LOYAUTÉ ET ÉQUILIBRE
DES RELATIONS COMMERCIALES

Adoption des conclusions modifiées
d'une commission mixte paritaire

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 455, 1995-1996) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales s'est réunie au Sénat avant-hier.
Après un long débat, elle a voté un texte de compromis, dans lequel chacune des deux assemblées peut trouver des motifs de satisfaction.
Plusieurs sujets d'importance restaient en discussion : le refus de vente, le droit d'alignement, la vente des carburants au détail, le contenu des factures pour le calcul du seuil de revente à perte et les dérogations à l'interdiction des ententes illicites. Vous le constatez, le « menu » des travaux était copieux.
J'évoquerai d'abord les points qui n'ont guère soulevé de difficultés en commission mixte paritaire.
Le Sénat avait supprimé l'article 1er C, relatif aux ententes. En effet, les ententes relatives au prix ou à son mode de calcul sont systématiquement pourchassées, tant par le droit français que par le droit communautaire.
Cependant, les députés ont estimé indispensable de soutenir les entreprises qui, pour faire face à une situation de concurrence inégale, souhaitent, par exemple, établir des catalogues de vente.
En définitive, après un examen objectif du problème et dans un esprit de compromis, la commission mixte paritaire a adopté l'article 1er C dans la rédaction de l'Assemblée nationale, sous réserve, toutefois, de la limitation de l'application du dispositif aux produits agricoles ou d'origine agricole.
La commission mixte paritaire a ensuite adopté l'article 1er DA, qui autorise l'exemption pour certains accords, dans la rédaction du Sénat.
Elle a maintenu la suppression des articles 1er EB et 1er EC votée par le Sénat. Ces articles auraient alourdi inutilement la procédure applicable aux affaires portées devant le conseil de la concurrence. Nous sommes tous, ici, pour la simplification ; nous pouvons donc tous être satisfaits sur ce point.
Au paragraphe I de l'article 1er, le Sénat avait retenu les notions de « rabais, remises ou ristournes acquis », de façon à exclure la mention des escomptes sur la facture, estimant que l'escompte ne peut être considéré comme acquis qu'au moment du règlement.
Dans un esprit de compromis, la commission mixte paritaire a adopté une rédaction visant toute réduction de prix acquise à la date de la vente « à l'exclusion des escomptes non prévus sur la facture », ce qui permettra au juge saisi de se prononcer, selon la formule que j'affectionne, sur une base arithmétique.
La commission mixte paritaire a, par ailleurs, rétabli le paragraphe II, que le Sénat avait supprimé, sous le bénéfice d'une précision : que les fonds soient mis à la disposition du bénéficiaire « ou de son subrogé ».
Je le rappelle, il s'agit du problème qui se pose lorsque les traites sont escomptées ou que les factures sont vendues à des sociétés spécialisées - je ne parle pas factoring, pour ne pas faire de peine à M. Hamel ! (Sourires.)
M. Emmanuel Hamel. Merci !
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur. Bref, nous avons traité la banque et la société d'affacturage comme le subrogé du bénéficiaire.
A l'article 2, la commission a adopté le troisième alinéa du paragraphe II dans la rédaction de l'Assemblée nationale, autorisant ainsi la revente à perte des vins de primeur pendant la période terminale de la saison des ventes et dans l'intervalle compris entre deux saisons de vente.
Concernant le droit d'alignement, les positions des deux assemblées étaient très éloignées. Le Sénat voulait maintenir la règle prévue par l'ordonnance de 1986, qui reprenait elle-même, sur ce point, la loi de 1963, autorisant l'alignement pour l'ensemble des activités commerciales, sans limitation de superficie. L'Assemblée nationale avait, elle, limité ce droit aux commerces d'une surface inférieure à 300 mètres carrés.
Nous avions considéré que l'instauration d'un tel seuil risquait de condamner tout un pan de notre activité économique.
