M. le président. Je suis saisi, par M. Estier et les membres du groupe socialiste et apparentés, d'une motion n° 3, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la programmation militaire pour les années 1997 à 2002 (n° 415, 1995-1996). »
Je rappelle que, en application du dernier alinéa de l'article 44 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
La parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Estier, auteur de la motion.
M. Claude Estier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous assistons depuis hier après-midi à un débat qui me paraît un peu surréaliste et qui amène à se poser quelques questions avant que s'ouvre la discussion des articles du texte que nous présente le Gouvernement.
Première question : qu'est-ce qui a changé depuis le moment - il y a deux ans à peine - où le gouvernement d'alors faisait voter, par une majorité qui était la même qu'aujourd'hui, une loi de programmation militaire pour les années 1995 à 2000 ?
Le contexte géostratégique, bouleversé à partir de 1989 avec la chute du mur de Berlin et l'effondrement du bloc soviétique, n'a guère évolué depuis 1994, et l'on nous précise bien que sont toujours valables les analyses contenues dans le Livre blanc sur lequel s'appuyait la précédente loi de programmation.
M. Michel Caldaguès. Nous avons changé de Président de la République !
M. Claude Estier. Cela suffit-il à modifier le contexte géostratégique ? Bizarre ! (Exclamations sur les travées du RPR.)
M. Philippe de Gaulle. Bien sûr !
M. Claude Estier. Pourquoi cette loi de programmation, que vous avez votée, chers collègues de la majorité, voilà deux ans, tombe-t-elle aux oubliettes, pratiquement sans être entrée en application, pour laisser la place à une autre qui va dans une tout autre direction ?
Suffit-il que le Président de la République ait décidé, tout seul, en l'annonçant à la télévision le 22 février dernier, de transformer du tout au tout l'organisation de nos armées pour que la majorité parlementaire se déjuge et s'apprête à voter tout autre chose que ce qu'elle avait approuvé il y a deux ans ?
M. Michel Rufin. C'est parce que nous sommes plus intelligents ! (Sourires.)
M. Claude Estier. On comprend que, à l'Assemblée nationale, un certain nombre de députés de la majorité aient préféré s'abstenir, sans parler de ceux, très nombreux, qui n'ont pas cru devoir être présents au moment du vote, ce qui n'est pas la marque d'un grand enthousiasme.
A partir de là se pose une question plus grave encore : à quoi sert le Parlement, que l'on place, une fois de plus, devant un double fait accompli ? En effet, la professionnalisation de l'armée a été décidée par le seul Président de la République et la suppression du service national annoncée par le même. Ne jouons pas sur les mots : quand on propose une décision, c'est bien qu'on a décidé.
D'ailleurs, cette décision, Mme Bidard-Reydet le rappelait tout à l'heure, a été confirmée par une étonnante, et sans doute maladroite, publicité du ministre de la défense dans l'ensemble de la presse, alors que le débat sur le second sujet ne devrait avoir lieu, nous dit-on, que dans quelques mois.
Aurait-on aboli subrepticement - en tout cas sans nous avoir informés - l'article 34 de la Constitution, dont le Président de la République est en principe le gardien ? Je rappelle que, aux termes de cet article, la responsabilité de fixer « les principes fondamentaux de l'organisation générale de la défense nationale » incombe à la loi, donc au Parlement.
M. Michel Rufin. C'est nous, la loi ! C'est nous qui allons voter !
M. Claude Estier. Ce même article 34, qui définit le rôle du Parlement, précise encore, et nous touchons là au noeud du problème que j'évoque, que c'est la loi...
M. Michel Caldaguès. La loi, c'est nous qui la faisons !
M. Claude Estier. ... qui fixe les règles concernant « les sujétions imposées par la défense nationale aux citoyens en leur personne et en leurs biens ».
Il est évident que le service national obligatoire fait partie de ces sujétions et que c'est au seul Parlement qu'il revient d'en décider l'éventuelle suppression.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Eh bien oui !
