les actions que vous pourrez entreprendre dans ce sens. Aux mauvais élèves et à ceux qui n'ont pas respecté le POP III d'être sanctionnés !
Deux autres éléments doivent être traités conjointement : le statut des sociétés et la composition des flottilles.
La transformation de certaines sociétés de portage en véritables armements coopératifs doit, en définitive, contrarier la dispersion des flottilles pour préserver les équilibres portuaires et enrayer la fuite de quotas sous les pavillons franco-espagnol ou franco-hollandais. Pour cela, il faut créer un fonds spécial d'adaptation structurelle pour l'aménagement de la flotte ; il s'agirait, en quelque sorte, de l'équivalent des sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural, les SAFER. Ce fonds, alimenté par l'Etat, la coopération et les régions pourrait contribuer à soutenir, chaque fois que nécessaire, le maintien de navires dans le tissu économique régional. Le fonds aurait aussi pour mission d'aider à l'installation des jeunes par un apport en fonds propres.
Je regrette que ce point ne soit pas inscrit dans votre projet de loi d'orientation, monsieur le ministre.
Un autre aspect fondamental de la bonne gestion des stocks tient dans la polyvalence de la flottille. Nous retrouvons ici, une fois de plus, le rôle du marché qui a besoin de diversité. Mais cette polyvalence met en échec les programmes mathématiques de Bruxelles.
POP III, POP IV, mesures techniques, quotas... sont loin de la réalité de l'exercice quotidien des navires en mer.
Avant de penser à réduire la flottille, il convient de réfléchir au marché. Le marché est, en effet, un axe primordial. Il convient de l'assainir : c'est le préalable à toute réflexion ou à toute action sur la bonne gestion des ressources.
Je ne reviendrai sur la dérégulation du marché que pour condamner les accords dits conventionnels - avec contreparties - ouvrant les marchés à des pays européens ou non européens « gros producteurs ».
La réforme du marché doit passer par un élargissement du rôle des organisations de producteurs en tant qu'opérateurs commerciaux. En cela, le nouveau FIOM,l'OFIMER, doit se voir octroyer les instruments nécessaires à sa nouvelle et ambitieuse mission : réguler le marché des produits de la mer de manière plus efficace. En ce sens, les producteurs et les marins-pêcheurs ne devraient plus être oubliés.
En définitive, l'assainissement du marché ne se réalisera que sous quatre conditions : premièrement, le respect des règles intracommunautaires ; deuxièmement, l'imperméabilité des frontières - si nous acceptons l'idée d'une coopération Union européenne-pays tiers, celle-ci ne doit pas se faire au détriment de nos producteurs ; troisièmement, l'ajustement de la production aux besoins du marché - la mise en place de l'OFIMER doit, par conséquent, être l'instrument de cette nouvelle donne ; gageons qu'il en aura les moyens ! - enfin, quatrièmement, la fin des dévaluations compétitives.
Vous faites allusion à un conseil supérieur d'orientation des politiques halieutique, aquacole et halio-alimentaire. Je note, au passage, la suppression des domaines d'intervention de cette nouvelle instance consultative par rapport à l'avant-projet de loi d'orientation. Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous en expliquer les raisons ?
Si je vous ai bien compris, cette instance consultative doit avoir pour objet de rechercher la cohérence des différents aspects de la politique des pêches et des cultures.
Connaissant les prérogatives du comité national des pêches maritimes et des élevages marins, qui récupère à la fois le volet social du FIOM et les attributions nouvelles que devrait avoir l'OFIMER, je ne vous cacherai pas que j'ai du mal à saisir sinon la finalité, du moins la totale pertinence de ce nouvel organisme. Cette interrogation est d'ailleurs partagée par ces deux organismes. Je vous serais reconnaissant de bien vouloir m'éclairer sur ce point, monsieur le ministre.
Le troisième grand axe de votre projet de loi d'orientation tend à redéfinir et à toiletter le statut légal et fiscal des entreprises.
Avant d'entrer dans le détail de cette priorité de travail, je souhaite vous mettre en garde contre le fait que de nombreuses dispositions destinées à inciter les propriétaires artisans à passer en société ne font que pérenniser et conforter les discriminations de concurrence qui pénalisent les sociétés d'armement hauturier. Peut-on favoriser les uns sans mécontenter les autres ?
Si l'intention de revivifier le cadre légal et fiscal de la pêche artisanale est louable, il serait judicieux de ne pas le globaliser, de ne pas le généraliser. En effet, la modernisation des statuts de l'entreprise n'est pas d'actualité pour tous les navires.
Seuls les patrons qui ont des difficultés ont intérêt à créer leur SARL. Lorsque la gestion est saine, le statut d'artisan est beaucoup plus rentable sur le plan fiscal. Le statut de l'entreprise renvoie aussi à la notion de taille : la pêche doit-elle rester artisanale ou devenir propriété de grosses sociétés ? La question reste posée, et sans réponse pour le moment.
Vous proposez, par ailleurs, le report et l'étalement des plus-values sur sept ans en cas de réinvestissement dans un navire de pêche neuf ou d'occasion.
Etant donné l'acuité de la crise qui sévit actuellement, pourquoi ne pas décider simplement la détaxation des plus-values de cession en cas de réinvestissement ? Y aurait-il opposition du ministère des finances ?
Je me permettrai maintenant d'insister sur certains aspects techniques du titre III.
La formulation « entreprise de pêche maritime » n'est pas définie, ce qui risque, à terme, de poser des problèmes d'interprétation.
