M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Beaudeau, pour explication de vote.
Mme Marie-Claude Beaudeau. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, contrairement aux affirmations de ses promoteurs, l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, qui était censée assurer l'équilibre des relations commerciales, s'est révélée néfaste aux intérêts des producteurs, des petites et moyennes entreprises et des consommateurs ; en revanche, ses conséquences ont été très favorables aux géants de la grande distribution. Je vous ai écouté tout à l'heure, monsieur le ministre. S'agit-il d'une dérive ? Je pense plutôt que les objectifs visés par les promoteurs de l'ordonnance ont été atteints.
Ce constat est devenu tellement évident que le Gouvernement en est maintenant à présenter un projet de loi tendant à moraliser les pratiques commerciales entre professionnels, qui s'inscrit d'ailleurs dans un plan plus global en faveur des petites et moyennes entreprises.
L'exercice demeure cependant difficile puisque le texte issu des travaux de nos deux assemblées et de la commission mixte paritaire reste très insuffisant pour apporter de véritables solutions de fond aux problèmes qui se posent entre grandes surfaces, d'un part, et fournisseurs et producteurs, d'autre part.
A entendre ou à lire les débats et les rapports parlementaires portant sur ce texte et sur le projet de loi relatif au développement et à la promotion du commerce et de l'artisanat, on a paradoxalement vu les partisans les plus fervents d'un libéralisme économique débridé souhaiter que l'Etat édicte une réglementation, parfois complexe, afin de lutter contre les effets pervers de la loi du marché.
Cependant, le texte sur lequel nous devons nous prononcer aujourd'hui demeure bien timide. Nous craignons même que, par certains de ses aspects, il ne conduise à faire payer aux consommateurs la facture d'un certain rééquilibrage des relations entre la grande distribution et ses fournisseurs.
Concernant la vente des carburants, nous regrettons que le Gouvernement et sa majorité aient tout fait pour éviter de s'en prendre aux profits des grandes surfaces et des compagnies pétrolières, alors que c'est, à notre avis, le seul moyen de rééquilibrer les conditions de la concurrence entre grandes surfaces et petits revendeurs sans que cela se fasse au détriment des consommateurs. Il n'est question dans ce texte que de lutter contre les prix anormalement bas, jamais contre les prix anormalement élevés !
D'autres mesures plus coercitives à l'encontre de certains comportements des grandes surfaces et de leurs centrales d'achat auraient pu être envisagées, mais vous vous y êtes refusé, monsieur le ministre.
Je pense notamment aux dispositions qui auraient consisté à taxer les profits des grandes surfaces pour les redistribuer ensuite sous forme d'aides financières au maintien et à l'implantation de commerces de proximité dans les zones rurales et dans les quartiers urbanisés particulièrement en difficulté.
La solution choisie n'aura que peu d'effet sur le réel problème que constitue, par exemple, la disparition des petits pompistes. Les conséquences seront graves - elles le sont d'ailleurs déjà - pour ces professionnels et leur famille.
Les fermetures de stations-service intensifieront la désertification de nos campagnes. Nous voyons d'ailleurs cette situation apparaître également dans les zones périurbaines de la grande couronne, en Ile-de-France, et je pense notamment, à cet égard, à la partie rurale du département du Val-d'Oise que je représente et dont vous vous souvenez très certainement, monsieur le ministre.
Vous vous êtes refusé à inscrire dans ce texte des mesures destinées à lutter contre les pratiques de dumping social et de délocalisation de productions qui déstabilisent nos filières de production et se traduisent par de massives suppressions d'emplois, comme c'est le cas notamment dans les productions alimentaires, mais aussi dans les secteurs du textile, de l'habillement, de la chaussure, du jouet, de l'électroménager - je pense à Moulinex - de l'électronique grand public et dans bien d'autres secteurs.
Même s'il comporte quelques mesures positives comme celles de l'article 1er C en faveur des agriculteurs, les dispositions qui nous sont aujourd'hui proposées ne constituent tout au plus qu'un modeste toilettage de la législation sur la concurrence, car il ne s'attaque pas au fond des dysfonctionnements constatés.
