M. le président. La parole est à M. Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le Premier ministre, je souhaite vous interroger sur l'affaire Thomson, en essayant de me montrer digne du niveau d'indignation qui aurait été celui de l'ancienne opposition si de tels manquements avaient pu être mis au passif d'un gouvernement de gauche !
Le Gouvernement a décidé la privatisation de Thomson, un des plus grands groupes industriels français, détenteur, grâce à son travail et au soutien de l'Etat, d'un capital scientifique et technologique essentiel pour notre compétitivité. Ce choix de base, nous le contestons. Thomson peut profiter davantage à l'économie française en restant une entreprise publique.
La vente que vous projetez se fait sans appel public à la concurrence.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Alain Richard. Les candidatures ont été autorisées par le seul Gouvernement. Celui qui bénéficie de sa préférence officielle est, bien sûr, absolument dépourvu de tout lien avec la formation politique qui dirige le Gouvernement, chacun vous le confirmera sur la place financière de Paris !
Le Gouvernement avait annoncé que le groupe Thomson, réparti entre industrie de défense et électronique grand public, serait cédé à un seul acheteur afin que tout le potentiel scientifique et humain soit bien géré. L'acheteur pressenti, le groupe Lagardère, annonce qu'il cédera Thomson Multimédia à la compagnie coréenne Daewoo, qui s'approprie ainsi un ensemble de technologies au potentiel de développement énorme qu'il ne maîtrisait pas, groupe qui jamais, dans son histoire, n'a donné un seul exemple de partenariat coopératif avec une entreprise européenne.
Enfin, le tout risque d'être réalisé dans des conditions financières très favorables aux acheteurs sélectionnés de cette manière incroyable, puisque l'Etat reverserait plus de dix milliards de francs à titre de remboursement anticipé des emprunts de Thomson.
Le Premier ministre s'est cru inspiré en justifiant un tel scénario catastrophe par la mauvaise gestion de Thomson par l'Etat. M. Juppé est certes jeune - je le sais puisque nous avons le même âge - ! mais il avait tout de même déjà l'âge de raison quand Thomson a été nationalisé en 1982 et il sait parfaitement dans quel état se trouvait alors cette entreprise.
Si, aujourd'hui, Thomson est redevenue une grande entreprise, que vous envisagez de brader en compromettant des milliers d'emplois, c'est bien parce qu'elle est entrée dans le secteur public.
En vous signifiant l'opposition résolue des 70 000 salariés et des 80 communes concernés, je vous pose quatre questions simples.
Premièrement, a-t-il été conforme ou contraire à l'intérêt national de placer Thomson dans le secteur public ?
Deuxièmement, la constitution d'un groupe Matra-Thomson pour l'industrie de défense est-elle compatible avec le maintien de notre avance technologique et avec la recherche d'une synergie européenne en la matière ?
Troisièmement, la cession de Thomson Multimédia au groupe coréen Daewoo est-elle cohérente avec la maîtrise française des technologies du numérique, clef de notre compétitivité ?
M. Emmanuel Hamel. Non !
M. Alain Richard. Quatrièmement, comment justifiez-vous que les conditions financières de cette opération, gravement dommageable pour les finances publiques, soient restées cachées au public et n'aient pu être soumises à aucun organisme indépendant ?
En attendant votre réponse à ces questions simples, monsieur le Premier ministre, je veux très simplement souligner la responsabilité politique majeure que vous prenez devant le pays. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Jacques Mahéas. Applaudissez, à droite ! C'est le calme plat !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, votre question...
M. Jacques Mahéas. ... embarrasse !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. ... appelle de la part du Gouvernement des observations contrastées.
D'abord, je voudrais saluer votre courage d'instruire ainsi le procès des nationalisations opérées en 1982. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RPR et de l'Union centriste.)
En revanche, vous avez tort de procéder à une telle description, honteusement erronée, de la procédure suivie par le Gouvernement pour procéder à la privatisation du groupe Thomson.
M. Jacques Mahéas. Ah bon ?
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Vous avez raison d'instruire le procès des nationalisations de 1982.