A partir de l'article 9, les termes utilisés recouvrent tous plus ou moins la même notion, celle de l'entreprise de pêche artisanale, mais sans jamais complètement la définir, notamment à l'article 10. On trouve ainsi les termes suivants, supposés synonymes : propriétaire embarqué, société de pêche artisanale, artisans pêcheurs, pêcheurs associés d'une société de pêche artisanale, marins propriétaires ou copropriétaires, entreprise exerçant une activité de pêche maritime.
Ne serait-il pas opportun, pour la lisibilité du texte et pour la politique structurelle de la filière que le présent projet de loi d'orientation définisse clairement l'entreprise de pêche artisanale, qui se caractérise, notamment, par une initiative et une responsabilité personnelle du pêcheur ?
Par ailleurs, l'avant-projet de loi d'orientation annonçait explicitement l'égalité de traitement fiscal entre la société de pêche artisanale et l'artisan pêcheur. Or ce n'est plus le cas dans le projet de loi d'orientation. Quelle est la réelle volonté du Gouvernement en la matière ? La neutralité fiscale, sociale et économique, ou simplement sociale et économique ?
De même, cette entreprise de pêche devrait être définie comme la société propriétaire de navires de pêche, ou de parts de copropriété de tels navires, même si leur exploitation est confiée à des tiers.
Enfin, vous proposez une exonération de la taxe professionnelle dont bénéficient les artisans jusqu'en 2003. Qu'est-ce qui vous pousse à avancer cette échéance ? Fallait-il limiter cette exonération dans le temps ?
J'indique pour mémoire que la taxe professionnelle appliquée à la pêche artisanale représente 20 000 à 30 000 francs par an, soit sur dix ans 200 000 à 300 000 francs, c'est-à-dire entre 5 et 10 % du prix de revient initial du navire. Dans le contexte actuel de baisse de rentabilité économique des outils, l'application de la taxe professionnelle à la pêche artisanale diminuera d'autant la capacité d'autofinancement des entreprises, cette taxe représentant en moyenne entre 5 et 10 % de l'excédent brut d'exploitation d'un navire.
Toujours dans cette partie consacrée à l'entreprise de pêche, l'article 15 suppose un problème inhérent au bénéfice imposable des artisans pêcheurs, soumis à un régime réel d'imposition et qui s'établissent pour la première fois entre le 1er janvier 1997 et le 31 décembre 2003.
La limite d'âge pour le bénéfice du dispositif a été ramenée à trente-cinq ans, contre quarante ans dans l'avant-projet de loi d'orientation. Cette évolution me semble trop contraignante.
La condition d'âge n'est même pas indispensable dans la mesure où l'article envisagé sera inséré après l'article 44 sexies - régime général entreprise nouvelle sans conditions d'âge - et ne modifiera donc pas l'esprit de l'article 73-B du code général des impôts, qui concerne les jeunes agriculteurs : un abattement de 50 % est prévu sur le bénéfice des jeunes agriculteurs.
Voilà, monsieur le ministre, ce qu'il m'importait de vous dire aujourd'hui sur les aspects techniques de votre projet de loi d'orientation. Comme je vous l'ai signalé dans mon introduction, je me suis attardé tout particulièrement sur les problèmes liés à la gestion de la ressource, l'organisation de la filière et la nécessaire modernisation du statut légal et fiscal des entreprises de pêche artisanale.
Mais avant de laisser la parole à mon collègue Henri Weber, qui traitera des cultures marines et du volet modernisation des relations sociales, je souhaite recentrer votre texte dans son cadre global sur le plan local et boulonnais tout particulièrement, que vous connaissez bien.
Cette réflexion me permettra de mettre en avant les difficultés de la pêche industrielle, activité qui semble marginalisée dans votre projet de loi d'orientation : vous parlez de la ressource, du marché, mais assez peu des hommes et encore moins du renouvellement de l'outil de travail.
Le « grand métier » a-t-il encore un avenir ? Nous aurions aimé voir apparaître un chapitre sur le sujet et vous comprendrez la frustration des premiers intéressés.
Boulogne-sur-Mer se caractérise, par rapport à tous les autres ports français, par une importation massive de poissons de plus de 200 000 tonnes alors que la production locale de pêche fraîche ne dépasse pas les 65 000 tonnes.
Au coeur d'une agglomération de plus de 100 000 habitants, Boulogne-sur-Mer vit au rythme de la mer et des activités qu'elle engendre.
Au premier rang de ces activités se trouvent non seulement la pêche, avec la flotte de chalutiers industriels, artisanaux et côtiers du premier port français, mais aussi les quelque 150 entreprises du premier centre nord-européen de transformation, commercialisation et distribution de produits de la mer.
Mais, derrière ce tableau brossé rapidement, l'ensemble de la filière traverse une crise économique profonde et durable qui, selon les secteurs, n'a ni les mêmes origines ni les mêmes conséquences.
Dans le secteur de la pêche artisanale, nombreux sont les patrons armateurs qui se sont endettés fortement et qui ne disposent pas d'une trésorerie suffisante pour leur permettre de faire face à leurs échéances bancaires, aux dettes fournisseurs et aux prélèvements sociaux. Le fait que les marins soient payés à la part de pêche ne peut pas, dans un double contexte de baisse de la production et de diminution du prix du poisson, leur garantir des revenus suffisants.
La pêche artisanale souffre d'une déconnexion entre le taux d'endettement de l'exploitation et le revenu attendu de la production. Le surendettement représente la contrainte structurelle majeure qui affecte la profession.
Un plan pêche a été mis en place au début de 1995 par vos services, monsieur le ministre, pour apporter le traitement économique nécessaire au secteur de la pêche.
Afin d'éviter un éparpillement des aides et, par conséquent, l'inefficacité des mesures préconisées, il a été décidé d'examiner au cas par cas les armements en difficulté inscrits au plan et de n'aider que ceux qui répondent aux conditions strictement définies.