Nous avons adopté en commission mixte paritaire une formule de compromis, qui accorde le droit d'alignement aux commerces de moins de 300 mètres carrés pour la vente de produits alimentaires et aux commerces de moins de 1 000 mètres carrés pour la vente de produits non alimentaires.
Cela permettra à des commerçants moyens, qui sont en fait nos commerçants traditionnels de centre-ville mais exercent souvent, désormais, leur activité sous l'enseigne d'une chaîne de franchise, de se défendre. Car nous étions leurs seuls interlocuteurs, abandonnés qu'ils sont par les chambres de commerce et les organismes professionnels, qui ne voient que l'enseigne, sans se rendre compte que ces commerçants ne se sont franchisés que pour survivre. Et ce sont bien eux qui, aujourd'hui, maintiennent l'essentiel du commerce de proximité.
La commission mixte paritaire a adopté l'article 3 bis dans les termes du Sénat.
Au 1° de l'article 4, elle a décidé de libéraliser totalement le refus de vente. La disposition jusqu'à présent en vigueur datait de la période de l'Occupation, et était devenue singulièrement anachronique ; la France est d'ailleurs le seul pays à la connaître encore.
Cette libéralisation permettra à tout producteur de refuser de vendre ses produits au lieu d'y être contraint quelles que soient les exigences de l'acheteur. Elle n'interdira pas, pour autant, à un « petit » de pénétrer sur un marché ; l'article 8 de l'ordonnance de 1986 est très précis sur ce point puisqu'il condamne le refus de vente abusif.
La commission mixte paritaire a ensuite adopté le 6 de l'article 36 de l'ordonnance de 1986 dans la rédaction de l'Assemblée nationale, légèrement modifiée.
Elle a adopté l'article 5 bis dans la rédaction du Sénat.
Elle a confirmé la suppression, votée par le Sénat, de l'article 7, relatif au rapport de gestion et aux commissaires aux comptes, dont nous nous contentons de conserver la mission traditionnelle. Leur donner de nouvelles missions d'investigation aurait nui à l'équilibre des rapports commerciaux entre fournisseurs et clients.
A l'article 10, qui concerne la réserve de propriété, les commissaires de l'Assemblée nationale se sont rendus à nos arguments. Cependant, toujours dans un souci de compromis, nous n'avons pas fait référence aux conditions générales d'achat, estimant que seules les conditions générales de vente peuvent être traitées dans ce texte. Bien entendu, cela ne signifie pas que l'acheteur ne peut pas négocier avec le vendeur.
Enfin, la commission mixte paritaire a adopté l'article 11 dans la rédaction du Sénat.
Avant d'en venir à la deuxième partie de mon propos, je me permets de vous indiquer, monsieur le ministre, que le président de la commission des affaires culturelles, qui est saisi de nombreuses interventions concernant l'intégration des disques dans le dispositif relatif au prix abusivement bas, s'interroge sur les modalités d'application que vous envisagez. Vos explications seront les bienvenues.
J'en arrive au point crucial de ce texte.
A propos de l'article 5 ter, qui a trait à la vente au détail des carburants, la majorité des commissaires ont souligné la nécessité de prévoir des dispositions spécifiques en faveur des petites stations-service.
Le rapporteur de l'Assemblée nationale, M. Jean-Paul Charié, a proposé une nouvelle rédaction de cet article qui a provoqué quelques remous.
M. Charié proposait en effet d'imposer aux fournisseurs de carburant d'accorder aux revendeurs ayant le statut de gérant libre ou de mandataire ou étant liés par un contrat de commissionnaire, une commission minimale de 8 p. 100 sur le prix de vente hors taxe sur la valeur ajoutée, ce taux minimal pouvant être, une fois par an, modifié par décret en Conseil d'Etat.
De ce point essentiel dépendra le jugement que nous allons porter sur le texte issu de la commission mixte paritaire.
M. Charié a avancé cette proposition, qui s'apparente quelque peu au prix imposé, alors que la commission mixte paritaire siégeait déjà depuis plusieurs heures. Nous l'avons en quelque sorte « prise au vol » un peu à la manière du pêcheur qui ferrerait le poisson « sur la touche ».