M. Michel Caldaguès. Nous sommes d'accord !
M. Claude Estier. Je citerai, sur cette question, notre collègue M. Hubert Haenel, membre du groupe du RPR, qui a écrit, dans un ouvrage intitulé La Défense nationale : « Le Parlement joue un rôle majeur en matière de défense : il procure les moyens en votant le budget de la défense et il fixe les limites du pouvoir de l'exécutif. C'est en effet, selon l'article 34 de la Constitution, la loi qui détermine les principes fondamentaux de l'organisation de la défense nationale - l'ordonnance de 1959, qui fixe actuellement ces principes, est un texte de valeur législative - les ressources de l'Etat, les règles concernant les garanties fondamentales accordées aux militaires, les règles concernant les sujétions imposées par la défense aux citoyens en leur personne et en leurs biens. »
On ne saurait mieux dire !
Mais je demande à M. Haenel et à vous tous, chers collègues de la majorité, quel sens aura le vote qui nous sera demandé à l'automne,...
M. Bertrand Delanoë. Et voilà !
M. Claude Estier. ... alors que la décision sur le service national aura déjà été prise et que la programmation des dépenses militaires pour les six prochaines années aura déjà, si vous suivez le Gouvernement, été votée depuis plusieurs mois.
M. Bertrand Delanoë. Exactement !
M. Claude Estier. Raisonnons un instant par l'absurde. Que se passerait-il si, à l'automne prochain, le Parlement, dont vous dites qu'il est libre de se prononcer, votait le maintien du service national, en contradiction avec la loi de programmation militaire et avec les annonces du Président de la République ?
Vous me répondrez, bien sûr, que, compte tenu de la majorité dont vous disposez, l'hypothèse est peu vraisemblable et que le résultat est acquis d'avance. Mais, alors, tirons de cela la conséquence logique et transformons le Parlement en simple chambre d'enregistrement des décisions présidentielles !
Je voudrais, sur ce point, répondre - avec la courtoisie qu'il me connaît - à M. de Villepin, qui s'élève contre l'expression « chambre d'enregistrement ». Il est vrai, monsieur de Villepin, que nous avons eu, sous votre autorité, un débat.
M. Alain Gournac. Un débat de bonne qualité !
M. Claude Estier. Je crois y avoir participé !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Absolument !
M. Claude Estier. Ce débat, qui a duré trois jours, a été engagé à partir d'une décision déjà prise et annoncée par le Président de la République. M. le ministre vient d'ailleurs de le confirmer.
M. Charles Millon, ministre de la défense. Pas du tout ! Je n'ai pas dit ça !
M. Claude Estier. Libre à vous, chers collègues de la majorité, de renoncer ainsi à vos pouvoirs de législateur. Pour notre part, nous ne l'acceptons pas, et c'est pourquoi nous affirmons qu'il n'y a pas lieu de délibérer aujourd'hui du présent projet de loi.
Débattre aujourd'hui de ce texte, j'insiste sur ce point, c'est bafouer les droits du Parlement.
Soyons clairs, nous ne contestons nullement les fonctions et les prérogatives du Président de la République en tant que chef des armées...
M. Alain Gournac. C'est bien !
M. Claude Estier. ... telles que les définit l'article 15 de la Constitution, mais elles ne l'autorisent pas à se substituer au Parlement s'agissant, en particulier, du service national.
Permettez-moi de vous rappeler, monsieur le ministre, que la décision tendant à réduire à dix mois la durée du service militaire, sous la présidence de M. François Mitterrand, a été prise dans le cadre d'un projet de loi. Le Président de la République n'a pas pris seul cette décision !
M. Bertrand Delanoë. Et voilà !
M. Claude Estier. Si cette loi de programmation était votée, coexisteraient une loi abrogeant de fait le service national obligatoire et l'ordonnance du 7 janvier 1959 portant organisation générale de notre défense, et qui est entièrement bâtie autour de ce service obligatoire. L'article 43 de cette ordonnance, qui organise la mobilisation générale, se fonde en effet sur l'existence d'un service militaire auquel on est « appelé ».
On se rend bien compte que cette loi de programmation, élaborée dans l'improvisation et sans le débat préalable approfondi dans l'opinion qu'un tel bouleversement aurait nécessité, comporte de nombreux éléments de confusion qui - certains l'avouent dans les couloirs mais non dans l'hémicycle - inquiètent nombre d'entre vous, qu'il s'agisse des principes démocratiques, du fonctionnement de notre défense - en particulier pendant la période de transition - ou encore du financement, sur lequel je ne reviens pas dans la mesure où plusieurs collègues de mon groupe ont abordé ce sujet.