Ainsi fut donc créé le comité interministériel de re-structuration de la pêche artisanale, le CIRPA, avec mission de gérer l'attribution des aides aux armements surendettés.
Les navires neufs ou d'occasion acquis entre 1988 et 1991 ont pu être pénalisés par la réglementation en vigueur à l'époque, qui contraignait les armateurs à acheter des kilowatts, des quotas de puissance, pour être autorisés à construire, à remotoriser à puissance supérieure, à importer, à armer un navire qui n'était pas exploité à la pêche ou à réarmer une unité inactive depuis plus de six mois.
Les surcoûts artificiels engendrés par la réglementation relative au permis de mise en exploitation grèvent l'équilibre financier d'armements souvent modernes, performants et aux résultats d'exploitation convenables.
L'Etat a donc décidé d'assumer sa part de responsabilité dans ces surcoûts, aidé par les collectivités territoriales et les banques.
Cette aide prend la forme d'une prise en charge partielle du capital restant dû sur les prêts à l'acquisition. Le désendettement est plafonné à 1 million de francs par navire, l'aide moyenne étant évaluée à 600 000 francs par navire.
Le Pas-de-Calais a recensé, en 1995, douze navires inscrits au plan de restructuration de la pêche artisanale.
La pêche industrielle souffre, elle aussi, d'un endettement, mais il ne s'agit pas du principal facteur de sensibilité à la crise. Selon les représentants de ce secteur, les difficultés existaient antérieurement à la crise de 1993. Elles relèvent toujours des inconvénients majeurs du pavillon français, qui sont afférents aux problèmes de coûts sociaux et de quotas.
Les professionnels de la pêche industrielle sont confrontés à une baisse des captures dans leurs zones traditionnelles de pêche, ainsi qu'à une insuffisance des ouvertures des zones de pêche hors Europe bleue, alors que des concurrents européens ont obtenu, en vertu de droits historiques, des quotas de pêche à l'extérieur de l'Union européenne.
La baisse d'activité de la flottille en volume de captures et en montant de chiffre d'affaires est révélatrice des problèmes structurels de la pêche hauturière boulonnaise, à savoir l'éloignement géographique des zones de pêche - opportunité et mise en place d'un système de base avancée ; étalement des escales de navires à Boulogne-sur-Mer visant à une meilleure coordination des ventes - et l'appauvrissement de la ressource.
Le tonnage débarqué par les chalutiers industriels boulonnais a chuté d'environ 25 % depuis 1988, malgré un report d'activité d'une partie de la flottille sur les grands fonds de l'Ouest. L'un des problèmes majeurs de la pêche industrielle résulte de sa surcapacité par rapport aux stocks disponibles.
Autre problème structurel : le vieillissement des navires.
La plupart des bateaux sont âgés d'une vingtaine d'années. La politique d'investissement et de modernisation engagée en 1986 a permis à la flottille de rester compétitive. Le problème du renouvellement de l'outil de travail reste aujourd'hui posé avec acuité. Malgré le plan de rénovation de certains grands chalutiers, l'absence de projet sur Boulogne-sur-Mer est un signe inquiétant pour le devenir de la pêche hauturière.
Il faut également évoquer l'érosion des cours et la situation du marché.
La courbe du prix moyen est stable depuis cinq ans. Elle exprime un tassement des cours, qui restent insuffisamment rémunérateurs. Dans un marché aujourd'hui mondialisé, la constitution des prix se fait dans les différentes places commerciales d'Europe mises au quotidien, en concurrence générale. Les armateurs sont contraints de s'adapter aux exigences de la clientèle et de s'inscrire dans un schéma d'anticipation des ventes.
Enfin, la baisse du chiffre d'affaires et des rémunérations, ainsi que la concurrence des importations ont contribué à détériorer le climat social.
Les partenaires sociaux doivent impérativement faire aboutir la discussion approfondie engagée sur le maintien d'activité de la pêche industrielle en se fixant des objectifs ambitieux et réalistes qui répondent à l'importance des enjeux sur le devenir de la flottille.
La baisse du tonnage de la pêche hauturière est une évidence depuis de nombreuses années. On ramène moins de poisson par voyage et il ne se vend pas mieux. Le poisson congelé produit par les trois bateaux surgélateurs de la flotte boulonnaise subit également l'effondrement général du marché, conséquence directe de la surproduction du colin d'Alaska et du merlu d'Amérique du Sud.
Un ballon d'oxygène est apparu vers 1988-1989, avec les espèces des grandes profondeurs, à l'exemple de ce qu'on appelle l'« empereur » à Boulogne. Ces espèces ont apporté aux pêcheurs industriels un regain d'espoir auquel personne ne croyait plus. Mais l'espoir fut fragile. Dès 1992, les Boulonnais n'ont plus retrouvé les zones et les saisons de bonnes captures.
Avec treize grands chalutiers de pêche fraîche et trois surgélateurs, avec moins de quatre cents marins, la pêche hauturière n'apporte plus que la moitié de la production.
Après être passée de main en main, la flotte vieillit. Le chiffre d'affaires des bateaux baisse régulièrement entraînant, par voie de conséquence, une baisse de rémunération des marins-pêcheurs.
Les coupables ont des noms ; ils s'appellent baisse de la ressource, crise du marché, marché ouvert, inégalité des pays européens devant les coûts de la protection sociale, inégalité de la production locale et des produits importés devant les taxes.