Cette proposition ne répondait certes pas à nos voeux. Mais nous ne devons pas perdre de vue le fait que certains petits pompistes se sentent en perdition et que nous devons leur envoyer un signal fort.
Nous n'aurions pas été obligés, monsieur le ministre, de donner ce signal si vous aviez accepté de soumettre la vente au détail des carburants au dispositif du prix abusivement bas. C'est entre nous un débat de forme, touchant à l'efficacité. Je persiste, pour ma part, à penser que ce prix abusivement bas est, en quelque sorte, un contrôle fiscal géant exercé par des spécialistes qui permet à la personne visée, contrairement à un contrôle fiscal normal, de s'expliquer. En outre, le jugement est un jugement « de concurrence » qui apporte satisfaction à tous les petits pompistes et leur donne l'assurance d'être défendus.
Dès lors, vous pensez bien que nous avons « sauté » sur cette commission de 8 p. 100. Nous n'allions pas abandonner sur la route les quelque 10 000 petits pompistes face au combat de géant que mènent les grandes surfaces et les pétroliers, qui me semblent, en dépit des explications que je vais donner, quelque peu coupables.
En effet, le petit pompiste exerce une profession liée à l'aménagement du territoire. C'est là qu'il montre toute son utilité. Je dirai même que sa fonction s'apparente à une mission de service public.
Je ne voudrais pas que ces petits pompistes se sentent abandonnés. Mettons-nous un instant à leur place ! Ils voient ce qui se passe avec les éleveurs de bétail. Ils ont entendu le président du conseil général du Cantal, notre collègue Roger Besse, encourager et soutenir les éleveurs face aux difficultés économiques quasi insurmontables auxquelles ils sont confrontés...
M. Emmanuel Hamel. Il a raison !
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur. ... et, mieux encore, proposer de les indemniser avec l'aide de Bruxelles.
Vous avez certes apporté à nos petits pompistes quelque argent prélevé sur la taxe acquittée par les grandes surfaces. Je considère cette mesure comme un premier pas, et je vous en remercie. A cette occasion, vous vous êtes aperçu que les stations-service et les parkings des grandes surfaces n'entraient pas dans l'assiette de la taxe. Cela a permis de dégager 30 millions de francs. Vous nous préciserez, lors de l'examen du projet de loi de finances pour 1997, l'affectation qui sera faite de cette somme, mais nous vous faisons confiance en ce domaine.
Ces 30 millions de francs porteront de 1,7 milliard de francs à 1,73 milliard de francs la taxe qui est actuellement acquittée, mais ils ne concernent qu'une catégorie de pompistes et représentent une aumône, certes bienvenue, mais qui n'empêchera pas ces petits pompistes de disparaître.
Ils auraient eu un cercueil en bois blanc ; ces trente millions de francs leur permettront d'avoir un cercueil en acajou ! (M. le ministre manifeste sa désapprobation.)
M. René Régnault. Teinté seulement ! (Sourires.)
M. Emmanuel Hamel. Il n'y aura plus de stations-service !
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur. Ce n'est pas suffisant et nous souhaitons aller au-delà.
Certes, il y a le FISAC, le fonds d'intervention pour la sauvegarde, la transmission et la restructuration des activités commerciales et artisanales ; mais nous relevons à ce sujet une autre anomalie. En effet, bien que doté d'un milliard de francs, seuls 300 millions de francs sont distribués ; 600 millions de francs restent donc dans le budget. Il y a donc du grain à moudre, et notre proposition vise à augmenter la quantité de grain, en prélevant une partie de ces fonds qui, ajoutée au produit de la taxe, porterait l'enveloppe à 100 millions de francs. Cette somme permettrait, comme dans le cas des éleveurs, de faire face à une situation économique délicate.
Mais j'ai encore d'autres propositions à vous soumettre.
Quelle est, dans ces conditions, la position du rapporteur face à l'attitude de l'Assemblée nationale, qui, en adoptant un amendement du rapporteur, en accord avec le Gouvernement, a repoussé cette proposition tendant à instaurer une commission de 8 p. 100 ?
