M. le président. Je suis saisi de trois amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 24 est présenté par Mme Dieulangard, M. Mélenchon, les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 76 est déposé par M. Fischer, Mmes Demessine et Fraysse-Cazalis, les membres du groupe communistre républicain et citoyen.
Tous deux tendent à supprimer le texte proposé par l'article 3 pour l'article L. 439-24 du code du travail.
Par amendement n° 2, M. Souvet, au nom de la commission, propose de rédiger comme suit la deuxième phrase du texte présenté par l'article 3 pour l'article L. 439-24 à insérer dans le code du travail : « Cet aménagement ou cette suppression sont subordonnés à un vote favorable de ce dernier. »
La parole est à Mme Printz, pour défendre l'amendement n° 24.
Mme Gisèle Printz. Par cet amendement, nous demandons le retrait du texte proposé pour l'article L. 439-24. Cette disposition n'est absolument pas rendue obligatoire par la directive, et n'a donc rien à faire ici. Sous couvert de simplification ou d'harmonisation, il s'agit essentiellement d'essayer d'obtenir la suppression, par les salariés eux-mêmes, d'un organe de représentation.
Il n'est sans doute pas inutile de rappeler que le comité de groupe est une création des lois Auroux mal acceptée par une partie du patronat, à qui l'occasion a sans doute paru bonne de l'éliminer. Nous avons déjà vu, lors de l'examen du début de ce projet de loi, les restrictions que l'on veut faire subir aux comités de groupe qui subsisteront, par exemple, en supprimant subrepticement la possibilité, pour le comité d'entreprise d'une société, d'obtenir son inclusion dans un comité de groupe.
Cela ne suffit cependant pas : il faut aussi s'efforcer de supprimer totalement le comité de groupe, avec sa structure et ses règles de fonctionnement encadrées par le droit français, au profit d'une structure beaucoup moins stricte. Au passage, on pourra contourner les règles de représentation des organisations syndicales françaises, puisque le comité européen n'aura pas la même représentation proportionnelle.
Il faut aussi considérer que dans nombre de pays d'Europe, la tradition ouvrière, fondée sur une longue et souvent douloureuse histoire de luttes sociales, n'est pas aussi vivace que chez nous.
Enfin, il est évident que le périmètre d'un groupe européen n'est pas celui d'un groupe français et que les problèmes peuvent y être différents, à tout le moins envisagés différemment, surtout en cas de délocalisation.
Il est donc nécessaire qu'aucune pression ne puisse être exercée en faveur de la disparition du comité de groupe français. C'est pourquoi nous demandons que cette disposition soit retirée du texte.
M. Jean-Luc Mélenchon. Excellent !
M. le président. Je vous remercie, madame le sénateur, et je salue à cette occasion votre première intervention dans notre assemblée.
La parole est à M. Fischer, pour défendre l'amendement n° 76.
M. Guy Fischer. Le projet de loi que nous examinons permet la mise en place de comités d'entreprise européens, ce qui correspond à une demande déjà ancienne de nombreuses organisations syndicales. A ce titre, l'adoption de la directive constitue donc un pas en avant.
Pour autant, ce projet de loi prévoit aussi la suppression du comité de groupe français lors de la mise en place d'un comité d'entreprise européen.
Or, la suppression du comité de groupe français entraînera la suppression de la règle française de représentation des organisations syndicales représentatives à laquelle nous sommes très attachés en ce qu'elle offre une véritable garantie de démocratie et de liberté syndicale.
Les conséquences d'une telle disparition peuvent être importantes. A cet égard, permettez-moi de reprendre l'exemple cité par mon ami et collègue Georges Hage lors de l'examen de ce texte à l'Assemblée nationale.
« La Cour de cassation a reconnu le 6 décembre 1994 à l'expert-comptable du comité du groupe Michelin, désigné par la majorité de ce comité, l'accès aux comptes consolidés mondiaux. Si un comité du groupe européen Michelin remplaçait le comité du groupe français, il n'est pas certain qu'une majorité s'en dégagerait pour désigner un expert en vue d'examiner les mêmes documents. »
Cela ne serait pas sans conséquence sur le droit de regard des salariés, donc sur la démocratie dans l'entreprise. Nous ne pouvons l'accepter, à plus forte raison quand le rapporteur de l'Assemblée nationale indique qu'une telle disposition éviterait des scandales financiers.