Mais la concurrence déloyale, c'est aussi un exemple très simple. Le problème de l'importation, c'est le chalutier russe qui échange à la Norvège une partie de sa cargaison contre un poste de télévision et quelques devises. Arrivé ensuite à Boulogne, le poisson voyageur casse forcément le marché. C'est également la sole du Sénégal, vendue là-bas deux ou trois francs le kilo, alors que le prix minimal européen tourne, selon les années, autour de 38 à 40 francs.
Même avec le surcoût lié au transport, les grossistes préféreront toujours acheter la sole africaine, qui leur garantit des marges substantielles.
Les marins de la pêche industrielle boulonnaise acceptent de vivre avec l'importation. Ils ont l'habitude. Ils acceptent de se battre, mais à condition qu'ils aient des chances de gagner. Or, dans l'état actuel des choses, celles-ci sont plus que réduites. Quand les Boulonnais débarquent le poisson, ils ont des taxes portuaires et des taxes d'organisation du marché à payer. Ces taxes ne frappent pas la matière première qui vient en camion.
Autre point sensible pour l'armateur, le coût des charges sociales est inégal au sein de la Communauté.
Différent d'un Etat à l'autre, le surcoût de la protection sociale est un handicap pour le pavillon français. Loin de moi l'idée de revenir sur les acquis, bien sûr, mais une harmonisation au moins communautaire dans ce chapitre permettrait de lutter à armes égales.
La résorption de la crise de la pêche passe encore par la mise en place d'un dispositif d'aide à la recherche expérimentale. Un effort a été fait, il faut le poursuivre.
Enfin, parmi les mesures les plus urgentes, il faut évoquer l'élaboration d'un procédé qui permettrait à certaines entreprises de refinancer leur investissement naval ou d'y substituer un financement adapté.
Mais vous le savez bien, monsieur le ministre, toute réflexion portant sur nos pêches nationales doit s'intégrer dans la politique commune des pêches, qui est l'une des politiques communautaires les plus intégrées. Et aujourd'hui encore, on assiste à un véritable bras de fer entre les Etats membres et la Commission européenne.
Dans une perspective boulonnaise, les armements hauturiers ont déjà largement et suffisamment diminué leur effort de pêche depuis la mise en place des plans d'orientation pluriannuels.
De 1983 à 1996, la flottille de pêche fraîche de Boulogne a perdu 54 % de ses navires et 45 % de sa puissance.
Incapable de faire appliquer la réglementation existante et d'en assurer le contrôle, la Commission considère qu'il faut diminuer encore l'effort de pêche des flottilles par de nouvelles sorties de flotte, soit une perte de navires et, par voie de conséquence, la perte d'emplois.
Il est donc urgent que la Communauté se décide enfin à mettre les moyens financiers nécessaires au niveau de sa politique, si elle juge celle-ci indispensable.
Quant à la réorganisation de l'effort de pêche, elle n'a de sens que pour la pêche côtière, c'est-à-dire pour les navires de moins de sept mètres, et il convient, en ce domaine, de trouver un équilibre entre la capacité de capture et l'état des ressources côtières.
Pour la pêche hauturière, qui travaille dans les eaux lointaines, où se retrouvent toutes les flottilles communautaires, la régionalisation n'offre aucune justification et l'effort de pêche doit être examiné globalement à l'échelon national.
Pour conclure mon exposé, je vous dirai, monsieur le ministre, que votre projet de loi va dans la bonne direction, mais qu'il est insuffisant au moins sur deux points : tout d'abord le volet sur la pêche industrielle, que je viens d'évoquer, fait défaut ; ensuite, vous laissez l'un des axes les plus importants de votre projet, l'axe social, inachevé. Mais vous avez indiqué, tout à l'heure, dans quelles conditions vous envisagiez de le compléter dans les deux années à venir.
Il ne faut pas exposer les professionnels au report sine die de certaines mesures qui nécessiteraient un traitement dans l'urgence.
Quoi qu'il en soit, j'ose espérer que vous aurez les moyens de vos ambitions et je ne doute pas que vous aurez à coeur de prendre et de faire appliquer les décrets nécessaires le plus tôt possible. La situation dans laquelle se trouvent la pêche maritime et nos élevages marins vous oblige à agir très rapidement. C'est ce que souhaite le monde de la pêche, c'est ce que nous attendons de vous, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées socialistes, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Leyzour.
M. Félix Leyzour. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce projet de loi concerne un important secteur d'activité, connu certes, mais trop souvent mal connu, bien que la plupart de nos concitoyens apprécient les produits de la mer.
C'est un secteur d'activité qui, s'il a des points communs avec certains autres, a aussi des caractères propres, qui tiennent au fait qu'il s'agit d'une activité en mer, avec tout ce que cela réserve d'imprévus, d'incertitudes, de risques.
Le présent projet d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines traduit une approche globale d'un certain nombre de problèmes qui se posent dans le secteur d'activité concerné. Cela s'explique par le fait que, depuis quelques années, ce secteur a été fortement secoué sur le plan économique et a connu de puissants mouvements sociaux mobilisant les marins, les pêcheurs, leurs familles, les élus des régions littorales.
Il était donc nécessaire de faire quelque chose, d'autant que M. le Président de la République avait déclaré avoir une grande ambition pour la politique de la mer.
M. le rapporteur, ainsi que plusieurs intervenants ont indiqué que ce projet a été préparé, élaboré à partir des préoccupations réelles exprimées par les marins-pêcheurs. Un travail de préparation du texte a en effet eu lieu en concertation avec les professionnels de la pêche, les syndicats, les différents organismes et organisations existants. Le projet en porte la marque et apporte des réponses à certaines questions que les mouvements sociaux ont fait émerger.