Le problème est simple : faut-il voter conforme le texte issu des travaux de la commission mixte paritaire ?
Faut-il lâcher la proie pour l'ombre ?
Nous devons toujours adresser un signal fort à nos pompistes.
Aussi, dans un souci d'efficacité, je vais inviter le Sénat à voter la suppression de l'article 5 ter en adoptant l'amendement que j'ai déposé, avec l'accord du Gouvernement.
Je verrais toutefois d'un très bon oeil, monsieur le ministre, qu'en septembre vous preniez l'initiative, avec votre collègue chargé de l'industrie, de réunir les pompistes et les pétroliers - ce qui n'a pas été fait - car les mesures proposées ont un poids économique considérable. Je suis certain qu'il est possible de faire oeuvre de vertu en faveur des pompistes. Seule une telle initiative sera de nature à répondre à l'inquiétude de ceux qui nous sont proches, car nous nous approvisionnons dans leurs stations chaque fois que nous rentrons dans notre département. Nous sommes particulièrement sensibles à leur inquiétude et nous ne souhaitons pas les voir disparaître.
Nous proposons donc d'engager une négociation. Celle-ci est indispensable parce que, sans citer de noms, on peut affirmer sans crainte de se tromper que les « petits malins » de la grande distribution s'approvisionneront toujours à Amsterdam et que nos petits pompistes seront à l'abandon.
Nous devons être vigilants quant à cette forme de situation abusivement dominante, dans l'esprit même, monsieur le ministre, du texte que vous nous avez proposé et que le Sénat va être invité à voter.
Ma seconde proposition a trait au FISAC. Il faut absolument, d'autant qu'un poste créditeur, par les temps qui courent, ce n'est pas si fréquent, que ce fonds soit rendu à sa véritable destination, à savoir l'aménagement du territoire, l'aide au commerce et à l'artisanat.
C'est tellement vrai qu'avec votre collègue M. Raffarin, ministre des petites et moyennes entreprises, du commerce et de l'artisanat, que j'avais alerté sur l'emploi des fonds du FISAC - même si j'ai à ce propos parlé de gadget, je pense qu'il va devenir essentiel, pour peu que son utilisation soit intelligemment et efficacement organisée - j'étudie la possibilité de décentraliser une partie de celui-ci. En effet, ce fonds ne répond pas aux besoins tant que les décisions sont prises à Paris. Une partie de ce fonds pourrait être départementalisée.
Cette commission de 8 p. 100 dont nous avons été les premiers à être informés nous a conduits à renoncer à soumettre la vente de détail des carburants au dispositif du prix abusivement bas sans abandonner nos pompistes.
Telle est la réflexion de la commission des affaires économiques. Vous connaissez les raisons qui m'ont conduit à déposer un amendement tendant à supprimer la commission de 8 p. 100 sur le prix des carburants. Cet amendement, s'il est adopté, permettra - j'attends la réponse de M. le ministre sur ce point - de soutenir nos petits pompistes. (Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
M. Emmanuel Hamel. Il permettra d'éviter de tomber en panne sur les routes de France, faute d'essence et parce qu'il n'y aura plus de pompistes.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Yves Galland, ministre délégué aux finances et au commerce extérieur. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi de faire l'analyse objective de ce texte.
Nous pouvons tous, je crois, être satisfaits de l'issue des délibérations de la représentation nationale concernant la réforme de l'ordonnance du 1er décembre 1986 sur la concurrence.
Vous vous en souvenez sans doute, monsieur le rapporteur, certaines Cassandre nous avaient prédit les pires dérives à l'occasion de la discussion de ce texte. J'ai toujours, comme vous-même, été persuadé du contraire, et je me réjouis de voir ma prédiction réalisée.
C'est la première fois, en effet, depuis plus de soixante ans, que le Parlement légifère sur une réforme d'ensemble du droit de la concurrence : auparavant, il était procédé par voie d'ordonnances. Nous pouvons constater aujourd'hui - et les propos que vous venez de tenir le confirment, monsieur le rapporteur - que le processus est couronné de succès.