Nous risquons aujourd'hui, et dans les années à venir, d'assister à une désorganisation rapide, profonde et durable de l'outil de défense de la France. Pour tenter de la masquer, on a inventé une formule qui est un véritable objet conceptuel non identifié, la « pause stratégique », selon laquelle, pendant les dix ou quinze prochaines années, rien ne se passera qui mette directement en danger la sécurité de la France. Pendant cette période, nous devrions avoir le temps de réformer notre défense en toute tranquillité. Il s'agit, pour le moins, mes chers collègues, d'un pari risqué !
M. Bertrand Delanoë. Oui !
M. Claude Estier. J'imagine quelles auraient été vos protestations si un gouvernement socialiste s'était engagé dans cette voie, et de cette manière...
M. Michel Caldaguès. Pour l'arrêt des essais nucléaires, par exemple !
M. Claude Estier. ... alors que, ne l'oublions pas...
M. Bertrand Delanoë. Ils ne sont pas à l'aise !
M. Claude Estier. ... voilà seulement deux ans, M. Jacques Chirac, qui n'était pas encore Président de la République, demandait une augmentation des crédits militaires, et que vous l'approuviez alors.
M. Bertrand Delanoë. Très bien !
M. Claude Estier. Le Gouvernement est pressé, car il réserve - nous venons d'en avoir la confirmation - pour la période estivale toutes les mauvaises nouvelles dans les domaines industriel et social.
Vous voulez, monsieur le ministre, que la loi de programmation soit votée avant la fin de la session pour pouvoir procéder ou donner le feu vert au mois de juillet - vous venez de le confirmer - aux fermetures de bases, aux restructurations et aux plans sociaux sur lesquels - et reconnaissez, mes chers collègues que vous-mêmes êtes inquiets à ce sujet - M. le ministre est pour l'instant resté extrêmement discret.
Nous ne sommes pas les seuls à souligner que cette loi de programmation manque de cohérence. Tout est fait pour la projection, mais, sans avions ni hélicoptères en quantité suffisante, comment assurer efficacement celle-ci ? C'est bien la question que pose notre rapporteur, M. de Villepin, quand il souligne qu'« il en résultera une limitation de nos possibilités d'engagement extérieur dans les prochaines années ».
M. Bertrand Delanoë. Très bien !
M. Claude Estier. Par ailleurs, dans cette loi de programmation, les perspectives européennes ne sont visibles ni sur le plan stratégique ni sur le plan industriel. Et pourtant, la France doit pouvoir prendre des initiatives fortes pour accroître la solidarité européenne. Elle le doit en raison de la place qu'elle occupe en Europe, du rôle éminent qu'elle a joué sous la conduite du président François Mitterrand dans la construction européenne et, aussi, de ses incontestables capacités industrielles et technologiques.
Les propos que vous avez tenus à cet égard voilà quelques instants, monsieur le ministre, ne sont guère convaincants. Vous exprimez des souhaits. Fort bien, mais, en dehors de la confirmation des quelques programmes franco-allemands que vous avez énumérés, vous n'avez, et pour cause, aucune certitude.
Je le répète en conclusion, votre texte contribue, notamment par la façon dont il est présenté aujourd'hui, à bafouer les droits du Parlement. Alors qu'il s'agit d'un vrai débat de fond, on nous demandera dans cinq ou six mois de discuter, pour la forme, de l'avenir du service national et de légiférer sur une décision prise par ailleurs et déjà intégrée dans une loi de programmation militaire.
C'est pourquoi, mes chers collègues, avec cette question préalable, nous vous demandons, par scrutin public, de ne pas poursuivre la délibération. (Applaudissements sur les travées socialistes et sur celles du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. le président. Y a-t-il un orateur contre la motion ?...
Quel est l'avis de la commission ?
M. Xavier de Villepin, rapporteur. Monsieur Estier, je vous ai écouté avec beaucoup d'intérêt.
La commission, en cohérence avec le vote qu'elle a émis sur l'ensemble du projet de loi, ne peut que rejeter cette motion tendant à opposer la question préalable au projet de loi de programmation militaire.
J'ai eu l'occasion de développer dans mon rapport les très fortes raisons qui me paraissent plaider en faveur de l'élaboration d'une loi de programmation militaire dès cette session. Nous songeons à cet effet à nos armées, à notre jeunesse et à notre industrie.