Ces réponses ne sont pas sans intérêt, mais elles n'ont, me semble-t-il, qu'un caractère partiel. Je ne partage pas, à cet égard, le point de vue de M. le rapporteur, pour qui le projet apporte une réponse aux problèmes structurels de la pêche. Ce projet aborde, certes, divers aspects économiques, fiscaux, sociaux, financiers, mais il ne modifie pas la trajectoire d'amoindrissement de la place des pêches maritimes telle qu'elle est dessinée par les politiques de l'Europe bleue.
Dans l'exposé des motifs, il est écrit que « le présent projet de loi d'orientation énonce les objectifs de la politique des pêches maritimes, des cultures marines et des activités halio-alimentaires..., en conformité avec les principes et les règles de la politique commune des pêches et dans le respect des engagements internationaux de la France,... ».
Nul n'ignore la dimension européenne des enjeux nationaux. C'est vrai pour les pêches comme pour d'autres secteurs d'activité. La discussion budgétaire en cours met en évidence le fait que la préparation du budget de la France est structurée par les choix européens.
Mais ce qui est vrai aussi, c'est que le poids des orientations européennes sur l'ensemble des choix concernant les différents aspects de la vie nationale stimule le débat, d'une part, sur les conséquences du cheminement ultra-libéral de l'Union européenne et, d'autre part, sur la nécessité d'une construction européenne de type nouveau, valorisante et ouverte pour les peuples et les pays.
Cette réalité contradictoire conduit toutes les forces en présence à s'expliquer davantage sur les problèmes en question. Les mouvements sociaux ne sont pas sans effet. Ils contribuent à limiter le processus de désintégration de la vie économique et sociale et obligent à chercher d'autres approches.
Il en est ainsi dans le domaine des pêches, et le rapport de M. de Rohan reflète à sa façon cette réalité contradictoire quand il décrit les différents facteurs de la crise.
Par ailleurs, la réticence de plusieurs Etats européens se manifeste devant le quatrième plan de réduction des flottes, qui doit entrer en application entre 1997 et 2002.
Le 22 octobre dernier, le Télégramme de Brest titrait l'interview que vous lui avez accordée, monsieur le ministre : « Pas de nouvelle casse de bateaux ». A lire plus attentivement l'interview, on se rend compte que vous avez été plus nuancé : « La France a déjà donné... Pour le reste j'ai posé des questions très précises à la Commission. J'attends les réponses. ». Et, plus loin, vous ajoutez : « Je ne vois pas comment on peut aboutir sur POP IV. » En effet, qu'en sera-t-il réellement de POP IV ?
Nous savons que la France a docilement - trop docilement - appliqué les plans précédents et considérablement réduit sa flotte, alors que la Grande-Bretagne, par exemple, n'a pratiquement pas pris de mesures de ce type.
Mme Emma Bonino, commissaire européen à la pêche, a tenté, il y a quelques semaines, de justifier l'objectif de réduction de 40 % des prises, fixé pour cette période de 1997 à 2002, en ce qui concerne les espèces les plus menacées - cabillaud, églefin, merlu, sardine, saumon de la Baltique - en affirmant que cela ne se traduirait pas par un taux de « casse » équivalent sur les bateaux.
Cette explication ne convainc pas les marins-pêcheurs. Après plusieurs plans de casse, ces derniers sont toujours victimes de la chute des cours et des importations du reste du monde.
En raison de cette concurrence sauvage, il arrive que leurs poissons ne trouvent pas preneur à la criée. Ces invendus sont alors détruits, payés au prix de retrait et, dans le meilleur des cas, transformés en nourriture pour le bétail.
La dure loi du libéralisme engendre les prix bas et conduit à une surexploitation de la ressource.
D'où la nécessité d'avoir des prix planchers intracommunautaires et une limitation des importations en provenance des pays tiers, ce que Bruxelles refuse obstinément et ce pour quoi Paris ne se bat pas assez.
Le 12 mars dernier, lors d'une conférence de presse, la question fut posée à Mme Bonino de savoir s'il n'y avait pas lieu d'introduire un prix minimum communautaire permettant à la profession de gagner sa vie en sortant un peu moins en mer.
La réponse fut la suivante : « Dès lors que l'Union européenne importe déjà 53 % de sa consommation, elle ne peut pas protéger un marché qui dépend à ce point des importations. » Ainsi donc, on réduit les capacités de pêche, on favorise les importations et, ensuite, on invoque le haut niveau de ces importations pour dire que l'on ne peut plus protéger le marché européen. C'est la spirale dévastatrice.
C'est sur la nécessité d'engager cette défense, de mener cette bataille que nous divergeons.
On sait que chaque Français consomme, en moyenne, par an, entre dix-huit et dix-neuf kilos de produits de la mer mais, depuis la grande crise que la pêche a connue dans les années 1993-1994, plus de 50 % des produits de la mer consommés en France sont importés. A ce propos, les chiffres varient, il faut donc les prendre avec beaucoup de précautions. Pour employer une formule qui a cours dans les milieux de la pêche, l'équivalent de deux poissons sur trois que consomme chaque Français est aujourd'hui importé.
Cela n'est pas dû au hasard. Depuis 1988, 30 % de nos bateaux ont été désarmés ou vendus à des pays tiers. Le tonnage des prises de la pêche a été réduit de 20 %. Le nombre de marins-pêcheurs a baissé de quelque 25 %. La France est tombée au dix-neuvième rang mondial et vingt des trente-neuf conserveries installées sur notre territoire ont fermé leurs portes.