Notre amendement vise donc à supprimer l'article L. 439-24, qui permet de déroger à la loi en discussion.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, pour présenter l'amendement n° 2 et pour donner l'avis de la commission sur les amendements identiques n°s 24 et 76.
M. Louis Souvet, rapporteur. L'amendement n° 2 est rédactionnel. Dans le texte actuel, il est fait référence à l'accord dont l'entrée en vigueur est subordonnée à un vote favorable du comité de groupe. De quel accord s'agit-il ? Une ambiguïté subsiste.
En effet, ce peut être soit l'accord spécifique passé au sein du groupe pour aménager ou supprimer le comité de groupe, soit l'accord sur la création du comité européen d'entreprise.
Dans ce dernier cas, ce serait contraire à l'esprit du projet de loi : le comité de groupe pourrait s'opposer à la création du comité européen d'entreprise.
Il paraît donc opportun de préciser les éléments sur lesquels se prononce le comité de groupe.
J'en viens à l'amendement n° 24 et je veux d'abord, comme vous-même, monsieur le président, saluer la première intervention de Mme Printz.
Hélas ! madame, la commission a émis un avis défavorable sur les amendements identiques n°s 24 et 76 qui ont trait à l'articulation, si le premier n'est pas supprimé, entre comité de groupe et comité d'entreprise européen.
Entre la volonté des uns de supprimer le comité de groupe et celle des autres de le maintenir, une voie moyenne a été choisie : laisser aux négociateurs le soin de se prononcer pour la suppression ou un aménagement des conditions de fonctionnement, le comité de groupe lui-même pouvant refuser certaines propositions. Là encore il faut s'en tenir à l'accord des partenaires sociaux.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement sur les amendements identiques n°s 24 et 76 ainsi que sur l'amendement n° 2 ?
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Monsieur le président, je voudrais commencer par saluer à mon tour Mme Printz. J'avais connu M. Metzinger en tant que député et j'avais eu le privilège de siéger à ses côtés à la commission des affaires sociales, culturelles et familiales de l'Assemblée nationale. En vous écoutant, madame Printz, j'ai eu une pensée pour lui.
Néanmoins, le Gouvernement est défavorable aux amendements identiques n°s 24 et 76.
Il est vrai que le comité de groupe et le comité d'entreprise européen ont l'un et l'autre un même objectif : informer les représentants des salariés sur la stratégie globale du groupe, d'où une certaine redondance, une certaine lourdeur de fonctionnement.
Cependant, envisager purement et simplement la suppression automatique du comité de groupe pour les entreprises et les groupes de dimension communautaire n'était pas satisfaisant.
Cette situation a donné lieu à un compromis qui prévoit la possibilité d'aménager le comité de groupe ou de le fusionner avec le comité d'entreprise européen. Cette faculté est subordonnée à l'accord des représentants des salariés, accord dont la validité elle-même est subordonnée à l'agrément du comité de groupe. Cette précaution a paru nécessaire, la disparition éventuelle d'une institution représentative obligatoire étant en cause.
Enfin, madame Printz, si les deux comités sont fusionnés, les responsabilités confiées au comité de groupe par l'article L. 439-2 sont maintenues, et notamment le droit de recourir à un expert-comptable pour l'examen des comptes consolidés du groupe en France au bénéfice de la nouvelle instance.
M. Jean-Luc Mélenchon. Pas dans le cadre de la commission européenne !
M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales. Il s'agit là, me semble-t-il, d'un compromis équilibré qui permet de concilier le dialogue social dans l'entreprise installée sur notre sol national et le dialogue social au sein du groupe européen.
En conséquence, je ne peux qu'émettre un avis défavorable sur les amendements n°s 24 et 76.