Permettez-moi de rappeler brièvement les raisons qui rendent absolument indispensable le vote d'une loi de programmation.
La première de ces raisons est la nécessité, pour tirer toutes les conséquences des bouleversements internationaux survenus depuis 1989, d'aller au terme de la logique entamée par le Livre blanc et la loi de programmation votée en 1994.
Il s'agit, ensuite, de tirer la conséquence du « décrochage » entre la loi votée voilà deux ans et la réalité des budgets militaires, en prenant pleinement en compte l'objectif de maîtrise des finances publiques, objectif dont chacun est aujourd'hui pleinement conscient.
En troisième lieu, il convient d'organiser et de planifier la mise en oeuvre de la réforme globale de notre appareil de défense proposée par le chef de l'Etat, notamment de permettre la délicate transition vers l'armée professionnelle, dont le présent projet de loi constituera le fondement légal et la première traduction.
En quatrième lieu, il faut donner à la défense française des repères et des objectifs précis en matière d'équipements, alors qu'elle en est aujourd'hui privée.
Enfin, il s'agit de donner à l'industrie de la défense, qui traverse une période particulièrement difficile, la vision minimale de l'avenir qui lui est indispensable et dont elle manque cruellement à l'heure actuelle.
S'agissant du calendrier des réformes, je rappelle que le texte qui nous est présenté inclut l'évolution des effectifs correspondant à la professionnalisation de nos forces. Ce texte est, comme il est normal, un projet de loi, sur lequel le Parlement est appelé à délibérer et à trancher ; à lui de le voter ou non.
Ensuite, les modifications relatives au service national feront l'objet d'un autre projet de loi - vous l'avez rappelé à plusieurs reprises, monsieur le ministre - après le vaste débat, qui était un véritable débat, engagé dans le pays et devant le Parlement et auquel vous avez vous-même, monsieur Estier, très largement participé, ce dont je vous remercie.
Là encore, il appartiendra au Parlement de délibérer et de trancher. Ces deux lois, dont il n'est pas interdit de penser qu'elles seront cohérentes entre elles,...
M. Claude Estier. Cela vaudrait mieux !
M. Xavier de Villepin, rapporteur. ... constitueront le fondement légal de la professionnalisation.
Notre responsabilité de parlementaires, monsieur Estier, est de penser l'avenir de nos armées à trente ans. C'est ce que nous faisons aujourd'hui et que nous continuerons de faire.
Pour toutes ces raisons, la commission des affaires étrangères, à laquelle vous appartenez, a rejeté cette question préalable. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Charles Millon, ministre de la défense. Monsieur Estier, à travers votre motion de procédure, vous avez soulevé quatre questions sur lesquelles je voudrais revenir.
Vous avez, tout d'abord, posé une question un peu répétitive à laquelle je me permettrai donc d'apporter la même réponse.
Quels événements ont incité, entre 1994 et 1996, à soumettre au Parlement deux projets de loi de programmation militaire ? Examinons-les ensemble, monsieur Estier.
Un certain nombre d'événements relativement importants sont intervenus, qui, à travers les articles 15, 34 et 21 de la Constitution, ont des conséquences directes sur l'organisation de notre défense nationale.
Vous savez tout de même que, le 7 mai 1995, un nouveau Président de la République a été élu, qu'il s'appelle Jacques Chirac, qu'il a nommé un Gouvernement, dont le Premier ministre s'appelle Alain Juppé, et que la cohabitation a cessé. (Applaudissements sur les travées du RPR et des Républicains et Indépendants.) A partir de ce moment-là, oui, l'approche, en matière de défense, a changé.
M. Henri de Raincourt. Et voilà !
M. Charles Millon, ministre de la défense. C'est la raison pour laquelle nous ne contestons pas l'analyse du Livre blanc de 1994, aux attendus duquel nous nous raccrochons.
En revanche, il est des sujets dont, alors Président de la République, François Mitterrand ne voulait pas débattre. En vertu d'une application de la Constitution qui, tout à l'heure, était un peu contestée sur les travées de l'extrême gauche (M. le ministre montre la gauche de l'hémicycle)...
Mme Danielle Bidard-Reydet. Un peu beaucoup !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... auraient dû figurer dans la loi la suppression de la composante terrestre du plateau d'Albion ou la réforme du service national.