On peut nous dire : « C'est Bruxelles. » Mais tout ce qui est inspiré par Bruxelles, tout ce qui vient de Bruxelles ne doit pas être accepté sans réagir.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Félix Leyzour. Par exemple, on nous a dit qu'il fallait réduire la flotte de pêche pour préserver la ressource. Fort bien ! La protection de la ressource doit être une préoccupation constante. Est-il normal, cependant, que 58 % des bateaux retirés de la flotte aient été vendus à des pays tiers dont les importations concurrencent dangereusement les producteurs européens ? Où ces bateaux, retirés ici et réarmés là, ont-ils effectué leurs captures, sinon dans la ressource que l'on prétendait vouloir protéger ?
Toujours concernant la protection de la ressource, les pêches minotières ne sont l'objet d'aucune restriction. (M. le ministre fait un signe d'assentiment.) Or ces pêches, qui consistent à prendre du poisson sans aucune considération de taille, d'espèce ou de saison, pour en faire de la farine et de l'huile destinées à la consommation animale, ont provoqué et continuent de provoquer des dégâts considérables dans les eaux européennes. En 1972, la condition de l'adhésion du Danemark à la CEE était l'arrêt de la pêche minotière pratiquée par ce pays. Cette réglementation n'a jamais été appliquée. Il est important de savoir que ce type de pêche représente aujourd'hui 25 % à 30 % du tonnage des poissons capturés dans le monde.
A l'intérieur de l'Europe, les « dévaluations compétitives » des monnaies italienne et espagnole pénalisent nos productions, qui perdent de leur compétitivité. Encore un domaine où l'on peut dire que la politique dite du « franc collant au mark » affaiblit la France.
Par ailleurs, on sait que les entreprises de pêche espagnoles contournent tranquillement la réglementation de l'Union européenne et s'emparent des quotas français en faisant immatriculer une partie de leurs bateaux dans les ports du Pays basque.
Plus au nord, sur des bateaux polonais, estoniens, lituaniens, on pêche le poisson de la Baltique ou de la mer du Nord qui est transbordé ensuite en mer sur des navires immatriculés dans les ports de l'Union européenne, ce qui permet aux entreprises qui se livrent à ce genre d'opération de réaliser d'énormes profits, tout en faisant ces prises dans les quotas de pêche attribués à la France et aux autres pays de l'Union européenne. Ne s'agit-il pas là de pratiques qui, pour être « européennes », n'en sont pas moins intolérables et doivent être combattues vigoureusement ?
L'organisation commune du marché de la pêche est particulièrement laxiste et perméable à l'égard des importations des pays tiers. La logique qui prime est celle qui tend à favoriser le gros négoce international. Ce que, par euphémisme, on appelle le « redéploiement » des pêches maritimes participe d'une volonté : permettre aux groupes financiers mondiaux de contrôler la filière et de faire le maximum de profits au moindre coût.
Il faut inscrire l'action de la France en opposition à cette logique si l'on veut s'attaquer au déclin de nos pêches maritimes et des industries qui leur sont liées. Nos capacités ont été sérieusement entamées, mais nous avons encore les hommes et les moyens de production sur lesquels nous pouvons prendre appui pour sauvegarder et développer ce secteur d'activité, corriger les déséquilibres que connaît l'approvisionnement halio-alimentaire du pays et contribuer aux équilibres régionaux. A cet égard, on sait ce que représentent pour les zones littorales la pêche et toutes les activités qui lui sont liées.
La discussion de ce projet de loi d'orientation qui doit, dit-on, devenir « le plan Vasseur », monsieur le ministre, se déroule trois semaines avant que ne se tienne le nouveau Conseil « pêche » prévu pour le 22 novembre.
Il est impératif que la France y refuse fermement le quatrième plan de réduction de la flotille demandé par la Commission européenne.
Le maintien et le développement de la ressource sont des aspects essentiels d'une véritable politique des pêches. Ils concernent nos eaux territoriales, les deux cents milles des pays de l'Union européenne, ainsi que l'accès à des lieux de pêches plus lointains. Mais il ne faut pas que l'objectif, écologiquement juste, de préservation de la ressource soit affiché ici pour couvrir ailleurs les pratiques les plus détestables consistant à faire exactement le contraire de ce qui est proclamé.
Il faut privilégier les pêcheries destinées à l'alimentation humaine et aller vers la proscription des pêches minotières, agir pour faire reculer toutes les formes de pollution.
L'accès aux lieux de pêche traditionnels nécessite la conclusion d'accords, tant dans le cadre de l'Union européenne qu'au niveau international. Mais la France doit réaffirmer l'exercice de sa souveraineté en ce qui concerne ses eaux territoriales.
La nécessité d'assurer une politique cohérente d'organisation des marchés et de fixation des prix est reconnue par tous pour assurer aux marins et à ceux qui vivent de cette activité un prix minimum correspondant à l'évolution des coûts de production. La réduction des écarts entre les prix à la production et les prix à la consommation par la baisse de la TVA, l'élaboration de contrats de vente pour les industries de transformation, le relèvement des prix d'orientation et de retrait sont des objectifs essentiels de cette nouvelle politique.
La réduction des coûts d'exploitation par la diminution très nette des charges entraînées par le poste « carburant » et la réduction de l'endettement des pêcheurs sont aussi des éléments du redressement. Nous pensons qu'il faut aussi accorder davantage de moyens pour les contrôles et la répression des fraudes. Cela passe par une augmentation des crédits accordés à la pêche.
M. le rapporteur l'a indiqué tout à l'heure, les prix bas poussent les pêcheurs qui restent à chercher à pêcher plus. On peut dire aussi que, en temps de crise, en période de difficulté, les cas de non-respect tant des règles de protection de la ressource que des règles de pêche se multiplient. On le constate particulièrement pour ce qui est de la coquille Saint-Jacques, le braconnage intersaison ayant des effets très négatifs. La pêche s'ouvrait hier lundi. Le bilan de la première journée n'est pas bon, et le président du comité des pêches tire à nouveau la sonnette d'alarme.