M. Jacques Mahéas. C'est de la provocation ! Répondez aux questions !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Puis-je vous rappeler, monsieur le sénateur, qu'en 1982 la situation nette de Thomson s'élevait à 3,5 milliards de francs ? Au fil des années, le groupe Thomson a bénéficié de recapitalisations pour un montant de 7 milliards de francs. Le total s'élève donc à 10,5 milliards de francs. Aujourd'hui, la situation est négative à hauteur de 6,5 milliards de francs.
M. Alain Richard. Prouvez-le !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances.
Thomson aura perdu 17 milliards de francs !
M. Alain Richard. Ce n'est pas vrai !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Je vous en apporterai la preuve, monsieur le sénateur ! (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Jacques Mahéas. Vous vous trompez !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Je vous communiquerai dans les jours à venir l'état des nationalisations, des recapitalisations et des privatisations, afin que chaque Français se fassent une opinion sur le gâchis qu'a pu représenter cette procédure de nationalisation. (Applaudissements sur les mêmes travées et exclamations sur les travées socialistes.)
M. Claude Estier. Alors, acceptez la création d'une commission d'enquête !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Vous aurez cette information, monsieur Richard.
Une situation nette négative de 6,5 milliards de francs,...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Dans quelle colonne mettez-vous la technologie ?
M. le président. Laissez parler M. le ministre !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. ... cela signifie que les dettes de Thomson vont s'élever, à la fin de l'année 1996,...
M. René Rouquet. Ce n'est pas digne d'un ministre !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. ... à 28 milliards de francs et que, en contrepartie, il y a des actifs...
M. Jacques Mahéas. Ah ?
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. ... pour une valeur de 21,5 milliards de francs.
M. Jacques Mahéas. Vous les sous-estimez !
Mme Hélène Luc. C'est honteux !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. C'est donc une valeur négative. Vous n'avez sans doute rien oublié parce que vous n'avez rien appris en cette matière. (Protestations sur les travées socialistes et sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mais, de grâce, cessons d'égarer les Français quant au bien-fondé de ces procédures de privatisation.
M. Claude Estier. Les Français vous répondent !
M. Alain Juppé, Premier ministre. En tout cas, ils vous ont déjà répondu !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Cessons ce gâchis ! Entre 1988 et aujourd'hui, Thomson Multimédia aura perdu 10 milliards de francs, et son endettement s'élève aujourd'hui, monsieur le sénateur, à près de 14 milliards de francs.
Dois-je vous rappeler aussi que Thomson, c'est aussi une aventure financière, celle de Thomson-CSF Finances, société qui est devenue, sous le contrôle du Crédit Lyonnais, Altus ?
M. Jean Chérioux. Eh oui !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Je pense que cette évocation peut vous rappeler quelques souvenirs cuisants.
Combien aura coûté au groupe Thomson l'aventure financière de Thomson-CSF Finances entre 1993 et 1996 ? Ce sont pratiquement 8,2 milliards de francs...
M. Jacques Mahéas. C'est votre gestion !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. ... qui auront ainsi été gâchés !
Mme Hélène Luc. Que faites-vous du travail des ouvriers et des techniciens ?
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Alors, mettons un terme à ces aventures qui coûtent tant aux contribuables français et assurons la pérennité de cette industrie !
M. Alain Richard. Parlons-en !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. C'est en cela que vous avez eu tort, monsieur le sénateur, de porter de telles accusations sur la procédure suivie.
M. Jacques Mahéas. Vous donnez Thomson aux Coréens !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Le Gouvernement, au mois de février, a décidé d'engager le processus de privatisation. Il a chargé le président du groupe Thomson, M. Roulet, de prendre tous contacts nécessaires.
Nous avons choisi la procédure de vente de gré à gré, monsieur le sénateur, car, quand il s'agit de privatiser une société dont la valeur est négative, il est exclu de procéder à une offre publique de vente.