Je tiens à cet égard à remercier la commission des affaires économiques et la commission des lois du travail très constructif qu'elles ont accompli tout au long de la préparation du texte.
Je tiens, en particulier, à rendre hommage à MM. Robert et Hyest, avec qui, je crois pouvoir l'affirmer, nous avons eu tout au long de l'examen de ce projet de loi une collaboration exemplaire.
M. Emmanuel Hamel. Exemplaire, en effet !
M. Yves Galland, ministre délégué. La loi sur la loyauté et l'équilibre des relations commerciales que vous allez adopter, restaurera, j'en suis certain, des relations saines entre les producteurs et les distributeurs. Elle mettra enfin un terme aux dérives que nous avons pu observer au cours de ces dernières années.
Ce texte représente donc, comme l'a rappelé M. le rapporteur, un équilibre satisfaisant. Il maintient le principe fondamental de la liberté des prix et de la liberté contractuelle, qui est au coeur de notre processus économique. Il ne sanctionne que les abus, sans introduire des rigidités inutiles dans les relations contractuelles.
Il clarifie la législation sur des points essentiels, tels que la facturation. Il va, enfin, rendre pleinement effective l'interdiction de la revente à perte, dont le défaut actuel d'application est connu de tous.
Il renforce aussi les producteurs, avec la libéralisation du refus de vente, qui était attendue par nombre d'entre eux. Vous avez d'ailleurs souligné, monsieur le rapporteur, l'archaïsme d'une belle pratique et l'isolement dans lequel elle nous maintenait.
Ce texte met enfin un terme à certaines pratiques abusives de la grande distribution, telles que les primes de référencement, les déréférencements abusifs et les « prix abusivement bas », dont nous avons longuement débattu dans cet hémicycle et sur lesquels vous vous êtes prononcés.
Enfin, ce projet de loi renforcera la lutte contre le « paracommercialisme », qui constitue une concurrence déloyale à l'égard des commerçants à laquelle la Haute Assemblée était tout particulièrement attachée.
Je crois que l'ensemble de ces points représente une avancée significative du droit de la concurrence, qui était attendu par les entreprises de ce pays. Ces entreprises, notamment les petites et moyennes, sauront que le Gouvernement et la majorité ont ainsi répondu à leur attente.
Je tiens à souligner devant vous qu'à chaque fois le Gouvernement a répondu aux attentes spécifiques de la représentation nationale, que ce soit pour l'agriculture, le disque, les PME ou le carburant.
Pour ce qui concerne l'agriculture, les décrets d'exemption ont été salués. Rappelez-vous - le temps va vite ! - quand vous manifestiez des inquiétudes et émettiez des réserves très fortes sur les décrets d'exemption, voulant être assurés que le Conseil de la concurrence prendrait bien en considération des préoccupations qui nous étaient communes. C'est fait !
Le disque, sur lequel vous m'interrogez très justement, avait fait l'objet d'un amendement introduit par le Sénat. Comment procéder en cas de prix abusivement bas sur les disques ? C'est aussi l'interrogation de la profession. La réponse est simple : s'ils constatent des prix abusivement bas, les disquaires, car ce sont eux qui sont visés - ils sont aujourd'hui deux cent cinquante, et nous souhaitons qu'ils soient plus nombreux à l'avenir - conformément à l'objet de l'amendement proposé, pourront se plaindre auprès des directions départementales de la concurrence. Celles-ci mèneront une enquête en urgence...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Il faut augmenter leurs effectifs !
M. Yves Galland, ministre délégué. ... et le Conseil de la concurrence pourra être saisi soit par le ministre, soit par les disquaires eux-mêmes, soit par le syndicat professionnel concerné.
Par ailleurs, je vais demander à la direction de la concurrence de mener, dès le troisième trimestre de cette année, une enquête générale de suivi des prix du disque, de manière à pouvoir mettre en oeuvre le nouveau texte, si nécessaire. Bien entendu, monsieur le rapporteur, je rendrai public le résultat de ces enquêtes.