Pour cette raison, la loi de programmation qui a été présentée en 1994 ne pouvait pas embrasser complètement notre conception de la défense.
M. Claude Estier. Vous l'aviez quand même votée !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Sur ce sujet, vous devriez d'ailleurs faire preuve de modestie, monsieur Estier.
M. Alain Gournac. Un peu !
M. Charles Millon, ministre de la défense. En effet, en 1989, un événement important est survenu. Je veux parler de la chute du Mur de Berlin et de l'effondrement de l'empire soviétique. On aurait pu penser que, dès 1990, ou peut-être en 1991 - je comprends qu'il vous ait fallu un temps de réflexion pour prendre en compte la modification des conditions géostratégiques à la suite de la guerre du Golfe - le gouvernement que vous souteniez alors en tirerait les conclusions. Vous ne l'avez pas fait. Vous étiez frappés de paralysie.
M. Bertrand Delanoë. Vous avez quand même voté la loi de 1994 !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Vous avez tenté d'élaborer une loi de programmation qui n'a jamais été présentée devant le Parlement. Vous étiez frappés d'immobilisme.
M. Claude Estier. C'est vous qui avez voté la loi Léotard en 1994 !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Aujourd'hui, nous vous disons tout simplement...
M. Claude Estier. Et la loi Léotard !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ...que nous voulons aller au-delà de la loi Léotard. Nous ne contestons d'ailleurs pas celle-ci ! Nous estimons simplement qu'elle doit être menée jusqu'à son terme...
M. Bertrand Delanoë. Vous faites l'inverse !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... pour une simple raison : le Président de la République de l'époque n'avait pas voulu que soient abordés les deux dossiers qui nous paraissaient importants, à savoir, d'une part, le service national et la professionnalisation des armées et, d'autre part, l'évolution de la dissuasion nucléaire.
M. Bertrand Delanoë. Il avait bien raison !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Telle est la première raison du changement.
M. Alain Gournac. C'est une bonne raison !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Quant à la deuxième raison, dois-je rappeler les dettes accumulées de 1981 à 1993 ? Dois-je rappeler la situation budgétaire que vous avez créée ? (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.) Dois-je rappeler le trou financier que vous avez creusé ?
M. Bertrand Delanoë. Aujourd'hui, c'est pire qu'en 1993 !
M. Charles Millon, ministre de la défense. A partir de ce moment-là, oui, c'est vrai, les raisons budgétaires s'imposent à nous.
M. Bertrand Delanoë. C'est bien pire avec vous !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Je suis un homme politique qui n'hésite pas à prendre ses responsabilités. Donc, je les prends. Je ne vous dirai pas qu'il n'y a pas de raisons budgétaires. Il y en a, c'est évident. Mais c'est dû à la gestion catastrophique que vous avez menée de 1981 à 1993. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Bertrand Delanoë. Vous êtes de mauvaise foi !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Deuxième point, il s'agit, dites-vous, d'une loi improvisée et d'une décision imposée.
M. Claude Estier. Ce n'est pas incompatible !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Il est extraordinaire que vous parliez de décision imposée ! Il faudrait maintenant que le Gouvernement ou le Président de la République soient les muets du sérail, qu'ils ne disent rien, qu'ils attendent les initiatives du Sénat ou de l'Assemblée nationale, qu'elles émanent des groupes parlementaires ou des partis politiques.
M. Claude Estier. Ne caricaturez pas !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Mais si, je caricature (Ah ! sur les travées socialistes) parce que vous avez vous-même caricaturé. Contre une caricature, il faut une autre caricature !
M. Jean Chérioux. M. le ministre reprend votre caricature !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Dans la Constitution de la Ve République, l'initiative appartient au Gouvernement. Il vous propose un projet de loi. Vous pouvez en débattre, c'est d'ailleurs ce que vous faites. A partir de ce moment-là, vous prenez vos responsabilités : vous votez pour ou vous votez contre, mais vous avez à vous prononcer. Alors, ne parlez pas de décision imposée !
Le Président de la République a proposé une décision ou a décidé de proposer. Il n'a fait que cela. Il vous appartient d'assumer vos responsabilités !
M. Claude Estier. Et votre publicité dans la presse ?
M. Charles Millon, ministre de la défense. Bien sûr, mais vous n'avez pas lu la dernière ligne...
M. Claude Estier. Si !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... où je précise qu'un projet de loi sera proposé à l'automne.