M. Paul Raoult. Pourquoi ? Ne peut-il pas y avoir plusieurs amateurs ?
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Comment mettre sur le marché des valeurs négatives ?
M. Paul Raoult. Vous nous donnez des leçons sans arrêt : ce n'est pas possible ! Qu'est-ce que c'est que cette suffisance, cette arrogance ?
M. le président. Mes chers collègues, laissez donc parler M. le ministre, puisque vous l'avez interrogé.
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Monsieur le sénateur, je crois que, de ces questions, il faudra que nous puissions reparler ensemble, mais sereinement,...
M. Paul Raoult. Arrêtez de dire des bêtises ! (Protestations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. ... pour éviter d'égarer l'opinion publique et de susciter des passions lorsqu'il s'agit de l'intérêt de la nation.
M. Paul Raoult. Vous la bradez !
M. Claude Estier. De l'intérêt de Lagardère !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Nous avons donc engagé cette procédure de gré à gré. M. Roulet nous a rendu compte de ses diligences le 22 juillet. Le 2 août a été engagée la procédure officielle pour accueillir les candidatures. Le 16 septembre ont été déposées sur le bureau de M. le Premier ministre les offres de reprise du groupe Thomson. Pendant un mois, M. le ministre de l'industrie, M. le ministre de la défense et moi-même avons examiné tous les aspects, notamment financiers et industriels, de même que les intérêts de la défense, et M. le Premier ministre a pu, le 16 octobre, prendre une décision, fixer un choix préférentiel.
M. Alain Richard. Tout cela en secret !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. A ce stade, que se passe-t-il ?
Mme Marie-Claude Beaudeau. Vous bradez la France ! (Protestations sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.) M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Non, madame ! Nous voulons assurer le redressement et la prospérité de la France. De grâce !
La commission de privatisation est maintenant saisie de ce dossier et elle devra exprimer une opinion ; c'est sur l'avis conforme....
M. Alain Richard. Public ?
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. ... de la commission de privatisation, dont vous voudrez bien saluer et l'indépendance et l'autorité, ...
M. Paul Raoult. Tu parles !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. ... que la privatisation pourra être réalisée.
Cette opinion, cet avis sera exprimé en tenant compte des dimensions militaire, industrielle et financière.
Sur les évaluations retenues, le choix a été difficile. Il s'est agi d'assurer la constitution de ce qui sera l'un des grands groupes mondiaux en matière de défense, grâce à une intégration verticale qui prenne en considération aussi bien l'observation, le renseignement, la transmission des données et les systèmes d'armes, en même temps qu'un grand groupe d'électronique civile.
Il se trouve que le repreneur, Lagardère Groupe, a fait connaître son intention de transférer Thomson Multimédia au groupe sud-coréen Daewoo.
M. Jacques Mahéas. Il se trompe !
M. Alain Richard. Comme par hasard !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Mais, que je sache, ce groupe a décidé de s'enraciner en France !
M. Claude Estier. Comme JVC !
Mme Marie-Claude Beaudeau. Oui, comme JVC !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Il a déjà pris des initiatives en Lorraine, et je ne crois pas que les élus de cette région aient à redire à cette décision. Il va - c'est en tout cas l'intention, la volonté qu'il a exprimée -...
M. Jacques Mahéas. Sans garantie !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. ... consolider cette position et créer quelques milliers d'emplois dans l'électronique grand public.
Voilà de quoi il s'agit !
Monsieur le sénateur, vous aviez certes raison d'avoir le courage...
M. Alain Richard. C'est vous qui êtes courageux de défendre une telle thèse !
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. ... d'instruire le procès des nationalisations de 1982, mais vous aviez tort de disqualifier ainsi une procédure parfaitement régulière et transparente.
Mme Hélène Luc. Et les employés de Thomson, vous les avez consultés ?
M. Jean Arthuis, ministre de l'économie et des finances. Quoi qu'il en soit, monsieur le sénateur, merci de m'avoir permis d'apporter ces précisions devant le Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

COÛT DE FONCTIONNEMENT DE SUPERPHÉNIX