Le Conseil de la concurrence, vous le savez, peut prendre des mesures conservatoires si l'urgence le justifie, qui permettent d'agir très vite. Cette décision a été prise au nom de l'exception culturelle, à laquelle la représentation nationale dans son ensemble est très attachée. Nous le savons, en elles-mêmes, ces mesures ne seraient pas suffisantes pour sauver la création française. Aussi, en liaison avec la profession et avec Yves Duteil un grand artiste très attaché à la création française nous mènerons quatre chantiers complémentaires afin d'en défendre et d'en imposer la survie et le dynamisme.
Je souhaiterais maintenant revenir sur le problème des carburants, qui a occupé une grande partie de nos débats.
D'abord - mais est-il besoin de le rappeler - le Gouvernement est aussi désireux que le Parlement de trouver une solution pour maintenir les stations-service en milieu rural et favoriser l'aménagement du territoire elles sont dont l'un des piliers.
Il est vrai, monsieur le rapporteur, que, sur le sujet, nous avons eu une divergence. Mais c'est du passé. Mais permettez-moi d'approfondir un peu l'analyse.
L'introduction des carburants dans l'article relatif aux prix abusivement bas n'aurait pas répondu aux attentes des petits pompistes et nous aurait aliéné les consommateurs. Ce dispositif présentait donc un inconvénient majeur.
De surcroît, il ne s'agissait pas seulement d'un contrôle fiscal généralisé.
Comme j'ai eu l'occasion de le dire ici, il y avait deux cas de figure possibles. Dans l'hypothèse où, comme pour les disques, la mécanique du système avait un effet réel et entraînait une augmentation des prix à la pompe, certes l'écart des prix se trouvait réduit, mais cela handicapait le consommateur. Cette mesure aurait porté sur des sommes considérables : il s'agissait au moins, à hauteur de sept centimes, de 1 700 millions de francs. Qui seraient allés où ? A la grande distribution, en profits supplémentaires, donc imposés, paradoxe de la situation !
Dans l'hypothèse inverse, c'est-à-dire celle d'une absence totale d'effet - hypothèse que vous aviez envisagée, comme le Gouvernement - il n'y avait, en fin de compte, qu'un mauvais effet d'affichage et une efficacité nulle.
C'est sur ce point qu'une divergence est apparue entre nous. Je n'aurai pas la vanité de penser que l'avis du Gouvernement était le meilleur, mais nous avons une très forte conviction, que je viens de rappeler en quelques mots : la procédure relative aux prix abusivement bas n'est pas adaptée. En tout état de cause, en deuxième lecture, l'Assemblée nationale et le Sénat, par un vote conforme, l'ont repoussée.
En revanche, le dispositif sur lequel le Gouvernement s'est engagé devant le Sénat, en deuxième lecture répond, je crois, au problème des petites stations-service en milieu rural.
Tout d'abord, une clarification s'impose, car c'est curieux, la communication peut parfois être d'une étrange complexité !
Il ne s'agit en aucune manière d'une taxe nouvelle. La taxe sur les grandes surfaces existe depuis 1972. Je veux bien qu'on la qualifie de « nouvelle », mais c'est assez original pour une taxe nouvelle qui a fêté ses vingt-quatre ans !
L'extension de cette taxe aux stations-service des grandes surfaces va permettre une péréquation à partir des grandes et moyennes surfaces, qui sont à l'origine des faits de concurrence déloyale, vers les petites stations-service en milieu rural. Il va y avoir péréquation de ceux qui font souffrir vers ceux qui souffrent. Tel est l'effet bénéfique de la péréquation.
Ce dispositif est juste, monsieur le rapporteur : il cible bien les stations-service que nous souhaitons maintenir et il n'entraîne pas de coût supplémentaire pour le consommateur. Vous avez rappelé l'ampleur de la taxe sur les grandes surfaces et l'incidence, de l'ordre de 2 p. 100, pour les grandes surfaces.