Dans ce secteur particulier comme dans d'autres, deux conditions doivent être réunies si l'on ne veut pas hypothéquer l'avenir, premièrement, des prix suffisamment rémunérateurs ; deuxièmement, des moyens suffisants pour contrôler, surveiller, protéger.
Un plan pluriannuel de mesures en faveur de la pêche artisanale, le développement de la pêche industrielle, de l'aquaculture et la promotion de la conchyliculture sous le contrôle spécifique de l'IFREMER sont également autant de moyens d'améliorer la situation.
Sont également nécessaires pour assurer la protection sociale des marins et de leurs familles une réforme du code du travail maritime, la création d'une caisse sociale des pêches maritimes, le relèvement des pensions.
M. le président. Mon cher collègue, je vous demande de conclure, car vous avez dépassé le temps de parole imparti à votre groupe.
M. Félix Leyzour. Monsieur le président, j'en arrive à ma conclusion.
Le traité de Rome, en son article 117, prévoit l'harmonisation des régimes sociaux. L'aspiration des travailleurs de la mer est que cette harmonisation se fasse vers le haut, et non vers le bas. Il y a là un vaste champ d'intervention. Les résultats pourraient être, notamment, un rapprochement des écarts de prix constatés pour la commercialisation du poisson.
Mme Hélène Luc. Absolument !
M. Félix Leyzour. C'est en considération de ces objectifs de développement de la filière, de coopération internationale et de gestion raisonnée de la ressource que nous portons un jugement sur les mesures proposées dans le projet de loi.
Je dois dire qu'aucun des problèmes que je viens d'évoquer n'y est traité, qu'il s'agisse des quotas français et européens, du contournement de la réglementation interne et externe à l'Union européenne, de la lutte contre les importations sauvages, de la concurrence déloyale ou encore du dumping social.
Certes, la création d'une instance professionnelle de concertation et la modification des règles administratives tant d'accès à la ressource que de contrôle peuvent améliorer certaines situations, avec la prise en charge de la régulation des quotas par les organisations de production.
Le projet de loi, soulignant que les ressources de la mer sont un bien collectif, institue l'incessibilité des droits de pêche, des quotas et des licences qui ne peuvent être un bien patrimonial.
Sur le plan économique, le projet de loi prévoit la séparation entre les patrimoines personnel et professionnel des patrons-pêcheurs ainsi que le développement de la mise en société.
Il prévoit, par ailleurs, une harmonisation du système de rémunération à la part, avec les réglementations du SMIC destinées à garantir aux pêcheurs un élément de minimum garanti décent. En revanche, on ne touche pas au régime d'assurance chômage, faute de consensus lors des consultations.
Nous allons être très attentifs à la discussion des différents articles. Nous nous efforcerons, du reste, de les amender.
C'est, au terme de cette discussion, au vu du sort qui sera réservé à nos propositions, que nous déciderons de notre vote sur ce texte. Il prend en compte un certain nombre de problèmes réels, mais, dans son orientation, il se situe dans le cadre de l'accompagement de la crise des pêches. La sauvegarde et le développement des pêches maritimes appellent, à notre avis, une tout autre orientation. (Applaudissements sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.).
M. le président. La parole est à M. Arzel.
M. Alphonse Arzel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, durant ces dernières années, les effectifs de notre flotte de pêche ont diminué, passant de 8 650 navires et 22 000 marins en 1960 à 6 590 navires et 17 500 marins-pêcheurs au 1er janvier de cette année. La production a, certes, augmenté en qualité, mais elle a baissé en valeur.
Ce déclin n'est cependant pas inéluctable. Il doit être enrayé d'autant plus rapidement que la pêche constitue une ressource essentielle pour certaines de nos régions littorales dépourvues d'autres activités économiques.
Le secteur de la pêche est confronté, depuis 1993, à une situation de crise due à la conjonction de plusieurs facteurs, d'ordre structurel et conjoncturel, qui ont rendu nécessaire la mise en oeuvre de mesures en faveur de la filière, à l'échelon national comme à l'échelon communautaire.
Les causes de la crise ont résidé, en premier lieu, dans certaines évolutions de l'environnement économique et commercial général. Ainsi, les nombreuses concessions tarifaires liées au démantèlement progressif des obstacles aux échanges ont fait que l'essentiel des importations de produits de la pêche s'est fait en exonération de toute protection. Leur niveau de prix a placé certains produits en concurrence avec ceux de la pêche, ce qui a donc amplifié les difficultés rencontrées, en termes de débouchés commerciaux, par les produits de la pêche.
En second lieu, des éléments d'ordre conjoncturel ont accentué le déséquilibre économique du secteur - tendance du marché à la standardisation et à l'homogénéité - alors que la pêche française tirait son avantage de la diversité de ses produits frais. A cela se sont ajoutées enfin les fluctuations monétaires observées en 1993, qui ont contribué au déséquilibre des marchés.
Au-delà des dispositions d'urgence qui ont été prises pour faire face à la crise des années 1993 et 1994, des mesures tendant à assainir une situation structurellement dégradée ont été engagées par vous-même, monsieur le ministre, et, précédemment, par le gouvernement Balladur. Il convient désormais de les consolider.
Mais toute initiative dans ce domaine doit évidemment tenir compte de la dimension européenne de la politique de la pêche. Or, la convergence d'intérêts des différents partenaires est loin d'être parfaite.