M. Claude Estier. A la dernière ligne !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Bien sûr, la dernière ligne, parce que c'est la plus importante ! Vous savez bien que, dans un ouvrage, la première chose qu'on lit c'est la conclusion.
M. Claude Estier. « A consommer avec modération » ! (Sourires.)
M. Charles Millon, ministre de la défense. J'en viens au troisième point. Là, selon moi, monsieur Estier, vous faites preuve de tactique politique, et en ce domaine vous êtes expert, j'en conviens,...
M. Bertrand Delanoë. Vous n'êtes pas mauvais non plus !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... mais où est votre esprit d'analyse ? En effet, il faudrait, dites-vous, examiner d'abord le projet de loi sur le service national avant de discuter de la loi de programmation.
M. Bertrand Delanoë. C'est le bon sens !
M. Claude Estier. C'est la logique !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Ce n'est pas logique, c'est aberrant ! (Exclamations sur les travées socialistes.) Nous n'allons pas commencer à parler des moyens avant d'avoir évoqué les finalités ! Si vous décidez le passage de l'armée de conscription à l'armée professionnelle... (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.) Attendez ! A partir de ce moment-là, effectivement, se posera le problème du service national. Si vous ne le décidez pas, si vous gardez l'armée mixte,...
M. Bertrand Delanoë. Vous n'êtes pas très cohérent !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Si, je suis très cohérent ! N'ayez aucun doute à cet égard, j'y ai réfléchi tout au long de la préparation de ce projet de loi.
Si vous ne le décidez pas, il n'y aura pas de projet de loi sur le service national.
Si vous votez pour, si effectivement vous adoptez le principe de l'armée professionnelle, et donc la suppression de la conscription,...
M. Claude Estier. On n'aura plus rien à voter !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Bien sûr que si ! Je poursuis mon raisonnement : à ce moment-là, vous serez obligés de discuter de la réforme du service national.
Vous aurez alors deux possibilités, et vous allez sans doute les utiliser aux mois de septembre, octobre, novembre et décembre prochains. Je vous demande d'ailleurs de les préparer pour que vous ne disiez pas que le débat est improvisé. Préparez-les dès aujourd'hui !
Ces deux possibilités sont les suivantes : le volontariat, et un service civil obligatoire plus important.
Le vote du principe de la professionnalisation signifie simplement que l'on a besoin de 10 p. 100, sous forme de volontaires ou d'appelés, d'une classe d'âge masculine. Restent 90 p. 100 : soit, si vous êtes favorable au service obligatoire, vous les mobilisez dans le cadre du service civil obligatoire ; soit, si vous êtes pour le service volontaire, vous optez pour la solution proposée par le Président de la République.
Donc, la logique est parfaite. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle vous avez eu du mal à défendre votre position (Sourires sur les travées socialistes) et c'est pourquoi vous allez sans doute voter contre votre motion.
M. Bertrand Delanoë. Vous n'êtes pas très convaincant !
M. Claude Estier. Nous n'allons tout de même pas voter contre !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Je terminerai sur un point que je n'accepte pas : le ministre va annoncer les mauvaises nouvelles durant l'été, dites-vous. Monsieur Estier, vous me connaissez très mal ! Je ne me suis jamais soustrait à mes responsabilités, et je suis prêt à aller dans toutes les communes, dans tous les départements et dans toutes les régions où il y aura dissolution de régiment, fermeture de base, fermeture d'établissement, restructuration, pour les expliquer. Je ne me cacherai pas derrière mon petit doigt, ni derrière je ne sais qui. J'assumerai pleinement mes responsabilités.
M. Claude Estier. Vous allez passer un mauvais été !
M. Bertrand Delanoë. Cela va être dur !
M. Charles Millon, ministre de la défense. N'ayez crainte ! Nous ne sommes pas dans l'improvisation, comme vous l'avez pratiqué durant tant d'années !
M. Alain Gournac. Eh oui !
M. Charles Millon, ministre de la défense. Si nous avons pris ce temps-là, c'est en réalité pour préparer une évolution de nos armées et de nos structures en matière d'armement, afin d'offrir à la France un outil adapté aux conditions géostratégiques.
C'est la raison pour laquelle, me tournant vers les membres de la majorité du Sénat, je leur demande de ne pas voter la motion de procédure proposée par M. Estier,...