Vous me dites en substance : « Le problème, c'est que les calculs que vous avez faits, les chiffres que vous nous avez donnés sont insuffisants, monsieur le ministre. Si nous voulons véritablement que cette péréquation ait un effet, il faut que vous puissiez abonder le produit de la taxe. L'efficacité sera à ce prix. »
Je suis bien d'accord avec la Haute Assemblée, les 19 000 ou 20 000 stations-service ne sont pas en cause ; il va falloir déterminer celles qui, en milieu rural ou semi-urbain, sont les plus fragilisées, soit par leur volume, soit par leur situation géographique, soit par tout autre paramètre. Qui les déterminera ? Ce seront les professionnels, en liaison avec le Parlement, comme je m'y suis engagé.
S'agissant de l'abondement, il se trouve que ma nature m'amène à ne jamais prendre d'engagements que je ne suis pas sûr de pouvoir tenir. Vous le savez, monsieur le rapporteur, comme vous n'ignorez pas que j'ai fait preuve d'une très grande modération. Après vérification des calculs, je peux vous dire que nous pourrons abonder cette taxe, en gardant l'assiette, et que nous pourrons aller dans le sens que vous souhaitez, c'est-à-dire faire en sorte que, de manière raisonnable, sans taxer le consommateur, nous soyons efficaces et apportions une réponse aux quelques milliers de stations-service qui seront bénéficiaires de cette péréquation et que nous déterminerons ensemble.
Vous m'avez interrogé aussi sur le FISAC.
A l'Assemblée nationale comme au Sénat, nous en avions parlé dès le début du débat, mais nombre de députés et de sénateurs devaient par la suite considérer que le FISAC n'était pas la réponse adaptée.
Les réserves du FISAC ? Je l'ai dit précédemment, en m'engageant à abonder le produit de la taxe, toute la crédibilité et la qualité du travail que nous faisons en commun reposent sur les engagements que nous pouvons prendre. Le FISAC n'est pas de ma seule compétence ; le problème ne peut être réglé que de manière interministérielle, et il est délicat. Nous pouvons néanmoins l'aborder - je le mets en liaison avec votre dernière proposition - en étant vigilants quant aux éventuels résultats.
Nous avons d'ores et déjà une piste. Je suis tout à fait partisan d'engager, comme vous me l'avez suggéré, une réflexion avec le ministre chargé de l'industrie, M. Franck Borotra. Il connaît admirablement ces questions et est aussi soucieux que vous-même et l'ensemble du Gouvernement de trouver une solution pour ces pompistes et, au-delà, pour régler ce problème d'aménagement du territoire. Il est le ministre responsable en matière de carburant. La direction du gaz, de l'énergie et des matières premières ainsi que la direction générale de l'électricité et du charbon dépendent de son département ministériel.
Je retiens donc très volontiers votre suggestion et je lui en ferai part.
Venons-en maintenant aux réserves que vous avez exprimées et que, il y a deux heures, M. Charié exprimait à l'Assemblée nationale sur l'amendement « carburants » adopté en commission mixte paritaire, en votre présence, monsieur le rapporteur.
La commission mixte paritaire se réunissait avant-hier, à quinze heures. J'ai eu connaissance de cet amendement à treize heures vingt. J'ai exprimé d'emblée mes craintes et mon opposition.
Bien sûr, nous ne pouvons que soutenir, par principe, une orientation tendant à l'amélioration de la marge des stations-service. De là à leur garantir une commission minimale de 8 p. 100... Les effets pourraient être tout à fait pervers.
Pour son auteur, la proposition devait être considérée comme comprise à l'intérieur des prix par les compagnies pétrolières. Il s'avère aujourd'hui que sa répercussion serait extérieure aux prix et qu'elle entraînerait une augmentation des prix à la pompe pour les petits détaillants, autant de conséquences contraires aux objectifs qui nous sont communs.