Enfin, rien de vraiment sérieux ne nous est proposé pour combattre l'inadmissible longueur des délais de paiement des grandes surfaces et de leurs centrales d'achat pour le règlement des factures de leurs fournisseurs, alors que c'est bien évidemment par là qu'il eût fallu commencer.
La domination et les inadmissibles pratiques des grandes surfaces à l'égard de leur personnel, de leurs fournisseurs, des producteurs agricoles et du commerce de proximité ne risquent donc pas d'être réellement remises en cause par ce texte, dont certaines dispositions pourraient même leur permettre d'éviter la concurrence des magasins dits de hard discount.
Aussi, pour toutes ces raisons et pour l'ensemble de celles que mes amis Félix Leyzour et Nicole Borvo ont exposées lors des deux lectures de ce texte devant le Sénat, le groupe communiste républicain et citoyen maintiendra son vote d'abstention sur l'ensemble de ce projet de loi.
M. Emmanuel Hamel. Abstention seulement ?
M. le président. La parole est à M. Régnault.
M. René Régnault. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je voudrais à mon tour dire tout l'intérêt que représente ce texte et saluer tous ceux qui y ont travaillé, y compris au sein de mon groupe et avant moi. Ils ont essayé d'aller le plus loin possible en empruntant parfois des directions qui me paraissent intéressantes.
J'ajouterai toutefois que ce travail devra être poursuivi. En effet, la preuve a été faite que l'ordonnance de 1986 n'a pas donné les résultats attendus - ce n'est sans doute pas la peine de s'y attarder.
Je voudrais dire également que nous sommes confrontés à certaines contradictions propres aux consommateurs, que je comprends d'ailleurs parfaitement : ils cherchent à trouver un lieu de distribution aux meilleures conditions économiques tout en souhaitant voir se maintenir et même se développer les territoires sur lesquels ils vivent.
J'ajouterai que la distribution doit satisfaire à la fois au meilleur prix du point de vue du consommateur et au meilleur service du point de vue, non seulement du consommateur, mais aussi des responsables de l'aménagement du territoire.
Or, c'est en se posant la question de l'aménagement du territoire en particulier qu'il nous faut considérer ce problème. On ne peut nier l'intérêt qu'il y a, pour aménager le territoire, à maintenir un réseau de services de proximité, y compris de services de proximité marchands. Mais il est clair également que les distributeurs assurant ces services de proximité marchands en milieu rural assument, en termes d'aménagement du territoire, une fonction à la fois économique et sociale. Cette dimension de leur activité est un élément auquel nous devons nous intéresser si nous voulons assurer la cohérence territoriale et garantir la cohésion sociale.
En effet, la concurrence ne se limite pas à garantir une marge. En cela, l'amendement de notre collègue M. Jean-Jacques Robert, aussi généreux soit-il, ne peut régler le problème. Il inciterait le petit distributeur à augmenter son prix et donc à orienter plus encore le consommateur vers le grand distributeur. Ayant fait quelques mathématiques, je sais que le produit est égal à la multiplication de deux facteurs et que le fait de multiplier le taux le plus généreux par quelque chose qui est faible ou nul ne garantira pas pour autant une vraie rémunération aux distributeurs.
Il faut chercher ailleurs. Le problème est posé au niveau du prix de l'approvisionnement. Tant que les distributeurs achèteront les produits à un prix égal ou supérieur à celui que paient les grandes surfaces, ils ne pourront manifestement pas assurer les services de proximité en milieu rural, car ils ne pourront pas vivre de leur activité.
Il nous faut donc porter notre attention sur ce problème. La démarche qui vise à rechercher une certaine péréquation me paraît intéressante et devra être approfondie.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, vous avez renvoyé le débat au projet de loi de finances, ce qui signifie que nous réexaminerons le dispositif en commission des finances : nous aurons alors à réfléchir pour savoir si ce point doit être réglé par une péréquation entre consommateurs - ce serait à mon avis très délicat, car nous demanderions à des familles modestes d'assurer l'aménagement du territoire au travers de cette péréquation à caractère social - ou plutôt par la fiscalité. Je ne tranche pas le débat.