Je vais maintenant me tourner vers M. le rapporteur et lui demander de bien vouloir prendre acte de certaines de mes explications pour, peut-être, envisager le retrait de l'amendement n° 2.
L'aménagement ou la suppression du comité de groupe sont rendus possibles par l'accord qui crée le comité d'entreprise européen ou par un accord d'entreprise ad hoc.
Le vote favorable du comité de groupe qui est exigé ne concerne que l'aménagement ou la suppression de cette institution. Lorsqu'il est prévu que « l'entrée en vigueur de l'accord est subordonnée à un vote favorable du comité de groupe », il doit être clair, monsieur le rapporteur, que ce vote porte sur la disposition relative à l'aménagement ou à la suppression du comité de groupe.
C'est compte tenu de cette précision que le Gouvernement pense pouvoir s'en tenir à la rédaction initialement proposée. Cependant, votre remarque est judicieuse. Il est utile de préciser qu'il s'agit, en l'occurrence, de la disposition relative à l'aménagement ou à la suppression du comité de groupe.
Monsieur le président, après avoir exprimé un avis défavorable sur les amendements n°s 24 et 76, je me permets donc de solliciter de M. le rapporteur le retrait de l'amendement n° 2.
M. le président. Monsieur le rapporteur, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?
M. Louis Souvet, rapporteur. Compte tenu des précisions apportées par M. le ministre, précisions auxquelles pourront se référer les personnes qui auront à connaître de ces problèmes, je retire l'amendement.
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
Je vais mettre aux voix les amendements identiques n°s 24 et 76.
M. Jean-Luc Mélenchon. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Mélenchon.
M. Jean-Luc Mélenchon. Nous avons bien compris, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, qu'il s'agit depuis le début d'ouvrir une possibilité et qu'il ne s'agit pas d'une obligation. Cependant, nous ne pouvons manquer de souligner que cette possibilité est totalement inacceptable, puisque cela revient, au bout du compte, fût-ce avec l'accord des partenaires sociaux, à supprimer un échelon de délibération collective protégé par le code du travail français, lequel est plus avancé et plus progressiste que ne le sont les dispositions prévues par la directive européenne.
Remarquons tout de même que, une fois de plus, il s'agit de rendre possible un recul. Ce n'est pas une obligation, mais c'est une possibilité : chaque fois qu'il s'agit de reculer, la possibilité est ouverte, tandis que chaque fois qu'il s'agit d'avancer, on se heurte à une impossibilité !
Certes, comme nous l'avons déjà dit, cette directive vaut mieux que rien. Il s'agit d'un pas en avant, mais l'état d'esprit qui prévaut sur ces sujets mérite d'être mis en lumière devant notre Haute assemblée.
En effet, tant qu'il était quasiment acquis que l'on n'aboutirait à aucun accord, personne ne bougeait et la charte sociale restait soigneusement au fond d'un tiroir. Puis, lorsqu'il est devenu évident que cette discussion finirait par aboutir à l'élaboration d'un texte qui prévoirait expressément - la partie patronale le souhaitait en tout cas ardemment - que, lorsque la décision interviendrait, les accords conclus auparavant seraient non pas abrogés mais confirmés, tout aussitôt et tout soudainement plus de quarante accords ont été conclus, avant même que le texte dont nous avons à connaître aujourd'hui entre en vigueur ! Voilà déjà une démonstration de l'état d'esprit qui prévaut !
Inutile de vous dire que les quarante accords en question se situent en retrait par rapport au texte que nous examinons aujourd'hui, lequel ne marque pas de grandes avancées !
Au total, cette affaire me semble tout de même engagée dans un état d'esprit que, pour notre part, nous condamnons. Par conséquent, il va de soi que nous invitons la Haute assemblée à nous rejoindre dans notre appréciation et à adopter ces amendements.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les amendements identiques n°s 24 et 76, repoussés par la commission et par le Gouvernement.

(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix le texte proposé pour l'article L. 439-24 du code du travail.
M. Guy Fischer. Le groupe communiste vote contre.

(Ce texte est adopté.)
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Article 4