C'est pourquoi j'ai manifesté mon opposition, pensant que l'on ne pouvait pas s'engager dans cette direction et adopter un amendement de cette nature sans avoir expertisé au fond et complètement ses conséquences.
Force est de constater les risques de dérive de ce dispositif. Les quotidiens économiques, ce matin, titraient de la même façon sur les risques de dérive. Pour l'Union française de l'industrie pétrolière, l'UFIP, « l'amendement adopté devrait aboutir à une hausse des carburants à la pompe d'environ vingt centimes par litre et à la disparition accélérée des petits pompistes ». Selon M. Bernard Calvet, président de l'UFIP, « les compagnies pétrolières ne pourront pas supporter cette charge supplémentaire. Les 4 milliards de francs seront répercutés sur l'automobiliste, qui paiera son carburant plus cher. »
Plus important - puisque seuls les petits pompistes, qui voulaient être préservés, étaient visés par cet amendement - les grandes surfaces, si cet amendement était adopté, auraient toute liberté : ou bien elles ne changent pas leurs prix actuels, la disparité entre leurs prix et ceux des autres stations-service va encore s'accroître - de l'ordre d'au moins vingt centimes - et c'est la disparition rapide et accélérée du petit commerce, contre laquelle, précisément, nous voulons lutter ; ou bien les grandes surfaces maintiennent l'écart existant en augmentant dans la même proportion que les petits pompistes leurs prix à la pompe, bien qu'elles n'y soient pas obligées, et c'est l'automobiliste qui paie le carburant plus cher, dans les petites comme dans les grandes stations-service.
Et M. Calvet de faire remarquer qu'un tel dispositif aurait l'effet exactement contraire au but initialement recherché. En outre, il pourrait remettre en cause les accords interprofessionnels, notamment le système des mandataires, puisque les sociétés pétrolières auront intérêt à reprendre les stations-service en gestion directe plutôt que de payer des commissions trop importantes quand elles n'y sont pas obligées.
Tels sont les éléments d'information - vous les connaissiez, monsieur le rapporteur, puisque vous en avez rappelé l'essentiel - que je me devais de porter à la connaissance de la Haute Assemblée.
Bien entendu, comme je l'ai indiqué ce matin à l'Assemblée nationale, la représentation nationale est totalement souveraine. L'amendement de suppression déposé ce matin l'a été sur l'initiative de l'Assemblée nationale, qui l'a adopté à l'unanimité. Il s'agit d'une initiative non pas du Gouvernement, mais du rapporteur de la commission mixte paritaire pour l'Assemblée nationale, M. Charié, qui, voyant les effets potentiels du dispositif, a souhaité déposer cet amendement.
Compte tenu de la qualité de nos échanges et de nos relations, je n'ai pas voulu accepter cet amendement sans prendre immédiatement contact avec vous pour connaître votre sentiment. Vous m'avez fait savoir que, sous réserve de certains compléments d'information - je viens de les donner - vous partagiez ces craintes et que, d'ailleurs, vous les aviez eues dès le départ.
Comme l'exige la procédure, le Gouvernement a donné son accord à cet amendement, soucieux de ne pas aboutir au résultat exactement inverse de celui que nous souhaitions atteindre ensemble.
En conclusion, je voudrais vous faire part de ma grande satisfaction d'avoir travaillé avec la Haute Assemblée sur cette réforme. Nous avons amélioré les conditions de la concurrence. Il faut que les milieux professionnels prennent conscience, au-delà de la lettre, de l'esprit de la loi, de ses conséquences et de l'évolution des comportements qu'elle rend nécessaire, car il convient - c'est indispensable dans ce pays - de restaurer une concurrence libre et loyale. La loi va dans cette direction, il faudra que les mentalités l'accompagnent.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous remercie, de votre collaboration. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Robert, rapporteur. Monsieur le président, compte tenu des déclarations de M. le ministre, je demande une brève suspension de séance, pour que nous puissions nous concerter avec le Gouvernement.
M. le président. Le Sénat va bien sûr accéder à votre demande.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures, est reprise à douze heures dix.)