Ce qui me paraît certain, c'est que, si nous voulons rétablir des conditions plus justes, plus raisonnables de concurrence et satisfaire des objectifs, tels l'aménagement du territoire, les services de proximité ou des services recherchés plus particulièrement par certaines catégories de la population - les personnes âgées, par exemple, préfèrent aux grandes surfaces des services de proximité, qui sont plus petits et plus sécurisants -, nous n'échapperons pas à une réelle redistribution. Or la fiscalité est le moyen de cette redistribution.
Nous devrons donc veiller à ne pas faire payer aux plus faibles le prix de cette péréquation. Mais c'est en allant dans cette direction que, à mon avis, nous avancerons et que nous pourrons satisfaire les consommateurs du point de vue tant des moyens dont ils disposent que du territoire qu'ils occupent. La France doit en effet avoir le souci de faire vivre tous ses territoires, car ceux-ci sont nécessaires à sa cohérence.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue, vous avez largement dépassé votre temps de parole !
M. René Régnault. L'amendement qui a été déposé me paraît constituer une bonne résolution. Comme lors de la première et de la deuxième lectures, le groupe socialiste s'abstiendra sur ce texte. Je répète néanmoins, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que, si ce travail est engagé, il n'est cependant pas achevé.
M. le président. La parole est à M. Delong.
M. Jacques Delong. Monsieur le ministre, je voudrais simplement, au nom du groupe du Rassemblement pour la République, vous remercier tout particulièrement des explications que vous nous avez données tout au long de ces débats qui ont porté sur plusieurs semaines.
Je souhaite associer à ces remerciements le rapporteur, notre ami M. Jean-Jacques Robert, qui a partagé les mêmes inquiétudes, s'est posé les mêmes questions et est parfois parvenu à trouver des solutions différentes, qu'il a fallu ensuite harmoniser avec les positions du Gouvernement.
Tous ces débats nous ont permis de constater que, par ce projet de loi, vous vous êtes attaqué, monsieur le ministre, à un problème extrêmement complexe.
Nous nous sommes aperçus que les solutions qui paraissaient les plus simples se révélaient à l'usage quelquefois les plus dangereuses.
En particulier, la suppression de l'article 5 ter, après des hauts et des bas au cours des différentes discussions tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat et en commission mixte paritaire, laisse en partie pendant le problème de péréquation auquel nous songeons tous, sans avoir trouvé jusqu'à présent la solution la plus juste et la mieux adaptée.
Il vous restera, monsieur le ministre, d'ici à la discussion budgétaire, à trouver la solution sur laquelle nous comptons. C'est en effet à vous qu'incombera la lourde responsabilité de tenter de transformer les ronds en carrés ou les carrés en ronds ! Rechercher la quadrature du cercle est un exercice qui vaut quand même la peine d'être tenté (sourires), et je suis sûr que vous y parviendrez ! L'ensemble du groupe du RPR votera donc ce texte. (Applaudissements.)
M. Emmanuel Hamel. Très bien ! Que la Haute-Marne est éloquente !
M. le président. La parole est à M. Egu.
M. André Egu. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à m'associer aux félicitations de M. Delong et à exprimer mes remerciements à M. le ministre pour le travail difficile mais important qu'il vient de réaliser avec les deux assemblées.
Je tiens également à remercier M. le rapporteur des synthèses qu'il a su tirer.
Les membres du groupe de l'Union centriste voteront le texte élaboré par la commission mixte paritaire, ainsi que, avec satisfaction et soulagement, l'amendement n° 1, qui apaisera l'inquiétude des petits pompistes ; ils espèrent voir ces derniers bénéficier d'une aide et d'une péréquation leur permettant de se maintenir dans les zones difficiles et dans les zones rurales. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, modifié par l'amendement ayant reçu l'accord du Gouvernement.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 120:

Nombre de votants 315
Nombre de suffrages exprimés 222
Majorité absolue des suffrages 112
Pour l'adoption 222

M. Emmanuel Hamel. La « loi Galland » entre dans l'histoire !

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