M. Claude Estier. Ne soyez pas inquiet, ils ne la voteront pas !
M. Bertrand Delanoë. Même s'ils en ont envie !
M. Charles Millon, ministre de la défense. ... sinon, cela se traduirait par un retard regrettable dans la mise aux normes de la défense française afin qu'elle soit à la hauteur desdites conditions géostratégiques. (Applaudissements sur les travées des Républicains et Indépendants, du RPR et de l'Union centriste.)
M. le président. Je vais mettre aux voix la motion n° 3.
M. Guy Cabanel. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Cabanel.
M. Guy Cabanel. Mon explication de vote sera un simple témoignage. On a beaucoup évoqué ici le fait que le Président de la République avait défini son option, avait, somme toute, pris une décision, en ce qui le concerne, d'un choix d'évolution du service national.
Je veux simplement rappeler un fait. En 1990, nous avons voté une loi modifiant le service national. J'en étais le rapporteur. Nous avons alors ramené la durée du service national à dix mois. Or nous avons voté cette loi en octobre-novembre - avec, d'ailleurs, deux passages devant le Sénat - alors que le Président de la République de l'époque, dans l'entretien qu'il avait accordé le 14 juillet à la fin de la cérémonie, avait déclaré : « J'ai l'intention de réduire à dix mois la durée du service national ; c'est le voeu de la jeunesse ; il en sera ainsi. » (Très bien ! sur les travées du RPR.)
M. Jean Chérioux. Bravo !
M. Guy Cabanel. Quand le débat a eu lieu dans cet hémicycle, nous l'avons rappelé au ministre de l'époque. Les arguments que vous avez développés aujourd'hui, nous les avions développés. Mais il faut savoir que le Président de la République ne peut pas être inerte ! Il exprime des choix, le Parlement décide. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et Indépendants.)
M. Guy Penne. Nous n'avons jamais dit cela ! Mauvais examen clinique, monsieur le professeur !
M. Jean Chérioux. C'est l'arroseur arrosé !
M. Michel Caldaguès. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. La parole est à M. Caldaguès.
M. Michel Caldaguès. Mon intervention sera brève. Je dirai simplement que j'ai été stupéfait d'entendre M. Estier prétendre que le Président de la République avait pris une décision sur le service national et qu'il n'y avait pas eu débat.
Il a été rappelé que la commission avait procédé à de nombreuses auditions de personnalités venues nous informer des données du problème.
M. Claude Estier. Après !
M. Michel Caldaguès. Attendez !
M. Claude Estier. Nous n'avons pas voté !
M. Michel Caldaguès. Comment ? Nous avons voté en commission le rapport de notre ami Serge Vinçon. M. Estier, membre de la commission, l'a complètement oublié !
M. Claude Estier. Mais non !
M. Michel Caldaguès. Moi, j'ai souvenir que notre ami Serge Vinçon a fait un rapport très circonstancié en commission, qu'une large discussion s'est instaurée à ce sujet et que, très démocratiquement, la commission a voté sur le principe de la professionnalisation, en formulant même des propositions, notamment sur le rendez-vous citoyen, qui ont été finalement celles qui sont retenues à l'heure actuelle par le Gouvernement.
Par conséquent, le débat parlementaire n'a pas été vain au sein de notre commission. Aussi, monsieur Estier, vous n'avez absolument pas le droit de dire qu'il n'y a eu aucun débat démocratique. (Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants.)
M. Claude Estier. Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Guy Penne. Il n'a pas dit cela ! M. Caldaguès n'a pas compris !
M. André Maman. Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président. Monsieur Maman, permettez-moi de vous rappeler que, aux termes du dernier alinéa de l'article 44 du règlement, seul un représentant de chaque groupe peut expliquer son vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes.
La réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, dont vous êtes membre, ne constituant pas, selon son intitulé même, un groupe, je ne puis vous donner la parole en l'instant.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 3, repoussée par la commission et par le Gouvernement.
Je rappelle que son adoption entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions réglementaires.

(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.) M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 115:

Nombre de votants 316
Nombre de suffrages exprimés 314
Majorité absolue des suffrages 158
Pour l'adoption 93
Contre 221

En conséquence, nous passons à la discussion des articles.

Article 1er et rapport annexé