M. le président. M. Ivan Renar attire l'attention de M. le ministre de la culture sur les conséquences de la suppression de l'abattement de 30 p. 100 pour frais professionnels dont bénéficient les journalistes.
Cet abattement a été instauré en 1934 et fait partie intégrante du statut de journaliste. Il faut aussi le considérer comme une aide à la presse, dans une profession où la moyenne des salaires est de 12 000 francs brut. Sa suppression entraînerait une perte du pouvoir d'achat équivalent à un mois de salaire. Au-delà, elle s'apparente à une remise en cause du statut du journaliste.
En conséquence, il lui demande quelles mesures il compte prendre pour garantir le maintien de cet abattement. (N° 450.)
La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le ministre, plusieurs professions, dont les journalistes, sont concernées par la proposition gouvernementale de suppression progressive, sur cinq ans, des abattements pour frais professionnels.
Cette mesure est justifiée, comme vous l'avez rappelé, par la nécessaire action contre les privilèges. Je ne pourrais que souscrire à cet ambitieux projet, si l'examen concret de cette mesure ne révélait une tout autre réalité.
L'abattement de 30 % pour frais professionnels a été instauré en 1934 pour améliorer la situation des pigistes. Pratiquement abandonné sous Vichy, il a été réintroduit en 1948 et est devenu aujourd'hui un élément constitutif du salaire des journalistes. Créé pour augmenter les salaires les plus bas, l'abattement de 30 % fait partie intégrante du statut des journalistes.
S'agirait-il donc d'un privilège ? Ce serait mal connaître la réalité de cette profession. Hormis quelques vedettes, dont les salaires mirobolants ont un temps défrayé la chronique, les 28 000 journalistes perçoivent en moyenne un salaire brut mensuel de 12 000 francs. Et encore ! ce chiffre cache des réalités très diverses. La situation n'est pas la même à Paris et en province, pour la presse nationale et pour la presse régionale et selon la nature du contrat. Notre pays compte 3 000 pigistes. La précarisation s'étend, les contrats à durée déterminée se multiplient, les petits boulots se développent : 2 000 chômeurs sont recensés. De plus en plus, les journalistes, en particulier les pigistes, doivent investir sur leurs propres fonds pour pouvoir travailler, en achetant un téléphone, un télécopieur, voire un ordinateur portable.
En fait de lutte contre les inégalités, cette mesure créera de nouvelles injustices. L'abattement de 30 % profite en effet d'abord aux petits salaires. La preuve en est qu'il est plafonné à 50 000 francs. C'est un acquis et une juste compensation. Sa suppression, en revanche, porterait un nouveau coup aux petits salaires.
Ainsi, il a été calculé qu'un célibataire qui perçoit 7 000 francs par mois paiera 2 733 francs d'impôts en plus en 2001. En revanche, celui qui perçoit 70 000 francs paiera 15 236 francs d'impôts en moins.
Cette nouvelle injustice pour les salariés frappe également les entreprises de presse.
Par sa fonction de complément de salaire, le système de l'abattement est devenu une aide indirecte à la presse. Il s'agissait aussi en 1948 d'aider les entreprises de presse confrontées à d'importantes difficultés de trésorerie. Le maintien de ce mécanisme a permis, tant bien que mal, jusqu'à présent de limiter l'érosion des effectifs. Qu'en sera-t-il demain ? Là aussi, le manque à gagner se fera cruellement sentir.
La Fédération nationale de la presse française a estimé le manque à gagner à 150 millions de francs pour la presse quotidienne régionale et entre 600 millions de francs et 1 milliard de francs pour l'ensemble de la presse. Je ne sais si cet aspect du problème a été pris en compte, monsieur le ministre, à sa juste valeur.
En attendant, sous couvert de lutte contre les privilèges, on crée de nouvelles inégalités sociales tout en fragilisant un peu plus la situation des entreprises de presse.
Vous comprendrez donc pourquoi je vous demande, en tant que ministre de tutelle de cette profession, quelles mesures vous comptez prendre pour que le Gouvernement revienne sur cette décision.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Douste-Blazy, ministre de la culture. Monsieur Renar, vous m'interrogez sur les conséquences de la suppression de l'abattement de 30 % pour frais professionnels dont bénéficient les journalistes. Permettez-moi d'abord de vous rappeler que la réduction, progressive d'ailleurs, de cet abattement s'inscrit dans le cadre plus global de la réforme fiscale soumise au Parlement.
D'une part, cette mesure ne concerne pas seulement les journalistes ; elle vise plusieurs professions. D'autre part, ses conséquences doivent être appréciées en fonction des allégements d'impôts résultant notamment de la modification du barème proposé par le Gouvernement.
En tout état de cause, une telle réforme - vous l'avez d'ailleurs fort bien souligné au début de votre propos - répond à un légitime souci d'équité fiscale. Elle ne doit en aucun cas être perçue comme susceptible de remettre en cause le statut de journaliste.
De plus, le Gouvernement a décidé que cette modification fiscale n'affecterait pas les assiettes des cotisations sociales, tant pour les entreprises que pour les salariés. Il s'agit là d'un point très important que je souhaitais relever.
Enfin, M. le Premier ministre a demandé au ministre de l'économie et des finances d'examiner, en liaison avec les services de mon ministère, les corrections qui pourraient être apportées à ce mécanisme, notamment pour les bas salaires. En effet, comme vous l'avez souligné, certains journalistes perçoivent une faible rémunération. Il est donc très important qu'ils soient traités correctement dans le cadre de cette réforme.
En tout état de cause, soyez certain, monsieur Renar, que je me ferai l'avocat des journalistes.
M. Ivan Renar. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. Renar.
M. Ivan Renar. Soyons clair, monsieur le ministre, il ne s'agit pas de défendre un groupe privilégié.
Revenons-en au fond du débat.
Les abattements ont, avant tout, été octroyés aux professions, donc aux entreprises - et non pas, en définitive, aux salariés - afin d'éviter aux patrons de presse de devoir augmenter les salaires dans des périodes de difficultés économiques. Dans un sens, les vrais bénéficiaires de telles mesures sont les entreprises. Ce n'est donc pas aux salariés de subir les changements qui vont intervenir.
Il est vrai que la question est complexe. Le système actuellement en vigueur n'est peut-être pas le meilleur, mais sa modification devrait intervenir dans le cadre d'une refonte générale du système fiscal.
Il ne s'agit pas, à mes yeux, de se battre contre l'impôt. Nous voulons simplement un impôt plus juste, c'est-à-dire, au fond, une autre répartition des richesses.
En l'occurrence, certaines professions sont montrées du doigt alors que, en définitive, les vrais privilèges sont épargnés : je pense notamment à la fameuse loi Pons et à l'avoir fiscal. Il eût été préférable de décider des mesures autres que celles qui sont proposées et qui, sur le fond, sont quand même injustes.

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