Si l'on se réfère, par exemple, à la préparation du plan d'orientation pluriannuelle, on constate que la surexploitation chronique de ressources halieutiques constitue une grave menace pour la survie même de l'activité de pêche en Europe. La Commission européenne préconise, en conséquence, un nouvel effort de réduction des capacités communautaires au cours de la période de 1997-2002, un effort modulé en fonction de la gravité de la situation des différentes espèces.
Par votre voix, monsieur le ministre, la France a considéré que, s'il était nécessaire de préserver la ressource, la réponse de la Commission était parfaitement inadaptée. Vous avez notamment fait valoir que la pêche française n'exploite pas l'intégralité de ses quotas et tient la moitié de ses captures d'espèces hors quotas. Vous avez, en outre, relevé que, grâce à sa polyvalence, la flotte française peut être orientée, ce qui n'a pas été pris en considération par la Commission.
Enfin, le plan proposé ne tient pas suffisamment compte des efforts de réduction de capacité qui ont déjà été accomplis par la France.
Le prochain Conseil relatif à la pêche se tiendra le 22 novembre. Il devrait examiner les nouvelles propositions qui seront élaborées à la suite d'entretiens bilatéraux entre chaque Etat et la Commission. Nous comptons à cette occasion sur votre vigilance et votre fermeté, monsieur le ministre. Mais nous savons bien que l'action de la France a toujours visé à obtenir une plus grande égalité des conditions de concurrence entre la production communautaire et l'importation.
Le projet de loi d'orientation sur la pêche maritime et les cultures marines, qui a été préparé en concertation avec l'ensemble de la profession, apporte, sans nul doute, une réponse aux problèmes spécifiques de la filière française en lui assignant des objectifs ambitieux et réalistes.
Les diverses dispositions qui avaient été prises sur le plan national pour atténuer les effets de la crise aiguë de la pêche française de 1993 à 1994 et pour renforcer la compétitivité de la filière, pour importantes qu'elles aient été, doivent aujourd'hui être complétées par une réforme d'ensemble du cadre juridique de la pêche afin de contribuer à la modernisation de l'ensemble des activités de la filière.
Avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, nous tenons à souligner l'importance et l'urgence de ce texte, qui doit notamment permettre de s'atteler au règlement de deux problèmes importants : la réduction des charges qui pèsent sur la production et la promotion des produits de la mer, dont l'objectif est d'augmenter la consommation.
Ce projet de loi d'orientation donne globalement satisfaction à la profession, puisque vous avez organisé une large concertation avant son élaboration.
Il pose le principe que l'accès à la ressource doit être organisé de manière que le patrimoine collectif constitué par les ressources halieutiques soit valorisé et exploité durablement.
Nous approuvons la création d'un conseil supérieur d'orientation - dans le prolongement de la commission de suivi mise en place en 1994 - qui permettra de traiter de façon cohérente la politique des pêches et des cultures marines.
Nous approuvons également la reconnaissance du caractère agricole des cultures marines, qui permettra aux producteurs de bénéficier du mécanisme de l'entraide agricole et confortera leur place dans l'économie des régions littorales, pour autant que le texte européen ne vienne pas en atténuer la portée. Il est bon de rappeler que la conchyliculture, qui demeure l'activité essentielle des cultures marines, place la France dans les premiers rangs de l'Union européenne. Il s'agit d'une activité traditionnelle fortement intégrée dans l'économie des zones littorales, d'autant plus que les exploitations de cultures marines sont en majorité familiales.
Pour moderniser la pêche artisanale, la mise en société sera encouragée, ce qui, au départ, ne sera pas une tâche facile, en raison de l'individualisme des pêcheurs professionnels.
La modernisation impose également d'adapter la fiscalité, notamment avec l'étalement de l'imposition des plus-values à court terme de cession de navires de pêche en cas de réinvestissement.
S'agissant de l'affiliation au régime de sécurité sociale des marins-pêcheurs, de nouveaux cas de validation de services seront créés. Enfin, une évaluation du chômage devra aider à choisir entre un alignement sur le régime des ASSEDIC et la création d'un système de protection.
Je tiens, enfin, monsieur le ministre, à vous faire part de notre grande satisfaction de voir inscrites dans ce projet de loi d'orientation des dispositions favorisant la première installation ainsi que des mesures favorables à la pluriactivité, comme c'est le cas en agriculture.
S'agissant de l'amélioration de la gestion de la ressource, le projet de loi devait comprendre la gestion de la bande côtière, qui constitue un des éléments de la réflexion engagée. Vous nous avez fait observer, monsieur le ministre, qu'à la suite de son examen par le Conseil d'Etat, l'engagement du Gouvernement de présenter un rapport sur la bande côtière ne figurait plus dans le texte. Comme vous, nous exprimons notre regret. Avez-vous quelques explications à nous donner sur ce point ?
En conclusion, nous nous félicitons, avec mes collègues du groupe de l'Union centriste, de l'occasion qui nous est offerte aujourd'hui d'adopter un projet de loi d'orientation qui réponde bien aux particularités de la filière pêche française.
Je voudrais vous remercier, monsieur le ministre de l'agriculture et de la pêche, au nom de mon groupe, de nous avoir présenté ce projet de loi d'orientation que nous attendions avec impatience - comme nous attendons avec impatience le grand projet de loi d'orientation agricole - semble faire l'objet d'un certain consensus, puisque de nombreuses concertations ont été menées et qu'il a d'ores et déjà été inscrit à l'ordre du jour des travaux de la Haute Assemblée.
Par ce projet de loi, monsieur le ministre, nous constatons avec satisfaction que la politique de la pêche demeure une priorité de l'action gouvernementale. Nous vous apportons donc notre entier soutien et nous vous accordons notre totale confiance pour la négociation du nouveau programme d'orientation pluriannuel qui s'ouvrira prochainement. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinq, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. René Monory.)